Pko 26.04.2020

Eglise cath papeete 1

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°19/2020

Dimanche 26 avril 2020 – 3ème Dimanche de Pâques – Année A

Humeurs…

Des vérités aménagées !!!

Lâchetés et mensonges… c’est ce que nous inspire la façon dont ont été expulsés les sans-abris de la RDO !

Les faits

Ce n’est pas lundi à 6h qu’a commencé le démantèlement des squats des sans-abris autour de la RDO… mais selon un programme bien planifié !

Acte 1 : Les prémices dès lundi… la partie du campement sur le plateau supérieur est démonté par les services de l’équipement… à la vue des passants et automobilistes, bien moindre en ce temps de confinement, il s’agit d’une apparence d’opération d’élagage !… 8 personnes (5 adultes et 3 enfants) ;

Acte 2 : Mercredi - 5h du matin… le couvre-feu à peine terminé, le service de l’équipement et les forces de l’ordre municipale, de gare sur le terrain de l’ancien village des artisans. L’objectif est de délogés les personnes qui sont sur ce terrain… 6 personnes ;

Acte 3 : Mercredi - 6h-8h du matin… expulsion et destruction des campement installés sur la bretelle de la RDO aussi bien « côté montagne » que « côté mer » !… 4 personnes côté mer… + ou - 7 personnes côté montagne ;

Acte 4 : Mercredi – 18h… les 6 personnes à côté de la piscine sont là sur le bord de la route… attendant la nuit pour retourner sur le terrain… Les 4 personnes côté mer errent comme des âmes en peine près de ce qui reste de leur « village tahitien »… Une partie des autres sont sous le petits abris à côté du Skate Park…

Acte 5 : Jeudi – 18h… Les 4 personnes côté mer ne sont plus là… les 6 personnes à côté de la piscine sont là sur le bord de la route… attendant la nuit pour retourner sur le terrain… Les vigiles de la Présidence sont passés… les personnes leur ont présenté l’attestation de dérogation signée par Père Christophe… reconnue par les autorités de l’État… « Père Christophe, il n’est rien !… ça ne vaut rien »

Acte 5 : Vendredi – 6h… les 6 personnes sont invités à aller au ministère pour un CAES comme gardien du terrain dont ils viennent d’être expulsé !

Des mensonges… non… des vérités aménagées !

Les différentes interventions des uns et des autres laissent perplexe ! Le jour de l’expulsion on affirme : « Ils sont relogés… ils ont déjà un logement… on a trouvé des solutions de relogement… » Le lendemain : « Nos équipes sont sur le terrain en recensement, ils pourront être logés… »

Ce qui n’était surtout pas prévu… c’était que la presse soit sur place au moment de l’intervention à 6h du matin… l’expulsion devait se faire en catimini comme pour les 6 personnes expulsées à 5h du matin le couvre-feu à peine levé… et la nuit encore là… dont la presse ne parle pas… puisqu’elle n’en fut pas témoin !

Voici quelques paroles glanées dans les médias avant et après l’expulsion :

22 avril

« Toutes ces familles sont suivies par les affaires sociales. L'une d'elle a un logement dans une résidence a? Pamatai, mais qui est dans un piteux état. On va les aider pour retaper et en attendant ils sont relogés a? Tipaerui,… On sait aussi qu'une des familles a un logement a? Tipaerui mais ils ont préféré? s'installer sur le littoral. On a profité? de ce qui s'est passe? ce matin pour les accompagner tranquillement chez eux » Mr Jean-Christophe BOUISSOU (Tahiti-infos)

« Un lieu de villégiature pour pêcher le week-end » Mr Jean-Christophe BOUISSOU (Radio 1)

« Sur le bord de mer, au virage, on a négocié? ce matin avec les occupants. Ils ont déjà? un logement. Ici, ça leur sert de lieu de pêche. On va stocker leurs affaires pour qu’ils puissent aller a? la pêche. Ça s’est très bien passe?. Comme on a trouvé? des solutions de relogement, ils ont accepté? de partir. » Mr Raymond CHIN FOO (TNTV)

23 avril

« Nos équipes sont sur le terrain en recensement, ils pourront être loge?s dans le parc de l’OPH entre Pirae et Punaauia. (...) » Mr Moana BLANCHARD (TNTV)

Que dire ?

Je pourrai polémiquer longtemps… et vous avez que j’aime cela, mais tout ceci me laisse un sentiment amer, sentiment d’échec… après 220 ans d’évangélisation… après 25 ans de lutte en faveur des exclus de la société de consommation polynésienne : Qu’en est-il du respect de la dignité de tout homme ?

Je reprendrai simplement à l’intention de nos gouvernants si prompts à faire référence à Dieu, la phrase du Cardinal Henry Newman, cité par Dominique SOUPÉ – Laissez-moi vous dire :

« Penser que les plus faibles d’entre nous peuvent, par la grâce de Dieu, devenir forts. Nous méfier de nous-mêmes et ne pas mépriser des frères qui se montreraient faibles, ni désespérer d’eux, mais plutôt d’avoir à porter leurs fardeaux et de les aider à avancer. » [John Henry Newman, Sermons paroissiaux t.2, Paris, Cerf 1993, pp. 156-157]

La roue qui tourne… même confinée…

Attestation simplifiée

« On est handicapé. Alors on doit prouver que l‘on est capable comme tout le monde. »

Cette phrase est celle que mon grand-père, unijambiste et grand personnage, aimait me répéter. Cette phrase sonnait comme un sermon dans mon oreille d’enfant mais, avec le temps, elle est devenue mon leitmotiv, bien secondée par l’éducation de ma mère.

Cependant, elle s’est transformée l’autre jour en un poignard, se révélant être un but chimérique… une mission impossible.

Que s’est-il passé ? Toute cette histoire commence avec un ami qui, voyant le confinement me peser, me parle d’une dérogation spéciale du Haut-commissariat pour les personnes handicapées. Il était tout fier de m’en parler et m’encourage vivement de rechercher le dit formulaire.

Lorsqu’il s’agit de sortir, je ne me fais pas prier et m’exécute immédiatement. Et je découvre cette attestation SIM-PLI-FIÉE !

Certes, la feuille est aérée, permettant une lecture facile, et allégée en références réglementaire. Certes, je connais la difficulté de rédiger un formulaire pour un public autant spécifique qu’hétérogène. Mais à qui devait s’adresser ce formulaire ? Ou, pour être plus précise, quelle conception de l’handicap avait l’auteur ? À qui pensait-il devoir s’adresser avec cette version « simplifiée » ?

En parcourant les phrases simplettes et les dessins pour s’assurer de la bonne compréhension de l’handicapé, je me suis sentie blessée dans ma dignité de personne différente, je me suis sentie humiliée encore une fois par de stupides préjugés et j’ai ressenti un profond découragement. Je voulais crier à mon grand-père que, quoique que l’on fasse, quelles qu’elles soient nos victoires, nos réussites, on restera des incapables aux yeux du monde.

Je me suis revue étudiant jusqu’à des heures pas possibles pour passer le DNB et le BAC comme tout le monde. Je me suis revue suivant une formation de journalisme pour avoir des qualifications comme tout le monde… tant de d’efforts et de sacrifices pour, au final, me retrouver devant un formulaire niveau SG – école maternelle.

Oh ! Je sais que certains de mes frères et sœurs handicapés n’ont pas eu la même chance… faut-il pour autant baisser ainsi le niveau ? Faut-il pour autant nous enlever la seule chose à laquelle nous pouvons tous prétendre : LE RESPECT DÛ A UNE PERSONNE ?

Surtout que l’auteur de ce formulaire aurait dû comprendre que les dessins ne seront que décoratifs… car, lorsque l’on ne sait pas lire, on ne saura pas écrire son nom, sa date de naissance et surtout son adresse. Il serait bon d’informer l’auteur que ces personnes-là sont souvent sous tutelle ou curatelle… avec les références réglementaires… et peut-être des petits dessins pour une meilleure compréhension ! Vous en dites quoi ?

Trêve de plaisanterie, si l’une des plus hautes autorités de notre pays a une telle vision du handicap, que peut-on, nous personnes handicapées, espérer de l’avenir ?

Que devons-nous devant un destin scellé d’avance à être les simplets et les simplettes d’une République qui prône pourtant LIBERTÉ – ÉGALITÉ – FRATERNITÉ ?

Il n’y a rien de tout cela dans le formulaire dédié aux personnes handicapées… vive la République !

La chaise confinée

© Cathédrale de Papeete – 2020

Laissez-moi vous dire…

Samedi 25 avril : Fête de Saint Marc
Faire preuve de « résilience »

Le 25 mars dernier le Président de la République a lancé « l’opération résilience ». Voici comment le Ministère des Armées définit ce nouveau dispositif : « ‘’l’opération Résilience’’ (…) est centrée sur l’aide et le soutien aux populations ainsi que sur l’appui aux services publics pour faire face à cette épidémie, en métropole et outre-mer, dans les domaines de la santé, de la logistique et de la protection. » [Source : Ministère des Armées]

Initialement le terme résilience est utilisé en mécanique, il caractérise l'énergie absorbée par un matériau lorsqu’on lui fait subir une déformation. Il s’agit de la résistance au choc et à la déformation.

À Hawaï, vers 1954, deux psychologues scolaires américaines ont observé un groupe d’enfants à risque psychopathologique, affectés par un traumatisme et condamnés à présenter des troubles. Après un suivi effectué pendant trente ans, elles notent qu'un certain nombre d'entre eux « s'en sortent » et « se sont reconstruit socialement » grâce à des qualités individuelles ou des opportunités de l’environnement.

En 1990 le psychanalyste Boris Cyrulnik a médiatisé le concept de résilience. Il le définit ainsi : « c’est un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l'événement traumatique de manière à ne pas, ou plus, vivre dans le malheur et à se reconstruire d'une façon socialement acceptable. » Le symbole de résilience le plus fréquemment cité est l’arbre dont on a coupé la cime et qui continue à vivre en déployant de nouvelles branches.

La semaine passée nous avons été témoins de trois tristes phénomènes qui ont obligé certaines personnes à faire preuve de « résilience ».

Tout d’abord, dans la banlieue parisienne, des jeunes excédés par certains comportements policiers ont mis le feu à des poubelles… évidemment cela a dégénéré en affrontements. Effets traumatisants d’un confinement devenu insupportable ? Peut-être…

Dimanche dernier au matin, un voisin « plein de bienveillance » entend résonner l’orgue dans l’église toute proche. Il appelle la police : « venez vite à l’église Saint-André-de-l’Europe, ils célèbrent une messe et ne respectent pas le confinement ». Trois policiers armés débarquent dans l’église en pleine homélie et obligent le prêtre à suspendre la célébration de la messe ! Mgr Aupetit, évêque de Paris, faisant preuve de résilience, n’a pas tardé à réagir et à rappeler aux autorités les lois de laïcité de 1905 et 1907 : « La police ne peut intervenir dans un sanctuaire qu’à la demande expresse du curé, à une exception près : si l’ordre public est menacé ; ce peut être un grave problème de sécurité, de tranquillité ou de salubrité. » [Rappel précisé dans un arrêt du Conseil d’État de 1993].

Troisième fait, cette fois à Papeete : expulsion de squatters en bordure de route près de la piscine. Les services des T.P. y sont allés au bulldozer ! Cela fait des années que tout le monde voit ces « châteaux » … Tout-à-coup, un chef de service ou un bureau d’étude (?) décide de faire place nette… en plein confinement, et sans solution de relogement ! Les « délogés » ont fait preuve de « résilience » en appelant au secours des « porte-voix », en l’occurrence des interlocuteurs ne craignant pas d’affronter les autorités…

Le Président invitait tous les Français à « retrouver » la « résilience » qui peut nous permettre « de faire face aux crises à venir ». Cela a été compris comme un appel à « rebondir face aux turbulences », à « naviguer à travers les défis du quotidien avec joie et succès ».

La fête de Saint Marc, célébrée hier samedi, nous donne l’occasion d’examiner comment cet Apôtre du Christ a fait preuve de résilience suite au traumatisme que l’arrestation de Jésus a provoqué en lui.

Souvenons-nous, au jardin de Gethsémani : « Les disciples abandonnèrent Jésus et s’enfuirent tous. Or, un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu. » (Marc 14,50-52) Ce “jeune homme”, c’était Marc, tellement traumatisé ! À ce moment-là, plus question de proclamer l’Évangile… Il devait sauver sa peau…

Nous savons comment Marc s’est racheté et a fait preuve de résilience puisqu’après la Pentecôte, influencé par saint Pierre, il a fondé et gouverné avec rigueur l’Église d’Alexandrie.

L’enseignement qu’il faut en déduire nous est donné par Saint Henry Newman : « Penser que les plus faibles d’entre nous peuvent, par la grâce de Dieu, devenir forts. Nous méfier de nous-mêmes et ne pas mépriser des frères qui se montreraient faibles, ni désespérer d’eux, mais plutôt d’avoir à porter leurs fardeaux et de les aider à avancer. » [John Henry Newman, Sermons paroissiaux t.2, Paris, Cerf 1993, pp. 156-157]

Dominique SOUPÉ

© Cathédrale de Papeete – 2020

Regard sur l’actualité…

Sauver des vies ?

L’irruption de la pandémie qui vient depuis plusieurs semaines bouleverser nos vies, nos habitudes, qui décime tant de familles de par le monde, suscite également, il faut bien le dire, de nombreuses réflexions et remises en cause de nos priorités, de nos convictions, de nos modèles de société, et peut-être également de notre foi. Mgr Rougé, évêque de Nanterre nous propose quelques éléments pouvant nous aider à réfléchir sur ce que nous vivons, sur les enjeux qui sous-tendent nos fonctionnements face à cette crise sans précédent pour nos générations actuelles.

Mgr Rougé commence par un constat positif en soulignant « l’esprit de solidarité et de responsabilité de l’ensemble de nos concitoyens, à quelques restrictions près » et « l’engagement courageux, innovant et désintéressé du personnel soignant ». Mais il constate également un fait : ce que nous vivons révèle aussi l’état de notre société : « La crise que nous traversons constitue un révélateur salutaire pour notre société. On y voit surgir des grandeurs d’âme inattendues et des mesquineries décevantes. On y découvre surtout l’ambivalence de notre rapport à la vie : nous sommes prêts à tout pour préserver des vies qu’en un sens nous ne respectons pas pleinement. Est-on sûr que ceux qui prescrivent aujourd’hui un confinement absolu des personnes âgées ne légifèreront pas demain en faveur de l’euthanasie des séniors ? »

Poursuivant sa réflexion, il s’interroge sur la situation de « super-confinement » des personnes âgées dans les EPHAD, des hommes et des femmes « bunkerisés », au point d’être privés de tout contact familial, amical, spirituel, à l’heure du grand passage en particulier. Il précise : « Quand une personne très âgée, “rassasiée de jours” comme dit de manière suggestive le Livre de Job, parvient au terme de son parcours terrestre, c’est profondément émouvant mais ce n’est pas dramatique. Ce qui est dramatique en revanche, c’est que des enfants ne puissent pas une dernière fois tenir la main de leurs parents, contempler leur visage, échanger dans un murmure ou un souffle d’ultimes paroles d’affection, de reconnaissance ou de pardon. Un prêtre de mon diocèse, bouleversé après des obsèques récentes, me confiait : “Cette dame de quatre-vingt-dix-neuf ans n’est pas morte physiologiquement du covid mais elle s’est laissé mourir du chagrin d’être ainsi confinée”. Ces autres victimes du covid, personne n’en parle… On ne sauve pas des vies en les privant de ce qu’elles ont d’essentiel : les relations qui les fondent. ».

Pourtant, souligne Mgr Rougé, ce sont ces mêmes hommes et femmes âgés qui tirent la sonnette d’alarme : « Il est saisissant que, du plus profond de leur sur-confinement forcé, ce soient en définitive les personnes âgées qui, en ce temps, fassent retentir pour toute la société le cri de la dignité humaine blessée… La bronca des séniors, au lendemain de l’annonce d’un confinement prolongé pour eux seuls jusqu’au 15 juillet, a résonné comme un cri de santé… Ainsi donc les personnes âgées sont-elles sorties par effraction de leur “ehpadisation” forcée pour nous rappeler ce qui est essentiel dans l’expérience humaine et que l’épidémie nous aide à redécouvrir : la qualité et la profondeur des relations humaines, l’attention prioritaire aux plus fragiles, la place emblématique de la liberté religieuse… Sauver des vies, quel programme magnifique ! À condition de ne pas confiner l’humain dans le physiologique aseptisé !... L’Exécutif ne s’y est pas trompé, qui est aussitôt revenu sur le caractère abusif et discriminatoire de ses premières annonces ».

Nous pourrions prendre ces réflexions de Mgr Rougé comme un appel à la vigilance, pendant et après confinement, dans la manière dont nous sommes reliés à ceux que nous croisons sur nos routes jour après jour. Dans nos familles, nos quartiers, nos lieux de travail, nos écoles, nos communautés chrétiennes, quelle attention portons-nous à notre prochain ? Où en est la qualité de nos relations humaines ? Sommes-nous convaincus qu’un sourire, un moment d’attention, d’écoute, une parole aimable, une main tendue, une visite sont aussi nécessaires pour « sauver une vie » qu’une injection ou un médicament ?

+ Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete – 2020

Audience générale

Reconstruire une relation harmonieuse avec la Création

Lors de l’audience générale de ce mercredi 22 avril 2020, depuis la bibliothèque du Palais apostolique, le Pape François a évoqué la 50e Journée Mondiale de la Terre. Situant sa réflexion dans la lignée de "Laudato Si’", il l’a présentée comme une « opportunité pour renouveler notre engagement à aimer notre maison commune et à en prendre soin ».

Chers frères et sœurs, bonjour !

Aujourd’hui, nous célébrons la 50ème Journée mondiale de la Terre. C’est une occasion pour renouveler notre engagement à aimer notre maison commune et à en prendre soin, ainsi que des membres plus faibles de notre famille. Comme nous le démontre la tragique pandémie du coronavirus, c’est seulement ensemble et en prenant en charge les plus fragiles que nous pouvons vaincre les défis mondiaux. La Lettre encyclique Laudato si’ a précisément ce sous-titre : « sur la sauvegarde de la maison commune ». Aujourd’hui, nous allons réfléchir un peu ensemble sur cette responsabilité qui caractérise « notre passage sur cette terre » (LS, 160). Nous devons grandir dans la conscience de la sauvegarde de notre maison commune.

Nous sommes faits de matière terrestre et les fruits de la terre soutiennent notre vie. Mais, comme nous le rappelle le livre de la Genèse, nous ne sommes pas simplement « terrestres » : nous portons aussi en nous le souffle vital qui vient de Dieu (cf. Gn 2,4-7). Nous vivons par conséquent dans la maison commune comme une unique famille humaine et dans la biodiversité avec les autres créatures de Dieu. Comme imago Dei, image de Dieu, nous sommes appelés à prendre soin de toutes les créatures et à les respecter, et à nourrir amour et compassion envers nos frères et sœurs, spécialement les plus faibles, en imitant l’amour de Dieu pour nous, manifesté dans son Fils Jésus, qui s’est fait homme pour partager avec nous cette situation et nous sauver.

Par égoïsme, nous avons manqué à notre responsabilité de gardiens et d’administrateurs de la terre. « Il suffit de regarder la réalité avec sincérité pour voir qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune » (ibid., 61). Nous l’avons polluée, nous l’avons pillée, mettant en danger notre propre vie. Pour cette raison, divers mouvements internationaux et locaux se sont formés afin de réveiller les consciences. J’apprécie sincèrement ces initiatives et il sera encore nécessaire que nos enfants descendent dans la rue pour nous enseigner ce qui est évident, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’avenir pour nous si nous détruisons l’environnement qui nous soutient.

Nous avons échoué à protéger la terre, notre maison-jardin, et à protéger nos frères. Nous avons péché contre la terre, contre notre prochain et, en définitive, contre le Créateur, le Père bon qui pourvoit pour chacun et veut que nous vivions ensemble en communion et dans la prospérité. Et comment la terre réagit-elle ? Il y a un dicton espagnol qui est très clair sur ce point et qui dit ceci : « Dieu pardonne toujours ; nous, les hommes, nous pardonnons, parfois oui, parfois non ; la terre ne pardonne jamais ». La terre ne pardonne pas : si nous avons détérioré la terre, la réponse sera terrible.

Comment pouvons-nous retrouver un rapport harmonieux avec la terre et avec le reste de l’humanité ? Un rapport harmonieux… Bien souvent nous perdons la vision de l’harmonie : l’harmonie est l’œuvre de l’Esprit Saint. Avec notre maison commune aussi, avec la terre, et dans notre rapport avec les gens, avec notre prochain, avec les plus pauvres, comment pouvons-nous retrouver cette harmonie ? Nous avons besoin de regarder notre maison commune d’une façon nouvelle. Comprenons-nous : ce n’est pas un dépôt de ressources à exploiter. Pour nous, croyants, le monde naturel est l’« Évangile de la Création », qui exprime la puissance créatrice de Dieu qui façonne la vie humaine et fait exister le monde avec ce qu’il contient pour soutenir l’humanité. Le récit biblique de la création se conclut ainsi : « Dieu vit ce qu’il avait fait, et c’était très bon » (Gn 1,31). Quand nous voyons ces tragédies naturelles qui sont la réponse de la terre à nos mauvais traitements, je me dis : « Si je demande maintenant au Seigneur ce qu’il en pense, je ne crois pas qu’il me dira que c’est une très bonne chose ». C’est nous qui avons ruiné l’œuvre du Seigneur !

En célébrant aujourd’hui la Journée mondiale de la Terre, nous sommes appelés à retrouver le sens du respect sacré pour la terre, parce que ce n’est pas seulement notre maison, mais aussi la maison de Dieu. C’est de cela que grandit en nous la conscience que nous sommes sur une terre sacrée !

Chers frères et sœurs, « réveillons le sens esthétique et contemplatif que Dieu a mis en nous » (Exh. ap. postsyn. Querida Amazonia, 56). La prophétie de la contemplation est quelque chose que nous apprenons surtout des peuples autochtones, qui nous enseignent que nous ne pouvons pas prendre soin de la terre si nous ne l’aimons pas et ne la respectons pas. Ils ont, eux, cette sagesse du « bien vivre », non pas dans le sens d’avoir une vie facile, non : mais de vivre en harmonie avec la terre. Ils appellent cette harmonie « le bien vivre ».

En même temps, nous avons besoin d’une conversion écologique qui s’exprime en actions concrètes. En tant que famille unique et interdépendante, nous avons besoin d’un plan commun pour conjurer les menaces contre notre maison commune. « L’interdépendance nous oblige à penser à un seul monde, à un projet commun » (LS, 164). Nous sommes conscients de l’importance de collaborer en tant que communauté internationale pour la protection de notre maison commune. J’exhorte ceux qui ont l’autorité à guider le processus qui conduira à deux Conférences internationales importantes : la COP 15 sur la Biodiversité à Kunming (Chine) et la COP 26 sur les Changements climatiques à Glasgow (Royaume Uni). Ces deux rencontres sont extrêmement importantes.

Je voudrais encourager à organiser des interventions concertées notamment au niveau national et local. Il est bon de se rassembler, toutes conditions sociales confondues, et de donner vie à un mouvement populaire « à partir d’en bas ». La Journée mondiale de la Terre, que nous célébrons aujourd’hui, est née précisément comme cela. Chacun de nous peut apporter sa petite contribution : « Il ne faut pas penser que ces efforts ne changeront pas le monde. Ces actions diffusent un bien dans la société, qui produit toujours du fruit au-delà de ce que l’on peut constater, parce qu’elles provoquent, au sein de cette terre, un bien qui tend toujours à se diffuser, parfois de manière invisible » (LS, 212).

En ce temps pascal de renouveau, engageons-nous à aimer et à apprécier le magnifique don de la terre, notre maison commune, et à prendre soin de tous les membres de la famille humaine. Comme frères et sœurs, supplions ensemble notre Père des cieux : « Envoie ton Esprit et renouvelle la face de la terre » (cf. Ps 104,30).

© Libreria Editice Vaticana - 2020

Covid-19 – Spiritualité

Nous ne savons plus ni croire, ni douter

En ces temps de pandémie, Camille Riquier, professeur à l’Institut catholique de Paris, analyse la désorientation de notre époque dans son rapport à la foi et au savoir. Camille Riquier est maître de conférences à l'Institut catholique de Paris, auteur du livre « Philosophie de Péguy, ou les mémoires d'un imbécile », publié aux Editions Puf.

La Croix : Dans quel « état spirituel » nous saisit la crise du coronavirus que nous traversons ?

Camille Riquier : Elle nous surprend dans un état de grand désarroi et de désorientation générale quant à la foi, mais aussi quant au savoir et au doute. Nous sommes dans une période de foi faible et de doute faible, qui a des similitudes avec le XVIe siècle français, celui de Montaigne. Les générations qui nous ont précédées avaient encore connu une foi forte et un doute fort, qui était celui de l’athéisme convaincu. Aujourd’hui, nous ne savons plus ni croire, ni douter…

La Croix : Cette crise sanitaire nous rappelle que nous respirons le même air. Est-ce aussi vrai d’un point de vue spirituel ?

Camille Riquier : Oui. En temps ordinaire, nous avons l’impression que la ligne de partage passe entre croyants et incroyants. En fait, j’ai la conviction que croyants et incroyants se ressemblent beaucoup plus qu’ils ne le pensent. Nous partageons une même respiration de l’air du temps, une même ambiance où la foi, au sens large, nous est interdite. L’agnosticisme dans lequel nous baignons se répand partout, pas seulement en matière de religion : il touche aussi la science elle-même et les domaines du savoir dont nous étions les plus assurés.

La Croix : Comment se caractérise cette « foi faible » ?

Camille Riquier : En matière religieuse, nous avons perdu un rapport naturel, spontané, évident à la foi. Croire est aujourd’hui une question et une difficulté. Et le retour des croyances religieuses sur le devant de la scène en est un symptôme. On ne parle autant de la foi et de la croyance aujourd’hui que parce que nous sommes pris en défaut. Comme disait Péguy : « On ne se réclame jamais autant de ce que l’on sent bien qui vous manque le plus. » Seul celui qui a soif a l’eau à la bouche et le crie.

Je suis frappé du nombre de nos contemporains qui « aimeraient croire » comme ils le disent, qui n’y parviennent pas (ou juste un court temps) et dont le désir de croire finit par expirer. La trajectoire d’Emmanuel Carrère me semble révélatrice de cette aspiration qui finalement échoue. Ce n’est pas la fin qui manque, mais les moyens. Comme si, en matière de foi, nous avions « été hommes avant que d’être enfants », pour inverser la célèbre phrase de Descartes. Je suis étonné de voir à quel point nous avons tout à réapprendre, tout à redécouvrir…

La Croix : Mais croire n’a-t-il pas toujours été difficile ?

Camille Riquier : Sans doute, mais aujourd’hui il y a comme une universelle schizophrénie née des temps modernes, qui touche la foi comme le doute. On croit à moitié et on doute à moitié. On sait des choses sans être capables d’y croire vraiment. La façon dont Agnès Buzyn, ancienne ministre de la santé, raconte comment elle a vécu l’arrivée de la pandémie me semble tout à fait caractéristique d’un savoir auquel on ne croit pas. C’est aussi vrai du réchauffement climatique : on voit combien il est difficile d’y croire, alors que les savoirs scientifiques s’accumulent sur sa réalité.

La Croix : Le doute est aujourd’hui revendiqué, presque à tout propos…

Camille Riquier : C’est l’un des traits de notre époque. L’homme postmoderne ne doute pas tant qu’il ne réclame un droit au doute. Celui-ci instille le doute sans qu’il y ait matière à douter. C’est un doute qui n’est pas fort, qui ne tient pas une position claire qu’il entendrait défendre. C’est ce qui explique que la rationalité soit elle-même mise à mal. À mesure que nous doutons de tout, nous perdons notre esprit critique véritable. C’est la raison pour laquelle notre époque redevient aussi crédule. On voit dans nos sociétés un accroissement spectaculaire du nombre des préjugés et des superstitions les plus fantaisistes. Les croyances se branchent directement sur le pulsionnel : on croit ce qui nous plaît ; on croit ce qui nous fait peur…

La Croix : Quels chemins sont encore ouverts vers la foi ?

Camille Riquier : La crise sanitaire que nous traversons ouvre des possibles. Nous étions dans un temps où les religions avaient été réinvesties pour créer de la crispation identitaire et un repli communautaire. Peut-être allons-nous cesser de nous rapporter au religieux pour ces mauvaises raisons. Nous sommes invités à retrouver la vraie nature de la religion qui est de faire du lien, de recréer du lien. Dans la situation de crise générale que nous vivons, les frontières religieuses disparaissent. Les questions identitaires sont pour une fois suspendues.

Elles paraissent hors de propos. C’est un moment précieux pour aller aux sources de la foi. Car nous y sommes comme contraints. Mais ce ne peut être un retour en arrière. Les formes religieuses non critiques sont des impasses. Nous ne reviendrons pas à la foi par une foi forcenée, obstinée, mais par une remise en question de la foi elle-même. Si nous ne savons plus croire, il demeure dans notre mémoire le témoignage de ceux qui ont cru. Par ce fil, si ténu soit-il, nous tenons encore à la foi.

Explorer l’acte de croire

Nous ne savons plus croire, de Camille Riquier, DDB, 240 p., 19,90 €

Dans ce livre au titre percutant, le philosophe Camille Riquier explore notre « impuissance à croire » sans s’y résigner. « La formule doit conserver son caractère choquant, si elle veut interpeller et briser le silence ; et puisque le livre entend provoquer un certain malaise, c’est que sourdement il a été écrit pour qu’on lui donne tort », écrit-il en introduction.

Après une traversée des siècles, mobilisant les écrits de Montaigne, Descartes, Nietzsche, Sartre, Carrère et Vattimo, c’est bien à une reconsidération de l’acte de croire que Camille Riquier invite. « Croire ce n’est pas moins que savoir. Ce n’est pas un savoir diminué ou affaibli, souligne-t-il. Au contraire, il y a plus dans l’acte de croire que dans l’acte de savoir, car croire engage toute la personne : cœur, intellect, volonté, affects… Et croire amène à l’action, alors que l’on peut savoir de manière détachée, en restant spectateur. »

© La Croix - 2020

Covid-19 - Spiritualité

Survivre à la crise dans une dynamique pascale

En la fête de Pâques, le 12 avril 2020, le père Jean-Marie Petitclerc, sdb, a rédigé une méditation intitulée « Survivre à la crise… dans une dynamique pascale ». Partant de l’homélie du pape François du 27 mars 2020, « une tempête inattendue et furieuse », il s’interroge : « Ah ! si nous avions su écouter les prophètes… »

Une tempête inattendue et furieuse… Ce sont ces mots que le pape François a choisis pour qualifier cette crise sanitaire sans précédent qui a frappé notre planète en ce début de l’année 2020.

Lors de son homélie prononcée le 27 mars, sur la place St Pierre vide de toute présence, il disait : « Nous avons été pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse. Nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant besoin de nous réconforter mutuellement. Dans cette barque… nous nous trouvons tous. »

Ah ! si nous avions su écouter les prophètes…

Une tempête inattendue… Il est vrai que l’ampleur de cette crise sanitaire a surpris et déstabilisé les gouvernants de notre pays, comme ceux de l’ensemble du monde.

Voici que l’apparition d’un organisme microscopique a provoqué le dérèglement de la planète. Le modèle économique, dont l’homme était si fier, est en voie d’effondrement, et notre système de santé, dont nous pensions qu’il pouvait nous protéger de tout, s’avère fragile.

Et pourtant, certains experts avaient prévu une telle éventualité. Ainsi, Jacques Attali, qui fut mon professeur d’économie à l’école Polytechnique, écrivait dès 2009 : « La globalisation du marché et la libre circulation qu’elle favorise laissent craindre la possibilité, dans la prochaine décennie, d’une ou plusieurs pandémies constituant une menace majeure pour la survie de nombre de gens, d’entreprises, de pays ; une crise à la fois sanitaire, économique et humaine de vaste ampleur, en ralentissant la circulation des gens et des objets (…) Aux États-Unis, elle pourrait causer la mort de 90 000 personnes ; jusqu’à 1,8 million de patients pourraient être hospitalisés, dont 300 000 pourraient être traités dans un centre de soins intensifs. »[1]

Véritable parole prophétique… Mais, comme c’est souvent le cas, on n’a pas voulu écouter la voix des prophètes.

L’heure où les masques tombent…

Voici qu’avec cette crise, l’orgueil de l’homme, toujours prêt à reconstruire la tour de Babel en pensant pouvoir tout maîtriser, en a pris un sacré coup.

Comme le souligne le pape François, en commentant le récit de la tempête apaisé.[2] : « La tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté. La tempête révèle toutes les intentions d’“emballer” et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, toutes ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment “salvatrices”, incapables de faire appel à nos racines et d’évoquer la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité.

À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos “ego” toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette appartenance commune, à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères. »

Et nous avons vu, dans notre pays, en plein cœur de la crise, émerger des signes d’une fraternité qui se renforce : ces gens qui applaudissent chaque soir sur leur balcon pour encourager tous les soignants prêts à risquer leur vie pour gagner la guerre contre le virus : ces jeunes étudiants qui se sont portés volontaires pour prêter main forte aux équipes de soignants ou d’éducateurs des établissements de la Protection de l’Enfance, où étaient confinés des enfants et des adolescents empêchés d’aller à l’école et de retrouver leur famille le week-end ; ces jeunes créent une chaîne de solidarité pour apporter leurs courses aux personnes âgées et isolées… ou pour soutenir des commerçants en difficultés… et je pourrais citer tant d’autres initiatives, si prometteuses pour l’avenir.

Nous voici à la croisée des chemins….

Se pose désormais la question de l’après pandémie.

Souvenons-nous, à l’époque où notre pays sortait d’une période sombre, des mots que le Général de Gaulle écrivait à l’abbé Pierre : « Mon cher ami … Puissent les Français conserver le secret de cette fraternité qu’ils surent découvrir aux heures de l’épreuve. »[3]

Saurons-nous tirer les leçons de la crise que nous venons de traverser ? Et apprendrons-nous à mieux anticiper une crise encore plus grave qui se profile à l’horizon, celle provoquée par le réchauffement climatique ?

Nous sommes à la croisée des chemins : allons-nous continuer sur la voie de l’individualisme ou allons-nous emprunter celle de la fraternité ?

Car, comme aimait le rappeler l’abbé Pierre, « Nous sommes tous constamment confrontés à choisir entre deux chemins, deux sortes d’engagement, deux manières d’être (…) Ces deux voies sont très claires : moi sans les autres ou moi avec les autres. Être heureux sans les autres ou être heureux avec les autres. Être suffisant ou être communiant (…)

Choisir d’être suffisant, cela signifie se construire, s’accomplir sans tenir compte des besoins, des souffrances et des demandes des autres. C’est être prêt à tout : à écraser, à piller, à exploiter, à nier les autres pour parvenir à ses fins, ou, de manière beaucoup plus fréquente mais néanmoins terrible : ne pas se préoccuper des autres, être indifférent à leur bonheur ou à leur malheur (…)

Cependant, on peut choisir d’être communiant, de s’accomplir avec et par les autres, en étant à l’écoute de leurs souffrances et de leurs besoins, d’être heureux en partageant joies, peines et luttes (..).

J’ai pris depuis longtemps l’habitude de dire que le partage fondamental de l’humanité n’est pas entre les “croyants” et les “incroyants”, mais entre les “suffisants” et les “communiants”, entre ceux qui se détournent devant la souffrance des autres et ceux qui acceptent de la partager. Et bien des “croyants” sont des “suffisants”, et bien des “incroyants” sont des “communiants”. Combien de non-croyants, en effet, qui ne connaissent rien de l’Évangile, qui n’ont jamais été au catéchisme, savent aimer, partager, donner ? Et combien de croyants vivent repliés sur eux-mêmes et ne mettent jamais en acte le message d’amour de leur religion ? »[4]

Faire le choix de la fraternité m’apparaît aujourd’hui comme étant la condition sine qua non de la survie de notre société.

Bâtissons le monde d’après…

Survivre à la crise va nécessiter pour chacun de manifester « cette appartenance commune à laquelle nous ne pouvons nous soustraire » comme le disait le pape François : « le fait d’être frères ».

Il va s’agir de bâtir le monde d’après, en reconsidérant nos manières de vivre et de travailler, en relativisant notre envie de vacances au bout du monde. Il va s’agir de redécouvrir l’importance des liens avec nos proches et nos voisins, de renouveler notre regard sur les personnels soignants et tous ceux qui, dans l’ombre, assurent notre existence quotidienne. Il va s’agir de repenser notre modèle éducatif, en hiérarchisant les valeurs que nous souhaitons transmettre à nos enfants. Il va s’agir de porter un regard critique sur les excès de la mondialisation et de retrouver les bienfaits d’une économie de proximité. Il va s’agir de recrédibiliser la parole politique, à partir de l’exigence du « parler vrai ».

En un mot, il va s’agir de cultiver à l’échelle de notre planète l’esprit de fraternité.

Puissions-nous, en cette fête de Pâques, sortir du tombeau de l’individualisme et marcher ensemble sur un chemin de fraternité… Il nous précède sur ce chemin !

En la fête de Pâques, le 12 Avril 2020

Jean-Marie Petitclerc, SdB

© La Croix - 2020

[1] Jacques ATTALI – Survivre aux crises – Fayard 2009 p. 100

[2] Marc 4, 35-41

[3] Abbé Pierre – Fraternité – Édition Fayard p. 129

[4] Abbé Pierre op. cit. p. 85-88

Commentaire des lectures du dimanche

 

Al Salamò Alaikum : la paix soit avec vous !

Aujourd’hui, l’évangile du troisième dimanche de Pâques nous parle de l’itinéraire des deux disciples d’Emmaüs qui ont quitté Jérusalem. Un Évangile qu’on peut résumer en trois mots : mort, résurrection et vie.

Mort : les deux disciples retournent à leur vie quotidienne, chargés de déception et de désespoir : le Maître est mort et il est donc inutile d’espérer. Ils étaient désorientés, sans illusions et déçus. Leur chemin est un retour en arrière ; c’est un éloignement de la douloureuse expérience du Crucifié. La crise de la Croix, voire le “scandale” et la “folie” de la Croix (cf. 1 Co 1,18 ; 2,2), semble avoir enterré toute leur espérance. Celui sur lequel ils ont construit leur existence est mort, vaincu, emportant avec lui dans la tombe toutes leurs aspirations.

Ils ne pouvaient pas croire que le Maître et le Sauveur qui avait ressuscité les morts et guéri les malades puisse finir pendu à la croix de la honte. Ils ne pouvaient pas comprendre pourquoi Dieu Tout-Puissant ne l’avait pas sauvé d’une mort si ignoble. La croix du Christ était la croix de leurs idées sur Dieu ; la mort du Christ était une mort de ce qu’ils imaginaient que Dieu était. C’étaient eux qui étaient, en effet, les morts dans la tombe de la limitation de leur compréhension.

Que de fois l’homme s’auto paralyse, en refusant de surmonter son idée de Dieu, d’un dieu créé à l’image et à la ressemblance de l’homme ; que de fois il désespère, en refusant de croire que la toute-puissance de Dieu n’est pas la toute-puissance de la force, de l’autorité mais qu’elle n’est que la toute-puissance de l’amour, du pardon et de la vie !

Les disciples ont reconnu Jésus à la “fraction du pain”, dans l’Eucharistie. Si nous ne laissons pas rompre le voile qui obscurcit nos yeux, si nous ne rompons pas l’endurcissement de notre cœur et de nos préjugés, nous ne pourrons jamais reconnaître le visage de Dieu.

Résurrection : dans l’obscurité de la nuit la plus sombre, dans le désespoir le plus bouleversant, Jésus s’approche des deux disciples et emprunte leur chemin pour qu’ils puissent découvrir qu’il est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6). Jésus transforme leur désespoir en vie, car lorsque disparaît l’espérance humaine, commence à briller l’espérance divine : « ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu » (Lc 18,27 ; cf. 1,37). Quand l’homme touche le fond de l’échec et de l’incapacité, quand il se défait de l’illusion d’être le meilleur, d’être autosuffisant, d’être le centre du monde, alors Dieu lui tend la main pour transformer sa nuit en aube, son affliction en joie, sa mort en résurrection, sa marche en un retour vers Jérusalem, c’est-à-dire vers la vie et vers la victoire de la Croix (cf. He 11,34).

Les deux disciples, en effet, après avoir rencontré le Ressuscité, reviennent pleins de joie, de confiance et d’enthousiasme, prêts pour le témoignage. Le Ressuscité les a fait resurgir de la tombe de leur incrédulité et de leur affliction. En rencontrant le Crucifié-Ressuscité, ils ont trouvé l’explication et l’accomplissement de toute l’Écriture, de la Loi et des Prophètes ; ils ont trouvé le sens de l’échec apparent de la Croix.

Celui qui ne traverse pas l’expérience de la Croix jusqu’à la Vérité de la Résurrection s’auto condamne au désespoir. En effet, nous, nous ne pouvons pas rencontrer Dieu sans crucifier d’abord nos idées limitées d’un dieu qui reflète notre compréhension de la toute-puissance et du pouvoir.

Vie : la rencontre avec Jésus ressuscité a transformé la vie de ces deux disciples, parce que rencontrer le Ressuscité transforme toute vie et rend féconde toute stérilité (cf. Benoît XVI, Audience générale, mercredi, 11 avril 2007). En effet, la Résurrection n’est pas une foi née dans l’Église, mais l’Église est née de la foi en la Résurrection. Saint Paul dit : « si le Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu, votre foi aussi est sans contenu » (1 Co 15,14).

Le Ressuscité disparaît de leurs yeux, pour nous enseigner que nous ne pouvons pas retenir Jésus dans son caractère visible historique : « heureux ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 21,29 ; cf. 20, 17). L’Église doit savoir et croire qu’il est vivant avec elle et la vivifie dans l’Eucharistie, dans les Écritures et dans les Sacrements. Les disciples d’Emmaüs ont compris cela et sont retournés à Jérusalem pour partager avec les autres leur expérience : “Nous avons vu le Seigneur… Oui, il est vraiment ressuscité” (cf. Lc 24,32).

L’expérience des disciples d’Emmaüs nous enseigne qu’il ne vaut pas la peine de remplir les lieux de culte, si nos cœurs sont vidés de la crainte de Dieu et de sa présence ; il ne vaut pas la peine de prier, si notre prière adressée à Dieu ne se transforme pas en amour du frère ; beaucoup de dévotion ne vaut pas la peine, si elle n’est pas animée par beaucoup de foi et par beaucoup de charité ; il ne vaut pas la peine de soigner l’apparence, car Dieu regarde l’âme et le cœur (cf. 1 Sam 16,7) et déteste l’hypocrisie (cf. Lc 11,37-54 ; Ac 5,3-4). Pour Dieu il vaut mieux ne pas croire que d’être un faux croyant, un hypocrite !

La vraie foi est celle qui nous rend plus charitables, plus miséricordieux, plus honnêtes et plus humains ; c’est celle qui anime les cœurs pour les porter à aimer tout le monde gratuitement, sans distinction et sans préférences ; c’est celle qui nous conduit à voir dans l’autre non pas un ennemi à vaincre, mais un frère à aimer, à servir et à aider ; c’est celle qui nous conduit à diffuser, à défendre et à vivre la culture de la rencontre, du dialogue, du respect et de la fraternité ; qui nous conduit au courage de pardonner à celui qui nous offense ; de tendre la main à celui qui est tombé ; à vêtir celui qui est nu ; à donner à manger à celui qui a faim ; à visiter le détenu ; à aider l’orphelin ; à donner à boire à celui qui a soif ; à aller au secours de la personne âgée et de celui qui est dans le besoin (cf. Mt 25,31-45). La vraie foi est celle qui nous conduit à protéger les droits des autres, avec la même force et avec le même enthousiasme avec lesquels nous défendons les nôtres. En réalité, plus on grandit dans la foi et dans la connaissance, plus on grandit dans l’humilité et dans la conscience d’être petit.

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