Pko 07 07.2019
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°34/2019
Dimanche 7 juillet 2019 – 14ème Dimanche du Temps ordinaire – Année C
Humeurs…
Misère… Coluche
Misère, misère !
C'est toujours sur les pauvres gens !
Que tu t'acharnes obstinément
Misère, misère !
ça sera donc toujours les salauds qui nous bouff'ront
L'caviar sur l'dos
Misère, misère !
Tu te fais l'ennemie des petits
Tu te fais l'alliée des pourris
L'argent ne fait pas le bonheur des pauvres
Ce qui est la moindre des choses
Convenons-en
Convenons-en !
Misère, misère !
Peut-être qu'un jour ton président
Sentant monter notre colère
Misère, misère !
Devant les peuples sans frontières
Alors il s'en mordra les dents
Misère, misère !
Tu repartiras d'où tu viens
En emportant tous tes chagrins
Et j'te..
L'argent fera bien le bonheur des pauvres
C'qui sera la moindre des choses
Convenons-en… Convenons-en !
Laissez-moi vous dire…
Samedi 6 juillet : Pélerinage diocésain du rosaire Vivant à Notre Dame de la paix de Tautira
Marcher… pourquoi ?… pour qui ?…
Le mois de juillet est propice aux moments de détente, de ressourcement… du moins pour celles et ceux qui ont la chance d’avoir droit aux vacances. Ce samedi 6 juillet des centaines de membres du Rosaire Vivant ont participé au pèlerinage marial diocésain à Tautira.
Nombre de personnes éprouvent le désir de « faire un pèlerinage » : marcher sur les pas d’un saint, rejoindre à pied un sanctuaire, vivre un temps de désert… Ne vous est-il pas arrivé d’éprouver du plaisir à marcher dans le silence, le long d’une plage au petit matin juste au lever de soleil, quand la lumière renait, passe du rouge sombre au mordoré alors que le disque solaire semble sortir des confins de l’océan ? Magie du silence, des couleurs qui s’avivent, de la nature qui s’éveille…
Quel bonheur de gravir l’Aorai ! Arrivé au refuge, après avoir déposé son sac à dos, déblayé les « pehu » laissés par quelques randonneurs indélicats, installé son sac de couchage, s’asseoir dans la fraîcheur du soir et contempler les étoiles qui s’allument une à une, loin du tumulte de la ville…
Ou encore, savourer le plaisir d’être au sommet du Temehani à la recherche des dernières tiare apetahi, à genoux dans l’herbe, humant leur parfum délicat, en prenant garde de ne pas blesser ni cueillir ces dernières rescapées ayant échappé aux prédateurs criminels et inconscients…
Oui, MARCHER c’est le propre de l’homme depuis qu’il est doté d’une conscience. MARCHER POUR QUOI ? POUR QUI ?
Les primitifs marchaient pour se nourrir (cueillette, pêche, chasse) ou pour fuir, se cacher…
Aux temps bibliques, Abraham quittait Ur avec femme, serviteurs, troupeaux pour une terre nouvelle. Les Hébreux fuyaient la captivité égyptienne, errant dans le désert dans l’espérance d’une Terre Promise. La Sainte Famille fuyait la colère d’Hérode…
Ce sont les marcheurs de Dieu que l’on retrouve à toutes les époques. Saint Paul, l’infatigable messager du Christ, sillonne les contrées méditerranéennes pour annoncer la parole de Dieu. L’Apôtre Thomas, inépuisable marcheur de Dieu, évangélise les nations de la Syrie jusqu’à la côte de Malabar à l’ouest de l’Inde. Saint Antoine le Grand fait l’expérience du désert égyptien et mène une vie érémitique à l’origine du monachisme. Au XVème siècle, l’extraordinaire prêcheur, Saint Vincent Ferrier parcourt l’Europe pendant vingt ans, allant d’Espagne en Italie, de Suisse jusqu’en Ecosse, il mourra finalement à Vannes (Bretagne) où l’on vient de fêter le 700ème anniversaire de sa mort.
Plus proche de nous, au XVIIème siècle, Saint François-Régis, le « Père des pauvres » arpente les montagnes du Velay, des Cévennes, du Vivarais, prêchant et confessant sans se lasser.
Dans les années 1960 apparaissent d’autres types de marcheurs, les hippies qui partent sur les chemins de Katmandu pour y chercher un paradis perdu qui se révélera pour beaucoup un « paradis artificiel » !
L’attrait pour la marche est revenu au goût du jour. Chez nous, il suffit de se promener dans les jardins de Paofai, le long de la côte du Tahara’a ou sur la route du Belvédère, pour s’en rendre compte. En Europe, c’est Compostelle qui attire des milliers de marcheurs, le « camino » dans sa partie espagnole est devenu presqu’un boulevard !
Dernièrement je faisais une retraite spirituelle avec mon épouse au Mont-Saint-Michel chez les moines et moniales de la Fraternité de Jérusalem, un des retraitants, venu à pied de Vannes -en Bretagne - (12 jours de marche) -, nous expliquait que cela l’aidait à se retrouver lui-même.
Cela me rappelle une interview de Mgr Christophe Dufour, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles, il disait : « La marche a une vertu thérapeutique… beaucoup commencent en randonneurs et deviennent pèlerins ». Il en sait quelque chose, lui qui a parcouru les déserts du Hoggar, du Néguev et du Sinaï (*). [Source : interview du Journal La Croix du 31 juillet 2009]
Finalement lorsqu’on se trouve au sommet d’une montagne contemplant le paysage, ou au bord du rivage admirant un magnifique coucher de soleil, nous sommes portés vers le haut, nous retrouvant « seul avec le Seul » comme disait Guigues II, moine chartreux, Prieur de la Grande Chartreuse en 1173. Cette élévation de la terre au ciel que je ressens au terme d’une marche en pleine nature peut devenir rencontre avec Dieu. Alors étant seul, je fais volontiers mienne cette prière de Guigues le Chartreux : « Ô bon Jésus, (…) Qu'ils sont nombreux ceux qui vivent au milieu de la foule, et qui pourtant sont seuls parce qu'ils ne sont pas avec toi ! Je souhaite n'être jamais seul sans toi. Aucun des humains n'est avec moi, et cependant je ne suis pas seul. Amen. »
Dominique Soupé
(*) Mgr Dufour a publié un livre intéressant : Les marcheurs de Dieu, Presses d’Ile-de-France, 2002.
© Cathédrale de Papeete – 2019
En marge de l’actualité…
Un mois de juillet bien rempli
Ce lundi 08 juillet s’ouvrent les écoles de la foi. Comme chaque année, des centaines de fidèles s’apprêtent à suivre des formations sur quatre semaines : les uns en vue d’un ministère laïc, d’autres pour faire la catéchèse, d’autres pour s’initier aux réalités ecclésiales, d’autres en vue de diriger une chorale, les jeunes pour assumer une responsabilité dans leur groupe paroissial ou pour mieux connaître la foi chrétienne.
En plus de cela, la semaine du 15 au 21 juillet est marquée par le grand rassemblement des « Journées Diocésaines de la Jeunesse ». Des jeunes d’ici et des îles éloignées se retrouveront dans les diverses paroisses pour vivre ensemble des temps spirituels et festifs. Puis, le jeudi 18 juillet sonnera le grand départ vers le centre de retraite « Tibériade » pour un grand week-end de prière et de convivialité jusqu’au dimanche 21.
Les textes de ce dimanche illustrent de belle manière sans doute ce qui se prépare. Le prophète Isaïe chante les louanges du Seigneur : « Vous serez nourris de son lait… vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire ». Le psalmiste lance l’invitation suivante : « Venez et voyez les hauts faits de Dieu ». Saint Paul, dans sa lettre aux Galates, témoigne sa profonde joie d’appartenir au Seigneur : « La croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté ».
En saint Luc, l’évangile rapporte l’envoi des 72 disciples par Jésus : « Allez ! Voici que je vous envoie » ; tout en rappelant au préalable une donnée essentielle : « La moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson ». En somme, au cœur des événements qui viennent, se déploie les effets d’une annonce initiale : « Le règne de Dieu s’est approché de vous » !
+ Père Vetea BESSERT
© Archidiocèse de Papeete - 2019
Éthique
La pauvreté comme violation des droits humains : vers un droit à la non-pauvreté (1)
Malgré l’abondance de la littérature sur la pauvreté, ce concept reste difficile à définir du fait de sa complexité inhérente. On serait tenté de dire que les pauvres sont les personnes privées de leurs moyens de subsistance. Mais la subsistance n’est pas un simple critère physiologique ; elle implique aussi la notion de décence qui ne peut être appréciée que dans le contexte précis qui lui donne sens, variable d’une société à l’autre et, au sein d’une même société, évolutif dans le temps. D’où la difficulté de parvenir à une définition cohérente de la pauvreté à l’échelle globale. Le présent article évite l’écueil de l’histoire du débat normatif sur la pauvreté, ses implications sociologiques et les hypothèses qui le sous-tendent, en définissant la pauvreté comme une souffrance physique et psychologique liée à la privation des moyens de mener une vie en accord avec la dignité humaine. Si l’analyse de la pauvreté en termes de droits est largement absente des doctrines philosophiques et religieuses traditionnelles, une approche contractuelle est susceptible de démontrer que toute personne, en tant que membre d’une communauté, mérite que cette communauté lui apporte tout ce qui est nécessaire à ce qu’elle ne soit pas pauvre. Étant donné que la communauté pertinente n’est aujourd’hui envisageable qu’au niveau global, il s’ensuit que la pauvreté est un problème global à l’échelle internationale, et que son éradication est un devoir collectif permettant à tout un chacun de jouir du droit à la non-pauvreté.
Définir la pauvreté
Au vu de l’abondante littérature produite depuis les années 1960 sur la problématique de la pauvreté, la définition de cette notion ne devrait pas poser problème. À partir de ces écrits, il devrait être possible de trouver un critère simple et précis pour établir une définition synthétique et sans équivoque de la pauvreté. Malheureusement, ce foisonnement d’écrits a aussi l’inconvénient de présenter trop de critères, ce qui rend la définition de la pauvreté plus difficile.
Si les critères sont trop nombreux, c’est parce que la réalité est en elle-même très complexe à cause de l’imbrication de différents facteurs. On pourrait se contenter de dire que la pauvreté est l’état dans lequel une personne est privée des moyens de subvenir à ses propres besoins, c’est-à-dire de satisfaire des besoins élémentaires tels que manger, se vêtir, se loger, se soigner. Le pauvre peut être considéré comme une personne incapable de subvenir à ses besoins « naturels et nécessaires » selon les termes d’Épicure (qui les distingue des besoins « naturels et superflus » ou des besoins « artificiels et superflus »). On aurait ainsi l’impression d’avoir identifié un critère objectif et incontestable. Il n’en demeure pas moins qu’il est difficile d’établir le caractère « objectif » de ce critère, et de prouver qu’aucun élément « subjectif » ou « relatif » n’entre en compte. Il suffit de voir que, pour les êtres humains, la subsistance ne désigne pas simplement le fait de se maintenir en vie par des fonctions physiologiques, mais implique aussi la notion de décence. Or la décence ne peut être évaluée qu’en fonction d’un contexte précis qui lui donne sens. Comme l’explique très bien Jean Labbens (1978, p.78) : « L’évaluation des besoins ne peut reposer sur une base purement physiologique. Il ne s’agit jamais de subsister purement et simplement, mais de subsister décemment. La décence est affaire sociale. » La décence est, en effet, une notion sociale, voire conventionnelle. Même lorsque la pauvreté se trouve réduite à la question de la subsistance, la perception qu’on en a diffère d’une société à l’autre et, au sein d’une même société, évolue dans le temps. On pourrait ici citer Amartya Sen : « En fait, même lorsqu’on envisage un groupe spécifique dans une région particulière, il est difficile de définir avec précision ses besoins nutritionnels. […] Il n’est pas aisé de tracer une frontière nette, et les soi-disant “besoins nutritionnels minimaux” ont quelque chose d’intrinsèquement arbitraire qui va bien au-delà des variations entre groupes et régions. » (Sen, 1981, p.12). Même si l’on se contente de définir la pauvreté en termes de subsistance, on est obligé de prendre en considération le contexte auquel il est fait référence. Mais on se heurte ici à une difficulté : le contexte en question doit-il se limiter à la communauté et à l’État où vivent les pauvres, ou bien peut-il être étendu à la sphère internationale ? Le niveau de pauvreté doit-il être évalué à l’aune des normes locales ou internationales ?
Lorsque la pauvreté implique un problème de droits ou de violation de droits, on se heurte à une plus grande difficulté. Selon les fondements même de la loi, le droit entraîne toujours opposabilité et imputation, ce qui présuppose une personne ou une entité pour laquelle ce droit appelle un devoir ou une obligation de s’y conformer. Cependant, il n’est pas facile de déterminer quel est le débiteur de ce devoir. De plus, ce débiteur est sensé être « responsable » de l’état de pauvreté, et, par conséquent, le violateur du droit à la non-pauvreté. Une telle responsabilité est à la fois une obligation négative – il s’agit de ne pas entraver le processus par lequel une personne met en œuvre son droit à la non-pauvreté – et une obligation positive – faire en sorte que ce processus porte ses fruits. Une responsabilité de ce genre n’est pas non plus facile à établir.
Compte tenu de toute la difficulté qu’il y a à définir la pauvreté et à la considérer comme une violation de droits, je pense, tout d’abord, qu’il n’est pas indispensable d’établir a priori un critère « absolu » de la pauvreté pour en avoir une représentation exacte. Il suffit de comprendre qu’« être pauvre, c’est souffrir. Les pauvres souffrent dans leur corps, parce qu’ils n’ont pas assez à manger et qu’ils travaillent trop dur ; ils souffrent dans leur âme, parce que leur dépendance et leur impuissance leur valent des humiliations quotidiennes ; et ils souffrent dans leur conscience, car ils doivent choisir, par exemple, entre sauver la vie d’un parent malade et nourrir leurs enfants » (Narayan et al., 2000, p.6). En second lieu, le fait d’envisager la notion de pauvreté dans un contexte national ou international en fait, certes, un concept relatif mais non pas arbitraire (cf. Sen, 1981, p. 17 et suiv.). Ce caractère « relatif » ne change rien au fait que, quel que soit le critère retenu pour sa définition, la pauvreté ne peut que porter atteinte à la dignité humaine. À partir de ces prémisses, on en arrive à la problématique de la violation des droits humains, et son lien avec la justice intérieure ou locale, tout autant qu’avec la justice internationale ou globale. Ce sont là les hypothèses que cet article cherche à développer, dans une approche historique et critique.
La pauvreté : de la question morale et religieuse au « problème » social et politique
L’objet de cette section est de montrer que pour définir la pauvreté comme une violation des droits humains, il faut d’abord examiner les « obstacles épistémologiques » (selon les termes de Bachelard) susceptibles d’entraver notre démarche. L’assimilation de la pauvreté à la vertu dans la philosophie antique, ainsi que dans certaines religions, et la représentation de la pauvreté comme un « problème » socio-politique peuvent, à cet égard, être considérées comme autant d’« obstacles épistémologiques » ; on pourrait aussi y ajouter la philosophie néo-libérale selon laquelle les conditions socio-économiques des individus seraient sans rapport avec la justice et les droits humains.
Euthydème, l’interlocuteur de Socrate dans les Mémorables de Xénophon, donne la définition suivante de la pauvreté : « Je tiens pour pauvres ceux qui n’ont pas assez pour les dépenses nécessaires. » Dans sa réponse, Socrate insiste sur la nécessité de considérer la pauvreté comme une question de vertu. De la même manière, Platon et Aristote associent la pauvreté au désir, en l’envisageant comme une source potentielle du vice. En effet, l’homme pauvre peut facilement basculer dans la faute, la corruption et l’envie. De même que la prospérité engendre la faiblesse, la pauvreté génère « avec ce même goût de nouveauté, la bassesse et l’envie de mal faire » (République, IV, 422a). Le degré extrême de cette bassesse, dépouillant une personne de sa qualité de citoyen et même d’homme, est la mendicité. Platon va jusqu’à exiger que ceux qui dégradent la cité en soient exclus : « Que le pays soit absolument net d’un tel bétail » (Lois, XI, 936b). On peut faire un rapprochement avec l’ordonnance française de 1350 qui demandait aux mendiants et vagabonds de quitter Paris : « à peine de prison, puis de pilori, de marquage et de bannissement en cas de récidive » (Sassier, 1990, p.62). Aristote ne se prononce pas pour le bannissement des pauvres, mais est lui aussi convaincu que la pauvreté est source de vice, « de sédition et de crime » (Politique, II, 6, 13).
On peut voir chez Platon, comme chez Aristote, que le pauvre est coupable, si ce n’est de la pauvreté, du moins de démesure, de corruption et de crime, dans le désir de posséder qui l’obsède. Par conséquent, c’est la structure morale de la cité qui doit être sauvegardée contre les pauvres. La pauvreté est moins directement un problème pour le pauvre lui-même que pour l’intégrité morale de la société à laquelle il appartient. Le rôle de la cité, dans la pensée de Platon et Aristote, n’est pas de promouvoir le bien-être matériel des citoyens, mais d’améliorer la richesse morale ou le bien commun (au plan moral) de la cité dans son ensemble. À cet égard, la pauvreté n’est pas une question de justice, ni un problème de violation des droits humains. S’il y a un droit qui est bafoué, c’est bien celui de la cité. Et celui qui enfreint la règle de droit est le pauvre. Comme le dit Philippe Sassier (1990, p.21) : « Pour Aristote comme pour les penseurs socratiques, on peut être pauvre et ne pas subir pour autant d’injustice […] Le propos de la cité n’est pas la satisfaction des besoins, mais l’honnêteté. Ce qui lui est demandé, c’est de protéger cette honnêteté, et non d’établir une justice qui serait l’égalité. »
Dans la religion chrétienne, le pauvre n’est pas considéré comme un fautif, mais comme celui qui a la préférence de Dieu. L’Ancien Testament présente Yahvé comme le protecteur des petites gens opprimées contre les riches. On le voit dans ce passage du livre d’Amos (4,1-3) : « Vous qui exploitez les gens viles, qui maltraitez les pauvres […], le Seigneur a juré par sa toute-puissance que le jour viendra où ils montreront leurs crocs et vous feront partir. » Et le Nouveau Testament oppose la béatitude des pauvres à la malédiction des riches. Mais le fond du débat porte sur la question de savoir si cette pauvreté est matérielle ou spirituelle. Tout porte à croire que le manque de ressources est le signe le plus évident de la pauvreté, comme l’illustre la parabole de Lazare qui fut conduit au paradis après sa mort, alors que son riche homologue fut envoyé en enfer. Les riches sont considérés comme orgueilleux, et il leur est difficile de prétendre au royaume des cieux. Toutefois, l’accent peut aussi être mis sur l’indigence spirituelle, c’est-à-dire le choix de la pauvreté, par opposition à l’indigence subie. La pauvreté n’est pas une garantie de salut pour le pauvre qui ne fait pas preuve d’humilité, ou qui est dévoré par l’envie. Inversement, même s’il est très difficile au riche d’aller au paradis, la grâce de Dieu peut lui être accordée s’il partage avec les pauvres. Ce n’est pas tant la richesse ou la propriété qui pose problème, mais la question de savoir si l’on peut être riche en gardant tous ses biens pour soi-même alors qu’il y a des pauvres. C’est, en effet, l’état de précarité des pauvres qui permet d’évaluer dans quelle mesure les riches sont plus ou moins proches de l’idéal chrétien. Pour de nombreux Pères de l’Église, la richesse est considérée comme un don de Dieu, qui est toutefois assorti de la mission ou de l’obligation de le faire fructifier au bénéfice de la communauté dans son ensemble, et des pauvres en particulier.
On peut déduire de ces considérations que la pauvreté est intuitivement liée à la question de la justice, comme dans Le Pastoral de Grégoire le Grand où le manquement au devoir d’aider les pauvres est assimilé à un homicide (Christophe, 1985, p. 38-40). Selon Juan Luis Vives, auteur du XVIe siècle, la pauvreté n’est rien d’autre que le résultat des péchés des riches. Les riches, dit-il, « se vêtent de soie, sont recouverts d’or et de pièces précieuses, sont entourés de serviteurs et mangent apparemment bien tous les jours ». S’ils le voulaient, « ils contribueraient à satisfaire la plus grande partie des besoins avec l’abondance de leurs revenus » (cité par Helenko et Fuentes, 2000, p.65). L’idée d’une violation de « droits » apparaît ici clairement. C’est bien la responsabilité des riches qui est en cause, et on peut dès lors en déduire qu’ils violent un certain droit. S’il y a des pauvres, c’est que les riches s’accaparent toutes les ressources, en se servant plus qu’ils ne devraient et en refusant de se plier à un devoir de partage avec les plus démunis.
Toutefois, dans la conception religieuse, la pauvreté devient une question téléologique et eschatologique. La pauvreté n’est donc pas un problème de justice en soi. Au contraire, il s’agit d’une vertu cardinale. Si l’état de pauvreté est vécu comme une souffrance, celle-ci doit être considérée comme faisant partie d’un dessein providentiel de salut. Si la cause de cette souffrance est l’oppression qu’exercent les riches sur les pauvres, la justice divine attribuera à tout un chacun ce qu’il mérite. Dans ce bas monde, Dieu prend soin des indigents en répondant à leurs besoins et en demandant aux riches de partager leurs biens avec les pauvres. Néanmoins, la pauvreté reste, toutes choses égales par ailleurs, un idéal chrétien d’une importance majeure. Plus encore, elle est considérée comme une vertu, au même titre que l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Comme l’explique Gilles Couvreur, « Pour l’homme qui chemine vers Dieu il n’est pas facultatif d’être pauvre, pas plus qu’il n’est facultatif de suivre le Christ ; l’option de la pauvreté n’est pas seulement utile au salut, elle est nécessaire. La pauvreté est indispensable au chrétien, aussi indispensable que peut l’être l’amour de Dieu et du prochain » (Couvreur, 1964, p.15). En mettant l’accent sur le devoir d’être pauvre, le christianisme ne donne qu’une importance secondaire à l’idée d’une violation des droits. Le devoir d’être pauvre précède le devoir d’aider les pauvres. C’est pourquoi, comme le fait remarquer très pertinemment Gilles Couvreur : « La doctrine traditionnelle n’ajoutait pas que les pauvres sont titulaires de droits. L’urgence du devoir de secourir est telle que celui qui ne secourt pas est un assassin, et que le détenteur du superflu qui ne partage pas est un brigand. Les formules sont redoutables pour le propriétaire ; elles laissent le pauvre dans une inconfortable situation : il dépend totalement de l’incertaine bonne volonté du riche » (Couvreur, 1964, p.29). Le commentaire qui suit est plus intéressant encore : « Le riche doit secourir ; le pauvre doit être secouru. Les deux protagonistes du drame de la misère sont en présence : aucune relation juridique n’existe entre eux qui puisse fonder un droit du pauvre […] Le pauvre doit être secouru ; mais le miséreux, même dans l’extrême nécessité n’est titulaire d’aucun droit » (Couvreur, 1964, p.30). Le seul droit auquel le pauvre peut prétendre est le droit à la miséricorde divine et à la compassion du riche, ou encore le droit à la charité. Mais les pauvres doivent d’abord, comme le dit Bossuet, développer des qualités spirituelles de patience, voire de résignation, et toujours garder à l’esprit le sens profondément religieux de leur état. Il est donc très difficile de déduire d’une telle conception de la pauvreté l’idée d’une violation des droits.
La sécularisation du problème de la pauvreté aux XVe et XVIe siècles ne s’est pas traduite par une reconnaissance des droits des plus démunis. On peut même parler d’un certain recul du devoir religieux incombant aux riches d’aider les pauvres, ne serait-ce que pour mériter le salut. Ce qui prédomine désormais, c’est l’idée que les pauvres sont responsables de leur situation, et que la société doit s’en protéger. On doit remarquer qu’avant même ce processus de sécularisation, les lois ecclésiastiques de l’Église primitive comportaient l’idée d’une certaine limitation de la charité vis-à-vis des plus pauvres en obligeant tout un chacun à travailler pour se suffire à lui-même. Il est dit, dans la Didachè : « Si celui qui arrive est un sans-logis, aidez-le autant que possible ; cependant, il ne restera parmi vous que deux jours maximum, trois si nécessaire, à moins qu’il ne désire s’établir parmi vous en exerçant un métier, qu’il travaille et qu’ainsi il se nourrisse […] De telle sorte qu’il n’y ait parmi vous aucun paresseux. » (cité par Helenko et Fuentes, 2000, p.66). La même conception de la pauvreté caractérise certaines formes du puritanisme protestant qui considèrent que chacun doit avoir ce que son travail et ses efforts peuvent lui apporter. L’exaltation du travail et la condamnation de la paresse chez les Quakers et les Mennonites aux États-Unis, et dans d’autres pays, ont fait que la pauvreté soit perçue comme relevant principalement de la responsabilité des pauvres eux-mêmes.
Mais c’est au plan politique que la criminalisation des pauvres apparaît plus clairement. Dans de nombreuses sociétés, on a été amené à considérer la pauvreté comme un « problème » politique, ou, plus précisément, comme une source d’instabilité sociale et de désordre. Et la principale réponse au problème mise en œuvre dans de nombreuses régions était très proche de ce que Platon recommandait dans la cité idéale : exclure les pauvres ou bien les enfermer pour prémunir la société contre la corruption. De nombreuses ordonnances étaient prises en Europe, demandant aux pauvres de quitter la cité ou prônant leur incarcération dans des « hôpitaux généraux ». En Angleterre, sous le règne d’Henri VIII et d’Élizabeth, les mendiants étaient condamnés à la flagellation et pouvaient même être mis à mort au bout de la troisième récidive. Dans ces sociétés, alors que l’on reconnaissait que la pauvreté allait à l’encontre de la dignité humaine, la solution trouvée n’était, paradoxalement, pas d’éradiquer la pauvreté mais de faire disparaître les pauvres eux-mêmes. Les pauvres n’étaient pas considérés comme les victimes d’un ordre social injuste et corrompu, mais comme étant eux-mêmes corrompus et responsables du désordre social. Ce sont, en effet, l’ordre social et la dignité des plus favorisés qui pâtissent de la pauvreté. C’est pourquoi la société doit mettre les pauvres à l’écart.
Dans la philosophie libérale et néolibérale, la pauvreté est considérée comme un problème individuel, qui se manifeste dans des circonstances dont la société ne peut être tenue pour responsable. Le Prix Nobel d’économie Friedrich von Hayek fait une analyse très pointue de cette perspective dans Droit, législation et liberté (Hayek, 1973, 1976, 1979), où il soutient la thèse d’un ordre social spontané qui ne saurait être le résultat d’une volonté d’organisation. Cet ordre spontané peut engendrer une certaine forme d’harmonie sociale reposant sur la bipolarisation entre les riches et les pauvres. La pauvreté n’est pas un problème de justice, puisque personne n’en est responsable. La justice peut être attribuée à la conduite humaine mais pas à un ordre spontané. On ne saurait parler de pauvreté en termes de droits ou de violation de droits dans la mesure où ceci présupposerait l’existence d’une entité capable de garantir ces droits. Or il n’existe aucune entité de ce genre. Le politique est impuissant à établir la justice et le droit du fait de son incapacité à comprendre et contrôler la complexité des mécanismes de transaction qui s’opèrent dans la société. Toute interférence dans ces mécanismes aboutit à des effets contreproductifs qui prennent la forme d’une violation des libertés ou d’une catastrophe économique. « Plus on donne aux pauvres, moins il en reste pour les pauvres » (Gelbach et Pritchett, 1997). A contrario, la politique du laisser faire est considérée comme plus efficace en termes de productivité, étant donné qu’elle favorise l’initiative privée qui est la seule façon d’accroître la richesse au bénéfice de tous. S’il reste, malgré tout, des pauvres, c’est que les revenus produits leur permettent d’exister. La pauvreté n’est donc pas un effet pervers des mécanismes sociaux ; elle est un élément de cette harmonie. L’harmonie signifie alors simplement qu’il ne peut y avoir de riches sans pauvres. On peut considérer, pour quelque raison que ce soit, cette configuration sociale comme révoltante ou scandaleuse, et regretter qu’il en soit ainsi, mais aucune personne ou institution ne peuvent pour autant être blâmées.
La reconnaissance des droits des pauvres et les vicissitudes de l’assistance
Il y a eu une évolution vers la reconnaissance des droits des pauvres qui s’est notamment manifestée par un droit à l’assistance et au travail. Les pauvres n’ont plus besoin de mendier pour survivre mais la société considère que l’assistance aux pauvres relève de sa responsabilité. Par ailleurs, on peut aussi s’interroger sur la pertinence de l’assistance comme solution au problème du droit de ne pas être pauvre.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les fondements religieux de l’assistance aux pauvres ont été contestés, de même que la volonté de faire de l’assistance une dette sociale. On ne croyait plus que la pauvreté était la conséquence de la paresse mais qu’elle résultait d’une série de facteurs sociaux, économiques et politiques indépendants de la volonté de l’individu. Vauban, le planificateur militaire et constructeur de forteresses français, alla même jusqu’à proposer une taxe pour éradiquer la pauvreté. En outre, il déclara : « La pauvreté sera bannie du royaume ; on n’y verra plus les rues des villes et les grands chemins pleins de mendiants parce que chaque paroisse se trouvera bientôt en état de pouvoir nourrir ses pauvres, même de les occuper » (cité par Christophe, 1985, p.102). Dans une lettre à Louis XIV, Fénelon le rend ouvertement responsable de la pauvreté qui règne dans son royaume : « Vos peuples, que vous devriez aimer comme vos enfants, et qui ont été jusqu’ici passionnés pour vous, meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée, les villes et la campagne se dépeuplent ; tous les métiers languissent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti » (cité par Christophe, 1985, p.103). Au sens de cette lettre de Fénelon, on peut considérer que la pauvreté des Français à l’époque de Louis XIV représentait une violation de leurs droits, notamment de ce que nous désignons comme « droit à la non-pauvreté ».
L’idée qui prévaut est que l’assistance ne devrait plus être une question de charité chrétienne mais bien une obligation étatique. C’est la raison pour laquelle des centres de secours ont été mis en place dans de nombreux pays européens. Mais beaucoup d’auteurs de l’époque ont reproché à ces centres d’être des lieux où les gens développent des habitudes de paresse et la mendicité. On estimait de plus en plus que la meilleure façon d’aider les pauvres était de les rendre aptes à travailler et à être utiles à la société. Il est significatif que l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot énonce, dans son article « hôpital » : « Là où un travail modéré suffit à satisfaire les besoins de la vie, et où les modestes économies de sa jeunesse sont en mesure de garantir au sage quelques ressources pour sa vieillesse, il y aura très peu de pauvres. » Au XVIIIe siècle, le travail était considéré comme la « solution » par excellence à la pauvreté. On a mis en place de nombreuses usines et hospices vers lesquels étaient dirigés les pauvres qui étaient capables de travailler (Piven et Cloward, 1972, p.22 et suiv.). Cette politique semble avoir été inspirée du proverbe chinois selon lequel il vaut mieux apprendre à quelqu’un comment pêcher plutôt que de lui donner du poisson. Confucius, Maimonide et Alexis de Tocqueville étaient d’accord pour dire que la meilleure façon d’aider les pauvres n’était pas de leur donner de l’argent mais de leur montrer comment gagner de l’argent par eux-mêmes. Pour la société qui ne reconnaît pas ceux qui reçoivent sans rien donner ou sans travailler, mais aussi pour les pauvres eux-mêmes qui sont atteints dans leur dignité par la pratique de l’assistance, le travail apparaît comme une obligation salutaire : « On apprend aux pauvres à travailler, on les fait travailler et ce, non pas dans un but de productivité […], mais dans un souci d’assistance. C’est un véritable “don du travail” qui se met en place » (Sassier, 1990, p.183). C’est donc le droit au travail qui est le premier droit des pauvres, ou encore la première façon d’éviter la pauvreté, et non la charité. Si l’on n’admet pas que certaines personnes méritent la charité ou le secours, si la société refuse de reconnaître un droit d’assistance aux personnes qui sont encore capables de travailler, la société se contraint elle-même à trouver une activité aux travailleurs potentiels. Le travail est à la fois un devoir pour les pauvres, afin qu’ils ne fassent pas cavaliers seuls dans la société, et une obligation pour la société qui doit faire en sorte que tout le monde puisse vivre sans être obligé de compter sur la charité. Par leur travail, les pauvres participent à la vie de la communauté et, en retour, la communauté est tenue de les aider : « La survie matérielle est un droit du citoyen malheureux auquel la société démocratique est tenue de répondre » (Schnapper, 1991, p.XI).
Il semble donc que le problème de la pauvreté ne puisse être résolu pour l’essentiel par l’assistance, même si l’assistance est considérée comme une obligation sociale. Selon Georg Simmel, l’assistance prive les pauvres de leur statut de sujet. L’assisté est l’instrument de la réalisation de certains intérêts sans lien nécessaire avec la dignité des pauvres. Le but de l’assistance peut simplement être le maintien de l’ordre social, dans la mesure où les pauvres sont susceptibles de devenir un danger et des éléments subversifs. Piven et Cloward (1972, p.XIII) en étaient venus à défendre l’idée que les politiques d’assistance étaient uniquement motivées par la nécessité d’une régulation sociale : « La meilleure façon de comprendre l’assistance réside dans la fonction qu’elle remplit au sein de l’ordre économique et politique au sens large, dans la mesure où l’assistance en elle-même n’est qu’une institution secondaire qui sert d’appui […] On verra que les politiques d’assistance ambitieuses visent à réprimer le désordre civil, tandis que celles qui sont restrictives tendent à renforcer les normes du travail. En d’autres termes, les politiques d’assistance sont cycliques – généreuses ou restrictives en fonction des problèmes de régulation dans la société au sens large à laquelle le gouvernement doit faire face. » Simmel va jusqu’à mettre en parallèle l’assistance aux pauvres et la « protection des animaux » (cf. Ogien, 1983, p.42 et suivantes). Les pauvres eux-mêmes sont toujours en partie exclus car ils ne peuvent pas vraiment prétendre à l’assistance. Comme l’a écrit Rainer Maria Rilke : « Les pauvres sont aussi silencieux que les choses » (cité par Christophe, 1985, p.5). Seuls ceux qui payent des impôts peuvent s’exprimer ou s’indigner, lorsque, par exemple, une espèce est dite menacée. « Il n’y a de scandale que si des témoins sont gênés » (Ogien, 1983, p.44). Le pauvre qui est assisté se trouve dans une position particulièrement ambiguë. Dans la société, le pôle où il se situe en fait un quasi-étranger. Il est, à la fois, marginal parce qu’il est l’objet de l’assistance de ceux qui jouissent pleinement de leur citoyenneté, et intégré parce qu’il n’en demeure pas moins un citoyen. Comme le dit Simmel : « Le pauvre est incontestablement en dehors du groupe, dans la mesure où il est simple objet des actions de la collectivité ; mais être en dehors, est simplement, dirions-nous brièvement, une manière particulière d’être dedans » (cité par Ogien, 1983, p.45). L’assistance peut donc devenir un moyen subtil d’enfermer les pauvres dans l’identité qui leur a été forgée par la pauvreté, c’est-à-dire dans une position ambiguë de sujet et d’objet, entre marginalisation et intégration, de citoyen et d’étranger etc. La relation entre ceux qui sont assistés – les pauvres – et ceux qui donnent – le reste de la société – est asymétrique. Dans une relation asymétrique, recevoir sans pouvoir donner assigne les pauvres à la position d’humilité et d’ambivalence décrite ci-dessus.
Commentaire des lectures du dimanche
Chers frères et sœurs, bonjour !
La page de l’Évangile d’aujourd’hui, tiré du chapitre 10 de l’Évangile de Luc (vv.1-12.17-20), nous fait comprendre combien il est nécessaire d’invoquer Dieu, « le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson » (v.2). Les « ouvriers » dont parle Jésus sont les missionnaires du Royaume de Dieu, qu’il appelait lui-même et envoyait « deux par deux en avant de lui dans toute ville et tout endroit où lui-même devait aller » (v.1). Leur devoir est d’annoncer un message de salut adressé à tous. Les missionnaires annoncent toujours un message de salut à tous ; pas seulement les missionnaires qui vont loin, mais nous aussi, missionnaires chrétiens qui annonçons une bonne parole de salut. Voilà le don que nous donne Jésus avec l’Esprit Saint. Cette annonce revient à dire : « Le Royaume de Dieu est tout proche de vous » (v.9), parce que Jésus a « rapproché » Dieu de nous ; Dieu s’est fait l’un de nous ; en Jésus, Dieu règne au milieu de nous, son amour miséricordieux vainc le péché et la misère humaine.
Voilà la Bonne Nouvelle que les « ouvriers » doivent apporter à tous : un message d’espérance et de consolation, de paix et de charité. Quand il envoie les disciples devant lui dans les villages, Jésus leur recommande : « Dites d’abord : “Paix à cette maison!” […] Guérissez ses malades » (vv.5.9). Tout cela signifie que le Royaume de Dieu se construit jour après jour et offre déjà sur cette terre ses fruits de conversion, de purification, d’amour et de consolation parmi les hommes. C’est une belle chose ! Construire jour après jour ce Royaume de Dieu qui s’édifie. Ne pas détruire, construire !
Avec quel esprit le disciple de Jésus devra-t-il accomplir cette mission ? Il devra avant tout être conscient de la réalité difficile et parfois hostile qui l’attend. Jésus n’épargne pas ses mots à ce sujet ! Jésus dit : « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu de loups » (v.3). C’est très clair. L’hostilité est toujours à la base des persécutions des chrétiens, parce que Jésus sait que la mission est contrecarrée par l’œuvre du malin. C’est pourquoi l’ouvrier de l’Évangile s’efforcera d’être libre des conditionnements humains en tout genre, en n’emportant ni bourse, ni besace, ni sandales (cf.v.4), comme Jésus l’a recommandé, pour ne placer sa confiance que dans la puissance de la Croix du Christ. Cela signifie abandonner tout motif de fierté personnelle, de carriérisme ou de soif de pouvoir, et se faire d’humbles instruments du salut opéré par le sacrifice de Jésus.
La mission du chrétien dans le monde est une mission merveilleuse, c’est une mission destinée à tous, c’est une mission de service, sans exclure personne ; elle requiert beaucoup de générosité et surtout d’avoir le regard et le cœur tournés vers le haut, pour invoquer l’aide du Seigneur. Nous avons tant besoin de chrétiens qui témoignent de l’Évangile dans la vie quotidienne avec joie. Les disciples, envoyés par Jésus, « revinrent tout joyeux » (v.17). Quand nous faisons cela, le cœur s’emplit de joie. Et cette expression me fait penser à combien l’Église est joyeuse, se réjouit quand ses enfants reçoivent la Bonne Nouvelle grâce au dévouement de tant d’hommes et de femmes qui annoncent l’Évangile quotidiennement : des prêtres — ces bons prêtres que nous connaissons tous —, des religieuses, des consacrées, des hommes et femmes missionnaires... Et je me demande — écoutez la question — : combien de jeunes parmi vous, qui êtes sur la place aujourd’hui, entendent l’appel du Seigneur à le suivre ? N’ayez pas peur ! Soyez courageux et apportez aux autres ce flambeau du zèle apostolique qui nous a été donné par ces disciples exemplaires.
Prions le Seigneur, par l’intercession de la Vierge Marie, afin que ne manquent jamais à l’Église des cœurs généreux qui travaillent pour apporter à tous l’amour et la tendresse du Père céleste.
© Libreria Editice Vaticana – 2016
© Revue internationale des sciences sociales - 2004