Pko 05.04.2020
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°16/2020
Dimanche 5 avril 2020 – Dimanches des Rameaux et de la Passion – Année A
Humeurs…
Quel visage se cache derrière nos critiques ?
Nous donnons aujourd’hui la parole à une vieille connaissance du P.K.0, « La roue qui tourne » qui nous livre ici une réflexion sur la critique…
Quel visage cachons-nous derrière une critique ?
Cette réflexion tombe comme un cheveu dans notre soupe… à l’heure où le confinement est souvent confondu avec un repli sur soi… à l’heure où un virus transforme un frère malade en une menace… à l’heure où les critiques pour dénicher un coupable se multiplient… ne laissant plus aucun mot pour toute prière.
Quel visage cachons-nous derrière une critique ?
Sommes-nous encore ce frère qui part à la rencontre de l’autre pour le reprendre seul à seul. S'il t'écoute, ton frère est gagné. Mais, s'il n'écoute pas, qui prends une ou deux personnes, afin que toute l'affaire se règle sur la déclaration de deux ou de trois témoins. S'il refuse d’écouter, dis-le à l'Eglise ? (Mt 18,15-20)
Ici, la critique est motivée par la recherche du bien certes, mais aussi le souci par du prochain. D’ailleurs, il semble difficile de les différencier. Aussi, on ne peut se résigner à laisser un frère sur une voie glissante, on ne peut se résoudre à l’abandonner à son sort et à ses mauvais choix. Ici, on ne peut condamner sans avoir tout essayer pour le sauver. Ici, on redouble de patience et de ténacité pour laisser à l’autre tout le temps nécessaire d’une conversion… un dialogue qui ne laissera personne indemne car une vraie conversion n’est jamais personnelle, elle est toujours collective. Quelle qu’elle soit, l’interaction a des conséquences sur chacun d’entre nous. Ainsi, nul ne peut se laver les mains du sort d’un frère.
Ne nous jugeons donc plus les uns les autres ; mais pensez plutôt à ne rien faire qui soit pour votre frère une pierre d'achoppement ou une occasion de chute. (Cf. Rm 14,13)
Alors ici, le visage de cette critique est celui d’un père/frère aimant qui veille au chevet de l’autre, espérant le "réveil" de ce dernier.
Mais est-ce ce visage que cachent nos critiques d’aujourd’hui ? La réponse se fait glaciale à la lecture de certains posts des réseaux "sociaux", à l’écoute de certains échanges, à la vue de certaines images. La violence qui en ressort est inouïe et ne laisse aucun doute sur les intentions. Aujourd’hui on ne se contente plus de dénoncer, on exige une sanction… lorsqu’on ne l’applique pas directement. Aujourd’hui, bien souvent, la critique est acerbe et condamne… sans chercher à comprendre ni chercher à résoudre. Aujourd’hui, l’intransigeance est de mise… niant notre imperfection, cet aveu qui nous rend tellement grands. Aujourd’hui, critiquer et juger sont hélas devenus l’expression de notre liberté d’expression, la triste preuve que le lien qui nous relie les uns aux autres a été gommé… oubliant qu’une chute personnelle est le signe premier d’une humanité chancelante.
Critiquer pour critiquer : c’est simplement prononcer des mots accusateurs sans sentiments, ni conscience. Des mots qui s’éteindront comme un feu de paille avec leur dernier écho… des mots qui révèlent le visage d’un bourreau, masqué derrière nos pseudos et nos absences de photo.
Alors… quel visage cachons-nous derrière une critique ? Parent ou bourreau ?
La chaise masquée !
Communiqué épiscopal…
Instruction concernant la célébration des obsèques pendant la période de confinement
Dans une lettre aux curés et responsables de communautés, l'archevêque de Papeete établi les instructions concernant la célébration des obsèques pendant la période de confinement. Voici le texte :
Papeete, le 1er Avril 2020
Instructions concernant
la célébration des obsèques
pendant la période de confinement
Vu les décisions prises par le Haut-Commissariat concernant le confinement et les mesures de protection sanitaire,
Vu les instructions officielles reçues par les services funéraires concernant le déroulement des obsèques,
L’accompagnement des défunts et de leurs familles par un ministre de l’Église devra se conformer aux règles suivantes :
1/ Pour les défunts non décédés du Covid 19 :
• Un temps de recueillement de 1 heure est toléré dans les locaux de l’entreprise funéraire où est exposé le corps du défunt.
• Ce temps de recueillement pourra être également toléré dans la maison de la famille si le défunt y est exposé.
• Le § 3 du décret diocésain du 18 mars 2020 est modifié ainsi :
a) Aucune célébration n’est autorisée dans l’église, pas plus que dans une chapelle ou une salle paroissiale.
b) Ce temps de recueillement ne peut rassembler plus de 18 personnes : 10 personnes dans la salle et 8 dehors. On veillera à respecter les consignes de distanciation sociale.
• Un ministre du culte peut venir faire une prière.
• Ce ministre sera alors protégé avec : un masque, une paire de lunettes et des gants, objets qu’il devra se procurer par lui-même.
• L’usage d’eau bénite est strictement défendu.
• Il est par ailleurs interdit de toucher le défunt.
• L’inhumation au cimetière se fait dans les mêmes conditions : 18 personnes. Si la prière n’a pas eu lieu lors d’un temps de recueillement, elle peut se faire au cimetière. Le ministre du culte sera équipé avec gants, masque et lunettes. Pas d’eau bénite.
2/ Pour les défunts qui seraient décédés du Covid 19 :
• Aucun rassemblement, et inhumation dans les plus brefs délais.
Pour réconforter les familles dans la douleur du départ d’un être cher, les informer que messes et / ou bénédiction des tombes pourront avoir lieu dès que les mesures liées à l’épidémie seront levées.
+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU
Archevêque de Papeete
© Archidiocèse de Papeete – 2020
Laissez-moi vous dire…
du 5 au 1 avril 2020 : Semaine Sainte
Personnes âgées, il ne leur reste que la prière
À l’heure où on comptabilise le nombre de morts pays par pays et que les gouvernements militent pour la survie des populations, on mesure les contradictions de nos législateurs, puisqu’il y a seulement quelques mois on s’acharnait à nous prouver que l’IVG, l’euthanasie et le suicide assisté étaient désormais des « droits » qu’il fallait protéger à tout prix. La mort semble tellement effrayante qu’on cherche à cacher la triste vérité des chiffres. En effet, en Chine n’ont pas été comptabilisés les milliers de morts dont la contamination par le Covid-19 n’a pas été officiellement dépistée.
En France, seuls les décès survenus dans les hôpitaux sont comptés. Les décès à domicile, dans les EPHAD ou les résidences pour personnes âgées ne figurent pas dans les statistiques. Vous avez dit « EPHAD », quel « doux acronyme » pour parler des « hospices de vieux » et qui sont parfois de véritables « mouroirs ». Souvenons-nous des épisodes de canicule…
Il ne fait pas bon, ces temps-ci, être âgé et atteint d’une pathologie à risque. Le confinement, l’isolement sont les solutions qui ont été proposées. Pas de masque (il n’y en a pas assez pour les soignants) ; pas de visites, et pour celles et ceux qui n’ont pas internet ou la télévision, que reste-t-il ? Le téléphone, l’aide-soignante qui croule sous le nombre de personnes à assister… Il faut avoir la foi chevillée au corps pour tenir le coup dans ces conditions.
L’entrée dans la Semaine Sainte pour tous ces frères et sœurs fait figure de réel calvaire. Tout comme pour les milliers de personnes regroupées comme des « animaux » dans des parcs pour SDF, des camps pour réfugiés… etc… Les paroles de Saint Padre Pio dans la méditation du chemin de croix prennent tout leur sens : « Le calvaire est la montagne des saints. C’est là que nous accédons au ciel. Il ne faut pas reculer sur le calvaire de nos vies. Jésus nous tend la main et nous empêche de chanceler ». Quelle grande tristesse et quel désespoir pour celles et ceux qui n’ont pas la foi.
Alors, nous qui sommes isolé(e)s et qui gardons confiance et espérance, nous nous accrochons à nos chapelets, nos crucifix, nos bibles… Car, heureusement, il nous reste la Prière. La Prière nous maintient uni(e)s dans la communion des Saints, Église invisible mais bien vivante. Celles et ceux qui ont le bonheur d’avoir accès à Internet peuvent suivre en direct ou en différé : messe quotidienne, rosaire médité ou encore chemin de croix et partages sur la Parole de Dieu. La Bible qui, souvent était bien rangée sur une étagère, nous l’avons ressortie et mise à notre chevet. Certain(e)s ont suivi ce conseil de Saint Jérôme : « Attendez le sommeil, la Bible à la main et que la page sainte reçoive votre tête qui tombe ».
Justement, en ces temps de prière plus intense et plus fervente, j’ai fait un peu de tri dans mes trésors « spirituels » collectés au fil des ans. Et j’ai retrouvé cette prière à Notre-Dame du Bon Remède que je partage volontiers. C’est un petit feuillet que, mon épouse et moi avions trouvé lors d’une récollection à l’Abbaye Saint-Michel de Frigolet1, près de Tarascon. L’urgence « numéro un » est de trouver un « remède » pour soigner cette maladie. Alors, nous qui sommes confinés confions cette intention à Notre-Dame du Bon Remède.
PRIÈRE À NOTRE-DAME DU BON REMÈDE
Me voici à vos pieds, Notre-Dame du Bon Remède,
qui toujours exaucez les prières
de ceux qui ont recours à vous.
Ô Mère, donnez-moi la santé du corps pour servir Dieu
et lui consacrer toutes mes forces.
Donnez aussi ce précieux bien
à tous ceux que j'aime en ce monde.
Je confie à votre maternelle sollicitude
toutes ces vies qui me sont si chères ;
c'est vous qui les avez données à mon affection,
à vous de les garder.
Ô ma Mère, accordez-moi la grâce
que je désire tant dans mon cœur.
(formulez ici votre intention particulière)
Ayez aussi pitié de tous ceux qui souffrent,
ô vous qui êtes la Mère de tous les hommes.
Et, en guérissant nos corps,
guérissez nos esprits et nos cœurs,
et donnez-nous à Jésus
qui est en même temps le médecin des âmes
et leur divin remède, leur force et leur couronne.
Amen
Notre dame du Bon remède,
donnez-nous la santé de l’âme et du corps.
(Abbaye Saint-Michel de Frigolet)
Dominique SOUPÉ
- Depuis 900 ans, les fidèles gravissent la Montagnette, près de Tarascon, pour venir prier la Vierge-Marie au sanctuaire de Notre-Dame. Jadis vénérée sous le titre de Notre-Dame de Frigolet "Nostra Domina de Ferigoleto", la Vierge-Marie est invoquée à partir du XVIIe siècle sous le nom de Notre-Dame du Bon Remède "Nostra Domina de Bono Remedio". C'est à cette époque que fut adjoint à la chapelle du XIIe le décor baroque que l'on admire de nos jours.
© Cathédrale de Papeete – 2020
Regard sur l’actualité…
Semaine Sainte
Voici que nous nous préparons à vivre une semaine Sainte tout à fait particulière, dans la mesure où nous la vivrons chez nous, confinés, peut-être en famille, devant notre écran TV ou notre tablette. Que soient remerciés nos médias locaux pour leur service qui nous permettra de nous associer par la Parole et l’image aux célébrations retransmises par leurs soins. Ils nous permettent ainsi de prendre conscience que si nous sommes confinés, nous ne sommes pas isolés. Si nous ne sommes pas réunis dans nos églises, nous pouvons cependant être rassemblés par la pensée, et par le cœur : rassemblés déjà à l’intérieur de nos propres familles, époux et épouses, conjoints, parents et enfants, de différentes générations mais vivant sous le même toit, avec nos anciens… rassemblés également par la même foi qui nous unit en Jésus Christ par-delà les frontières, et qui nous rend plus forts, différents, certes, mais complémentaires, comme les différents membres d’un même corps… unis également avec ceux et celles qui souffrent de l’épidémie et vivent difficilement ce temps d’épreuve : ceux et celles qui ont peur, qui savent un proche touché par la maladie, qui sont confrontés à de graves difficultés économiques et se demandent comment ils vont s’en sortir… Unis à ceux et celles qui luttent contre l’épidémie parce qu’ils et elles sont résolument du côté de la vie. Qu’il nous soit donné ici de remercier les frères et sœurs, qu’ils soient ou non d’Église, et qui donnent de leur temps, de leur énergie, de leurs compétences pour venir à la rencontre des plus déshérités. Pensons aux organismes caritatifs comme le Secours Catholique, l’Ordre de Malte, Te Vai Ete, le Truck de la Miséricorde, sans oublier les services communaux, les services sociaux…
Cette absence de rassemblements pour les offices sera peut-être pour chacun et chacune l’occasion d’en redécouvrir l’importance. C’est quand on est soudain privé d’un élément, d’une personne qui faisaient partie de nos habitudes et de notre routine qu’on en découvre l’importance. C’est le manque qui fait découvrir l’importance de ce qu’on vient de perdre… Heureuse circonstance qui nous prive de notre rassemblement dominical à l’Église, mais qui va nous aider à redécouvrir plus en profondeur combien cette dimension de rassemblement avec nos frères et sœurs autour de la Parole et de l’Eucharistie est essentielle à notre identité Chrétienne. Oui, on n’est pas Chrétien tout seul !
Comme l’écrivait un de nos séminaristes, les privations que nous vivons durant ce Carême ne sont pas celles auxquelles nous étions habitués ! Au moment où nous nous apprêtons à entrer dans la Semaine Sainte chacun chez soi, unissons-nous au Christ qui a vécu lui aussi la solitude : à Gethsémani, où Pierre, Jacques et Jean dorment pendant qu’il prie, à Gethsémani encore ou les apôtres prennent la fuite quand Jésus est arrêté, chez le Grand Prêtre où personne n’est à ses côtés pour prendre sa défense et où Pierre le renie par trois fois, sur la croix où il s’adresse à son Père en lui disant : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Peut-être nous sera-t-il plus aisé de le rejoindre en ces jours où peut nous guetter le sentiment d’être seuls dans notre épreuve.
Que la lumière de la Résurrection brille déjà dans notre cœur pour nous aider à fortifier notre Foi en Jésus Christ, lui qui est sorti vivant du tombeau.
+ Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU
© Cathédrale de Papeete – 2020
Audience générale
La pureté du cœur s’obtient par un processus de libération intérieure
Lors de l’audience générale retransmise en direct depuis la bibliothèque du palais apostolique, le Pape François est longuement revenu sur la sixième béatitude : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ».
Chers frères et sœurs, bonjour !
Aujourd’hui, nous lisons ensemble la sixième béatitude, qui promet la vision de Dieu et a pour condition la pureté du cœur.
Le psaume dit : « Mon cœur m’a redit ta parole : “Cherchez ma face.” C’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face » (26,8-9).
Ce langage manifeste la soif d’une relation personnelle avec Dieu, pas mécanique, pas un peu nébuleuse, non, personnelle, que le livre de Job exprime aussi comme le signe d’une relation sincère. Voici ce que dit le livre de Job : « C’est par ouï-dire que je te connaissais, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (Jb 42,5). Et je pense très souvent que c’est le chemin de la vie, dans nos relations avec Dieu. Nous connaissons Dieu par ouï-dire, mais par notre expérience, nous avançons, avançons, avançons et à la fin, nous le connaissons directement, si nous sommes fidèles… Et c’est cela, la maturité de l’Esprit.
Comment arriver à cette intimité, à connaître Dieu de nos yeux ? On peut penser aux disciples d’Emmaüs, par exemple, qui ont le Seigneur Jésus à leurs côtés, « mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc 24,16). Le Seigneur ouvrira leurs yeux au terme d’un chemin qui culmine avec la fraction du pain et qui avait commencé par un reproche : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! » (Lc 24,25). C’est le reproche du début. Voilà l’origine de leur cécité : leur cœur sans intelligence et lent. Et quand le cœur est sans intelligence et lent, on ne voit pas les choses. On voit les choses comme dans le brouillard. C’est là qu’est la sagesse de cette béatitude : pour pouvoir contempler, il est nécessaire de rentrer en soi et de faire de la place à Dieu parce que, comme le dit saint Augustin : « Dieu est plus intime à moi-même que moi-même » (« interior intimo meo » : Confessions, III,6,11). Pour voir Dieu, cela ne sert à rien de changer de lunettes ou de point d’observation, ni de changer d’auteurs théologiques pour enseigner le chemin : il faut libérer son cœur des mensonges intérieurs qui génèrent nos péchés. Parce que les péchés changent la vision intérieure, ils changent l’évaluation des choses, ils font voir des choses qui ne sont pas vraies ou, au moins, qui ne sont pas aussi vraies.
Il est donc important de comprendre ce qu’est la « pureté du cœur ». Pour cela, il faut se souvenir que, pour la Bible, le cœur ne consiste pas seulement dans les sentiments, mais qu’il est le lieu le plus intime de l’être humain, l’espace intérieur où une personne est elle-même. Cela, c’est selon la mentalité biblique.
L’Évangile de Matthieu affirme : « Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, comme elles seront grandes, les ténèbres ! » (6,23). Cette « lumière » est le regard du cœur, la perspective, la synthèse, le point à partir duquel se lit la réalité (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, 143).
Mais que signifie un cœur « pur » ? Celui qui a le cœur pur vit en présence du Seigneur, gardant dans son cœur ce qui est digne de la relation avec lui ; c’est seulement ainsi qu’il possède une vie « unifiée », linéaire, qui n’est pas tortueuse, simple.
Le cœur purifié est donc le résultat d’un processus qui implique une libération et un renoncement. Celui qui a le cœur pur ne naît pas comme cela, il a vécu une simplification intérieure, en apprenant à renier le mal en soi, ce qui, dans la Bible, s’appelle circoncision du cœur (cf. Dt 10,16 ; 30,6 ; Ez 44,9 ; Jr 4,4).
Cette purification intérieure implique la reconnaissance de cette part du cœur qui est sous l’influence du mal – « Vous savez, Père, je sens comme ceci, je pense comme cela, je vois comme ceci, et c’est mal » : reconnaître la part mauvaise, la part assombrie par le mal – pour apprendre l’art de se laisser toujours enseigner et conduire par l’Esprit Saint. Le chemin à partir du cœur malade, du cœur pécheur, du cœur qui ne peut pas bien voir les choses, parce qu’il est dans le péché, jusqu’à la plénitude de la lumière du cœur est l’œuvre de l’Esprit Saint. C’est lui qui nous conduit à faire ce chemin. Voilà, à travers ce chemin du cœur, nous parvenons à « voir Dieu ».
Dans cette vision béatifique, il y a une dimension future, eschatologique, comme dans toutes les Béatitudes : c’est la joie du Royaume des Cieux vers lequel nous allons. Mais il y a aussi une autre dimension : voir Dieu veut dire comprendre les desseins de la Providence dans ce qui se produit, reconnaître sa présence dans les sacrements, sa présence dans les frères, surtout ceux qui sont pauvres et qui souffrent, et le reconnaître là où il se manifeste (cf. Catéchisme de l’Église catholique, 2519).
Cette béatitude est un peu le fruit des précédentes : si nous avons écouté la soif du bien qui habite en nous et si nous sommes conscients que nous vivons de la miséricorde, commence alors un chemin de libération qui dure toute la vie et conduit jusqu’au Ciel. C’est un travail sérieux, un travail que fait l’Esprit Saint si nous lui donnons de la place pour qu’il le fasse, si nous sommes ouverts à l’action de l’Esprit Saint. C’est pourquoi nous pouvons dire que c’est une œuvre de Dieu en nous – dans les épreuves et dans les purifications de la vie – et cette œuvre de Dieu et de l’Esprit Saint conduit à une grande joie, à une véritable paix. N’ayons pas peur, ouvrons les portes de notre cœur à l’Esprit Saint pour qu’il nous purifie et nous conduise sur ce chemin vers la plénitude de la joie.
© Libreria Editice Vaticana - 2020
Covid-19
Nous sommes convoqués à la fraternité du désert
Moine bénédictin de l’abbaye de Ligugé (Vienne), François Cassingena-Trévedy est spécialiste de liturgie, grand connaisseur des Pères de l’Église, mais aussi artiste et poète. Il nous livre son regard sur la situation actuelle liée à la pandémie due au coronavirus Covid-19, et plus spécifiquement sur le confinement que vivent les Français depuis mardi 17 mars.
La Vie : Rester chez soi, limiter déplacements et interactions… Nous pouvons avoir le sentiment de vivre « comme des moines ». Qu’en pensez-vous ?
François Cassingena-Trévedy : La situation actuelle présente effectivement des traits communs avec la vie monastique, à la différence près que le confinement de la vie monastique est un confinement volontaire, tandis que ce que vit la société est imposé par des circonstances, ce qui change totalement la donne… Au fond, il s’agit de ressemblances très matérielles ! Lorsque l’on entre dans un monastère, il ne s’agit pas d’être confiné, mais cloîtré. Le cloître est un espace de liberté et non un lieu d’emprisonnement. D’ailleurs, les monastères sont actuellement eux-mêmes confinés, ce qui n’est pas le cas habituellement, car il existe malgré tout une certaine mobilité dans la plupart des communautés…
La Vie : Comment pouvons-nous consentir à ce confinement « subi » ?
François Cassingena-Trévedy : Nous n’avons pas le choix ! Il s’agit d’une nécessité absolue, d’un strict devoir civique et humanitaire, afin de ne pas augmenter les risques de manière inconsidérée. Mais nous ne sommes pas tous à égalité devant cette situation, car, pour certains, le confinement peut revêtir un aspect beaucoup plus pénible : je pense particulièrement à tous ceux qui vivent à plusieurs, en ville, dans des surfaces réduites. Quand je pense à ma sœur, avec ses quatre enfants, je mesure combien il serait impudent de comparer notre condition de moines confinés à ce que vivent bon nombre de nos contemporains. Au monastère, nous disposons d’un grand jardin et nous avons une vie sociale. Les moines, d’ailleurs, se comportent parfois comme des enfants insouciants par rapport à des familles confrontées à des conditions bien plus exigeantes. Ils ne sont pas toujours des modèles et l’expérience présente peut les faire grandir, eux aussi, en maturité !
La Vie : Y a-t-il pourtant des ressources que nous pouvons puiser dans l’expérience monastique pour mieux vivre ce temps, que nous soyons croyants ou non ?
François Cassingena-Trévedy : « Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent, il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir… Quand je m’y suis mis, quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s’exposent (…), j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre », écrivait Blaise Pascal, dans les Pensées (201, 205, La Pléiade, 1936). Nous, moines, avons hérité d’un trésor d’équilibre et de sagesse, avec une hygiène naturelle du temps (lecture, offices liturgiques, travail manuel, étude, moments d’échange). Dans ce moment où chacun est invité à rejoindre des espaces qu’il n’a pas l’habitude de fréquenter, le service public que peut apporter la vie monastique réside dans la manifestation qu’une vie recueillie est possible, que l’on peut miser sur quelque chose de plus intérieur, de plus contemplatif, de plus essentiel.
Aux heures dramatiques de l’histoire, l’homme révèle, à côté de ses misères, ce qu’il a de plus beau, de plus inattendu.
Mais en sommes-nous capables, nous qui souvent avons désappris à mettre notre intériorité et notre vie spirituelle au premier plan de nos préoccupations ?
François Cassingena-Trévedy : Dans des circonstances exceptionnelles, l’homme est capable, un peu comme un animal ou une plante, de développer des capacités d’adaptation qu’il ne se connaissait pas. C’est ainsi que certains vont se découvrir une endurance qu’ils ne soupçonnaient pas, une vie intérieure, une appétence culturelle, redécouvrir des régions inédites des autres et d’eux-mêmes. Les contraintes actuelles ne sont pas une fatalité, mais une invitation à devenir inventifs, un matériau à travailler.
À l’intérieur de ces règles quasi carcérales, nous pouvons développer un espace de liberté intérieure, de poésie, d’émerveillement… « Le ciel est, par-dessus le toit / Si bleu, si calme ! », écrit Verlaine depuis sa prison. Il va nous falloir trouver le ciel par-dessus les toits, en nous, en autrui, entre nous. Hors de question de céder au catastrophisme, à la magie, de se leurrer avec des recettes miracles (surtout pas dans le domaine religieux) : les ressources viendront de notre propre fond. Aux heures dramatiques de l’histoire, l’homme révèle, à côté de ses misères, ce qu’il a de plus beau, de plus inattendu. Nous sommes renvoyés à notre dignité humaine, à notre seule hauteur d’hommes. Cela donne des choses bouleversantes et sublimes, comme la musique que les gens jouent sur les balcons en Italie.
La Vie : Beaucoup sont enfermés en couple ou en famille, pour le meilleur ou pour le pire. Dans la vie communautaire aussi, les moines doivent parfois vivre en clôture avec des frères qu’ils ont du mal à supporter. Comment gérer au mieux les tensions ?
François Cassingena-Trévedy : Pas facile… Le fait de pouvoir nous regarder, nous parler, nous sourire avec indulgence et humour, reste le meilleur remède. Dans des familles où le dialogue n’existait pas d’habitude, une occasion est donnée de retrouver cette évidence que la parole guérit. L’injonction est double : il faut que les relations nous guérissent et que nous guérissions les relations qui ont besoin de l’être. Dans la vie monastique, les menues tâches et le travail partagé jouent un rôle fondamental : il y a une objectivité, un réalisme, une positivité tranquille du travail concret qui nous arrache aux pièges de l’imagination. Cela dit, en ce moment, chacun doit faire un petit effort pour ne pas se rendre vraiment insupportable ! Face à l’insupportable, à l’agaçant, on pratiquera la mise en quarantaine mentale du point chaud, on établira une hiérarchie raisonnée des choses, on évitera l’obsessionnel. La situation hors norme que nous vivons peut-être l’occasion de faire un peu de ménage dans notre vie.
La Vie : La parole guérit, mais parfois, aussi, elle blesse et elle tue, surtout en huis-clos !
En huis-clos, peut apparaître le risque du vide, du désespoir, de la solitude, de la nervosité exacerbée. Il est indispensable que nous puissions verbaliser, nous avouer les uns aux autres notre angoisse, que nous remplacions les paroles creuses par des paroles vitales, que nous retrouvions entre nous le goût d’une affection pleine de gravité. Il est urgent que nous trouvions, au-dedans ou au dehors, des lieux, des liens de parole tonique et profonde : le téléphone et le mail peuvent être d’excellents instruments pour ce grand emploi du temps de réconfort mutuel qui s’ouvre devant nous. Nous faire mutuellement signe de vie et de tendresse : voilà un beau métier en ces temps de retrait forcé ! Rien n’atteste mieux notre dignité humaine que le souci que nous avons les uns des autres : le confinement peut et doit décupler et affiner notre capacité relationnelle, car c’est la relation même qui nous fait hommes.
La Vie : Mais tout le monde ne se retrouve pas désœuvré. Certains sont submergés par le télétravail, les devoirs des enfants, les tâches ménagères… loin de la retraite spirituelle ! Comment régler le temps ?
François Cassingena-Trévedy : La conjoncture actuelle peut être l’occasion de retrouver les bienfaits d’une relative ritualité que nous avions perdue – et qui pourtant nous construit – dans une société très éclatée, du zapping et du papillonnage. Car la bonne humeur a besoin d’horaire ! Ce peut être une chance que de renouer avec une vie plus communautaire et plus partagée, en apprenant à répartir les tâches, à reconfigurer les activités et les priorités. Chacun peut aussi se trouver un grand os à ronger : une lecture, une passion, une curiosité, un artisanat, un domaine de recherche intellectuelle. Il faut aussi nous confier au génie, à la grâce propre du temps, car il fait son œuvre. Le temps n’est pas seulement ce que nous faisons de lui : il nous faut accueillir son rythme et nous laisser travailler par lui, emmener par lui là où nous n’avions pas imaginé.
Peut-être, aussi, d’apprendre à guetter les signes d’espérance…
Bien sûr, car cela finira par finir. Peut-être devons-nous jeûner, pour notre santé mentale, d’un excès d’informations difficiles à digérer à un tel rythme : passer la journée à écouter ce qui se passe, à scruter les chiffres de contagion et de mortalité peut s’avérer extrêmement anxiogène. Dans les monastères, nous observons normalement une certaine retenue par rapport à ce flux sans discernement. Garder la tête froide est un impératif : nous savons au moins que la discipline de confinement qui nous est demandée porte vraiment du fruit. Cela a pu être observé en Chine et commence à l’être en Italie. Il y a là une donnée objective qui devrait bander tous les ressorts de notre responsabilité. En respectant ce qui nous est demandé, nous travaillons efficacement pour quelque chose. Ce confinement n’est pas absurde, il est un service que chacun rend, très pauvrement, très obscurément, à l’humanité entière.
Nous vivons un basculement de civilisation. Ce qui nous arrive n’est pas un châtiment divin, mais un avertissement historique.
La Vie : Comment gérer l’angoisse que constitue, ces jours-ci, le monde extérieur ?
François Cassingena-Trévedy : C’est une grave question. L’enjeu est de dépasser les peurs archaïques, animales, et pour cela il nous faut des antidotes puissants. Des trésors d’amitié et de vérité humaine peuvent se révéler chez nos semblables. Il y a aussi la beauté, la fidélité silencieuse de la nature qui respire, tandis que l’homme s’arrête de se faire son propre bourreau. Résistons aux sirènes de l’apocalypse, gardons en nous la nappe phréatique de la paix : la beauté dont nous sommes capables est un commencement de victoire. Dieu, caché dans cette épreuve, attend de nous non des bondieuseries farfelues et affolées, mais l’accomplissement de notre devoir.
La Vie : Spirituellement, comment ne pas glisser dans l’acédie ?
François Cassingena-Trévedy : L’acédie est le nom monastique d’un épisode dépressionnaire que traverse en réalité toute existence humaine, et plus souvent qu’on ne le croit. Dans le cas des moines, les exercices de leur vie n’ont alors plus aucun goût. L’on n’a plus cœur à rien… C’est la traversée du désert sans désir, sans appétit et sans lumière… Mais en contrepoint à cette aridité, se dessine une fraternité du désert, celle de l’épreuve, de l’angoisse et de l’espérance communes. Le Peuple de Dieu se constitue précisément comme Peuple qui traverse. En ce carême, nous sommes convoqués à la fraternité du désert, coude à coude, cœur à cœur, pas à pas, croyants et incroyants, au seul titre de notre humanité partagée.
Nous allons devoir réviser nos priorités. La frugalité, dans tous les domaines, sera une des données majeures du monde à venir.
La Vie : Quelles seront selon vous les conséquences individuelles et collectives de ce confinement général ?
François Cassingena-Trévedy : Elles seront énormes. Nous vivons un basculement de civilisation. Ce qui nous arrive n’est pas un châtiment divin, mais un avertissement historique. Économiquement et humainement, cette crise sanitaire est un révélateur et un accélérateur. En l’espace de 15 jours, le paysage mondial s’est modifié de manière impressionnante. Nous espérons ressortir de tout cela plus humains, car nous sommes bel et bien dans l’urgence de retrouver l’essentiel. Envahis par la peur de la mort, nous prenons conscience de notre immense fragilité, alors que nous nous pensions surhumains, peut-être même déjà transhumains…
Nous allons devoir réviser nos priorités, dans le domaine de la santé, de l’écologie, de l’économie, de la culture, du religieux même ; nous allons devoir réduire la voilure, ou plutôt changer de voiles. La frugalité, dans tous les domaines, sera une des données majeures du monde à venir. Nous étions jusque-là des consommateurs de la vie : l’inouï de la vie fera notre émerveillement et appellera nos baisers encore pleins de larmes.
© La Vie - 2020
Commentaire des lectures du dimanche
Cette célébration a comme une double saveur, douce et amère ; elle est joyeuse et douloureuse, car nous y célébrons le Seigneur qui entre dans Jérusalem et qui est acclamé par ses disciples en tant que roi. Et en même temps, le récit évangélique de sa passion est solennellement proclamé. C’est pourquoi notre cœur sent le contraste poignant et éprouve dans une moindre mesure ce qu’a dû sentir Jésus dans son cœur en ce jour, jour où il s’est réjoui avec ses amis et a pleuré sur Jérusalem.
L’Évangile proclamé avant la procession (cf. Mt 21,1-11) décrit Jésus qui descend du mont des Oliviers monté sur un ânon, sur lequel personne n’est jamais monté. Cet Évangile met en exergue l’enthousiasme des disciples, qui accompagnent le Maître par de joyeuses acclamations et on peut vraisemblablement imaginer comment cet enthousiasme a gagné les enfants et les jeunes de la ville, qui se sont unis au cortège par leurs cris. Jésus lui-même reconnaît dans cet accueil joyeux une force imparable voulue par Dieu, et il répond aux pharisiens scandalisés : « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19,40).
Mais ce Jésus, qui selon les Écritures, entre justement ainsi dans la ville sainte, n’est pas un naïf qui sème des illusions, un prophète “new ” un vendeur d’illusions, loin de là : il est un Messie bien déterminé, avec la physionomie concrète du serviteur, le serviteur de Dieu et de l’homme qui va vers la passion ; c’est le grand Patient de la douleur humaine.
Donc, tandis que nous aussi, nous fêtons notre Roi, pensons aux souffrances qu’il devra subir au cours de cette Semaine. Pensons aux calomnies, aux outrages, aux pièges, aux trahisons, à l’abandon, à la justice inique, aux parcours, aux flagellations, à la couronne d’épines…, et enfin à la via crucis jusqu’à la crucifixion.
Il l’avait clairement dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16,24). Il n’a jamais promis honneurs et succès. Les Évangiles sont clairs. Il a toujours prévenu ses amis que sa route était celle-là, et que la victoire finale passerait par la passion et la croix. Et cela vaut pour nous également. Pour suivre fidèlement Jésus, demandons la grâce de le faire non pas par les paroles mais dans les faits, et d’avoir la patience de supporter notre croix : de ne pas la rejeter, de ne pas la jeter, mais en regardant Jésus, de l’accepter et de la porter, jour après jour.
Et ce Jésus, qui accepte d’être ovationné tout en sachant bien que le “crucifie-[le]” l’attend, ne nous demande pas de le contempler uniquement dans les tableaux ou sur les photographies, ou bien dans les vidéos qui circulent sur le réseau. Non ! Il est présent dans beaucoup de nos frères et sœurs qui aujourd’hui, aujourd’hui connaissent les souffrances comme lui : ils souffrent du travail d’esclaves, ils souffrent de drames familiaux, de maladies… Ils souffrent à cause des guerres et du terrorisme, à cause des intérêts qui font mouvoir les armes et qui les font frapper. Hommes et femmes trompés, violés dans leur dignité, rejetés… Jésus est en eux, en chacun d’eux, et avec ce visage défiguré, avec cette voix cassée, il demande à être regardé, à être reconnu, à être aimé.
Ce n’est pas un autre Jésus : c’est le même qui est entré à Jérusalem au milieu des rameaux de palmiers et d’oliviers agités. C’est le même qui a été cloué à la croix et est mort entre deux malfaiteurs. Nous n’avons pas un autre Seigneur en dehors de lui : Jésus, humble Roi de justice, de miséricorde et de paix.
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