LE DIEU DU CRUCIFIE

Mgr CottanceauEn cette semaine Sainte où nous allons célébrer la mort et la résurrection du Christ dans un contexte bien particulier, alors que tous sommes confrontés à cette terrible épidémie du Covid 19, à l’heure où nos frères et soeurs du Vanuatu sont frappés ces jours-ci par un puissant cyclone dévastateur, et où tant d’hommes, de femmes et d’enfants sont plus encore confrontés à la famine et à la misère, est-il encore possible de parler de Dieu ? Comment peut-on parler de Dieu lorsque nous arrivons à ce moment où il semble abandonner ce Jésus qui n’avait cessé de se réclamer de Lui, qui l’a fait connaître, et qui pourtant va mourir sur la croix ? Souvenons-nous que Jésus est mort en croix à cause de sa prétention à dénoncer le mal, et à cause de son action en vue du règne de Dieu. Il a voulu changer les relations entre les Hommes, il a dénoncé l’hypocrisie et le mensonge, l’exploitation et l’exclusion, la haine et le non-respect d’autrui, ainsi que toute attitude religieuse qui asservit au lieu de libérer. Et pourtant, à l’heure de la passion et de la mort du Fils, Dieu le Père ne vient pas au secours du Juste comme un Dieu bon et libérateur devrait le faire !

Pour nous, les hommes, la puissance est contradictoire avec la faiblesse, et si Dieu est tout puissant, il ne peut pas être faible. Si Dieu est Dieu, il est tout, il ne manque de rien. Il possède tout. Et si Jésus était Dieu, il ne pouvait avoir une histoire humaine comme la nôtre ; il savait tout depuis le début, il avait tout prévu ! Mais cette conception de la puissance ne résiste pas à la lumière de la passion et de la mort de Jésus. Ainsi, nous devons admettre que notre idée de la puissance de Dieu doit être reconsidérée ! Et lorsque nous arrivons à la passion, force est de constater que l’image du crucifié ne cadre pas avec l’image du « grand patron » que nous nous faisons de Dieu !

En effet, c’est Jésus qui a souffert et qui est mort… lui, le Fils. Mais que faisait alors le Père ? Les paroles de Jésus résonnent douloureusement à nos oreilles : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 45) Comment un père qui aime son fils peut-il l’abandonner ? Comment imaginer que le Père soit resté indifférent à la mort de son Fils, celui qu’il appelait « mon Fils bien aimé » ? Et pourtant, le fait est là ! Le Fils fait l’expérience de l’abandon de Dieu. Alors qu’il a vécu toute sa vie en communion constante avec son Père, au moment où il en a humainement le plus besoin, cette communion semble brisée, absente : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » C’est comme si le Fils de Dieu était devenu étranger à Dieu. C’est l’interrogation de tous les pauvres, de tous les déshérités et opprimés de la terre : stupeur face à ce qui arrive et souffrance devant l’abandon ». Où est Dieu ? Pourquoi ne fait-il rien ? Pourquoi ?

Ces questions sur Dieu sont les nôtres ! Dans l’expérience que nous faisons des échecs, des découragements, de la solitude, de l’abandon, alors que nous luttons pour des causes qui nous semblent justes, devant l’injustice ou la violence du monde, dans l’expérience de la mort, nous est-il possible de croire en Dieu ? Si oui, de quel Dieu s’agit-il ? Quel est ce Dieu en qui nous pouvons croire quand l’Homme est radicalement mis en question ? Quel est le Dieu de l’Homme crucifié et en qui il continue à croire ?

Alors, si nous voulons reconnaître le Dieu de Jésus Christ, nous devons nous poser cette question : être homme, est-ce dominer, être puissant, se garder ? Ou bien s’engager envers d’autres que soi, au risque de se perdre, au risque de manquer pour se trouver soi-même en trouvant les autres ? C’est à ce prix que nous aurons la possibilité de reconnaître Dieu dans la croix de Jésus Christ ! Tandis que le Fils souffre d’être abandonné, nous pouvons dire que le Père souffre d’abandonner son Fils. Il n’est pas impassible, mais souffre de la souffrance de l’amour, de la souffrance d’un Père. Il n’est pas celui qui meurt, car seul le Fils meurt, mais comment le Père ne souffrirait-il pas de la mort de son Fils ? « Le Fils en mourant endure dans son amour l’abandon du Père. Le Père endure dans son amour la douleur de la mort du Fils » dira le théologien J. Moltmann. Il y a ainsi profonde communion de volonté entre Jésus le Fils et son Père, à l’instant même de leur séparation la plus extrême. L’un et l’autre sont unis par l’abandon, c'est-à-dire dans le don, et en cela, ils demeurent silencieusement unis.

+ Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU