Pko 23.09.2018
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°47/2018
Dimanche 23 septembre 2018 – 25ème Dimanche du Temps ordinaire – Année B
Humeurs…
« S’il manque la charité, cela ne me sert à rien » (1Co 13,3)
Depuis quelques semaines, ça bouge du côté des pouvoirs publics au sujet des actions à mener face au « problème » des SDF ! Enfin « ça bouge »… nous devrions plutôt dire « ça discute » !
Soyons honnête ! Il y a des projets et beaucoup d’argent en jeu et semble-t-il disponible ! Dire que rien ne se fait serait mentir…
Mais les S.D.F. sont-ils un « problème » ? Parler d’une personne comme d’un « problème » est avant tout oublier son humanité.
Il est vrai que le terme S.D.F. en lui-même est déjà déshumanisant, et nous reconnaissons, avec beaucoup de regret, que nous-même l’avons souvent utilisé ! Il ne faut jamais oublier qu’il s’agit de personnes… non pas d’individus, mais de personnes1… hors, une personne n’est jamais un problème !!!
Les projets, aussi beaux soient-ils… aussi grands soient-ils… et les centaines de millions qui sont alignées ne pourront porter des fruits si nous ne changeons pas notre société !
Car, soyons clair, ce qui motive aujourd’hui les acteurs de la société à envisager plusieurs centaines de millions dans la construction de structures pour « S.D.F. », c’est essentiellement « Cachez-moi cette misère que je ne saurai voir ! » Les personnes à la rue nous dérangent non pas d’abord parce qu’elles sont à la rue… mais parce qu’elles nuisent à la tranquillité de notre conscience ! Se dire que ces personnes sont là parce qu’elles le veulent bien ! Parce qu’elles sont paresseuses ! ou encore parce qu’elles l’ont mérités… est si agréable le soir lorsque l’on se couche dans un lit bien douillet et bien propre !
Certains diront que nous ne sommes pas professionnels… que nous faisons de la « charité » ! Oui c’est vrai, et nous en sommes fièrs car « Si je n’ai pas la charité… je ne suis rien ». Le risque du professionnalisme est de devenir des « fonctionnaires de la pauvreté »… La « charité » ne connaît pas ce risque ! Non nous ne sommes pas professionnels, nous sommes dans l’humanité – pas l’humanitaire – l’Humanité !
Il est heureux que les pouvoirs publics prennent en compte la réalité des personnes en grande précarité et particulièrement ceux qui sont à la rue… Mais encore une foi, attention ! il ne s’agit pas d’un problème à résoudre ! Il s’agit d’ouvrir nos yeux sur une réalité : Notre société produit l’exclusion ! Les hommes et les femmes en grande précarité et à la rue ne se sont pas exclues… c’est l’égoïsme de notre société, les copinages, les enrichissements outranciers de quelques-uns… qui créent les « Manahune » du 21ème siècle !
Prenons garde dans nos réflexions et nos projets… que la pauvreté et la misère ne deviennent pas, encore une fois au détriment des personnes en grande précarité, une occasion de « business », de confort et de garantie de l’emploi pour des professionnels de la pauvreté…
C’est la « charité » et la « charité » seule qui conduira à la transformation non pas des personnes en grandes précarités, mais de notre société, source et cause d’exclusion !
Concrètement !!!
Nous croyons en Dieu… nous croyons en l’Homme
Nous croyons en vous…
en votre capacité à ouvrir votre cœur !
Pour rester objectif et indépendant… pour rester une voix qui porte… nous ne pouvons dépendre des subsides du Pays…
Nous sommes toujours à la recherche d’un local d’environ 300 m2 sur un ou deux niveaux pour 20 ans et pour un loyer modéré… dans la périphérie proche du centre-ville de Papeete !
« S’il me manque la charité, cela ne me sert à rien »
(1Co 13,3)
1 Nous parlerons désormais de « personnes en grande précarité et à la rue »…
Laissez-moi vous dire…
L’Église… « fluctuat nec mergitur » !1
L’Église ballotée par les flots, malmenée par ses membres, risque-t-elle de couler ?
Plusieurs cardinaux s’opposent au Pape François, y compris parmi ses proches collaborateurs. Certains lui reprochent son « laxisme » dans l’Exhortation apostolique « Amoris Laetitia » (mars 2016), notamment à l’égard des divorcés-remariés. Une pétition signée par 62 prêtres et laïcs proches des milieux traditionalistes dénonce « sept hérésies », rien que cela ! En fait, le Pape François veut surtout proposer « une vision ouverte et attrayante de l’amour humain ».
Déjà dans l’Encyclique « Laudato si’ » (mai 2015), le Souverain Pontife prolonge l’enseignement social en invitant le monde à une « révolution écologique » afin de mieux « prendre soin » de « notre maison commune » qu’est la Terre. Le Pape François porte un regard critique sur l’évolution des sociétés globalisées, sur le néo-libéralisme triomphant et sur la croyance naïve dans les vertus du marché et du progrès technique. Un discours qui ne plait pas à certains.
Le pire est venu d’un évêque, ancien nonce apostolique à Washington, qui, dans une déclaration de onze pages, accuse le Pape d’avoir gardé le silence au sujet de certains auteurs d’actes de pédophilie. De tels constats sont apparus dans d’autres institutions : école, armée, milieux sportifs, médias… Ici il s’agit de crimes graves commis par des prêtres…
Évidemment, certains médias ne manquent pas de « tirer sur le pianiste », en l’occurrence l’Église et le Pape… C’est une maladie bien connue : « la maladie de l’âme », cette inclination à la vengeance, le besoin de détruire en désignant un coupable, souvent un « bouc émissaire » en vue de le châtier publiquement (lapidation lynchage…). Cela relève de la « logique de la marchandise » … vendre à tout prix, gagner des parts de marché… le « combien » l’emporte sur le « comment ». Qu’il s’agisse du Pape, d’un hôpital ou d’une star… pourvu que cela rapporte !
Nous, simples chrétiens de base nous nous interrogeons. Il y a ceux qui ont la « nostalgie du passé », « l’esprit de vieillesse » (comme disait Georges Bernanos), du genre : « Père a dit… » ou « Je vais voir Père, il me dira qui a raison… » ou « Père l’a interdit… », l’époque du « cléricalisme ». Et puis il y a ceux qui, comme le Pape François, sont clairvoyants et ne se voilent pas la face devant les problèmes de notre époque ; ceux qui tiennent compte des réalités : baisse du nombre de vocations sacerdotales, baisse de la pratique religieuse, nouvelles exigences des jeunes… Ceux que l’espérance chrétienne pousse à une autre vision de la vie et des actions de l’Église en faisant les bons choix, d’où les propositions parfois surprenantes de notre Pape. Le Synode sur les jeunes qui va s’ouvrir le 3 octobre prochain relève tout à fait de cette perspective. On rejoint « l’esprit d’enfance » que nous propose Jésus dans l’Évangile de ce dimanche (25ème dimanche du Temps Ordinaire) : Marc 9, 34-37.
L’Église, au cours de ses 2 000 ans d’Histoire, a souvent été confrontée à des effondrements, des faillites, des scandales. Quelques rappels douloureux : Jean XII (Xè siècle), pape truculent et jouisseur ; l’Inquisition (du XIIIè au XVIè siècles) [avec entre autres Grégoire IX, Innocent VIII, Paul IV …] ; Urbain VI (XIVè siècle) cruel à l’égard de certains cardinaux ; les Borgia (XVè siècle), des papes usurpateurs, criminels… etc… En général on n’aime pas parler des « secrets de famille » surtout quand ceux-ci cachent des horreurs. Comment l’Église a-t-elle pu survivre à te tels épisodes abjects ? Les cacher relève de la tentation du « cléricalisme » qui cherche à protéger l’Institution au risque de perdre de vue la mission confiée par le Christ à ses disciples et à l’Église : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu 28, 19-20)
Rappelons-nous Saint Pierre – le premier Pape – il voulait rejoindre Jésus en marchant sur les eaux, perdant confiance il se mit à sombrer… alors Jésus le prend par la main et le ramène à la barque [voir Matthieu 14,24-32]. Même si le Pape, les cardinaux, les évêques, les prêtres, les diacres… viennent à flancher… le Christ est là comme un veilleur !
Si l’Église a souvent été secouée, ballotée, soumise à des courants contraires, elle n’a pas sombré car il y a toujours eu des hommes et des femmes qui ont refusé l’indifférence, le repli sur soi ; parfois indisciplinés, au risque de l’excommunication, ils et elles ont su tirer l’Église et la ramener à l’essentiel : « le message évangélique fondamental ».
Dominique Soupé
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(1) Inspiré de la devise de la ville de Paris : « battue par les flots, mais ne sombre pas »
© Cathédrale de Papeete - 2018
En marge de l’actualité…
« Ils se taisaient »
L’évangile de ce dimanche rapporte la leçon d’humilité que Jésus donne à ses apôtres tandis qu’« ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand » (Mc 9,30-37). À la question que Jésus pose : « De quoi discutiez-vous en chemin ? », le texte rapporte que les disciples « se taisaient », devinant sans aucun doute que le sujet de leur discussion ne pouvait plaire à leur Maître.
De fait, Jésus prend la chose très au sérieux. S’étant assis (geste traditionnel qui annonce une parole solennelle), Jésus appelle les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Cet évangile résonne dans nos communautés à un moment où le pape François pointe du doigt le cléricalisme dans l’Église comme source d’abus d’autorité et de pouvoir. Dans sa Lettre au Peuple de Dieu du 20 août dernier, le pontife a invité les fidèles à trouver des moyens efficaces pour guérir ce mal.
Selon ses mots, le cléricalisme est une attitude qui « annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple ». En 2016, dans une lettre précédente, François précisait déjà que l’un des grands méfaits du cléricalisme est d’oublier que « la visibilité et la sacramentalité de l’Église appartiennent à tout le peuple de Dieu et pas seulement à quelques élus et personnes éclairées ».
En écho, l’édition du journal La Croix du 30 août propose des pistes de réflexion pour aider à corriger le cléricalisme. Parmi celles-ci, il y a le fait de mettre les ministres ordonnés et les laïcs à leur juste place et de rappeler l’égalité de tous devant le baptême.
Tel est bien déjà ce que Jésus inspire fortement dans l’évangile de ce dimanche. Le fait d’appartenir au groupe des disciples et, plus encore, à celui des Douze ne signifie pas l’entrée dans une élite privilégiée en raison d’une science particulière ou de pouvoirs supérieurs.
En réalité, le cléricalisme n’est pas une tentation propre aux clercs. Il s’agit d’une tentation humaine dans la mesure où tout individu est tenté d’abuser de son pouvoir, qu’il soit d’ordre politique, professionnel ou autre, pour enfermer la liberté de l’autre. Et tout individu porte ce désir non avoué d’appartenir à une classe d’élus. Il y a parfois bien lieu de se taire et de reconnaître souvent notre incapacité à servir notre prochain tandis que nous nous servons de lui.
R.P. Vetea BESSERT
© Archidiocèse de Papeete – 2018
Audience générale
Honorer ses parents passe par l’accueil miséricordieux de leurs limites
Poursuivant sa série de catéchèses sur les Dix commandements dans le cadre de l’audience générale du mercredi matin, le Pape François s’est arrêté ce matin sur cette phrase : « Honore ton père et ta mère ». L’occasion pour le Pape de délivrer une méditation sur la guérison des blessures de l’enfance.
Chers frères et sœurs, bonjour !
Dans le voyage à l’intérieur des Dix Commandements, nous arrivons aujourd’hui au commandement sur le père et la mère. On parle de l’honneur dû aux parents. Qu’est-ce que cet « honneur » ? Le terme hébreu indique la gloire, la valeur, littéralement « le poids », la consistance d’une réalité. Il n’est pas question de formes extérieures mais de vérité. Honorer Dieu, dans les Écritures, veut dire reconnaître sa réalité, régler ses comptes avec sa présence ; cela s’exprime aussi par des rites, mais en impliquant surtout de donner à Dieu sa juste place dans l’existence. Honorer son père et sa mère veut dire reconnaître leur importance avec des actes concrets, qui expriment dévouement, affection et attention. Mais il ne s’agit pas seulement de cela.
Le quatrième commandement a sa caractéristique : c’est le commandement qui contient une issue. Il dit en effet : « Honore ton père et ta mère, comme te l’a ordonné le Seigneur ton Dieu, afin d’avoir longue vie et bonheur sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. » (Dt 5,16). Honorer ses parents conduit à une longue vie heureuse. Dans la Décalogue, le mot « bonheur » apparaît seulement lié à la relation avec les parents.
Cette sagesse pluri-millénaire parle de ce que les sciences ont pu élaborer seulement depuis un peu plus d’un siècle : que l’empreinte de l’enfance marque toute la vie. Il peut être souvent facile de comprendre si quelqu’un a grandi dans un environnement sain et équilibré, et de même de percevoir si une personne vient d’expériences d’abandon ou de violence. Notre enfance est un peu comme une encre indélébile, elle s’exprime dans les goûts, dans les façons d’être, même si certains tentent de cacher les blessures de leurs origines.
Mais le quatrième commandement dit encore plus. Il ne parle pas de la bonté des parents, il n’exige pas que les pères et les mères soient parfaits. Il parle d’un acte des fils, abstraction faite des mérites des parents, et il dit quelque chose d’extraordinaire et de libérant : même si tous les parents ne sont pas bons et toutes les enfances ne sont pas sereines, tous les enfants peuvent être heureux, parce que la réalisation d’une vie pleine et heureuse dépend de la juste reconnaissance envers ceux qui nous ont mis au monde.
Comme cette Parole peut être constructive pour tant de jeunes qui proviennent d’histoires de souffrance et pour tous ceux qui ont souffert dans leur jeunesse. Beaucoup de saints – et de très nombreux chrétiens – après une enfance douloureuse, ont vécu une vie lumineuse, parce que, grâce à Jésus Christ, ils se sont réconciliés avec la vie. Pensons à ce jeune aujourd’hui bienheureux, et saint le mois prochain, Sulprizio, qui à 19 ans a terminé sa vie réconcilié avec tant de souffrances, avec tant de choses, parce que son cœur était serein et qu’il n’avait jamais renié ses parents. Pensons à saint Camille de Lellis, qui d’une enfance désordonnée a construit une vie d’amour et de service ; à sainte Joséphine Bakhita, qui a grandi dans un horrible esclavage ; ou au bienheureux Carlo Gnocchi, orphelin et pauvre ; et même à saint Jean-Paul II, marqué par la perte de sa mère dans ses plus tendres années.
L’homme, quelle que soit son histoire, reçoit de ce commandement l’orientation qui conduit au Christ ; en Lui, en effet, se manifeste le vrai Père, qui nous offre de « renaître d’en-haut » (cf. Jn 3,3-8). Les énigmes de nos vies s’éclairent quand l’on découvre que Dieu nous a préparé depuis toujours à la vie de ses enfants, où tout acte est une mission reçue de Lui.
Nos blessures commencent à être des potentialités quand, par grâce, nous découvrons que la véritable énigme n’est plus « pourquoi » mais « pour qui ? », pour qui cela m’est arrivé. En vue de quelle œuvre Dieu m’a-t-il façonné à travers mon histoire ? Là tout se renverse, tout devient précieux, tout devient constructif. Comment mon expérience, même triste et douloureuse, à la lumière de l’amour, devient-elle pour les autres, pour qui, source de sagesse ? Alors nous pouvons commencer à honorer nos parents avec la liberté des enfants adultes et avec l’accueil miséricordieux de leurs limites.
Honorer les parents : ils nous ont donné la vie ! Si tu t’es éloigné de tes parents, fais un effort et retourne, retourne auprès d’eux ; peut-être sont-ils vieux… Ils t’ont donné la vie. Et puis, entre nous il a l’habitude de dire de mauvaises choses, même des jurons… s’il vous plaît, n’insultez jamais, jamais, jamais les parents d’autrui. Jamais ! N’insultez jamais leur maman, n’insultez jamais leur papa. Jamais ! Jamais ! Prenez cette décision intérieure : à partir d’aujourd’hui je n’insulterai jamais la maman ou le papa de quelqu’un. Ils lui ont donné la vie ! Ils ne doivent pas être insultés.
Cette vie merveilleuse nous est offerte, pas imposée : renaître en Christ est une grâce à accueillir librement (cf. Jn 1,11-13), et c’est le trésor de notre Baptême, dans lequel, par œuvre de l’Esprit-Saint, nous n’avons qu’un seul Père, celui du ciel (cf. Mt 23,9; 1 Cor8,6; Eph 4,6). Merci !
© Libreria Editrice Vaticana – 2018
Éthique sociale
Comment réduire la pauvreté ?
Alors qu’en Polynésie française, la question de la pauvreté semble être reconnue comme une réalité… et que des projets, un peu « hors sol » semble vouloir se mettre en place voici un résumé d’un ouvrage de 2016 des économistes Denis Clerc et Michel Dollé qui offre une analyse constructive des politiques de lutte contre la pauvreté. À méditer !
Alors que la France est, en Europe, le pays qui consacre la part la plus importante de son PIB à la protection sociale, elle n’atteint que des résultats moyens en matière de lutte contre la pauvreté et contre le chômage. Plus de 13% de sa population est en situation de pauvreté, soit un « gigantesque gâchis humain » ; et le problème est bien antérieur à la crise des années 2008, nombre de facteurs s’avérant de nature structurelle. Enfin, toute une part des politiques publiques repose sur le fameux trickle down, hypothétique « effet de ruissellement » économique du haut en bas de la société, séduisant sur le papier mais largement inopérant en pratique :
« Les plus démunis sont souvent ignorés des embellies caractérisées par la création d’emplois et d’activités génératrices de revenus supplémentaires. Dans le meilleur des cas, un petit nombre, composé de ceux qui ont le plus d’atouts ou de chances, parvient à s’accrocher à l’un de ces navires qui monte. »
Il y a donc urgence à agir autrement, d’autant que, nous montrent de façon convaincante les auteurs, « réduire la pauvreté » est « un défi à notre portée » par nombre d’adaptations qui n’ont rien de révolutionnaire (l’objectif étant ici, au contraire, de « trouver des voies réalistes » et de ne pas dépenser plus, mais mieux) et relèvent principalement de la lutte contre la pauvreté laborieuse d’une part, et de l’investissement social de l’autre.
Sur ces sujets, les deux économistes et anciens rapporteurs au Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale Cerc) sont en terrain connu. Alors que Denis Clerc, par ailleurs fondateur et longtemps directeur d’Alternatives économiques, et aujourd’hui –entre autres– président de la Fnars Franche-Comté, est notamment l’auteur de La France des travailleurs pauvres (2008) et de La paupérisation des Français (2010), on doit à Michel Dollé Investir dans le social (2009, avec Jacques Delors) et Pour un renouveau des politiques de l’éducation (2012). On trouvera d’ailleurs d’abondantes traces de ces précédents ouvrages dans celui-ci. L’intérêt n’est donc pas son caractère nouveau mais l’alliance de deux compétences complémentaires au service d’une mise sur le papier synthétique et didactique, mêlant analyse des causes et proposition de solutions concrètes. Bref, une sorte de vade-mecum d’utilité publique, idoine pour mieux comprendre les enjeux de la pauvreté-précarité – et qui redonnera un peu d’espoir aux fatalistes.
Politiques de la lutte contre la pauvreté
Alors que le premier chapitre revient sur les origines européennes des politiques de lutte contre la pauvreté (structuration de l’Ancien Régime au XIXe siècle de la dichotomie « bons »/« mauvais » pauvres et séculaire stigmatisation des pauvres aptes au travail, développement anglais du workfare, tournants du XXe siècle), le deuxième s’attache à comprendre les transformations contemporaines en matière d’emploi (passage à une économie de services, montée des professions supérieures, disjonction entre lieux de vie et de travail…), leur non-anticipation et leur non-accompagnement par les politiques publiques.
La paupérisation ne tient donc pas tant à des caractéristiques individuelles qu’à des déterminants sociaux (éducation, formation, santé, logement, mobilité, isolement et mal-être provoqués par le chômage, etc.), contre lesquels il convient d’agir à la racine. On retrouvera notamment ici les analyses de John Rawls (option prioritaire pour les pauvres, pour paraphraser la doctrine sociale de l’Église catholique) et d’Amartya Sen (« capabilités »), déjà antérieurement mobilisées par Michel Dollé, mais aussi celles d’Axel Honneth sur la reconnaissance. Cette « option prioritaire » est d’autant plus nécessaire qu’elle est économiquement payante : comme l’ont montré les travaux de Thomas Piketty, une forte taxation des revenus les plus élevés (ainsi dans les pays occidentaux de l’entre-deux-guerres aux Trente Glorieuses) réduit l’éventail des inégalités et permet de lutter efficacement contre la pauvreté sans affecter la croissance, tandis qu’une faible taxation (ainsi dans les politiques néo-conservatrices anglo-saxonnes) creuse les écarts par les deux bouts –en enrichissant inutilement les riches tout en appauvrissant de façon dommageable les pauvres.
Les auteurs s’attachent aussi à la (dé-)construction des taux de pauvreté (absolue, relative, multidimensionnelle, subjective ; diachroniquement et synchroniquement mouvante selon les modes et niveaux de vie dominants, d’où l’apparition européenne des « indices de privation matérielle » ; etc.). Ce qui permet de pointer les possibles stratégies politiques : puisque la moitié des travailleurs pauvres (860 000 sur 1,93 million) sont situés entre les seuils de 60 et 50% du revenu médian, concentrer les aides sur les personnes proches du seuil permet d’obtenir rapidement des résultats chiffrés, et ce pour un coût budgétaire très modéré ; inversement, revaloriser le RSA-socle n’aura que peu d’effet sur le taux de pauvreté, mais avec un réel bénéfice pour les plus pauvres.
« L’efficacité politique pousse [ainsi] à laisser les plus pauvres là où ils sont, et à ne s’occuper que de ceux qui sont les plus proches de la sortie. Cette forme d’écrémage est exactement l’inverse d’une politique “à la Rawls” donnant la priorité aux plus démunis. » Cette masse de travailleurs pauvres qui franchit, de façon souvent oscillatoire, le seuil de pauvreté, explique par ailleurs la proportion très élevée de Français qui, dans les sondages, expriment (légitimement donc) leur crainte de basculer dans la pauvreté –selon les derniers chiffres (2015) du ministère des Affaires sociales, 25% pensent qu’ils risquent de devenir pauvres dans les cinq prochaines années.
« De longue haleine, mais à notre portée »
Viennent à partir du quatrième chapitre les analyses plus ciblées et les propositions concrètes. D’abord, « réduire la pauvreté laborieuse » : parmi les personnes en situation de pauvreté qui ne sont ni retraitées ni en formation, plus de deux tiers sont en emploi ou en recherche active –ce qui permet une nouvelle fois, si besoin était encore, de tordre le cou à l’idée pernicieuse selon laquelle les pauvres sont des fainéants qui prendraient plaisir et loisir à être « assistés ».
Car l’emploi, fragilisé conjoncturellement par la crise et structurellement par le développement de ses formes précaires (temps partiels, CDD, intérims, emplois aidés, apprentissage, statut d’indépendant,...), protège de moins en moins : moindres droits sociaux, plus fort risque pour les ménages de ne pas pouvoir compter sur un double salaire (d’autant que se développe parallèlement la monoparentalité), durée dilatée pour les jeunes d’insertion stable sur le marché du travail, développement du chômage de longue durée, etc. Dans ce « conflit entre les exigences économiques » (celles, pour les entreprises, de compétitivité et de flexibilité) « et les exigences sociales », nombre de pistes restent pourtant à explorer : ainsi dans les secteurs de l’aide à la personne, les modes de taxation des CDD, la lutte contre l’échec scolaire ou encore la formation initiale et continue.
L’autre problème à prendre à bras-le-corps est la pauvreté juvénile : en 2013, un tiers des personnes en situation de pauvreté ont moins de 18 ans –soit proportionnellement la tranche d’âge la plus touchée. Ce qui est aussi injuste qu’économiquement suicidaire, puisque la pauvreté est à très fort risque de reproduction générationnelle.
Or à nouveau, nombre de solutions existent, pour partie inspirée des (bons) résultats scandinaves : accroissement, pour la petite enfance, des placements en lieux collectifs financièrement accessibles et aux horaires adaptés (pour favoriser l’éveil de l’enfant, minimiser le rôle des influences socio-économiques et culturelles sur son développement, permettre le retour à l’emploi des parents) ; à partir du primaire, de l’accueil périscolaire (aide aux devoirs, indépendante du niveau éducatif des parents et des conditions de travail à la maison ; loisirs pour les enfants qui ne partent pas en vacances) ; refonte des politiques de soutien aux cours particuliers à domicile, restructuration des prestations familiales et des réductions d’impôts ; inversion de l’atypisme français où les allocations sont croissantes avec l’âge ; lutte contre le décrochage scolaire et les sorties sans diplôme ; minimisation des ruptures entre primaire et collège ; etc. Pour briser la triste palme française, dans les classements Pisa, du pays où les inégalités sociales expliquent le plus les inégalités scolaires, « l’État et la société doivent (donc) apporter plus à ceux qui sont le moins dotés par leur famille » –et ce, non pas tant sous forme monétaire que d’offres de services.
Ces politiques de moyen et long terme doivent toutefois continuer de s’accompagner, dans l’immédiat, d’aides polymorphes : minima sociaux (non exempts de dysfonctionnements et d’effets pervers), dispositifs complémentaires des revenus d’activité pour la pauvreté laborieuse (qui permettent tout à la fois de réduire l’intensité de la pauvreté et d’en franchir le seuil, mais sont eux aussi améliorables), développement des logements accompagnés (notamment CHRS) et très sociaux, emplois aidés des structures d’insertion par l’activité économique (bien plus efficaces en terme d’employabilité que ceux proposés par les pouvoirs publics).
On l’aura compris : pour les auteurs, qui s’attachent depuis près de dix ans à le montrer, la lutte contre la pauvreté est « une action à notre portée, mais de longue haleine » (ou, pour le dire d’une façon plus optimiste reflétant mieux l’approche de l’ouvrage, « de longue haleine, mais à notre portée »). Contre l’idée d’une pauvreté imputable aux individus eux-mêmes ou à la conjoncture économique, ils montrent combien elle résulte de processus structurels et appelle donc logiquement, à ce titre, des réformes structurelles –qui passent largement par une « option prioritaire pour les pauvres », mais au bénéfice de tous : car « ce qui coûte cher, ce n’est pas la lutte contre la pauvreté, ce sont les conséquences de la pauvreté. La réduire constitue un investissement social dont toute la société tirera un jour parti ».
« Lutte des places »
Quitte à consacrer trois chapitres aux constructions multiformes de la pauvreté, on regrettera toutefois que les (grandes) vertus scientifiques et pédagogiques des auteurs n’aient pas été également mises au service d’une (petite) explication en règle sur la gangrène, socialement et politiquement délétère, des stigmatisations falsifiées de « l’assistanat », qui minent largement l’enthousiasme social que devrait déclencher l’idée de lutte contre la pauvreté. Démonter leur non-véracité économique en décortiquant la pauvreté laborieuse est une chose, et même sans doute des plus importantes ; mais déconstruire leur sous-bassement politique actuel en aurait été une autre, utile et complémentaire.
Pointe aussi en creux une question économiquement dissensuelle et sur laquelle les auteurs ont leur ferme conviction, proche de celle du sociologue Robert Castel : l’emploi continue d’avoir de l’avenir et il faut donc réformer les politiques du travail –non les révolutionner en passant à d’autres modèles de société.
La conclusion évoque ainsi les thèses d’André Gorz sur le revenu d’existence, en remplaçant toutefois par des arguments plus financiers le distinguo idéologique gorzien entre une conception de droite (visant la seule lutte contre l’indigence, quitte à ce que les chômeurs soient contraints d’accepter des emplois au rabais pour compléter ce revenu garanti) et une conception de gauche (celle qu’il avait choisi de défendre à partir du milieu des années 1990 et qui visait, dès lors que ce revenu garanti était « suffisant », à dépasser la société salariale dans un contexte où les sociétés avancées produiraient un volume croissant de richesse par un volume décroissant de travail).
Or, si l’option de Denis Clerc et Michel Dollé est bien défendable, nombre de travaux soutiennent désormais que la croissance des Trente Glorieuses n’était qu’une parenthèse de rattrapage et que, en perspective de croissance faible (qui a tout lieu d’être durable), la minceur des « parts de gâteaux » continuera mécaniquement de générer une importante « lutte des places ». Il faut donc certes mieux donner sa chance à chacun et mieux former les pauvres, d’aujourd’hui et à venir ; mais sans changement de modèle de société, le darwinisme social actuel conservera vraisemblablement de beaux jours devant lui.
© Slate.fr - 2016
Commentaire des lectures du dimanche
Jésus pose à ses disciples une question apparemment indiscrète : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Une question qu’il pourrait nous poser aujourd’hui à nous aussi : De quoi parlez-vous chaque jour ? Quelles sont vos aspirations ? « Ils se taisaient, dit l’Évangile, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand ». Les disciples avaient honte de dire à Jésus ce dont ils parlaient. La même discussion peut nous habiter, aujourd’hui également, comme elle a habité les disciples d’hier : Qui est le plus important ?
Jésus n’insiste pas sur la question, il ne les oblige pas à lui dire de quoi ils parlaient en chemin, mais la question demeure non seulement dans l’esprit, mais aussi dans le cœur des disciples.
Qui est le plus important ? Une question qui nous accompagnera tout au long de la vie et aux différentes étapes nous serons confrontés au défi d’y répondre. Nous ne pouvons pas échapper à cette question gravée dans le cœur. Je me rappelle avoir entendu plus d’une fois, au cours de réunions de famille demander aux enfants : qui aimes-tu le plus ? papa ou maman ? C’est comme vous demander : qui est le plus important pour vous ? Cette question est-elle seulement un simple jeu d’enfants ? L’histoire de l’humanité a été marquée par la manière de répondre à cette question.
Jésus ne craint pas ces questions des hommes ; il ne craint pas l’humanité ni les différentes recherches qu’elle effectue. Au contraire, il connaît les « recoins » du cœur humain, et en bon pédagogue, il est disposé à nous accompagner toujours. Fidèle à lui-même, il assume nos recherches, nos aspirations et leur donne un nouvel horizon. Fidèle à lui-même, il réussit à donner une réponse capable de proposer un nouveau défi, en déplaçant « les réponses attendues » ou ce qui apparemment relève de l’ordre établi. Fidèle à lui-même, Jésus propose toujours la logique de l’amour. Une logique capable d’être vécue par tous, parce qu’elle est pour tous.
Loin de tout type d’élitisme, l’horizon de Jésus n’est pas pour quelques privilégiés capables d’arriver « à la connaissance désirée » ou à divers niveaux de spiritualité. L’horizon de Jésus est toujours une offre pour la vie quotidienne également ici sur « notre île » ; une offre qui fait toujours que la vie quotidienne a une certaine saveur d’éternité.
Qui est le plus important ? Jésus est simple dans sa réponse : « Si quelqu’un veut être le premier – c’est-à-dire le plus important –, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous ». Si quelqu’un veut être grand, qu’il serve, qu’il ne se serve pas.
Et c’est le grand paradoxe de Jésus. Les disciples discutaient de celui qui occuperait la place la plus importante, celui qui serait choisi comme le privilégié – c’étaient les disciples, les plus proches de Jésus, et ils discutaient de cela ! –, qui serait exempté de la loi commune, de la norme générale, pour se faire remarquer dans une soif de supériorité sur les autres. Celui qui gravirait les échelons le plus rapidement pour occuper les charges qui confèreraient certains avantages.
Et Jésus perturbe leur logique en leur disant simplement que la vie authentique se vit à travers l’engagement concret pour le prochain. C’est-à-dire, en servant.
L’invitation au service possède une particularité à laquelle nous devons être attentifs. Servir signifie, en grande partie, prendre soin de la fragilité. Servir signifie prendre soin des membres fragiles de nos familles, de notre société, de notre peuple. Ce sont les visages souffrants, les personnes sans protection et angoissées que Jésus propose de regarder et invite concrètement à aimer. Amour qui se transforme en actions et en décisions. Amour qui se manifeste à travers les diverses tâches qu’en tant que citoyens, nous sommes invités à accomplir. Ce sont des personnes en chair et en os, avec leur vie, leur histoire et spécialement leur fragilité, que Jésus nous invite à défendre, à protéger et à servir. En effet, être chrétien implique servir la dignité de vos frères, lutter pour la dignité de vos frères et vivre pour la dignité de vos frères. C’est pourquoi le chrétien est toujours invité à laisser de côté, ses aspirations, ses envies, ses désirs de toute puissance, en voyant concrètement les plus fragiles.
Il y a un « service » qui sert les autres ; mais nous devons nous prémunir contre l’autre service, contre la tentation du « service » qui « se » sert des autres. Il y a une façon d’exercer le service qui vise comme intérêt le bénéfice des « miens », au nom de ce qui est « nôtre ». Ce service laisse toujours les « tiens » dehors, en générant une dynamique d’exclusion.
Nous sommes tous appelés par vocation chrétienne au service qui sert et à nous aider mutuellement à ne pas tomber dans les tentations du « service qui se sert ». Nous sommes tous invités, stimulés par Jésus, à nous prendre en charge les uns les autres par amour. Et cela, sans regarder à côté pour voir ce que le voisin fait ou a manqué de faire. Jésus dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous ». Celui-là sera le premier. Il ne dit pas, si ton voisin veut être le premier, qu’il serve. Nous devons nous prémunir contre le regard accusateur et avoir le courage de croire dans le regard, qui transforme, auquel nous invite Jésus.
Cette prise en charge mutuelle par amour ne vise pas à asservir, au contraire, elle met au centre la question du frère : le service vise toujours le visage du frère, il touche sa chair, il sent sa proximité et même dans certains cas la « souffre » et cherche la promotion du frère. Voilà pourquoi, le service n’est jamais idéologique, puisqu’il ne sert pas des idées, mais des personnes.
Le saint peuple fidèle de Dieu en marche à Cuba est un peuple qui a le sens de la fête, de l’amitié, de la beauté. C’est un peuple qui marche, qui chante et loue. C’est un peuple qui a des blessures, comme tout peuple, mais qui sait ouvrir les bras, qui marche avec espérance, parce que sa vocation a de la grandeur. C’est de cette manière qu’ont semé vos héros. Aujourd’hui, je vous invite à préserver cette vocation, à préserver ces dons que Dieu vous a faits, mais spécialement je veux vous inviter à prendre soin de la fragilité de vos frères et à les servir. Ne les négligez pas pour des projets qui peuvent être séduisants, mais qui se désintéressent du visage de celui qui est à côté de vous. Nous connaissons, nous en sommes témoins de la force imparable de la résurrection qui suscite partout des germes de ce monde nouveau (cf. Evangelii gaudium, n. 276.278).
N’oublions pas la Bonne Nouvelle d’aujourd’hui : l’importance d’un peuple, d’une nation, l’importance d’une personne se fonde toujours sur la façon dont elle sert la fragilité de ses frères. Et en cela, nous trouvons l’un des fruits d’une vraie humanité.
Car, chers frères et sœurs, « la vie de celui qui ne vit pas pour servir ne vaut pas la peine d’être vécue ».
© Libreria Editrice Vaticana - 2015