Pko 24.11.2019
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°57/2019
Dimanche 24 novembre 2019 – Le Christ, Roi de l’Univers – Année C
Humeurs…
Sainte Cécile… patronne de la musique et des musiciens
Ce vendredi, l’Église universelle a célébré Sainte Cécile, patronne de la musique et des musiciens… l’occasion pour nous de rendre hommage à nos chorales si fidèles… nous ne comptons pas moins de 4 chorales à la Cathédrale… la plus ancienne, la chorale du samedi soir… plus de 40 ans de fidélité, la chorale Kikiria Peata du dimanche, la chorale du Groupe d’adoration qui anime les messes du mercredi midi… et la chorale « improvisée » des messes quotidiennes…
Alors un grand MAURUURU ROA à chacune de ces chorales… à chaque membre en particuliers. Merci de nous aider à vivre nos célébrations dans la ferveur…
« Chantez, c’est prier deux fois » (Saint Augustin)
Laissez-moi vous dire…
24 novembre 2019 : Solennité du Christ, Roi de l’Univers
Pourquoi JÉSUS s’est-il laissé mourir sur la croix ?
Samedi, séance de catéchèse : la catéchète explique l’Évangile -Luc 23,35-43- de la fête du Christ-Roi. Au bout d’un moment, un petit doigt se lève, celui d’un petit gars d’environ six ans : « Mamie Rose, pourquoi Jésus s’est-il laissé mourir sur la Croix ? »
Ce petit bout de chou nous étonne par son désir d’éclairer sa foi. Benoît XVI nous encourageait à le faire : « … la foi constitue un encouragement à chercher toujours, à ne jamais s’arrêter et à ne jamais trouver le repos dans la découverte inépuisable de la vérité et de la réalité. » [Catéchèse de Benoît XVI : Foi et Raison, 21 décembre 2012] Il rejoignait Saint Augustin qui affirmait dans un de ses Discours : « Comprends pour croire et crois pour comprendre ». Jean-Paul II déclarait de manière imagée dans son Encyclique Fides et Ratio [14 septembre 1998] : « La Foi et la Raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ».
Et Mamie Rose essaie de répondre au petit gars en donnant une explication à sa portée : « Jésus a été envoyé sur la Terre par Dieu le Père pour venir changer le cœur des hommes et des femmes. Quand Jésus est arrivé il y avait une loi qui disait : “œil pour œil dent pour dent”, c’était la loi de Moïse. Au contraire, Jésus est venu apporter la Paix, la Réconciliation : “si quelqu’un te frappe, tends-lui l’autre joue… Aimez-vous les uns les autres ; aimez même vos ennemis… Changez vos cœurs.” »
Mamie Rose continue, elle suscite l’attention des petits enfants sous forme de dialogue : « Maintenant, savez-vous pourquoi les méchants ont tué Jésus sur la Croix ? Eh bien, à cette époque, le pays était occupé par les Romains ; c’est-à-dire que les Juifs ne pouvaient pas faire tout ce qu’ils voulaient, ils devaient obéir aux Romains. Les Juifs attendaient quelqu’un qui les libère : un Messie. Au début, certains pensaient que Jésus était le Messie, le Sauveur ; mais quand Jésus disait : “Aimez vos ennemis”, ça ne plaisait pas aux Juifs. Ils espéraient un chef qui chasse les Romains de leur Pays ; alors certains responsables juifs ont décidé de faire arrêter Jésus, pour le faire condamner à mort parce qu’il avait dit qu’il était Fils de Dieu, qu’il venait améliorer la loi de Moïse… Voilà pourquoi ces méchants ont fait crucifier Jésus par les Romains. Et Jésus qui avait dit : “je suis doux et humble de cœur”, s’est laissé conduire à la mort. »
Alors, le petit gars lève encore la main et demande : « Mais, Mamie Rose, pourquoi les gentils, les amis de Jésus ne sont pas venus défendre Jésus et empêcher les méchants de le tuer ? »
« Tu vois, les amis de Jésus, ses Apôtres, ses disciples n’étaient pas armés. Comme Jésus, ils n’aimaient pas la violence. En plus ils avaient peur d’être, eux aussi, arrêtés. Voilà pourquoi ils ont laissé faire. »
Autre question étonnante du même enfant : « mais alors, pourquoi Dieu le Père, qui est Tout-Puissant, n’est pas venu au secours de son Fils, Jésus ? »
Pas facile de simplifier la théologie et de répondre. Mamie Rose explique : « Vous voyez les enfants, Dieu notre Père est infiniment Bon, infiniment Miséricordieux. Il n’aime pas nous voir souffrir. Mais nous, nous ne sommes pas toujours gentils, nous faisons parfois de vilaines choses : mentir, voler les affaires d’un copain, donner des coups de pied, tirer les cheveux, dire des paroles méchantes… C’est pour cela qu’on dit : nous sommes des pécheurs. Voilà pourquoi il a demandé à Jésus, son Fils, de venir nous sauver du mal, du péché.
Regardez quand il y a une bagarre entre des élèves à l’école ou dans le quartier, il y a deux façons de réagir : ou bien on encourage ceux qui se battent : “allez tu vas l’avoir, frappe-le…”, ou bien on va essayer de les séparer ou on va vite appeler un adulte pour les séparer et les aider à faire la paix.
Autrefois, pour réparer une offense, un péché, on sacrifiait des animaux. Jésus est venu réparer la faute, le péché de tous les hommes en donnant sa vie en sacrifice, et ainsi réconcilier toute l’humanité avec son Père. La mort de Jésus sur la Croix, c’est “le rachat de tous les péchés de l’humanité”. Jésus, c’est comme un agneau que l’on a conduit au sacrifice. Rappelez-vous, Jésus a dit : “Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime”. Que diriez-vous si une maman ou un papa regardait son enfant en train de se noyer sans rien faire pour le sauver ? Eh bien, face aux nombreux péchés commis par tous les êtres humains, le Seigneur ne pouvait pas rester sans rien faire ! C’est pour cela que Jésus est venu à notre secours, au secours de toute l’humanité. Jésus a dit : “Ma vie, personne ne me la prend, c'est moi qui la donne.” C’est ça la force de notre Dieu d’amour et de miséricorde.
Oui, Jésus est mort sur la Croix mais “Dieu l’a relevé d’entre les morts ; nous tous, nous en sommes témoins” témoigne Saint Pierre devant la foule. Cela s’est passé le jour de Pâques, trois jours après le vendredi-Saint. La vie triomphe de la mort. Jésus ouvre un passage vers la vie éternelle, celle du Royaume de Dieu, qui est désormais accessible à tout homme et toute femme de bonne volonté. Le Christ est vainqueur de la mort. Voilà pourquoi on dit que Jésus-Christ est le Roi de l’univers. Voilà quelle est notre foi ! »
N’ayons pas peur si nos enfants nous posent des questions sur leur foi et les enseignements de l’Église. C’est le signe que leur foi est vivante et qu’ils veulent l’approfondir.
Bonne fête du Christ-Roi !
Dominique Soupé
© Cathédrale de Papeete – 2019
En marge de l’actualité…
« Souvenirs »
Ce Samedi 16 avait lieu en l’église Maria no te Hau la célébration du bicentenaire de l’Institut des Frères des écoles Chrétiennes, plus connus chez nous comme « Frères de La Mennais ». Jean Marie de la Mennais et Gabriel Deshayes sont à l’origine de cet institut, fondé en 1819.
Cette célébration a donné aux participants l’occasion de rendre grâces à Dieu pour toutes ces familles de religieux et religieuses qui sont venues en Polynésie pour fonder, affermir et faire grandir notre Église répartie sur les 5 archipels. Ce devoir de mémoire n’est pas inutile car si notre diocèse et nos communautés sont ce qu’elles sont aujourd’hui, c’est en partie grâce au témoignage de vie, à la foi, à la patience et à la détermination de ces hommes et de ces femmes qui avaient tout quitté, familles, pays, pour répondre à l’appel missionnaire que le Seigneur avait fait résonner dans leur cœur. En voici la liste :
- 1834 : arrivée aux Gambier des premiers missionnaires des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie pour fonder l’Église Catholique ;
- 1844 : arrivée des Sœurs de Saint Joseph de Cluny ;
- 1860 : arrivée des Frères de l’Instruction Chrétienne, les frères de La Mennais ;
- 1950 : arrivée des Sœurs missionnaires de Notre Dame des Anges ;
- 1963 : fondation des Filles de Jésus Sauveur ;
- 1967 : arrivée des Sœurs du Bon Pasteur d’Angers ;
- 1972 : arrivée des Filles de la Charité du Sacré Cœur de la Salle de Vihiers ;
- 1977 : arrivée des Pères Oblats de Marie Immaculée ;
- 1981 : arrivée des Sœurs Clarisses ;
- 1982 : arrivée des Frères du Sacré Cœur ;
Pourrons-nous imaginer le travail qu’ils et elles ont accompli en des temps où l’avion n’existait pas, où seule la goélette permettait de gagner les îles, où il fallait tout construire, organiser (paroisses, églises, écoles…) ? Le témoignage de vie et de foi qu’ils ont donné pour gagner la confiance ? Les difficultés et les combats qu’ils ont menés pour que l’Église trouve sa place et remplisse sa mission ? Le nombre d’enfants et de jeunes qui leur doivent tant pour leur formation, encore aujourd’hui ?
Les années passent, le souvenir et la reconnaissance s’estompent peu à peu. Chaque année, le nombre de fidèles et de célébrants au Turamaraa du cimetière de la Mission diminue alors que c’est une belle occasion de nous souvenir et de rendre grâces à Dieu. Aussi, merci aux Frères de La Mennais d’avoir à l’occasion de leur fête du bicentenaire, réveillé les visages de leurs anciens et de leurs fondateurs, non pas pour vivre dans la nostalgie du passé mais pour tirer du témoignage et de l’engagement de ces « anciens » de quoi nous raffermir et nous aider à poursuivre la mission qu’ils ont initiée.
Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete - 2019
Liturgie
La fête du Christ roi de l’univers comme célébration du Mystère Pascal
C’est avec la fête du Christ-Roi de l’Univers, instituée en 1925 par le Pape Pie XI, que s’achève l’année liturgique par fr. Patrick Prétot, Institut Supérieur de Liturgie, Institut Catholique de Paris.
Introduction
Pour la Constitution sur la Liturgie, toute célébration liturgique actualise l’œuvre du salut en plaçant au centre de la vie chrétienne, le mémorial de la croix, centre de la foi chrétienne :
« Parce que la mort du Christ en croix et sa résurrection constituent le contenu de la vie quotidienne de l’Église et le gage de sa Pâque éternelle, la liturgie a pour première tâche de nous ramener inlassablement sur le chemin pascal ouvert par le Christ, où l’on consent à mourir pour entrer dans la vie ».
En entretenant cette mémoire pascale, la liturgie cultive une distance à l’égard de tout pouvoir. À la requête de la mère des fils de Zébédée, « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume » (Mt 20,21), Jésus répond : « Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » (Mt 20,22), ce qui évoque la Passion. Et il le fait en précisant qu’il n’a pas le pouvoir d’accorder ce qui est demandé : « vous boirez ma coupe ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas d’accorder cela, mais c’est pour ceux à qui mon Père l’a destiné » (Mt 20,23). La suite du texte, qui souligne la jalousie entre les disciples, traduit cette transformation fondamentale, opérée par la foi au Christ, du rapport chrétien au pouvoir :
« Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d’entre vous, sera votre esclave » (Mt 20,25b-27).
Toutefois ceci ne doit pas être compris seulement comme une exhortation à la modestie : il en va de la condition même du disciple du Christ, de sa configuration au maître qui s’est fait serviteur : « C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mt 20,28). C’est pourquoi la Fête du Christ Roi de l’univers, célébrée le dernier dimanche de l’année liturgique, exprime de manière spécifique la relation que la liturgie instaure entre royauté du Christ et mystère de la croix.
De la Fête du « Christ-Roi » à la fête du « Christ, Roi de l’univers »
Instituée par l’Encyclique Quas primas du Pape Pie XI (1925), et placée au dernier dimanche d’octobre, la fête du Christ-Roi apparaissait comme une fête autonome célébrant le « règne social de Jésus-Christ ». Son instauration avait fait l’objet de quelques critiques car on s’écartait de la grande tradition liturgique, qui normalement célèbre des événements du salut manifestant l’unique mystère du Christ (Nativité, Pâques, Ascension etc.). Dans la période post-conciliaire, cette fête a suscité une certaine gêne tant il est vrai que sa dimension socio-politique était liée à une vision des rapports entre l’Église et la société qui semblait éloignée de l’enseignement du Concile Vatican II. Pouvait-on encore dire par exemple : « aux catholiques il appartiendra de faire rentrer triomphalement le Christ-Roi dans les conseils de leurs gouvernements et dans les relations sociales de leurs semblables » ? En 1966, dans la première série Assemblées du Seigneur (avant donc la réforme de Vatican II), l’introduction du fascicule consacré à cette fête, traduit bien cette gêne :
« Instituée à l’époque moderne, commentée par une encyclique aux implications sociales et politiques qui correspondent à un contexte sociologique pour une bonne part dépassé, la fête du Christ-Roi pourrait sembler à beaucoup avoir perdu son actualité sinon sa signification ».
En effet, certains aspects en faisaient largement la célébration d’une « idée ». Ainsi, s’adressant au Christ (désigné comme « Prince de tous les siècles », « Roi des nations », « vrai Prince de la Paix » et encore « arbitre des pouvoirs du monde ») l’hymne des vêpres demandait : « Puissent les gouvernants des peuples vous offrir un culte public, maîtres, juges, vous honorer ; arts et lois chanter votre gloire ! » Le thème de la royauté du Christ abritait, en faveur de l’Église et de la religion, la revendication d’une place dans une société en voie de sécularisation accélérée.
Et, en rappelant la dimension sociale de la religion, l’instauration de cette fête cherchait à s’opposer au mouvement de privatisation du religieux qui caractérise le monde contemporain.
Dès lors, et en plaçant la fête du Christ Roi au dernier dimanche de l’année liturgique, comme une sorte d’inclusion avec le premier dimanche de l’Avent, la réforme de Vatican II a transformé profondément le sens de cette célébration et lui a conféré une dimension eschatologique fondamentale qu’atteste d’ailleurs le titre nouveau qui lui est donné dans le Missel romain de 1970 : « Fête du Christ Roi de l’Univers ». Si on les compare à ceux de 1926, les formulaires liturgiques actuels sont très révélateurs de la réinterprétation de cette fête dans le cadre de l’enseignement du Concile Vatican II.
Les changements dans la liturgie de la Parole
Dans le missel de 1962, les deux lectures de la messe de cette fête sont l’hymne de l’Épître aux Colossiens (Col 1,12-20) (comme épître) alors que l’évangile était celui de la rencontre entre Pilate et Jésus au cours de Passion (Jn 18,33-37). Le commentaire dans le « missel à l’usage des fidèles » de Dom Lefebvre insistait déjà sur le caractère spirituel de la royauté du Christ, ce qui opérait une prise de distance à l’égard d’une vision où la fête était conçue avant tout comme protestation contre le laïcisme. Au-delà de cet horizon social et politique, et dans le cadre d’une théologie de la Rédemption, le formulaire liturgique mettait surtout en lumière, la primauté du Christ sur la création et sur les nations : « Dieu (…) accordez dans votre bonté, à la grande famille des nations, déchirée par la blessure du péché, de se soumettre à son joug plein de bénignité ».
Dans le lectionnaire de 1969, il y a trois formulaires, un pour chaque année liturgique, et comportant chacun trois lectures et un psaume : les textes scripturaires sont nettement plus nombreux et confèrent à la fête des harmoniques diversifiées.
L’année A insiste sur la figure du roi berger dont David est la figure annonçant le Christ.
Comme roi et berger de son peuple, c’est le Christ qui lors de son retour en gloire à la fin des temps – « Jésus parlait à ses disciples de sa venue… » (Mt 25,31) – présidera au grand jugement de l’amour dont l’Évangile de Matthieu dessine la scène grandiose : « il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres : il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche » (Mt 25,32-33)
L’année B insiste sur la différence entre les royautés de ce monde et celle que Jésus revendique devant Pilate : « Ma royauté ne vient pas de ce monde (…) non ma royauté ne vient pas d’ici » (Jn 18, 36). Mais surtout la relation entre l’Ancien et le Nouveau Testament qui structure la liturgie de la Parole dans le lectionnaire de 1969, désigne cette royauté comme accomplissement eschatologique de la prophétie du livre de Daniel : « Moi Daniel (…) je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme (…) Et il lui fut donné domination, gloire et royauté (…). Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite » (Dn 7,13-14).
L’année C tourne le regard vers le Christ en croix avec la scène des deux larrons, propre à l’Évangile de Luc. C’est sur la Croix qu’apparaît le caractère royal du crucifié qui conteste tout pouvoir. C’est même à un délinquant que cette royauté est annoncée avec solennité : mais si le bon larron demande au crucifié de se souvenir de lui « quand tu viendras inaugurer ton Règne » (Lc 23,42), la réponse fait passer du règne (basileia) au paradis (paradeisos) : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23,43).
La préface de la fête du Christ Roi de l’univers
Mais c’est la préface qui résume au mieux la théologie de la fête dans le Missel de 1970 et spécialement son lien essentiel avec la célébration du mystère pascal, cœur de l’année liturgique :
« Tu as consacré Prêtre éternel et Roi de l’univers ton Fils unique, Jésus Christ, notre Seigneur, afin qu’il s’offre lui-même sur l’autel de la Croix en victime pure et pacifique, pour accomplir les mystères de notre rédemption, et qu’après avoir soumis à son pouvoir toutes les créatures, il remette aux mains de ta souveraine puissance un règne sans limite et sans fin: règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix ».
Ce texte dense manifeste que la royauté du Christ résulte, non de la volonté des hommes, mais de la Pâque du Fils. La préface part de la consécration du Fils unique comme « Prêtre éternel » et « Roi de l’univers ». Le texte latin renvoie au psaume 44 qui synthétise la symbolique royale que la tradition chrétienne voit accomplie dans la figure du Christ, Messie, Fils de David et Fils de Dieu :
« Ton trône est divin, un trône éternel ;
Ton sceptre royal est sceptre de droiture,
Tu aimes la justice, tu réprouves le mal.
Oui, Dieu, ton Dieu, t’a consacré
D’une onction de joie
comme aucun de tes semblables » (Ps 44, 7-8).
Si le pouvoir et la royauté du Christ ont pour source « l’autel de la Croix » où le Fils s’est offert en victime pure et pacifique, c’est la dimension eschatologique du salut qui en fournit l’horizon : « et qu’après avoir soumis à son pouvoir toutes les créatures, il remette aux mains de ta souveraine puissance un règne sans limite et sans fin : règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix ».
Une fête réinterprétée à la lumière de l’enseignement du Concile Vatican II
La fête du Christ Roi a donc été l’objet d’une réinterprétation théologique, qui tient compte aussi de l’évolution de la relation entre l’Église et la société au long du XXe siècle. Alors qu’au départ cette fête est une protestation contre la perte du pouvoir de l’Église sur la société, au risque de la présenter comme une force sociale parmi d’autres, les changements d’ordre liturgique soulignent l’orientation pascale de cette fête et le caractère eschatologique de la royauté du Christ.
Dans le Christ, c’est la création toute entière, dans son chemin historique, qui est appelée à entrer dans le Royaume. Montrant combien le rapport entre religion et politique a évolué à travers l’histoire, Christian Ducquoc en refusant pour autant de réduire la royauté du Christ à une notion purement spirituelle, sans prise réelle sur le monde, met bien en lumière les enjeux d’une telle réinterprétation :
« À notre avis, il faut retenir des variations historiques du rapport de la Royauté de Jésus aux réalités politiques, et du maintien de ce titre malgré son équivocité apparente, qu’on ne peut réduire à néant la relation de Jésus au monde politique. S’il est désigné Roi, c’est que précisément le monde politique n’est pas sans lien avec le Royaume dont Jésus est le Roi (…) Proclamer Roi le Christ, c’est, à chaque époque, dans la tension entre les intentions des pouvoirs et leurs actes, rappeler la place de ceux que laissent pour compte le progrès, l’organisation, et agir en sorte que la politique tienne leur existence pour plus importante que le déploiement de sa puissance. Jésus n’a pas prêché l’anarchie, il a, dans sa prédication aux pauvres, rappelé au pouvoir politique quels étaient sa finalité et son jugement ».
En définitive, il apparaît que la liturgie révisée à la demande du Concile Vatican II transforme en profondeur l’approche en la situant sur l’arrière-fond eschatologique de la célébration du mystère pascal. Alors que la fête du Christ Roi, avait été instituée par Pie XI, pour soutenir un combat en défense contre les évolutions du monde moderne, elle est devenue la charnière de l’année liturgique parce qu’elle désigne un aspect décisif du temps chrétien : si pour nous, qui vivons dans le temps, le cycle liturgique s’achève chaque année, il ne trouvera son véritable achèvement que dans les « derniers temps » dont la Pâque du Christ est l’accomplissement eschatologique. Depuis la résurrection, nous sommes dans « les temps qui sont les derniers » et dans l’attente du dernier avènement.
C’est pourquoi, en contre-point de cette réflexion sur la fête du Christ, Roi de l’univers, il serait intéressant de considérer aussi la célébration des Rameaux. Dans le cadre de la réforme de la semaine sainte réalisée sous Pie XII (1951-1956), cette célébration a fait l’objet d’une réinterprétation comparable à celle de la fête du Christ-Roi : là aussi, les transformations rituelles soulignent la dimension eschatologique de la célébration et avant tout de la procession d’ouverture de la semaine sainte.
En définitive, le triomphe de la croix célébré dans la liturgie (y compris celle du Vendredi Saint) n’est pas à la manière du monde, et il ne peut être seulement compris comme la revanche des oubliés de l’histoire. Mais dans la foi, il est la confession de la victoire eschatologique du Christ sur les forces de la mort : en accomplissant les mystères de notre rédemption, la Pâque du Fils instaure le « règne sans limite et sans fin » que chante la préface. C’est le Peuple de Dieu tout entier qui est ainsi configuré au Christ Roi pour faire du monde, la cité de justice et de paix que tout pouvoir est appelé à édifier. Contre toute idéologisation de la foi, la dimension sociale de la religion chrétienne n’est donc pas oubliée, mais elle est replacée à l’intérieur de l’histoire de la Révélation, à la lumière du mystère pascal du Christ, lui qui, à la fin des temps, remettra au Père toutes choses.
© Conférence des Évêques de France - 2019
Entretien
Dieu n’est pas misogyne
La Croix lance ce 18 novembre une séquence de trois semaines sur les femmes et les religions. Trois d’entre elles, une juive, une chrétienne, une musulmane, réfléchissent ensemble à la place de la femme dans leur religion en revisitant leurs Écritures et Traditions. Liliane Vana, spécialiste en droit hébraïque et talmudiste, courant orthodoxe, Anne-Marie Pelletier, théologienne et bibliste catholique et Iqbal Gharbi (en visioconférence depuis Tunis), directrice de la chaire d’anthropologie de l’Université Zitouna, à Tunis, ont échangé sur la place de la femme dans leur religion.
La Croix : On dit souvent que les religions sont misogynes. Qu’en pensez-vous ?
Liliane Vana : Je ne crois pas que la Loi juive soit misogyne. Je crois en revanche que certains juifs et rabbins le sont, surtout en France, dans le courant orthodoxe auquel j’appartiens. Il convient de ne pas confondre les textes de loi et principes fondamentaux du judaïsme avec les opinions personnelles des rabbins. Dès l’origine, Dieu nous a créés égaux, et ce sont les hommes de nos religions respectives qui ont établi des discriminations.
Anne-Marie Pelletier : Ce qui me frappe, appelons-le misogynie ou non, c’est le caractère extraordinairement masculin de la représentation de nos trois religions. Rappelons-nous la rencontre d’Assise en 1986 : on a vu – ou pas forcément d’ailleurs – que c’étaient des hommes qui étaient convoqués pour représenter les grandes religions. Il n’y avait pas de femmes. Quelle image avons-nous donnée des religions dans leur difficulté à accueillir le féminin !
Telles que je les lis, les Écritures se formulent dans des sociétés patriarcales, qui reposent sur une dissymétrie entre les hommes et les femmes. Pourtant, ce qui m’intéresse comme bibliste, c’est que nous trouvons dans les mêmes textes les ressources nécessaires pour dénoncer et surmonter la misogynie.
Iqbal Gharbi : Pour moi, le problème, ce sont les interprétations. Le Coran est constitué de 6 232 versets. Seuls six, discriminatoires, parlent de la femme, du divorce, des droits de succession… Donc je ne pense pas que l’islam soit misogyne. Je suis en harmonie avec le message divin parce que j’ai ma propre lecture de l’islam, qui est une lecture progressiste, libérale et féministe. Je ne cherche pas à imposer cette lecture aux autres mais je suis pour des lectures plurielles et je pense qu’on peut trouver au sein du Coran une approche libératrice, féministe.
Sur le plan pratique, il faut œuvrer pour transgresser le monopole masculin de la gestion du religieux en terre d’islam. Il faut aussi appréhender la question de la condition de la femme dans une problématique globale qui est celle de la citoyenneté entière, des libertés individuelles et de la justice sociale dans tous les pays musulmans.
La Croix : Quelles ressources peut-on trouver, précisément, dans les écritures et traditions pour faire évoluer la place des femmes dans les religions ?
Liliane Vana : Pour moi, la ressource essentielle, c’est la Loi juive car chaque moment de la vie est réglementé, permis ou interdit. Or pour utiliser les textes légaux, encore faut-il les connaître. Curieusement, ce genre d’études sur la Loi, le Talmud, est la chasse gardée des hommes. Les femmes sont exclues non pas de l’étude, mais de l’essentiel de l’étude, c’est-à-dire de la réflexion sur la Loi (halakha). Bien sûr il y a pléthore de cours pour elles, mais on leur enseigne Le Petit Chaperon rouge là où on enseigne aux hommes les hautes mathématiques !
Pour le moment, on n’a que des hommes qui nous racontent tout et n’importe quoi sur les femmes. Ils croient savoir mieux que les femmes ce qu’elles sont. Mais aujourd’hui, Israël compte une belle quantité de femmes orthodoxes poseqot, à savoir compétentes dans le domaine de la Loi et son élaboration. Elles font avancer le judaïsme orthodoxe mais les rabbins en France ne veulent pas en entendre parler…
Iqbal Gharbi : Nous, les femmes croyantes, avons une tâche complexe devant nous. Tout d’abord il faut déconstruire les interprétations patriarcales rétrogrades. Le Coran insiste sur l’essence divine des êtres humains : la femme n’est pas née de l’homme, mais tous deux sont dépositaires du souffle divin, sur un pied d’égalité, sans discrimination. Il nous faut aussi écrire l’histoire féminine de l’islam qui a été occultée ou parfois falsifiée. À l’Université Zitouna où j’enseigne, plus de 70 % des étudiants sont des femmes, qui vont gérer le fait religieux en Tunisie. C’est ainsi que nous pouvons faire évoluer les choses.
Anne-Marie Pelletier : Le texte m’apparaît plein de ressources. Depuis plusieurs décennies, les hommes ne sont plus seuls à lire et à interpréter les Écritures. Des femmes sont associées à ce travail de relecture à partir de leurs questions propres. Ainsi des reliefs nouveaux surgissent dans le texte, qui, au prisme d’un regard masculin, n’apparaissaient pas. Ainsi prend corps une exégèse, non pas forcément « féministe » au sens le plus offensif, mais « féminine », attentive aux enjeux anthropologiques, et qui peut être pratiquée aussi par des hommes.
La Croix : Au XXe siècle, les papes ont tout de même souligné la vocation spécifique des femmes, « sentinelles de l’invisible », pour ne pas citer Jean-Paul II…
Anne-Marie Pelletier : Bien sûr. On s’est avisé de leur présence avec tout un discours de reconnaissance d’estime, un discours du sublime que je crois reconnaître dans nos trois Traditions. Mes amis musulmans parlent des femmes comme de princesses… tellement précieuses qu’on les cache ! Nous sommes pris là-dedans nous aussi dans le christianisme. Tout le problème est de parvenir à dépasser ce discours – qui se veut positif – des hommes sur les femmes : que ce ne soit pas des hommes qui parlent des femmes, mais des hommes et des femmes qui parlent ensemble.
Liliane Vana : Les rabbins orthodoxes font la même chose, ils nous lénifient ! « Les femmes sont plus sensibles, plus intelligentes, plus spirituelles… » au point d’avoir besoin d’accomplir moins de commandements, parce qu’elles « sont plus proches de Dieu ». D’où tiennent-ils « l’information » ? je l’ignore. Qu’ils gardent leur discours, mais qu’ils disent si, selon la Loi juive, les femmes sont autorisées à lire la Torah, ou à être rabbins. La réponse est oui. Mais en France, pour avoir introduit la lecture de la Torah par des femmes en 2012 – ce que les juives orthodoxes américaines ont fait il y a quarante ans –, nous avons reçu des menaces de mort à Marseille en 2017 !
Iqbal Gharbi : En islam aussi, c’est la même chose ! On essaie de propager cette fausse croyance que la femme est un trésor qui doit être préservé. Elle est la pupille de son père, de son mari, de son fils si elle est veuve… c’est l’éternelle mineure ! Ce soi-disant trésor sert à exclure la femme de la vie publique, politique, savante et ne sert pas du tout la condition des femmes en terre d’islam.
La Croix : Comment avez-vous pris votre place dans vos religions respectives ?
Liliane Vana : Je n’ai pas à prendre ma place, j’ai une place et je refuse qu’on me mette à l’écart, donc j’agis en conséquence. En tant que spécialiste en droit hébraïque, je sais ce que les femmes ont le droit de faire ou pas et ce que les hommes ont le droit de faire ou pas. C’est sur ce terrain-là que j’ai agi toute ma vie.
Nos religions respectives commencent par la Création de l’être humain – en hébreu, adam. Dieu, dans nos textes sacrés, a créé un seul être humain composé de masculin et de féminin. Le projet divin est un projet égalitaire et juste. Ce sont les hommes qui le déforment. Mon combat trouve son origine dans cette injustice. J’aurais dit la même chose si la discrimination avait concerné les hommes. Je ne me considère pas féministe mais je mène un combat féminin. Mon souhait serait que les hommes cessent de voir les femmes dans nos religions respectives comme leurs adversaires, mais les considèrent comme leurs égales, leurs partenaires.
Anne-Marie Pelletier : Oui, laissons tomber la complémentarité, et revenons à l’égalité. Mon combat, comme chrétienne, est de ramener au fondement de l’identité qui nous est commune des baptisés, ce qui veut dire remonter toute une pente de hiérarchie, qui discrimine hommes et femmes.
On entend beaucoup aujourd’hui qu’il faut faire de la place aux femmes. Non ! Elles sont déjà là. La question n’est pas de leur concéder un espace, mais de les reconnaître. Et, d’un point de vue chrétien, trouver le moyen d’institutionnaliser tout cela, au-delà de beaux discours théologiques abstraits.
Iqbal Gharbi : Quand j’ai intégré la Zitouna dans les années 1990, j’ai rencontré beaucoup de réticences. D’autant plus que j’enseignais l’anthropologie et la psychologie. Certains collègues refusaient cette nouvelle approche, ils voulaient uniquement la théologie. Aujourd’hui, on aborde le fait religieux dans une approche interdisciplinaire. Des femmes aussi l’étudient et travaillent au ministère des affaires religieuses. Cela peut faire évoluer beaucoup de choses.
La Croix : Les femmes ont-elles des choses spécifiques à apporter aux religions ?
Iqbal Gharbi : Oui, le féminin peut apporter beaucoup aux religions. La femme a une sensibilité au vivre-ensemble, à la concorde, à l’environnement, elle est aussi très critique vis-à-vis de la logique marchande qui réduit l’être humain à une seule dimension. Cette conscience féminine est religieuse, au sens étymologique du terme. Elle tend à développer une nouvelle vision du monde bâtie sur les principes de respect, d’égalité, de justice, de solidarité, de paix, d’empathie et de compassion.
Liliane Vana : Je suis d’accord avec la dernière partie mais vous posez-vous la question de savoir si les hommes apportent quelque chose aux religions ? Toute personne apporte quelque chose à sa religion, à sa société ! Votre question contribue à cette vision selon laquelle l’apport des hommes est « normal » alors que celui des femmes serait « particulier, exceptionnel ».
Maintenant, si l’on parle de l’entrée des femmes dans ce monde religieux masculin, c’est autre chose : ce qu’elles ont à apporter, c’est de sensibiliser les hommes au sens de la justice et de l’égalité à l’égard de tous les êtres humains, de garder toujours en mémoire le projet divin égalitaire et juste. S’ils commencent à repenser la question de la place des femmes, leur réflexion sur ce point-là sera différente.
Anne-Marie Pelletier : Je me méfie de toute tentative d’essentialiser les femmes. En revanche, on peut relever des manières spécifiques de vivre la condition humaine selon qu’on est homme ou femme. Ce qui me frappe beaucoup, c’est l’endurance des femmes, leur capacité à tenir dans des situations de péril extrême. Je dirais aussi qu’il y a un Dieu des femmes, une certaine manière de le connaître et d’en parler, avec une liberté que je ne vois pas toujours dans l’approche masculine.
© La Croix - 2019
Commentaire des lectures du dimanche
La solennité de Notre Seigneur Jésus-Christ Roi de l’Univers couronne l’année liturgique ainsi que cette Année sainte de la miséricorde. L’Évangile présente, en effet, la royauté de Jésus au sommet de son œuvre de salut, et il le fait de manière surprenante. « Le Messie de Dieu, l’Élu, le Roi » (Lc 23,35.37) apparaît sans pouvoir et sans gloire : il est sur la croix où il semble être plus vaincu que victorieux. Sa royauté est paradoxale : son trône c’est la croix ; sa couronne est d’épines, il n’a pas de sceptre mais un roseau lui est mis dans la main ; il ne porte pas d’habits somptueux mais il est privé de sa tunique ; il n’a pas d’anneaux étincelants aux doigts mais ses mains sont transpercées par les clous ; il n’a pas de trésor mais il est vendu pour trente pièces.
Vraiment le royaume de Jésus n’est pas de ce monde (cf. Jn 18,36) ; mais en lui, nous dit l’Apôtre Paul dans la seconde lecture, nous trouvons la rédemption et le pardon (cf. Col 1,13-14). Car la grandeur de son règne n’est pas la puissance selon le monde mais l’amour de Dieu, un amour capable de rejoindre et de guérir toute chose. Par cet amour, le Christ s’est abaissé jusqu’à nous, il a habité notre misère humaine, il a éprouvé notre condition la plus misérable : l’injustice, la trahison, l’abandon ; il a fait l’expérience de la mort, du tombeau, des enfers. De cette manière, notre Roi est allé jusqu’aux limites de l’univers pour embrasser et sauver tout être vivant. Il ne nous a pas condamnés, il ne nous a même pas conquis, il n’a jamais violé notre liberté mais il s’est fait chemin avec l’humble amour qui excuse tout, qui espère tout, qui supporte tout, (cf. 1Co 13,7). Seul cet amour a vaincu et continue à vaincre nos grands adversaires : le péché, la mort, la peur.
Aujourd’hui, chers frères et sœurs, nous proclamons cette singulière victoire par laquelle Jésus est devenu Roi des siècles, le Seigneur de l’histoire : par la seule toute puissance de l’amour qui est la nature de Dieu, sa vie même, et qui n’aura jamais de fin (cf. 1Co 13,8). Avec joie nous partageons la beauté d’avoir Jésus comme notre Roi : sa seigneurie d’amour transforme le péché en grâce, la mort en résurrection, la peur en confiance.
Mais ce serait peu de choses de croire que Jésus est Roi de l’univers et centre de l’histoire sans le faire devenir Seigneur de notre vie : tout ceci est vain si nous ne l’accueillons pas personnellement et si nous n’accueillons pas non plus sa manière de régner. Les personnages que l’Évangile de ce jour nous présente nous y aident. En plus de Jésus, trois figures l’accompagnent : le peuple qui regarde, le groupe qui se trouve près de la croix et un malfaiteur crucifié près de Jésus.
D’abord le Peuple : l’Évangile dit qu’il « restait là à observer » (Lc 23,35) : personne ne dit un mot, personne ne s’approche. Le peuple est loin, il regarde ce qui se passe. C’est le même peuple qui, en raison de ses besoins, se pressait autour de Jésus, et qui maintenant garde ses distances. Face aux circonstances de la vie ou devant nos attentes non réalisées, nous pouvons nous aussi avoir la tentation de prendre de la distance vis-à-vis de la royauté de Jésus, de ne pas accepter complètement le scandale de son humble amour, qui inquiète notre moi, qui dérange. On préfère rester à la fenêtre, se tenir à part plutôt que s’approcher et se faire proche. Mais le peuple saint, qui a Jésus comme Roi, est appelé à suivre sa voie d’amour concret ; à se demander, chacun, tous les jours : « Que me demande l’amour, où me pousse-t-il ? Quelle réponse je donne à Jésus par ma vie ? »
Il y a un second groupe qui comprend plusieurs personnes : les chefs du peuple, les soldats et un malfaiteur. Tous ceux-là se moquent de Jésus. Ils lui adressent la même provocation : « Qu’il se sauve lui-même ! » (cf. Lc 23,35.37.39). C’est une tentation pire que celle du peuple. Ici, ils tentent Jésus comme a fait le diable au début de l’Évangile (cf. Lc 4,1-13), pour qu’il renonce à régner à la manière de Dieu mais qu’il le fasse selon la logique du monde : qu’il descende de la croix et batte ses ennemis ! S’il est Dieu, qu’il montre sa puissance et sa supériorité ! Cette tentation est une attaque directe contre l’amour : « Sauve-toi toi-même » (vv 37.39) ; non pas les autres, mais toi-même. Que prévale le moi, avec sa force, avec sa gloire, avec son succès. C’est la tentation la plus terrible, la première et la dernière de l’Évangile. Mais face à cette attaque contre sa manière d’être, Jésus ne parle pas, ne réagit pas. Il ne se défend pas, il ne cherche pas à convaincre, il ne fait pas une apologétique de sa royauté. Il continue plutôt à aimer, il pardonne, il vit le moment de l’épreuve selon la volonté du Père, certain que l’amour portera du fruit.
Pour accueillir la royauté de Jésus nous sommes appelés à lutter contre cette tentation, à fixer le regard sur le Crucifié, pour lui devenir toujours plus fidèles. Que de fois, aussi parmi nous, les sécurités tranquillisantes offertes par le monde sont recherchées. Que de fois n’avons-nous pas été tentés de descendre de la croix. La force d’attraction du pouvoir et du succès a semblé être une voie facile et rapide pour répandre l’Évangile, oubliant trop vite comment opère le règne de Dieu. Cette Année de la miséricorde nous a invités à redécouvrir le centre, à revenir à l’essentiel. Ce temps de miséricorde nous appelle à regarder le vrai visage de notre Roi, celui qui resplendit à Pâques, et à redécouvrir le visage jeune et beau de l’Église qui resplendit quand elle est accueillante, libre, fidèle, pauvre en moyens et riche en amour, missionnaire. La miséricorde, en nous portant au cœur de l’Évangile, nous exhorte aussi à renoncer aux habitudes et aux coutumes qui peuvent faire obstacle au service du règne de Dieu , à trouver notre orientation seulement dans l’éternelle et humble royauté de Jésus, et non dans l’adaptation aux royautés précaires et aux pouvoirs changeants de chaque époque.
Un autre personnage apparaît dans l’Évangile, plus proche de Jésus, le malfaiteur qui le prie en disant : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume » (v. 42). Cette personne, simplement en regardant Jésus, a cru en son règne. Il ne s’est pas fermé sur lui-même, mais, avec ses erreurs, ses péchés et ses ennuis il s’est adressé à Jésus. Il lui a demandé de se souvenir de lui et a éprouvé la miséricorde de Dieu : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (v.43). Dieu se souvient de nous dès que nous lui en donnons la possibilité. Il est prêt à effacer complètement et pour toujours le péché, parce que sa mémoire n’enregistre pas le mal commis et ne tiens pas pour toujours compte des torts subis, à la différence de la nôtre. Dieu n’a pas la mémoire du péché, mais de nous, de chacun de nous, ses enfants bien aimés. Et il croit qu’il est toujours possible de recommencer, de se relever.
Nous aussi, demandons le don de cette mémoire ouverte et vivante. Demandons la grâce de ne jamais fermer les portes de la réconciliation et du pardon, mais de savoir dépasser le mal et les divergences, ouvrant toute voie d’espérance possible. De même que Dieu croit en nous-mêmes, infiniment au-delà de nos mérites, nous aussi sommes appelés à infuser l’espérance et donner leurs chances aux autres. Parce que, même si la Porte Sainte se ferme, la vraie porte de la miséricorde reste pour nous toujours grande ouverte, le Cœur du Christ. Du côté percé du Ressuscité jaillissent jusqu’à la fin des temps la miséricorde, la consolation et l’espérance.
Beaucoup de pèlerins ont passé les Portes saintes et, loin du bruit des commentaires, ont goûté la grande bonté du Seigneur. Remercions pour cela et rappelons-nous que nous avons été investis de miséricorde pour nous revêtir de sentiments miséricorde, pour devenir aussi des instruments de miséricorde. Continuons notre chemin ensemble. Que la Vierge nous accompagne, elle aussi était près de la croix, elle nous a enfantés là comme tendre Mère de l’Église qui désire nous recueillir tous sous son manteau. Sous la croix elle a vu le bon larron recevoir le pardon et elle a pris le disciple de Jésus comme son fils. Elle est la Mère de miséricorde à qui nous nous confions : toute situation, toute prière, présentée à ses yeux miséricordieux ne restera pas sans réponse.
© Libreria Editrice Vaticana – 2016