Pko 19.04.2020

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°18/2020

Dimanche 19 avril 2020 – Dimanches de la Miséricorde – Année A

Humeurs…

Joies et déconvenues !!!

Depuis le 20 mars, date de la mise en place du « confinement » l’Accueil Te Vai-ete délocalisé au presbytère de la Cathédrale et le Truck de la Miséricorde n’ont pas chômé ! Une mission auprès de nos amis de la rue assurée par une équipe de bénévoles réduite mais infatigable.

Le quotidien avec les « oiseaux », tant ceux qui demeurent dans la « petite colonie » 1 que des autres est semé de joie et de déconvenues !

Joie, parce qu’une véritable harmonie et participation à l’entretien et aux tâches qui incombe à la vie ensemble se fait depuis les premiers jours.

Ainsi dès le premier jour, de leur propre initiative un petit groupe à fait le grand ménage dans la Cathédrale : grand lavage du sol, poussière sur les bancs… D’autres chaque matin, balayent tout autour de la Cathédrale : les alentours de la Cathédrale n’ont jamais été aussi propre !

C’est aussi la disponibilité et la volonté de se rendre utile, de rendre service des uns dès que nous les sollicitons pour un travail ou une activité… sans qu’un retour ne soit attendu ou sollicité…

C’est la participation d’un certain nombre d’entre eux à la confection des repas du matin, et de deux d’entre eux aux maraudes du soir… dans une ambiance bon enfant… même quand « père » se met en colère pour une quelconque futilité !

C’est l’accueil des nouveaux arrivants, parfois très perturbant parce que troublé ou ayant un comportement psy particulièrement lourd !

Joie de voir des personnes n’ayant rien, heureuses de donner ce qu’elles ont, capable de vivre ensemble sans agressivité, ou une agressivité gérée…

Joie d’une solidarité que l’on ne voit pas dans le brouhaha du quotidien et que ce confinement met en lumière !

Déconvenue, parce que cela reste une communauté humaine avec ses défaillances, ses travers…

Deux des « oiseaux » ont profité de la nuit et du ouvre-feu pour aller voler un magasin du Centre Vaima… arrêtés, ils sont désormais à Hollywood après une comparution immédiate, pour 4 mois ferme !

D’autres avaient déjà, en début de confinement, volé dans un magasin de téléphone… mais semble-t-il n’ont pas encore été arrêtés… mais ont disparus de la circulation !!!

Deux autres se sont introduit au 1er étage du presbytère dans la nuit et ont volé deux caisses de punu puaatoro avant de disparaître dans la nature… compromettant la confection des colis alimentaires aux familles ayant un toit mais en grande détresse et de plus en plus nombreuses !

Joies et déconvenues animent nos journées de confinement… ne décourageant pas les bénévoles parce que la pâte humaine est vivante et qu’au-delà des petites déceptions… l’espérance dans le cœur de l’homme est plus grande que tout…

« Tu vaux plus que tes actes »

Croire en Dieu… c’est croire en l’homme au-delà des erreurs !

Merci pour vos prières, vos dons… votre soutien !

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Reste une question fondamentale : Qu’adviendra-t-il demain pour les sans-abris confinés dans le centre d’accueil du pays… rejoindront-ils la « petite colonie » de la Cathédrale ? Un sursis leur sera donné jusqu’aux élections municipales… mais après ?

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1   Terme méprisant utilisé par les Autorités du Pays pour parler des sans-abris qui résident autour de la Cathédrale ou qui viennent y prendre un repas.

La roue qui tourne… même confinée…

Oui… mais…

La population confinée depuis près d’un mois attendait avec impatience l’allocution du président de la République. Une allocution qui présageait un prolongement du confinement certes, néanmoins des réponses, des solutions, une rage de vaincre ce virus étaient attendues. Comme en temps de guerre, on avait besoin du cri d’un chef prêt à tout pour continuer notre quotidien dans nos tranchées.

Et comme cri de guerre, nous avons eu qu’une litanie de « oui… mais… ».

Le président a retracé la situation et, à chaque aveu, à chaque lucidité devant la réalité, un « oui… mais… » venait clore le débat et éteindre la moindre étincelle d’espoir. Oui, nous sommes juste bons à nous terrer, faute de savoir comment et d’avoir les armes nécessaires pour combattre l’ennemi.

« Oui… mais… », une faute justifiée… expliquée… mais quelle faute, l’acte ou l’aveu ? Force est de constater que le président ravalait chaque aveu qu’il faisait. Car, dans la gestion de la pandémie, rien n’est à améliorer… dormez tranquilles braves gens… le président fait de son mieux… quel soulagement ! Et des prouesses, comme les lits doublés dans les hôpitaux… une première historique !

L’écho de ce « oui… mais… » n’a pas fini de retentir. Cette allocution restera dans les mémoires, mais pas comme l’on pourrait le penser… ou l’espérer sûrement l’auteur. Le courage, la résilience, l’action, tout ce qui fait d’un homme un grand président, voire même, un président tout court n’existent plus. L’allocution présidentielle en est la preuve. Aujourd’hui, la seule chose qui pourrait se qualifier d’historique est le fatalisme ambiant.

En 27 petites minutes, cette allocution n’a laissé que ses attendes restées en suspens et un sentiment d’insécurité renforcé… un bilan catastrophique.

Devant cette débâcle, « peut mieux faire » pour un président de la République est l’appréciation qui s’impose. En tout cas, si un jour, l’envie lui prenait d’y apporter de vraies réponses, qu’il se contente d’un oui ou non… le reste ne regarde que sa conscience !

« Oui… mais… », voulons-nous répondre ironiquement à cette allocution qui sonnait creux, comme une confession sans repentance. Or, avec tout le respect dû à un président, la conscience, même présidentielle, n’était pas notre souci et ne justifie pas une allocution.

Voilà quatre mois écoulés depuis son apparition et personne n’en sait davantage sur ce Covid-19. Nous attendions un plan d’action et nous n’avons qu’une politique de l’autruche, attendant que le méchant Covid-19 ne passe. Nous attendions une volonté farouche d’agir pour s’en sortir et nous n’avons qu’un « oui… mais… ». Nous voulions être sûrs que tout est mis en place pour nous sortir de cette mauvaise passe, dans les meilleures conditions et dans les plus brefs délais et nous n’avons qu’un lourd sentiment d’avancer à l’aveuglette.

La chaise confinée

© Cathédrale de Papeete – 2020

Laissez-moi vous dire…

Dimanche 19 avril : Dimanche de la Divine Miséricorde

Le difficile exercice de la Miséricorde

Dimanche dernier, jour de Pâques, vers 7h notre voisin lançait ses deux enfants à la chasse aux œufs. C’était un délice d’entendre les cris de joie de ces petits.

Puis vers 10h, toujours du côté du même voisin, bruits de marteau, de scie… Mon épouse et moi venions de suivre à la télévision la messe solennelle de la Résurrection. Curieux tintamarre pour un jour de Pâques, celui-ci était soutenu par une compilation de chansons de Georges Brassens !

Une fois installé à mon bureau, résonnaient en moi des voix contradictoires. Celle de ma grand-mère maternelle, impulsive et impétueuse : « Il faut lui voler dans les plumes ! Tu te rends compte … un jour de Pâques, ce n’est pas respectueux ». Je comprenais soudain pourquoi des conflits pouvaient naître entre voisins, et que certains, tellement excédés, en viennent aux mains. Une autre voix, celle d’un ange, me soufflait : « Sois miséricordieux. Ton voisin a peut-être besoin de déloger une certaine agressivité, une contrariété… ». C’est alors que Brassens se mit à entonner le « Je vous salue Marie » reprenant les paroles de « La Prière » de Francis Jammes. Un grand calme se fit en moi ; et oh surprise ! le voisin a relancé une seconde fois cette chanson… Puissance de la prière ? sans doute, l’énervement a fait place à la louange et à l’action de grâce.

Aujourd’hui, nous sommes invités par l’Église à méditer sur la Divine Miséricorde, et à invoquer, avec sœur Faustine, Jésus Miséricordieux. Quand on lit les Évangiles proposés pour la première semaine du temps pascal on est surpris par l’attitude du Christ ressuscité. Il se montre aux disciples d’Emmaüs (Luc 24, 13-35) sous les traits d’un voyageur, Il ne montre aucune haine, aucune rancœur à l’égard de ceux qui L’ont crucifié. Dans sa grande miséricorde Il partage le Pain de vie. Cela suscite une grande joie au cœur de ces deux disciples.

Et lorsque Jésus apparaît aux Onze (Luc 24, 35-48), quelle est sa première parole ? « La paix soit avec vous ! » Puis Il leur montre qu’il est vraiment le Crucifié, et demande à manger. Et quand Jésus se manifeste au bord du lac de Tibériade (Jean 21, 1-14), Il invite ses Apôtres à manger du bon poisson et du pain grillés sur la braise.

A aucun moment le Christ Ressuscité ne leur fait de reproches. Le péché a été pardonné, leur lâcheté est oubliée. Ce qui compte pour le Christ c’est d’apporter la Paix, la Joie, l’Amour, la Miséricorde infinie de Dieu.

Ce dimanche est l’occasion pour chaque chrétien(ne) d’examiner si sa vie chrétienne est conforme à l’une des exigences prioritaires posées par le Christ : l’exercice de la Miséricorde.

« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Matthieu 5,7)

En ces temps difficiles que vit l’humanité, il est fondamental de pratiquer des œuvres de miséricorde.

Le Catéchisme de l’Église Catholique (CEC) nous rappelle quelles sont ces œuvres que nous devons pratiquer à l’égard de notre prochain. Les œuvres corporelles sont : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter prisonniers, ensevelir les morts. Et les œuvres spirituelles sont également au nombre de sept : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts. (Référence : CEC 2447)

L’exercice de la Miséricorde ne va pas toujours de soi. Voilà pourquoi il nous faut constamment invoquer Jésus Miséricordieux.

Dominique SOUPÉ

© Cathédrale de Papeete – 2020

Regard sur l’actualité…

Cyclone Harold

Alors que la pandémie du Covid 19 polarise notre attention et fait la une de nos médias, un autre fléau s’est abattu il y a peu sur les îles du Vanuatu et de ses voisins, le cyclone Harold. « Outre Vanuatu, le cyclone de catégorie 5, catégorie la plus puissante, a également balayé les îles Salomon, les Fidji et les Tonga. Au Vanuatu, l’ONG World Vision affirme que 35% de la population (près de 300 000 habitants) se trouve désormais dans des centres d'accueil des suites de la tempête qui a atteint les 230 km/h, et créé des vagues de huit à dix mètres. Les dégâts les plus importants sont répertoriés dans les îles de Pentecôte, Ambae et Espiritu Santo, où se trouve Luganville, la deuxième ville du pays. ». (Source Vatican News 14 Avril 2020) 

Particulièrement lié au diocèse de Port Vila, Mgr CALVET, archevêque de Nouméa nous fait part de ses premières informations sur cette catastrophe : « Les communications continuent à se rétablir au Vanuatu. Le gouvernement devrait, comme il y a 5 ans pour le cyclone Pam, décider l'état d'urgence pour une période d'un mois, en plus de l'urgence déjà en cours pour la pandémie du coronavirus (aucun cas prouvé à ce jour au Vanuatu). Les gens à l'extérieur commencent des collectes pour aider Melsisi (sur l’île de Pentecôte, particulièrement touchée). La Procure de Nouméa peut recevoir les dons et les faire parvenir au diocèse de Port-Vila. Rappel : dans l'état actuel des dégâts dans le Nord du Vanuatu il est essentiel de pousser, dès maintenant, à la remise en production des cultures vivrières (graines, tiges de kumalas, boutures de manioc, etc.) de sorte que, dans quelques (environ 5) mois, l'autosuffisance alimentaire soit rétablie. En attendant, la situation alimentaire va devenir tendue. Il faudra de l'aide en argent pour permettre d'acheter sur place du riz, etc. Nous n'avons encore que très peu d'information sur la situation à Fidji et à Tonga affectés aussi par le même cyclone ».

Un rapport en Anglais concernant la communauté de Melsisi dont parle Mgr Calvet nous est parvenu. En voici une traduction en Français :

« L’église a été sévèrement endommagée, il n’y a plus de toit ! Elle est devenue inutilisable. Les rassemblements de prière ont lieu dehors, mais les arbres ayant été détruits, il n’y a pas d’endroit ombragé. Le presbytère a également beaucoup souffert. Le toit n’existe plus, et tout ce qui était à l’intérieur, meubles, équipement, provisions etc… est perdu. Deux pièces un peu moins endommagées sont utilisées comme hôpital de fortune, et le prêtre dort dans une autre maison de la mission relativement épargnée.

Le bâtiment de la communauté des sœurs qui servait à loger l’équipe médicale locale a également été touché. Le toit a disparu. La Salle Monnier, une salle communautaire, a été détruite. Le cyclone a enlevé le toit, mais a également causé l’effondrement d’une partie des murs, blessant mortellement une personne qui y avait trouvé refuge durant le cyclone. Les écoles primaire et secondaire ont également subi de forts dommages : salles de classe, salles des profs, réfectoire, boulangerie, cuisine, générateurs… Heureusement, aucun élève ne se trouvait présent, les écoles ayant été fermées suite à l’épidémie du Covid 19. Le “mini-hôpital” de la mission qui assurait les services médicaux essentiels pour les régions sud et centre de l’île de Pentecôte est complètement hors service ! Le toit et tout l’équipement ont été détruits. Les logements des infirmières sont devenus inhabitables. Une clinique provisoire a été improvisée dans ce qui reste du presbytère.

Le conduit qui alimentait en eau a été cassé en plusieurs endroits. Il reste quelques réservoirs d’eau de pluie, mais qui seront vite insuffisants car il n’y a plus de toits ni de collecteurs pour remplir ces réservoirs à nouveau. Les gens utilisent la rivière et la mer pour se laver et laver leur linge. Les toilettes publiques ont été aussi détruites, et ceux qui avaient des toilettes dans leurs maisons ne peuvent plus s’en servir car il n’y a plus d’eau… Tout cela crée une situation sanitaire dangereuse. Les cocotiers, source de nourriture pour beaucoup sont très endommagés : certains ne s’en relèveront pas, d’autres mettront du temps avant de redonner du fruit, la plupart n’ont plus de feuilles ».

Voici les derniers mots de ce rapport, c’est un appel à l’aide. Le voici en version originale : « The Melsisi community and mission will need major assistance in rebuilding and recovering from this catastrophe. Any assistance that is available will be gratefully received ».

« La communauté et la Mission de Melsisi ont besoin d’une aide substantielle pour se reconstruire et se rétablir de cette catastrophe. Toute assistance disponible sera reçue avec reconnaissance ».

Pour répondre à cet appel à l’aide, le Secours Catholique de notre Diocèse ainsi que la paroisse de la Cathédrale vont déjà envoyer une aide financière. Vous comme moi savons toutes les difficultés financières que nombre d’entre vous devez affronter en cette période. Cependant, ceux et celles qui le peuvent et qui le souhaitent peuvent faire un versement sur le compte du CAMICA :

C/B : « CAMICA » Banque de Tahiti n° 12239-00001-801821 010 00-42 avec mention « pour le VANUATU ». Merci

+ Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU

© Cathédrale de Papeete – 2020

Audience générale

La paix nécessite des voies nouvelles pour aimer

Lors de l’audience générale de ce mercredi 15 avril 2020, tenue dans la bibliothèque du Palais apostolique, le Pape François est revenu sur le sens de la septième béatitude : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9). Il a expliqué que la paix du Christ est le fruit de sa mort et de sa résurrection, et qu’œuvrer pour la paix impose de chercher des « voies toujours nouvelles pour aimer ».

Chers frères et sœurs, bonjour !

La catéchèse d’aujourd’hui est consacrée à la septième béatitude, celle des “artisans de paix”, qui sont proclamés fils de Dieu. Je me réjouis qu’elle tombe tout de suite après Pâques, parce que la paix du Christ est le fruit de sa mort et de sa résurrection, comme nous l’avons écouté dans la Lecture de saint Paul. Pour comprendre cette béatitude il faut expliquer le sens du mot “paix”, qui peut être mal compris ou parfois banalisé.

Nous devons nous orienter entre deux idées de paix : la première est la paix biblique, où apparaît la très belle expression shalòm, qui exprime l’abondance, la prospérité, le bien-être. Lorsque l’on souhaite shalòm en hébreu, on souhaite une vie belle, remplie, prospère, mais aussi selon la vérité et la justice, qui trouveront leur accomplissement dans le Messie, prince de la paix (cf. Is 9,6; Mic 5,4-5).

Il y a ensuite l’autre sens, plus répandu, selon lequel le mot “paix” est entendu comme une sorte de tranquillité intérieure : je suis tranquille, je suis en paix. C’est une idée moderne, psychologique et plus suggestive. On pense communément que la paix est le calme, l’harmonie, l’équilibre intérieur. Cette acception du mot “paix” est incomplète et ne peut pas être absolutisée, car l’inquiétude peut être un moment de croissance important dans la vie. Souvent c’est même le Seigneur qui sème en nous l’inquiétude pour aller à sa rencontre, pour le trouver. En ce sens elle est un moment de croissance important ; tandis qu’il peut arriver que la tranquillité intérieure corresponde à une conscience domestiquée et non pas à une véritable rédemption spirituelle. Souvent le Seigneur doit être “signe de contradiction” (cf. Lc 2,34-35), en secouant nos fausses sécurités, pour nous conduire au salut. En ce moment nous avons l’impression de ne pas avoir de paix, mais c’est le Seigneur qui nous met sur ce chemin pour parvenir à la paix qu’Il nous donnera.

À ce stade nous devons rappeler que le Seigneur entend sa paix comme différente de la paix humaine, celle du monde, lorsqu’il dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. » (Jn 14,27). La paix de Jésus est autre, différente de la paix mondaine.

Demandons-nous : comment le monde donne-t-il la paix ? Si nous pensons aux conflits belliqueux, les guerres se concluent normalement de deux façons : soit par la défaite d’une des deux parties, soit par des traités de paix. Nous ne pouvons que souhaiter et prier pour que l’on emprunte toujours cette deuxième voie ; mais nous devons considérer que l’histoire est une série infinie de traités de paix démentis par les guerres successives, ou par la métamorphose de ces guerres d’autres façons et en d’autres lieux. À notre époque aussi, une guerre “en morceaux” est combattue sur plusieurs scènes et de diverses façons. Nous pouvons au moins suspecter que dans le cadre d’une globalisation faite surtout d’intérêts économiques ou financiers, la “paix” de certains correspond à la “guerre” des autres. Et cela n’est pas la paix du Christ !

Au contraire, comment le Seigneur Jésus “donne”-t-il sa paix ? Nous avons écouté saint Paul dire que la paix du Christ est de “faire un, à partir de deux” (cf. Eph 2,14), d’effacer l’inimitié et de réconcilier. Et le chemin pour accomplir cette œuvre de paix est son corps. Il réconcilie en effet toutes les choses et il fait la paix par le sang de sa croix, comme le dit ailleurs le même Apôtre (cf. Col 1,20).

Et ici je m’interroge, nous pouvons tous nous interroger : qui sont donc les “artisans de paix” ? La septième béatitude est la plus active, explicitement opérationnelle ; l’expression verbale est analogue à celle qui est utilisée pour la création au premier verset de la Bible et elle exprime l’initiative et le labeur. L’amour est créatif par sa nature – l’amour est toujours créatif – et il recherche la réconciliation quel qu’en soit le prix. Ceux qui sont appelés fils de Dieu, ce sont ceux qui ont appris l’art de la paix et qui l’exercent, qui savent qu’il n’y a pas de réconciliation sans donner sa propre vie et que la paix doit être cherchée toujours et partout. Toujours et partout : n’oubliez pas cela ! Elle doit être cherchée comme cela. Elle n’est pas une œuvre autonome fruit de ses propres capacités, elle est manifestation de la grâce reçue du Christ, qui es notre paix, qui nous a rendus fils de Dieu.

La véritable shalòm et le véritable équilibre intérieur jaillissent de la paix du Christ, qui vient de sa Croix et qui génère une humanité nouvelle, incarnée dans une foule infinie de saints et de saintes, inventifs, créatifs, qui ont inventé des chemins toujours nouveaux pour aimer. Les saints, les saintes qui construisent la paix. Cette vie d’enfants de Dieu, qui cherchent et retrouvent leurs frères par le sang du Christ, est le vrai bonheur. Bienheureux ceux qui empruntent ce chemin.

Et à nouveau bonne Pâques à tous, dans la paix du Christ !

© Libreria Editice Vaticana - 2020

Covid-19 – Réflexion philosophique

Le dire et le faire

Ce texte de Régis Debray est également publié dans la collection "Tracts" de Gallimard, qui fait paraître chaque jour des textes brefs et inédits, pour "trouver les mots justes" en temps de crise.

Me faisant part de l’angoisse montante de ses patients, notamment les plus âgés, un ami médecin me dit : « L’inflation de la communication, c’est peut-être un progrès, mais cela perturbe les certitudes. » On ne peut mieux résumer l’impression que donne ce tourbillon de propos plus ou moins autorisés qui fait perdre la tête, et le sens des choses. C’est l’inconvénient du numérique, et sans doute un progrès de la démocratie que chacun puisse donner son opinion sur tout, et de préférence sur ce qu’il ne connaît pas. La parole prolifère en même temps que le virus. Elle ne touche que l’esprit, c’est beaucoup moins grave. Avec un bémol : la sournoise montée d’un certain nihilisme, dont je ne suis pas sûr, comme l’ami Finkielkraut, qu’il soit vaincu. Tout peut se dire, et son contraire, sans que rien ne différencie le fondé de l’infondé. Donc tout se vaut et rien ne vaut. Qui croire ? À qui s’en remettre ? Où est la parole d’autorité ?

Autorité et brièveté sont synonymes

Pas vraiment chez les autorités politiques. Ne tirons pas sur le pianiste, il faut bien improviser face à l’imprévisible. Mais les crises générales sont impudiques : elles déshabillent les rois et passent les sociétés aux rayons X, nous en montrant l’esprit. Soit un croissant décalage entre le dire et le faire, source de défiance et de suspicion. Nous sommes en guerre, nous dit-on, mais on cherche le général en chef, celui qui dit beaucoup en très peu de mots. Veni vidi vici. Sans remonter à César, souvenons-nous du Général, qui en quelques phrases, moins de trois minutes, pulvérise un coup d’État en Algérie, et plus tard, le psychodrame chaotique d’un long mois de Mai. Une phrase, un acte. Pas un mot de trop, et chaque mot à sa place. Comme la reine d’Angleterre, quatre minutes. Imperatoria brevitas. Autorité et brièveté sont synonymes. Un historien mettra demain en regard la dilution de la puissance publique, sur un demi-siècle, et le délayage des allocutions officielles. Moins ça peut, plus ça cause.

Interrogé avant de mourir sur ce qu’il considérait comme « la caractéristique de notre temps », Malraux répondit sèchement : « L’absence de décision ». D’où sortent la demi-mesure militaire et le compromis parlementaire : un demi-soldat dans un demi-char et un allez voter et restez chez vous. On sait comment l’État en France, quand il a choisi de se suicider pour, dit-il, se moderniser, a inventé toutes sortes d’organes de défausse au titre plus ou moins pompeux – Comités, Hauts-conseils, Observatoires, Forums, Conventions, etc. – et dix autres « autorités administratives indépendantes ». Ces inlassables fournisseurs de rapports pour rien ont pour la plupart l’utilité du figurant sur scène, quand l’acteur n’y est plus. L’ancien État-nation en panne de volonté et de substance a cru bon d’ajouter à la panoplie de ses abdications cette machine à ne pas prendre de décision qu’on appelle – un oxymore ? – l’Union européenne. Bulle à blabla et tiroir-caisse. La valise bruxelloise à double fond engage à sortir de l’histoire par la petite porte, non d’y rentrer par la grande. Les occasions d’essayer n’ont pourtant pas manqué. Celle-ci aurait pu, mais ne sera pas l’une d’elles.

Les consultants et experts

Remarquée a été la présence ostentatoire, sur les plateaux, à côté de nos gouvernants, de consultants et d’experts. Ils se font escorter par un, ou même deux Conseils scientifiques, créés pour l’occasion, au nom desquels ils se prononcent. C’est pas nous, c’est Monsieur le professeur. Certains ont vu là une atteinte aux prérogatives de l’Exécutif. Je n’en suis pas si sûr. Le Pouvoir exécutif n’apparaît jamais seul en scène. Il a derrière lui, ou plutôt au-dessus, une transcendance en pointillé. Elle a changé de nature depuis Saint-Paul qui disait, en bon connaisseur de l’autorité : « Omnis potestas a Deo ». Tout pouvoir procède d’un grand Autre. Chaque époque le sien.

L’art meurtrier du blabla est aussi celui de ne pas répondre aux questions, mais très abondamment

Le Chef l’est par délégation d’un surplomb, projection d’une verticale ici-bas. Le véritable commandant ne parle pas en son nom propre, car c’est toujours et partout un lieutenant – de Dieu, du Prolétariat, de la République ou de la France. Cette sujétion à plus grand que soi fait sa force. Saint-Louis, Lénine, Clémenceau ou De Gaulle étaient d’autant plus écoutés qu’ils servaient de truchement à une valeur suprême. Quand on ne peut incarner cette transcendance – parce que l’ordinaire des temps ne s’y prête pas – force est de la mettre au dehors, à côté de soi, puisqu’elle n’est plus en dedans. En l’occurrence, la Science, arbitre suprême et sans réplique. Le problème est que la science médicale est par nature sujette à controverses, suppositions et incertitudes, en quoi justement elle est une science. C’est l’inconvénient d’avoir pour alibi une science expérimentale. Contrairement aux absolus d’antan, qui étaient des objets de foi, incontestables à ce titre, elle s’atteste dans et par le relatif. Avec un savoir heureusement et désespérément empirique, le pilier devient béquille. On chancelle.

« Faire en sorte que »

Conséquence : plus de lest dans le discours. La communication, dont vit la classe politique qui s’imagine pouvoir survivre par elle à son discrédit, a tué le politique et ruiné sa crédibilité. L’art meurtrier du blabla est aussi celui de ne pas répondre aux questions, mais très abondamment. Parmi ces « éléments de langage », il en est un qui frappe par son omniprésence : le viral « faire en sorte que » du politicien (en moyenne, trois ou quatre fois par minute). Ce n’est plus un tic mais un aveu. Puisque dire n’est plus faire, et que la parole n’est plus un acte, on annonce ce qu’on devra faire mais plus tard, sans préciser quand ni qui. Plutôt un souhait qu’un engagement. On aimerait bien que. On procrastine sur un coup de menton. Les avantages de la résolution sans les inconvénients. L’affiche sans la chose. C’est la ritournelle magique du désarroi – le stigmate rhétorique d’un temps malheureux qu’on espère bien provisoire, mais il en est tant d’autres qu’éprouvent soignants et malades dans leur chair, qu’on a presque honte de devoir évoquer celui-là, fut-ce en peu de mots. Mille excuses.

© Revue Marianne - 2020

Covid-19 - Philosophie

La mort fait partie de la vie
Coup de gueule du philosophe André Comte-Sponville sur l’après confinement

Le célèbre philosophe, auteur du « Petit traité des grandes vertus » (Seuil), André Comte-Sponville a publié une vingtaine d’ouvrages et a partagé dans « Grand Bien Vous Fasse » son sentiment quelque peu alarmiste quant à la société de l'après-confinement.

André Comte-Sponville : « Il faut d'abord se rappeler que l'énorme majorité d'entre nous ne mourra pas du coronavirus. J'ai été très frappé par cette espèce d'affolement collectif qui a saisi les médias d'abord, mais aussi la population, comme si tout d'un coup, on découvrait que nous sommes mortels. Ce n'est pas vraiment un scoop. Nous étions mortels avant le coronavirus, nous le serons après.

Montaigne, dans Les Essais, écrivait : « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant ».

Autrement dit, la mort fait partie de la vie, et si nous pensions plus souvent que nous sommes mortels, nous aimerions davantage encore la vie parce que, justement, nous estimerions que la vie est fragile, brève, limitée dans le temps et qu'elle est d'autant plus précieuse. C'est pourquoi l'épidémie doit, au contraire, nous pousser à aimer encore davantage la vie.

Et puis, André Comte-Sponville note que l'énorme majorité d'entre nous mourra d'autres choses que du coronavirus. « Il faut quand même rappeler que le taux de mortalité, les experts en discutent toujours, mais c'est un ou deux pour cent. Sans doute moins quand on aura recensé tous les cas de personnes contaminées qui n'ont pas de symptômes ».

« Est-ce la fin du monde ? »

André Comte-Sponville : « C'est la question qu'un journaliste m'a récemment posée. Vous imaginez ? Un taux de létalité de 1 ou 2 %, sans doute moins, et les gens parlent de fin du monde. Mais c'est quand même hallucinant. Rappelons que ce n'est pas non plus la première pandémie que nous connaissons.

On peut évoquer la peste, au XIVe siècle, qui a tué la moitié de la population européenne. Mais on a rappelé récemment dans les médias, à juste titre, que la grippe de Hong Kong dans les années 1960 a fait un million de morts. La grippe asiatique, dans les années 1950, a tué plus d'un million de personnes. Autant dire beaucoup plus qu'aujourd'hui dans le monde. On en est à 120 000 morts. En France, les 14 000 morts est une réalité très triste, toute mort est évidemment triste mais rappelons qu'il meurt 600 000 personnes par an en France. Rappelons que le cancer tue 150 000 personnes en France.

En quoi les 14 000 morts du Covid-19 sont-ils plus graves que les 150 000 morts du cancer ? Pourquoi devrais-je porter le deuil exclusivement des morts du coronavirus, dont la moyenne d'âge est de 81 ans ? Rappelons quand même que 95?% des morts du Covid-19 ont plus de 60 ans. 

Je me fais beaucoup plus de souci pour l'avenir de mes enfants que pour ma santé de septuagénaire ».

« Attention à ne pas faire de la santé

la valeur suprême de notre existence »

André Comte-Sponville : « Il fallait évidemment empêcher que nos services de réanimation soient totalement débordés. Mais attention de ne pas faire de la médecine ou de la santé, les valeurs suprêmes, les réponses à toutes les questions. Aujourd'hui, sur les écrans de télévision, on voit à peu près vingt médecins pour un économiste.

C'est une crise sanitaire, ça n'est pas la fin du monde.

Ce n'est pas une raison pour oublier toutes les autres dimensions de l'existence humaine ».

La théorie du « pan-médicalisme »

André Comte-Sponville : « C'est une société, une civilisation qui demande tout à la médecine. En effet, la tendance existe depuis déjà longtemps à faire de la santé la valeur suprême et non plus de la liberté, de la justice, de l'amour qui sont pour moi les vraies valeurs suprêmes.

L'exemple que je donne souvent c'est une boutade de Voltaire qui date du XVIIIe siècle, Voltaire écrivait joliment : “J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé”.

Eh bien, le jour où le bonheur n'est plus qu'un moyen au service de cette fin suprême que serait la santé, on assiste à un renversement complet par rapport à au moins vingt-cinq siècles de civilisation où l'on considérait, à l'inverse, que la santé n'était qu'un moyen, alors certes particulièrement précieux, mais un moyen pour atteindre ce but suprême qu'est le bonheur.

Attention de ne pas faire de la santé la valeur suprême. Attention de ne pas demander à la médecine de résoudre tous nos problèmes. On a raison, bien sûr, de saluer le formidable travail de nos soignants dans les hôpitaux. Mais ce n'est pas une raison pour demander à la médecine de tenir lieu de politique et de morale, de spiritualité, de civilisation.

Attention de ne pas faire de la santé l'essentiel. Un de mes amis me disait au moment du sida : “Ne pas attraper le sida, ce n'est pas un but suffisant dans l'existence”. Il avait raison. Eh bien, aujourd'hui, je serais tenté de dire : “Ne pas attraper le Covid-19 n'est pas un but suffisant dans l'existence” ».

Comment essayer de contrebalancer les inégalités après le confinement ?

André Comte-Sponville : « Comme hier, en se battant pour la justice, autrement dit en faisant de la politique.

Personne ne sait si l'épidémie ne va pas revenir tous les ans auquel cas je doute qu'on ferme toutes nos entreprises pendant trois mois chaque année. Arrêtons de rêver que tout va être différent, comme si ça allait être une nouvelle humanité.

Depuis 200 000 ans, les humains sont partagés entre égoïsme et altruisme. Pourquoi voulez-vous que les épidémies changent l'humanité ? Croyez-vous qu'après la pandémie, le problème du chômage ne se posera plus ? Que l'argent va devenir tout d'un coup disponible indéfiniment ? Cent milliards d'euros, disait le Ministre des Finances mais il le dit lui-même, “c'est plus de dettes pour soigner plus de gens, pour sauver plus de vie”. Très bien. Mais les vies qu'on sauve, ce sont essentiellement des vies de gens qui ont plus de 65 ans. Nos dettes, ce sont nos enfants qui vont les payer.

Le Président, pour lequel j'ai beaucoup de respect, disait “la priorité des priorités est de protéger les plus faibles”. Il avait raison, comme propos circonstanciel pendant une épidémie. Les plus faibles, en l'occurrence, ce sont les plus vieux, les septuagénaires, les octogénaires. Ma priorité des priorités, ce sont les enfants et les jeunes en général.

Et je me demande ce que c'est que cette société qui est en train de faire de ses vieux la priorité des priorités. Bien sûr que la dépendance est un problème majeur, mais nos écoles, nos banlieues, le chômage des jeunes, sont des problèmes, à mon avis encore plus grave que le coronavirus, de même que le réchauffement climatique, la planète que nous allons laisser à nos enfants.

Le réchauffement climatique fera beaucoup plus de morts que n'en fera l'épidémie du Covid-19. Ça n'est pas pour condamner le confinement, que je respecte tout à fait rigoureusement. Mais c'est pour dire qu'il n'y a pas que le Covid-19 et qu'il y a dans la vie et dans le monde beaucoup plus grave que le Covid-19 ».

© France Inter - 2020

Covid-19 - Philosophie

Nous devons vivre avec l’incertitude
Entretien avec Edgar MORIN

Confiné dans sa maison à Montpellier, le philosophe Edgar Morin reste fidèle à sa vision globale de la société. La crise épidémique, nous dit-il, doit nous apprendre à mieux comprendre la science et à vivre avec l’incertitude. Et à retrouver une forme d’humanisme.

CNRS – Le Journal : La pandémie du coronavirus a remis brutalement la science au centre de la société. Celle-ci va-t-elle en sortir transformée ?

Edgar Morin : Ce qui me frappe, c’est qu’une grande partie du public considérait la science comme le répertoire des vérités absolues, des affirmations irréfutables. Et tout le monde était rassuré de voir que le président s’était entouré d’un conseil scientifique. Mais que s’est-il passé ? Très rapidement, on s’est rendu compte que ces scientifiques défendaient des points de vue très différents parfois contradictoires, que ce soit sur les mesures à prendre, les nouveaux remèdes éventuels pour répondre à l’urgence, la validité de tel ou tel médicament, la durée des essais cliniques à engager… Toutes ces controverses introduisent le doute dans l’esprit des citoyens.

CNRS – Le Journal : Vous voulez dire que le public risque de perdre confiance en la science ?

Edgar Morin : Non, s’il comprend que les sciences vivent et progressent par la controverse. Les débats autour de la chloroquine, par exemple, ont permis de poser la question de l’alternative entre urgence ou prudence. Le monde scientifique avait déjà connu de fortes controverses au moment de l’apparition du sida, dans les années 1980. Or, ce que nous ont montré les philosophes des sciences, c’est précisément que les controverses font partie inhérente de la recherche. Celle-ci en a même besoin pour progresser.

Malheureusement, très peu de scientifiques ont lu Karl Popper, qui a établi qu’une théorie scientifique n’est telle que si elle est réfutable, Gaston Bachelard, qui a posé le problème de la complexité de la connaissance, ou encore Thomas Kuhn, qui a bien montré comment l’histoire des sciences est un processus discontinu. Trop de scientifiques ignorent l’apport de ces grands épistémologues et travaillent encore dans une optique dogmatique.

CNRS – Le Journal : La crise actuelle sera-t-elle de nature à modifier cette vision de la science ?

Edgar Morin : Je ne peux pas le prédire, mais j’espère qu’elle va servir à révéler combien la science est une chose plus complexe qu’on veut bien le croire – qu’on se place d’ailleurs du côté de ceux qui l’envisagent comme un catalogue de dogmes, ou de ceux qui ne voient les scientifiques que comme autant de Diafoirus (charlatan dans la pièce Le Malade imaginaire de Molière, Ndlr) sans cesse en train de se contredire…

La science est une réalité humaine qui, comme la démocratie, repose sur les débats d’idées, bien que ses modes de vérification soient plus rigoureux. Malgré cela, les grandes théories admises tendent à se dogmatiser, et les grands innovateurs ont toujours eu du mal à faire reconnaitre leurs découvertes. L’épisode que nous vivons aujourd'hui peut donc être le bon moment pour faire prendre conscience, aux citoyens comme aux chercheurs eux-mêmes, de la nécessité de comprendre que les théories scientifiques ne sont pas absolues, comme les dogmes des religions, mais biodégradables...

CNRS – Le Journal : La catastrophe sanitaire, ou la situation inédite de confinement que nous vivons actuellement : qu’est-ce qui est, selon vous, le plus marquant ?

Edgar Morin : Il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie entre ces deux situations, puisque leur enchaînement a été chronologique et débouche sur une crise qu’on peut dire de civilisation, car elle nous oblige à changer nos comportements et change nos existences, au niveau local comme au niveau planétaire. Tout cela est un ensemble complexe. Si on veut l’envisager d’un point de vue philosophique, il faut tenter de faire la connexion entre toutes ces crises et réfléchir avant tout sur l’incertitude, qui en est la principale caractéristique.

Ce qui est très intéressant, dans la crise du coronavirus, c’est qu’on n’a encore aucune certitude sur l’origine même de ce virus, ni sur ses différentes formes, les populations auxquelles il s’attaque, ses degrés de nocivité… Mais nous traversons également une grande incertitude sur toutes les conséquences de l’épidémie dans tous les domaines, sociaux, économiques...

CNRS – Le Journal : Mais en quoi ces incertitudes forment-elles, selon vous, le lien entre ces toutes ces crises ?

Edgar Morin : Parce que nous devons apprendre à les accepter et à vivre avec elles, alors que notre civilisation nous a inculqué le besoin de certitudes toujours plus nombreuses sur le futur, souvent illusoires, parfois frivoles, quand on nous a décrit avec précision ce qui va nous arriver en 2025 ! L’arrivée de ce virus doit nous rappeler que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine. Toutes les assurances sociales auxquelles vous pouvez souscrire ne seront jamais capables de vous garantir que vous ne tomberez pas malade ou que vous serez heureux en ménage ! Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille…

CNRS – Le Journal : C’est votre propre règle de vie ?

Edgar Morin : C’est plutôt le résultat de mon expérience. J’ai assisté à tant d’événements imprévus dans ma vie – de la résistance soviétique dans les années 1930 à la chute de l’URSS, pour ne parler que de deux faits historiques improbables avant leur venue – que cela fait partie de ma façon d’être. Je ne vis pas dans l’angoisse permanente, mais je m’attends à ce que surgissent des événements plus ou moins catastrophiques. Je ne dis pas que j’avais prévu l’épidémie actuelle, mais je dis par exemple depuis plusieurs années qu’avec la dégradation de notre biosphère, nous devons nous préparer à des catastrophes. Oui, cela fait partie de ma philosophie : « Attends-toi à l’inattendu. »

En outre, je me préoccupe du sort du monde après avoir compris, en lisant Heidegger en 1960, que nous vivons dans l’ère planétaire, puis en 2000 que la globalisation est un processus pouvant provoquer autant de nuisances que de bienfaits. J’observe aussi que le déchaînement incontrôlé du développement techno-économique, animé par une soif illimitée de profit et favorisé par une politique néolibérale généralisée, est devenu nocif et provoque des crises de toutes sortes… À partir de ce moment-là, je suis intellectuellement préparé à faire face à l’inattendu, à affronter les bouleversements.

CNRS – Le Journal : Pour s’en tenir à la France, comment jugez-vous la gestion de l’épidémie par les pouvoirs publics ?

Edgar Morin : Je regrette que certains besoins aient été niés, comme celui du port du masque, uniquement pour… masquer le fait qu’il n’y en avait pas ! On a dit aussi : les tests ne servent à rien, uniquement pour camoufler le fait qu’on n’en avait pas non plus. Il serait humain de reconnaître que des erreurs ont été commises et qu’on va les corriger. La responsabilité passe par la reconnaissance de ses erreurs. Cela dit, j’ai observé que, dès son premier discours de crise, le président Macron n’a pas parlé que des entreprises, il a parlé des salariés et des travailleurs. C’est un premier changement ! Espérons qu’il finisse par se libérer du monde financier : il a même évoqué la possibilité de changer le modèle de développement…

CNRS – Le Journal : Allons-nous alors vers un changement économique ?

Edgar Morin : Notre système fondé sur la compétitivité et la rentabilité a souvent de graves conséquences sur les conditions de travail. La pratique massive du télétravail qu’entraîne le confinement peut contribuer à changer le fonctionnement des entreprises encore trop hiérarchiques ou autoritaires. La crise actuelle peut accélérer aussi le retour à la production locale et l’abandon de toute cette industrie du jetable, en redonnant du même coup du travail aux artisans et au commerce de proximité. Dans cette période où les syndicats sont très affaiblis, ce sont toutes ces actions collectives qui peuvent peser pour améliorer les conditions de travail.

CNRS – Le Journal : Sommes-nous en train de vivre un changement politique, où les rapports entre l’individu et le collectif se transforment ?

Edgar Morin : L’intérêt individuel dominait tout, et voilà que les solidarités se réveillent. Regardez le monde hospitalier : ce secteur était dans un état de dissensions et de mécontentements profonds, mais, devant l’afflux de malades, il fait preuve d’une solidarité extraordinaire. Même confinée, la population l’a bien compris en applaudissant, le soir, tous ces gens qui se dévouent et travaillent pour elle. C’est incontestablement un moment de progrès, en tout cas au niveau national.

Malheureusement, on ne peut pas parler d’un réveil de la solidarité humaine ou planétaire. Pourtant nous étions déjà, êtres humains de tous les pays, confrontés aux mêmes problèmes face à la dégradation de l’environnement ou au cynisme économique. Alors qu’aujourd'hui, du Nigeria à Nouvelle-Zélande, nous nous retrouvons tous confinés, nous devrions prendre conscience que nos destins sont liés, que nous le voulions ou non. Ce serait le moment de rafraîchir notre humanisme, car tant que nous ne verrons pas l’humanité comme une communauté de destin, nous ne pourrons pas pousser les gouvernements à agir dans un sens novateur.

CNRS – Le Journal : Que peut nous apprendre le philosophe que vous êtes pour passer ces longues périodes de confinement ?

Edgar Morin : C’est vrai que pour beaucoup d’entre nous qui vivons une grande partie de notre vie hors de chez nous, ce brusque confinement peut représenter une gêne terrible. Je pense que ça peut être l’occasion de réfléchir, de se demander ce qui, dans notre vie, relève du frivole ou de l’inutile. Je ne dis pas que la sagesse, c’est de rester toute sa vie dans sa chambre, mais ne serait-ce que sur notre mode de consommation ou d’alimentation, c’est peut-être le moment de se défaire de toute cette culture industrielle dont on connaît les vices, le moment de s’en désintoxiquer. C’est aussi l’occasion de prendre durablement conscience de ces vérités humaines que nous connaissons tous, mais qui sont refoulées dans notre subconscient : que l’amour, l’amitié, la communion, la solidarité sont ce qui font la qualité de la vie.

© CNRS – le Journal - 2020

Commentaire des lectures du dimanche

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous savons que chaque dimanche, nous faisons mémoire de la résurrection du Seigneur Jésus, mais en cette période après Pâques, le dimanche revêt une signification encore plus illuminante. Dans la tradition de l’Église, ce dimanche, le premier après Pâques, était appelé « in albis» . Qu’est-ce que cela signifie ? L’expression entendait rappeler le rite qu’accomplissaient ceux qui avaient reçu le baptême lors de la Veillée pascale. A chacun d’eux était remis un vêtement blanc — « alba », blanc — pour indiquer leur nouvelle dignité d’enfants de Dieu. On fait cela encore aujourd’hui : on offre aux nouveau-nés un petit vêtement symbolique, tandis que les adultes en revêtent un vrai, comme nous l’avons vu lors de la veillée pascale. Et par le passé ce vêtement blanc était porté pendant une semaine, jusqu’à ce dimanche, et c’est de là que dérive le nom in albis deponendis, qui signifie le dimanche où l’on enlève le vêtement blanc. Et ainsi, une fois le vêtement blanc enlevé, les néophytes commençaient leur nouvelle vie en Christ et dans l’Église.

Il y a autre chose. Lors du jubilé de l’an 2000, saint Jean-Paul II a établi que ce dimanche serait consacré à la Divine miséricorde. C’est vrai, cela a été une belle intuition : c’est l’Esprit Saint qui l’a inspiré. Il y a quelques mois, nous avons conclu le jubilé extraordinaire de la miséricorde et ce dimanche nous invite à reprendre avec force la grâce qui vient de la miséricorde de Dieu. L’Évangile d’aujourd’hui est le récit de l’apparition du Christ ressuscité aux disciples réunis au cénacle (cf. Jn 20,19-31). Saint Jean écrit que Jésus, après avoir salué ses disciples, leur dit : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Ayant parlé ainsi, il fit le geste de souffler sur eux et il ajouta : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (vv.21-23). C’est le sens de la miséricorde, que l’on présente précisément le jour de la résurrection de Jésus comme pardon des péchés. Jésus ressuscité a transmis à son Église, comme première tâche, sa propre mission d’apporter à tous l’annonce concrète du pardon. Telle est la première tâche : annoncer le pardon. Ce signe visible de sa miséricorde contient en lui la paix du cœur et la joie de la rencontre renouvelée avec le Seigneur.

La miséricorde à la lumière de Pâques se laisse percevoir comme une véritable forme de connaissance. Et cela est important : la miséricorde est une véritable forme de connaissance. Nous savons que l’on peut connaître à travers de nombreuses formes. On connaît à travers les sens, on connaît à travers l’intuition, à travers la raison et d’autres formes encore. Et bien, l’on peut connaître également à travers l’expérience de la miséricorde, parce que la miséricorde ouvre la porte de l’esprit pour mieux comprendre le mystère de Dieu et de notre existence personnelle. La miséricorde nous fait comprendre que la violence, la rancœur, la vengeance n’ont aucun sens, et la première victime est celui qui vit de ces sentiments, parce qu’il se prive de sa dignité. La miséricorde ouvre également la porte du cœur et permet d’exprimer la proximité en particulier à tous ceux qui sont seuls et exclus, parce qu’elle les fait se sentir frères et enfants d’un seul Père. Elle favorise la reconnaissance de ceux qui ont besoin de consolation et fait trouver des paroles adaptées pour réconforter.

Frères et sœurs, la miséricorde réchauffe le cœur et le rend sensible aux besoins de nos frères, à travers le partage et la participation. La miséricorde, en définitive, nous engage tous à être des instruments de justice, de réconciliation et de paix. N’oublions jamais que la miséricorde est la clé de voûte de la vie de foi et la forme concrète par laquelle nous donnons de la visibilité à la résurrection de Jésus.

Que Marie, la Mère de la Miséricorde, nous aide à croire et à vivre tout cela avec joie.

© Libreria Editrice Vaticana - 2017