CONFINEMENT 

Mgr CottanceauFrançois CASSINGENA-TREVEDY est moine de l’abbaye de Ligugé, en métropole, spécialiste de liturgie, grand connaisseur des Pères de l’Église, mais aussi artiste et poète. Voici quelques éléments de sa réflexion sur la situation de confinement. Ils peuvent être pour nous occasion d’enrichissement et une aide pour y voir plus clair et pouvoir ainsi affronter ce confinement qui nous concerne depuis quelques jours.

A la question : « Comment pouvons-nous consentir à ce confinement « subi », voici ce qu’il répond :

« Nous n’avons pas le choix ! Il s’agit d’une nécessité absolue, d’un strict devoir civique et humanitaire, afin de ne pas augmenter les risques de manière inconsidérée. Mais nous ne sommes pas tous à égalité devant cette situation, car, pour certains, le confinement peut revêtir un aspect beaucoup plus pénible : je pense particulièrement à tous ceux qui vivent à plusieurs, en ville, dans des surfaces réduites ». Il poursuit en citant le philosophe Blaise PASCAL : « Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent, il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir… Quand je m’y suis mis, quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s’exposent (…), j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre », (Les Pensées 201, 205 - La Pléiade, 1936).

Pourtant, François Cassingena-Trévedy ne se laisse pas aller au pessimisme. Il ouvre des perspectives que nous pouvons tous prendre à notre compte : « Dans des circonstances exceptionnelles, l’homme est capable, un peu comme un animal ou une plante, de développer des capacités d’adaptation qu’il ne se connaissait pas. C’est ainsi que certains vont se découvrir une endurance qu’ils ne soupçonnaient pas, une vie intérieure, une appétence culturelle, redécouvrir des régions inédites des autres et d’eux-mêmes. Les contraintes actuelles ne sont pas une fatalité, mais une invitation à devenir inventifs, un matériau à travailler… À l’intérieur de ces règles quasi carcérales, nous pouvons développer un espace de liberté intérieure, de poésie, d’émerveillement… « Le ciel est, par-dessus le toit / Si bleu, si calme ! », écrit Verlaine depuis sa prison. Il va nous falloir trouver le ciel par-dessus les toits, en nous, en autrui, entre nous. Hors de question de céder au catastrophisme, à la magie, de se leurrer avec des recettes miracles… : les ressources viendront de notre propre fond. Aux heures dramatiques de l’histoire, l’homme révèle, à côté de ses misères, ce qu’il a de plus beau, de plus inattendu. Nous sommes renvoyés à notre dignité humaine, à notre seule hauteur d’hommes. Pas facile… Le fait de pouvoir nous regarder, nous parler, nous sourire avec indulgence et humour, reste le meilleur remède. Dans des familles où le dialogue n’existait pas d’habitude, une occasion est donnée de retrouver cette évidence que la parole guérit ».

Reste que si la parole guérit, elle peut aussi parfois blesser ou tuer, surtout en huis-clos ! Voici sa réponse :

« En huis-clos, peut apparaître le risque du vide, du désespoir, de la solitude, de la nervosité exacerbée. Il est indispensable que nous puissions verbaliser, nous avouer les uns aux autres notre angoisse, que nous remplacions les paroles creuses par des paroles vitales, que nous retrouvions entre nous le goût d’une affection pleine de gravité. Il est urgent que nous trouvions, au-dedans ou au dehors, des lieux, des liens de parole tonique et profonde : le téléphone et le mail peuvent être d’excellents instruments pour ce grand emploi du temps de réconfort mutuel qui s’ouvre devant nous. Nous faire mutuellement signe de vie et de tendresse : voilà un beau métier en ces temps de retrait forcé ! Rien n’atteste mieux notre dignité humaine que le souci que nous avons les uns des autres : le confinement peut et doit décupler et affiner notre capacité relationnelle, car c’est la relation même qui nous fait hommes »

Enfin, évoquant les conséquences individuelles et collectives à venir de cette expérience de confinement général, voici sa réflexion :

« Elles (les conséquences) seront énormes. Nous vivons un basculement de civilisation. Nous allons devoir réviser nos priorités, dans le domaine de la santé, de l’écologie, de l’économie, de la culture, du religieux même… Ce qui nous arrive n’est pas un châtiment divin, mais un avertissement historique. Économiquement et humainement, cette crise sanitaire est un révélateur et un accélérateur. En l’espace de 15 jours, le paysage mondial s’est modifié de manière impressionnante. Nous espérons ressortir de tout cela plus humains, car nous sommes bel et bien dans l’urgence de retrouver l’essentiel. Envahis par la peur de la mort, nous prenons conscience de notre immense fragilité, alors que nous nous pensions surhumains, peut-être même déjà transhumains… »

                                                                                              + Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU