Respect de l’environnement – R. P. Michel MANCEAU (Théologien)

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Respect de l'environnement et 
foi en Dieu Créateur


R. P. Michel MANCEAU
Théologien, 
Nantes (France)


Le thème de notre recherche “Mer, que seras-tu demain ? Gens de mer, que devenons-nous ? Croyants, que préparons-nous ? ” invite à réfléchir à notre responsabilité à l'égard de la Création. Nous sommes tous conscients de l'urgence à chercher ensemble des attitudes plus justes, plus respectueuses à l'égard de l'environnement. Nous ne sommes pas, nous les croyants en Jésus Christ, les seuls à nous atteler à ce problème. Seulement, je voudrais montrer en quoi notre foi au Dieu Créateur et Sauveur ne peut qu'ajouter des raisons supplémentaires, des motivations plus profondes pour agir, avec tous les hommes de bonne volonté, en vue d'un plus grand respect de l'environnement, d'une meilleure gestion de la ressource, de meilleures conditions de travail tant à la pêche qu'au commerce et dans les échanges internationaux.

Je me propose simplement d'organiser ma réflexion autour de quatre mots. Chacun développe un aspect particulier de notre rapport à la Création. Ces quatre mots, qui seront quatre têtes de chapitre, nous transportent dans l'univers de nos croyances et de nos valeurs. C'est un aspect important de notre recherche car il y a, bien sûr, des aspects techniques, mais souvent nos techniques sont utilisées au profit de nos valeurs, de nos convictions. Et ces dernières influencent les décisions et les orientations que nous prenons.

1. La création 

Nous affirmons dans le Credo : “Je crois en Dieu le Père tout-puissant, Créateur du Ciel et de la Terre”.

Comment comprendre cet article de foi ? Il ne nous est plus possible de le comprendre comme si Dieu était la Cause, l'Artisan, l'Explication des choses et des vivants. Avant Darwin, on pouvait penser que Dieu avait créé, c'est-à-dire voulu, conçu chaque espèce. Aujourd'hui, nous savons que les espèces se sont diversifiées, par une adaptation progressive de la vie au milieu, qu'on appelle l'évolution.

On pouvait jadis penser le commencement du monde comme une espèce de fabrication des astres, des océans, des continents. Nous savons aujourd'hui que le monde est toujours en genèse, en expansion.

L'idée de la Création n'est pas une idée scientifique. C'est d'abord une idée religieuse : “je crois”. Il est important de bien saisir ce qu'elle implique et comment elle peut contribuer aujourd'hui à notre “salut”, à une relation heureuse avec les choses, avec la Terre, avec les autres hommes.

L'idée de la Création implique qu'il y a une distance entre Dieu et le monde. Elle signifie que Dieu laisse le monde à ses lois – qui sont les lois de la physique – et l'Homme à sa liberté.

Le document du rassemblement œcuménique européen de Bâle (15-21 mai 1989 : Paix et Justice pour la Création entière, éditions du Cerf) au n° 34 nous invite à reconsidérer notre manière de comprendre notre rôle dans la Création à la lumière de la parole de Dieu, et à la lumière de ce que nous comprenons mieux aujourd'hui au sujet de notre place dans le monde, grâce à la réflexion écologique.

Il pourrait sembler que le texte de la Genèse, chap.1, verset 28, autorise l'Homme à “dominer” la Terre. Or, la façon de comprendre cette “domination” a été contaminée par notre mentalité productiviste. Cela allait jusqu'à comprendre la domination comme la volonté de produire le plus possible.

Nous remettre en face d'une idée religieuse de la Création, c'est comprendre notre humanité comme servante, à la fois de Dieu et de la Création. En conséquence, l'humanité a un devoir de vigilance, de conservation de cette Création, qui est don fait à tous les hommes par Dieu. Don fait à l'humanité entière, c'est-à-dire à nous, mais aussi à ceux qui vivront après nous. Croire religieusement à la Création implique donc pour chaque génération le devoir de conserver et même de promouvoir l'intégrité de la Création pour le bien des générations futures.

Croire que la Création est don, a donc des conséquences éthiques que la sensibilité écologique nous aide à mieux percevoir aujourd'hui.

Vous me direz : “Quand on a reçu un don, on a le droit d'en faire ce qu'on veut. Ce qui vous a été donné n'appartient plus au donateur, sinon ce n'est plus un don. D'un don, on peut faire ce qu'on veut”.

Est-ce vraiment la première attitude devant le don ? Surtout si ce don est un vivant, la condition même de notre vie, la condition même de notre jouissance de la vie, de notre bonheur.

Si nous lisons de près les récits religieux de la Création, nous voyons que la première attitude de l'homme, c'est l'émerveillement, le merci, la vénération envers celui qui fait don. S'il y a don, il y a Donateur. Et précisément, le grand oubli de notre culture est là : l'illusion que l'homme est la source de la Nature, voire maître de la vie … Pensez au génie biotechnique ! Non, avant d'entreprendre quoi que ce soit, il est important de considérer que la Nature, la Vie elle-même est un don que nous ne nous sommes pas fait à nous-mêmes. Voici ce que croire en la Création implique !

Une deuxième affirmation que notre foi en la Création renforce est la suivante : le Don de la Terre est fait à tous. “La Terre est à tous !”, comme dit le slogan du CCFD, (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement) reprenant un enseignement constant de l'Eglise. Avant d'être propriété particulière de qui que ce soit, la Terre (et la Mer!) est donnée à l'ensemble de l'Humanité. Les titres de propriété privée, les droits d'exploitation particuliers, nécessaires pour que chaque personne puisse se nourrir et se développer, ne viennent qu'après cette donation collective. En saine tradition chrétienne, on doit considérer le droit de propriété privée comme un moyen d'assurer à chacun cette donation faite à tous … C'est évidemment difficile à réaliser … Cela demande une inventivité juridique extraordinaire. C'est cependant l'ordre des choses qu'implique notre foi en la Création. Vous pourriez approfondir cette question dans l'encyclique de Jean-Paul II, sur le centenaire de Rerum Novarum, Centesimus annus, Chapitre IV, 1991. 

Le retour aux sources de notre foi en la Création comme Don de Dieu fait à la liberté de l'Homme, nous renvoie davantage à une logique de “gestion, d'intendance” qu'à une logique productiviste. Depuis 10 à 15 ans, un nombre important d'ouvrages de théologie ont pris en compte cette nouvelle approche.

Entre l'écologie et la foi religieuse en la Création, il y a par conséquent une connivence. Cependant, nous ne devons pas tomber dans le piège symétrique de l'époque précédente : faire coller ensemble écologie et foi chrétienne en la Création, comme autrefois on a compris le commandement de dominer la Terre comme un encouragement au productivisme ! Il y a beaucoup de discernement à opérer. En particulier, il n'y a pas qu'une écologie, mais des courants écologiques. Parmi eux, certains prônent un respect de toute vie, qui relativise la vie humaine par rapport à toutes les autres formes de vie. Or, la foi religieuse en la Création glorifie le rôle de la liberté de l'homme par rapport aux autres espèces. L'Homme, intendant de la Création, nomme les autres vivants. Cette nomination dit une hiérarchie, en même temps que qu'un devoir d'intendance, de vigilance. Au dessus du respect de la vie, il y a le respect de la dignité de la personne humaine. La foi en la Création nous arrache à toute sacralisation, absolutisation de la vie biologique, pour la situer en relation avec la Vie – avec un V majuscule -, qui est celle que Dieu veut nous faire partager en son Fils. Une Vie qui associe chaque personne à sa vie divine, une vie dont le sens est l'amour, l'amour des choses, l'amour des vivants, l'amour des frères, l'amour du Créateur.

Il y a donc un discernement à opérer au sujet de l'écologie. Juste un mot pour dire que ce discernement doit porter aussi sur la portée politique des mouvements écologiques. Comme cela a été souvent remarqué dans notre milieu maritime, il est clair que certaines actions n'échappent pas à des manipulations politiques qu'il faut savoir dénoncer !

J'attire en conclusion l’attention sur un point fort du document œcuménique de Bâle au n° 33. Il nous aide à penser la Création comme un acte permanent de Dieu, une présence dans la durée. C'est le même Dieu qui est à l'origine, qui sauve par le Don du Christ et qui mène à son terme toute l'histoire. “Ce n'est pas l'humanité mais Dieu qui est le commencement, le centre et l'apogée de toute la Création et de toute l'histoire. “Je suis l'Alpha et l'Oméga, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-puissant”. (Ap.1,8).

2. Le respect 

Il faut réfléchir également, à propos de notre sujet, à la notion de “respect”.

Par certains côtés, la modernité a plutôt mis en valeur l'irrespect.

Par exemple, on n'a pu faire des progrès dans la connaissance de l'anatomie que lorsqu'on a abandonné une certaine conception sacrale du corps humain. Pour comprendre comment les divers systèmes de l'organisme fonctionnent, il a fallu regarder le corps comme une machine, ainsi que l'a dit Descartes, indépendamment de la présence d'une âme en lui. Dans l'Antiquité, l'attitude éthique consiste à se couler dans l'ordre des choses ; la bonne attitude, c'est de “respecter” l'ordre de la Nature. Toute notre idée de progrès, au contraire, est basée sur l'idée qu'il faut transgresser l'ordre des choses pour aller plus loin. Derrière le schéma de l'époque scientifique, il y a fondamentalement l'idée qu'il faut abandonner une certain respect révérenciel de l'ordre de la Nature.

Dans la mentalité scientifique, au moins dans ses premiers développements à l'époque moderne, il y a l'idée qu'il n'y a pas de limites infranchissables. L'idée de limite qu'impose la morale établie est plutôt gênante. Pour progresser, il faut tenter des expériences nouvelles. Voyez ce qui se passe aujourd'hui au niveau du clonage des brebis ! Le respect des limites ne s'impose pas de lui-même à la science. Il faut qu'une autre volonté, une conscience d'ordre politique ou d'ordre moral pose ces limites.

Le respect n'est donc plus une notion qui s'impose au nom de l'ordre des choses, au nom de l'ordre ancien, de l'ordre établi. Mais seulement au nom de valeurs à préserver sur lesquelles nous nous accordons. Il y faut forcément une volonté politique.

A ce niveau politique, la notion de respect ne s'impose pas non plus sans un certain détour. Dans l'ordre féodal, on a du respect pour quelqu'un parce qu'il est haut placé, en raison de son rang. L'ordre démocratique est précisément l'affirmation de l'égalité de tous les citoyens. Dès lors, notre idéal démocratique d'égalité est aussi une forme d'irrespect par rapport à l'ordre ancien.

Le respect que la culture démocratique a mis en valeur n'est pas le respect du souverain, mais le respect de la loi censée assurer le respect des droits de chaque citoyen.

Ce type de respect peut amener aussi à des difficultés. Car le respect de la loi peut amener de suprêmes injustices envers des personnes quand les lois ne sont pas bonnes. C'est pourquoi les philosophes, aujourd'hui, préfèrent mettre en premier la notion de respect de l'autre. Le visage de l'autre, la présence de l'autre s'imposent à moi comme une injonction au respect. Je ne puis exister sans accepter un radical “Après vous ! Monsieur !”, comme dit E. Levinas. Sans quoi, c'est le règne de la violence. Pas de vie possible sans l'interdit fondamental : “Tu ne tueras pas !”.

Que dire du respect aujourd'hui ?

- Nous découvrons que la Nature n'est pas un réservoir inépuisable. Il y a des limites à son exploitation. Certaines agressions peuvent se montrer irréversibles. D'un certain côté, la science nous rend le service de nous montrer qu'il nous faut mettre une limite à notre maîtrise, acquérir, si l'on peut dire, la maîtrise de la maîtrise.

- L'idée ancienne du respect était un sentiment de crainte révérencielle, de crainte devant ce qui est puissant ou devant ce qu'on ne connaît pas bien. L'idée de respect que nous redécouvrons aujourd'hui est plutôt un sentiment de respect devant ce qui est petit, fragile, précaire. L'accent que l'on pourrait mettre aujourd'hui, c'est de considérer que ce qui est fragile est d'autant plus précieux.

- Enfin, notre époque démocratique est sensible aux droits de l'Homme. Ces droits sont à respecter comme un absolu, en principe, parce qu'ils sont attachés à la dignité de la personne. Chaque personne est digne de respect en ce qu'elle a d'unique, d'irremplaçable. Nous sommes, dans nos sociétés, sensibles à cette idée-là, d'autant plus que nous avons traversé les tragédies des guerres, des racismes, des génocides. Et comme croyants en un Dieu qui aime chacun et chacune de ses créatures, nous avons encore plus de raisons de défendre ce respect de chaque personne, appelée à devenir un Temple de l'Esprit Saint. Le paradoxe est que notre époque, sensible au respect de chaque personne, de chaque culture, a beaucoup de peine à les respecter, en fait. Sans doute parce que l'individualisme contemporain exalte la personne, mais sans rappeler que la personne a toujours une dimension sociale, est enracinée dans une culture, dans un milieu, que la personne est un être en relation avec le monde qui l'entoure et avec les racines qui ont forgé son identité.

3 . La responsabilité 

Dire que nous sommes responsables, c'est dire que nous sommes libres. Nous sommes capables d'initiatives ; nous pouvons, par notre action, influencer le cours des événements. Nous n'en avons pas la maîtrise totale ; cependant, nous pouvons y inscrire notre trace.

Il y a quelque chose d'un peu tragique entre nos mains. Même si nous croyons que la Création est sauvée par le don du Christ, nous devons aussi accepter d'avoir un jeu à jouer, un jeu qui n'est pas indifférent à son sort final.

Nous découvrons aujourd'hui, devant l'éventail si ouvert des possibles, que notre responsabilité porte en priorité sur l'avenir. Cette idée est neuve. Car jusqu'ici, on considérait plutôt qu'on était responsable seulement de son présent, c'est-à-dire qu'on devait rendre compte de la conformité de nos actes à des normes ; mais on ne pensait pas que les actes des hommes pouvaient à ce point mettre en péril l'équilibre de la Création. Bref, on ne se posait pas la question de notre responsabilité envers les générations futures, considérant que les choses s'équilibraient par elles-mêmes.

Devant les conséquences possibles de nos actions, nous devons en priorité nous demander si celles-ci préservent l'avenir. Voici ce qu'un philosophe d'aujourd'hui, Hans Jonas, dans le principe de responsabilité, écrit : “Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur la terre”, “ Agis de façon à ce que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité d'une telle vie” , “Ne compromets pas les conditions pour la survie infinie de l'humanité sur terre”.

Ces impératifs catégoriques, formulés à la manière de Kant, correspondent à la conscience d'une humanité fragile, d'une vie altérable et périssable, soumise à des technologies inquiétantes. L'homme peut, à la rigueur, engager sa propre vie, la risquer, mais ce qu'à tout prix, il ne peut faire, c'est engager la vie de sa postérité, la vie future. Aussi Hans Jonas prend-il pour exemple celui du père de famille qui est responsable de la vie de son enfant. Cette responsabilité envers l'enfant qu'on a engendré s'impose au père et à la mère, alors même que l'enfant n'a pas, pour le moment, de devoirs envers ses parents. La responsabilité, selon Jonas, n'implique pas une réciprocité des droits et devoirs comme dans la morale classique ; elle s'impose à vous. Vous devez prendre en charge dans vos décisions, l'humanité future qui, à l'évidence, ne fera rien en votre faveur.

On a critiqué cette position parce qu'elle semble tuer le rêve d'un homme utopique, l'espérance de lendemains qui chantent. Mais précisément, c'est pour répondre aux errements des conceptions trop optimistes que Jonas tente de fonder un discours sur notre responsabilité, une responsabilité qui porte loin, mais non utopique. Il s'agit de regarder lucidement le pouvoir des sciences et des techniques modernes pour répondre pleinement de l'existence future de l'humanité, une humanité qui ne sera dans son être, ni plus misérable, ni plus parfaite que la nôtre.

L'homme de demain sera l'homme de toujours, avec ses hauts et ses bas, ses tentations et ses réussites partielles.

Les réflexions de Jonas nous sont utiles pour inclure notre responsabilité vis-à-vis du futur. Le problème se complique cependant parce que la plupart du temps, notre responsabilité est diffuse ; elle est partagée avec d'autres ; elle s'exerce à travers des collectifs, des organisations ; elle se vit dans un univers où nous sommes de plus en plus interdépendants.

De multiples exemples nous ont été donnés hier de ces nouvelles conditions d'interdépendance qui sont les nôtres. Que dire ? Il n'est pas facile de répondre à ces problèmes. On se demandait hier par exemple s'il n'était pas possible de donner des concessions d'exploitation à des particuliers sur le domaine public pour éviter que des requins ne s'emparent du domaine maritime. Ce qui paraît clair, c'est que les personnes concernées doivent pouvoir prendre la parole sur ces questions nouvelles d'organisation des droits d'exploitation et de propriété. La pire démission, c'est de laisser les technocrates décider pour les usagers, pour les personnes concernées. Dès lors, la responsabilité, au plan collectif, inclut une sorte de devoir de s'informer, de se former, de prendre la parole.

La foi renforce notre responsabilité. Si nous croyons que Dieu a confié la Création à notre liberté, nous n'avons, si je puis dire, que des raisons supplémentaires, en tant que croyants, de nous intéresser à son avenir, à son devenir. Je dirais même que notre responsabilité doit prendre en compte tous les niveaux de la décision et de l'action humaines : 

- Le niveau de la conduite individuelle : par exemple, nous avons déjà une responsabilité envers la Création comme consommateurs ; nous faisons des choix alimentaires, vestimentaires, culturels, etc.

- Le niveau professionnel : là encore nous faisons des choix qui ont des conséquences sur l'avenir de la ressource ou de l'environnement. Nous produisons des déchets que l'on peut recycler intelligemment. Nous utilisons des produits qui sont plus ou moins nocifs, etc.

Le niveau civique et politique : nous avons des responsabilités que nous exerçons par l'intermédiaire de nos organisations, de nos choix électoraux, de nos campagnes d'opinions, etc.

Pour qui croit en Dieu Créateur et Sauveur, aucun de ces niveaux de responsabilité n'est indifférent à sa foi. La manière même dont il tente de vivre personnellement et avec les autres est pour lui une manière de rendre gloire au Seigneur de l'Univers.

4. L'espérance 

Le dernier mot sur lequel nous allons porter notre attention, c'est le mot d'espérance.

L'espérance est la vertu de celui qui dure dans le temps. L'espérance nous porte vers le futur. Or, nous le voyons de bien des manières, nous vivons dans une culture de l'immédiateté. Au niveau économique, il faut réagir “en temps réel”, comme on dit aujourd'hui ; les flux monétaires sont quasi instantanés.

Dans notre manière de nous comporter, nous sommes de plus en plus marqués par une culture d'urgence. Cette logique de l'urgence s'est sans doute imposée à nous par certaines nécessités : il faut bien parer le mieux possible aux catastrophes, d'autant plus qu'on a davantage de moyens aujourd'hui. Mais nous en venons à dévaloriser tout ce qui a trait au temps long, à la durée. Le long terme n'intéresse pas beaucoup nos contemporains ; nous ne cherchons pas à construire des œuvres de longue durée, mais à gérer les choses au jour le jour. Nous courons alors le risque de laisser les décisions qui portent sur l'avenir à quelques technocrates.

L'espérance chrétienne qui fait durer le chrétien dans le temps nous fait sortir de cette logique mortelle de l'immédiateté ! Y compris dans le fait de croire que, finalement, les choses sont dans les mains d'un Dieu qui veut notre réussite, notre salut.

L'espérance porte en effet sur le salut. Qu'est-ce que le salut ? Le salut est l'accueil d'un don de Dieu, d'un pardon, d'une réconciliation qui ne viennent pas de nous, mais qui nous ont été acquis par la mort et la Résurrection du Christ. Au matin de Pâques, le tombeau s'est ouvert : cela signifie que Dieu, par delà nos impasses, ouvre un avenir à ceux qui vivent et agissent dans l'esprit de don et de pardon de Jésus.

L'espérance porte sur le salut. Mais il ne s'agit pas d'un petit salut individuel et portatif. Il s'agit de la grande espérance d'un monde renouvelé. St Paul nous dit que toute la Création elle-même est associée à la Résurrection du Christ. Les forces du mal, du péché sont soumises au Christ. Bien sûr, jusqu'à la fin, nous sommes en “travail”, en “attente”. Mais ceci doit nous inciter à participer à cette grande œuvre de Dieu pour nous et avec nous.

L'espérance nous fait tourner nos yeux et notre action vers l'avenir. Elle nous rappelle que nous ne sommes jamais arrivés, mais toujours en chemin. Lorsque la Création sera achevée, alors, il n'y aura plus à espérer. En revanche, c'est la condition du croyant en chemin, d'être toujours tendu vers le but, toujours en état d'espérance !

L'espérance chrétienne associe tous les hommes, toutes les personnes au salut attendu. Dès lors, il y a des logiques que l'espérance chrétienne refuse. Parce que nous espérons le salut pour tous, nous refusons d'exclure des personnes de ce salut. Plus même, nous espérons la venue d'un Royaume de Dieu où la première place est donnée aux plus petits, aux plus pauvres. Vous le voyez, l'espérance chrétienne ne peut que renforcer nos convictions sur la nocivité d'un certain nombre de logiques économiques ou politiques qui prônent l'exclusion de certains acteurs, aussi bien au plan international que national.

L'espérance nous fait attendre le Royaume que Dieu nous promet. Dans le contexte que nous vivons aujourd'hui, qui est un contexte de mondialisation, nous ne pouvons alors qu'être renforcés dans notre travail pour construire la solidarité internationale.

Un regard théologique ne résout pas tous nos problèmes.

Si nous cherchons des pistes d'avenir pour la Mer, et pour les gens de Mer, nous pouvons cependant trouver, dans notre foi, des raisons supplémentaires d'affronter nos problèmes et de travailler à construire le monde de demain. Nos croyances, à jamais marquées par l'événement du Christ et de son Evangile, ne nous éloignent pas des questions des hommes, bien au contraire : elles nous portent à nous articuler les uns avec les autres pour chercher aujourd'hui ce qui permettra à chacun de mieux vivre.