Pko 19.08.2018

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°42/2018

Dimanche 19 août 2018 – 20ème Dimanche du Temps ordinaire – Année B

Humeurs…

Mgr Michel… 10ans déjà.

Il y a 10 ans Mgr Michel nous quittait…, quelques semaines plutôt, il avait célébré ses 40 ans d’épiscopat… voici ce que nous écrivions à ce moment-là… et qui reste toujours aussi vrai pour nous aujourd’hui !

Alléluia !

C’est ce que nous désirons chanter en action de grâce pour les 40ans d’épiscopat de notre archevêque émérite, Mgr Michel.

40 ans de fidélité au service du peuple de Dieu qui lui a été confié … un témoignage de constance, de courage et d’abnégation dont notre société à bien besoin aujourd’hui !

Un témoignage d’humilité aussi … après avoir conduit pendant 30 ans notre archidiocèse, Mgr Michel n’a pas hésité à se mettre au service de son successeur pour prendre en charge une paroisse de Tahiti et deux îles des Tuamotu … comme tout autre prêtre !

Alléluia au Seigneur !

Pour ce pasteur qu’il nous a donné et qui reste aujourd’hui, à 84 ans (le 4 juin), pour chacun de nous un père au milieu de ses enfants !

Merci Mgr Michel !

Pour ton témoignage et ta fidélité au service du Peuple de Dieu qui est en Polynésie !

Anecdotes de la semaine !!!

 

Truck de la Miséricorde !

Mardi soir, le Truck de la Miséricorde a comme chaque semaine prit  la route pour la distribution des repas à nos amis de la rue, entre Arue et l’aéroport de Faaa… La maraude côte Est étant terminé, le Truck se dirigeait vers la côte Ouest. « Avenue Foch, à hauteur de Vodafone » le Truck est stoppé par la DSP… Là, catastrophe, les bénévoles à l’arrière du Truck n’avaient pas attaché  leur ceinture… trois bénévoles à 16 100 xfp voilà 48 300 xfp envolés !!! Pas de discussion possible : « On s’arrête tous les 100 mètres pour descendre, puis remonter… » La loi s’applique… on ne peut que s’y soumettre !!!

Il ne nous reste qu’à souhaiter le même zèle les jeudis, vendredis et samedis soirs pour intervenir auprès de ceux qui boivent sans scrupules sur la voie publique… musique dans la voiture à fond…

Affichages !

Une banderole devant la Cathédrale, à l’emplacement même qui avait été refusé aux Artiz’ de l’espoir pour le salon de la solidarité de Noël dernier s’exhibe allègrement… les règles ne sont pas les mêmes pour tous semble-t-il à Papeete ! On nous l’avait refusé « en raison du caractère commercial » !

Quand on est du bon côté, on est même exempt de demander autorisation aux propriétaires des bâtiments pour coller des affiches sur leurs murs !!!

Laissez-moi vous dire…

22 août 2018 : Mémoire de la Vierge Marie Reine

Être couronné(e) roi ou reine par le Seigneur ?
une promesse pour tout(e) baptisé(e)

Chaque année, une semaine après l’Assomption, nous faisons mémoire de Marie Reine des Anges et de l’univers. Effectivement la Vierge nous précède dans le Royaume de Dieu comme l’aurore précède le jour. Transfigurée en son corps elle apparaît dans la gloire de son Assomption, couronnée par son fils Jésus [cf. le Rosaire : 5ème mystère glorieux] Comme dit le Psaume 44 : « Fille de roi, elle est là, dans sa gloire, vêtue d’étoffe d’or ; on la conduit, toute parée, vers le roi. » (Psaume 44,14-15)

Marie, la plus éclatante des merveilles de Dieu apparaît dans le livre de l’Apocalypse, sous les traits d’« une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. » Mère des hommes et de l’Église, elle est en butte à l’hostilité d’un dragon, mais protégée par Dieu pour que son projet de salut se réalise. [cf. Apocalypse chapitre 11]

Marie partage le triomphe du Christ et règne pour toujours avec Lui. Et nous osons demander de pouvoir, nous aussi, être élevés avec elle dans la gloire. Est-ce prétentieux de penser et de prier ainsi ? Non, puisque nous sommes « temples de l’Esprit-Saint » (cf. 1 Corinthiens 3,16), appartenant au Christ, dans nos corps nous portons des germes d’éternité. C’est une invitation à croire fermement en la résurrection et que nous sommes promis à la vie éternelle.

Si Marie partage le triomphe du Christ et règne pour toujours avec Lui, elle ne nous délaisse pas puisqu’elle est notre Mère à tous. Elle nous guide, soutient notre espérance sur le chemin du Royaume éternel – chemin parfois semé d’embûches-.

Écoutons les conseils que donnait le grand auteur d’hymnes de Byzance, saint Romanos le Mélode, vers le VIème siècle. « La plupart des hommes (et des femmes) désirent parvenir au Royaume de Dieu (…) c’est pourquoi … ils s’exercent au jeûne, la plus grande des bonnes œuvres pendant leur vie ; ils prient assidûment, ils gardent pur le dogme, mais il leur manque la bonté, et dès lors tout se révèle vain : car quiconque d’entre nous ignore la miséricorde ne recevra pas la couronne incorruptible. (…) tous ceux qui se hâtent vers le Royaume peuvent bien entasser une cargaison faite de toutes les vertus : s’ils sont dépourvus de miséricorde, ils ne jetteront pas l’ancre dans les ports du ciel, ils ne remporteront pas la couronne incorruptible. » [Romanos le Mélode, Hymne 31, 3-4, cité dans la revue Magnificat n°309, août 2018, pp.425-426]

Oui, nous sommes destinés à recevoir la « couronne impérissable », mais comme disait l’Ange à l’Église de Smyrne : « Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de la vie. » (Apocalypse 2,10). Alors … soyons bons et miséricordieux et nous aurons la joie de jeter l’ancre dans le Royaume de Dieu !

Dominique Soupé

Suggestion : On peut reprendre la prière d’intercession proposée aux Vêpres de mercredi prochain.

Bénissons le Seigneur de nous avoir donné Marie Reine pour Mère et Médiatrice :

  • l’humble servante, modèle du cœur qui écoute le Seigneur ;
  • la mère de Jésus, mère de l’Homme nouveau ;
  • celle qui a veillé sur la croissance de Jésus, présence maternelle dans l’Eglise ;
  • debout au pied de la croix, la force des accablés ;
  • celle qui a toujours cru en son Fils, remplie de joie au matin de Pâques, espérance des vivants ;
  • celle qui est montée corps et âme près de son Fils, secours des mourants.

© Cathédrale de Papeete - 2018

En marge de l’actualité…

Vous avez dit « enseignement catholique »

En cette période de rentrée scolaire, il n’est pas sans intérêt pour notre diocèse de rappeler la présence de l’Enseignement Catholique comme partenaire dans le projet d’éducation des enfants et des jeunes, partenaire à part entière aux côtés de tous ceux qui œuvrent à cette noble tâche. Reconnu par les pouvoirs publics, l’Enseignement Catholique ne présente de raison d’être que s’il apporte bel et bien, dans le déploiement de son projet chrétien d’éducation, une contribution particulière au système d’éducation en Polynésie. Si nos établissements scolaires se bornaient à faire la même chose que leurs homologues de l’enseignement public, et de la même manière qu’eux, alors ils seraient des établissements « privés », non des établissements catholiques. Nous pouvons donc nous demander sur quoi se fonde ce caractère propre qui définit la spécificité de l’Enseignement Catholique. La réponse se trouve d’abord dans la pensée de l’Église sur l’importance de l’école telle qu’elle a été exprimée lors du Concile Vatican II.

Le Concile Vatican II en sa « déclaration sur l’Education Chrétienne » (n°5) nous dit : « Entre tous les moyens d’éducation, l’école revêt une importance particulière ; elle est spécialement, en vertu de sa mission, le lieu de développement assidu des facultés intellectuelles ; en même temps, elle exerce le jugement, elle introduit au patrimoine culturel hérité des générations passées, elle promeut le sens des valeurs, elle prépare à la vie professionnelle, elle fait naitre entre les élèves de caractère et d’origine sociale différents un esprit de camaraderie qui forme à la compréhension mutuelle. De plus, elle constitue comme un centre où se rencontrent pour partager les responsabilités de son fonctionnement et de son progrès, familles, maîtres, groupements de tous genres créés pour le développement de la vie culturelle, civique et religieuse, la société civile et enfin toute la communauté humaine. » Le texte du Concile poursuit en précisant que c’est par l’école catholique en particulier que la présence de l’Église se manifeste dans le domaine scolaire. Plus encore, par son caractère propre, l’école catholique se doit « de créer en ses établissements, une atmosphère animée d’un esprit évangélique de liberté et de charité, d’aider les adolescents à développer leur personnalité » (Déclaration du Concile sur l’éducation Chrétienne n°8). La création et la mise en place de ces établissements ne saurait en aucun cas être interprétée comme une décision de replis sur soi, de renfermement de l’Église dans un ghetto coupé de la réalité du monde. L’école Catholique ne peut être fidèle à sa mission et au Christ Jésus que si elle reste ouverte sur le monde, sur le progrès de la société. L’école catholique, appelée à accomplir la mission du peuple de Dieu doit servir ainsi au dialogue entre l’Église et la communauté humaine pour le bien de l’une et de l’autre.

Qu’en est-il aujourd’hui de ce caractère propre qui caractérise l’Enseignement Catholique ? Le secrétariat général de la conférence des évêques de France a publié en Février 2016 un document intitulé « Ré-enchanter l’école ». Ré-enchanter : non pas en agitant une baguette magique comme le ferait Merlin l’enchanteur, mais ré-enchanter comme « réunir », comme « réveiller », comme « révéler », comme restaurer le sens au cœur du quotidien, faire naitre tous les possibles en redonnant confiance en l’avenir et en notre capacité d’agir sur le réel.  Parmi les accents importants, il faut souligner celui qui invite l’Enseignement catholique à prendre davantage conscience « du besoin d’un élan partagé, d’un souffle rassembleur, d’un cap mobilisateurOui, le travail éducatif devient chaque jour un peu plus difficile en raison de toutes les crises et de toutes les fragilisations à l’œuvre dans notre société. Tout cela, les parents, les éducateurs, les professeurs et les chefs d’établissement le vivent au quotidien, sans avoir toujours le temps ni l’espace du partage et du ressourcement. Mais précisément, raison de plus pour oser rêver ! Pour lever les yeux, pour respirer, pour croire ensemble en l’avenir et pour le dessiner » (« Ré-enchanter l’école » - Documents Episcopat n°2 – 2016 p.13). Les enjeux actuels sont de taille : éducation à l’intériorité et éveil à la dimension spirituelle ; prise en compte de l’altérité sous toutes ses formes ; formation morale et au sens de la responsabilité et de l’engagement ; pratiques pédagogiques propices à la coopération ; dialogue entre les savoirs ; recherche de ce qui donne sens aux connaissances ; éducation à la liberté ; ouverture à la sensibilité et à la beauté ; prise en compte des questions posées par le développement du numérique ; lien avec les familles ; réflexion sur la manière d’appliquer les programmes scolaires en vigueur qui fasse grandir l’humanité dans la personne de chaque élève ; éducation affective… En résumé, vouloir ré-enchanter l’école, c’est vouloir œuvrer à la vie d’une école catholique toujours en accord avec le message du Christ, car c’est bien le Christ qui est le fondement du projet éducatif de l’école catholique.

Mais ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas d’établir des écoles qui ne seraient composées que de catholiques, ce serait contraire à la mission d’accueil de tous. Il ne s’agit pas non plus de constituer une microsociété repliée sur elle-même. Ce serait contradictoire avec les exigences d’ouverture au monde que l’Église entend se donner à elle-même. La perspective de l’école catholique doit être toujours plus pleinement habitée par les vertus d’hospitalité, de partage, de fraternité et d’espérance, soucieuse de vivre la miséricorde. Pour cela, l’Église entend bien travailler en accord avec tous les partenaires officiels de l’éducation nationale et territoriale, elle attend d’eux une franche collaboration sans arrière-pensée car c’est bien l’avenir de notre jeunesse et de notre Fenua qui est en jeu…

+ Monseigneur Jean-Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete - 2018

Philosophie

Le christianisme est un anarchisme

André Malraux l’avait écrit avec un soupçon d’ironie : Jésus-Christ est le seul anarchiste qui ait réussi, si bien d’ailleurs que Juifs et Romains s’étaient entendus pour le condamner à mort. L’embourgeoisement de l’Église, infectant l’esprit de ses fidèles autant que le cœur le plus pur de sa doctrine, et la déréliction philosophique qui a transformé l’anarchisme initial en un militantisme crypto-libertaire de punks à chien ne doivent pourtant pas occulter la puissance subversive des deux messages originels – qui n’en sont qu’un, comme l’affirme Jacques Ellul.

La religion, hurlent les défenseurs du progressisme moral, c’est l’obscurantisme au service de l’asservissement des masses. Certes pas le bouddhisme et ses divinités bigarrées, au charme indiciblement kitsch et chargé de parfums exotiques, ni d’ailleurs l’islam – sauf lorsqu’il assassine des blancs de gauche, auquel cas, à défaut de s’accommoder du réel, on s’arrangera avec les mots en déclarant que, non, assurément, « ce n’est pas ça l’islam ». Au christianisme, ces pieux juges de la morale sans dieu ne font pourtant guère largesse de leur mansuétude lorsqu’ils le convoquent au procès de son Histoire, et c’est avec un malin plaisir qu’ils lui présentent ses chefs d’accusation. L’accusé, pour se défendre, n’a guère le droit de balbutier maladroitement que, vieille de cinq siècles, l’Inquisition n’a causé la mort que d’une vingtaine de personnes et que « ce n’est pas ça le christianisme ». Sommé de rendre compte de chaque cadavre jonchant la route des croisades comme du moindre attouchement perpétré par un prêtre, il ne lui reste plus qu’à s’excuser pitoyablement et à se tenir à carreau pour se faire pardonner – que ne lui prenne pas l’envie de s’opposer au Progrès lorsqu’il frappera à la porte avec une proposition de loi légalisant le droit d’autrui à ce qu’on gestationne pour lui. La religion ne sera tolérée que si elle donne des gages au monde moderne : on lui ordonne de troquer ses immuables règles contre une éthique démocratique, celle-là même qui s’essouffle à courir après l’évolution de la société et de ses pratiques, hâtée de se mettre à la page des dernières mœurs, de les justifier au nom de leur existence et de s’adapter, encore et toujours, au changement perpétuel.

N’est-ce pas là précisément la manifestation du positivisme le plus exécrable que de tenir tout ce qui existe pour légitime en son droit d’exister ? C’est pourtant contre cette fuite en avant vers nulle part que se dresse le christianisme depuis des siècles, et la compromission du haut clergé ayant distribué ses bénédictions aux rois guerriers n’entache en rien la pureté du texte lui-même. Georges Bernanos, observant la prostitution de l’Église espagnole au franquisme, comme elle s’était auparavant vendue à la République en France, croyait même déceler une raison nouvelle de piété et de révolte dans cette trahison de l’Évangile par ceux supposés en transmettre le message. Le christianisme allié du pouvoir n’est déjà plus chrétien. Lorsque le diable présente au Christ, pour le tenter, les royaumes du monde entier, il lui affirme : « Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes, car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux » (Luc, IV,6). Jacques Ellul remarque que le Christ ne conteste aucunement la propriété du diable sur les richesses et les nations du monde, et qu’il se contente de refuser. Ce n’est pas autrement qu’il faut entendre le célèbre « Rendons à César ce qui est à César ». Lorsqu’on l’interroge sur la nécessité de se soumettre à l’impôt prélevé par les Romains, le Christ n’appelle pas à la résignation disciplinée face au pouvoir, pas plus qu’il ne se fait le porte-drapeau d’une révolte de contribuables en colère. Il se contente de rappeler que les pièces de monnaie sont frappées à l’effigie de César, que l’argent lui appartient, et qu’il le lui laisse bien volontiers. Contraint de s’acquitter de l’impôt, le Christ refuse l’affrontement et se contente de faire apparaître une drachme dans la bouche d’un poisson, tournant en dérision cette valeur devant laquelle le monde se prosterne. C’est une exhortation à vivre en dehors du système de l’argent et du pouvoir – et non à le renverser pour le rebâtir autrement.

Le christianisme n’entend pas changer le monde, mais en sortir

Admettre cela, c’est admettre la dépolitisation la plus absolue. L’éternelle « question du pouvoir », celle qui se pose une fois que la Révolution a renversé l’ancien monde et qu’il s’agit d’en construire un nouveau, celle qui ronge l’esprit des grands théoriciens tandis que les insurgés d’hier rôdent aux alentours des ministères de demain, celle qui finit toujours par élever un empire soviétique sur les ruines des révolutions d’octobre – cette question, le christianisme ne se la pose pas. À ses yeux, le pouvoir est justement le problème. Pour le résoudre, il suffit de le rejeter. Néanmoins, dépolitisation ne signifie pas pour autant désocialisation, et c’est justement là que réside la force ardente du christianisme. Le Christ ne se contente pas de délivrer un message : il fonde une communauté. Étrangère à la société, au pouvoir et au monde, elle porte la promesse d’un Homme nouveau. « Vous savez que les princes des nations les dominent ; et que les grands exercent la puissance sur elles. Il n’en sera pas ainsi parmi vous ; mais que celui qui voudra devenir le plus grand parmi vous soit votre serviteur, et que celui qui voudra être le premier soit votre esclave » (Matthieu, XX,25). Des générations de commentateurs éclairés de la Bible ne crurent pas utile de soulever la question de la communauté et firent peu de cas de l’appel à sortir du monde lancé par le Christ, préférant lancer un appel plus rentable aux croisades. D’autres esprits plus brillants saisirent l’immense portée de cette parole et firent de la refondation de la Communauté l’enjeu central des Évangiles. C’est notamment le cas de Richard Wagner qui y consacra son œuvre ultime, Parsifal, après avoir longtemps erré entre les églises et les barricades.

Avant de conquérir le monde, le christianisme fut une hérésie qui paya cher en martyrs sa sédition. Davantage que le rejet d’un panthéon plus ou moins bricolé et peuplé de divinités importées d’Asie et de Grèce auxquelles les Romains eux-mêmes ne croyaient plus véritablement, c’est la subversion politique qu’on ne pardonna pas aux premiers chrétiens. Car la religion qu’ils abjuraient était une religion d’État, et à travers elle, ce n’est pas une simple spiritualité qu’ils rejetaient, mais un système de valeurs sociales. Être chrétien signifiait alors ne plus croire en Rome. Le monde qui est le nôtre professe aveuglément une religion démocratique à laquelle seuls quelques irréductibles naïfs semblent encore disposés à croire avec sincérité, et dont l’immense majorité continue à exécuter machinalement les rituels, comme les Romains célébraient leurs idoles sans plus croire en elles. Combien osent aujourd’hui blasphémer publiquement contre la démocratie ? Combien osent abjurer ses valeurs illusoires, ses orgueilleux droits de l’Homme et son universalisme de façade ? Combien osent être anarchistes comme les chrétiens du premier siècle ? Ceux-là se retirèrent de l’Empire sans lui faire la guerre, et sans en réclamer le trône. L’anarchisme véritable, comme le christianisme originel, ne fantasment pas de futur meilleur, pas plus qu’ils ne luttent pour le faire advenir. Ils le vivent.

© Philitt.fr – 2015

Philosophie

La foi chrétienne après le christianisme

Psychanalyste et prêtre, philosophe et théologien, Maurice Bellet a produit une œuvre considérable et originale : plus de quarante livres, qui mobilisent les registres les plus variés au service d'une même passion pour l'homme et pour Dieu. Essais, romans, méditations ou autres écrits inclassables, cette œuvre est dédiée à tous les hommes de bonne volonté, sans acception de religion. Dépassant les problèmes insolubles qu'affectionnent les discours théologiques, elle ouvre de vastes horizons qui libèrent et vivifient. Exquises paroles de consolation dans L'épreuve, ou le tout petit livre de la divine douceur, ou terrible critique dans Le Dieu pervers, il s'agit toujours d'un humble et exigeant travail de vérité, empreint d'une inconditionnelle tendresse. À l'écoute du cœur de l'homme et de la Parole qui vient de Dieu ; loin, très loin de la peur et de la culpabilité que le christianisme a trop souvent substituées à l'amour et à la liberté de l'Évangile… À l'heure où le système idéologique et institutionnel du christianisme se délite, Maurice Bellet estime urgent de s'interroger sur le devenir de la foi. Après l'effondrement de la chrétienté, le christianisme n'est-il pas lui-même menacé de disparaître ? Quel sens donner aux espérances, aux réussites et aux drames du monde contemporain au regard de l'Évangile ? Est-il possible de concevoir une foi chrétienne libérée des représentations et des institutions dépassées du christianisme ? Quelles sont, par-delà les violences et la mort, les perspectives et les pratiques nouvelles qui ouvrent sur l'avenir de l'humanité et l'avenir de Dieu ?

J.M. Kohler : Vos écrits sont souvent perçus comme dérangeants, voire provocateurs. Pouvez-vous justifier leur radicalité ?

Maurice Bellet : Croyez que je n'ai aucun goût pour la provocation, ni la moindre intention de troubler quiconque. Il est vrai, par contre, que je rencontre beaucoup de gens pris dans l'inquiétude ou la détresse, et qu'à travers mes écrits j'essaye de les rejoindre, de les aider à exprimer ce qui est en eux et qui est leur propre parole. D'où ces approches qui dérangent. Quant à la radicalité que vous évoquez, elle n'est pas de moi, mais de cet autre dont parle l'Évangile. Connaissez-vous un paradoxe plus radical que cette histoire de Dieu fait homme, supplicié sur une croix pour avoir subverti la religion en prêchant l'amour, et resurgi trois jours après pour nous inviter à une vie qui est hors des lois de ce monde ? Avouez que cela bouleverse le paysage ordinaire et oblige à se poser des questions, à revenir à ce qui constitue l'essentiel de la foi plutôt qu'à gloser autour. J'ajouterai que cette radicalité évangélique, pour abrupte qu'elle soit, n'est pas un fardeau. C'est une annonce heureuse, qui invite chacun à vivre et à aimer selon son chemin.

J.M. Kohler : Quel rapport la foi entretient-elle avec les doctrines présentées par les Églises comme des vérités immuables ?

Maurice Bellet : L'usure du langage chrétien dans notre société soulève un important problème qu'il ne faut pas éluder. À la différence des langages du zen ou du yoga par exemple, attrayants par leur nouveauté, le langage chrétien a trop servi et s'en trouve banalisé, voire pourri (notamment lorsqu'un Dieu pervers, menteur et cruel, se dissimule sous les traits du Dieu d'amour). Ce langage se présuppose toujours lui-même, proposant du déjà connu qui n'intéresse plus nos contemporains. On ne peut donc pas rabâcher et faire rabâcher perpétuellement les mêmes choses, en des termes qui ne signifient plus rien. Personne ne peut plus imaginer Jésus « assis à la droite du Père pour juger les vivants et les morts », et même prétendre que « Dieu nous aime » ne va plus de soi après les atrocités du siècle dernier… Alors, que faire ?

Comment sortir évangéliquement d'un langage religieux qui a usé le langage de l'Évangile jusqu'à le discréditer ? Je vois deux possibilités. La première fait appel à la création poétique (au sens le plus large du terme) pour réveiller la parole endormie et lui insuffler une force nouvelle. La seconde consiste à recourir à un langage décalé : à dire les vérités de l'Évangile sur un registre inattendu, non piégé par le registre religieux, de manière à susciter une écoute libérée des préjugés habituels. Une jeune femme se disant athée m'a confié avoir été très touchée par un de mes livres issu d'une telle transposition (La Voie)…

Si nous continuons à débiter des discours pieux qui ne parlent plus aux hommes d'aujourd'hui, c'en est fini de l'Évangile. Autant alors le ranger dans les musées où il ne manquera pas de soulever un considérable intérêt d'ordre culturel. On se bousculera pour admirer son immense héritage intellectuel et artistique, la théologie médiévale et les cathédrales… Tout comme on va à Louxor, où les pèlerins sont plus nombreux que jamais, mais où les appareils photo remplacent les sacrifices… De fait, le risque existe chez nous de voir Jésus-Christ rejoindre à son tour ce qu'Ernest Renan appelait « le linceul de pourpre où dorment les dieux morts ».

J.M. Kohler : Quel rapport la foi entretient-elle avec les dogmes ?

Maurice Bellet : La foi ne peut pas ignorer les croyances qui se sont explicitées dans l'Église au fil des siècles. Les définitions dogmatiques des premiers conciles relatives à l'Incarnation ou à la Trinité sont des textes fondamentaux, qui restent significatifs pour nous aujourd'hui. Mais l'Église vit dans l'histoire et se trouve de ce fait tributaire de chaque époque particulière. Cela est vrai à la fois des questions qui lui sont posées et des réponses qu'elle apporte à ces questions. Il en ressort qu'aucune formulation n'est intemporelle et ne saurait enclore ou dire toute la vérité. La philosophie grecque a fourni en son temps un cadre de pensée des plus féconds à la théologie, mais ce temps est passé. C'est à frais nouveaux qu'il faut aujourd'hui, dans le contexte inédit de la modernité, essayer de rendre compte de la vérité chrétienne.

Se crisper de façon apeurée ou intégriste sur les vérités à croire (ou les devoirs à pratiquer) est aussi néfaste que de vouloir tout liquider au nom d'un vain progressisme. La vie se joue ailleurs, là où l'homme vient et se tient au monde, là où la Parole se donne. Or c'est au sein du religieux que l'Évangile opère, qu'il critique les idoles des religions et du monde, qu'il subvertit l'ordre ancien pour sans cesse créer la vérité. La foi chrétienne est née dans la religion juive et l'a radicalement transformée de l'intérieur. Le sacrifice et le Temple n'ont pas été abolis ; ils ont été accomplis en Jésus-Christ pour que l'ancienne alliance s'ouvre au monde, que l'esprit se substitue à la lettre, et que Dieu vienne habiter en chacun de nous. Mais loin d'être une histoire terminée, l'incarnation de l'Évangile est sans cesse à recommencer. Il ne suffit pas de répéter que Jésus est mort sur la croix et de prétendre aux bénéfices de ce qui s'est passé là, car Dieu nous attend dans le temps à venir. Et cela vaut pour la doctrine comme pour le reste.

Tout en s'exprimant dans la religion, Dieu n'est pas prisonnier des croyances humaines. Sa puissance créatrice tient le religieux au cœur de cette explosion permanente qui est le lieu de naissance de l'humanité, lieu de la Parole où s'enracine et où se renouvelle ce qui se dit sur l'Incarnation, la mort du Christ, la Résurrection, la Trinité, et sur l'homme. Dans la crise actuelle, alors que les croyances se disloquent et que les chrétiens ne savent plus où ils en sont, l'Évangile nous invite à réentendre cette Parole fondatrice dans toute son ampleur, à la redire en un poème inédit et à la partager, à créer l'avenir. Cela suppose à la fois une confiance absolue et une critique radicale.

J.M. Kohler : N'est-il pas illusoire de préconiser l'amour dans un monde très largement régi par la violence ?

Maurice Bellet : La violence se tapit en chacun de nous et notre propension à juger autrui en est l'expression la plus courante. Or l'Évangile est formel à ce sujet : "Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés". Cela ne signifie certainement pas qu'il faut être aveugle aux déficiences des personnes ou des institutions qui nous entourent, car l'exigence de vérité est au cœur de l'Évangile et oblige à la lucidité la plus pénétrante. De fait, l'amour est intraitable envers tout ce qui détruit l'homme : il ne supporte pas que l'être humain soit trompé, avili, écrasé, et il lutte jusqu'à l'extrême contre ces atteintes. Mais quelle que soit la force de ce combat, il exclut la condamnation de qui que ce soit. Même dans les pires situations, l'amour s'obstine à espérer en tout homme et demeure irrévocablement bienveillant. C'est l'unique voie pour traverser le mal sans l'aggraver en autrui et en soi-même, et pour sauvegarder l'humanité en l'homme.

Il faut parfois user de violence pour désarmer la violence, notamment en cas d'urgence ; et, de manière générale, il semble légitime que les sociétés se défendent en recourant à la force quand cela s'avère nécessaire. Pourtant, l'attitude proprement évangélique consiste toujours à opposer la patience, le pardon et l'amour à la violence : c'est la seule possibilité de rompre le cycle infernal de la haine et du meurtre. Le Christ n'a pas incité ses disciples à se battre et n'a pas convoqué les légions célestes contre ses bourreaux ; il a enseigné et pratiqué la miséricorde, jusqu'au bout. En société comme entre les personnes, la violence est le mal profond des humains, qui peut tout contaminer. Les révolutions qui l'ont privilégiée pour imposer leur nouvel ordre social ont toutes sombré dans la férocité, entraînées par la logique qui les animait. Le salut de l'homme ne relève en fin de compte jamais des rapports de force ou du politique en tant que tel, mais d'une capacité d'aimer qui est d'ordre essentiellement religieux, et dont la source est en amont des religions elles-mêmes.

J.M. Kohler : Quelles espérances concrètes peut-on tirer de votre vision de l'Évangile et de l'histoire humaine ?

Maurice Bellet : Après Descartes, nous nous imaginons volontiers maîtres de nos pensées et de notre histoire. Mais la foi nous met en présence d'une vérité qui échappe à toute emprise, qui est de l'ordre de la donation initiale dont relève l'humanité. C'est une autre perception des choses premières, un autre mode d'être au monde qui s'inaugure dans l'Évangile, porté par cet Esprit que nul ne peut enfermer dans les catégories religieuses reçues et qui souffle où il veut. Personne ne sait où l'Évangile mènera encore… Ce que nous savons par contre, c'est que le lieu de la Parole n'est jamais un lieu tranquille ; c'est un lieu de crise où la vérité ne peut venir au monde que dans le déchirement. L'existence de Jésus s'est terminée sur une croix, dans le plus total abandon et le silence de Dieu lui-même. Aucun de ceux qui se réclament de lui n'est à l'abri de l'épreuve, et la lumière de la résurrection ne vient qu'après. Le temps présent est celui de la veille et du labeur.

Pour ma part, je crois que des femmes et des hommes se lèveront à nouveau pour vivre l'Évangile et transformer le monde, comme François d'Assise ou Ignace de Loyola l'ont fait en leur temps. Leur vocation sera de porter en eux la Parole qui donne la vie et de la communiquer au-delà des clivages établis, tâche infiniment plus urgente et plus efficace que de contester les autorités en place pour réformer les institutions. L'Esprit les convaincra d'espérer en l'homme en dépit de toutes les raisons de désespérer, d'aimer les autres avec une infinie patience et sans juger personne, de combattre sans concession pour protéger l'homme et le garder sauf face au mépris, au mensonge, au meurtre. Ils chercheront la vérité sans jamais la posséder, et vivront dans la plus grande humilité la passion d'en témoigner. L'Église est là où surgit la Parole, où des gens s'éveillent et se rassemblent pour l'écouter. J'ai le sentiment que de telles choses sont en train de germer en divers lieux et de diverses façons. Et j'essaye, avec d'autres, de penser ce nouveau surgissement de l'Évangile et d'y participer comme je peux.

Propos recueillis par J.-M. Kohler

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Commentaire des lectures du dimanche

 

Frères et Sœurs, J’aurais aimé que nous puissions avoir devant les yeux une grande reproduction de l’icône si célèbre, d’Andrei Roublev. Vous connaissez cette icône dite de « la Sainte Trinité », qui évoque la scène biblique de l’hospitalité d’Abraham, mais dans laquelle demeurent seulement trois anges autour d’une table. Ils occupent les trois côtés de cette table. Le quatrième côté est occupé par celui qui contemple l’icône. De nombreuses méditations spirituelles commentent cette icône comme une invitation lancé à toute personne de venir prendre son repas avec la Trinité Sainte. N’est-ce pas cette réalité qui nous est proposée à chaque eucharistie ? Les lectures de ce jour nous orientent vers cette réalité mystérieuse et pourtant bien réelle.

Il s’agit pour nous de répondre à l’invitation de la Sagesse, telle qu’elle nous est présentée dans le Livre des Proverbes. Elle « a dressé la table » (Pr 9,2). Et elle nous invite : « Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé » (Pr 9,5). Elle précise qu’elle s’adresse aux étourdis pour qu’il prenne le chemin de l’intelligence (Pr 9,6). Si nous nous sommes rassemblés aujourd’hui, c’est bien pour répondre à cette invitation. Nous venons manger le pain de la vie et boire à la coupe du salut. Notre venue à l’église en ce jour du Seigneur est une réponse à l’invitation de la Sagesse, mais plus encore à l’invitation du Christ Jésus, lui-même, lui la Sagesse incarnée.

Et le pain qui nous est proposé n’est pas uniquement le pain eucharistique. Jésus, citant le livre du Deutéronome avait répliqué au Malin qui le tentait : « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4).

En répondant à l’invitation du Seigneur nous sommes invités à nous rassasier aux deux tables de la liturgie eucharistique : la table de la Parole et la table du Pain eucharistique. C’est l’écoute répétée et attentive de la Parole de Dieu qui nous aide à « quitter l’étourderie […] et à prendre le chemin de l’intelligence » (Pr 9,6). La Parole de Dieu dévoile à nos yeux l’Alliance que Dieu nous propose et elle vient contester ce qui, en nous, s’y oppose. Ainsi la deuxième lecture de ce jour, nous interpelle : « Ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages » (Ep 5,15). « Ne soyez pas insensés » (Ep 5,17). Elle nous invite à accueillir le don de l’Esprit Saint (Ep 5,18) et à « rendre grâce à Dieu le Père » (Ep 5,20). Rendre grâce, c’est faire « Eucharistie ». Dans un très beau texte intitulé : La prière de l’Église, Edith Stein évoque la première eucharistie, la Cène du Seigneur et elle écrit : « En ce repas pascal, s’accomplit la greffe des sarments sur la vigne, greffe qui rend possible l’effusion de l’Esprit ». Par l’écoute de la Parole, par la communion au Corps du Christ, nous nous livrons à l’œuvre de l’Esprit Saint qui veut nous unir au Père et à son Fils.

Répondre à l’invitation de la Sagesse, à l’invitation du Christ Jésus, c’est nous laisser entraîner dans l’intimité de la vie trinitaire. « Je suis le pain vivant […] si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 5,51).

Jésus nous dit qu’il est « le pain vivant », lui, le « Verbe fait chair ». Il est Parole et il est Pain. Dans une méditation écrite pour le 6 janvier 1941, Edith Stein écrit : « Le même Sauveur que la Parole de l’Écriture nous met sous les yeux dans son humanité en le montrant sur tous les chemins qu’il a parcourus sur la terre, habite parmi nous caché sous l’apparence du pain eucharistique, il vient à nous tous les jours comme Pain de Vie. Sous ses deux aspects il désire que nous le cherchions et que nous le trouvions. »

Savons-nous chercher et trouver la présence du Christ Jésus dans la lecture et l’écoute de la Parole de Dieu ? Il y a un lien fort entre la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique. Edith Stein écrit : « L’un appelle l’autre. Lorsque nous voyons avec les yeux de la foi le Sauveur devant nous, comme l’Écriture nous le dépeint, alors grandit notre désir de l’accueillir dans le Pain de vie. » Pour signifier cela, l’autel de la chapelle consacrée à sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein) à Breslau (Wroclaw) sa ville natale, a justement la forme d’un livre ouvert ! Est-ce que notre méditation de la Parole de Dieu s’épanouit en désir eucharistique ?

L’Eucharistie par la réception de la Parole qui est semence de vie, par la communion au Corps du Christ, nous donne de participer déjà au corps du Ressuscité. Elle met en nous la semence de la vie divine. « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui » (Jn 6,56).

L’Eucharistie créée entre nous et le Christ Jésus une intimité et une proximité rare. Elle réalise de façon gratuite la promesse de l’Alliance et nous pouvons nous écrier avec la fiancée du Cantique des Cantiques : « Mon Bien-Aimé est à moi » (Ct 2,16). Par l’intimité que crée l’Eucharistie, nous pouvons dire avec saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Par l’accueil de la Parole et du Pain eucharistique, la vie divine resplendit déjà en nous : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » (Jn 6,54).

La Parole de Dieu écoutée, méditée, ruminée, nous entraîne à la source des eaux vives, vers le Pain de la Vie. Mais la réception de l’Eucharistie, nous entraîne à son tour vers la Parole de Dieu. Dans sa méditation du 6 janvier 1941, Edith Stein poursuit : « Le pain eucharistique à son tour avive notre désir de faire toujours plus profondément connaissance avec le Seigneur à partir de la Parole de l’Écriture, et donne des forces à notre esprit pour une meilleur compréhension. » Ainsi, s’il est bon de se préparer à la célébration de l’Eucharistie en lisant et en méditant les lectures avant de venir à l’église, il peut être profitable pour nous, après avoir communier au Pain de vie, de relire les textes pour mieux les comprendre et les vivre dans le quotidien de nos vies. Faire un va-et-vient constant entre Parole et Eucharistie pour évangéliser les profondeurs de notre être…

« Celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » (Jn 6,57). Jésus nous invite à vivre de sa Vie. À la fin de La prière de l’Église, Edith Stein écrit : « En participant au sacrifice et au repas sacré, en étant nourris de la chair et du sang de Jésus, nous devenons nous-mêmes sa chair et son sang. Et c’est seulement lorsque nous somme membres de son corps, et dans la mesure où nous le sommes en vérité, que son Esprit peut nous vivifier et régner en nous. » Que notre Eucharistie de ce jour, soit donc une épiclèse, un appel à l’Esprit Saint pour qu’il nous transforme et fasse devenir toujours plus participants de la Vie divine.

Participer à l’Eucharistie, c’est croire sans le voir, sans le sentir, que nous vivons déjà de cette intimité à laquelle nous sommes invités par la Trinité Sainte. Invitation à la fois personnelle et communautaire. Car cet invité à la table du Seigneur qui est attendu, espéré par les trois anges, c’est tout autant chacun de nous de manière personnelle et unique, que l’humanité tout entière. Que notre joie de participer sacramentellement aux noces éternelles donne envie à tous nos frères et sœurs en humanité le désir de s’approcher de ce banquet car c’est pour tous, que « la Sagesse a dressé une table ». Alors laissons-nous « remplir de l’Esprit Saint » pour « chantez le Seigneur et le célébrez de tout notre cœur » (Ep 5,19). Amen.

Fr Didier-Marie de la Trinité, ocd

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