DE JERUSALEM A TIBHIRINE

 Mgr Cottanceau           Alors que nous célébrons cette semaine la Passion, la mort et la Résurrection de Jésus Christ, notre Seigneur, l’Eglise se souvient qu’il y a 25 ans, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 dans le contexte de la guerre civile algérienne, sept moines Cisterciens du monastère de Tibhirine étaient enlevés par un commando, puis assassinés. Seuls deux autres religieux échappèrent à cette rafle. Le choix fait par ces hommes de rester auprès de leurs frères et sœurs Algériens au milieu desquels ils avaient fait le choix de vivre, qu’ils aimaient et servaient, et ce malgré le danger dont ils étaient conscients n’était pas un suicide. Rejoignant le Christ dans le don total qu’il fit de sa vie, et à son exemple, ils n’ont pas choisi de mourir, ils ont choisi d’aimer jusqu’au bout et quel qu’en soit le prix. Ils ont choisi d’être par leur présence, leur proximité, leur amour de ces gens, une puissance de vie, comme Jésus fut lui-même puissance de vie par sa proximité avec les petits, les pauvres, les malades, les rejetés… On a essayé de le faire taire, on l’a mis en croix, et il savait que ce serait le prix à payer pour manifester son amour… Pourtant, cette puissance de vie que les hommes pensaient pouvoir mettre à mort, même mise à mort, débouche sur la résurrection. Elle demeure toujours puissance de vie. Elle permet à Jésus de descendre dans l’enfer des Hommes jusque dans leur mort, et c’est de là qu’il les rend à la vie. Comme Jésus l’avait annoncé, le grain de blé, puissance de vie, ne porte du fruit que s’il est jeté en terre et meurt. Les moines de Tibhirine en étaient convaincus, comme en témoignent ces mots d’un frère de cette communauté, Frère Bruno : « Je remercie le Seigneur d’être ici… C’est simple, caché comme la graine enfouie dans le sol qui germera en son temps. Vie de foi et de grande espérance. Ici comme dans le monde entier, Dieu a jeté la semence de son Royaume, mais tout enfantement a ses douleurs ». Ainsi, à Jérusalem comme à Tibhirine, c’est bien le même Dieu qui se manifeste en Jésus comme puissance d’amour demeurant intacte, même si elle est refusée par les hommes. On ne peut l’enchaîner ni la détruire. Pourtant, cette puissance d’amour est sans puissance à la manière dont les hommes sont puissants, car c’est un amour « désarmé ». Et si la force des puissants de ce monde peut s’y opposer un moment, elle ne parvient en fait qu’à la mettre davantage en évidence et ne peut en rien l’altérer ou la dégrader. C’est aussi un amour désarmant car il va jusqu’à l’amour des ennemis et au pardon. Et à l’exemple de Jésus, de St Etienne, les Frères de Tibhirine ont pardonné d’avance à leurs agresseurs car leur vie était déjà offerte. Dans son testament spirituel, Christian de Chergé, supérieur de la communauté écrivait : « S’il m’arrivait un jour – et ce pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme… j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays » … Comment ne pas entendre Jésus disant à ses disciples : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ! »

            Nous avons l’habitude d’appeler Dieu « maître et Seigneur ». Dans le sillage des moines de Tibhirine, et à la lumière de la mort du Christ en croix, nous voici conduits à comprendre sa seigneurie à la lumière du service : il est Seigneur en étant manifesté comme serviteur. Sa manière de venir en aide, c’est de venir vivre avec l’Homme pour le soutenir et le ressusciter.

Nous avons l’habitude de parler de la toute-puissance de Dieu et nous voici conduits à comprendre cette toute puissance comme exprimée dans la faiblesse extérieure de l’amour, don total de sa vie, et dans une présence à la souffrance de l’autre, même s’il faut pour cela, payer le prix fort !

Nous considérons Dieu comme le Souverain Juge, et nous voilà conduits à comprendre sa justice à la lumière de sa miséricorde. Tout homme peut s’en remettre à lui en se confiant à son amour. Ainsi, Dieu n’est pas Seigneur et serviteur. Il n’est pas tout puissant avec des moments de faiblesse. Il n’est pas juge impitoyable tout en se laissant émouvoir de temps en temps. Il est serviteur, et c’est en étant serviteur qu’il est Seigneur. Il respecte chaque Homme et manifeste pour chaque Homme son amour, et c’est là que réside sa toute-puissance.

            Puisse cette semaine Sainte ouvrir nos cœurs et nos intelligences pour nous aider à mieux comprendre qui est ce Dieu que le Christ et ses martyrs ont servi jusqu’au bout.

   Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU