Pko 05.05.2019
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°24/2019
Dimanche 5 mai 2019 –3ème Dimanche de Pâques – Année C
Humeurs…
Edito de Tahiti Pacifique du 3 mai 2019
Faut-il que la planète s’enflamme ?
L'espèce humaine a parfois des comportements pour le moins surprenants. Dans la soirée du 15 avril, un violent incendie s’est déclaré dans les combles de Notre-Dame, qui a causé la destruction du toit et de la charpente, l’effondrement de la flèche, ainsi que de la voûte, partiellement. Un drame qui a ému fortement, tant en France que dans le reste du monde. Jusqu’à Tahiti, où tout un chacun se repassait le film des événements, allant de son petit commentaire. Alors oui, il s’agit du plus important sinistre subi par la cathédrale de l’archidiocèse de Paris depuis sa construction (entre 1163 et 1345). Oui, située au cœur de l’île de la Cité, elle est l’un des monuments historiques les plus emblématiques de la Ville lumière et le plus visité d’Europe. Et oui, elle est inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1991. Mais lorsqu’on voit que plus d’un milliard d’euros (environ 120 milliards de Fcfp) de dons ont été récoltés en quelques jours, affluant des plus grandes fortunes et des particuliers par milliers, nous sommes en droit de nous interroger sur les priorités de notre société de plus en plus individualiste.
Au fenua, notre gouvernement n’a pas hésité à faire montre de solidarité envers nos compatriotes en créant un compte bancaire pour la récolte de fonds, « afin de permettre aux Polynésiens de contribuer à l’effort de reconstruction ». Une opération qui n’a pas séduit le Père Christophe, loin s’en faut ! Le prêtre résident et vicaire coopérateur de la cathédrale de Papeete n’a pas tardé à s’insurger : « Faut-il que les SDF s’enflamment pour qu’on leur vienne en aide aussi rapidement ? », rebondissant sur la réaction du Père Guy Gilbert, interrogé par la presse hexagonale. Touché par l’incendie mais plus préoccupé par la pauvreté, ce prêtre catholique français a ainsi réagi : « Je pleure dans mon cœur pour Notre-Dame, mais nous avons de plus en plus de mains qui se tendent pour nous réclamer de l’aide. Tous les présidents nous ont à chaque fois promis qu’il n’y ait plus de SDF dans nos rues, mais rien ne se fait. » La fondation Abbé Pierre a aussi tweeté : « Merci pour votre générosité. Nous sommes très attachés au lieu des funérailles de l’Abbé Pierre. Mais nous sommes également attachés à son combat. Si vous pouviez abonder 1?% pour les démunis, nous serions comblés ».
Alors que le Père Christophe nous a confié qu’il est prêt à jeter l’éponge si aucun endroit n’est trouvé pour accueillir de nouveaux locaux pour le centre Te Vai-ete d’ici le 23 décembre 2019 (lire TPM n°400 du 8 février 2019), il estime : « Les pierres vivantes que sont nos frères de la rue sont la véritable Église… Le terrain de l’Ancien Cercle des marins nous suffirait… et 1/1000e des dons pour Notre-Dame de Paris. » Il reste donc à peine huit mois pour réunir.
150 millions de Fcfp et offrir aux 300 personnes en grande précarité et à la rue en Polynésie des conditions minimales de dignité, à savoir un repas, une douche et la possibilité de laver leur linge. Bien souvent, les SDF ne manquent pas, eux, de générosité ; nous avons pu encore le constater récemment lorsque certains d’entre eux ont porté secours à un touriste victime d’un vol à l’arrachée. C’est le monde à l’envers ! Faut-il que la planète s’enflamme également pour que nous lui venions en aide ? Est-il besoin de rappeler que, selon le dernier rapport de l’ONU, 821 millions de personnes ont souffert de la faim en 2017, soit une personne sur neuf ? Chaque jour, des dizaines de milliers d’enfants, de SDF et de vieillards meurent dans la plus grande indifférence. Et je ne parle même pas de la pollution, de la déforestation ou du réchauffement climatique. Plutôt que de s’attrister de la dévastation de biens matériels, il semble bien plus urgent de remettre l’humain au centre de nos inquiétudes, avant que les préoccupations collectives ne revêtent des airs de cours des Miracles…
Bonne lecture, te aroha ia rahi.
Dominique Schmitt
© Tahiti Pacifique – 2019
Laissez-moi vous dire…
Mai 2019 : mois de Marie, temps pascal, temps de la joie… pourquoi pas « mois de la générosité »
Donner… ou ne pas donner ?… pour qui ?… pourquoi ?
En trois jours les promesses de dons pour restaurer Notre-Dame de Paris ont atteint le milliard d’euros (120 milliards CFP !). Plus fort que le Loto !
L’émotion a « attisé un feu » de générosité… Dans le même temps elle a également engendré un réseau d’arnaqueurs de toutes sortes : 1 800 cagnottes ont été lancées !
Au moment où le gouvernement s’interrogeait sur la manière de réguler ces « cagnottes » initiées sur les réseaux sociaux, le Président français lance une grande souscription pour « Sauver Notre-Dame ».
La Fondation Abbé Pierre, par la voix de Manuel Domergue, directeur des études à la fondation, a lancé un pavé dans la mare des « gros donateurs » Pour lui, « un milliard d'euros récoltés, c'est l'équivalent de 20 années de budget de la fondation Abbé Pierre ». « Des gens qui n'ont pas des millions mais qui ont des milliards sur leur compte en banque pourraient faire un petit geste », appelle-t-il. « S'ils ont de quoi lâcher 300 millions d'euros en une nuit, je pense qu'ils ont des dessous de matelas assez confortables ». [Source : Journal du matin de RTL, le 18 avril 2019]
Les associations caritatives et associations à but non lucratif ont fait le même constat à la clôture des comptes 2018. « À l’heure des comptes, les chiffres sont sans appel. Sur l’année 2018, la Ligue contre le cancer enregistre une baisse de la collecte de dons de 16 %, l’Institut Pasteur 11 %, la fondation Apprentis d’Auteuil 19 %, le Secours catholique 7 %. Tous secteurs confondus – de la recherche médicale à l’aide aux démunis –, les organisations caritatives accusent pour l’année 2018 une chute spectaculaire des sommes versées par le grand public…
“Nous pensions que les motivations des donateurs assujettis à l’ISF n’étaient pas que fiscales et que la majorité continuerait à verser leur contribution, confie Samantha Stuckle, responsable de la générosité grand public au Secours catholique. Malheureusement, ça n’a pas été le cas !”
Ce sont les deux opposés sur l’échelle sociale qui ont le moins donné en 2018 : les plus riches et les moins riches, mais évidemment pas pour les mêmes raisons. Quant aux donateurs moyens, qui ont craint la mise en place du prélèvement à la source en 2018, ils devraient revenir en 2019.
Et n’oublions pas que les Français (*) restent très généreux, en argent – en 2017, ce ne sont pas moins de 2,6 milliards d’euros déclarés par des particuliers – mais aussi en temps : la France compte 1,3 million de bénévoles. » [Source : Magazine Pèlerin n° 7113]
Le 27 juillet 2017, à Orléans, le Président de la République déclarait : « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus d’ici la fin de l’année avoir des femmes et des hommes dans les rues. Dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité, c’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi. » Tout le monde avait compris qu’il s’agissait des SDF… mais non, nous avions mal compris… il s’agissait des « migrants, demandeurs d’asile ! » [Explication donnée le 24 janvier 2019 par Emmanuel Macron aux « gilets jaunes » à Bourg-de-Péage] Alors, soyons vigilants face aux effets d’annonce. Continuons à être généreux, certes, mais avec discernement. La cathédrale de Paris ? Oui mais… mais n’oublions pas que « des pierres vivantes », des hommes, des femmes, des enfants, crient également leurs souffrances ; ils ont besoin de notre soutien par l’intermédiaire des associations qui collectent nos dons.
Faisons de ce mois de mai, mois de Marie, un mois de générosité sans précédent.
Dominique Soupé
(*) ce qui est vrai également pour nous, au fenua.
© Cathédrale de Papeete – 2019
En marge de l’actualité…
Miséricorde
St Augustin nous dit : « Qu’est-ce que la miséricorde sinon, dans notre cœur, la compassion pour une misère d’autrui, et qui nous pousse absolument à lui porter secours si nous le pouvons ». La miséricorde n’est pas, comme on le pense souvent, un bon sentiment, une émotion passagère devant la détresse d’autrui. Être miséricordieux, c’est se décider à venir en aide, c’est mettre un frein au mal qui atteint une personne physiquement ou moralement. C’est voir ce qui ne va pas ! On se demande parfois quelle est la différence entre amour et miséricorde. Toute miséricorde est un amour, mais tout amour n’est pas miséricorde. Prenons deux exemples :
- Dans le mariage, l’amour entre deux époux n’est pas fondé sur la miséricorde. C’est un amour de communion, d’émerveillement mutuel et de tendresse. Il ne viendra pas à l’idée à l’époux de dire à son épouse : « J’ai de la miséricorde pour toi ! ». Cela n’empêche qu’ils seront appelés à se faire miséricorde à cause de leurs faiblesses et de leurs défauts et de leur misère respective, et qu’ils se pardonneront.
- De même, un père et une mère aiment gratuitement leur enfant et désirent combler de leur amour celui ou celle à qui ils ont donné la vie. Ils veulent lui donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils ne diront pas à leur enfant : « J’ai de la miséricorde pour toi ! ». La miséricorde n’intervient que lorsque, l’enfant ayant fait une bêtise, ils lui pardonnent ce qu’il a fait de mal, ils le consolent des larmes qu’il pourrait alors verser, ayant été grondé.
Les nombreuses apparitions de la Sainte Vierge à travers le monde révèlent que le cœur du message de Marie est l’appel à la prière et à la pénitence pour les pécheurs. Ainsi à Lourdes, Marie invite Bernadette : « Priez Dieu pour la conversion des pécheurs ». Il y a, en Marie, une immense compassion, une miséricorde pour les pécheurs. Elle est le refuge des pécheurs, et dans le « Je vous salue », nous lui disons : « Priez pour nous, pauvres pécheurs ». Prier la Vierge Marie nous aide d’une manière très particulière et efficace à comprendre ce qu’est la miséricorde, à l’accueillir, à en vivre, à en témoigner. Mère de Miséricorde, Marie est vraiment celle par qui nous pouvons reconnaître, aimer, gouter la Miséricorde, et en découvrir toute la joie. Car Marie exulte, dans le regard de miséricorde que Dieu a posé sur elle, cette miséricorde qui s’étend d’âge en âge, de génération en génération, c’est-à-dire pour nous aussi encore aujourd’hui.
Marie nous montre, nous ouvre le chemin de la miséricorde. À Cana, elle observe discrètement, elle voit la gêne que le manque de vin va entrainer pour les mariés. La règle lors d’un mariage qui durait 7 jours était pour les jeunes mariés de fournir le vin de fête et la nourriture pour tous. Or, si les mariés ne pouvaient assurer cette nourriture ou cette boisson, ils risquaient d’être ridiculisés, ou même de perdre leur position sociale aux yeux de l’opinion des gens du village. Marie est la première parmi les invités à voir le problème de ces jeunes mariés et de leurs familles. Sa compassion se fait active pour solliciter Jésus par une remarque discrète : « Ils n’ont plus de vin », et pour impliquer les serviteurs : « Quoi qu’il vous dise, faites-le » (Jn 2,5). Marie, on le voit, s’efforce d’apporter une aide concrète à l’Homme en difficulté, devenant ainsi un modèle de l’attitude de miséricorde pour les autres.
N’oublions pas que le premier moyen de l’évangélisation reste pour nous le témoignage quotidien d’une vie vraiment Chrétienne, fidèle au Seigneur Jésus, à l’exemple de Marie, marquée par le partage, la paix, la justice, le pardon et la miséricorde. Si nous trouvons notre bonheur et notre joie dans une façon de vivre marquée par la charité, par le bien que nous faisons, par cette miséricorde qui va jusqu’à nos ennemis, par notre service des pauvres, en un mot, une façon de vivre comme Marie, selon l’évangile, alors nous serons à sa suite signe de la présence du Ressuscité pour le monde !
+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete - 2019
Audience générale
Dieu est Père et ne pourra jamais nous abandonner
Le Pape François a poursuivi sa catéchèse sur le Notre Père lors de l’audience générale de ce 1er mai. L’avant-dernière invocation – « Ne nous laisse pas entrer en tentation »- était aujourd’hui le thème de la réflexion proposée aux pèlerins. Formuler cette demande ne signifie pas que nous nous adressons à un Dieu tentateur. Au contraire, le Père se tient toujours aux côtés de l’homme pour l’aider à combattre le mal et l’en libérer. Son Fils Jésus Christ est déjà passé pour nous par l’épreuve et la tentation, et nous montre que Dieu n’abandonne jamais ses enfants.
Chers frères et sœurs, bonjour !
Nous poursuivons notre catéchèse sur le Notre Père, et nous arrivons désormais à l’avant-dernière invocation : « Ne nous abandonne pas à la tentation » (cf. Mt 6,13). Une autre version dit : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Le Notre Père commence de manière sereine : il nous fait désirer que le grand projet de Dieu puisse se réaliser parmi nous. Puis il pose un regard sur la vie et nous fait demander ce dont nous avons besoin chaque jour : notre « pain quotidien ». Puis la prière se tourne vers nos relations interpersonnelles, souvent polluées par l’égoïsme : nous demandons le pardon et nous nous engageons à le donner. Mais c’est avec cette avant-dernière invocation que notre dialogue avec notre Père céleste entre, pour ainsi dire, dans le vif du drame, c’est-à-dire sur le terrain de la confrontation entre notre liberté et les pièges du malin.
Comme nous le savons, l’expression originelle grecque contenue dans les Évangiles est difficile à rendre de manière exacte et toutes les traductions modernes sont un peu boiteuses. Mais nous pouvons converger unanimement sur un élément : quelle que soit la manière dont on comprend le texte, nous devons exclure que Dieu soit le protagoniste des tentations qui surgissent sur le chemin de l’homme. Comme si Dieu était aux aguets pour tendre des pièges et des embûches à ses enfants. Une interprétation de ce genre s’oppose avant tout au texte lui-même et elle est loin de l’image de Dieu que Jésus nous a révélée. N’oublions pas : le Notre Père commence par « Père ». Et un père ne tend pas de piège à ses enfants. Les chrétiens n’ont rien à faire d’un Dieu envieux, en compétition avec l’homme ou qui s’amuserait à le mettre à l’épreuve. Ce sont les images de beaucoup de divinités païennes.
Dans la Lettre de l’apôtre Jacques, nous lisons : « Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : “Ma tentation vient de Dieu.” Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne » (1,13). C’est plutôt le contraire : le Père n’est pas l’auteur du mal, à aucun de ses fils qui lui demande un poisson, il ne donne un serpent (cf. Lc 11,11) – comme l’enseigne Jésus – et quand le mal se présente dans la vie de l’homme, il combat à ses côtés pour qu’il puisse en être libéré. Un Dieu qui combat toujours pour nous, pas contre nous. C’est le Père ! C’est dans ce sens que nous prions le Notre Père.
Ces deux moments – l’épreuve et la tentation – ont mystérieusement été présents dans la vie de Jésus lui-même. Dans cette expérience, le Fils de Dieu s’est fait complètement notre frère, d’une manière qui frôle presque le scandale. Et ce sont précisément ces passages évangéliques qui nous montrent que les invocations les plus difficiles du Notre Père, celles qui concluent le texte, ont déjà été exaucées : Dieu ne nous a pas laissés seuls, mais en Jésus, il se manifeste comme le « Dieu-avec-nous » jusqu’aux conséquences extrêmes. Il est avec nous quand il nous donne la vie, il est avec nous pendant la vie, il est avec nous dans la joie, il est avec nous dans les épreuves, il est avec nous dans les tristesses, il est avec nous dans les échecs, quand nous péchons, mais il est toujours avec nous, parce qu’il est Père et qu’il ne peut pas nous abandonner.
Si nous sommes tentés de faire le mal, en niant notre fraternité avec les autres et en désirant un pouvoir absolu sur tout et sur tout le monde, Jésus a déjà combattu pour nous cette tentation : les premières pages de l’Évangile l’attestent. Aussitôt après avoir reçu le baptême par Jean, au milieu de la foule des pécheurs, Jésus se retire dans le désert où il est tenté par Satan. C’est ainsi que commence la vie publique de Jésus, avec la tentation qui vient de Satan. Satan était présent. Beaucoup disent : « Mais pourquoi parler du diable, qui est quelque chose d’ancien ? Le diable n’existe pas ». Mais regarde ce que t’enseigne l’Évangile : Jésus a été confronté au diable, il a été tenté par Satan. Mais Jésus repousse toute tentation et il sort victorieux. L’Évangile de Matthieu a une note intéressante qui clôt le duel entre Jésus et l’Ennemi : « Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient. » (4,11).
Mais même au moment de l’épreuve suprême, Dieu ne nous laisse pas seuls. Quand Jésus se retire pour prier à Gethsémani, son cœur est envahi d’une angoisse indicible – c’est ce qu’il dit à ses disciples – et il fait l’expérience de la solitude et de l’abandon. Seul, avec la responsabilité de tous les péchés du monde sur ses épaules ; seul, dans une angoisse indicible. L’épreuve est si déchirante que quelque chose d’inattendu se produit. Jésus ne mendie jamais l’amour pour lui-même, et pourtant, en cette nuit, il sent son âme triste à mourir, alors il demande la proximité de ses amis : « Restez ici et veillez avec moi ! » (Mt 25,38).
Nous le savons, les disciples s’endorment, appesantis par une torpeur causée par la peur. Au temps de l’agonie, Dieu demande à l’homme de ne pas l’oublier et l’homme, lui, dort. Au moment où l’homme connaît l’épreuve, Dieu, lui, veille. Aux moments les plus terribles de notre vie, dans les moments de plus grande souffrance, dans les moments les plus angoissants, Dieu veille avec nous, Dieu lutte avec nous, il est toujours proche de nous. Pourquoi ? Parce qu’il est Père. C’est ainsi que nous avons commencé la prière : Notre Père. Et un père n’abandonne pas ses enfants. Cette nuit de souffrance de Jésus, de lutte, est le dernier sceau de l’Incarnation : Dieu descend nous retrouver dans nos abîmes et dans les tourments qui constellent l’histoire.
Il est notre réconfort à l’heure de l’épreuve : savoir que cette vallée, depuis que Jésus l’a traversée, n’est plus désolée, mais qu’elle est bénie par la présence du Fils de Dieu. Il ne nous abandonnera jamais !
Éloigne donc de nous, o Dieu, le temps de l’épreuve et de la tentation. Mais quand ce moment arrivera pour nous, Notre Père, montre-nous que nous ne sommes pas seuls. Tu es le Père. Montre-nous que le Christ a déjà pris sur lui aussi le poids de cette croix. Montre-nous que Jésus nous appelle à la porter avec lui en nous abandonnant, confiants, à ton amour de Père. Merci.
© Libreria Editrice Vaticana – 2019
Société
L’hôpital malade de la rue
Les urgences sont confrontées à l'explosion de la demande de soin et d'hébergement pour les personnes sans abri. Interview de la sociologue Valérie Wolff. Valérie Wolff enseigne la sociologie à l'université de Strasbourg.
La Vie : La récente mobilisation des urgentistes a démontré une fois encore leur profond malaise face à la hausse exponentielle de la demande de soins dans leurs services. Cette hausse concerne-t-elle aussi les personnes sans abri qui y sont accueillies ?
Valérie Wolff : Absolument. Leur nombre suit la même courbe que celle des passages aux urgences toutes catégories confondues, qui ont bondi de 7 millions en 1990 à plus de 20 millions en 2015 ! Cela s'explique par deux facteurs concomitants : l'augmentation du nombre de personnes vivant dans la rue, estimée à plus de 50 % en l'espace de 10 ans, et la forte attractivité des urgences aux yeux de cette population.
La Vie : Pour quelles raisons ?
Valérie Wolff : Les raisons sont multiples. D'abord, vu leurs conditions de vie dans la rue, les personnes sans abri bénéficient rarement du suivi d'un médecin traitant. Mal à l'aise avec les contraintes administratives de la médecine de ville, elles sont aussi victimes de refus de soins. À l'inverse, en situation d'urgence, elles bénéficient d'un accueil inconditionnel à l'hôpital. Autre raison : parfois prisonniers de l'addiction à l'alcool, les sans-abris sont amenés inconscients aux urgences par les pompiers ou par la police, qui les y conduisent à cause de leur état d'ébriété sur la voie publique. Enfin, confrontées à l'absence criante de places dans les centres d'hébergement d'urgence, nombre de personnes sans abri espèrent dormir à l'hôpital, au moins dans la salle d'attente des urgences. Quitte, parfois, à inventer un faux motif de consultation.
La Vie : Dans votre livre la Précarité en urgence, vous vous intéressez au malaise des soignants...
Valérie Wolff : Les urgentistes ne rejettent pas les personnes hors norme, mais ils ressentent effectivement un malaise lié à la contradiction fondamentale, à laquelle ils sont quotidiennement confrontés, entre urgence sociale - leurs services, héritiers des hospices médiévaux, ont vocation à accueillir toute personne et à lui offrir les soins requis - et urgence médicale - les urgences ont été créées à l'orée des années 1960 pour soigner les automobilistes fracassés en grand nombre par les accidents de la route. Au départ, la médecine urgentiste est une spécialité française, bâtie en partie sur le modèle de la médecine de guerre, avec une tradition d'offre de soins pointus qui nécessitent une excellente technique. Or, les personnes sans abri entrent peu dans cette case : leurs pathologies (addictions, dépressions, dermatoses, etc.) renvoient plutôt au soin en tant que care (attention à la personne) qu'au soin en tant que cure (prestation chirurgicale ou médicamenteuse). Autrement dit, les sans-abris relèvent davantage de l'aide psychologique et sociale que de l'expertise médicale à proprement parler.
La Vie : Cette aide, du reste, leur est accordée différemment selon leur situation.
Valérie Wolff : Pour expliquer ce phénomène, observé lors de mes séjours répétés aux côtés des urgentistes, je me suis aidée du concept de « valeur mobilisatrice du patient » développé par le sociologue Nicolas Dodier, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Le personnel soignant investira plus ou moins d'énergie selon qu'une personne sans abri entre pour la première fois ou non dans un service d'urgence, selon qu'on a espoir de la réinsérer ou non, qu'on peut la délivrer de son addiction ou non, ou encore selon son état de propreté, d'agressivité, etc. Le patient le moins désiré étant celui qu'on appelle le bloqueur de lit, « bedblocker » dans le jargon hospitalier : celui dont la situation offre peu ou pas d'espoir d'amélioration mais qui, faute de places en structure d'accueil à la sortie de l'hôpital, va occuper un lit au détriment d'autres patients jugés mieux à même de guérir.
La Vie : Selon vous, l'engorgement des urgences s'explique donc par ce qui se passe à l'extérieur de l'hôpital... Expliquez-nous ce paradoxe.
Valérie Wolff : L'urgence s'est infiltrée dans tous les interstices de nos vies, au travail comme dans nos loisirs. L'impératif d'aller toujours plus vite s'accompagne du diktat du court terme : on pare au plus pressé pour répondre à des contraintes immédiates, sans vision du lendemain. Ce qui conduit le plus souvent à un non-sens et à des situations contre-productives sur le plan gestionnaire. Le financement des urgences proportionné au nombre de passages ne peut qu'amplifier les situations d'encombrement, à l'exact opposé de l'intérêt public. Car toute prise en charge d'un malade aux urgences a un coût élevé, bien plus que lorsqu'il est traité dans le cabinet d'un médecin. Bref, l'intérêt financier des établissements hospitaliers n'a pas été suffisamment pensé de manière globale. En réalité, la tarification à l'activité (T2A) privilégie une approche quantitative du soin, au détriment d'une approche plus qualitative, dans la durée, mieux adaptée au développement actuel des maladies chroniques. Le projet de réforme porté par la ministre de la Santé corrige cette dérive inflationniste, mais la dimension psychosociale des soins demeure fort peu valorisée.
La Vie : Quelles mesures préconisez-vous ?
Valérie Wolff : Pour alléger les urgences, outre une réforme plus ambitieuse de la T2A, le développement de la médecine de ville est une bonne piste. Plus les médecins généralistes prendront en charge les petites urgences (points de suture, grippe, etc.), ainsi qu'ils le faisaient autrefois, mieux ce sera. Mais cette ambition suppose de sortir de notre système de soins « hospitalo-centré » et de remédier au problème des déserts médicaux. Contrairement à ce que l'on pense souvent, il n'y a pas que dans les zones rurales que l'on manque de médecins. Certains quartiers de banlieue et même de grandes villes souffrent également de cette pénurie, alors que dans certaines aires géographiques, comme la Côte d'Azur, il y a une suroffre médicale ! Pour rééquilibrer ces disparités, nous avons besoin d'une réforme ambitieuse, sur le long terme. Ce qui demandera un effort et un investissement considérables.
La Vie : Et pour améliorer la situation des personnes sans abri ?
Valérie Wolff : Là encore, il faut raisonner globalement, comparer les coûts induits par les politiques de court ou long terme. Par exemple, le fait de loger à l'hôtel, au dernier moment, des personnes en situation de précarité coûte très cher, sans pour autant les sortir de l'impasse. De même, cela n'a pas de sens - mais un coût élevé - de trimbaler une personne en grande difficulté d'insertion d'un service d'urgence hospitalier à une cellule de dégrisement, puis à un centre d'hébergement où on ne l'acceptera qu'à la nuitée, et ainsi de suite. À Strasbourg se développe un programme « logement d'abord », dont l'objectif est de permettre à des personnes qui vivent dans la rue de disposer d'un hébergement sain, sans contrepartie : ni promesse de retour à l'emploi, ni projet de réinsertion, ni participation obligatoire à une activité. À rebours des idées reçues, cette politique de l'offre, que d'aucuns pourraient qualifier de trop généreuse, se révèle fort efficace. La meilleure preuve est que l'État de l'Utah (États-Unis), qui l'a expérimentée à grande échelle à partir de 2005, a constaté en 10 ans une réduction de l'ordre de 90 % du nombre des personnes errantes ou clochardisées.
La Vie : Cela aide-t-il à recréer des liens sociaux en favorisant l'insertion dans une vie de quartier, par exemple ?
Valérie Wolff : C'est le but. En travaillant sur le long terme, il s'agit de court-circuiter l'urgence et de faire face au délitement des liens sociaux. Chacun sait que l'amoindrissement des liens familiaux et des anciennes solidarités qui prévalaient autrefois dans les collectivités contribue à affaiblir psychologiquement les individus. Cette plus grande solitude, doublée d'une plus grande vulnérabilité, est un facteur important de l'accroissement vertigineux du nombre de personnes qui se retrouvent sans aucune protection. Parmi elles, on trouve des familles ou des mères seules à la rue avec des enfants de moins de 6 ans, pour une large part des réfugiés en situation de demande d'asile. Il va sans dire que, pour cette population, l'accès rapide à un logement est un puissant facteur de retour à une vie un tant soit peu désirable.
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À lire : La Précarité en urgence. Mobilisation des hospitaliers autour des sans-abri, de Valérie Wolff, Presses universitaires de Rennes.
© La Vie - 2019
Sociologie religieuse
L’Église catholique dans le monde entre 2010 et 2017
L’Osservatore Romano a publié ce jeudi 25 avril un article sur l’évolution des statistiques de l’Église catholique dans le monde entre 2010 et 2017. Il montre des résultats contrastés, mettant en évidence la progression globale du nombre de catholiques mais aussi une forte diminution du nombre de consacrés, et une chute du nombre de séminaristes en Europe et en Amérique.
La population catholique dans le monde a sensiblement augmenté entre 2010 et 2017, passant de 1,196 milliard en 2010 à 1,313 milliard en 2017, soit une augmentation de 9,8%. Tous les continents voient le nombre de catholiques augmenter, mais avec de fortes différences de rythme : +26,1% en Afrique, +12,4% en Océanie, +12,2% en Asie, +8,8% en Amérique et seulement +0,3% en Europe. Ces différences s’expliquent essentiellement par deux facteurs : les tendances démographiques de fond, et la sécularisation qui touche particulièrement certains pays européens dans lesquels certains couples, même ceux de culture catholique, renoncent à faire baptiser leurs enfants.
Selon les chiffres de 2017, la proportion des catholiques dans la population globale varie de 3,3% en Asie à 63,8% en Amérique. Mais ce continent affiche de fortes différences selon les aires culturelles et géographiques : les baptisés catholiques représentent 86,6% de la population en Amérique du Sud, 84,6% en Amérique centrale et dans les Antilles, et seulement 24,7% en Amérique du Nord. En Europe, les catholiques représentent 39,7% de la population.
Les circonscriptions ecclésiastiques ont augmenté de 2966 en 2010 à 3017 en 2017, et le nombre des évêques est passé de 5104 à 5389, soit une hausse de 5,6%. Ce chiffre inclut les évêques émérites, retirés du gouvernement effectif de leurs diocèses, dont le nombre est voué à augmenter en raison de la hausse de l’espérance de vie.
Fin 2017, l’Église catholique recensait 414 582 prêtres, incluant les religieux comme les diocésains. L’augmentation du nombre de prêtres en Afrique et en Asie ne compense pas tout à fait leur diminution en Europe et en Océanie, ni la stagnation en Amérique. Après une phase d’augmentation des ordinations sacerdotales de 2010 à 2014, les années suivantes ont montré une diminution globale. Il faut toutefois relever le cas particulier de l’Afrique, avec une augmentation spectaculaire de 23,7% du nombre de prêtres, passant de 37 527 en 2010 à 46 421 en 2017. L’Asie du Sud et de l’Est et l’Amérique latine voient aussi augmenter leur nombre de prêtres, qui diminue par contre en Europe, en Amérique du Nord, en Océanie et au Moyen-Orient.
Sur l’ensemble de la planète, le nombre de prêtres religieux a diminué sur la période alors que le nombre de prêtres diocésains a progressé. Le nombre de séminaristes tend toutefois à baisser, passant d’un pic de 120 000 en 2011 à environ 115 000 en 2017.
Le développement du diaconat permanent et des missionnaires laïcs
Le nombre de diacres permanents a connu une forte progression de 18,5% entre 2010 et 2017, passant précisément de 39 564 en 2010 à 46 894 en 2017, mais ils se concentrent très majoritairement en Europe et en Amérique. L’Afrique, l’Asie et l’Océanie ne regroupent que 3% des diacres permanents recensés dans le monde. Ces différences se retrouvent dans les ratios du nombre de diacres par rapport aux nombres de prêtres, de 1 pour 100 en Afrique à 25 pour 100 en Amérique.
Les hommes religieux non-prêtres sont de moins en moins nombreux, avec une diminution de 5,7% entre 2010 et 2017. Il sont environ 50 000 dans le monde. L’Europe en rassemble environ 15 000, soit la proportion la plus importante par rapport aux autres continents, mais avec une forte diminution de près de 16% sur la période.
Les religieuses ayant effectué leurs vœux étaient 648 910 en 2017, ce qui représente une forte diminution de plus de 10% par rapport à 2010. L’Europe et l’Océanie enregistrent des baisses de plus de 19% en sept ans, la diminution est de 16% en Amérique, alors que l’Afrique enregistre une augmentation de 11,5% et l’Asie de 4,6%. Les Instituts séculiers enregistrent sur la période une baisse significative du nombre de membres, avec une diminution de 15,5%, passant de 26 800 membres (hommes et femmes) à 22 642.
Le nombre de missionnaires laïcs a en revanche augmenté de plus de 6%, passant de 335 500 à 355 800, mais cette réalité se concentre essentiellement en Amérique. Les statistiques officielles de l’Église catholique recensent également 3,12 millions de catéchistes, avec une légère baisse sur la période en Amérique et en Europe et une augmentation en Asie et en Afrique.
L’ensemble de ces données corrobore une diminution du poids de l’Europe dans les dynamiques à l’œuvre dans l’Église catholique, qui rejoignent en partie les tendances démographiques de fond, alors que l’Afrique et l’Asie montent en puissance.
© Radio Vatican - 2019
Commentaire des lectures du dimanche
Aux heures d’incertitude et de désarroi, dans la vie personnelle, familiale ou communautaire, il est souvent sage et sain de continuer à marcher sur la route toute simple du quotidien et à partir des éléments habituels de notre fidélité.
C’est bien ainsi que Pierre a réagi en Galilée. Il sentait un certain flottement dans l’esprit des disciples. Tous étaient encore sous le choc des évènements, et leur foi dans le Ressuscité demeurait encore bien timide. De plus Pierre percevait bien que l’inaction pouvait désagréger les personnes. Et nous le voyons prendre une décision inattendue, qui révèle à la fois son tempérament de chef et sa santé spirituelle : « Je vais à la pêche ! ». Les autres n’attendaient que cela : « Nous allons aussi avec toi ! »
Il fallait prendre cette initiative. En attendant des directives précises de Jésus, en attendant sa présence plus sensible, Pierre propose de retrouver dans un travail d’équipe les automatismes d’autrefois. C’est vigoureux. C’est dynamisant … Et pourtant ils vont peiner toute une nuit sans rien prendre. Mais Jésus les rejoint tous ensemble au moment de l’effort infructueux, et il se fait reconnaître par des signes qu’il donne au niveau de l’action entreprise : - d’abord l’abondance de la pêche, la surabondance annoncée par les prophètes pour les jours du Messie et que les disciples ont connue déjà à Cana et lors de la multiplication des pains, - et surtout la disproportion de ce que Jésus donne en quelques instants avec les échecs répétés tout au long de la nuit. Quand Jésus exauce, c’est toujours royal.
Tous voient la pêche, tous mesurent la réussite, mais un seul devine, un seul a immédiatement l’éclair de la foi, celui qui depuis toujours s’efforçait d’entrer dans le style de Jésus, celui qui était suffisamment pauvre de lui-même pour percevoir les signes de Jésus au ras des événements, au creux du quotidien ; « C’est le Seigneur ! ». Immédiatement on entend un plongeon, puis l’on voit des gerbes d’eau qui foncent vers le rivage. Le disciple que Jésus aimait a été le premier à voir et à dire ; mais Pierre a été le seul à se jeter à l’eau, comme pour s’y laver de ses reniements avant de rencontrer le regard de Jésus. Il avait péché plus lourdement : il serait le premier à revenir ; et il allait faire ce jour-là, au petit matin, l’expérience merveilleuse du pardon de Jésus.
Dans le court dialogue qu’ils auront après le repas, Jésus ne lui fait aucun reproche. Le passé n’est même pas évoqué … cette fameuse nuit où par trois fois Pierre avait déclaré : « Je ne connais pas cet homme ! » Le mot pardon n’est même pas prononcé, et c’est en redisant trois fois son amour pour le Christ que Pierre se découvre pardonné, transfiguré, recréé par un amour plus puissant que toutes les morts spirituelles.
Il ne pourra pas effacer sa chute, oublier son heure de faiblesse ni la faiblesse qui l’habite à toute heure ; mais désormais sa trahison ne reviendra plus à sa mémoire que sertie dans le pardon, reprise et lavée dans la miséricorde de Jésus. « Simon, Simon, j’ai prié pour toi, disait Jésus quelque heures avant de mourir, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu (converti), affermis tes frères » (Lc 22,31s). C’est un homme tombé qui va devenir la pierre de fondation de l’Église. C’est un homme capable de lâcheté que le Ressuscité va établir pasteur de son propre troupeau. Pierre sera berger pour le compte du « chef des bergers », au service du Berger modèle, et il ira, lui aussi, jusqu’à donner sa vie pour le troupeau de Jésus. C’est ainsi, à l’imitation du Seigneur, que dans sa mort il va « glorifier Dieu » (v.19).
Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.
© Carmel.asso – 2016