DE LA MORT

Mgr Cottanceau             Alors que nos cimetières sont encore fleuris et que restent au fond de nos yeux, parfois embués de larmes, les visages de ceux et celles que nous avons aimés et qui nous ont quittés, demeure peut-être au plus profond de nous cette question obsédante de la mort, cette réalité que nous ne pouvons pas accepter, tant elle s’oppose à notre soif de vie et de bonheur. Oui, la mort scandalise, surtout quand, de façon qui nous semble injuste, elle frappe des jeunes, ou quand elle laisse des enfants sans mère ou sans père, ou des parents séparés de leur enfant, suite à la maladie, au suicide, à l’accident tragique !

            La foi Chrétienne ne supprime pas ce scandale, ni la peur de la mort. Il serait inhumain de rester indifférent à la mort en niant la souffrance qu’elle engendre, même pour un croyant. Le chemin de la résurrection passe par la croix, ne l’oublions pas. Souvenons-nous que Jésus lui-même a eu peur de la mort, à Gethsémani : « Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! ». Il nous rejoignait ainsi dans ce qu’il y a de plus douloureux dans notre humanité. Il n’a pas fait semblant d’être homme !

            Peut-on cependant trouver dans les Ecritures de quoi nous aider à faire face à ce qui nous apparait comme un scandale ? Tournons-nous vers les premiers chapitres du livre de la Genèse. L’auteur sacré nous dit que l’Homme fut écarté de l’arbre de vie, se découvrant ainsi mortel. Mais en fait, ce n’est pas la mort elle-même qui fait son apparition. C’est la façon de la vivre. Le poète Charles Péguy écrit : « Ce qui, depuis ce jour (où l’Homme fut chassé du paradis) est devenu la mort n’était qu’un naturel et tranquille départ » ; et le penseur Paul Ricœur dit que : « La malédiction, ce n’est pas que l’Homme meure mais qu’il affronte la mort dans l’angoisse ». Soyons clairs : la mort physique ne saurait en aucun cas être en elle-même une punition divine. Notre Dieu est Dieu des vivants, il nous a créés pour la vie. La mort corporelle est une loi de la nature. En effet, les animaux meurent, les plantes, les fleurs, les arbres, les étoiles, les planètes meurent, et pourtant ils ne font pas de péchés, ils ne se révoltent pas contre Dieu ! Mais l’Homme a voulu se faire l’égal de Dieu, prendre sa place, le supprimer, se coupant ainsi de la source de vie, tant il est vrai que la source de la vie est en Dieu. La mort corporelle devient alors symbole, image d’une autre mort plus redoutable, celle qui nous éloigne de Dieu, celle qui nous conduit à vouloir nous prendre pour Dieu, à prendre sa place. Jésus est clair à ce sujet : « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps et après cela ne peuvent rien faire de plus. Je vais vous montrer qui vous devez craindre : craignez Celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la Géhenne… » (Lc 12, 4-5)

Pourtant, face à cette situation, Dieu n’a pas abandonné l’humanité à sa convoitise, à son orgueil. Par la puissance de son amour, Jésus Christ a vaincu la mort au matin de Pâques. Il nous a ainsi rétablis dans l’amitié de Dieu, et sa vie peut à nouveau irriguer nos propres vies, par la grâce de sa miséricorde et de son pardon. Malgré notre faiblesse humaine, malgré la mort de notre corps, nous pouvons accueillir cette vie divine et cet amour dont « ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur ni aucune autre créature » (Rm 8, 38) ne pourront nous séparer. Pour le croyant, la mort corporelle devient un passage qui ouvre à la vie éternelle, à un monde nouveau, aux retrouvailles avec ceux et celles qu’il a aimés sur cette terre. Un passage douloureux, certes, mais n’est-il pas vrai que le bébé qui sort du sein maternel à sa naissance pousse cris et pleurs lorsqu’il accède à la réalité de ce qui est pour lui un monde nouveau ?

+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU