Pko 12.04.2020

Eglise cath papeete 1

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°17/2020

Dimanche 12 avril 2020 – Dimanches de Pâques – Année A

Humeurs…

Qu’est ce qu’on fait ?… Que ferons-nous ?

En cette période de pandémie… que nous dis le mystère de Pâques… la Résurrection… ?

La Résurrection de Christ est un Mystère unique qui n’a rien à voir avec le retour à la vie de Lazare, l’ami de Jésus ou du fils unique de la veuve… Ceux-ci, morts, sont revenus à la vie telle qu’ils l’avaient quitté ! Mais ils sont morts à nouveau !

La Résurrection de Christ est un passage et non un retour en arrière, un passage vers… un monde nouveau, une expérience nouvelle… une Humanité nouvelle…

La pandémie que traverse notre Humanité aujourd’hui devrait nous conduire à cette aspiration de la Résurrection, à cette aspiration à un Monde nouveau… mais force est de constater qu’une seule chose semble conduire nos sociétés : « Comment rétablir, une fois la pandémie terminée la vie d’avant ? »

L’Humanité, en commençant par nos dirigeants ne semble pas encore avoir compris la leçon que la nature nous donne aujourd’hui… nous exploitons la terre sans penser un seul instant à ceux qui viendrons après nous… Nous nous conduisons comme des dieux, perdant tout sens de l’humilité… certes l’homme trouvera un remède au Covid-19… mais une autre pandémie, une autre catastrophe naturelle viendra, dans 1 an, dans 10 ans… Dans l’entretien donné au journal anglais « The Lancet », le pape François cite un adage espagnol : « Dieu pardonne toujours, nous pardonnons parfois, mais la nature ne pardonne jamais »…

Retrouvons le chemin de Dieu… le chemin de l’autre comme frère !… Ne nous conduisons pas comme les hommes au temps de Noé qui, aveuglés par eux-mêmes, n’entendaient plus le cri de la terre, le cri des injustices… ils vaquaient à leurs occupations égoïstes ne voyant pas qu’ils allaient à leur perte… Certaines annonces vues sur les réseaux sociaux nous semblent illustrer cette situation. N’a-t-on pas vu ces derniers jours une annonce : « À vendre !! Porsche Macan d’occasion… 4 495 000 xfp »… alors que tant d’hommes et de femmes, de famille de notre Fenua ne savent comment faire pour se nourrir, pour nourrir les leurs ? Non la richesse n’est ni une faute, ni un mal… mais si elle rend aveugle, elle devient un péché !

Il nous faut Ressuscité c’est le « cadeau » que la nature nous fait aujourd’hui au travers de cette terrible pandémie meurtrière qui n’épargne ni les riches, ni les pauvres… ni les justes, ni les injustes… mais qui nous appelle à une véritable conversion… ou l’autre est le centre de ma vie !

Sainte Résurrection à tous

Écoute ces cris.

Écoute bien l'enfance.

Écoute la vie.

Écoute l'insouciance.

Ne fais pas de bruit.

Écoute ça comme c'est vrai.

Ça ne triche jamais.

Écoute la chance qu'on avait.

Et si les hommes ne vivent que pour l'argent.

Et si les femmes ne veulent que des amants.

Où est l'amour quel amour.

Pauvre amour c'est fini tout ça.

Trop cher tout ça rêve pas.

Mais qu'est-ce qui va se passer.

Tout le monde se tait.

Et se met à prier.

Dormez en paix.

On va tout arranger.

Toutes nos erreurs seront pardonnées.

Ça c'est ce que vous croyez.

Et si la paix doit faire la guerre tout le temps.

Ouvrir des plaies et se couvrir de sang.

Où est la paix mais quelle paix, pauvre paix.

C'est fini tout ça, tu vois ça rapporte pas.

Mais qu'est-ce qu'on fait.

Qu'est-ce qui va se passer.

Tout le monde se tait.

Et voit son intérêt.

Dormez en paix.

Et surtout faites bien comme si de rien n'était.

On verra pas tout ça on n'aura pas le temps.

Mais nos enfants.

Et si la pluie tombe indéfiniment.

Et si la Terre nourrit plus nos enfants.

Qu'est-ce qui nous reste que les yeux pour pleurer.

Fallait peut-être y penser avant oui avant.

Pour nos enfants.

Florent Pagny - 1992

La roue qui tourne… même confinée…

La répression, oui… mais…

« Le haut-commissaire a pris lundi une nouvelle série d’arrêtés pour interdire les déplacements inter-îles pour “motif familial impérieux”, empêcher tout rassemblement et règlementer les accès aux magasins pendant le confinement. Par ailleurs, un durcissement des contrôles des attestations de déplacement dérogatoire est annoncé à l’approche du week-end de Pâques. »1

Après un confinement, l’instauration d’une attestation de déplacement dérogatoire de plus en plus complexe, l’interdiction de tout regroupement, l’interdiction de vente d’alcool pour éviter les violences intra-familiales mais quid de la promiscuité tout aussi explosive, un couvre-feu, voilà une autre couche des mesures restrictives.

Loin d’être désinvolte face au danger du Covid-19, cette nouvelle série d’arrêtés laisse perplexe. Depuis le début, cette pandémie a été gérée dans la panique. Alors qu’elle faisait ailleurs des victimes par milliers, ici une politique de prévention a tardé et a vite cédé la place à une politique de répression… considérée comme la seule méthode face à cette crise… à juste raison parfois. Mais était-elle vraiment la SEULE méthode ? Surtout qu’elle intervient dans un contexte de crise sociale et familiale majeure.

Nous ne pouvons pas gérer cette crise comme les autres pays. Certes les mesures répressives s’imposent mais ne doivent-elles pas intervenir qu’en dernier recours ? Or, tous les jours, de nouveaux cas sont déclarés alors que le nombre d’hospitalisation stagne quant à lui. Aujourd’hui on compte 51 cas confirmés et qu’une hospitalisation. Certes, chez certains patients, le covid-19 se manifeste comme une grosse grippe… on peut comprendre qu’une hospitalisation n’est pas justifiée. Cependant, pourquoi s’étonne-t-on de 6 nouveaux cas en 24h ? Si le mot confinement est imposé pour éviter la propagation du virus, pourquoi 50 personnes contaminées sont ramenées gentiment chez elles, au risque de contaminer toute la famille ?

50 personnes contaminées, un bilan qui reste gérable, nous sommes loin des 82 048 français et 139 422 italiens contaminés. Il est temps de mettre fin à l’affolement général. La situation est gérable, encore faut-il prendre les décisions adéquates et adaptées. Devant le nombre croissant de personnes positives, il est temps d’arrêter d’incriminer la population et le non-respect des règles de confinement… et surtout d’y répondre que par un durcissement de ce dernier ?

Avant de durcir la répression, ne serait-il pas pertinent de penser à un confinement des cas confirmés hors cercle familial ? Avant de durcir le confinement, ne serait-il pas plus urgent de fournir les masques, des gants et gels désinfectants à la population ? Avant de durcir le confinement, ne serait-il pas judicieux d’analyser et d’agir en prenant en compte la situation générale avec toute sa complexité pour un vrai plan de sauvetage, et non des décisions au coup par coup ? Avant de durcir le confinement, ne serait-il pas temps d’entendre la détresse de la population ?

La répression ne devrait intervenir que lorsqu’on a pensé, épuisé et appliqué toutes les autres solutions… Car chambouler les libertés individuelles et tout un mode de vie si brutalement n’est pas sans risque.

Avons-nous conscience de ce qu’implique un confinement lorsque quatre couples avec enfants partagent 60 m² où avoir un espace intime ou de repli est impossible ? Sommes-nous conscients que l’interdiction de vente d’alcool favorisera d’autres produits illicites et beaucoup plus nocifs ? Sommes-nous conscients de ce que nous aurons à gérer après ce covid-19 ? Sommes-nous conscients, qu’au nom de l’État de Droit, plusieurs libertés sont suspendues et qu’un peuple est tout bonnement mis sous tutelle ?

Si les conséquences de cette crise sanitaire sont terribles économiquement, veillons à ce qu’elles ne soient pas catastrophiques socialement et humainement… car nul n’en sortira indemne et rien ne pourra nous sauver !

La chaise confinée

    1.    Tahiti-infos – 7 avril 2020

© Cathédrale de Papeete – 2020

Laissez-moi vous dire…

Dimanche 12 avril : Pâques, fête de la résurrection

Pourquoi ?

Un cri a retenti : « Pourquoi ces souffrances ? Pourquoi ce mal mystérieux qui touche aussi bien les « grands » que les « petits » ? Pourquoi cette pandémie ? »

Certains ont cherché des réponses dans la Bible, dans la littérature, dans l’Histoire, dans l’ésotérisme, chez les voyant(e)s …

A aucun moment, en tant que chrétiens, peuple de la Nouvelle Alliance, nous n’avons pas été tentés d’accuser Dieu. Car Dieu ne châtie pas, il compatit ! Dieu participe à notre douleur pour nous aider à la surmonter. C’est toute la signification de ces trois jours Saints (Jeudi Saint, Vendredi Saint, Samedi Saint) vécus avec une particulière intensité et profondeur en cette année mémorable 2020.

Le malheur qui s’est abattu sur l’humanité, tout comme les catastrophes naturelles (le cyclone meurtrier sur le Vanuatu, par exemple), ne vient pas de Dieu. La souffrance humaine reste un mystère que le Christ lui-même a connu et supporté jusqu’à l’extrême, acceptant que la liberté de l’homme s’exerce, y compris dans la condamnation à une mort ignominieuse et injuste.

Mais avec le Seigneur la perspective finale n’est jamais sombre. Au-delà de tous les calvaires se profile la Résurrection, la victoire de la vie. C’est cette espérance qui transcende nos peurs, nos angoisses, nos tristesses… N’a-t-on pas vu se constituer des armées de bénévoles pour soigner, secourir, nourrir, transporter celles et ceux qui en ont besoin ? La solidarité fleurit dans les familles, les quartiers, les hôpitaux, les bidonvilles…

Tant et si bien que le jour d’après ne sera plus comme avant, ne pourra plus être comme avant. « La sagesse de Dieu » commande la sagesse des hommes et des femmes de bonne volonté, celle-ci répondra à la question « Pourquoi ? »

Parce que, comme au Jour de Pâques, la vie ne peut plus être comme avant. Notre regard sur l’humanité peut et doit changer. La désunion, les désaccords, les rivalités, les conflits, les guerres, la recherche des profits égoïstes…  peuvent et doivent faire place à l’esprit de communion et de solidarité. Le pardon, la réconciliation, la fraternité, le respect de la vie et de la nature, la Paix, le Partage … doivent l’emporter sur toute autre considération. L’obscurité de nos vies, de nos comportements doit faire place à la lumière de la vie. Il ne tient qu’à chacun(e) de nous de devenir désormais des Simon de Cyrène, Véronique, Bon Samaritain…

Dominique SOUPÉ

© Cathédrale de Papeete – 2020

Regard sur l’actualité…

Le Dieu crucifié

En cette semaine Sainte où nous allons célébrer la mort et la résurrection du Christ dans un contexte bien particulier, alors que tous sommes confrontés à cette terrible épidémie du Covid-19, à l’heure où nos frères et sœurs du Vanuatu sont frappés ces jours-ci par un puissant cyclone dévastateur, et où tant d’hommes, de femmes et d’enfants sont plus encore confrontés à la famine et à la misère, est-il encore possible de parler de Dieu ? Comment peut-on parler de Dieu lorsque nous arrivons à ce moment où il semble abandonner ce Jésus qui n’avait cessé de se réclamer de Lui, qui l’a fait connaître, et qui pourtant va mourir sur la croix ? Souvenons-nous que Jésus est mort en croix à cause de sa prétention à dénoncer le mal, et à cause de son action en vue du règne de Dieu. Il a voulu changer les relations entre les Hommes, il a dénoncé l’hypocrisie et le mensonge, l’exploitation et l’exclusion, la haine et le non-respect d’autrui, ainsi que toute attitude religieuse qui asservit au lieu de libérer. Et pourtant, à l’heure de la passion et de la mort du Fils, Dieu le Père ne vient pas au secours du Juste comme un Dieu bon et libérateur devrait le faire !

Pour nous, les hommes, la puissance est contradictoire avec la faiblesse, et si Dieu est tout puissant, il ne peut pas être faible. Si Dieu est Dieu, il est tout, il ne manque de rien. Il possède tout. Et si Jésus était Dieu, il ne pouvait avoir une histoire humaine comme la nôtre ; il savait tout depuis le début, il avait tout prévu ! Mais cette conception de la puissance ne résiste pas à la lumière de la passion et de la mort de Jésus. Ainsi, nous devons admettre que notre idée de la puissance de Dieu doit être reconsidérée ! Et lorsque nous arrivons à la passion, force est de constater que l’image du crucifié ne cadre pas avec l’image du « grand patron » que nous nous faisons de Dieu !

En effet, c’est Jésus qui a souffert et qui est mort… lui, le Fils. Mais que faisait alors le Père ? Les paroles de Jésus résonnent douloureusement à nos oreilles : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,45) Comment un père qui aime son fils peut-il l’abandonner ? Comment imaginer que le Père soit resté indifférent à la mort de son Fils, celui qu’il appelait « mon Fils bien aimé » ? Et pourtant, le fait est là ! Le Fils fait l’expérience de l’abandon de Dieu. Alors qu’il a vécu toute sa vie en communion constante avec son Père, au moment où il en a humainement le plus besoin, cette communion semble brisée, absente : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » C’est comme si le Fils de Dieu était devenu étranger à Dieu. C’est l’interrogation de tous les pauvres, de tous les déshérités et opprimés de la terre : stupeur face à ce qui arrive et souffrance devant l’abandon. Où est Dieu ? Pourquoi ne fait-il rien ? Pourquoi ?

Ces questions sur Dieu sont les nôtres ! Dans l’expérience que nous faisons des échecs, des découragements, de la solitude, de l’abandon, alors que nous luttons pour des causes qui nous semblent justes, devant l’injustice ou la violence du monde, dans l’expérience de la mort, nous est-il possible de croire en Dieu ? Si oui, de quel Dieu s’agit-il ? Quel est ce Dieu en qui nous pouvons croire quand l’Homme est radicalement mis en question ? Quel est le Dieu de l’Homme crucifié et en qui il continue à croire ?

Alors, si nous voulons reconnaître le Dieu de Jésus Christ, nous devons nous poser cette question : être homme, est-ce dominer, être puissant, se garder ? Ou bien s’engager envers d’autres que soi, au risque de se perdre, au risque de manquer pour se trouver soi-même en trouvant les autres ? C’est à ce prix que nous aurons la possibilité de reconnaître Dieu dans la croix de Jésus Christ ! Tandis que le Fils souffre d’être abandonné, nous pouvons dire que le Père souffre d’abandonner son Fils. Il n’est pas impassible, mais souffre de la souffrance de l’amour, de la souffrance d’un Père. Il n’est pas celui qui meurt, car seul le Fils meurt, mais comment le Père ne souffrirait-il pas de la mort de son Fils ? « Le Fils en mourant endure dans son amour l’abandon du Père. Le Père endure dans son amour la douleur de la mort du Fils » dira le théologien J. Moltmann. Il y a ainsi profonde communion de volonté entre Jésus le Fils et son Père, à l’instant même de leur séparation la plus extrême. L’un et l’autre sont unis par l’abandon, c'est-à-dire dans le don, et en cela, ils demeurent silencieusement unis.

+ Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU

© Cathédrale de Papeete – 2020

Audience générale

Dans la croix, Dieu révèle son vrai visage

Contemplons la croix du Seigneur, là où se révèle pleinement son amour et son vrai visage : c’est en substance le cœur de la catéchèse délivrée par le Pape François au cours de l’audience générale de ce Mercredi Saint, qui s’est tenue dans la bibliothèque du Palais apostolique.

Chers frères et sœurs, bonjour !

En ces semaines d’appréhension en raison de la pandémie qui fait tant souffrir le monde, parmi toutes les questions que nous nous posons, il peut y en avoir également sur Dieu : Que fait-il face à notre souffrance ? Où est-il lorsque tout va de travers ? Pourquoi ne résout-il pas les problèmes en urgence ? Ce sont des questions que nous nous posons sur Dieu.

Le récit de la Passion de Jésus qui nous accompagne en ces jours saints nous aide. Là aussi, en effet, de nombreuses interrogations se bousculent. Après avoir triomphalement accueilli Jésus à Jérusalem, les gens se demandaient s’il allait finalement libérer le peuple de ses ennemis (cf. Lc 24,21). Ils attendaient un Messie puissant, triomphant, avec une épée. Au contraire, celui qui arrive est doux et humble de cœur, il appelle à la conversion et à la miséricorde. Et c’est précisément la foule, qui l’avait d’abord acclamé, qui crie : « Qu’il soit crucifié ! » (Mt 27,23). Troublés et effrayés, ceux qui le suivaient l’abandonnèrent. Ils pensaient : si le sort de Jésus est celui-ci, il n’est pas le Messie, parce que Dieu est fort, Dieu est invincible.

Mais si nous poursuivons notre lecture du récit de la Passion, nous trouvons un fait surprenant. Quand Jésus meurt, le centurion romain qui n’était pas croyant, qui n’était pas juif mais qui était un païen, qui l’avait vu souffrir sur la Croix et l’avait entendu pardonner à tous, qui avait touché du doigt son amour sans mesure, confesse : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15,39). Il dit exactement le contraire des autres. Il dit que Dieu est là, que c’est vraiment Dieu.

Nous pouvons nous demander aujourd’hui : quel est le vrai visage de Dieu ? D’habitude, nous projetons sur lui ce que nous sommes, à la puissance maximale : notre succès, notre sens de la justice, et même notre indignation. Mais l’Évangile nous dit que Dieu n’est pas comme cela. Il est différent et nous ne pouvons par le connaître par nos propres forces. C’est pour cela qu’il s’est fait proche, qu’il est venu à notre rencontre et que, justement à Pâques, il s’est révélé totalement. Et où s’est-il totalement révélé ? Sur la Croix. C’est là que nous apprenons les traits du visage de Dieu. N’oublions pas, frères et sœurs, que la Croix est la chaire de Dieu. Cela nous fera du bien de regarder le Crucifix en silence et de voir qui est notre Seigneur : il est Celui qui ne montre pas quelqu’un du doigt, ni non plus ceux qui le crucifient, mais qui ouvre grand les bras à tous ; qui ne nous écrase pas de sa gloire, mais qui se laisse dépouiller pour nous ; qui ne nous aime pas en mots, mais qui nous donne la vie en silence ; qui ne nous contraint pas, mais qui nous libère ; qui ne nous traite pas comme des étrangers, mais qui prend sur lui notre mal, qui prend sur lui nos péchés. Et cela pour nous libérer de nos préjugés sur Dieu, regardons le Crucifix. Et puis ouvrons l’Évangile. En ces jours, tous en quarantaine à la maison, enfermés, prenons ces deux choses en main : le Crucifix, regardons-le ; et ouvrons l’Évangile. Cela sera pour nous – disons-le ainsi – comme une grande liturgie domestique, parce qu’en ces jours-ci nous ne pouvons pas aller à l’église. Le Crucifix et l’Évangile !

Nous lisons dans l’Évangile que, lorsque les gens vont chercher Jésus pour le faire roi, par exemple après la multiplication des pains, il part (cf. Jn 6,15). Et quand les diables veulent révéler sa majesté divine, il les fait taire (cf Mc 1,24-25). Pourquoi ? Parce que Jésus ne veut pas qu’on se méprenne sur lui, il ne veut pas que les gens confondent le vrai Dieu, qui est amour humble, avec un faux dieu, un dieu mondain qui se donne en spectacle et s’impose par la force. Il n’est pas une idole. Il est Dieu qui s’est fait homme, comme chacun de nous, et il s’exprime en tant qu’homme, mais avec la force de sa divinité. En revanche, dans l’Évangile, quand l’identité de Jésus est-elle solennellement proclamée ? Quand le centurion dit : « Vraiment, c’était le Fils de Dieu ». C’est là que c’est affirmé, dès qu’il a donné sa vie sur la Croix, parce qu’on ne peut plus se tromper : on voit que Dieu est tout-puissant dans l’amour, et pas autrement. C’est sa nature, parce qu’il est ainsi fait. Il est l’Amour.

Tu pourrais objecter : « À quoi me sert un dieu aussi faible, qui meurt ? Je préférerais un dieu fort, un dieu puissant ! ». Mais tu sais, le pouvoir de ce monde passe, alors que l’amour demeure. Seul l’amour garde la vie que nous avons, parce qu’il embrasse nos fragilités et les transforme. C’est l’amour de Dieu qui a guéri, à Pâques, notre péché par son pardon, qui a fait de la mort un passage de vie, qui a changé notre peur en confiance, notre angoisse en espérance. Pâques nous dit que Dieu peut tout transformer en bien. Qu’avec lui, nous pouvons vraiment croire que tout ira bien. Et cela n’est pas une illusion, parce que la mort et la résurrection de Jésus ne sont pas une illusion : cela a été une vérité ! Voilà pourquoi, le matin de Pâques, nous entendons : « N’ayez pas peur » (cf. Mt 28,5). Et les questions angoissantes sur le mal ne disparaissent pas d’un coup, mais elles trouvent dans le Ressuscité le fondement solide qui nous permet de ne pas faire naufrage.

Chers frères et sœurs, Jésus a changé l’histoire en se faisant proche de nous et, même si elle est encore marquée par le mal, il en a fait une histoire de salut. En offrant sa vie sur la Croix, Jésus a aussi vaincu la mort. Du cœur ouvert du Crucifié, l’amour de Dieu rejoint chacun de nous. Nous pouvons changer nos histoires en nous approchant de lui, en accueillant le salut qu’il nous offre. Frères et sœurs, ouvrons-lui tout notre cœur dans la prière, cette semaine, ces jours-ci : avec le Crucifix et avec l’Évangile. N’oubliez pas : le Crucifix et l’Évangile. La liturgie domestique sera celle-là. Ouvrons-lui notre cœur tout entier dans la prière, laissons son regard se poser sur nous. Et nous comprendrons que nous ne sommes pas seuls, mais aimés, parce que le Seigneur ne nous abandonne pas et ne nous oublie pas, jamais. Et c’est avec ces pensées que je vous souhaite une Sainte Semaine et une Sainte fête de Pâques.

© Libreria Editice Vaticana - 2020

Revue Études – Covid-19

Une leçon de solidarité

Chaque soir, à 19h58, Louise, douze ans, ouvre la fenêtre donnant sur la rue des Écoles, à Paris. Elle lance un cri d’Indien qu’elle accompagne de claquements de mains. D’autres lui font écho, et l’hommage aux soignants gagne, de proche en proche. À la joie du père se lie ce « plaisir pur pratique », dont parlait Kant, plaisir non « pathologique » que l’on retire de belles actions. Vient s’y adjoindre l’excitation d'entrer ainsi en contact avec ceux qui, par ce geste d’ovation à nos « héros », font exister une commune vertu civique. Voilà une expérience sociale que je n’avais pas encore vécue. Est-elle porteuse de promesse pour l’après-crise ? Mais est-il seulement permis d’anticiper le « jour d’après » ?

En attendant, je sors faire deux pas dans le quartier, pour quelques emplettes alimentaires. Auparavant, je m’irritais de piétons qui, tout à leur smartphone, le tripotaient fébrilement sans jeter un œil devant eux ni de côté, comptant sur les autres pour éviter les heurts. À présent, les passants changent de trottoir, à la vue d’un autre. D’égocentrique leur comportement devient phobique, sauf aux abords de boulangeries où, sans souci des distanciations dites « sociales » (elles ne sont, heureusement, que spatiales), des oublieux se ruent vers l’objet de leur convoitise, jusqu’à se faire rappeler à l’ordre.

Ach ! Diese Franzosen ! Angela Merkel a félicité ses compatriotes pour leur civisme et leur esprit de responsabilité, alors que notre Préfet de Police stigmatise les réfractaires au confinement… Pourtant, les Français ne sont pas, dans l’ensemble, si irresponsables. Entre les cœurs de ville, les banlieues, les campagnes, disons qu’ils sont divers. Raison de plus pour se réjouir, quand ils laissent entrevoir un sursaut collectif. Çà et là, des solidarités se mettent en place avec des initiatives locales parfois remarquables, si bien qu’après le contentement moral, c’est un contentement politique qui peut nous saisir en voyant émerger la question des Communs. Notre ami Gaël Giraud, qui fut économiste-chef de l’Agence Française de Développement, y est sensible. Ni défaitisme apocalyptique, ni optimisme utopique, il sait profiler des voies d’action rédemptrices, avisées et saines, aussi bien que nous alerter sur les risques — écologiques, économiques, sanitaires — qui sont énormes. Ainsi est-il patent que la globalisation marchande nous a rendus vulnérables, surtout dans les États qui, pressentant la crise, n’y ont pas préparé leur société. Avec quel retard Européens et Américains, s’ils veulent aplanir la courbe de l’épidémie, s’inspireront-ils (à quelques adaptations près) de ces « petits dragons » : Singapour, Corée du Sud, Hongkong, Hangzhou, Taïwan… qui repartent de l’avant ?

Parlons aussi d’économie. Ce qui, par rapport à 2008, fait la spécificité de la récession, c’est, comme a pu l’expliquer Gaël Giraud, que nous avons affaire à une crise, à la fois, de l’offre et de la demande. En outre, elle touche l’économie « réelle », son origine n’est pas financière, comme lors des krachs précédents. La crise d’approvisionnement, crise de l’offre, a déjà gagné des métropoles. Quant à la crise de la demande, elle nous attend en raison d’un bond prévisible du chômage de masse. D’où la nécessité de mesures à hauteur de la situation. Des économistes se prononcent, qui pour un « plan Marshall », assorti d’un « revenu de base à tous ceux qui en auront besoin » ; qui pour une relance massive de l’économie, non pour revitaliser l’économie ancienne, mais pour amorcer l’économie nouvelle par « un véritable plan de transition écologique ».

De fait, on ne s’en remet pas aux puissances privées, pour sortir de la crise, mais à la puissance publique, à l’État, en dépit du fossé de méfiance qui a pu se creuser entre les peuples et leur gouvernement. Tandis que décline l’idéologie qui avait gagné l’Europe, au tournant des années 1980 : apologie des « politiques de l’offre », préconisation de « mesures structurelles » aberrantes, anti-keynésianisme borné…, l’imposture néolibérale est en passe d’éclater. Cependant, on ne peut plus envisager des relances budgétaires conventionnelles, si les chaînes d’approvisionnement sont rompues, tandis que les gens ne peuvent sortir de chez eux ; que, donc, l’économie passe au point mort.

Au fond, les Européens sont à la croisée des chemins. Les États-Unis envisagent une relance de 2 000 milliards de dollars, soit quelque 10% de leur PIB. Les Allemands feront de même (en pourcentage) ; à côté de quoi sont dérisoires les 45 milliards d’euros de la France (moins de 2% du PIB). Cela met en lumière la faiblesse relative d’une nation sans réserve financière, appauvrie qu’elle fut, non pas d’abord par une mauvaise gestion budgétaire, mais avant tout par sa désindustrialisation. Non seulement la situation d’urgence appelle à dégager d’énormes masses financières, mais il convient surtout d’orienter l’argent frais vers des investissements d’avenir. La BCE s’apprête à verser des tombereaux d’euros pour sauver les banques. C’est bien, mais la création monétaire ne saurait par elle-même apporter une réponse à la récession. Se recommande une politique concertée, coordonnée à l’échelle de l’Union, entre des États solidaires entre eux et coresponsables, ce qui est loin d’être le cas : c’est aux Russes et aux Chinois que l’Italie et l’Espagne sont redevables d’une aide, non à leurs partenaires européens. Ces derniers participent d’un « chacun pour soi » national, leur égoïsme sacré, qui est d’une autre époque, fait la honte actuelle de l’Europe.

Ne jetons pas (trop) la pierre à nos gouvernements ! Même s’ils ne réagissent que lorsque le torchon brûle, ils font maintenant, disent-ils, leur possible. Il leur revient d’en donner la preuve. Comment ? — En agissant dans le sens d’une vraie et honnête coordination interétatique, européenne et mondiale, et — pourquoi pas ? — en écoutant, pour la transposer à leur échelle, la leçon de solidarité et d’abnégation, qui leur est offerte par les héros du quotidien, ceux-là que ma fille aime saluer, chaque soir, à sa manière, en ouvrant sa fenêtre à 19h58.

Jean-Marc FREMY

© Revue Études - 2020

Entretien

La pandémie est un lieu de conversion

Dans une interview exclusive enregistrée par Austen Ivereigh pour The Tablet - sa première pour une publication au Royaume-Uni - le pape François dit que ce Carême extraordinaire et la période de Pâques pourraient être un moment de créativité et de conversion pour l'Église, pour le monde et pour l'ensemble de la création.

Vers la fin du mois de mars, j'ai suggéré au pape François que ce pourrait être un bon moment pour aborder le monde anglophone : la pandémie qui avait tant affecté l'Italie et l'Espagne atteignait maintenant le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Australie. Sans rien promettre, il m'a demandé d'envoyer quelques questions. J'ai choisi six thèmes, chacun avec une série de questions auxquelles il pouvait répondre ou non à sa guise. Une semaine plus tard, j'ai reçu une communication selon laquelle il avait enregistré quelques réflexions en réponse aux questions. L'entretien s'est déroulé en espagnol ; la traduction est de moi.

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The Tablet : La première question portait sur la façon dont il vivait la pandémie et le confinement, tant à la résidence de Santa Marta que dans l'administration du Vatican (« la curie ») plus largement, à la fois sur le plan pratique et sur le plan spirituel.

Pape François : La Curie essaie de poursuivre son travail et de vivre normalement, en s'organisant par roulement afin que tout le monde ne soit pas présent en même temps. C'est bien pensé. Nous nous en tenons aux mesures ordonnées par les autorités sanitaires. Ici, dans la résidence Santa Marta, nous avons maintenant deux quarts de travail pour les repas, ce qui contribue beaucoup à atténuer l'impact. Tout le monde travaille dans son bureau ou depuis sa chambre, en utilisant la technologie. Tout le monde travaille ; il n'y a pas de oisifs ici.

Comment est-ce que je vis cela spirituellement ? Je prie plus, parce que je pense que je devrais. Et je pense aux gens. C’est ce qui me préoccupe : les gens. Penser aux gens saints, ça me fait du bien, ça me sort de ma propre préoccupation. Bien sûr, j'ai mes domaines d'égoïsme. Le mardi, mon confesseur vient, et je m'occupe des choses d’ici-bas.

Je pense à mes responsabilités maintenant et à ce qui viendra après. Quel sera mon service en tant qu'évêque de Rome, en tant que chef de l'Église, demain ? Ces conséquences ont déjà commencé à se révéler, tragiques et douloureuses, c'est pourquoi nous devons y penser maintenant. Le Dicastère du Vatican pour la promotion du développement humain intégral y travaille et me rencontre.

Ma principale préoccupation - du moins ce qui ressort de ma prière - est de savoir comment accompagner et être plus proche du peuple de Dieu. D’où la retransmission en direct de la messe de 7 heures [que je célèbre chaque matin] que beaucoup de gens suivent et apprécient, ainsi que les messages que j’ai donnés et l’événement du 27 mars sur la place Saint-Pierre. D'où aussi l'intensification des activités du bureau des œuvres caritatives papales, s'occupant des malades et des affamés.

Je vis cela comme une période de grande incertitude. C’est le moment d’inventer, de créer.

The Tablet : Dans ma deuxième question, j’ai fait référence à un roman du XIXe siècle très cher au pape François, qu’il a mentionné récemment : I Promessi Sposi (Le fiancé) d’Alessandro Manzoni. Le drame du roman se concentre sur la peste de Milan de 1630. Il y a divers personnages sacerdotaux : le curé lâche Don Abbondio, le saint cardinal archevêque Borromeo, et les frères capucins qui servent le lazzaretto, une sorte d'hôpital de campagne où les infectés sont rigoureusement séparés des personnes non atteintes. À la lumière du roman, comment le pape François voyait-il la mission de l'Église dans le contexte de Covid-19 ?

Pape François : Le cardinal Federigo [Borromeo] est vraiment un héros de la peste milanaise. Pourtant, dans l'un des chapitres, il va saluer un village mais avec la fenêtre de sa voiture fermée pour se protéger. Cela ne s'est pas bien passé avec les gens. Le peuple de Dieu a besoin que son pasteur soit proche d'eux, pas pour se protéger. Le peuple de Dieu a besoin que ses pasteurs se sacrifient, comme les Capucins, qui sont restés proches.

La créativité du chrétien doit se manifester en ouvrant de nouveaux horizons, en ouvrant des fenêtres, en ouvrant la transcendance vers Dieu et vers les gens, et en créant de nouvelles façons d'être chez soi. Ce n'est pas facile d'être confiné dans notre maison. Ce qui me vient à l'esprit est un verset de l'Énéide au milieu de la défaite : le conseil n'est pas d'abandonner, mais de vous épargner pour des temps meilleurs, car en ces temps, se souvenir de ce qui s'est passé nous aidera. Prenez soin de vous pour un avenir qui viendra. Et se souvenir de cet avenir vous fera du bien.

Occupez-vous du maintenant, pour le bien de demain. Toujours créatif, avec une créativité simple, capable d'inventer chaque jour quelque chose de nouveau. À l'intérieur de la maison ce n'est pas difficile à découvrir, mais ne vous enfuyez pas, ne vous réfugiez pas dans l'évasion, qui en ce moment ne vous est d'aucune utilité.

The Tablet : Ma troisième question concernait les politiques gouvernementales en réponse à la crise. Bien que la mise en quarantaine de la population soit un signe que certains gouvernements sont prêts à sacrifier le bien-être économique pour le bien des personnes vulnérables, j'ai suggéré qu'elle manifestait également des niveaux d'exclusion qui sont considérés comme normaux et acceptables jusqu'à présent.

Pape François : C’est vrai, un certain nombre de gouvernements ont pris des mesures exemplaires pour défendre la population sur la base de priorités claires. Mais nous réalisons que toute notre réflexion, que cela nous plaise ou non, a été façonnée autour de l'économie. Dans le monde de la finance, il a semblé normal de sacrifier [les gens], de pratiquer une politique de la culture du jetable, du début à la fin de la vie. Je pense, par exemple, à la sélection prénatale. Il est très inhabituel de nos jours de rencontrer des personnes trisomiques dans la rue ; lorsque le scanner les détecte, ils sont rejettés. C’est une culture de l’euthanasie, légale ou secrète, dans laquelle les personnes âgées reçoivent des médicaments mais jusqu’à un certain point.

Je pense à l’encyclique Humanae Vitae du pape Paul VI. La grande controverse à l'époque concernait la pilule [contraceptive], mais ce que les gens ne réalisaient pas était la force prophétique de l'encyclique, qui prévoyait le néo-malthusianisme qui commençait alors à peine à travers le monde. Paul VI a sonné l'alarme face à cette vague de néo-malthusianisme. Nous le voyons dans la façon dont les gens sont sélectionnés en fonction de leur utilité ou de leur productivité : la culture du jetable.

À l'heure actuelle, les sans-abris continuent d'être sans abri. Une photo nous montrait l'autre jour un parking à Las Vegas où ils avaient été mis en quarantaine. Et les hôtels étaient vides. Mais les sans-abris ne peuvent pas aller à l'hôtel. Telle est la culture du jetable dans la pratique.

The Tablet : J'étais curieux de savoir si le Pape a vu la crise et la dévastation économique qu'elle provoquait comme une chance de conversion écologique, de réévaluation des priorités et des modes de vie. Je lui ai demandé concrètement s'il était possible que nous voyions à l'avenir une économie qui - pour reprendre ses mots - serait plus « humaine » et moins « économique ».

Pape François : Il y a une expression en espagnol : « Dieu pardonne toujours, nous pardonnons parfois, mais la nature ne pardonne jamais ». Nous n'avons pas répondu aux catastrophes partielles. Qui parle maintenant des incendies en Australie, ou se souvient qu'il y a 18 mois, un bateau pouvait traverser le pôle Nord parce que les glaciers avaient tous fondu ? Qui parle maintenant des inondations ? Je ne sais pas si ce sont des vengeances de la nature, mais ce sont certainement des réponses de la nature.

Nous avons une mémoire sélective. Je veux m'attarder sur ce point. J'ai été étonné de la commémoration du soixante-dixième anniversaire du débarquement en Normandie, à laquelle ont assisté des personnes de haut niveau culturel et politique. Ce fut une grande fête. Il est vrai que cela a marqué le début de la fin de la dictature, mais personne ne semblait se souvenir des 10 000 garçons qui restaient sur cette plage.

Quand je suis allé à Redipuglia pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, j'ai vu un joli monument et des noms sur une pierre, mais c'était tout. J'ai pleuré en pensant à la phrase inutile de Benoît XV (« massacre insensé »), et la même chose m'est arrivée à Anzio le jour de la Toussaint, en pensant à tous les soldats nord-américains enterrés là-bas, chacun ayant une famille, et comment l'un d'eux pourrait être moi.

Actuellement, en Europe où nous commençons à entendre des discours populistes et à assister à des décisions politiques de type sélectif, il est aisé de se souvenir des discours d'Hitler en 1933, qui n'étaient pas si différents de certains discours de quelques politiciens européens.

Ce qui me vient à l'esprit est un autre verset de Virgile: « (forsan et haec olim) meminisse iubavit » [« peut-être qu'un jour nous nous souviendrons de cela »]. Nous devons retrouver notre mémoire parce que la mémoire viendra à notre aide. Ce n'est pas le premier fléau de l'humanité ; [aujourd’hui,] les autres sont devenus de simples anecdotes. Nous devons nous souvenir de nos racines, de notre tradition qui regorge de souvenirs. Dans les Exercices spirituels de saint Ignace, la première semaine, ainsi que la « Contemplation pour atteindre l'amour » durant la quatrième semaine, sont entièrement consacrés à se souvenir. C'est une conversion par le souvenir.

Cette crise nous affecte tous, riches et pauvres, et met en lumière l'hypocrisie. Je suis préoccupé par l'hypocrisie de certaines personnalités politiques qui parlent de faire face à la crise, du problème de la faim dans le monde, mais qui fabriquent entre-temps des armes. C'est le moment de se convertir de ce type d'hypocrisie fonctionnelle. C'est le moment d’être intègre. Soit nous sommes cohérents avec nos convictions, soit nous perdons tout.

Vous me posez des questions de la conversion. Chaque crise contient à la fois un danger et une opportunité : l'opportunité de sortir du danger. Aujourd'hui, je crois que nous devons ralentir notre rythme de production et de consommation (“Laudato Si”, n°191) et apprendre à comprendre et à contempler le monde naturel. Nous devons nous reconnecter avec notre environnement réel. C'est l'occasion d'une conversion.

Oui, je vois les premiers signes d'une économie moins monétaire, plus humaine. Mais ne perdons pas la mémoire une fois que tout cela sera passé, conservons-là et ne retournons pas là où nous étions. C'est le moment de franchir le pas décisif, de passer de l'utilisation et de l'abus de la nature à sa contemplation. Nous avons perdu la dimension contemplative ; nous devons la récupérer maintenant.

Et en parlant de contemplation, je voudrais insister sur un point. C'est le moment de regarder les pauvres. Jésus dit que nous aurons toujours des pauvres avec nous, et c'est vrai. Ils sont une réalité que nous ne pouvons pas nier. Mais les pauvres sont cachés, car la pauvreté est timide. À Rome récemment, au milieu de la quarantaine, un policier a dit à un homme : « Tu ne peux pas être dans la rue, rentre chez toi ». La réponse a été : « Je n'ai pas de maison. Je vis dans la rue ». Découvrir un si grand nombre de personnes en marge… Et on ne les voit pas, car la pauvreté est timide. Ils sont là mais on ne les voit pas : ils font désormais partie du paysage ; ce sont des choses.

Sainte Thérèse de Calcutta les a vus et a eu le courage de se lancer dans un voyage de conversion. « Voir » les pauvres signifie restaurer leur humanité. Ce ne sont pas des choses, pas des ordures ; ce sont des personnes. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une politique de bien-être comme celle que nous avons pour les animaux secourus. Nous traitons souvent les pauvres comme des animaux secourus. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une politique de protection sociale partielle.

Je vais oser donner quelques conseils. C'est le moment d'aller dans les sous-sols de la vie. Je pense au court roman de Dostoïevski : « Les carnets du sous-sol ». Les employés de cet hôpital pénitentiaire c’étaient tellement endurcis qu'ils traitaient leurs pauvres prisonniers comme des choses. En voyant la façon dont ils ont traité celui qui venait de mourir, celui qui était sur le lit à côté, leur dit : « Assez ! Lui aussi avait une mère ! » Nous devons nous le redire souvent : cette pauvre personne a eu une mère qui l'a élevé avec amour. Plus tard dans la vie, nous ne savons pas ce qui s'est passé. Mais cela nous aide de penser à cet amour qu'il a reçu autrefois de sa mère.

Nous marginalisons les pauvres. Nous ne leur donnons pas le droit de rêver à leur mère. Ils ne savent pas ce qu'est l'affection ; beaucoup vivent de la drogue. Et les voir peut nous aider à découvrir la piété, qui pointent vers Dieu et vers notre prochain.

Descendez dans la clandestinité et passez du monde hyper virtuel et sans chair à la chair souffrante des pauvres. C'est la conversion que nous devons vivre. Et si nous ne commençons pas par-là, il n'y aura pas de conversion.

Je pense en ce moment aux saints qui vivent à nos côtés. Ce sont des héros : médecins, bénévoles, religieuses, prêtres, employés de magasin - tous remplissent leur devoir pour que la société puisse continuer à fonctionner. Combien de médecins et d'infirmières sont morts ! Combien de religieuses sont mortes ! Tout sert... Ce qui me vient à l'esprit est une parole dit par le tailleur, à mon avis, l'un des personnages avec la plus grande intégrité dans « Les fiancés » [d’Alessandro MANSONI]. Il dit : « Le Seigneur ne laisse pas ses miracles à moitié terminés ». Si nous prenons conscience de ce miracle des saints d'à côté, si nous pouvons suivre leurs traces, le miracle se terminera bien, pour le bien de tous. Dieu ne laisse pas les choses à mi-chemin. C'est nous qui le faisons.

Ce que nous vivons maintenant est une forme de métanoïa (conversion), et nous avons la chance de commencer. Alors ne la laissons pas nous échapper et allons de l'avant.

The Tablet : Ma cinquième question portait sur les effets de la crise sur l'Église et sur la nécessité de repenser nos modes de fonctionnement. En voit-il sortir une Église plus missionnaire, plus créative, moins attachée aux institutions ? Assiste-t-on à un nouveau type d’« Église des origines » ?

Pape François : Moins attaché aux institutions ? Je dirais moins attaché à certaines façons de penser. Parce que l'Église est institution. La tentation est de rêver d'une Église désinstitutionnalisée, d'une Église gnostique sans institutions, ou d'une Église soumise à des institutions fixes, qui serait une Église pélagienne. Celui qui fait l'Église est le Saint-Esprit, qui n'est ni gnostique ni pélagien. C'est le Saint-Esprit qui institutionnalise l'Église, d'une manière alternative et complémentaire, parce que le Saint-Esprit provoque le désordre à travers les charismes, mais alors de ce désordre nait l'harmonie.

Une Église libre n'est pas une Église anarchique, car la liberté est le don de Dieu. Une Église institutionnelle signifie une Église institutionnalisée par le Saint-Esprit.

Une tension entre le désordre et l'harmonie : c'est l'Église qui doit sortir de la crise. Nous devons apprendre à vivre dans une Église qui existe dans la tension entre l'harmonie et le désordre provoquée par le Saint-Esprit. Si vous me demandez quel livre de théologie peut le mieux nous aider à comprendre cela, ce serait les Actes des Apôtres. Vous y verrez comment le Saint-Esprit désinstitutionnalise ce qui n'est plus utile et institutionnalise l'avenir de l'Église. C'est l'Église qui doit sortir de la crise.

Il y a environ une semaine, un évêque italien, quelque peu troublé, m'a appelé. Il faisait le tour des hôpitaux pour donner l'absolution à ceux qui se trouvaient dans les couloirs et les salles de l'hôpital. Mais il avait parlé à des canonistes qui lui avaient dit qu'il ne pouvait pas, que l'absolution ne pouvait être donnée qu'en contact direct. « Que pensez-vous, Père ? » m'a-t-il demandé. Je lui ai dit : « Monseigneur, accomplis ton devoir sacerdotal ». Et l'évêque m’a dit : « Grazie, ho capito » (« Merci, j’ai compris »). J'ai découvert plus tard qu'il donnait l'absolution tout autour du lieu.

C'est la liberté de l'Esprit en pleine crise, pas une Église fermée dans les institutions. Cela ne signifie pas que le droit canonique n'est pas important : il l'est, il aide, et s'il vous plaît faisons-en bon usage, c'est pour notre bien. Mais le canon final dit que toute la loi canonique est pour le salut des âmes, et c'est ce qui nous ouvre la porte pour sortir dans les moments difficiles afin d'apporter la consolation de Dieu.

Vous me posez des questions sur une « Église des origines ». Nous devons répondre à notre enfermement avec toute notre créativité. Nous pouvons soit être déprimés et aliénés - grâce à des médias qui peuvent nous sortir de notre réalité - soit nous pouvons être créatifs. Chez nous, nous avons besoin d'une créativité apostolique, d'une créativité dépouillée de tant de choses inutiles, mais avec un désir d'exprimer notre foi en la communauté, en tant que peuple de Dieu. Donc : être enfermé, mais aspirant, avec cette mémoire qui aspire et engendre l'espoir - c'est ce qui nous aidera à échapper à notre confinement.

The Tablet : Enfin, j'ai demandé au Pape François comment nous sommes appelés à vivre ce Carême extraordinaire et cette période pascale. Je lui ai demandé s'il avait un message particulier pour les personnes âgées qui s'isolent, pour les jeunes confinés et pour ceux qui sont confrontés à la pauvreté à cause de la crise.

Pape François : Vous parlez des personnes âgées isolées : solitude et distance. Combien de personnes âgées dont les enfants ne vont pas leur rendre visite en temps normal ! Je me souviens à Buenos Aires, quand je visitais des maisons de retraite, je leur demandais : « Et comment va votre famille ? » - « Bien bien ! » - « Viennent-ils ? » - « Oui toujours ! » Ensuite, l'infirmière me prenait à part et disait que les enfants n'étaient pas allés les voir depuis six mois. Solitude et abandon… distance.

Pourtant, les personnes âgées continuent d'être nos racines. Et ils doivent parler aux jeunes. Cette tension entre jeunes et vieux doit toujours être réglé dans la rencontre des uns avec les autres. Parce que le jeune est bourgeon et feuillage, mais sans racines, il ne peut pas porter de fruits. Les personnes âgées sont les racines. Je leur dirais aujourd'hui : je sais que vous sentez que la mort est proche et que vous avez peur, mais regardez ailleurs, souvenez-vous de vos enfants et n'arrêtez pas de rêver. C'est ce que Dieu vous demande : rêver (Joël 3: 1).

Que dirais-je aux jeunes ? Ayez le courage de regarder vers l'avenir et d'être prophétique. Que les rêves de l'ancien correspondent à vos prophéties - aussi Joël 3,1.

Ceux qui ont été appauvris par la crise sont les démunis d’aujourd’hui, qui s’ajoutent au nombre de personnes privées de tous les temps, hommes et femmes ont le statut de « privé ». Ils ont tout perdu ou vont tout perdre. Quelle signification la privation a-t-elle pour moi, à la lumière de l'Évangile ? Cela signifie entrer dans le monde des démunis, comprendre que celui qui avait, n'a plus. Ce que je demande aux gens, c'est qu'ils prennent les personnes âgées et les jeunes sous leur aile, qu'ils prennent l'histoire sous l'aile, qu'ils prennent les démunis sous leur aile.

Ce qui me vient à l'esprit est un autre verset de Virgile, à la fin du livre 2 de l'Énéide, quand Énée, après sa défaite à Troie, a tout perdu. Deux chemins s'offrent à lui : y rester pour pleurer et finir sa vie, ou pour suivre ce qui était dans son cœur, pour monter à la montagne et laisser la guerre derrière lui. C’est un beau verset. « Cessi, et sublato montem genitore petivi » (« Je me résignai, et soulevant mon père j’allai vers les monts »).

C'est ce que nous devons tous faire maintenant, aujourd'hui :  emmener avec nous les racines de nos traditions, et faire de la montagne.

© The Tablet - 2020

Commentaire des lectures du dimanche

Étrange célébration que cette fête de Pâques 2020 ! Tout est diffèrent de ce à quoi nous sommes habitués : pas des signes visibles et palpables, pas de décoration, pas de contact physique, pas de communion directe. On dirait que Dieu est absent ! Le covid-19 a tout changé dans notre société et dans notre manière de pratiquer notre foi. Aujourd’hui, il s’agit de méditer la parole de Dieu dans le silence total de nos confinements, célébrer la lumière de Pâques sous la menace de coronavirus. Par ailleurs les lectures d’aujourd’hui nous montrent que nous ne sommes pas les premiers ni les seuls à avoir fait cette expérience. Même les premiers disciples et apôtres étaient confinés à domicile, à l’annonce de la résurrection du Seigneur.

Seule la courageuse Marie Madeleine se rendra au tombeau de grand matin, dans les ténèbres pour constater que le corps du Christ n’y était plus. Elle court avertir Simon Pierre et Jean. Les deux courent au tombeau… Ils ne remarquent que des signes à travers des linges pliés. Rien à voir ! Tout est à croire ! Pierre voit, ne comprend pas et il ne croit pas. Jean, par contre, voit et croit ! Comme dit le proverbe : « Pour ceux qui ne savent pas, aucun mot n'est possible, et pour ceux qui comprennent, aucun mot n'est nécessaire ». On sent quelque chose pareille en lisant le récit de la résurrection.

Quels signes aujourd’hui, me donnent ou nous donnent à croire ? Il me semble que célébrer paques dans le contexte actuel du monde, nous encourage et agrandit notre foi sur trois éléments :

  • La Résurrection du Christ fonde notre Foi : Célébrer la résurrection du Christ, aujourd’hui prouve que Jésus est Dieu. Il est plus fort que la mort. Il a vaincu la mort. La puissance de la Résurrection est plus forte que la mort. C'est pourquoi Saint Paul écrit : “Si le Christ n'est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine, et votre Foi est vaine” (1 Co 15,14). Le Christ est ressuscité dans l’aujourd’hui de notre monde.
  • Pâques est la garantie de notre propre résurrection. Jésus a assuré Marthe au tombeau de Lazare : “Je suis la Résurrection et la vie ; quiconque croit en moi vivra, même s'il meurt”. Désormais un chrétien ne peut pas avoir peur de la mort. La mort n’est qu’un passage vers la vie, la vraie vie, la vie éternelle.
  • Célébrer Pâques aujourd’hui, nous donne espoir et encouragement. Dans un monde blessé et terrorisé par une pandémie, la Pâques vient nous dire que tout n’est pas fini. Il y a espoir, une lumière, il y a une fissure quelque part. À nous de découvrir la fissure. Que la Lumière de la Résurrection du Christ nous éclaire.

En ce temps pascal, Le pape François a exhorté les familles, dont beaucoup sont actuellement confinées dans leurs foyers soumis à des restrictions de quarantaine, à se tenir devant la croix et à demander à Dieu, « la grâce de vivre pour servir. Puissions-nous tendre la main à ceux qui souffrent et à ceux qui en ont le plus besoin. Puissions-nous ne pas nous préoccuper de ce qui nous manque, mais du bien que nous pouvons faire pour les autres ». Que la lumière du Ressuscité éclaire nos chemins obscurs dans ce monde. Bonne fête de Pâques !

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