Pko 10.03.2019

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°13/2019

Dimanche 10 mars 2019 – 1er Dimanche du Temps de Carême – Année C

Humeurs…

Lettre de Mgr Jean-Pierre COTTANCEAU

Papeete, le 08 Mars 2019

Chers frères et sœurs

C'est avec le coeur serré et l'esprit bouleversé que, en tant qu'évêque de ceœ diocèse, je rejoins l'indignation et la colère de ceux et celles qui, suite aux événements qui secouent notre diocèse et la paroisse Ste Thérèse, sont désemparés et choqués... Catholiques, certes, mais aussi tous ceux et celles qui attendaient de l'Église une parole et un comportement conformes à la sauvegarde de la dignité de l'être humain... Comment ne pas l'être ?

La politique et les paroles du Saint Père concernant les actes d'abus sexuel sont clairs : « Tolérance zéro ! ». Cette tolérance zéro s'applique à tous ceux qui se sont rendu coupables d'actes d'abus sexuels sur mineurs et sur majeurs. Toute notre Église, depuis nos paroisses jusqu'au Vatican, doit comprendre que la souffrance vécue et exprimée par les personnes victimes de ces agissements pervers est fondatrice de notre action pour aujourd'hui et pour demain. Que ces personnes victimes d'abus sexuels sachent qu'ils trouveront toujours le soutien et l'appui qui leur est dû et dont ils auront besoin ! Il faut agir vis-à-vis des auteurs et vis-à-vis des victimes, et cette action doit avoir lieu au sein même de l'Église d'une part, et en lien avec la justice des Hommes d'autre part. Je m'y engage.

Il revient précisément à la justice de rendre, au terme de son enquête, un verdict d'innocence ou de culpabilité. Pour l'heure, et dans l'attente de ce verdict, je demande à nos fidèles de ne pas se laisser aller aux jugements hâtifs, précipités et passionnés. Si toute la lumière doit être faite sans complaisance, la présomption d'innocence doit être respectée. Je demande aussi qu'en ce temps de Carême, nous puissions prier pour tous ceux qui sont impliqués dans cet événement douloureux.Sceau1

Laissez-moi vous dire…

Jeudi 7 mars 2019 : Jeudi « noir » pour l’Église catholique en France et à Tahiti

« Si par l’Esprit vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez. »

Les médias traitent l’actualité et les événements souvent de manière inégale. Dans un contexte où la rentabilité économique est parfois vitale pour un journal, ses éditeurs, ses journalistes et autres personnels, on comprend que le « scoop » à la Une présente un fait d’actualité sous un angle qui accroche les lecteurs. Même le PK0 utilise parfois ce procédé ! L’éthique oblige à un minimum de respect et de correction à l’égard du lecteur, de l’auditeur ou du téléspectateur.

Les insultes proférées contre le philosophe et académicien Alain Finkielkraut, le 16 février dernier, ont donné lieu à un déploiement médiatique et politique de grande ampleur. L’intéressé s’en est étonné. Certains médias ont relancé les vieux slogans antisémites des années 40. D’autres ont su mettre en avant l’analyse faite par le philosophe témoignant d’une grave dérive raciste toute autre que celle qui prévalait au temps des nazis, et expliquant pourquoi il ne porterait pas plainte.

D’autres événements n’ont pas fait la Une des médias, par exemple : sept églises catholiques qui ont été profanées entre le 1er et le 9 février [à Dijon, Nîmes, Lavaur (Tarn), Houilles et Maisons-Lafitte (Yvelines), Lusignan (Vienne), Talmont (Vendée)]. L’Église catholique – notamment en France – est davantage ciblée sur les actes répréhensibles, en matière d’abus sexuels sur mineurs, commis par des prêtres ou même des prélats.

Ce jeudi 7 mars a été particulièrement « noir » pour l’Église catholique en France et à Tahiti. En effet, les médias métropolitains ont annoncé la condamnation de l’archevêque de Lyon jugé coupable de non-dénonciation d’agressions pédophiles. Et les médias locaux ont braqué les projecteurs sur la mise en examen du curé de l’église Sainte Thérèse de Taunoa.

En pleine période de Carême c’est, pour nous chrétiens catholiques, un appel à la compassion d’abord envers les victimes - si les faits évoqués s’avèrent confirmés -, ensuite envers l’accusé et son supérieur hiérarchique, l’archevêque de Papeete. Nous gardons présent à l’Esprit cette parole de Jésus : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » (Matthieu 8, 31-32). Accepter que la vérité se fasse suppose une grande humilité et un grand respect des familles qui ont porté plainte, des enquêteurs et de l’accusé.

Face aux scandales des abus sexuels - qui ne concernent pas uniquement les hommes d’Église - nous sommes dans le contexte de la lutte entre la chair et l’esprit. Or, durant le Carême nous, chrétiens sommes justement invités à retrouver le sens même de notre existence. Le vieil homme qui nous habite, plein de convoitises et d’envies terrestres qui nous entraînent à de viles actions, doit faire place à l’homme nouveau qui se laisse conduire par l’Esprit. Le Christ le dit : « L’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière. » (Jean 16, 13)

L’Apôtre Paul ne prend pas de gants quand il affirme dans la lettre aux Romains : « …ceux qui se conforment à la chair tendent vers ce qui est charnel ; ceux qui se conforment à l’Esprit tendent vers ce qui est spirituel ; et la chair tend vers la mort, mais l’Esprit tend vers la vie et la paix. Car la tendance de la chair est ennemie de Dieu, elle ne se soumet pas à la loi de Dieu, elle n’en est même pas capable. Ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. (…) Car si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez. » (Romains 8, 5-8.13)

N’oublions pas ce conseil que Saint Jean XXIII donnait dans sa première Encyclique Ad Petri Cathedram (À la chaire de Pierre) : « Dans les choses nécessaires, l’unité ; dans les choses douteuses, liberté ; mais en toute chose, la charité. » [Jean XXIII, Ad Petri Cathedram, 29 juin 1959, n. III §8]. Il est important de préserver l’unité entre nous et d’exercer la charité… même envers ceux qui nous critiquent…

Dominique Soupé

© Cathédrale de Papeete - 2019

En marge de l’actualité…

Temps de Carême

Ce Mercredi a débuté le temps du Carême avec la célébration des cendres. Il faut bien avouer que souvent, ce temps de Carême est associé à la notion de sacrifice, de privations : « il faut jeûner, il faut faire l’aumône, il faut prier … ». Oui, ce temps de Carême vient bousculer nos habitudes, nos tranquillités, notre routine quotidienne, notre confort spirituel. N’en soyons pas étonnés, la nature humaine est ainsi faite… Il serait cependant dommage de vivre comme une épreuve incontournable ce temps qui nous conduit à la joie de Pâques. Saurons-nous nous réjouir de ce temps de Carême qui nous invite à la conversion, afin de laisser le Seigneur faire irruption de façon nouvelle dans nos vies, dans nos cœurs ? Il nous est donné pendant ces 40 jours de faire le point sur la qualité de nos relations avec Dieu (la prière), avec nos frères (l’aumône) et avec nous-mêmes (le jeûne).

Notre relation à Dieu est-elle une relation d’intérêt ou de confiance et d’abandon ? L’expérience des Hébreux au désert avec Moïse vient illustrer cette question : « Dieu nous a t’il conduit au désert pour nous faire mourir de faim ? »… Inquiétude légitime qui parfois nous assaille. Nous nous inquiétons de tout : la situation du monde, les conflits sociaux, la famille, les enfants à élever, la santé, l’avenir des siens… Peut-être devrions-nous donner plus de place à la confiance en Dieu et à la prière, non pas que cela va régler nos problèmes comme par magie, mais le Seigneur peut si nous lui demandons, nous donner courage, force et confiance pour les résoudre. D’où l’importance de se donner ces temps d’intimité avec lui pour accueillir son aide, son Esprit, sa confiance. Prière aussi pour accueillir sa miséricorde lorsque nous faisons l’expérience de notre faiblesse, de nos échecs, de nos infidélités. N’oublions pas que la victoire du Satan, c’est de nous faire douter de la miséricorde de Dieu ! Prière enfin pour nos frères et sœurs en souffrance, prière qui nous rapproche d’eux et fait grandir entre nous cette fraternité que Jésus nous demande.

Notre relation aux autres, est-elle une fois encore une relation d’intérêt ou une relation de don et de partage ? Aimer l’autre pour lui-même… Le mot « aumône » désigne dans l’Ancien Testament la miséricorde de Dieu pour l’Homme ou bien encore la miséricorde de l’Homme pour son semblable. Cette miséricorde n’est authentique que si elle se traduit en actes parmi lesquels figure en bonne place le soutien matériel à ceux qui sont dans le besoin. Pratiquer l’aumône, c’est imiter le geste de Dieu qui, le premier, a fait preuve de bonté envers l’homme. A travers le frère malheureux, c’est Jésus lui-même que nous atteignons : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25, 31 – 46)

Notre relation à nous-mêmes : par la pratique du jeûne, l’homme associe le corps à la démarche spirituelle. Le jeûne accompagné de la prière, sert à traduire l’humilité devant Dieu. Quand, dans l’Ancien Testament, un homme s’abstient de manger, alors qu’il tient la nourriture pour un don de Dieu, cette privation est un geste religieux : se tourner vers le Seigneur dans une attitude de dépendance et d’abandon. Ainsi devient-il possible d’accueillir l’action de Dieu et se mettre en sa présence. Finalement, c’est pour l’amour de Dieu que nous sommes appelés à pratiquer un jeûne qui soit expression de notre espérance en lui, un jeûne qui ouvre le cœur à l’action de Dieu qui voit et agit dans le secret !

+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete - 2019

Audience générale

Les signes multiples de la venue de Dieu

Le Saint-Père a poursuivi son cycle sur le « Notre Père », revenant en particulier sur la seconde invocation de cette prière : « Que ton règne vienne » (Mt 6, 10), lorsque le croyant exprime son désir de voir le Règne du Seigneur arriver.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Quand nous prions le Notre Père, la seconde invocation par laquelle nous nous adressons à Dieu est « que ton Règne vienne » (Mt 6,10). Après avoir prié pour que son Nom soit sanctifié, le croyant exprime le désir que soit hâtée la venue de son Règne. Ce désir a jailli, pour ainsi dire, du cœur même du Christ, qui a commencé sa prédication en Galilée en proclamant : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1,15). Ces paroles ne sont pas du tout une menace, au contraire, elles sont une joyeuse annonce, un message de joie. Jésus ne veut pas pousser les gens à se convertir en semant la peur du jugement imminent de Dieu ou un sentiment de culpabilité en raison du mal commis. Jésus ne fait pas de prosélytisme : il annonce, simplement. Au contraire, ce qu’il apporte est la Bonne Nouvelle du salut et, à partir d’elle, il appelle à se convertir. Chacun est invité à croire en l’« Évangile » : la seigneurie de Dieu s’est fait proche de ses enfants. Voilà l’Évangile : la seigneurie de Dieu s’est fait proche de ses enfants. Et Jésus annonce cette chose merveilleuse, cette grâce : Dieu, le Père, nous aime, il est proche de nous et il nous enseigne à marcher sur la voie de la sainteté.

Les signes de la venue de ce Règne sont multiples et tous positifs. Jésus commence son ministère en prenant soin des malades, que ce soit dans leur corps ou dans leur esprit, de ceux qui vivent une exclusion sociale – par exemple les lépreux –, des pécheurs regardés par tous avec mépris, et même de ceux qui étaient plus pécheurs qu’eux mais qui faisaient semblant d’être justes. Et Jésus, comment les appelle-t-il, ceux-là ? « Hypocrites ! » Jésus lui-même indique ces signes, les signes du Règne de Dieu : « Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle » (Mt 11,5).

« Que ton Règne vienne ! », répète le chrétien avec insistance quand il prie le Notre Père. Jésus est venu ; mais le monde est encore marqué par le péché, peuplé de tant de gens qui souffrent, de personnes qui ne se réconcilient pas et ne pardonnent pas, de guerres et de nombreuses formes d’exploitation ; pensons à la traite des enfants, par exemple. Tous ces faits sont la preuve que la victoire du Christ ne s’est pas encore complètement réalisée : beaucoup d’hommes et de femmes vivent encore le cœur fermé. C’est surtout dans ces situations que, sur les lèvres du chrétien, affleure la deuxième invocation du Notre Père : « Que ton Règne vienne ! ». C’est comme dire : « Père, nous avons besoin de toi ! Jésus, nous avons besoin de toi, nous avons besoin que partout et pour toujours, tu sois le Seigneur au milieu de nous ! ». « Que ton Règne vienne, sois toi-même au milieu de nous ! ».

Parfois, nous nous demandons : comment se fait-il que ce Règne se réalise si lentement ? Jésus aime parler de sa victoire avec le langage des paraboles. Par exemple, il dit que le Règne de Dieu est semblable à un champ où poussent ensemble le bon grain et l’ivraie : la pire erreur serait de vouloir intervenir aussitôt en extirpant du monde ce qui nous semble être des mauvaises herbes. Dieu n’est pas comme nous, Dieu a de la patience. Ce n’est pas par la violence que s’instaure le Règne de Dieu : son style de propagation est la douceur (cf. Mt 13,24-30).

Le Règne de Dieu est certainement une grande force, la plus grande qui soit, mais pas selon les critères du monde ; c’est pourquoi il semble qu’il n’ait jamais la majorité absolue. Il est comme le levain mélangé à la farine : apparemment il disparaît, et pourtant c’est justement lui qui fait fermenter la masse (cf. Mt 13,33). Ou encore il est comme un grain de sénevé, tout petit, presque invisible, mais qui porte en lui la force inouïe de la nature, et une fois qu’il a poussé, il devient le plus grand de tous les arbres du jardin (cf. Mt 13,31-32).

Dans ce « destin » du Règne de Dieu, on peut percevoir la trame de la vie de Jésus : lui aussi a été pour ses contemporains un signe ténu, un événement presque inconnu des historiens officiels de l’époque. Il s’est lui-même défini comme un « grain de blé » qui meurt dans la terre mais qui peut seulement ainsi porter « beaucoup de fruit » (cf. Jn 12,24). Le symbole de la graine est éloquent : un jour le paysan la plante dans la terre (un geste qui ressemble à une sépulture) et puis « nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment » (Mc 4,27). Une graine qui germe est davantage l’œuvre de Dieu que celle de l’homme qui l’a semée (cf. Mc 4,27). Dieu nous précède toujours, Dieu nous surprend toujours. Grâce à lui, après la nuit du Vendredi saint, il y a une aube de Résurrection capable d’illuminer d’espérance le monde entier.

« Que ton Règne vienne ! ». Semons cette parole au milieu de nos péchés et de nos échecs. Offrons-la aux personnes vaincues et courbées par la vie, à celles qui ont goûté plus de haine que d’amour, à celles qui ont vécu des jours inutiles sans jamais comprendre pourquoi. Donnons-la à ceux qui ont lutté pour la justice, à tous les martyrs de l’histoire, à ceux qui en ont conclu qu’ils s’étaient battus pour rien et que le mal domine toujours dans ce monde. Nous entendrons alors répondre la prière du Notre Père. Elle redira pour la énième fois ces paroles d’espérance, celles que l’Esprit a posées comme un sceau sur toutes les Écritures saintes : « Oui, je viens bientôt ! » : voilà la réponse du Seigneur. « Je viens bientôt ». Amen. Et l’Église du Seigneur répond : « Viens, Seigneur Jésus » (cf. Ap 2,20). « Que ton Règne vienne » revient à dire « Viens, Seigneur Jésus ». Et Jésus dit : « Je viens bientôt ». Et Jésus vient, à sa façon, mais tous les jours. Ayons confiance en cela. Et quand nous prions le Notre Père, nous disons toujours : « Que ton Règne vienne » pour entendre dans notre cœur : « Oui, oui, je viens et je viens bientôt ». Merci !

© Libreria Editrice Vaticana – 2019

Protection des mineurs dans l’Église

Une administration de l’Église plus efficace

L’archevêque de Munich et Freising, le Cardinal Marx, était le deuxième orateur, dans le cadre de la Rencontre sur la protection des mineurs. Il a insisté sur l’importance de clarifier les procédures administratives afin de restaurer la confiance dans l’Église catholique.

Saint-Père,

Eminences, Excellences,

chers frères et sœurs,

En vous parlant aujourd’hui de la transparence, je le fais à partir de deux présupposés. Premièrement, celui d’une conception spécifique du concept de transparence. Je conçois la transparence non pas comme le plus grand nombre possible d’informations diverses, non coordonnées, révélées. Pour moi, la transparence signifie que les actions, les décisions, les processus, les procédures, etc. sont compris et traçables. Je considère que la traçabilité et la transparence sont liées de façon indissoluble.

Deuxièmement, je vous parle de transparence en relation à la traçabilité en tant que cardinal allemand. Peut-être que certains d’entre vous penseront à présent immédiatement : c’est typique, il ne faut pas s’attendre à autre chose. Nous autres Allemands, sommes connus pour une certaine tendance à l’administration, qui inclut ces aspects déjà mentionnés de traçabilité et de transparence. Les dossiers, les documents, les formulaires, les lignes d’orientation, les paragraphes, les listes, les normes procédurales, etc… – semblent avoir été transmis aux Allemands à la naissance, et il semble que quiconque ait à faire à nous d’une façon ou d’une autre soit confronté également de quelque façon avec tout ce que je viens de citer.

Certains pourront considérer cela comme une particularité, et ne pas y prêter davantage d’attention. D’autres – peut-être même la majorité – pourraient s’opposer à tout cela. Ils se demandent sérieusement : Toute cette administration n’est-elle pas contraire à la dynamique de la vie ? Ils ne comprennent pas que l’administration concentre son attention sur les dossiers, plutôt que sur les personnes et leurs besoins ? N’est-il pas vrai que l’administration ne fait que créer du travail en plus, et distrait l’attention des véritables tâches ?

Je voudrais affronter ces questions avec vous. Et ne vous inquiétez pas, ce n’est pas un problème uniquement pour les Allemands, les Suisses ou les Américains. C’est un problème fondamental, que nous devons tous affronter en tant qu’Église, de façon spéciale et spécifique en ce qui concerne la gestion appropriée du thème des abus. Il est important de clarifier de combien d’administration l’Église a besoin. Et au premier abord, il semblerait plutôt qu’il en serve beaucoup moins.

Cette affirmation peut se baser sur de nombreux aspects. La foi ne peut pas être administrée. L’Esprit de Dieu ne peut pas être capturé dans un dossier ou un classeur. L’amour de Dieu se reflète dans des actes spécifiques d’attention pour les personnes, plutôt que dans les documents administratifs. La prière est beaucoup plus forte que n’importe quelle série de procédures administratives. Les sacrements transmettent une véritable miséricorde, alors que l’administration demeure une partie des minutiae de ce monde. On pourrait énumérer d’autres arguments pour montrer qu’en réalité, l’administration n’a pas grand-chose à voir dans l’Église et qu’elle pourrait plus ou moins être ignorée. Mais est-ce vraiment le cas ? Essayons de l’établir, en suivant ensemble les processus de réflexion suivants, et en prenant conscience de : ce qui constitue l’Église ; quel rôle devrait avoir l’administration ; comment l’administration remplit-elle son objectif ; que faut-il faire pour que les présupposés nécessaires existent et quels sont les devoirs qui en découlent ?

Même ici, toutefois, je ne peux cacher ce dont je suis fermement convaincu, et ce que je crois être essentiel : l’administration dans le domaine de responsabilité de l’Église, n’est pas seulement une question technique, spécialiste ou fonctionnelle. L’administration au sein de l’Église est étroitement reliée à des bases théologiques, a des motivations théologiques et spirituelles, et est étroitement liée aux actions spécifiques de l’Église. Une administration ecclésiale pleinement fonctionnelle représente une pierre angulaire importante dans la lutte contre l’abus et dans la gestion des abus. Les raisons pour lesquelles il en est ainsi apparaîtront, je pense, dans les chapitres suivants.

La conscience que l’Église a d’elle-même

L’Église a une mission dans ce monde. Comme la constitution dogmatique sur l’Église « Lumen Gentium » l’affirme au tout début : « L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1). Cette mission est remplie par des personnes spécifiques dans des lieux spécifiques sous des conditions spécifiques, qui exigent également des moyens appropriés, tangibles, et terrestres. C’est pourquoi, c’est à juste titre que le texte de Lumen Gentium affirme, un peu plus loin : « Le Christ, unique médiateur, crée et continuellement soutient sur la terre, comme un tout visible, son Église sainte, communauté de foi, d’espérance et de charité (…). Cette société organisée hiérarchiquement d’une part et le corps mystique d’autre part, l’ensemble discernable aux yeux et la communauté spirituelle, l’Église terrestre et l’Église enrichie des biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux choses, elles constituent au contraire une seule réalité complexe, faite d’un double élément humain et divin » (LG 8). Puis le texte poursuit : « C’est pourquoi, en vertu d’une analogie qui n’est pas sans valeur, on la [l’Église] compare au mystère du Verbe incarné. Tout comme en effet la nature prise par le Verbe divin est à son service comme un organe vivant de salut qui lui est indissolublement uni, de même le tout social que constitue l’Église est au service de l’Esprit du Christ qui lui donne la vie, en vue de la croissance du corps (…) ».

En bref, cela signifie : les actions de l’Église dans ce monde ne peuvent pas être strictement et uniquement spirituelles. Négliger les aspects terrestres de l’Église et ses propres lois, ne rend pas justice à la réalité de l’Église. De façon analogue, le corps du Christ et l’organisation humaine de l’Église doivent être considérés « sans séparation et sans imbrication ». C’est pourquoi tous les principes fondamentaux pour une bonne société et une organisation au service des personnes dans la vie de l’Église ne peuvent être ignorés.

L’objectif de l’administration

Les aspects terrestres de l’Église incluent fondamentalement le fait que de nombreuses personnes différentes travaillent ensemble pour l’accomplissement de la mission de l’Église, et exigent également les ressources matérielles adéquates pour leurs activités respectives. Il faut payer des salaires, entretenir des édifices ecclésiaux, construire des salles paroissiales, coordonner la coopération, honorer des contrats, imprimer du matériel catéchétique – la liste est interminable. Mais, au bout du compte, tous ces exemples concernent une seule réalité : Afin d’accomplir toutes ces taches qui découlent de la mission de l’Église – et donc également la mission de l’Église elle-même – il faut une administration pleinement fonctionnelle qui soit orientée vers l’objectif de l’Église, et fondée sur le principe de la justice.

L’administration standardise les procédures et les procédés, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de chercher, de demander et d’essayer à chaque fois de voir comment les choses fonctionnent, même s’il faut répéter les mêmes choses. Cela permet de conserver les ressources, et de les utiliser avec modération et de façon efficace pour la mission. L’administration documente ce qui a été débattu, concordé et réalisé ; elle évite les oublis et conserve les affaires au-delà du moment, et permet ainsi la fiabilité et la fidélité à sa parole. L’administration objectivise, en créant et en appliquant des règles et des lois et prévient l’arbitraire.

Cela représente une contribution active à la justice, étant donné que les règles et les lois obligatoires garantissent que les décisions et les jugements ne sont pas seulement basés sur les caprices de ceux qui les appliquent, ou des supérieurs. De plus, l’administration oriente et met en ordre, en conservant une vision générale de ce qui a lieu, en l’enregistrant et en le rendant disponible. Elle crée donc un ordre, dans lequel l’individu peut s’y retrouver et comprendre ou revoir la ratio de ses propres actions. L’administration réglemente, et sanctionne les violations contre l’intérêt commun, les règles et les lois, et joue donc le rôle de contrepoids à ce qui peut être communément décrit comme la nature pécheresse de l’humanité. De façon générale, l’administration stabilise la coopération entre différentes personnes et institutions.

Tout ce qui a été mentionné jusqu’à présent, y compris standardiser, documenter, objectiviser, orienter et ordonner – ainsi que réglementer – est d’une importance décisive pour le succès des actions communes, y compris celles de l’Église.

Difficultés et problèmes

En raison de tout ce qu’elle réalise, l’administration est puissante. Ce qu’elle fait ou qu’elle ne fait pas a un impact significatif sur ce qui peut être réalisé – ou pas – à travers des actions communes. Ce pouvoir de l’administration peut aussi être mal utilisé. C’est le cas, par exemple, quand l’administration oublie sa fonction de servir les diverses personnes qui vivent ensemble et coopèrent pour atteindre des objectifs plus élevés ; quand l’administration se soucie uniquement d’elle-même; quand les normes et les règlements ne sont utilisé que pour soutenir l’administration ou le pouvoir des personnes. Dans ce cas, il s’agit d’abus de pouvoir de la part de l’administration. Ce que cela peut signifier est assez évident en ce moment.

Les abus sexuels à l’égard d’enfants et de jeunes sont, dans une mesure qui n’est pas moindre, dus à l’abus de pouvoir dans le cadre de l’administration. À cet égard, l’administration n’a pas contribué à accomplir la mission de l’Église mais, au contraire, elle l’a voilée, discréditée et rendue impossible. Les dossiers qui auraient pu documenter ces actes terribles et indiquer le nom des responsables ont été détruits ou n’ont pas même été constitués. Au lieu des coupables, ce sont les victimes qui ont été réprimandées et on leur a imposé le silence. Les procédures et les procédés établis pour poursuivre les délits ont été délibérément ignorés, et même effacés ou contournés. Les droits des victimes ont été, de fait, foulés aux pieds et laissés à l’arbitre de personnes individuelles. Tous ces événements sont en nette contradiction avec ce que l’Église devrait représenter. La manière dont l’administration de l’Église a été structurée et exercée n’a pas contribué à unir tout le genre humain et à rapprocher davantage les hommes de Dieu mais, au contraire, elle a violé ces objectifs.

Or, cela met pour le moins en lumière un dilemme difficile : d’un côté l’administration est nécessaire pour remplir la mission de l’Église, de l’autre elle peut faire directement obstacle à cette mission. Comment faut-il donc l’affronter ? Que devons-nous changer, ou à quoi devons-nous prêter une plus grande attention ?

Nécessité de traçabilité et de transparence

Nous avons le besoin urgent d’une administration qui non seulement contribue à remplir la mission de l’Église, mais qui dans une certaine mesure incarne également ce que l’on veut réaliser à travers cette mission. Elle doit être – précisément comme l’Église dans son ensemble – non seulement un instrument, mais également un symbole de l’unification de l’humanité, et de l’unité des hommes avec Dieu. Il ne s’agit pas seulement du fonctionnement de l’administration pour un objectif quelconque, mais plutôt du fait que l’administration doit avoir lieu de manière telle que les personnes se sentent acceptées dans les procédures administratives, qu’elles se sentent appréciées, qu’elles puissent avoir confiance dans le système, qu’elles se sentent en sécurité et traitées de manière juste, qu’elles soient écoutées et que leurs critiques légitimes soient acceptées. On accomplirait ainsi un grand pas en avant vers l’obtention de ce que signifie vraiment unir les personnes et, en dernière analyse, approcher davantage les personnes de Dieu ; et telle est, pour ainsi dire, la mission théologique de l’administration de l’Église.

Combien il est important que l’administration de l’Église fonctionne de cette manière est clairement démontré par les expériences négatives concernant les cas d’abus. La pensée de certaines victimes d’abus peut être ainsi résumée : Si l’Église prétend agir au nom de Jésus, et que je suis si mal traité par l’Église ou par son administration, alors je préférerais ne rien avoir à faire avec Jésus.

Afin que l’administration agisse conformément à la mission de l’Église et à la nature de l’Église comme « symbole et instrument », la transparence et la traçabilité des procédures administratives sont nécessaires. Les procédures administratives deviennent transparentes si est compréhensible et traçable qui a fait quoi, quand, pourquoi et dans quel but, et ce qui a été décidé, refusé ou assigné. Ainsi, les personnes qui font l’expérience d’une administration transparente peuvent mettre en lumière les erreurs et les fautes dans les actions administratives et se défendre contre ces actions. Elles peuvent faire connaître de manière contraignante leur point de vue, dont on tiendra compte. La personne qui rencontre l’administration ne doit pas se confronter avec une structure de pouvoir anonyme, incompréhensible, mais pouvoir exercer un contrôle autodéterminé sur les procédures administratives. Les personnes ne sont pas de simples objets de l’administration, mais elles peuvent se percevoir comme sujets. C’est pourquoi l’introduction d’une juridiction administrative dans l’Église est si opportune et nécessaire.

Objections et craintes

Il n’existe pas d’alternative à la traçabilité et à la transparence. Toutefois, il y a des objections dont il faut tenir compte. Elles concernent principalement la violation du secret pontifical, ainsi que le fait de porter atteinte à la réputation de prêtres innocents ou du sacerdoce et de l’Église dans son ensemble à travers de fausses accusations, si celles-ci sont rendues publiques.

Ces objections à la traçabilité et à la transparence ne sont pas particulièrement convaincantes. Toute objection basée sur le secret pontifical ne pourrait valoir que si l’on pouvait indiquer des motifs convaincants pour lesquels on devrait appliquer le secret pontifical à la poursuite de délits concernant l’abus sur des mineurs. En l’état actuel, je ne connais pas un motif de ce genre.

Les principes de présomption d’innocence et de protection des droits personnels et la nécessité de transparence ne s’excluent pas réciproquement. C’est même précisément le contraire. D’un côté, une procédure transparente, réglée de manière claire et définie, assure que les pas justes soient accomplis avant que ceux qui doivent prononcer la sentence ne le fasse. C’est le meilleur mécanisme de sécurité contre les préjugés ou les faux jugements sur la question. De l’autre, une procédure clairement définie et publique établit un degré de crédibilité qui permet de réhabiliter la réputation d’une personne faussement accusée, qui autrement serait exposée aux médisances si les enquêtes n’étaient pas adaptées, transparentes ou conclusives.

Transparence ne signifie pas acceptation acritique et diffusion non disciplinée de nouvelles accusations d’abus. L’objectif est un processus transparent, qui éclaircisse et spécifie les accusations, et qui suive les standards généralement acceptés en ce qui concerne quand et comment le public, les autorités et la Curie romaine doivent être informés. Ces procédures standard feront comprendre avec clarté que ce n’est pas la transparence qui fait du mal à l’Église, mais plutôt les actes d’abus commis, le manque de transparence ou l’ensablement consécutif.

Devoirs et défis

La traçabilité et la transparence ne se font pas d’elles-mêmes. Elles sont un engagement constant, que l’on peut accomplir également avec le soutien d’experts extérieurs à l’Église. Ce qui est décisif est toujours l’attitude personnelle de ceux qui travaillent dans l’administration et de ceux qui en sont responsables. En substance, il s’agit de la question de savoir jusqu’à quel point on est disposé à justifier ses propres actions avec les autres et, dans une certaine mesure, également à être contrôlé par d’autres. Développer une telle attitude positive et faire en sorte qu’elle porte du fruit de manière opportune exige du temps et un espace pour discuter, différencier et éclaircir, pratiquer et apprendre.

Toutefois, étant donné l’urgence du thème, les mesures les plus importantes doivent être prises immédiatement. Parmi celles-ci on pourrait inclure :

  1. Définition de l’objectif et des limites du secret pontifical : Les mutations sociales de notre époque sont toujours davantage caractérisées par des modèles de communication en transformation. À l’ère des réseaux, où il est possible pour tous et pour chacun de nous d’établir presque immédiatement un contact et d’échanger des informations à travers Facebook, Twitter, et ainsi de suite, il est nécessaire de redéfinir la confidentialité et le secret, et d’établir une distinction par rapport à la protection des données. Si nous n’y arrivons pas, nous perdrons l’occasion de conserver un niveau d’autodétermination par rapport à l’information ou bien nous nous exposerons au soupçon de dissimuler.
  2. Normes procédurales transparentes et règles pour les procès ecclésiastiques : Les procédures processuelles comme remèdes juridiques n’ont pas de sens sans normes législatives et procédurales adaptées, puisque cela équivaudrait à l’arbitraire quand on arrive à la prononciation des sentences. Cela représenterait un manque de transparence par rapport aux actions spécifiques. Établir des normes procédurales transparentes et des règles pour les procès ecclésiastiques est essentiel. L’Église ne doit pas agir en dessous des standards qualitatifs de l’administration publique de la justice, si elle ne veut pas subir la critique d’avoir un système juridique inférieur, qui est dommageable pour les personnes.
  3. La communication au public du nombre de cas et des détails relatifs pour autant qu’il soit possible : La méfiance institutionnelle conduit à des théories conspirationnistes relatives à une organisation et à la création de mythes sur celle-ci. On peut l’éviter si les faits sont exposés de manière transparente.
  4. Publication des actes judiciaires : Les procédure juridiques correctes servent à établir la vérité et constituent la base pour infliger une sanction proportionnée à l’offense. En outre, elles établissent la confiance dans l’organisation et dans sa leadership. La persistance de doutes sur le déroulement approprié des procédures processuelles ne fait rien d’autre que de porter atteinte à la réputation et au fonctionnement d’une institution. Ce principe s’applique également à l’Église.

En considérant les questions à affronter au cours de notre rencontre, il est évident que la traçabilité et la transparence ne sont qu’un thème parmi tant d’autres sur lesquels réfléchir en relation avec la prévention des abus et la manière d’affronter les abus. Toutefois, il faut toujours être conscients que la traçabilité et la transparence sont extrêmement importants, également au-delà du contexte des abus, par exemple dans le domaine financier. Elles sont, en outre, un facteur décisif pour la fiabilité et la crédibilité de l’Église. Accomplissons un pas courageux dans cette direction.

© Libreria Editrice Vaticana - 2019

Commentaire des lectures du dimanche

Mercredi dernier nous avons commencé le temps liturgique du Carême où l’Église nous invite à nous préparer à célébrer la grande fête de Pâques. C’est un temps spécial pour rappeler le don de notre baptême, lorsque nous avons été faits enfants de Dieu. L’Église nous invite à raviver le don qui nous a été fait, pour ne pas le laisser endormi comme une chose du passé, ou dans un « tiroir aux souvenirs ». Ce temps du Carême est un moment favorable pour retrouver la joie et l’espérance que nous ressentons du fait d’être enfants aimés du Père. Ce Père qui nous attend pour nous enlever les vêtements de la fatigue, de l’apathie, de la méfiance, et nous revêtir de la dignité que seuls un vrai père ou une vraie mère savent donner à leurs enfants, les vêtements qui naissent de la tendresse et de l’amour.

Notre Père est le Père d’une grande famille, il est notre Père. Il sait nourrir un amour unique mais ne sait engendrer ni éduquer des « fils uniques ». C’est un Dieu qui sait ce qu’est le foyer, la fraternité, le pain rompu et partagé. Il est le Dieu du « Notre Père », non pas du « Mon Père », ni du « Votre Père ».

En chacun de nous se trouve, vit ce rêve de Dieu qu’à chaque Pâques, dans chaque Eucharistie nous célébrons de nouveau : nous sommes enfants de Dieu. Rêve que beaucoup de nos frères ont vécu tout au long de l’histoire. Rêve dont ont témoigné beaucoup de martyrs d’hier et d’aujourd’hui, en versant leur sang.

Le Carême est un temps de conversion parce que nous faisons quotidiennement l’expérience dans notre vie de la façon dont ce rêve est sans cesse menacé par le père du mensonge – nous avons entendu dans l’Évangile ce qu’il a fait avec Jésus – par celui qui cherche à nous séparer, en créant une famille divisée et qui s’affronte. Une société divisée et qui s’affronte. Une société d’un petit nombre et pour un petit nombre. Que de fois ne faisons-nous l’expérience dans notre chair, ou dans notre famille, à travers nos amis ou nos voisins, de la douleur qui naît de ne pas voir reconnue cette dignité que nous portons tous en nous ! Que de fois n’avons-nous pas dû pleurer et regretter de ne nous être pas rendu compte que nous n’avons pas reconnu cette dignité dans les autres ! Que de fois – et je le dis avec douleur – ne sommes-nous pas aveugles et insensibles devant le manque de reconnaissance de notre propre dignité et de celle d’autrui !

Le Carême est un temps pour ajuster les sens, ouvrir les yeux devant tant d’injustices qui portent atteinte directement au rêve et au projet de Dieu. C’est un temps pour démasquer ces trois grandes formes de tentations qui brisent, divisent l’image que Dieu a voulu former.

Les trois tentations du Christ…

Trois tentations du chrétien qui essayent de détruire la vérité à laquelle nous avons été appelés.

Trois tentations qui cherchent à dégrader et à nous dégrader.

Premièrement, la richesse, en nous appropriant de biens qui ont été donnés à tous, les utilisant seulement pour moi ou “pour les miens”. C’est avoir le « pain » à la sueur du front de l’autre, voire au prix de sa vie. Cette richesse, qui est un pain au goût de douleur, d’amertume, de souffrance. Dans une famille ou une société corrompue, c’est le pain que l’on donne à manger à ses propres enfants. Deuxième tentation, la vanité ; elle est la recherche de prestige sur la base de la disqualification continuelle et constante de ceux qui « ne sont pas comme nous ». La recherche exacerbée de ces cinq minutes de gloire, qui ne supporte pas la « gloire » des autres. « Transformant l’arbre tombé en bois de chauffage », elle conduit progressivement à la troisième tentation, la pire, celle de l’orgueil ; c'est-à-dire se mettre sur un plan de supériorité en tout genre, sentant qu’on ne partage pas “la vie du commun des mortels”, et prier tous les jours : « je te rends grâce, Seigneur parce que tu ne m’as pas fait comme eux ».

Trois tentations du Christ…

Trois tentations que le chrétien affronte tous les jours.

Trois tentations qui cherchent à dégrader, détruire et ôter la joie ainsi que la fraîcheur de l’Évangile ; qui nous enferment dans un cercle de destruction et de péché.

Il vaut donc la peine de nous demander :

Jusqu’à quel point sommes-nous conscients de ces tentations dans notre personne, en nous-mêmes ? Jusqu’à quel point sommes-nous habitués à un style de vie qui pense que dans la richesse, dans la vanité et dans l’orgueil se trouvent la source et la force de la vie ? Jusqu’à quel point croyons-nous que l’attention à l’autre, notre souci et occupation pour le pain, pour le nom et pour la dignité des autres sont source de joie et d’espérance ?

Nous avons choisi Jésus et non le démon. Si nous accueillons ce que nous avons entendu dans l’Évangile, Jésus ne répond au démon par aucune parole personnelle, mais il répond par les Paroles de Dieu, par les Paroles de l’Écriture. Parce que, frères et sœurs, mettons-le nous dans la tête, avec le démon, on ne dialogue pas, on ne peut pas dialoguer, parce qu’il nous vaincra toujours. C’est seulement la force de la Parole de Dieu qui peut le vaincre. Nous avons choisi Jésus et non le démon ; nous voulons suivre ses traces, mais nous savons que ce n’est pas facile. Nous savons ce que signifie être séduit par l’argent, la gloire et le pouvoir. C’est pourquoi l’Église nous offre ce temps, elle nous invite à la conversion avec une seule certitude : Lui nous attend et il veut guérir nos cœurs de tout ce qui dégrade, en étant dégradé ou en dégradant les autres. Il est le Dieu qui porte un nom : miséricorde. Son nom est notre richesse, son nom est notre gloire, son nom est notre pouvoir et en son nom, une fois de plus, nous redisons avec le Psaume : « Tu es mon Dieu, en toi j’ai mis ma confiance ». Pouvons-nous le répéter ensemble ? Trois fois : « Tu es mon Dieu, en toi j’ai mis ma confiance », « Tu es mon Dieu, en toi j’ai mis ma confiance », « Tu es mon Dieu, en toi j’ai mis ma confiance ».

Qu’en cette Eucharistie le Saint Esprit renouvelle en nous la certitude que son Nom est miséricorde et qu’il nous fasse expérimenter chaque jour que « la joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus… Avec Jésus-Christ la joie naît et renaît toujours » (Evangelii gaudium, n. 1).

© Libreria Editrice Vaticana - 2016