Pko 13.09.2020

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la paroisse de la Cathédrale de Papeete n°42/2020

Dimanche 13septembre 2020 – 24ème Dimanche du Temps ordinaire – Année A

Humeurs

« Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire » - Albert EINSTEIN

Laissez-moi vous dire

Septembre 2020 : Session de la Cour d’assise de Papeete

« Les juges ne sont pas assez sévères »1

Avec la reprise des sessions des Cours d’Assises et la publication du rapport du ministère de l’Intérieur sur les crimes et délits enregistrés de juin à août 2020 par la police et la gendarmerie, les déclarations des responsables politiques sur la délinquance se révèlent « alarmistes ». Un sondage Ifop fait apparaître qu’un quart des français (73%) estiment que « les juges ne sont pas assez sévères ». Les médias n’ont pas manqué de servir de chambre d’écho, notamment lorsque le ministre de l’Intérieur a dénoncé la montée de l’insécurité et « l’ensauvagement » de la société. [Sources : interieur.gouv.fr/Interstats conjoncture n°60 ; et ifop.com]

Dans le même temps, le 7 septembre, la Garde des sceaux a adressé aux procureurs une circulaire "relative au traitement judiciaire des infractions commises à l'encontre des personnes investies d'un mandat électif et au renforcement du suivi judiciaire des affaires pénales les concernant". Le ministre y réaffirme l'importance « de la mise en œuvre d'une politique pénale empreinte de volontarisme, de fermeté et de célérité et d'un suivi judiciaire renforcé des procédures pénales les concernant ». Elle suggère d’utiliser davantage « la comparution immédiate » pour certains types de violences à l’égard d’élus.

L’utilisation des statistiques dans le monde politique est très tentante pour focaliser l’attention des médias et de la population. Avec la perspective des élections sénatoriales, et à plus long terme les présidentielles et les législatives, surfer sur la vague de l’insécurité est un moyen de damer le pion aux extrémistes !

De nombreux experts appellent à la prudence. Dans un rapport publié par l’INSEE il est rappelé « que la question de la délinquance et de l’insécurité recèle de multiples ambiguïtés. Les débats auxquels on assiste sont confus. Ceci est dû à la complexité des phénomènes, à la multiplicité des notions convoquées pour en parler ; mais aussi, la méconnaissance de cette complexité conduit trop souvent les commentateurs à des raccourcis abusifs et des affirmations sans fondement. » [Source : insee.fr]

La répression et l’emprisonnement semblent une solution pour beaucoup de Français.  Avec le confinement le nombre de personnes détenues a diminué de 13 600 (libérations anticipées et ralentissement de la justice) ; certains ont laissé craindre que ce serait dangereux. Actuellement on dénombre 70 651 personnes emprisonnées pour 61 080 places opérationnelles. Au fenua, au 1er janvier 2020 on recensait au Centre pénitentiaire de Nuutania : 270 hommes pour 138 places (soit une densité carcérale de 197%) ; 18 femmes pour 7 places (soit une densité carcérale de 237%). Au Centre de détention de Tatutu à Papeari, toujours au 1er janvier, on comptait 329 hommes pour 410 places (soit une densité carcérale de 80%). [Source : Office International des Prisons / oip.org]

Hormis le coût des prisons2, selon l’Observatoire International des Prisons : « Aucune étude n’a démontré d’effet dissuasif de l’emprisonnement sur la délinquance, ni d’efficacité à prévenir la récidive. (…) L’emprisonnement augmente les risques de récidive, parce qu’il accroît les facteurs de délinquance recensés. Les fréquentations délinquantes sont favorisées, les personnes détenues sont confortées dans leur “identité de délinquants” par le traitement qui leur est réservé en prison, ce qui vient alimenter un ressentiment envers les institutions. »

63% des personnes libérées en « sortie sèche »3 récidivent, alors que seulement 34% des personnes ayant effectué une peine de travail d’intérêt général ont récidivé.

Nous terminerons notre propos en citant Mme Cécile Marcel, directrice de l’O.I.P. : « La majorité des personnes en détention purgent de courtes peines et ne sont pas dangereuses pour la société. Le problème, c’est que la prison reste la peine de référence quel que soit le délit. On peut par exemple prononcer une incarcération pour la fraude répétée dans les transports en commun, la conduite sans permis ou la consommation de stupéfiants. Avec le confinement, on a pu libérer massivement des personnes détenues sans que cela pose de problèmes de sécurité pour la société. Cela prouve que la surpopulation carcérale n’est pas une fatalité. »

Dominique SOUPÉ

_________________

1   D’après un sondage Ifop conduit pour Avostart (une plateforme d’assistance juridique) du 03 au 04 septembre 2020 auprès d’un échantillon national représentatif de 1 003 personnes âgées de 18 ans et plus.

2   Le coût moyen d’une année de prison pour une personne détenue est estimé à 32 000 euros [3,8 millions CFP], tandis que pour une personne bénéficiant d’une mesure en milieu ouvert le coût annuel est estimé à 1 014 euros [120 000 CFP].[source : oip.org]

3   on qualifie de « sortie sèche » la situation d’un détenu ayant purgé sa peine qui se trouve libéré sans accompagnement, sans dispositif de réinsertion. Alors que la loi oblige l’administration à mettre en place des prises en charge et des accompagnements. C’est là le drame du système carcéral français qui manque de moyens !

© Paroisse de la Cathédrale – 2020

Regard sur l’actualité…

Sauvons la création

Désireux de poursuivre la réflexion qu’il avait développée voici 5 ans dans « Laudato Si » (publiée en Mai 2015), lettre encyclique sur la sauvegarde de la maison commune, le Pape François a voulu célébrer cette année un « Jubilé pour la Terre ». Pour entrer dans cette année jubilaire, le Saint Père, dans un message daté du 1er Septembre 2020 invite à vivre ce qu’il appelle le « Temps de la Création qui se conclut le 4 octobre dans le souvenir de saint François d’Assise. Durant cette période, les chrétiens, dans le monde entier, renouvellent la foi en Dieu créateur et s’unissent de façon spéciale dans la prière et dans l’action pour la sauvegarde de la maison commune ». Année de Jubilé pour la Terre : qu’est-ce à dire ? Écoutons ce que nous dit le Pape François dans son message :

*Année pour se souvenir : « Le Jubilé est donc un temps pour le souvenir, où il faut conserver la mémoire de notre existence interrelationnelle. Nous avons constamment besoin de nous rappeler que tout est lié, et la protection authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres. »

*Année pour revenir : « Le Jubilé est un temps pour retourner en arrière et se repentir. Nous avons brisé les liens qui nous unissaient au Créateur, aux autres êtres humains et au reste de la création. Nous avons besoin de restaurer ces relations détruites, qui sont essentielles pour nous soutenir nous-mêmes et toute la trame de la vie. »

*Année pour se reposer : « Dans sa sagesse, Dieu a réservé le jour du sabbat pour que la terre et ses habitants puissent se reposer et se ressourcer. Aujourd’hui, cependant, nos styles de vie poussent la planète au-delà de ses limites. La demande constante de croissance ainsi que le cycle incessant de production et de consommation sont en train d’épuiser l’environnement. Les forêts disparaissent, le sol est érodé, les champs disparaissent, les déserts avancent, les mers deviennent acides et les tempêtes s’intensifient : la création gémit !... La pandémie actuelle nous a amenés, en quelque sorte, à redécouvrir des styles de vie plus simples et durables. La crise, dans un certain sens, nous a donné la possibilité de développer de nouvelles façons de vivre. Il a été possible de constater comment la terre réussit à se reprendre si nous lui permettons de se reposer : l’air est devenu plus sain, les eaux plus transparentes, les espèces animales sont revenues dans de nombreux endroits d’où elles avaient disparu... »

*Année pour réparer : « Il invite à rétablir des relations sociales équitables, en restituant à chacun sa liberté et ses biens, et en effaçant la dette des autres…Il est également nécessaire de réparer la terre. La restauration d’un équilibre climatique est très importante, étant donné que nous nous trouvons en situation d’urgence. Nous sommes à court de temps, comme nos enfants et nos jeunes nous le rappellent. Il faut faire tout ce qui est possible pour limiter l’augmentation de la température moyenne globale au seuil de 1,5°C, comme il est stipulé dans l’Accord de Paris sur le Climat : le dépasser se révèlera catastrophique, surtout pour les communautés les plus pauvres du monde entier ».

*Année pour se réjouir : « Nous sommes témoins de la façon dont l’Esprit Saint inspire partout des individus et des communautés à s’unir pour reconstruire la maison commune et défendre les plus vulnérables. Nous assistons à l’émergence progressive d’une grande mobilisation de personnes, qui, à la base et dans les périphéries, travaillent généreusement pour la protection de la terre et des pauvres. Cela procure de la joie de voir tant de jeunes et de communautés, en particulier autochtones, en première ligne pour répondre à la crise écologique ».

Réjouissons-nous que beaucoup sur le Fenua, œuvrent dans le même sens : association de protection et conservation des vieux orangers de la Punaruu et des plantes endémiques ; association SOP-Manu des Gambier pour le reboisement et le repeuplement de certaines espèces d’oiseaux ; associations œuvrant pour la sensibilisation au tri sélectif et à la protection de l’environnement ; projet régional Océanien des Territoires pour la gestion durable des écosystèmes, des ressources forestières, des ressources récifo-lagonaires etc… Il nous revient, en tant que Chrétiens, mais surtout en tant qu’Humains habitant cette terre de prendre ce défi au sérieux. Ne nous faisons pas d’illusion, ce choix n’est pas à option !

+Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete – 2020

Audience générale

Guérir le monde : l’amour et le bien commun

Lors de l’audience générale de ce mercredi 9 septembre, le Saint-Père a poursuivi son cycle de catéchèses “Guérir le monde” depuis la Cour Saint-Damase. François a parlé cette fois-ci de la réponse chrétienne à la pandémie, fondée sur l’amour et dirigée vers la promotion du bien commun.

Chers frères et sœurs, bonjour !

La crise que nous vivons à cause de la pandémie frappe tout le monde ; nous pouvons en sortir meilleurs si nous cherchons tous ensemble le bien commun ; dans le cas contraire, nous en sortirons pires. Malheureusement, nous assistons à l'apparition d'intérêts partisans. Par exemple, certains voudraient s'approprier de solutions possibles, comme dans le cas des vaccins et ensuite les vendre aux autres. D'autres profitent de la situation pour fomenter des divisions : pour chercher des avantages économiques ou politiques, en engendrant ou en accroissant les conflits. D'autres ne s'intéressent tout simplement pas à la souffrance d'autrui, passent outre et poursuivent leur chemin (cf. Lc 10,30-32). Ce sont les fidèles de Ponce Pilate, ils s'en lavent les mains.

La réponse chrétienne à la pandémie et aux conséquentes crises socio-économiques se base sur l’amour, tout d'abord l'amour de Dieu qui nous précède toujours (cf. 1 Jn 4,19). Il nous aime le premier, Il nous précède toujours dans l'amour et dans les solutions. Il nous aime de manière inconditionnée, et quand nous accueillons cet amour divin, alors nous pouvons répondre de manière semblable. Je n'aime pas seulement ceux qui m'aiment : ma famille, mes amis, mon groupe, mais aussi ceux qui ne m'aiment pas, j'aime aussi ceux qui ne me connaissent pas, j'aime aussi ceux qui sont des étrangers, et aussi ceux qui me font souffrir ou que je considère comme des ennemis (cf. Mt 5,44). C'est la sagesse chrétienne, c'est l'attitude de Jésus. Et le point le plus élevé de la sainteté, disons ainsi, est d'aimer ses ennemis, et ce n'est pas facile. Certes, aimer tout le monde, y compris ses ennemis, est difficile – je dirais que c'est un art ! Mais un art qu'on peut apprendre et améliorer. L’amour vrai, qui nous rend féconds et libres, est toujours expansif et inclusif. Cet amour soigne, guérit et fait du bien. Bien souvent, une caresse fait plus de bien que beaucoup d'arguments, une caresse de pardon et pas tant d'arguments pour se défendre. C'est l'amour inclusif qui guérit.

L’amour ne se limite donc pas aux relations entre deux ou trois personnes, ou aux amis, ou à la famille, il va au-delà. Il comprend les rapports civiques et politiques (cf. Catéchisme de l'Église catholique [CEC], nn.1907-1912), y compris le rapport avec la nature (Enc. Laudato si’ [LS], n.231). Étant donné que nous sommes des êtres sociaux et politiques, l'une des plus hautes expressions de l'amour est précisément celle sociale et politique, décisive pour le développement humain et pour affronter chaque type de crise (ibid., n.231). Nous savons que l'amour féconde les familles et les amitiés ; mais il est bon de rappeler qu'il féconde également les relations sociales, culturelles, économiques et politiques, en nous permettant de construire une “civilisation de l'amour”, comme aimait le dire saint Paul VI et, dans son sillage, saint Jean-Paul II. Sans cette inspiration prévaut la culture de l'égoïsme, de l'indifférence, du rebut, c'est-à-dire mettre au rebut celui que je n'aime pas, celui que je ne peux pas aimer ou ceux qui me semblent inutiles dans la société. Aujourd'hui, à l'entrée, un couple m'a dit : “Priez pour nous, parce que nous avons un fils porteur de handicap”. J'ai demandé : “Quel âge a-t-il ?  – Il est grand – Et qu'est-ce que vous faites ? – Nous l'accompagnons, nous l'aidons”. Toute la vie des parents donnée à ce fils porteur de handicap. C'est de l'amour. Et les ennemis, les adversaires politiques, selon notre opinion, semblent être des porteurs de handicap politiques et sociaux, mais ils semblent. Dieu seul sait s'ils le sont ou pas. Mais nous devons les aimer, nous devons dialoguer, nous devons construire cette civilisation de l'amour, cette civilisation politique, sociale, de l'unité de toute l'humanité. Tout cela est l'opposé des guerres, des divisions, des envies, également des guerres en famille. L'amour inclusif est social, il est familial, il est politique : l'amour envahit tout !

Le coronavirus nous montre que le vrai bien pour chacun est un bien commun pas seulement individuel et, vice-versa, le bien commun est un vrai bien pour la personne (cf. CEC, nn.1905-1906). Si une personne cherche seulement son propre bien, elle est égoïste. En revanche, la personne est davantage une personne quand elle ouvre son propre bien à tous, qu'elle le partage. La santé, outre qu'un bien individuel, est également un bien public. Une société saine est celle qui prend soin de la santé de tous.

Un virus qui ne connaît pas de barrières, de frontières ou de distinctions culturelles et politiques doit être affronté avec un amour sans barrières, frontières ou distinctions. Cet amour peur engendrer des structures sociales qui nous encouragent à partager plutôt qu'à entrer en compétition, qui nous permettent d'inclure les plus vulnérables et de ne pas les exclure, et qui nous aident à exprimer le meilleur de notre nature humaine et non le pire. Le véritable amour ne connaît pas la culture du rebut, il ne sait pas ce que c'est. En effet, quand nous aimons et que nous engendrons la créativité, quand nous engendrons la confiance et la solidarité, c'est là qu'apparaissent des initiatives concrètes pour le bien commun. Et cela vaut aussi bien au niveau des petites et des grandes communautés, qu'au niveau international. Ce que l'on fait en famille, ce que l'on fait dans le quartier, ce que l'on fait dans le village, ce que l'on fait dans la grande ville et au niveau international est la même chose : c'est la même semence qui grandit et porte du fruit. Si dans ta famille, dans ton quartier, tu commences avec l'envie, avec la lutte, à la fin il y aura la “guerre”. En revanche, si tu commences avec l'amour, à partager l'amour, le pardon, alors, il y aura l'amour et le pardon pour tous.

Au contraire, si les solutions à la pandémie portent l'empreinte de l'égoïsme, qu'il soit de personnes, d'entreprises ou de pays, nous pouvons peut-être sortir du coronavirus, mais certainement pas de la crise humaine et sociale que le virus a soulignée et accentuée. Faites donc attention à ne pas construire sur le sable (cf. Mt 7,21-27) ! Pour construire une société saine, inclusive, juste et pacifique, nous devons le faire sur le roc du bien commun. Le bien commun est un roc. Et c'est la tâche de tous, pas seulement de quelques spécialistes. Saint Thomas d'Aquin disait que la promotion du bien commun est un devoir de justice qui incombe à chaque citoyen. Chaque citoyen est responsable du bien commun. Et pour les chrétiens c'est aussi une mission. Comme l'enseigne saint Ignace de Loyola, orienter nos efforts quotidiens vers le bien commun est une manière de recevoir et de diffuser la gloire de Dieu.

Malheureusement, la politique ne jouit pas souvent d'une bonne réputation, et nous savons pourquoi. Cela ne veut pas dire que les politiciens soient tous mauvais, non, je ne veux pas dire cela. Je dis seulement que, malheureusement, la politique ne jouit pas souvent d'une bonne réputation. Il ne faut cependant pas se résigner à cette vision négative, mais réagir en démontrant par les faits qu'une bonne politique est possible, et même un devoir, celle qui met au centre la personne humaine et le bien commun. Si vous lisez l'histoire de l'humanité, vous trouverez beaucoup d'hommes politiques saints, qui sont allés sur cette voie. Cela est possible dans la mesure ou chaque citoyen et, en particulier qui assume des engagements et des responsabilités sociales et politiques, enracine sa propre action dans les principes éthiques et l'anime avec l'amour social et politique. Les chrétiens, en particulier les fidèles laïcs, sont appelés à donner un bon témoignage de cela et ils peuvent le faire grâce à la vertu de la charité, en cultivant sa dimension sociale intrinsèque.

Il est donc temps d'accroître notre amour social – je veux souligner cela : notre amour social –, en contribuant tous, à partir de notre petitesse. Le bien commun demande la participation de tous. Si chacun y met du sien, et si personne n'est laissé de côté, nous pourrons régénérer de bonnes relations au niveau communautaire, national, international et également en harmonie avec l'environnement (cf. LS, n.236). Ainsi dans nos gestes, même les plus humbles, deviendra visible quelque chose de l'image de Dieu que nous portons en nous, parce que Dieu est Trinité, Dieu est amour. C'est la plus belle définition de Dieu de la Bible. Elle nous est donnée par l'apôtre Jean, qui aimait tant Jésus : Dieu est amour. Avec son aide, nous pouvons guérir le monde en travaillant tous ensemble pour le bien commun, pas seulement pour notre propre bien, mais pour le bien commun, de tous.

© Libreria Editrice Vaticana – 2020

Orthodoxie

Yves Hamant : « Pour Alexandre Men, le christianisme ne faisait que commencer »

Il y a 30 ans, le 9 septembre 1990, Alexandre Men, prêtre orthodoxe, grande figure spirituelle en Union soviétique, était assassiné à coups de hache sur le chemin de son église. Attaché culturel à l’ambassade de Moscou de 1974 à 1979, premier traducteur de l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, Yves Hamant a eu avec lui une relation d’amitié pendant 20 ans. Il est l’auteur d’une biographie d’Alexandre Men, parue en 2000.

La vie : Vous souvenez-vous du moment où vous avez appris la mort du prêtre orthodoxe Alexandre Men ?

Yves Hamant : Bien sûr… Cela a été un gros choc. Des amis français à Moscou m’ont appelé. Je n’ai pu aller à son enterrement, qui a eu lieu très rapidement, mais j’ai réussi à me rendre à l’office du neuvième jour. Pour beaucoup de ses amis, un monde s’écroulait. Mais beaucoup se sont relevés et ont repris courage. La phrase de Jésus selon laquelle « si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean 12,24) s’est révélée très vraie en ces circonstances. Parce que si son influence est difficilement mesurable tant elle est diffuse, elle est bien réelle.

La vie : Comment avez-vous connu Alexandre Men et quels souvenirs gardez-vous de lui ?

Yves Hamant : J’ai fait sa connaissance par l’intermédiaire d’une Française d’origine russe, Assia Douroff, qui travaillait à l’ambassade de France dans les années 1960. Étant donné sa maîtrise parfaite de la langue russe, qui était sa langue maternelle, sa double culture russe et française, et son double attachement au catholicisme et à l’orthodoxie, elle était entrée en relation avec un groupe de jeunes, les premiers enfants spirituels du père Alexandre Men, qui avait alors une trentaine d’années. Dans les années 1970, de passage à Moscou, j’ai passé quelques jours chez elle, et elle m’a parlé de lui. Je suis allé le trouver, aussi discrètement que possible, dans la paroisse où il venait de s’installer, dans les environs. Il m’a reçu avec beaucoup de bienveillance et de joie. À chaque fois que je suis allé le revoir par la suite, je prenais un tas de précautions pour ne pas lui attirer d’ennuis. Je prenais le train, le bus, je cherchais mon chemin sans oser le demander à quiconque. Puis j’arrivais dans son presbytère et je ressentais un profond apaisement : il enlevait tout le stress. Cette joie rayonnante, je ne l’ai pas oubliée, c’est cette image que je garde de lui.

La vie : Quel genre de prêtre était-il ?

Yves Hamant : Il était avant tout le pasteur des intellectuels soviétiques qui, à la fin des années 1960 et dans les années 1970 étaient en recherche, ne pouvant plus être convaincus par l’idéologie soviétique, complètement morte, et qui trouvaient en lui un interlocuteur capable de leur parler de science, de cinéma, de littérature… Et en même temps, il était capable de parler avec tout le monde, comme les petites mamies, les babouchkas, de son église. Il avait la capacité d’être totalement ouvert à chacun et tous ceux qui le connaissaient avaient l’impression d’être son meilleur ami. À la fin, on s’est aperçu que le père Men avait de nombreux meilleurs amis ! Il était profondément empathique.

La vie : Il était très attentif à l’inculturation, à la nécessité de parler à la société dans son langage : mais dans quel langage pouvait-il parler à la société soviétique, essorée par des années d’idéologie totalitaire ?

Yves Hamant : Son entrée dans la culture soviétique, c’était, au fond, la science. Les soviétiques ont été formés dans le scientisme, et il entrait en relation par cet angle-là d’autant plus aisément qu’il était un véritable scientifique. Il a écrit que, dans un autre contexte, il aurait aimé être chercheur et prêtre, comme Pierre Teilhard de Chardin…

La vie : Sa mère était juive non pratiquante ; comment la famille est-elle passée à l’orthodoxie ? Et comment assumait-il ses racines juives ?

Yves Hamant : Sa mère était d’origine juive, d’une famille juive non pratiquante, mais surtout élevée dans l’athéisme. Elle avait découvert le Christ dans son adolescence, un peu par hasard, mais le problème était qu’en Russie l’antisémitisme était très répandu dans l’Église. Pour un juif russe, devenir orthodoxe était une véritable trahison. Les choses ont changé après la révolution : les orthodoxes étaient à présent persécutés. Avant la naissance de son fils, sa mère était entrée en relation avec un moine orthodoxe, qui vivait caché, par le biais d’une correspondance secrète, et grâce à cela, elle avait pu franchir le pas. Et quand elle avait pu, elle avait fait baptiser son fils dans les catacombes. Le père Alexandre a toujours assumé cette double appartenance au Christ et au peuple élu, et il considérait que c’était une double responsabilité.

La vie : Quel est son principal apport théologique ?

Yves Hamant : Pendant un certain temps en Occident, on a considéré Alexandre Men comme un prêtre audacieux, courageux, dont le ministère était conditionné par le contexte soviétique, et particulièrement l’absence de liberté religieuse. On peut en faire une lecture différente, beaucoup plus actuelle. Pour moi, c’est un pasteur pour les temps de sécularisation, qui répond à tous les défis posés par la sécularisation puisque, précisément, il a vécu et exercé son ministère dans un monde marqué par une sécularisation maximale. Voilà pourquoi il me semble très actuel et consonne avec beaucoup de questions qui agitent aujourd’hui de nombreux catholiques.

Au fond, il apporte des réponses à des questions soulevées par des théologiens comme Christoph Theobald, dans Urgences pastorales par exemple, comme le fait que l’on ne peut pas s’appuyer sur un substrat culturel chrétien qui a disparu. Sa conviction est qu’il faut chercher les gens dans leur culture, telle qu’elle est. On ne trouve chez lui aucune nostalgie : il a toujours mis en garde contre cela et contre la tentation des convertis orthodoxes de fuir le monde et de vivre comme des émigrés de l’intérieur. Évidemment, dans ce monde soviétique très hostile et antichrétien, les néo-convertis pouvaient avoir la tentation de se réfugier dans un monde intérieur, de se barricader… Il concevait bien qu’il fallait se protéger, mais pas par des barrières complètement étanches. C’est une grande leçon qu’il nous laisse, à mon avis.

Il y a aussi l’insistance sur le fait que le christianisme n’est pas d’abord une doctrine, un dogme, une morale, mais Jésus-Christ qui vit en nous… Bien sûr, la morale existe, mais c’est second. L’autre aspect de son enseignement, c’est la dynamique de la bonne nouvelle et du Royaume à venir. Pour lui, le salut se construit ici-bas, ce n’est pas un événement qui se produit à la fin des temps mais un processus, et le jugement de Dieu a lieu déjà ici et maintenant. 

La vie : « Le christianisme ne fait que commencer », pour citer ses propres mots…

Yves Hamant : Oui, c’est cela. C’est frappant ! Alors que nous nous demandons comment être chrétiens dans un monde qui a cessé de l’être, cette nostalgie-là lui était étrangère. Cette formule, « le christianisme ne fait que commencer », décoiffe, et elle a eu beaucoup d’écho. Et en même temps, cela résume une grande partie de son ministère et de son enseignement. C’est cette réflexion que prolonge, sous une forme sans doute plus radicale encore, le frère dominicain Dominique Collin dans Le christianisme n’existe pas encore. 

La vie : Comment expliquer son engagement œcuménique ?

Yves Hamant : Il lui est venu par ses lectures, notamment par l’œuvre du philosophe Vladimir Soloviev, par des rencontres, par la découverte de la personnalité de Jean XXIII, mais c’est avant tout l’aboutissement d’une réflexion, d’un cheminement personnel.

La vie : Son meurtre reste non élucidé, mais quelle est la thèse la plus probable ?

Yves Hamant : La thèse la plus probable est celle du KGB au plus haut niveau. Durant toute sa vie, il a été étroitement surveillé par le KGB, qui a cherché plusieurs fois à le mettre au goulag, et voilà qu’au moment de la perestroïka, il se produit en public, il donne de multiples conférences, il intervient à la radio et à la télévision. Il a certainement dû sembler insupportable…

La vie : Quel est l’état de son héritage, aujourd’hui, en Russie ? A-t-il des enfants spirituels ?

Yves Hamant : Oui, des enfants qui vieillissent ! Mais il y a aussi beaucoup de gens qui découvrent sa personnalité. Il y a des films sur lui, des rencontres sont organisées autour de sa mémoire. Ce 9 septembre, le chef d’orchestre Vladimir Spivakov va donner un grand concert à Moscou, et la maison de la musique qui a été fermée à cause du Covid-19 va rouvrir pour cette occasion. Il y a aussi ses livres, dont certains ont été largement édités, en particulier son Jésus, le maître de Nazareth, vendu à plusieurs millions d’exemplaires. Pour beaucoup de gens, ce livre a été une entrée dans l’Évangile. Et puis il y a ses idées… Le clergé orthodoxe qui lui était majoritairement hostile, parce qu’on le présentait comme crypto-catholique, sioniste, moderniste et que sais-je encore, a compris qu’il y avait eu beaucoup de calomnies en commençant à s’intéresser à lui. Petit à petit, l’Église officielle se l’approprie. En 30 ans, les choses ont progressé, et il reste présent dans la mémoire collective.

© La Vie – 2020

Débat

Confinement, masques et risques de la vie

L'observance par les uns et les autres des prescriptions sanitaires en ce moment est un bon indicateur de notre attitude face au danger de vivre.

La France a rarement été aussi divisée…

Un nouveau clivage, psychologique celui-là, est apparu depuis le début du confinement. Il oppose ceux qui portent un masque quand la loi (transports publics, etc…) ou le libre choix d'un commerçant les y contraint et ceux qui se cachent derrière le morceau de tissu blanc ou bleu aussitôt sortis de leur tanière. Les suicidaires sont rares et face à un virus aussi malfaisant, la prudence s'imposait.

À des exceptions près dans certaines banlieues, les contraintes du confinement ont été respectées. Celles encore prescrites en zone verte - j'allais écrire : en zone libre - le sont moins, le risque étant insignifiant. Dans les villes et bourgades de province, la plupart des clients n'entrent pas masqués au restaurant et des promiscuités apéritives sont tolérées dans les bars. Des gens se serrent la louche et s'embrassent, comme avant. Mais, dans des rues peu achalandées, des passants me toisent d'un œil torve parce que j'offre benoîtement mon visage à leur regard.

Admettons qu'ils aient été traumatisés par le flux tendu d'informations anxiogènes durant leur réclusion à domicile. Admettons aussi qu'il n'est pas absurde de se prémunir pour éviter de se retrouver en posture d'agonisant dans un service de réanimation. Mais dans le sillage du principe de précaution, certains sont obnubilés par un souci de quiétude sanitaire. Une diététique du moi les claquemure dans une prudence de tous les instants. Quitte à laisser passer les trains de la moindre aventure, au motif qu'ils peuvent dérailler. Quitte à renoncer au bonheur, lequel a partie liée avec l'insouciance. En s'interdisant toute désinvolture, tout “excès” (y compris amoureux), on risque pourtant pire qu'une maladie : un confinement ad vitam aeternam dans la solitude glaciale de l'ego. Visible à l'œil nu, ce clivage entre précautionneux (plutôt âgés) et décontractés (plutôt jeunes) aura déterminé deux attitudes face à l'existence.

Nous, les insoucieux, observons les museaux planqués avec un mélange de gêne et d'ironie. Gêne, parce que dans notre civilisation, l'altérité s'exprime en priorité par un visage à découvert. Emmanuel Levinas y voit d'ailleurs le fondement de toute conscience de soi. Ironie, parce que dans nos campagnes où le virus n'a pas daigné se pointer, l'abus de précaution tourne à la pathologie sécuritaire. En zone orange, le frottis des coudes obéissait à un réflexe d'autoprotection encore plausible : le virus n'a pas désarmé. Dans la France dite profonde, ces accoudements sont franchement ridicules et les automobilistes qui portent le masque dans leur habitacle prêtent à rire. Eux n'ont pas envie de rire. Ont-ils encore envie de vivre ? “On ne sait jamais” leur tient lieu de devise. Mais à ce compte-là, il ne faut pas quitter son fauteuil et ses charentaises, on peut se rompre les os en descendant l'escalier ou percuter un platane sur la route.

Vivre, c'est risquer une mise à chaque étape de notre périple ici-bas et si la prudence peut tétaniser, elle n'empêche pas de mourir un jour ou l'autre. Au bout du principe de précaution se profile un univers grisaillant où l'on se recroquevillera frileusement dans l'impasse du risque zéro. Les gouvernants trouveront commode de décréter factieux les récalcitrants d'un ordre sanitaire tiré au cordeau des technos. Grâce au ciel, on n'en est pas là, mais le risque existe et il n'est pas anodin. Osons espérer que notre naturel de “Gaulois réfractaires” remettra dès l'été la grande accolade à l'ordre du jour et que ces masques grimaçants seront remisés dans les armoires à toutes fins utiles. Ou inutiles.

© Valeurs actuelles – 2020

Éthique

En Australie : les prêtres qui tairaient les confessions sur des abus sexuels d’enfants risquent la prison

L’état de Queensland, en Australie, a adopté mardi 8 septembre une loi qui oblige les prêtres à briser le secret de la confession s’ils sont amenés, par le biais de ce sacrement, à entendre des informations liées à des abus sexuels sur enfants. Tout manquement à cette obligation pourra être puni de trois ans de prison.

« Abuser sexuellement d’un enfant est un crime abject qui blesse les individus, les familles et peut causer des dommages collatéraux à des communautés entières. » Dans un communiqué publié mardi 8 septembre, Yvette D’Ath, procureure générale de l’État de Queensland (Australie) et ministre de la justice, a annoncé la promulgation de nouvelles lois, adoptées par le parlement du Queensland avec le soutien de l’opposition, pour lutter contre les abus sexuels sur enfants dans l’État concerné.

Parmi ces lois, l’une clarifie la situation du secret de la confession, qui désormais ne pourra plus justifier de taire des informations liées à ce type d’abus.

La fin du secret de la confession

« Les nouvelles lois mettent au clair que les prêtres ne pourront plus s’appuyer sur le sceau de la confession pour éviter de signaler des abus. » Le message d’Yvette D’Ath est clair : désormais, aucun manquement au devoir de signaler des abus sexuels sur enfants ne sera toléré.

Les sanctions qui seront appliquées en cas de délit sont déterminées par le code criminel de l’État de Queensland. Ce code indique, entre autres, que tout adulte qui ne signalerait pas des informations concernant l’abus sexuel d’enfants de moins de 16 ans ou de personnes handicapées mentalement pourrait encourir une peine de maximum trois ans de prison.

La règle s’applique dès que « l’adulte obtient des informations qui le poussent, ou devraient le pousser, à croire sur base d’éléments fiables qu’un abus sexuel sur enfant est, ou a été, commis par un adulte. » Le code stipule encore que « cela ne change rien si l’information a été découverte par l’adulte pendant une confession religieuse ». D’autres points précisent les cas où la mesure ne s’applique pas, notamment lorsque la vie des acteurs serait mise en danger par les révélations.

Le journal local The Young Witness précise que « d’autres États continuent de débattre à propos de propositions similaires ». Les États du Victoria, de Tasmanie et d’Australie du Sud, ainsi que le Territoire de la capitale australienne, ont également adopté des lois obligeant les prêtres à briser le sceau sacramentel.

Une lutte sur plusieurs fronts

La nouvelle législation concernant le secret de la confession n’est en réalité qu’une mesure parmi d’autres. La ministre de la justice annonce en effet « des lois dures qui ouvrent une nouvelle ère de justice pour les victimes, tout en rappelant que l’abus sexuel d’enfants n’est jamais acceptable. »

Par exemple, les personnes qui vendent, produisent ou possèdent des poupées sexuelles d’enfants encourent désormais, dans l’état du Queensland, une peine allant jusqu’à 20 ans de prison. Ces mesures suivent les recommandations de la commission royale pour les réponses institutionnelles à l’abus sexuel sur enfants.

Ce que dit l’Église

En janvier, alors que la loi était sur la table des négociations, Mgr Mark Coleridge, archevêque de Brisbane, capitale du Queensland, avait affirmé que briser le sceau sacramentel faisait des prêtres « moins des servants de Dieu que des agents de l’État. »

Précisant bien que l’Église « partage le désir du Parlement de faire de notre État un lieu aussi sûr que possible pour nos jeunes », l’archevêque ajoutait néanmoins qu’une telle mesure, fondée sur « une connaissance pauvre de la manière dont le sacrement est administré », posait des questions majeures en termes de « liberté religieuse ». 

Le 4 septembre, la Conférence épiscopale des évêques catholiques d’Australie rappelait que le prêtre qui entendrait une victime parler d’abus dans le confessionnal « devait l’encourager à aller les dénoncer aux autorités. » Cependant, le Vatican a toujours indiqué qu’en ce qui concerne l’auteur d’abus, en aucun cas le fait de se livrer à la justice civile doit être une condition pour recevoir l’absolution, quelle que soit la gravité de la faute.

Dans une note du 29 juin 2019, la pénitencerie apostolique citait le pape François, qui, en 2019, réaffirmait l’inviolabilité du secret de confession : « Même si le sceau sacramentel n’est pas toujours compris par la mentalité moderne, il est indispensable pour la sainteté du sacrement et pour la liberté de conscience du pénitent ; ce dernier devant être certain, à chaque moment, que l’entretien sacramentel restera dans le secret du confessionnal, entre sa conscience qui s’ouvre à la grâce de Dieu et la médiation nécessaire du prêtre. »

© La Croix - 2020

Entretien

Alain COCQ : « Mon corps ne supportait plus de souffrir »

Atteint d’une maladie dégénérative et militant pour le suicide assisté, Alain Cocq a finalement accepté une prise en charge palliative, explique-t-il à La croix.

Hospitalisé depuis lundi 7 au soir au CHU de Dijon, alors qu’il avait stoppé alimentation, hydratation et certains médicaments trois jours plus tôt, Alain Cocq, atteint d’une maladie dégénérative incurable, a finalement accepté une prise en charge palliative. « Je souffrais trop, je ne serais pas parti en paix dans ses conditions », raconte-il à La Croix, jeudi 10 au matin, pour expliquer son revirement.

Lui qui voulait faire de sa mort un combat médiatique et politique se réalimente et boit à nouveau. « Je devrais pouvoir rentrer chez moi dans une dizaine de jours, peut-être quinze, confirme-t-il. Le temps de récupérer et de mettre en place une hospitalisation à domicile. »

En pratique, cette prise en charge palliative va notamment permettre de réajuster les doses d’anti-douleurs et les traitements prises par Alain Cocq, comme la morphine, qui lui est administrée par intervalles réguliers, via une pompe.

Militant, il reste déterminé

S’il a renoncé à se laisser mourir, Alain Cocq n’en demeure pas moins déterminé à faire évoluer la loi actuelle sur la fin de vie, qu’il juge trop restrictive. Votée en 2016, la loi Claeys-Leonetti réaffirme le droit des malades à stopper tout traitement et à bénéficier, en cas de douleurs réfractaires, d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, dès lors que le pronostic vital du patient est engagé à court terme.

Dans un premier temps, Alain Cocq ne rentrait donc pas dans ce cadre, puisqu’en dépit des douleurs insupportables de sa maladie, il n’est pas en fin de vie. Par la suite, l’arrêt de son alimentation et de son hydratation ayant provoqué la dégradation de son état et engagé son pronostic vital, Alain Cocq aurait pu bénéficier de cette sédation. 

« La loi actuelle permet d’accompagner dans la dignité les patients atteints de maladies graves évolutives », avait d’ailleurs tenu à préciser la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs), dans un communiqué.

La loi actuelle doit être mieux appliquée 

Mais Alain Cocq a refusé cette sédation. « C’est une mort à petit feu, que je ne veux pas infliger à ma famille et mes proches », explique-t-il, rappelant qu’il s’est écoulé plus d’une semaine avant que Vincent Lambert décède, une fois ses traitements arrêtés. Alain Cocq, lui, veut mourir « vite », en « pleine conscience ».

Alors que résonne en fond le bip de sa pompe à morphine, il ajoute : « Mon combat va continuer, sous d’autres formes. » Le militantisme, l’interpellation, l’appel à signer des pétitions, pour faire évoluer la loi vers l’autorisation de l’euthanasie ou du suicide assisté : « La question de la fin de vie sera au cœur des enjeux de la prochaine présidentielle », espère-t-il. 

Avant d’être modifiée, la loi actuelle doit surtout être « mieux connue » et « enfin appliquée », plaide la SFAP. Les patients devraient, « partout en France », pourvoir bénéficier de soins palliatifs « de qualité », dispensés « précocement ». Ce qui n’est pas le cas actuellement. En cause : des budgets insuffisants, un faible nombre de professionnels spécialisés, une permanence et un accès aux soins dégradé dans certains territoires. L’association appelle à l’adoption rapide d’un nouveau plan ambitieux de développement des soins palliatifs.

© La Croix – 2020

Commentaire

Chers frères et sœurs, bonjour !

Le passage évangélique de ce dimanche (cf. Mt 18,21-35) nous offre un enseignement sur le pardon, qui ne nie pas le tort subi, mais reconnaît que l’être humain, créé à l’image de Dieu, est toujours plus grand que le mal qu’il commet. Saint Pierre demande à Jésus : « Seigneur, combien de fois mon frère pourra-t-il pécher contre moi et devrai-je lui pardonner ? Irai-je jusqu’à sept fois ? » (v.21). Il semble à Pierre que ce soit déjà le maximum que de pardonner sept fois à une même personne ; et peut-être nous-semble-t-il déjà beaucoup, à nous, de le faire deux fois. Mais Jésus répond : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix-sept fois » (v.22), ce qui revient toujours à dire : tu dois toujours pardonner. Et il le confirme en racontant la parabole du roi miséricordieux et du serviteur sans pitié, dans laquelle il montre l’incohérence de celui qui d’abord a été pardonné et se refuse ensuite de pardonner.

Le roi de la parabole est un homme généreux qui, pris de compassion, remet une dette très importante — « dix mille talents » : immense — à un serviteur qui le supplie. Mais ce même serviteur, dès qu’il rencontre un autre serviteur comme lui, qui lui doit cent deniers — c’est-à-dire beaucoup moins — se comporte sans pitié, en le faisant jeter en prison. Le comportement incohérent de ce serviteur, c’est aussi le nôtre lorsque nous refusons le pardon à nos frères. Alors que le roi de la parabole est l’image de Dieu qui nous aime d’un amour si riche en miséricorde qu’il nous accueille, nous aime, et nous pardonne sans cesse.

Depuis notre baptême, Dieu nous a pardonnés, en nous remettant une dette insolvable : le péché originel. Mais il s’agit-là de la première fois. Puis, avec une miséricorde sans limite, Il nous pardonne toutes nos fautes dès que nous montrons ne serait-ce qu’un petit signe de repentir. Dieu est ainsi : miséricordieux. Lorsque nous sommes tentés de fermer notre cœur à qui nous a offensés et nous présente des excuses, rappelons-nous des paroles du Père céleste au serviteur sans pitié : « Toute cette somme que tu me devais, je t’en ai fait remise, parce que tu m’as supplié ; ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme moi j’ai eu pitié de toi ? » (vv.32-33). Quiconque a fait l’expérience de la joie, de la paix et de la liberté intérieure qui vient du fait d’être pardonné peut s’ouvrir à la possibilité de pardonner à son tour.

Dans la prière du Notre Père, Jésus a voulu insérer le même enseignement que celui de cette parabole. Il a mis en relation directe le pardon que nous demandons à Dieu avec le pardon que nous devons accorder à nos frères : « Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs » (Mt 6,12). Le pardon de Dieu est le signe de son amour débordant pour chacun de nous ; c’est l’amour qui nous laisse libres de nous éloigner, comme le fils prodigue, mais qui attend chaque jour notre retour ; c’est l’amour entreprenant du berger pour la brebis perdue; c’est la tendresse qui accueille tout pécheur qui frappe à sa porte. Le Père céleste — notre Père — est plein, il est plein d’amour et il veut nous l’offrir, mais il ne peut pas le faire si nous fermons notre cœur à l’amour des autres.

Que la Vierge Marie nous aide à être toujours plus conscients de la gratuité et de la grandeur du pardon reçu de Dieu, pour devenir miséricordieux comme lui, Père bon, lent à la colère et grand dans l’amour.

© Libreria Editrice Vaticana – 2017