Pko 15.11.2020

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la paroisse de la Cathédrale de Papeete n°51/2020
Dimanche 15 novembre 2020 – 33ème Dimanche du Temps ordinaire – Année A

LAISSEZ-MOI VOUS DIRE

15 NOVEMBRE 2020 : JOURNEE MONDIALE DES PAUVRES
ÉBLOUIE PAR DIEU. MYSTIQUE DE LA RUE

Il est des personnes simples qui, imprégnées d’un sens aigu de la mission, sont capables par leur simple témoignage de transformer la vie d’un quartier ou même d’une ville. C’est le cas de Madeleine DELBRÊL1, lorsqu’en 1933 elle forme une équipe de laïques motivées par une nouvelle forme de vocation. Elles ne sont pas religieuses, prononcent des vœux privés et partent s’installer à Ivry-sur-Seine, cité industrielle qu’on appelait « la zone » envahie par la fumée et le bruit de trois cents usines métallurgiques et chimiques. Dans un milieu profondément communiste et athée, Madeleine va y passer toute sa vie sans jamais cacher sa foi chrétienne. Dans la simplicité des « gens de la vie ordinaire ; les gens que l’on rencontre dans n’importe quelle rue », elle va au-devant des pauvres, des isolés. La maison qu’elles occupent au 11, rue Raspail est un lieu de fraternité pour une foule de gens de toutes sortes. Toute personne a le droit d’être accueillie, écoutée, aidée et même logée.
Assistante sociale, Madeleine se démène pour tous, crée une coopérative de production ouvrière, combat pour la justice et le respect de l’homme autant que pour faire connaître Dieu. Avec ses compagnes, elle gagne l’estime de tous, y compris de la municipalité pourtant communiste. Elle participe aux débats de l’Église notamment sur la Mission de France et les prêtres ouvriers. Ce qui l’amène à collaborer avec le Frère Jacques Loew, un dominicain et Mgr Veuillot, bien connu pour ses prises de position en faveur des prêtres ouvriers. Cette collaboration aboutit à la publication de son livre « Ville marxiste, terre de mission » (publié en 1957, réédité chez Nouvelle Cité en 2014).

Sa vie et son cheminement spirituel sont étonnants.
Elle naît en 1904 dans une famille, chrétienne par simple conformisme.  Son éducation est très libre mais très riche. Ses parents la voyaient pianiste. Elle, penchait davantage vers les Lettres. C’est une artiste qui aime la musique, le dessin et la poésie. Fréquentant des cercles de réflexion, elle est gagnée progressivement par le scepticisme qui étouffe la foi de son enfance. Si bien qu’à l’âge de dix-sept ans elle écrit dans un de ses poèmes : « Dieu est mort, vive la mort ! ». Elle suit des cours de philosophie, publie des poèmes qui lui vaudront, en 1926, le Prix Sully-Prudhomme.
Dans un cercle littéraire elle rencontre un jeune homme brillant et profondément chrétien, élève de l’Ecole Centrale.

Les deux jeunes s’apprécient si visiblement qu’on les considère comme quasi fiancés. Madeleine sait qu’elle lui doit son retour à la foi. Le 19 mars 1924, après un passage à l’église Saint-Dominique, elle écrira : « J’avais été et je reste éblouie par Dieu. Il m’était impossible de mettre sur une même balance Dieu d’un côté, de l’autre tous les biens du monde, que ce soit pour moi ou pour toute l’humanité. »
Après son service militaire, son « fiancé » entre chez les Dominicains. Femme d’action, elle s’engage alors dans le scoutisme. La « patrouille Saint-Dominique », dont elle est le moteur, développe la formation intérieure des jeunes filles ; en plus de leur service, les cheftaines visitent les personnes pauvres et isolées.

Madeleine entreprend des études d’assistante sociale. La patrouille prend le nom de « la Charité de Jésus », ce sera le germe de sa nouvelle vocation. A 29 ans, elle part avec deux autres compagnes pour Ivry. Ses équipes de laïques se présentent ainsi : « nous autres, gens des rues », notre vocation : « être le Christ, pour faire ce que fait le Christ ».

L’éblouie de Dieu est devenue une Mystique de la rue !
« Il y a des gens que Dieu prend et met à part. Il y en a d’autres qu’Il laisse dans la masse, qu’Il ne retire pas du monde. Ce sont des gens qui font un travail ordinaire, qui ont un foyer ordinaire ou sont des célibataires ordinaires. (…) Ils aiment la porte qui s’ouvre sur la rue, comme leurs frères invisibles au monde aiment la porte qui est refermée sur eux.

Nous autres, gens de la rue, croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis, est pour nous le lieu de notre sainteté. Nous croyons que rien de nécessaire ne nous y manque, car si ce nécessaire nous manquait, Dieu nous l’aurait déjà donné. » (in Nous autres gens des rues, Seuil, collection Livre de vie, 1995, p.63)

Jusqu’à sa mort en 1964, Madeleine témoigne de sa foi chrétienne dans un dialogue constant et sans concession avec ses amis communistes et par ses nombreux écrits. Poète, assistante sociale, reconnue comme une grande mystique du XXè siècle, une femme de prière et d’action, Madeleine Delbrêl offre à l’Église et à notre société sécularisée un beau visage de chrétienne engagée dans la lutte contre la misère sous toutes ses formes.
Son message a une portée universelle.

[Source documentaire : Dossier publié en 2004 par l’Association des Amis de Madeleine Delbrêl]
Dominique SOUPÉ

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1    En 1990 la cause en béatification de Madeleine Delbrêl a été introduite à Rome. Le 26 janvier 2018, le Pape François a autorisé la Congrégation pour la cause des saints à promulguer le décret reconnaissant les vertus héroïques de Madeleine Delbrêl, lui attribuant ainsi le titre de « vénérable », première étape avant qu'elle ne soit déclarée « bienheureuse ».

© Paroisse de la Cathédrale – 2020

 
CLIN D’ŒIL DE L’HISTOIRE
FRERE FLORENTIUS LESNÉ – 1856-1878

 C’est dans la fleur de l’âge que le premier frère de La Mennais est décédé en terre polynésienne après seulement neuf mois de mission !
LESNÉ, Louis Charles Marie (Frère Florentius) (1856-1878). - Religieux de la congrégation des Frères de l'Instruction chrétienne. Né le 19 septembre 1856 à Bosquilly sur Maroué (Côtes d’Armor). Fils de Jean Lesné et Marie Tronet. Dernier d’une fratrie de neuf enfants. Il entre dans la congrégation des Frère de La Mennais le 29 novembre 1875 et débute son noviciat le 19 mars 1876.
Nommé pour Tahiti, il embarque avec le Frère Pierre Joseph Bertho le 1er mars 1877 à bord du vaisseau Loire affrété pour le transport de 360 déportés à destination de Nouméa. Les déportés sont embarqués à l’île d’Aix. Escale le 9 mai à ténériffe, puis l’Afrique du sud et le 6 août à Nouméa. Il quitte Nouméa un mois plus tard et arrive à Tahiti le 29 septembre 1877.
 
Sa mission en Polynésie ne sera que de courte durée. Huit mois après son arrivée, il est atteint de dysenterie. Entré à l’hôpital militaire de Papeete (Tahiti) le 12 juin 1878, il décède le 3 juillet après de grandes souffrances. Il prononce ses vœux perpétuels in articulo mortis le 3 juillet 1878, à l’hôpital, après avoir reçu le Viatique. “Malgré ses cruelles souffrances, il a eu le bonheur de jouir de sa présence d'esprit jusqu'au dernier soupir, et par sa sincère résignation à la volonté de Dieu, il a édifié tous ceux qui l'ont vu.”

REGARD SUR L’ACTUALITE…

FRATELLI TUTTI (3)

 Le 3 Octobre dernier, le Pape François signait à Assise (Italie) sa troisième encyclique intitulée « Fratelli Tutti – Tous frères ». Ce titre est une expression qu’utilisait St François d’Assise pour inviter à un mode de vie aux couleurs de l’Évangile. Il entendait proposer à tous les Hommes et Femmes de vivre un amour qui dépassait toute barrière de quelque nature qu’elle soit, un amour capable de construire la fraternité et l’amitié sociale.
Après avoir évoqué dans les « Communiqué » du 21 Octobre et du 4 Novembre les trois premiers chapitres de cette encyclique, arrêtons-nous aujourd’hui sur le chapitre quatre intitulé : « Un cœur ouvert au monde ». 
Ayant dans les chapitres précédents appelé à mettre en œuvre la fraternité et l’amitié sociale dans une perspective universelle, à partir de cette parole du Christ : « Tous, vous êtes des frères » (Mt 23,8), le Pape François poursuit sa réflexion sur les moyens et les mesures permettant de mettre en œuvre cette « fraternité universelle », et ce dans le contexte d’une réalité qui plonge tant d’hommes, de femmes et d’enfants dans la détresse et le désespoir et les pousse à quitter leurs pays respectifs pour migrer vers ce qu’ils pensent être une « terre promise ». « Avec leurs “vies détruites”, ayant fui des guerres, des persécutions, des catastrophes naturelles, des trafiquants sans scrupule, arrachés à leurs communautés d’origine, les migrants doivent être accueillis, protégés, promus et intégrés. Dans les pays de destination, le juste équilibre doit être trouvé entre la protection des droits des citoyens et la garantie de l’accueil et de l’assistance pour les migrants. Ce qui est surtout nécessaire, est-il précisé dans le document, c’est une gouvernance globale pour les migrations, qui puisse ouvrir des projets à long terme, en allant au-delà de la seule gestion des urgences, au nom d’un développement solidaire de tous les peuples (129-132) ». (Commentaire de « Fratelli Tutti » paru dans « Vatican News » du 4 Octobre 2020). 
Parmi ces mesures :
•    Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer les personnes migrantes et toutes les personnes marginalisées. Cela implique la volonté « d’établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et de l’infériorité » (Fratelli Tutti § 131)
•    Développer la conscience que, ou bien nous nous sauvons tous, ou bien personne ne se sauve. « Les apports mutuels entre pays, en réalité, finissent par profiter à tous. Un pays qui progresse à partir de son substrat culturel original est un trésor pour l’humanité toute entière ». (Fratelli Tutti § 137)
•    Rechercher un ordre juridique, politique et économique qui tend au développement solidaire de tous les peuples. « Cela profitera finalement à la planète entière parce que l’aide au développement des pays pauvres entraine la création de richesse pour tous ». (Fratelli Tutti § 138)
Le Saint Père poursuit en insistant sur la notion de gratuité, cette disposition qui nous rapproche de Dieu, ce Dieu qui « donne gratuitement, au point d’aider même ceux qui ne sont pas fidèles, et “il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons” (Mt 5,45). Ce n’est pas pour rien que Jésus recommande : … “Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement” (Mt 10,8)… Les nationalismes fondés sur le repli sur soi traduisent en définitive cette incapacité de gratuité, l’erreur de croire qu’on peut se développer à côté de la ruine des autres et qu’en se fermant aux autres, on est mieux protégé. » (Fratelli Tutti § 140 et 141).
Cette perspective d’universalité, doit-elle se faire au détriment de ce qui fait la richesse culturelle « locale » ? Le § 143 nous éclaire sur le rapport entre les deux. Il ne s’agit pas de renoncer à son trésor propre. « Il n’y a d’ouverture entre les peuples qu’à partir de l’amour de sa terre, de son peuple, de ses traits culturels… Chacun aime et prend soin de sa terre avec une attention particulière et se soucie de son pays… Le bien de l’univers exige que chacun protège et aime sa propre terre. Autrement, les conséquences du désastre d’un pays finiront par affecter la planète toute entière ».

+Jean Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete – 2020

AUDIENCE GENERALE

LA PRIERE PERSEVERANTE

De retour depuis la semaine passée dans la bibliothèque du Palais apostolique en raison de l’urgence sanitaire, le Pape François a poursuivi son cycle de catéchèses sur la prière lors de l’audience générale du mercredi 11 novembre. Il est revenu sur l’importance d’une prière continue et persévérante et de la manière dont elle s’accomplit en Jésus qui prend sur Lui « chaque supplique, chaque joie… chaque prière humaine » 
 
Chers frères et sœurs, bonjour !
Nous continuons les catéchèses sur la prière. Quelqu'un m'a dit : « Vous parlez trop sur la prière. Ce n'est pas nécessaire ». Si, c'est nécessaire. Parce que si nous ne prions pas, nous n'aurons pas la force d'avancer dans la vie. La prière est comme l'oxygène de la vie. Prier, c'est attirer sur nous la présence de l'Esprit Saint qui nous fait toujours avancer. C'est pour cette raison que je parle tant sur la prière.
Jésus a donné l'exemple d'une prière continue, pratiquée avec persévérance. Le dialogue constant avec le Père, dans le silence et dans le recueillement, est le centre de toute sa mission. Les Évangiles nous rapportent également les exhortations à ses disciples, pour qu'ils prient avec insistance, sans se lasser. Le Catéchisme rappelle les trois paraboles contenues dans l'Évangile de Luc qui souligne cette caractéristique de l'oraison (cf. CEC, n.2613) de Jésus.
La prière doit tout d'abord être tenace : comme le personnage de la parabole qui, devant accueillir un hôte arrivé à l'improviste, va frapper en pleine nuit chez un ami et lui demande du pain. L’ami lui répond “non !”, parce qu'il est déjà au lit, mais il insiste et insiste jusqu'à ce qu'il l'oblige à se lever et à lui donner le pain (cf. Lc 11,5-8). Une demande tenace. Mais Dieu est plus patient que nous, et celui qui frappe avec foi et persévérance à la porte de son cœur n'est pas déçu. Dieu répond toujours. Toujours. Notre Père sait bien de quoi nous avons besoin ; l’insistance ne sert pas à l'informer ou à le convaincre, mais elle sert à alimenter en nous le désir et l'attente.
La deuxième parabole est celle de la veuve qui s'adresse au juge pour qu'il l'aide à obtenir justice. Ce juge est corrompu, c'est un homme sans scrupules, mais à la fin, exaspéré par l'insistance de la veuve, il se décide à la satisfaire (cf. Lc 18,1-8). Et il pense : « Il vaut mieux que je résolve son problème et que je m'en débarrasse, et qu'elle arrête de venir sans cesse se plaindre à moi ». Cette parabole nous fait comprendre que la foi n'est pas l'élan d'un moment, mais une disposition courageuse à invoquer Dieu, également à “discuter” avec Lui, sans se résigner devant le mal et l'injustice.
La troisième parabole présente un pharisien et un publicain qui vont prier au Temple. Le premier s'adresse à Dieu en se vantant de ses mérites ; l’autre se sent indigne ne serait-ce que d'entrer dans le sanctuaire. Cependant, Dieu n'écoute pas la prière du premier, c'est-à-dire des orgueilleux, alors qu'il exauce celle des humbles (cf. Lc 18,9-14). Il n'y a pas de vraie prière sans esprit d'humilité. C'est précisément l'humilité qui nous conduit à demander dans la prière.
L’enseignement de l'Évangile est clair : on doit toujours prier, même quand tout semble vain, quand Dieu nous apparaît sourd et muet et qu'il nous semble perdre notre temps. Même si le ciel s'assombrit, le chrétien ne n'arrête pas de prier. Son oraison va de pair avec la foi. Et la foi, en de nombreux jours de notre vie, peut sembler une illusion, une fatigue stérile. Il y a des moments sombres dans notre vie et dans ces moments, la foi semble une illusion. Mais pratiquer la prière signifie également accepter cette fatigue. « Père, je vais prier et je ne ressens rien... je me sens comme ça, avec le cœur sec, avec le cœur aride ». Mais nous devons aller de l'avant, avec cette fatigue des moments difficiles, des moments où nous ne ressentons rien. De nombreux saints et saintes ont fait l'expérience de la nuit de la foi et du silence de Dieu – quand nous frappons et que Dieu ne répond pas – et ces saints ont été persévérants.
Dans cette nuit de la foi, celui qui prie n'est jamais seul. En effet, Jésus n'est pas seulement témoin et maître de prière, il est davantage. Il nous accueille dans sa prière, pour que nous puissions prier en Lui et à travers Lui. Et cela est l'œuvre de l'Esprit Saint. C'est pour cette raison que l'Évangile nous aider à prier le Père au nom de Jésus. Saint Jean rapporte ces paroles du Seigneur : « Et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, pour que le Père soit glorifié dans le Fils » (14,13). Et le Catéchisme explique que « la certitude d'être exaucés dans nos demandes est fondée sur la prière de Jésus » (n.2614). Celle-ci donne les ailes que la prière de l'homme a toujours désiré posséder.
Comment ne pas rappeler ici les mots du psaume 91, riches de confiance, jaillis d'un cœur qui espère tout de Dieu : « Il te couvre de ses ailes, tu as sous son pennage un abri. Armure et bouclier, sa vérité. Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole de jour, ni la peste qui marche en la ténèbre, ni le fléau qui dévaste à midi » (vv.4-6). C'est dans le Christ que s'accomplit cette prière splendide, c'est en Lui que celle-ci trouve sa pleine vérité. Sans Jésus, nos prières risqueraient de se réduire à des efforts humains, destinés le plus souvent à l'échec. Mais Il a pris sur Lui chaque cri, chaque gémissement, chaque joie, chaque supplique… chaque prière humaine. Et n'oublions pas l'Esprit Saint qui prie en nous ; il est Celui qui nous amène à prier, qui nous amène à Jésus. Il est le don que le Père et le Fils nous ont donné pour aller à la rencontre de Dieu. C'est l'Esprit Saint, quand nous prions, c'est l'Esprit Saint qui prie dans nos cœurs.
Le Christ est tout pour nous, même dans notre vie de prière. C'est ce que disait saint Augustin avec une expression éclairante que nous trouvons dans le Catéchisme : Jésus « prie pour nous en tant que notre prêtre, il prie en nous en tant que notre tête, il est prié par nous en tant que notre Dieu. Reconnaissons donc en Lui nos voix et sa voix en nous » (n.2616). Et c'est pour cela que le chrétien qui prie ne craint rien, il se remet à l'Esprit Saint, qui nous a été donné comme don et qui prie en nous, en suscitant la prière. Que ce soit l'Esprit Saint, Maître de prière, à nous enseigner la voie de la prière.

© Libreria Editrice Vaticana – 2020

4EME JOURNEE MONDIALE DES PAUVRES

« TENDS TA MAIN AU PAUVRE » (SI 7,32)

Dimanche 15 novembre aura lieu la quatrième édition de la Journée mondiale des pauvres, instituée par le Primat d'Italie en 2017. Comme l'exprime le message du Pape François en date du 13 juin, mémoire liturgique de Saint Antoine de Padoue, le thème de la Journée cette année s'articule autour du verset biblique : « Tends la main aux pauvres » (Sir 7,32).
 
 
« Tends ta main au pauvre » (Si 7, 32). La sagesse antique a fait de ces mots comme un code sacré à suivre dans la vie. Ils résonnent encore aujourd’hui, avec tout leur poids de signification, pour nous aider, nous aussi, à concentrer notre regard sur l’essentiel et à surmonter les barrières de l’indifférence. La pauvreté prend toujours des visages différents qui demandent une attention à chaque condition particulière : dans chacune d’elles, nous pouvons rencontrer le Seigneur Jésus qui a révélé sa présence dans ses frères les plus faibles (cf. Mt 25,40).
1. Prenons entre les mains le texte du Livre de Ben Sira, un des livres de l’Ancien Testament. Nous y trouvons les paroles d’un maître de sagesse qui a vécu environ deux cents ans avant le Christ. Il était en recherche de la sagesse, celle qui rend les hommes meilleurs et capables de scruter à fond les événements de la vie. Il le faisait à un moment de dure épreuve pour le peuple d’Israël, un temps de douleur, de deuil et de misère, à cause de la domination de puissances étrangères. Étant un homme de grande foi, enraciné dans les traditions des pères, sa première pensée était de s’adresser à Dieu pour lui demander le don de la sagesse. Et l’aide du Seigneur ne lui manqua pas.
Dès les premières pages, le Livre de Ben Sira donne des conseils sur de nombreuses situations concrètes de la vie, et la pauvreté en est une. Il insiste sur le fait que, dans le besoin, il faut avoir confiance en Dieu : « Ne t’agite pas à l’heure de l’adversité. Attache-toi au Seigneur, ne l’abandonne pas, afin d’être comblé dans tes derniers jours. Toutes les adversités, accepte-les ; dans les revers de ta pauvre vie, sois patient ; car l’or est vérifié par le feu, et les hommes agréables à Dieu par le creuset de l’humiliation. Dans les maladies comme dans le dénuement, aie foi en lui. Mets ta confiance en lui, et il te viendra en aide ; rends tes chemins droits, et mets en lui ton espérance. Vous qui craignez le Seigneur, comptez sur sa miséricorde, ne vous écartez pas du chemin, de peur de tomber. » (2,2-7).
2. Page après page, nous découvrons un précieux recueil de suggestions sur la façon d’agir à la lumière d’une relation intime avec Dieu, créateur et amant de sa création, juste et providentiel envers tous ses enfants. La référence constante à Dieu, cependant, n’empêche pas de regarder l’homme concret, bien au contraire, les deux choses sont étroitement liées.
Ceci est clairement démontré par l’extrait biblique dont le titre de ce Message est tiré (cf. 7,29-36). La prière à Dieu et la solidarité avec les pauvres et les souffrants sont inséparables. Pour célébrer un culte qui soit agréable au Seigneur, il est nécessaire de reconnaître que toute personne, même la plus indigente et la plus méprisée, porte l’image de Dieu imprimée en elle. De cette attention découle le don de la bénédiction divine, attirée par la générosité pratiquée à l’égard du pauvre. Par conséquent, le temps consacré à la prière ne peut jamais devenir un alibi pour négliger le prochain en difficulté. Le contraire est vrai : la bénédiction du Seigneur descend sur nous et la prière atteint son but quand elles sont accompagnées par le service aux pauvres.
3. Cet antique enseignement est combien actuel pour chacun de nous ! En effet, la parole de Dieu dépasse l’espace, le temps, les religions et les cultures. La générosité qui soutient le faible, console l’affligé, apaise les souffrances, restitue la dignité à ceux qui en sont privés, est en fait la condition d’une vie pleinement humaine. Le choix de consacrer une attention aux pauvres, à leurs nombreux et divers besoins, ne peut être conditionné seulement par le temps disponible ou par des intérêts privés, ni par des projets pastoraux ou sociaux désincarnés. On ne peut étouffer la force de la grâce de Dieu par la tendance narcissique de toujours se mettre à la première place.
Avoir le regard tourné vers le pauvre est difficile, mais plus que jamais nécessaire pour donner à notre vie personnelle et sociale la bonne direction. Il ne s’agit pas d’exprimer beaucoup de paroles, mais plutôt d’engager concrètement la vie, animée par la charité divine. Chaque année, avec la Journée Mondiale des Pauvres, je reviens sur cette réalité fondamentale pour la vie de l’Église, parce que les pauvres sont et seront toujours avec nous (cf. Jn 12,8) pour nous aider à accueillir la présence du Christ dans l’espace du quotidien.
4. Chaque rencontre avec une personne en situation de pauvreté nous provoque et nous interroge. Comment pouvons-nous contribuer à éliminer ou, du moins, à soulager sa marginalisation et sa souffrance ? Comment pouvons-nous l’aider dans sa pauvreté spirituelle ? La communauté chrétienne est appelée à s’impliquer dans cette expérience de partage, sachant qu’il ne lui est pas permis de la déléguer à qui que ce soit. Et pour être un soutien aux pauvres, il est fondamental de vivre personnellement la pauvreté évangélique. Nous ne pouvons pas nous sentir "bien" quand un membre de la famille humaine est relégué dans les coulisses et devient une ombre. Le cri silencieux des nombreux pauvres doit trouver le peuple de Dieu en première ligne, toujours et partout, afin de leur donner une voix, de les défendre et de se solidariser avec eux devant tant d’hypocrisie et devant tant de promesses non tenues, pour les inviter à participer à la vie de la communauté.
Il est vrai que l’Église n’a pas de solutions globales à proposer, mais elle offre, avec la grâce du Christ, son témoignage et ses gestes de partage. Elle se sent en outre le devoir de présenter les instances de ceux qui n’ont pas le nécessaire pour vivre. Rappeler à tous la grande valeur du bien commun est, pour le peuple chrétien, un engagement de vie qui se réalise dans la tentative de n’oublier aucun de ceux dont l’humanité est violée dans ses besoins fondamentaux.
5. Tendre la main fait découvrir, avant tout à celui qui le fait, qu’existe en nous la capacité d’accomplir des gestes qui donnent un sens à la vie. Que de mains tendues pouvons-nous voir tous les jours ! Malheureusement, il arrive de plus en plus souvent que la hâte entraîne dans un tourbillon d'indifférence, au point que l'on ne sait plus reconnaître tout le bien qui se fait quotidiennement, en silence et avec grande générosité. C’est souvent lorsque surviennent des événements qui bouleversent le cours de notre vie que nos yeux deviennent capables de voir la bonté des saints "de la porte d’à côté", « de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu » (Exhort. ap. Gaudete et Exultate, n.7), mais dont personne ne parle. Les mauvaises nouvelles abondent sur les pages des journaux, sur les sites internet et sur les écrans de télévision, au point de laisser croire que le mal règne en maître. Pourtant il n’en est pas ainsi. Certes, la méchanceté et la violence, l’abus et la corruption ne manquent pas, mais la vie est tissée d’actes de respect et de générosité qui, non seulement compensent le mal, mais poussent à aller au-delà et à être remplis d’espérance.
6. Tendre la main est un signe : un signe qui rappelle immédiatement la proximité, la solidarité, l’amour. En ces mois où le monde entier a été submergé par un virus qui a apporté douleur et mort, détresse et égarement, combien de mains tendues nous avons pu voir ! La main tendue du médecin qui se soucie de chaque patient en essayant de trouver le bon remède. La main tendue de l’infirmière et de l’infirmier qui, bien au-delà de leurs horaires de travail, sont restés pour soigner les malades. La main tendue de ceux qui travaillent dans l’administration et procurent les moyens de sauver le plus de vies possibles. La main tendue du pharmacien exposé à tant de demandes dans un contact risqué avec les gens. La main tendue du prêtre qui bénit avec le déchirement au cœur. La main tendue du bénévole qui secourt ceux qui vivent dans la rue et qui, en plus de ne pas avoir un toit, n’ont rien à manger. La main tendue des hommes et des femmes qui travaillent pour offrir des services essentiels et la sécurité. Et combien d’autres mains tendues que nous pourrions décrire jusqu’à en composer une litanie des œuvres de bien. Toutes ces mains ont défié la contagion et la peur pour apporter soutien et consolation.
7. Cette pandémie est arrivée à l’improviste et nous a pris au dépourvu, laissant un grand sentiment de désorientation et d’impuissance. Cependant, la main tendue aux pauvres ne vient pas à l’improviste. Elle témoigne de la manière dont on se prépare à reconnaître le pauvre afin de le soutenir dans les temps de nécessité. On n’improvise pas les instruments de miséricorde. Un entraînement quotidien est nécessaire, à partir d’une prise de conscience que nous, les premiers, avons combien besoin d’une main tendue vers nous.
Ce moment que nous vivons a mis en crise beaucoup de certitudes. Nous nous sentons plus pauvres et plus faibles parce que nous avons fait l’expérience de la limite et de la restriction de la liberté. La perte du travail, des relations affectives les plus chères, comme l’absence des relations interpersonnelles habituelles, a tout d’un coup ouvert des horizons que nous n’étions plus habitués à observer. Nos richesses spirituelles et matérielles ont été remises en question et nous avons découvert que nous avions peur. Enfermés dans le silence de nos maisons, nous avons redécouvert l’importance de la simplicité et d’avoir le regard fixé sur l’essentiel. Nous avons mûri l’exigence d’une nouvelle fraternité, capable d’entraide et d’estime réciproque. C’est un temps favorable pour « reprendre conscience que nous avons besoin les uns des autres, que nous avons une responsabilité vis-à-vis des autres et du monde […]. Depuis trop longtemps, déjà, nous avons été dans la dégradation morale, en nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté. […] Cette destruction de tout fondement de la vie sociale finit par nous opposer les uns aux autres, chacun cherchant à préserver ses propres intérêts ; elle provoque l’émergence de nouvelles formes de violence et de cruauté, et empêche le développement d’une vraie culture de protection de l’environnement » (Lett. enc. Laudato Si’, n.229). En somme, les graves crises économiques, financières et politiques ne cesseront pas tant que nous laisserons en état de veille la responsabilité que chacun doit sentir envers le prochain et chaque personne.
8. « Tends la main au pauvre », est donc une invitation à la responsabilité comme engagement direct de quiconque se sent participant du même sort. C’est une incitation à prendre en charge le poids des plus faibles, comme le rappelle saint Paul : « Mettez-vous, par amour au service les uns des autres. Car toute la Loi est accomplie dans l’unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (…) Portez les fardeaux des uns les autre » (Ga 5,13-14 ; 6,2). L’Apôtre enseigne que la liberté qui nous a été donnée par la mort et la résurrection de Jésus Christ est pour chacun de nous une responsabilité pour se mettre au service des autres, surtout des plus faibles. Il ne s’agit pas d’une exhortation facultative, mais d’une condition de l’authenticité de la foi que nous professons.
Le Livre de Ben Sira vient une fois de plus à notre aide : il suggère des actions concrètes pour soutenir les plus faibles et il utilise également quelques images suggestives. Tout d’abord, il prend en considération la faiblesse de ceux qui sont tristes : « Ne te détourne pas ceux qui pleurent » (7,34). La période de la pandémie nous a obligés à un isolement forcé, nous empêchant même de pouvoir consoler et d’être près d’amis et de connaissances affligés par la perte de leurs proches. Et l’auteur sacré affirme encore : « N’hésite pas à visiter un malade » (7,35). Nous avons fait l’expérience de l’impossibilité d’être aux côtés de ceux qui souffrent, et en même temps, nous avons pris conscience de la fragilité de notre existence. En somme, la Parole de Dieu ne nous laisse jamais tranquilles, elle continue à nous stimuler au bien.
9. « Tends la main au pauvre » fait ressortir, par contraste, l’attitude de ceux qui tiennent leurs mains dans leurs poches et ne se laissent pas émouvoir par la pauvreté, dont ils sont souvent complices. L’indifférence et le cynisme sont leur nourriture quotidienne. Quelle différence par rapport aux mains généreuses que nous avons décrites ! Il y a, en effet, des mains tendues qui touchent rapidement le clavier d’un ordinateur pour déplacer des sommes d’argent d’une partie du monde à l’autre, décrétant la richesse des oligarchies et la misère de multitudes ou la faillite de nations entières. Il y a des mains tendues pour accumuler de l’argent par la vente d’armes que d’autres mains, même celles d’enfants, utiliseront pour semer la mort et la pauvreté. Il y a des mains tendues qui, dans l’ombre, échangent des doses de mort pour s’enrichir et vivre dans le luxe et le désordre éphémère. Il y a des mains tendues qui, en sous-main, échangent des faveurs illégales contre un gain facile et corrompu. Et il y a aussi des mains tendues de ceux qui, dans l’hypocrisie bienveillante, portent des lois qu’eux-mêmes n’observent pas.
Dans ce panorama, « les exclus continuent à attendre. Pour pouvoir soutenir un style de vie qui exclut les autres, ou pour pouvoir s’enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation de l’indifférence. Presque sans nous en apercevoir, nous devenons incapables d’éprouver de la compassion devant le cri de douleur des autres, nous ne pleurons plus devant le drame des autres, leur prêter attention ne nous intéresse pas, comme si tout nous était une responsabilité étrangère qui n’est pas de notre ressort. » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.54). Nous ne pourrons pas être heureux tant que ces mains qui sèment la mort ne seront pas transformées en instruments de justice et de paix pour le monde entier.
10. « Quoi que tu fasses, souviens-toi que ta vie a une fin » (Si 7,36). C’est l’expression par laquelle le Livre de Ben Sira conclut sa réflexion. Le texte se prête à une double interprétation. La première fait ressortir que nous devons toujours garder à l’esprit la fin de notre existence. Se souvenir du destin commun peut aider à mener une vie sous le signe de l’attention à ceux qui sont les plus pauvres et qui n’ont pas eu les mêmes possibilités que nous. Il y a aussi une deuxième interprétation, qui souligne plutôt le but vers lequel chacun tend. C’est la fin de notre vie qui demande un projet à réaliser et un chemin à accomplir sans se lasser. Or, le but de chacune de nos actions ne peut être autre que l’amour. Tel est le but vers lequel nous nous dirigeons, et rien ne doit nous en détourner. Cet amour est partage, dévouement et service, mais il commence par la découverte que nous sommes les premiers aimés et éveillés à l’amour. Cette fin apparaît au moment où l’enfant rencontre le sourire de sa mère et se sent aimé par le fait même d’exister. Même un sourire que nous partageons avec le pauvre est source d’amour et permet de vivre dans la joie. Que la main tendue, alors, puisse toujours s’enrichir du sourire de celui qui ne fait pas peser sa présence et l’aide qu’il offre, mais ne se réjouit que de vivre à la manière des disciples du Christ.
Que sur ce chemin quotidien de rencontre avec les pauvres nous accompagne la Mère de Dieu, qui plus que tout autre est la Mère des pauvres. La Vierge Marie connaît de près les difficultés et les souffrances de ceux qui sont marginalisés, parce qu’elle-même s’est trouvée à donner naissance au Fils de Dieu dans une étable. Sous la menace d’Hérode, avec Joseph son époux et l’Enfant Jésus, ils se sont enfuis dans un autre pays, et la condition de réfugié a marqué, pendant quelques années, la Sainte Famille. Puisse la prière à la Mère des pauvres rassembler ses enfants favoris et tous ceux qui les servent au nom du Christ. Que la prière transforme la main tendue en une étreinte de partage et de fraternité retrouvée.

Donné à Rome, Saint Jean du Latran, le 13 juin 2020, mémoire liturgique de saint Antoine de Padoue, huitième année de mon Pontificat.

François
© Libreria Editrice Vaticana – 2020

PEDOPHILIE

RAPPORT MAC KITTRICK : MUS PAR LA VERITE, AVANT D’EVITER LES ERREURS DU PASSE

Dans une déclaration, le cardinal Secrétaire d'État Pietro Parolin invite à lire le document dans son intégralité, afin de ne pas en tirer de conclusions partielles : « nous publions ce Rapport en raison des blessures que l'affaire a causées aux victimes, à leurs familles, à l'Église des États-Unis, à l'Église universelle ». Nous vous proposons de lire un résumé de l’ensemble du dossier
  
Une lecture du dossier publié par la Secrétairerie d'État avec des documents et des témoignages, qui raconte l'histoire de l'ancien cardinal archevêque de Washington, démis de l'état clérical.
Lors de la nomination de l'archevêque de Washington Theodore McCarrick en 2000, le Saint-Siège a agi sur la base d'informations partielles et incomplètes. Des omissions et des sous-évaluations se sont malheureusement produites, des choix qui se sont révélés par la suite erronés ont été faits, notamment parce que, au cours des vérifications demandées par Rome à l'époque, les personnes interrogées n'ont pas toujours dit tout ce qu'elles savaient. Jusqu'en 2017, aucune accusation fondée n'a jamais concerné abus ou harcèlement à l’encontre de mineurs : dès que la première plainte d'une victime, mineure au moment des faits, est arrivée, le Pape François a agi rapidement et de manière décisive contre le vieux cardinal, qui avait quitté la direction du diocèse en 2006, en lui retirant d'abord sa pourpre cardinalice avant de le renvoyer de l'état clérical. C'est ce qui ressort du Rapport sur la connaissance et sur les processus décisionnels institutionnels du Saint-Siège concernant Theodore Edgar McCarrick (1930-2017) publié par la Secrétairerie d'État.
Une réponse ponctuelle
En soi, le rapport, par son extension et son contenu, répond ponctuellement à l'engagement pris par le Pape François d'enquêter de manière approfondie sur l'affaire McCarrick et de publier les résultats de l'enquête. Le rapport représente également un acte de sollicitude et d'attention pastorale du Pape envers la communauté catholique américaine, blessée et déconcertée par le fait que Theodore McCarrick ait pu atteindre des positions aussi élevées dans la hiérarchie. L’enquête, menée ces deux dernières années, a débuté à la fin de l'été 2018, au cours de semaines de vive tension, qui ont culminé avec l’intervention de l'ancien nonce apostolique à Washington Carlo Maria Viganò, qui, par le biais d'une opération médiatique internationale, en était arrivé à demander publiquement la renonciation du Pape régnant.
L'absence d'accusations d'abus sur mineurs jusqu'en 2017
La force du rapport réside certainement dans son exhaustivité, mais aussi dans la vision d’ensemble qu'il fournit. Et de cette vision d’ensemble se dégagent quelques points précis qu'il est important de prendre en compte. Le premier concerne les erreurs commises, qui ont déjà conduit à l’adoption de nouvelles normes dans l’Église, afin d’éviter que l’histoire ne se répète. Un deuxième point est constitué par l'absence, jusqu'en 2017, d'accusations circonstanciées concernant des abus sur mineurs commis par Theodore McCarrick. Il est vrai que dans les années 1990, des lettres anonymes parvenues aux cardinaux et à la nonciature de Washington en faisaient mention, mais sans fournir indices, noms, ou circonstances : ces lettres ont été malheureusement considérés non crédibles précisément parce qu’elles manquaient d'éléments concrets. La première accusation fondée impliquant des mineurs remonte en fait à trois ans. Elle a conduit à l'ouverture immédiate d'une procédure canonique, conclue par les deux décisions ultérieures du Pape François, qui a d'abord retiré la pourpre cardinalice au prélat émérite, puis l'a renvoyé de l'état clérical. Le mérite d'avoir permis de faire éclater la vérité au grand jour, comme le fait de l’avoir entrepris en surmontant la souffrance du souvenir de ce qu’elles avaient subi, doivent être reconnus aux personnes qui se sont présentées pour dénoncer Theodore McCarrick, tout au long du processus canonique.
La vérification avant le voyage du Pape
Le rapport montre qu'au moment de la première candidature à l'épiscopat (1977), ainsi qu'au moment des nominations à Metuchen (1981) puis à Newark (1986), aucune des personnes consultées pour obtenir des informations n'avait donné d'indications négatives sur la conduite morale de Theodore McCarrick. Une première « vérification » informelle de certaines accusations concernant la conduite de l'archevêque de Newark de l'époque à l'encontre de séminaristes et de prêtres de son diocèse a été faite au milieu des années 1990, avant le voyage de Jean-Paul II dans cette ville américaine. C'est le cardinal archevêque de New York, John O'Connor, qui effectue cette vérification : il demande des informations à d'autres évêques américains, puis conclut qu'il n'y a pas d'« obstacles » à la visite pontificale dans la ville dont McCarrick était le pasteur à l'époque.
La lettre du cardinal O'Connor
La nomination de Theodore McCarrick comme archevêque de Washington est un moment crucial dans cette affaire. Au cours des mois où l'hypothèse d'un transfert de McCarrick vers l'un des sièges traditionnellement cardinalices des États-Unis voit le jour, face à plusieurs avis favorables faisant autorité, il convient d'enregistrer l’avis négatif du cardinal O'Connor. Tout en reconnaissant qu'il ne disposait d'aucune information directe, le cardinal explique, dans une lettre du 28 octobre 1999 adressée au nonce apostolique, qu'il considérait comme une erreur la nomination de McCarrick à ce nouveau poste : il y aurait en effet le risque d'un grave scandale, en raison de rumeurs selon lesquelles l'archevêque avait par le passé partagé son lit avec de jeunes adultes au presbytère, et avec des séminaristes dans une maison en bord de mer.
La première décision de Jean-Paul II
Il est important de souligner, à cet égard, la décision prise initialement par Jean-Paul II. Le Souverain Pontife demande au nonce de vérifier la validité de ces accusations. L'enquête écrite, là encore, n'aboutit à aucune preuve concrète : trois des quatre évêques du New Jersey consultés fournissent des informations définies dans le rapport comme « non précises et incomplètes ». Le Pape, qui connaissait Theodore McCarrick depuis 1976 pour l'avoir rencontré lors d'un de ses voyages aux États-Unis, accepte la proposition avancée par le nonce apostolique aux USA de l'époque, Mgr Gabriel Montalvo, et par le Préfet de la Congrégation pour les Évêques de l'époque, Mgr Giovanni Battista Re, d'abandonner la candidature. Même en l'absence d'éléments circonstanciés, il ne fallait pas prendre le risque, en transférant le prélat à Washington, que les accusations, bien que considérées comme manquant de substance, puissent refaire surface en causant embarras et scandale. McCarrick semble donc destiné à rester à Newark.
La lettre de McCarrick au Pape
Un fait nouveau modifie radicalement le cours des événements. Theodore McCarrick lui-même, après avoir manifestement appris sa candidature et les réserves à son sujet, a écrit le 6 août 2000 à celui qui était à l’époque secrétaire particulier du Pape polonais, Mgr Stanislaw Dziwisz. Il se proclame innocent et jure qu'il n'avait « jamais eu de relations sexuelles avec aucune personne, homme ou femme, jeune ou vieux, clerc ou laïc ». Jean-Paul II lit la lettre. Il est convaincu que l'archevêque américain dit la vérité, et que les « voix » négatives ne sont en fait que des voix, infondées ou, quoi qu’il en soit, non prouvées. C'est donc le Pape lui-même, en donnant des indications précises au secrétaire d'État de l'époque, le cardinal Angelo Sodano, qui établit que McCarrick figure sur la liste des candidats. Et c'est lui, ensuite, qui le choisit pour le siège de Washington. Selon certains des témoignages cités dans le rapport, l'expérience personnelle vécue par l'archevêque Karol Wojtyla lorsqu’il était en Pologne peut également aider à comprendre le contexte de cette période : pendant des années, il avait été témoin de l'instrumentalisation de fausses accusations de la part du régime pour discréditer des prêtres et des prélats.
La décision de Benoît XVI
Jusqu'au moment de sa nomination à Washington, aucune victime - adulte ou mineure – n’avait pris contact avec le Saint-Siège ou avec le nonce aux États-Unis pour déposer une plainte contre un comportement inapproprié attribué à l'archevêque. Et rien d'inconvenant dans l'attitude de McCarrick ne sera signalé au cours de son épiscopat à Washington. Lorsqu’en 2005, ressurgissent des accusations de harcèlement et d'abus sur des adultes, le nouveau Pape, Benoît XVI, demande rapidement la renonciation du cardinal américain, auquel il venait tout juste d'accorder une prolongation de deux ans de son mandat. En 2006, McCarrick quitte donc la direction du diocèse de Washington pour devenir évêque émérite. Il ressort du rapport que, durant cette période, Mgr Carlo Maria Viganò, en tant que délégué des Représentations pontificales, avait signalé à ses supérieurs de la Secrétairerie d'État les informations reçues de la nonciature, en en soulignant la gravité. Mais alors qu’il lançait l’alerte, lui aussi comprenait qu’il ne se trouvait pas en face d’accusations prouvées. Le cardinal Secrétaire d’État, Tarcisio Bertone, présente la question directement au Pape Benoît XVI. Dans ce contexte, en l'absence de victimes mineures, et s’agissant d'un cardinal maintenant démis de ses fonctions, il a également été décidé de ne pas ouvrir de procès canonique officiel pour enquêter sur McCarrick.
Des recommandations, pas des sanctions
Dans les années qui suivirent, malgré la demande qui lui fut faite par la Congrégation pour les évêques de mener une vie plus retirée et de renoncer à ses fréquents rendez-vous publics, le cardinal continua à voyager d'un bout à l’autre du globe, ainsi qu’à Rome. Ces déplacements étaient généralement connus et au moins tacitement approuvés par le nonce. La portée réelle de cette demande de mener une vie plus retirée, adressée à McCarrick par le Saint-Siège, a été beaucoup discutée. Les documents et les témoignages publiés aujourd'hui dans le rapport montrent clairement qu'il n'a jamais été question de « sanctions ». Il s'agissait plutôt de recommandations, données oralement en 2006, puis par écrit en 2008, sans que l'imprimatur de la volonté papale ne soit explicitement mentionné. Il s'agissait donc de recommandations qui, pour être appliquées, présupposaient la bonne volonté de la personne concernée. Il est toléré de fait que le cardinal reste actif, qu’il continue à voyager et qu'il effectue, bien que sans mandat du Saint-Siège, différentes missions dans plusieurs pays, desquelles tirer souvent des informations utiles. Face à une nouvelle plainte contre McCarrick qui lui a été communiquée en 2012, Carlo Maria Viganò, entre-temps nommé nonce aux États-Unis, reçoit du Préfet de la Congrégation pour les évêques des instructions pour mener une enquête. Cependant, d'après ce qui ressort du rapport, le nonce n'effectue pas toutes les vérifications demandées. Par ailleurs, continuant à suivre la même approche que celle utilisée jusqu'alors, il ne fait aucune démarche significative pour limiter les activités et les voyages, nationaux ou internationaux, de McCarrick.
Le procès ouvert par François
Au moment de l'élection du Pape François, McCarrick a déjà plus de 80 ans et il est donc exclu du conclave. Ses habitudes de voyage ne subissent pas de changement, et le nouveau Pape ne reçoit aucun document ou témoignage qui le mettrait au courant de la gravité des accusations portées contre l'ancien archevêque de Washington. François est informé du fait qu'il y a eu des « rumeurs » et des allégations concernant « des comportements immoraux avec des adultes », avant la nomination de McCarrick à Washington. Retenant cependant que ces accusations avaient été analysées et rejetées par Jean-Paul II, et bien conscient que McCarrick était resté actif pendant le pontificat de Benoît XVI, le Pape François ne ressent pas le besoin de modifier « ce que ses prédécesseurs avaient établi ». Il n'est donc pas vrai de dire qu'il a supprimé ou allégé les sanctions ou les restrictions imposées à l'archevêque émérite. Tout change, comme mentionné plus tôt, avec l'arrivée de la première accusation d'abus sur un mineur. La réponse est immédiate. La mesure très grave et sans précédent de renvoi de l'état clérical intervient à l'issue d'un procès canonique rapide.
Ce que l'Église a appris
La photographie de la masse des témoignages et des documents publiés aujourd’hui représente sans aucun doute une page douloureuse de l'histoire récente du catholicisme. Une triste affaire dont toute l'Église a tiré les leçons. Il est en effet possible de lire certaines des mesures adoptées par le Pape François, après le sommet sur la protection des mineurs en février 2019, à la lumière du cas McCarrick. Le motu proprio Vos estis lux mundi, contenant des indications sur l'échange d'informations entre les Dicastères, et entre Rome et les Églises locales, l'implication du Métropolite dans l'enquête initiale, la demande de vérifier rapidement les accusations, ainsi que la levée du secret pontifical, sont autant de décisions qui ont pris en compte ce qu’il s'est passé, pour tirer les leçons de ce qui n'a pas fonctionné, des mécanismes qui se sont bloqués, et des sous-évaluations qui ont malheureusement été faites à différents niveaux. Dans la lutte contre le phénomène des abus, l'Église continue à apprendre, sur la base également des résultats de ce travail de reconstruction, comme on l'a vu en juillet 2020 lors de la publication du Vademecum de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui invite à ne pas rejeter automatiquement une plainte anonyme.
Humilité et pénitence
Voilà donc quel est le tableau général qui se dégage des pages documentées du rapport, avec la reconstruction d'une réalité certainement beaucoup plus articulée et complexe que celle connue jusqu’ici. Au cours des deux dernières décennies, l'Église catholique a pris de plus en plus conscience du drame indicible des victimes, de la nécessité de garantir la protection des mineurs, de l'importance de normes capables de combattre le phénomène. Elle a enfin pris conscience aussi des abus commis à l'encontre d’adultes vulnérables et de l’abus de pouvoir. Le cas de Theodore McCarrick - un prélat préparé et d'une grande intelligence, capable de tisser de nombreuses relations tant dans le domaine politique qu'interreligieux - reste donc pour l'Église catholique, aux États-Unis comme à Rome, une blessure ouverte et encore sanglante, d’abord et avant tout pour la souffrance et la douleur causées aux victimes. Une blessure qui ne peut être guérie que par de nouvelles normes ou des codes de conduite toujours plus efficaces, parce que le crime aussi tient du péché. Une blessure qui, pour être guérie nécessite humilité et pénitence, en demandant à Dieu le pardon et la force de se relever.

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