Pko 21.06.2020

Eglise cath papeete 1

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°29/2020

Dimanche 21 juin 2020 – 12ème Dimanche du Temps ordinaire – Année A

Humeurs…

Espérer contre toute espérance !… suite

Continuons dans la lancée de la semaine dernière… nos sans-abris avancent contre vents et marées…Ainsi nous pouvons ajouter à notre petite liste de la semaine dernière un CDI et un CDD de six mois avec promesse d’un CDI en bout ! Six « oiseaux » qui retrouvent le chemin de l’espérance… leur profil ! Deux d’entre-eux ont bénéficié d’un CAE classique et se retrouvent ainsi embauchés dans leurs entreprises ; Les quatre autres ont bénéficié d’un CAE-pro, spécifique aux sans-abris, mis en place par le SEFI et qui a l’issus ont entamé un CAE classique… reste pour eux, aujourd’hui, l’épineux problème du logement. Ayant privilégié leur travail à l’intégration des centres de confinement… leur récompense et leur fierté est l’embauche. Ils ne sont pas au bout du chemin de la réinsertion… mais ils ont déjà prouvé leur détermination à sortir de la rue…

Autre nouvelle réjouissante, tout en étant inquiétante. Cette semaine, pas moins de cinq « oiseaux » de la rue sont venus signés la Croix bleue… joie me direz-vous ! Oui pour eux, mais inquiétude sur ce que cela révèle. En effet, ils ont signé la Croix bleue pour arrêter de consommer de l’Ice ! Nous nous réjouissons de cette prise de conscience, et nous savons qu’ils seront fidèles à leur engagement ! Mais combien d’autres sont touchés par ce fléaux ! Ou se procurent-ils cette « merde »… là justement ou il y a projet de reconstruire le Centre de jour !!! Tout ceci nous conforte dans l’idée qu’il faut absolument reconstruire l’Accueil Te Vai-ete ‘api dans une zone moins peuplée…

En tout état de cause… réjouissons-nous de cette dynamique qui se met en place au cœur même des sans-abris… un travail de longue haleine… mais pas vain…

Laissez-moi vous dire…

Covid-19 et victimes d’exploitation des êtres humains

Bien que nos îles soient éloignées des filières de banditisme et d’escroqueries en tous genres, nous ne sommes pas à l’abri de toutes sortes de trafics – y compris l’exploitation des êtres humains-. L’article ci-dessous, extrait de la « Lettre de Justice & Paix », n°258, juin 2020, n’est pas une incitation à la délation mais à la vigilance face aux “exploiteurs”. Comme nous entendons Jésus le dire dans l’Évangile de ce dimanche : « Ne craignez donc pas ces gens-là ; rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. » (Matthieu 10, 26)

« La personne humaine ne devrait jamais se vendre ou s’acheter comme une marchandise. Celui qui l’exploite, même indirectement, se rend complice de ce mépris. » (Pape François)

La crise sanitaire de la Covid-19 a augmenté la vulnérabilité des victimes de traite. Aux traumatismes psychologiques et aux blessures physiques, s’est ajouté le manque de subsistance. Ils sont nombreux, migrants ou avec un emploi irrégulier, sans protection sociale, psychologique ou médicale, ni documents, ni ressources, ni possibilité de retourner au pays, ni logement sûr. Avec la pandémie, leur situation se dégrade. Des criminels en profitent pour les exploiter : sexe, esclavage domestique, travail forcé, contrainte à commettre des délits, mariage forcé...

Certains survivent dans la rue, dans des domiciles privés, dans des ateliers clandestins, dans des champs, occupant des emplois du secteur informel. Pour obtenir des pièces de monnaie, ils ont dû recourir au troc afin d’accéder à des denrées, à l’hygiène (douches, toilettes, laveries...) ou payer sur internet des factures. Dans les transactions, des exploiteurs imposent leurs commissions.

Beaucoup de pays ont pris des mesures restrictives : quarantaine, fermeture d’activités ou de frontières. Police et Justice sont mobilisées par la gestion de l’état d’urgence, moins disponibles pour enquêter et identifier des victimes. Les inspecteurs du travail, les travailleurs sociaux, le personnel de santé, les ONG voient réduite leur capacité à détecter des victimes, qui restent invisibles, non identifiées, non protégées. Les associations poursuivent leur engagement, malgré leurs craintes budgétaires. Nous avons constaté des refus d’accès à des lieux d’accueil pour des victimes exposées au risque de la rue.

Les associations membres du Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains »[1] se sont adaptées. Pour limiter la propagation du virus, des foyers[2] ont réaménagé des chambres (désormais individuelles), y ont installé des outils informatiques et le wifi. De nouvelles formes d’appui ont vu le jour[3] : chèques services pour l’hygiène et l’alimentation ; hotline pour aider à l’orientation ou aux démarches juridiques et gagner du temps sur « l’après » ; chaines téléphoniques d’amitié pour garder un lien social et aider à la scolarité des enfants ; soutien psychologique par téléphone ; activités artistiques et création d’œuvres collectives à partir d’éléments – photos, sculptures, dessins – produits chez soi ; poursuite de l’apprentissage de la langue française. Les maraudes[4] ont continué, moyennant respect des gestes de sécurité. Des rencontres reprennent dans certaines régions. Des projets de vacances se font jour.

La pandémie de la Covid-19 est mondiale, comme la traite des êtres humains. Pour survivre, les plus vulnérables risquent l’exploitation ou la ré-exploitation. Pendant le confinement, « l’école à la maison » se fait par internet. Quand le contrôle parental est insuffisant, l’accès de mineurs à des sites pornographiques – certains devenus gratuits ! – puis à des sites de rencontre, a été facilité. Des jeunes, repérés comme vulnérables par des exploiteurs, sont des victimes potentielles de traite à des fins d’exploitation sexuelle ou pour la contrainte à commettre des délits.

Si la crise a contraint des entreprises, connues pour leur exploitation, à fermer (…), l’augmentation de la demande de travailleurs dans des secteurs propices à l’exploitation par le travail, conjuguée à l’assouplissement des règles, favorise l’exploitation. Les trafiquants en profitent : travail à bas prix, à des cadences élevées, dettes à rembourser sous forme de travail. Il faut veiller aux droits de l’homme. Le plaidoyer inter-associatif pour un accès aux moyens de paiement et à l’inclusion bancaire, né du confinement, doit se poursuivre.

Le 18 octobre 2019, le gouvernement a présenté le second Plan d’action nationale de lutte contre la traite des êtres humains. Un avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme[5] engage à mieux repérer, identifier, orienter et accompagner les personnes victimes de traite au plan social, de santé, juridique, éducatif, de l’emploi... À nous d’agir : faire accéder des personnes rencontrées au statut de victime, au droit de séjour, à un parcours de sortie de traite, à une protection sociale, à une régularisation ; former des professionnels au contact de personnes à risque et de victimes ; travailler en réseaux ; collaborer avec les institutions ; sensibiliser à la réalité de l’exploitation, dans nos diocèses, paroisses, réseaux, congrégations, associations ; repérer les nouvelles formes d’exploitation via internet. C’est au niveau mondial qu’il faut prévenir et combattre ce fléau.

Dans « le monde d’après », l’écologie intégrale se décline en ses composantes sociale, économique, culturelle, politique, quotidienne, notamment dans notre lutte contre toute exploitation de l’être humain, dans le respect du corps humain, la dignité au travail, la liberté de mouvement. L’encyclique du Pape François “Laudato Si” soutient notre réflexion et nous invite à agir.

Geneviève Colas, Coordinatrice du Collectif

« Ensemble contre la traite des êtres humains »

pour le Secours Catholique-Caritas France

© Cathédrale de Papeete – 2020

Regard sur l’actualité…

Société et justice

Les événements judiciaires qui ces jours-ci agitent notre Fenua nous donnent une bonne occasion de réfléchir à notre façon de considérer la vie en société. N’en sommes-nous pas les acteurs ? Chacun et chacune de nous est appelé par nature à s’intégrer et à collaborer avec nos semblables pour devenir capables de communion avec eux. Le Catéchisme de l’Église Catholique nous rappelle au n°1880 que : « une société est un ensemble de personnes liées de façon organique par un principe d’unité qui dépasse chacune d’elles ». Cette vie communautaire est une caractéristique naturelle qui distingue l’Homme du reste des créatures terrestres. Nous savons cependant par expérience que l’Homme abrite en lui des germes d’individualisme, de fermeture, de non-respect de l’autre. Aussi est-il opportun de rappeler que « toute société, digne de ce nom, peut s’estimer dans la vérité quand chacun de ses membres, grâce à sa capacité de connaître le bien, le poursuit pour lui-même et pour les autres. C’est par amour pour leur propre bien et pour celui des autres que les Hommes se réunissent en groupes stables, en ayant comme fin de parvenir à un bien commun » (Conseil Pontifical « Justice et Paix – Compendium de la doctrine sociale de l’Église § 150). Poursuivre ce bien commun relève de la responsabilité non seulement des individus, mais aussi de l’État, car dans la recherche du bien commun se trouve la raison d’être de toute autorité politique. « À la société civile dont il est l’expression, l’État doit en effet garantir la cohésion, l’unité et l’organisation, de sorte que le bien commun puisse être poursuivi avec la contribution de tous les citoyens… d’où la nécessité d’institutions politiques dont la finalité est de rendre accessibles aux personnes les biens nécessaires – matériels, culturels, moraux, spirituels – pour conduire une vie vraiment humaine… » (Conseil Pontifical… § 168)

Une telle recherche du bien commun ne sera possible de façon efficace aux yeux de l’Église que si les valeurs sociales participant de la dignité de la personne humaine sont prises en compte. Parmi ces valeurs, la vérité : « Vivre dans la vérité revêt une signification spéciale dans les rapports sociaux : la vie en commun entre les êtres humains au sein d’une communauté est, en effet, ordonnée, féconde et correspond à leur dignité de personnes lorsqu’elle se fonde sur la vérité. Plus les personnes et les groupes sociaux s’efforcent de résoudre les problèmes sociaux selon la vérité, plus ils s’éloignent de l’arbitraire et se conforment aux exigences objectives de la moralité. » (Conseil Pontifical… § 198)

Parmi ces valeurs également, la liberté. L’Église dans son « Catéchisme de l’Église Catholique » au §1738 nous rappelle que « le droit à l’exercice de la liberté est une exigence inséparable de la personne humaine ». Cependant il ne faut pas restreindre le sens de la liberté en la considérant dans une perspective purement individualiste et en la réduisant à un exercice arbitraire et incontrôlé de l’autonomie personnelle. « La liberté n’existe vraiment que là où des liens réciproques, réglés par la vérité et la justice, unissent les personnes » (Conseil Pontifical… § 199)

Parmi ces valeurs, figure également la justice, définie ainsi dans le Catéchisme de l’Église Catholique au § 1807 : « Elle consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui lui est dû ». Le projet de Dieu dans sa création est que tous les humains puissent vivre en paix. Ce projet doit se réaliser dans l'Histoire de l'humanité. Comme Dieu se sert des mots pour se révéler, il se sert de l’histoire pour agir et poursuivre son œuvre. Et dans cette histoire, la justice a une place fondamentale. Elle n’est pas simplement une valeur morale, elle est la part de Dieu dans la vie des Hommes, la marque de la présence de Dieu dans leur histoire. De ce fait, la justice se prolonge dans l’attitude déterminée par la volonté de reconnaître l’autre comme une personne et de l’aimer comme le Christ Jésus nous le demande. « Si la justice est de soi propre à “arbitrer” entre les hommes… l’amour au contraire, et seulement lui est capable de rendre l’Homme à lui-même. On ne peut pas régler les rapports humains par la seule mesure de la justice » (Conseil Pontifical § 582)

+ Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete – 2020

Audience générale

Moïse, pont entre Dieu et son peuple

Lors de l’audience générale du mercredi 17 juin 2020, tenue une nouvelle fois depuis la Bibliothèque du Palais apostolique, le Pape a poursuivi sa série de catéchèses sur la prière. Pour la 7ème étape de ce parcours, il s’est arrêté sur la prière d’intercession de Moïse, qui a permis de construire un pont entre Dieu et le peuple élu.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans notre parcours sur le thème de la prière, nous nous rendons compte que Dieu n’a jamais aimé avoir affaire à des priants « faciles ». Et Moïse non plus ne sera pas un interlocuteur « mou », dès le premier jour de sa vocation.

Quand Dieu l’appelle, Moïse est humainement « un raté ». Le livre de l’Exode nous le représente sur la terre de Madian comme un fugitif. Jeune, il avait éprouvé de la pitié pour son peuple, et il avait même pris le parti des opprimés. Mais il découvre rapidement que, malgré ses bonnes intentions, la justice ne jaillit pas de ses mains, mais plutôt la violence. Voilà que ses rêves de gloire se brisent : Moïse n’est plus un fonctionnaire prometteur, destiné à une carrière rapide, mais quelqu’un qui a compromis les opportunités et qui fait maintenant paître un troupeau qui ne lui appartient même pas. Et c’est précisément dans le silence du désert de Madian que Dieu convoque Moïse pour se révéler dans le buisson ardent : « “Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob.” Moïse se voilà le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. » (Ex 3,6).

À Dieu qui parle, qui l’invite à s’occuper à nouveau du peuple d’Israël, Moïse oppose ses peurs et ses objections : il n’est pas digne de cette mission, il ne connaît pas le nom de Dieu, il ne sera pas cru par les Israélites, il bégaye… Et ainsi toutes ses objections. La parole qui revient le plus souvent dans la bouche de Moïse, dans toutes les prières qu’il adresse à Dieu, est la question : « pourquoi ? ». Pourquoi m’as-tu envoyé ? Pourquoi veux-tu libérer ce peuple ? Dans le Pentateuque, il y a même un passage dramatique où Dieu renvoie à Moïse son manque de confiance, un manque qui lui interdira l’entrée dans la terre promise (cf. Nb 20,12).

Avec ces craintes, avec ce cœur qui vacille souvent, comment Moïse peut-il prier ? Ou plutôt, Moïse semble être un homme comme nous. Et cela nous arrive à nous aussi : quand nous avons des doutes, mais comment pouvons-nous prier ? La prière ne nous vient pas. Et c’est en raison de sa faiblesse, plus même que de sa force, que nous sommes touchés. Chargé par Dieu de transmettre la Loi à son peuple, fondateur du culte divin, médiateur des mystères les plus élevés, il n’en cessera pas pour autant d’entretenir des liens étroits de solidarité avec son peuple, en particulier à l’heure de la tentation et du péché. Toujours attaché à son peuple. Moïse n’a jamais perdu le souvenir de son peuple. Et cela, c’est une grandeur des pasteurs : ne pas oublier son peuple, ne pas oublier ses racines. C’est ce que dit Paul à son jeune et bienaimé évêque Timothée : « Souviens-toi de ta maman et de ta grand-mère, de tes racines et de ton peuple ». Moïse est tellement ami de Dieu qu’il peut parler avec lui face à face (cf. Ex 33,11) ; et il restera tellement ami des hommes qu’il éprouvera de la miséricorde envers leurs péchés, envers leurs tentations, envers les nostalgies soudaines des exilés à l’égard de leur passé, lorsqu’ils repensent au temps où ils étaient en Égypte.

Moïse ne renie pas Dieu, mais il ne renie pas non plus son peuple. Il est cohérent avec son sang, il est cohérent avec la voix de Dieu. Moïse n’est donc pas un chef autoritaire et despote ; au contraire, le livre des Nombres le définit comme « plus humble et plus doux que tous les hommes sur la terre » (cf. 12,3). En dépit de sa condition privilégiée, Moïse ne cesse pas d’appartenir à cette troupe de pauvres de cœur qui vivent en faisant de la confiance à Dieu le viatique sur leur route. C’est un homme du peuple.

Ainsi, la façon de prier la plus propre à Moïse sera l’intercession (cf. Catéchisme de l’Église catholique, 2574). Sa foi en Dieu fait un avec le sentiment de paternité qu’il éprouve pour son peuple. L’Écriture le représente habituellement les mains tendues vers le ciel, vers Dieu, comme pour servir de pont avec sa propre personne entre le ciel et la terre. Même dans les moments les plus difficiles, même le jour où le peuple répudie Dieu et le répudie lui aussi en tant que guide pour se faire un veau d’or, Moïse ne peut pas envisager de laisser de côté son peuple. C’est mon peuple. C’est ton peuple. C’est mon peuple. Il ne renie ni Dieu ni son peuple. Et il dit à Dieu : « Hélas ! Ce peuple a commis un grand péché : ils se sont fait des dieux en or. Ah, si tu voulais enlever leur péché ! Ou alors, efface-moi de ton livre, celui que tu as écrit. » (Ex 32,31-32). Moïse ne troque pas son peuple. Il est le pont, il est l’intercesseur. Les deux, le peuple et Dieu, et lui il est au milieu. Il ne vend pas son peuple pour faire carrière. Ce n’est pas un arriviste, c’est un intercesseur : pour son peuple, pour sa chair, pour son histoire, pour son peuple et pour Dieu qui l’a appelé. Il est le pont. Quel bel exemple pour tous les pasteurs qui doivent être des « ponts ». C’est pourquoi on les appelle pontifex, des ponts. Les pasteurs sont des ponts entre le peuple auquel ils appartiennent et Dieu, à qui ils appartiennent par vocation. Moïse est comme cela : « Pardonne leur péché, Seigneur, sinon, si tu ne pardonnes pas, efface-moi de ton livre que tu as écrit. Je ne veux pas faire carrière avec mon peuple ».

Et c’est cela, la prière que les véritables croyants cultivent dans leur vie spirituelle. Même s’ils ne font pas eux-mêmes l’expérience des erreurs des personnes et de leur éloignement de Dieu, ces priants ne les condamnent pas, ne les refusent pas. L’attitude d’intercession est le propre des saints qui, en imitant Jésus, sont des « ponts » entre Dieu et son peuple. En ce sens, Moïse a été le plus grand prophète de Jésus, notre avocat et intercesseur (cf. Catéchisme de l’Église catholique, 2577). Et aujourd’hui encore, Jésus est le pontifex, il est le pont entre nous et le Père. Et Jésus intercède pour nous, il montre à son Père ses plaies qui sont le prix de notre salut et il intercède. Et Moïse est la figure de Jésus qui prie aujourd’hui pour nous, qui intercède pour nous.

Moïse nous encourage à prier avec la même ferveur que Jésus, à intercéder pour le monde, à nous souvenir que, malgré toutes ses fragilités, il appartient toujours à Dieu. Tout le monde appartient à Dieu. Les pires des pécheurs, les gens les plus mauvais, les dirigeants les plus corrompus, sont des enfants de Dieu et Jésus sent cela et intercède pour tous. Et le monde vit et prospère grâce à la bénédiction du juste, à la prière de pitié, à cette prière de pitié, que le saint, le juste, l’intercesseur, le prêtre, l’évêque, le pape, le laïc, tout baptisé, élève sans cesse pour les hommes, en tout lieu et en tout temps de l’histoire. Réfléchissons à Moïse, l’intercesseur. Et quand nous avons envie de condamner quelqu’un et que nous sommes intérieurement en colère – cela fait du bien de se mettre en colère, mais condamner ne fait pas de bien -, intercédons pour lui : cela nous aidera beaucoup.

© Libreria Editice Vaticana - 2020

Église

La liberté de l’Église

Voici le discours de clôture de l’Assemblée plénière de juin 2020, prononcé par Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, devant les évêques de France, réunis à la Maison des évêques et à distance.

La lutte contre l’épidémie de la covid-19 et, de manière plus marquée encore, le processus de déconfinement ont fait ré-émerger un thème théologique ancien, un peu oublié mais essentiel pour notre compréhension de l’Église et de sa mission, celui de la libertas Ecclesiae, la « liberté de l’Église ». Peut-être y suis-je spécialement sensible parce que je suis évêque dans une région imprégnée de souvenirs des temps mérovingiens et carolingiens et des débuts du Moyen-Âge, mais il n’y a pas que cela: la libertas Ecclesiae fut, certes, le cheval de bataille de Léon IX et de Grégoire VII, de ce que l’on appelle encore « la réforme grégorienne », mais sa revendication est sous-jacente en réalité à l’attitude des martyrs de l’Antiquité qui ne se voulaient pas fidèles seulement à leur conscience individuelle; elle est aussi, à mes yeux, le fondement théologique de l’enseignement du concile Vatican II sur le droit social à la liberté religieuse. Le Christ Jésus, parce qu’il est le Verbe fait chair, le Fils bien-aimé consubstantiel au Père et envoyé par le Père, par sa vie terrestre, sa mort offerte pour nos péchés et sa résurrection pour notre vie, fait monter du sein de l’humanité un peuple nouveau dont le principe d’unité n’est ni la race ni la culture ni la constitution d’un ensemble politique mais l’attitude que nous appelons la « foi » : la confiance sans réserve dans la promesse de Dieu qui nous appelle à la vie pour toujours, attitude ouverte à tout être humain, quels que soient son âge, son ethnie, son sexe, sa condition sociale. L’Église, fondée sur les Douze que Jésus s’est associés au long de sa vie publique, est envoyée à tous les humains, -à toute la création même, selon saint Marc-, pour ouvrir à tous la « porte de la foi ». Des nations, émerge donc un ensemble humain d’un type tout à fait unique en qui est révélé et mis en œuvre le lien intérieur irréductible de chaque être humain avec Dieu et la responsabilité de chacun à l’égard de la destinée spirituelle de toute l’humanité.

La liberté de l’Église peut être ressentie comme la revendication d’une autonomie arrogante à l’égard des médiations humaines que sont les entités politiques et donc les États, et cela explique en partie les épreuves qu’ont pu connaître certains de ses tenants les plus déterminés. Elle s’appuie en réalité, en même temps qu’elle les dévoile, sur la liberté intime de chaque humain et sa vocation propre à tenir un rôle personnel dans l’histoire humaine. Elle n’est pas pour l’Église la revendication d’échapper aux lois des entités politiques, elle n’incite pas l’Église du Christ à réclamer pour elle des privilèges. Elle est avant tout la revendication de la liberté de vivre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, de servir tout être humain, quelle que soit sa condition sociale, de choisir la chasteté ou la fidélité conjugale, de préférer la pauvreté à la richesse, de s’efforcer de transmuer l’exercice de l’autorité en service de la vie des autres, et elle revendique de pouvoir annoncer à tout être humain qu’il est appelé à être, avant toute autre détermination, un fils ou une fille du Dieu vivant, et de l’insérer, autant qu’il ou elle y consent, dans une communauté qui est avant tout une communion.

Au long des siècles, la revendication de la liberté de l’Église a animé l’histoire de notre pays. Elle y a pris la forme qui peut paraître paradoxale de la séparation de l’Église et de l’État, étendue à tous les cultes, ce que nous appelons en France la laïcité. C’est une manière d’organiser la liberté de l’Église, non pas l’unique ni forcément la meilleure, mais certainement pas la pire. La liberté de l’Église se traduit alors dans le fait que l’État laisse l’Église du Christ, et donc, non seulement l’Église catholique mais les Églises protestantes et orthodoxes, et les autres cultes s’organiser à leur guise, du moment que l’ordre public est respecté. La liberté de l’Église, principe théologique, prend, dans l’ordre juridique et politique, la forme de la liberté de culte. Dans la préparation du déconfinement, cette liberté a pu paraître menacée par l’interdiction maintenue de toute réunion ou rassemblement dans les établissements de culte », alors que les réunions de moins de dix personnes étaient autorisées dans l’espace public et qu’il n’était plus question d’encadrer les réunions dans les lieux privés. Sans doute n’est-il pas nécessaire de chercher à cela d’autre explication qu’une maladresse d’écriture dans un temps de précipitation. La liberté de l’Église n’est pas, en régime de séparation, le souci des responsables politiques et elle est facilement oubliée. Mais le principe demeure, cependant, et le Conseil d’État l’a rappelé: l’État est dans son droit lorsqu’il édicte des règles sanitaires; il sort de son rôle lorsqu’il prétend déterminer comment les citoyens vont mettre en œuvre ces règles dans l’organisation de leur foi religieuse et du culte qui y est lié. L’Église catholique, en revendiquant sa liberté, n’a pas réclamé un privilège mais le respect de la dignité de chaque citoyen, personne libre, appelé à l’être pleinement en menant sa vie de manière à porter lumière et paix autour de lui, selon sa religion ou sa non-religion.

Mais il nous faut à nous, évêques catholiques, aller plus loin. Plus profondément, l’Église catholique a revendiqué de pouvoir mettre en œuvre les règles de précautions sanitaires pas seulement par peur de la contagion, mais pour servir le bien de tous dont nous sommes responsables devant Dieu, chacun pour sa part ; pas seulement pour obéir à l’État mais pour contribuer à la paix des cœurs et servir l’attention de chacun à l’égard de tous, chacun selon sa vocation propre. L’exemple de la réaction face à l’épidémie nous a d’ailleurs été donné par le pape François: très vite, il a manifesté que cette épidémie, qui paraissait une affaire chinoise puis italienne, concernait le monde entier, mettait en cause la totalité des nations, rappelait à tous que chacun est responsable des autres. Réunis en assemblée, nous nous sommes réjouis de la créativité qui a été déployée tant par les prêtres que par les fidèles pour permettre au plus grand nombre de s’associer aux messes célébrées : l’Eucharistie est d’une telle richesse, d’une telle intensité, qu’elle peut être vécue de bien des manières ; son mystère peut être participé à des degrés différents et selon des modes variés aussi. Nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont permis à d’autres de vivre l’Eucharistie au long de ces semaines par la diffusion vidéo, par la distribution de feuillets soutenant la communion spirituelle ou suggérant une liturgie domestique. La deuxième moitié du Carême, la Semaine Sainte et le Temps pascal ont pu être vécus avec intensité par beaucoup. Les mystères célébrés ont donné du sens au confinement, qu’il ait été confortable ou pénible, et le confinement a permis de vivre ou obligé à vivre ces périodes dans leur intensité spirituelle. Les efforts déployés ont permis de vivre le confinement non pas comme un enfermement en soi mais dans l’ouverture du cœur et de l’esprit vers les autres.

Pourtant, assez vite l’impatience à retrouver les célébrations avec assemblée et la communion sacramentelle s’est exprimée. Un travail théologique sera nécessaire pour la comprendre. Le lien entre le corps eucharistique et le corps ecclésial mérite d’être approfondi. Que cherchons-nous dans la communion sacramentelle, ou plutôt qu’y recevons-nous ? Peut-elle être dissociée du « sacrement du frère » ? Le respect des règles sanitaires strictes relevait et relève toujours de la charité: un chrétien peut risquer sa vie par amour du Seigneur ou de son prochain, mais non pas courir le risque de porter la maladie et la mort à d’autres. Le désir ardent de la communion sacramentelle ne trouve toute sa vérité qu’en nourrissant la charité qui édifie le Corps du Christ. Mais il est vrai que le mystère du Christ est avant tout un mystère de présence. La foi chrétienne n’est pas faite d’idées et d’intentions: elle est avant tout la disponibilité à rejoindre le Christ, là où il se tient et nous convoque, et à se laisser rejoindre par lui, et lui vient à nous toujours pour nous envoyer vers les autres; c’est en lui et par lui que nous pouvons le mieux aller en vérité les uns vers les autres, car lui, par son Eucharistie, nous tournant vers le Père, nous ouvre aussi les uns aux autres plus que nous ne saurons jamais le sentir. Cette vérité ressentie fortement en ces semaines nous a renvoyés au souci lancinant où nous sommes de réorganiser nos diocèses pour que l’Eucharistie soit accessible au plus grand nombre dans la plénitude de son déploiement, malgré le nombre réduit des prêtres pour le moment, et pour que les prêtres puissent approcher du plus grand nombre de personnes possibles, selon des modalités à imaginer ou à recevoir, la présence et la venue à elles du Christ ressuscité. La réflexion proposée par le groupe de travail « Territoires et paroisses » nous pousse à un regard lucide et à des initiatives audacieuses.

La liberté de l’Église est précisément l’exigence de pouvoir donner au milieu de ce monde une forme visible à la venue du Seigneur et de déployer les fruits de cette venue dans l’histoire, pour le bien de l’humanité entière, en révélant aux hommes la dignité à laquelle ils sont tous appelés et à l’humanité qu’elle est une et peut être fraternelle pour toujours. C’est la liberté de l’Église, et non pas seulement le conformisme social ou la lâcheté – dont on ne peut par ailleurs jamais trop vite se juger indemne – qui la pousse à se mettre au service de ce que la société a de meilleur, et c’est la même liberté qui la pousse, en certains de ses membres qu’elle contemple alors avec admiration et gratitude, non à transgresser la loi ou les lois mais à outrepasser la loi en direction d’un don de soi ou d’un renoncement à soi qui porte davantage de vie.

C’est pourquoi nous nous sommes réjouis de reconnaître la liberté chrétienne en acte dans ce que Mgr Aveline nous a présenté de l’action de l’Église à Marseille mobilisant ses forces ou ses pauvretés pour soutenir les plus précaires pendant le temps du confinement strict. Nous aurions pu entendre un récit similaire à propos de bien d’autres diocèses, comme Paris. Nous rendons grâce à Dieu pour ceux qui se sont engagés dans ces actions. Des jeunes s’y sont mobilisés, les personnes d’un certain âge ayant la responsabilité de se tenir à distance des risques de contagion. Ce n’est pas que nous pensions que seuls les chrétiens aient été capables de générosité et de solidarité. Beaucoup de femmes et d’hommes se sont donnés avec dévouement dans ces semaines. Nous voulons ici les remercier. Beaucoup d’entre nous se sont joints au concert qui, chaque soir, a applaudi les soignants et ceux et celles dont le travail a maintenu la vie dans notre pays. Mentionnons, à titre d’exemple, outre les personnes exerçant des métiers que l’on dit « petits » mais qui sont indispensables, les enseignants et les chefs d’établissements scolaires qui ont su se rendre disponibles pour accueillir les enfants des soignants. Mgr Bertrand a dit son admiration pour ce qu’il a vu en Lozère. Dans le dévouement de tant de personnes, nous reconnaissons l’œuvre de l’Esprit-Saint inséré dans l’humanité par le Christ et qui travaille l’humanité pour l’élever au-dessus d’elle-même. Ceux qui se sont ainsi donnés recevront peut-être, espérons-le, des marques concrètes de reconnaissance sociale, que ce soit par une nouvelle organisation des hôpitaux ou par des revalorisations salariales. Nous pouvons leur dire, au nom du Christ, que ce qu’ils ont donné d’eux-mêmes ne sera jamais vraiment connu ni reconnu que dans la communion éternelle, mais que ce le sera justement et pleinement, et que ces actes, ces gestes, cet engagement au-delà de ce qui est strictement dû, construisent la destinée de l’humanité beaucoup plus que bien des actions qui apportent à leurs auteurs une gloire terrestre éphémère.

Au sortir de ce temps d’épreuve, en espérant que les signes qui semblent en indiquer la fin soient confirmés, chacun peut se demander s’il a bien fait. Avons-nous été, ai-je été, à la hauteur de cet événement ? Une telle interrogation est inévitable et juste. Elle est la marque de notre humanité. L’Esprit Saint, le Paraclet, Défenseur et Consolateur, nous est donné pour cela. Beaucoup, croyons-nous, peuvent rendre grâce à Dieu d’avoir pu trouver en eux les ressources nécessaires pour vivre ce temps en rejoignant le meilleur d’eux-mêmes et en se laissant entraîner par la grâce un peu au-delà de ce qu’ils auraient prévu. D’autres, - mais ce peut être aussi les premiers sur certains plans de leur vie – sont déçus d’eux-mêmes. Nous croyons qu’il est toujours temps de demander pardon et que le Seigneur est venu précisément pour que notre repentir soit déjà un pas vers la vie plus pleine. L’Église sait que sa nature est sacramentelle : elle donne à voir dans l’humanité le Dieu vivant à l’œuvre pour tirer les hommes vers l’union avec lui et la communion entre eux, mais elle sait l’œuvre de Dieu heureusement plus grande qu’elle ne peut l’être et elle est consciente aussi d’avoir à se reprendre toujours, en chaque âme et en ses structures, pour correspondre toujours mieux à ce que Dieu lui donne d’être. Nous voulons donc ressaisir ce qui a été vécu en ces semaines et essayer d’y recevoir ce que Dieu nous y a donné et ce qu’il nous y a indiqué. Nous le ferons dans nos diocèses et nos paroisses. En priant un certain temps devant le Saint-Sacrement exposé dans la basilique du Sacré-Cœur lundi soir, les membres du conseil permanent et les évêques qui les ont rejoints soit physiquement soit par les ondes ont porté devant le Seigneur ce travail. Car c’est dans l’histoire et à travers l’histoire que Dieu façonne son Église, l’Épouse qu’il veut donner à son Fils.

La liberté de l’Église l’engage à vivre à partir d’elle-même pour accomplir sa mission. Nous avons pris un temps conséquent pour faire le point sur la situation économique de nos diocèses. Il était prévu depuis longtemps, la crise sanitaire et la crise économique qui l’accompagne l’ont rendu plus nécessaire encore. Il est de notre responsabilité de veiller à ce que chaque diocèse ait les moyens de mener à bien sa mission au long des années, pour le service des fidèles et le bien de l’humanité entière. La solidarité inter diocésaine s’exerce déjà par un certain nombre de mécanismes. Elle devra s’intensifier. Tous les baptisés sont responsables que la bonne nouvelle du salut puisse être annoncée ailleurs et partagée et qu’elle puisse susciter des œuvres et des actions concrètes. La prochaine béatification de Pauline Jaricot et la canonisation de Charles de Foucauld, augmentée de celle de César de Bus, nous donneront de belles occasions de nous en souvenir.

La liberté de l’Église nous engage à poursuivre notre travail de reconnaissance des abus sexuels commis par des prêtres et de la souffrance de leurs victimes. Le moteur du processus dans lequel nous sommes engagés n’est ni la pression médiatique ni la crainte d’éventuels jugements de la justice de notre pays ; notre processus, s’il peut être stimulé par ces facteurs externes, trouve sa source surtout dans le Christ notre Seigneur, la mission qu’il nous a confiée comme successeurs des Apôtres, chargés de prendre soin du peuple de Dieu en marche, et son jugement le jour venu. La lumière noire qu’apporte le dévoilement de ces méfaits nous permet, à nous évêques mais avec tous les baptisés, de nous libérer de certaines illusions, d’être plus lucides sur les perversions toujours possibles du pouvoir et surtout d’un pouvoir reconnu comme « sacré », d’être plus exigeants avec nous-mêmes pour que nos comportements personnels et nos fonctionnements institutionnels soient vraiment habités et renouvelés par la charité du Christ et non pas la transposition pieuse de faits trop humains.

Nous savons que la vérité sur ce qui s’est passé nous aide et nous aidera à mieux vivre dans le Christ, car, selon la formule de l’un d’entre nous, « l’Église n’est jamais si sainte que lorsqu’elle se repend de tout son cœur des péchés de ses membres ». Nous remercions les personnes victimes qui nous aident à ce travail en puisant en elles le courage de parler et nous remercions doublement celles et ceux d’entre elles qui acceptent de nous accompagner dans notre processus de renouvellement. Nous voulons réfléchir théologiquement et spirituellement ce que signifie être un corps qui porte ses membres souffrants et coupables, et nous demandons au groupe consacré à la mémoire où Mgr Batut me remplacera d’intégrer cette réflexion avec plus de précision ; nous avons décidé de travailler théologiquement et spirituellement le mystère d’iniquité qui fait qu’un arbre qui porte de bons fruits apparents puisse avoir une racine perverse et produire des fruits mauvais plus cachés. Je remercie la commission doctrinale de préparer un premier schéma sur ce sujet. Les mois de confinement nous ont permis de comprendre qu’il nous fallait approfondir ces sujets tout en accentuant notre travail quant à la prévention et au suivi des prêtres coupables. Nous avons senti que le processus, tel que nous l’avons conçu, n’est pas bien compris par les prêtres, les fidèles, la société civile. Nous devons donc en préciser les contours. Notre assemblée de novembre nous permettra d’entendre le rapport des quatre groupes de travail, en particulier de ceux consacrés à la prévention et au suivi des coupables et nous déciderons de l’opportunité de tenir une assemblée extraordinaire en janvier. Celle-ci nous permettrait de récapituler les réflexions entamées.

Par ailleurs, la CIASE, commission que nous avons voulue et qui est indépendante comme nous l’avons voulu, poursuit son travail en élargissant son champ de recherche: elle renouvelle son appel à témoins, elle envoie des équipes effectuer des sondages dans les archives de quelques diocèses et de quelques congrégations; l’un de nous qui a pu recevoir leur visite avant le confinement a rendu hommage à la justesse de leur attitude; elle souhaite entendre aussi des prêtres coupables non pour les juger mais pour tâcher de mieux comprendre le phénomène et elle souhaite aussi entendre quelques évêques pour mieux sentir comment nous avons réagi naguère et nous réagissons et agissons aujourd’hui. Nous renouvelons à M. Sauvé et aux membres de la CIASE l’expression de notre gratitude pour leur travail dont nous comprenons bien que le résultat ait été reporté de quelques mois. Nous voulons aussi exprimer notre gratitude à M. Christnacht et à la commission avec laquelle il aide les évêques qui le demandent dans le juste accompagnement des prêtres condamnés.

Dans divers secteurs de la société, des abus sexuels ont été mis à jour, et l’opinion sent bien que cela n’est pas fini. Nous puisons dans ces faits un encouragement à poursuivre notre propre travail dans nos diocèses pour promouvoir une culture de l’attention et du respect de tous et de toutes, quelle que soit l’orientation sexuelle de chacun. La liberté de l’Église, en effet, nous permet de croire et d’espérer que la sexualité puisse être pour chacun non pas seulement une force anarchique et irrépressible mais une force humanisante. Le parcours d’intégration de la sexualité de chacun s’est considérablement transformé, certains diront qu’il s’est compliqué, d’autres qu’il s’est enrichi. Pour nous, nous osons croire que l’intégration de la sexualité et les relations qu’elle rend possibles peuvent aboutir à des relations interhumaines apaisées et fécondes, par l’engendrement des nouveaux êtres humains et non moins par la variété des collaborations possibles, dans l’attraction mutuelle maîtrisée, transformée par les liens conjugaux ou par l’amitié.

La violence est pourtant partout dans nos sociétés. Sans doute était-elle cachée. Sans doute la violence est-elle inhérente à la vie sociale : le groupe dominant a toujours du mal à laisser une place réelle aux groupes minoritaires; les groupes minoritaires ont du mal parfois à supporter leur condition avec patience, et parfois ils ont des raisons d’exploser; la capacité d’un groupe d’accepter qu’un de ses membres ait un comportement différent de celui de la grande majorité est forcément variable; la force intérieure nécessaire à ceux qui habitent ensemble de se supporter l’un l’autre sans céder au raccourci de la violence est inégalement distribuée. Le Christ nous appelle pourtant à vivre en communion. Il le fait en nous révélant notre péché, notre refus d’être vraiment hospitaliers les uns aux autres, mais aussi en nous donnant l’espérance que sa grâce nous rend possible une autre manière d’être et de vivre. Les jours où nous parlons sont marqués par la dénonciation des violences policières ; il y a peu notre société découvrait que les pompiers, les gendarmes, les policiers avaient intégré le fait qu’ils ne pouvaient intervenir dans notre pays sans se faire injurier ou agresser. Cela ne saurait justifier des pratiques inspirées par le racisme. Ce constat contrasté nous oblige à reconnaître que nos comportements à tous risquent toujours d’être marqués par des préjugés et que nous avons toujours à nous convertir. La violence, selon le livre de la Genèse, est tapie à notre porte à tous. Personne ne peut trop vite se dire innocent de ce genre d’attitudes, quoi qu’il en soit de ses intentions. Nous savons que la différence des cultures et des histoires est éprouvante. Nous le constatons dans nos assemblées, nos paroisses, nos rassemblements diocésains, encore qu’elles soient souvent des signes, modestes mais certains, de cette espérance. Au milieu du monde, les chrétiens portent et ont toujours à porter l’espérance que les humains sont appelés à constituer une communauté et même une communion, où tous portent chacun et chacun porte tous, communion qui est une annonce de la vie éternelle. Nous ne le devons pas à nos qualités particulières, mais au seul Christ, notre Seigneur. C’est lui que nous voulons servir en étant hospitaliers les uns aux autres, en veillant à ceux et celles qui seront atteints encore davantage par les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire et de son traitement. Puisse notre foi dans le Christ présent en son Eucharistie et y venant à nous nous rendre toujours vigilants les uns sur les autres. Puisse-t-elle fortifier notre désir que tous se découvrent appelés à l’immense dignité des fils et des filles de Dieu, faits pour la liberté de l’Esprit-Saint.

C’est pourquoi, pour achever notre assemblée, nous confions à celles et ceux qui le voudront bien la prière que nous avons adressée au Sacré-Cœur. Nous la confions spécialement aux communautés religieuses, aux monastères, aux personnes consacrés et consacrées : vivant dans la pauvreté, la chasteté et l’obéissance en en ayant fait le vœu, ils et elles sont le signe de la libertas Ecclesiae, la liberté de vivre autrement que le monde, non pour condamner le monde mais plutôt pour aider les hommes et les femmes à s’ouvrir à l’espérance d’une vie plus humaine qui soit divinisante.

Je vous propose, pour achever, que nous la disions tous ensemble :

Seigneur Jésus,

notre lumière, notre force, notre paix, notre joie,

après ces mois d’épreuve sanitaire,

en communion avec tous nos frères et sœurs dans la foi,

nous nous confions à toi.

Nous te confions ceux qui sont morts

et ceux qu’ils laissent dans le chagrin.

Nous venons aussi te rendre grâce et te confier notre pays.

Sois béni

d’avoir été à nos côtés

alors que nous traversions l’épreuve de la pandémie,

comme tu nous as protégés

en bien d’autres circonstances de notre histoire.

Sois béni

pour la prière que ton Esprit a maintenue vivante

alors que ceux qui croient en toi

ne pouvaient se rassembler pour te célébrer.

Sois béni

pour les multiples gestes fraternels à l’égard des plus démunis

et pour le dévouement des soignants

et de tous ceux qui, dans la discrétion,

ont permis notre vie quotidienne.

Sois béni

pour l’accompagnement des malades

et le soutien aux familles éprouvées.

Sois béni

pour l’engagement de ceux qui doivent veiller

sur toutes les composantes de notre communauté nationale.

Nous t’en prions,

accorde maintenant à tous la grâce du discernement

et de la détermination

pour mettre en œuvre les conversions nécessaires

et faire face aux difficultés économiques,

aux défis et aux opportunités de la période à venir.

À chacun des membres de ton Église,

accorde d’être attentif à tous et d’annoncer ton Évangile.

Seigneur Jésus,

remplis-nous de l’amour qui jaillit de ton Cœur transpercé,

libère-nous de toute peur,

fais de nous des témoins de l’espérance

dont tu nous rends capables,

jusqu’au jour où tu nous accueilleras dans la Cité céleste.

AMEN.

© Conférence des Évêques de France - 2020

Église et politique

Un député français chargé d’une mission d’étude sur la diplomatie vaticane

Député modem du Puy-de-Dôme, Michel Fanget a été nommé par le Premier ministre Edouard Philippe fin janvier pour étudier la diplomatie du Saint-Siège et en définir les convergences avec la politique du Quai d’Orsay. Son rapport sera remis à la fin de l'année.

Député Modem du Puy de Dôme et membre de la commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée nationale, Michel Fanget était déjà venu à Rome au mois de novembre dernier, aux côtés d’autres parlementaires membres du Gevi, le Groupe d’études à vocation internationale (qui équivaut au groupe d’amitié entre la France et un État). Si ce déplacement au Vatican entamé le 15 juin est son premier voyage à l’étranger en raison du confinement, sa mission a quant à elle débuté le 20 janvier dernier en France, d’abord auprès du nonce apostolique à Paris Mgr Celestino Migliore.

« L’objectif est de proposer au gouvernement français des orientations de coordination voire de coopération des actions diplomatiques françaises et vaticanes. Il s’agit d’examiner à la fois l’action et l’influence de la diplomatie vaticane dans le monde », explique l’élu clermontois. Il s’agit en effet pour la France de « dégager des actions communes » avec la diplomatie pontificale.

Comprendre “la singularité vaticane

L’un des objectifs de cette mission est de comprendre ce qui fait la « singularité de cette diplomatie vaticane », poursuit le député. Il est donc pour cela nécessaire pour la France d’en comprendre les arcanes et les structures. Lors de son séjour romain, Michel Fanget a pu rencontrer des chefs de dicastères comme Mgr Paul Gallagher, Secrétaire pour les relations avec les États, mais aussi le cardinal Ayuso Guixot, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, ou encore le cardinal Luis Antonio Tagle, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples.

La visite romaine de Michel Fanget l’a mené également auprès des responsables de Caritas Internationalis, rouage essentiel d’une “autre diplomatie”, celle de la charité de l’Église, ainsi que de la communauté Sant’Egidio, qui bien que n’étant pas de droit pontifical, est soutenue par le Saint-Siège dans ses efforts de médiation diplomatique. « C’est en cela, à travers ces différentes dimensions que la diplomatie vaticane nous paraît singulière » explique Michel Fanget.

Parmi les thématiques abordées lors de ces rencontres avec les responsables du Vatican, la défense du multilatéralisme, la nécessité de poursuivre les engagements écologiques et le dialogue interreligieux. « Il y a également des sujets qui nous séparent, principalement la question du nucléaire », souligne Michel Fanget, qui rappelle que lors de sa visite en novembre dernier, le Pape François rentrait tout juste du Japon où il avait lancé avec force un plaidoyer pour la dénucléarisation.

La recherche de ponts

Cette mission, explique le député, s’inscrit aussi dans « la volonté de dresser des ponts, comme dit le Saint-Père, dans la recherche de la paix et l’établissement de médiations, je crois que l’on se rapproche beaucoup ». « Globalement nos diplomaties respectives ont les mêmes objectifs et sont assez proches, précise t-il, même si la méthode est parfois différente ».

Michel Fanget devrait remettre son rapport au Premier ministre autour de la fin novembre. Après Rome, il prévoit également de se rendre au Maroc, où le Pape François s’est rendu l’an dernier, mais aussi au Liban, pays crucial pour comprendre la géopolitique des chrétiens d’Orient, sans oublier l’Amérique du Sud, le continent d’origine du Souverain Pontife.

© Radio Vatican - 2020

 

[1] Collectif coordonné par le Secours Catholique-Caritas France, dont Justice et Paix est membre ; www.contrelatraite.org (Actualités : des articles de février, mars, avril, mai portent sur les conséquences de la crise sanitaire sur la traite des êtres humains)

[2] AFJ, Association Foyer Jorbalan : http://www.contrelatraite.org/index.php/victimes_francaises

[3] CCEM : Comité contre l’esclavage moderne : http://www.contrelatraite.org/suivi_victimes_covid19 ; OICEM, Organisation internationale contre l’esclavage moderne : http://www.contrelatraite.org/index.php/corona-exploitation-travail

[4] Hors la rue : http://contrelatraite.org/corona-mineurs-danger

[5] CNCDH, Avis du 28 avril 2020 sur « La création d’un mécanisme national de référence en France, pour l’effectivité des droits des personnes victimes de traite des êtres humains » : www.cncdh.fr

Commentaire

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans l’Évangile d’aujourd’hui (cf. Mt 10,26-33), après avoir appelé et envoyé ses disciples en mission, le Seigneur Jésus les instruit et les prépare à affronter les épreuves et les persécutions qu’ils rencontreront. Partir en mission, ce n’est pas faire du tourisme, et Jésus avertit les siens : « Vous rencontrerez des persécutions ». Il les exhorte ainsi : « N’allez donc pas les craindre ! [les hommes]. Rien, en effet, n’est voilé qui ne sera révélé […]. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour […]. Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme » (vv. 26-28). Ils ne peuvent tuer que le corps, ils n’ont pas le pouvoir de tuer l’âme : de ceux-là, n’ayez pas peur. L’envoi en mission par Jésus ne garantit pas aux disciples le succès, de même qu’il ne les met pas à l’abri des échecs ni des souffrances. Ils doivent tenir compte de la possibilité du refus comme de la persécution. Cela fait un peu peur, mais c’est la vérité.

Le disciple est appelé à conformer sa vie au Christ qui a été persécuté par les hommes, a connu le refus, l’abandon et la mort sur la croix. Il n’existe pas de mission chrétienne à l’enseigne de la tranquillité ! Les difficultés et les tribulations font partie de l’œuvre d’évangélisation, et nous sommes appelés à trouver dans celles-ci l’occasion de vérifier l’authenticité de notre foi et de notre relation avec Jésus. Nous devons considérer ces difficultés comme la possibilité d’être encore davantage des missionnaires et de grandir dans cette confiance en Dieu, notre Père, qui n’abandonne pas ses enfants à l’heure de la tempête. Dans les difficultés du témoignage chrétien dans le monde, nous ne sommes jamais oubliés, mais toujours assistés par la sollicitude attentionnée du Père. C’est pourquoi, dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus rassure ses disciples à trois reprises en disant : « N’ayez pas peur ! »

De nos jours aussi, frères et sœurs, la persécution contre les chrétiens est présente. Nous prions pour nos frères et sœurs qui sont persécutés et nous louons Dieu, parce qu’en dépit de cela ils continuent à témoigner de leur foi avec courage et avec fidélité. Que leur exemple nous aide à ne pas hésiter à prendre position pour le Christ, en lui rendant témoignage courageusement dans les situations de chaque jour, y compris dans des contextes apparemment tranquilles. En effet, l’absence d’hostilité ou de tribulations peut aussi être une forme d’épreuve. A notre époque aussi, le Seigneur nous envoie aussi non seulement comme « des brebis au milieu des loups », mais comme des sentinelles au milieu de gens qui ne veulent pas être éveillés de leur torpeur mondaine, qui ignorent les paroles de Vérité de l’Évangile, en se construisant leurs propres vérités éphémères. Et si nous allons dans ces milieux, ou si nous y vivons, et que nous disons les Paroles de l’Évangile, cela dérange et on nous regarde de travers.

Mais en tout cela, le Seigneur continue de nous dire, comme il le disait aux disciples de son temps : « N’ayez pas peur ! ». N’oublions pas ces mots : quand nous affrontons des difficultés, des persécutions, des choses qui nous font souffrir, écoutons toujours la voix de Jésus dans notre cœur : « N’ayez pas peur ! N’aie pas peur, avance ! Je suis avec toi ! ». N’ayez pas peur de ceux qui se moquent de vous et vous maltraitent, et n’ayez pas peur de ceux qui vous ignorent ou vous honorent par « devant », mais par « derrière » combattent l’Évangile. Il y a tant de personnes qui, par devant, nous font des sourires et qui, par derrière, combattent l’Évangile. Nous en connaissons tous. Jésus ne nous laisse pas seuls parce que nous sommes précieux pour Lui. C’est pour cela qu’il ne nous laisse pas seuls : chacun de nous est précieux pour Jésus, et Il nous accompagne.

Que la Vierge Marie, modèle d’adhésion humble et courageuse à la Parole de Dieu, nous aide à comprendre que dans le témoignage de la foi ce ne sont pas les succès qui comptent, mais la fidélité, la fidélité au Christ, en reconnaissant en toute circonstance, même les plus problématiques, le don inestimable d’être ses disciples missionnaires.

© Libreria Editrice Vaticana – 2017