QUI EST DIEU ?

Mgr CottanceauEn ces jours où nous entrons dans la semaine sainte qui nous donne la grâce de célébrer la mort et la résurrection du Christ Jésus, il est bon de nous demander quelle image de Dieu habite notre cœur et notre foi. Qui donc est ce Dieu qui laisse mourir cet homme Jésus qui pourtant le revendiquait comme son « Père » d’une façon toute particulière ? Qui donc est ce Dieu qui laisse mourir, avec cet homme Jésus, l’espérance d’une libération annoncée par tous ses gestes, ses miracles et ses paroles ? On devine la formidable espérance que Jésus avait soulevée au début de son ministère, dans sa première prédication dans la synagogue de Nazareth (Lc 4, 16) Même si ce jour-là, il se fait « jeter hors de la ville » parce qu’on connaît trop bien ici le « fils de Joseph », nous pouvons aisément comprendre que les disciples qui ont cru en lui aient en vue de leur espérance non la croix mais le succès, le triomphe, le nouveau Royaume et, autant que possible, les « meilleures places » ! Espoir humain, et espoir pour le peuple ! Ils attendaient un Dieu qui « fait des merveilles pour son peuple », le Dieu de la sortie d’Egypte, le Dieu du retour de l’exil… Et quand ils ont vu Jésus réaliser ce qu’il avait dit, rendre la vue aux aveugles, et la liberté aux démoniaques, comment ne lui auraient-ils pas fait confiance ? - « Nous espérions, nous, que c’était lui qui allait délivrer Israël… » (Lc 24, 21) Même si l’idée d’un Serviteur souffrant qui sauverait les multitudes par le don de sa propre vie n’était pas absente des Ecritures, ils étaient bien loin de penser que Jésus connaîtrait l’échec de sa prédication et de son action. Ainsi, les disciples ont dû repenser toutes leurs conceptions de la gloire de Dieu et de sa puissance, et reprendre à zéro leur type d’espérance. Ils ont dû renoncer à ce qu’ils croyaient de plus garanti, à savoir que Dieu sauverait son peuple « à main forte et à bras étendu », comme un combattant rempli de gloire. Dieu en effet, ne se révélait pas comme leur Dieu et sauveur en leur assurant qu’ils ne connaîtraient pas l’échec de leurs espoirs pourtant les plus légitimes, ni en leur épargnant souffrance et mort. Puisqu’il n’était pas intervenu quand Jésus mourrait en croix, il n’interviendrait pas non plus pour eux de cette façon-là ! Ils pouvaient faire un trait sur leur idée d’un Dieu triomphant et changeant le cours des événements, car cette idée meurt quand Jésus meurt, puisque Dieu se tait et ne fait rien !

Cette histoire nous concerne… Et elle demeure pour nous parfaitement insupportable. Car nous trouvons toujours aussi scandaleux que Dieu n’intervienne pas pour appuyer de justes causes et pour interdire la souffrance et la mort !  La seule excuse de Dieu pourrait être qu’il n’existe pas ! Mais comment peut-on affirmer son existence, croire en lui, l’appeler « Dieu Amour » s’il laisse mourir ceux qu’il aime ? Comment peut-il être appelé « Dieu sauveur » s’il ne sauve pas ou ne sauve qu’après coup ? Trop tard ?  Et même si nous gardons l’espérance en la résurrection, cela ne supprime pas le scandale de la croix, cela n’efface pas l’abandon, le silence, l’apparente absence. Comment Dieu peut-il permettre cela ? Qui donc est le Dieu de Jésus ? Qui donc est notre Dieu ? N’y aurait-il pas une autre idée de Dieu à chercher, non pas après la croix de Jésus, mais dans la croix même de Jésus ? Un Dieu qui manifesterait sa puissance et sa gloire dans la croix du Fils ?

            Pour nous, les hommes, la puissance est contradictoire avec la faiblesse, et si Dieu est tout puissant, il ne peut pas être faible. Si Dieu est Dieu, il est tout, il ne manque de rien. Il possède tout. Mais cette conception de la puissance ne résiste pas à la lumière de la passion et de la mort de Jésus. Ainsi, nous devons admettre que cette idée de la puissance de Dieu ne fait qu’illustrer la façon dont nous concevons force et puissance ! Et lorsque nous arrivons à la passion, force est de constater que l’image du crucifié ne cadre pas avec l’image du « grand patron superpuissant » que nous nous faisons de Dieu ! Alors, si nous voulons reconnaître le Dieu de Jésus Christ, nous devons nous poser cette question : être homme, est-ce dominer, être puissant, se garder ? Ou bien s’engager envers d’autres que soi, au risque de se perdre, de donner sa vie par amour pour les autres ? C’est à ce prix que nous aurons la possibilité de reconnaître Dieu dans la croix de Jésus…                                        

+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU