Pko 07.10.2018

Eglise cath papeete 1

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°49/2018

Dimanche 7 octobre 2018 – 27ème Dimanche du Temps ordinaire – Année B

Humeurs…

Dignité de la femme !

« Est-ce que c’est insultant de dire à une femme : “Ah ! qu’est-ce que tu es jolie ! Ah ! Qu’est-ce que j’ai de l’attirance pour toi !”… je ne lui disais pas tout le temps ! Je lui disais de temps en temps ! »

Le harcèlement sexuel et moral ne sont pas seulement des mots, mais bien une réalité. La légèreté de la réponse du mis en cause ainsi que le soutien qu’il semble avoir obtenu du Conseil municipal laisse perplexe quant à la prise de conscience de l’atteinte à la dignité de la personne et de la femme en particulier !

Mais, ce qui nous laisse encore plus perplexe, ce sont les silences des associations qu’elles soient civiles ou religieuses, qui se sont donné pour mission la défense des droits et de la dignité des personnes et en particulier des femmes !

Le 8 mars dernier, avec le Conseil des Femmes de Polynésie, dans le cadre de la Journée internationale de la femme, des tables rondes ont été organisées… le compte-rendu des travaux devrait être fait dans les semaines qui viennent…

Mais là, concrètement, dans une affaire publique, qui fait l’objet d’une condamnation du tribunal administratif que se passe-t-il ? « SILENCE »… Le sujet serait paraît-il « politique » !

Même silence du côté des associations religieuses, je ne parlerai ici que de celle de ma confession religieuse… Grand rassemblement chaque année de l’U.F.C. (Union des Femmes Catholiques) avec là aussi compte-rendu en présence des autorités de l’Église et souvent aussi du Pays… Encore une fois « SILENCE »

L’A.F.C. (Association Familiale Catholique) organise ce dimanche à Paea, la fête des familles, espérons qu’une parole sera dite !

Il ne suffit pas de faire de beaux discours sur les femmes… leur égale dignité avec les hommes… Si on ne se lève pas lorsque l’une d’entre-elles est bafouée dans sa dignité… qui plus est humiliée une nouvelle fois après que la justice ait reconnu les faits !

L’humour du mis en cause est plus que malvenu… le soutien dont il fait l’objet au nom de la « politique » est déplacé ! Le silence des associations défendant la cause des femmes est scandaleux ! Le silence des associations religieuses encore plus !

CLÔTURE DU CONCILE VATICAN II

MESSAGE DU PAPE PAUL VI AUX FEMMES

Mercredi 8 décembre 1965

Et maintenant, c’est à vous que nous nous adressons, femmes de toutes conditions, filles, épouses, mères et veuves ; à vous aussi, vierges consacrées et femmes solitaires : vous êtes la moitié de l’immense famille humaine !

L’Église est fière, vous le savez, d’avoir magnifié et libéré la femme, d’avoir fait resplendir au cours des siècles, dans la diversité des caractères, son égalité foncière avec l’homme.

Mais l’heure vient, l’heure est venue, où la vocation de la femme s’accomplit en plénitude, l’heure où la femme acquiert dans la cité une influence, un rayonnement, un pouvoir jamais atteints jusqu’ici.

C’est pourquoi, en ce moment où l’humanité connaît une si profonde mutation, les femmes imprégnées de l’esprit de l’Évangile peuvent tant pour aider l’humanité à ne pas déchoir.

Vous femmes, vous avez toujours en partage la garde du foyer, l’amour des sources, le sens des berceaux. Vous êtes présentes au mystère de la vie qui commence. Vous consolez dans le départ de la mort. Notre technique risque de devenir inhumaine. Réconciliez les hommes avec la vie. Et surtout veillez, nous vous en supplions, sur l’avenir de notre espèce. Retenez la main de l’homme qui, dans un moment de folie, tenterait de détruire la civilisation humaine.

Épouses, mères de famille, premières éducatrices du genre humain dans le secret des foyers, transmettez à vos fils et à vos filles les traditions de vos pères, en même temps que vous les préparerez à l’insondable avenir. Souvenez-vous toujours qu’une mère appartient, par ses enfants à cet avenir qu’elle ne verra peut-être pas.

Et vous aussi, femmes solitaires, sachez bien que vous pouvez accomplir toute votre vocation de dévouement. La société vous appelle de toutes parts. Et les familles même ne peuvent vivre sans le secours de ceux qui n’ont pas de famille.

Vous surtout, vierges consacrées, dans un monde où l’égoïsme et la recherche du plaisir voudraient faire la loi, soyez les gardiennes de la pureté, du désintéressement, de la piété. Jésus, qui a donné à l’amour conjugal toute sa plénitude, a exalté aussi le renoncement à cet amour humain, quand il est fait pour l’Amour infini et pour le service de tous.

Femmes dans l’épreuve, enfin, qui vous tenez toutes droites sous la croix à l’image de Marie, vous qui, si souvent dans l’histoire, avez donné aux hommes la force de lutter jusqu’au bout, de témoigner jusqu’au martyre, aidez-les encore une fois à garder l’audace des grandes entreprises, en même temps que la patience et le sens des humbles commencements.

Femmes, ô vous qui savez rendre la vérité douce, tendre, accessible, attachez-vous à faire pénétrer l’esprit de ce Concile dans les institutions, les écoles, les foyers, dans la vie de chaque jour.

Femmes de tout l’univers, chrétiennes ou incroyantes, vous à qui la vie est confiée en ce moment si grave de l’histoire, à vous de’ sauver la paix du monde !

Laissez-moi vous dire…

Dimanche 7 octobre 2018 : Fête des Familles

Famille et condition humaine

Quelle joie d’assister à la naissance d’un jour nouveau. Je me souviens de ces moments délicieux lorsque, pendant les vacances scolaires, je me rendais à l’usine. Quel bonheur pendant 25 minutes, sur ma bicyclette, j’assistais à ce spectacle étonnant de l’aurore qui colore l’horizon de rose, les oiseaux qui s’éveillent… Avant d’être englouti pendant huit heures dans la chaleur, le bruit des verres qui se refroidissent et s’entrechoquent ; ces verres et ces bruits qui peuplaient mes nuits de sommeil ! Cinq par cinq je devais mirer ces gobelets qui deviendraient verres à moutarde ou autres, face aux néons éblouissants, cherchant la fêlure, le défaut que les contrôleuses/chronométreuses ne manqueraient pas de détecter en examinant au hasard un de mes cartons, si mon attention avait failli…

J’ai eu la chance d’avoir des parents unis et aimants ; un père chauffeur-livreur de pièces de tissu, payé au SMIC ; une mère au foyer s’occupant avec soin de ses enfants et de son modeste appartement sans commodités (ni toilettes, ni salle de bain !). Grâce à leur soutien, au soutien des Frères des Écoles Chrétiennes et à mes jobs en usine pour payer une partie de mes études j’ai pu réaliser ma vocation : servir la jeunesse en l’éduquant.

Certains politiciens se gargarisent de mots et d’éloges sur « l’ascenseur social »... Combien de jeunes restent sur le carreau, se retrouvant dans la même situation que leur père ou leur mère… « ascenseur social » qu’ils disent ! Je repense aux réflexions de Simone Weil – pas la femme politique mais la philosophe chrétienne-. Deux phrases sont restées gravées en moi, parce que vécues lors de mon expérience en usine :

  • « Quiconque a éprouvé cet épuisement et ne l'a pas oublié peut le lire dans les yeux de presque tous les ouvriers qui défilent le soir hors de l'usine. Combien on aimerait pouvoir déposer son âme, en entrant, avec sa carte de pointage, et la reprendre intacte à la sortie ! Mais le contraire se produit. On l'emporte avec soi dans l'usine, où elle souffre ; le soir, cet épuisement l'a comme anéantie, et les heures de loisirs sont vaines. » (Simone Weil, Conditions premières d'un travail non servile (1942), éd. L'Herne, coll. « Carnets », 2014, p. 50)
  • « Il n'y a pas le choix des remèdes. Il n'y en a qu'un seul. Une seule chose rend supportable la monotonie, c'est une lumière d'éternité ; c'est la beauté. » (même op. p. 17)

Elle aussi a fait l’expérience du travail à la chaîne – cette taylorisation chère aux économistes - : 5 H, la sirène retentit, le flot des ouvriers en bleus de travail, fraichement rasés, exhalant un parfum d’after shave bon marché… la pointeuse dévore ta carte… le bruit assourdissant du four et des chargeuses… c’est le relais de l’équipe de nuit… les gars, yeux plus ou moins hagards, passent les consignes à l’équipe du matin… huit heures durant, debout dans une chaleur étouffante, tu te postes devant un tapis qui déverse les gobelets chauds que tu dois mirer… pas le temps de penser, de prier… ton attention est « kidnappée » par la machine… seul moment de tranquillité relative : la demi-heure de pause, occasion d’échanges avec tes collègues sur le gosse malade, la gamine qui file d’un mauvais coton, la femme enceinte… Tu comprends cette joie libre de goûter la naissance du jour qui fait échapper quelques instants à la condition ouvrière…

En ce 7 octobre où nous sommes invités à fêter les familles, il est important de se couler dans la réalité de certaines familles. C’est notre façon de lutter contre « l’indifférence » tant décriée par le Pape François. Chaque famille connait les limites de la condition humaine, il nous revient, en tant que chrétiens d’ouvrir nos yeux et notre cœur aux inquiétudes et aux souffrances de certaine familles. « Nous avons des talents, nous sommes talentueux aux yeux de Dieu. Par conséquent, personne ne peut penser être inutile, personne ne peut se dire si pauvre au point de ne pas pouvoir donner quelque chose aux autres » (Homélie du Pape François à Saint-Pierre de Rome, dimanche 19 novembre 2017).

Les textes liturgiques de ce dimanche (Genèse 2, 18-24 / Marc 10, 2-16) attirent notre attention sur l’importance du lien entre l’Homme et la Femme, selon la volonté de notre Créateur rappelée par Jésus aux pharisiens voulant le piéger à propos du divorce.

Au-delà de la pauvreté matérielle nous sommes souvent confrontés aux pauvretés affectives ou spirituelles. Écoutons le Pape François : « Nous savons bien que dans toutes les histoires familiales, les moments où l’intimité des affections les plus grandes est offensée par le comportement de ses membres ne manquent pas… Lorsque ces blessures, qui sont encore remédiables, sont négligées, elles s’aggravent : elles se transforment en arrogance, hostilité, mépris. Et à ce stade, elles peuvent devenir des déchirures profondes, qui divisent le mari et la femme, et les encouragent à aller chercher ailleurs de la compréhension, du soutien et du réconfort… Le délitement de l’amour conjugal répand du ressentiment dans les relations. Et souvent, la désagrégation « retombe » sur les enfants. (…)

Mais savons-nous encore ce qu’est une blessure de l’âme ?…Quand les adultes perdent la tête, quand chacun pense uniquement à lui-même, quand papa et maman se font du mal, l’âme des enfants souffre beaucoup, elle éprouve un sentiment de désespoir. Et ce sont des blessures qui laissent une trace pour toute la vie. (…)

Mari et femme sont une seule chair. Mais leurs enfants sont la chair de leur chair…

Quand l’homme et la femme sont devenus une seule chair, toutes les blessures et tous les abandons du papa et de la maman ont une incidence sur la chair vivante des enfants. » (Audience générale du mercredi 09 septembre 2015)

Le Christ a vécu trente ans dans une famille humaine, il connait la condition humaine : difficultés des familles, du travail, des relations humaines… Et cela nous remplit d’espérance. « Le Seigneur ne vient pas dans une famille sans y accomplir quelques miracles. Souvenons-nous des noces de Cana. Si nous nous mettons entre ses mains, il fera des miracles – des miracles quotidiens ». (Audience générale déjà citée)

ll nous revient de propager autour de nous cette espérance.

Dominique Soupé

© Cathédrale de Papeete - 2018

En marge de l’actualité…

Famille et Mission

Ce Dimanche aura lieu à Paea la fête des familles organisée par l’Association Familiale Catholique (AFC) de Polynésie Française. L’occasion est toute indiquée pour évoquer ici les propos tenus par S.Em. le Cardinal Kevin FARREL, préfet du Dicastère (Ministère) pour les Laïcs, la Famille et la Vie lors de son intervention devant les 75 évêques présents au séminaire de formation pour les nouveaux évêques à Rome. Celui-ci nous rappelle l’importance de la participation à plein titre des familles à l’activité missionnaire de l’Église. Évoquant ce qu’il appelle « les priorités de l’apostolat des familles », il les présente ainsi : « a/ Le témoignage rendu au travers de l’exemple de sa propre vie, à l’indissolubilité et à la sainteté du lien matrimonial – b/ L’affirmation du droit et du devoir appartenant par nature aux parents à éduquer chrétiennement leurs enfants – c/ Défendre la dignité et la légitime autonomie de la famille… Que les familles collaborent avec les hommes de bonne volonté pour que ces droits soient parfaitement sauvegardés par la législation civile » Puis le cardinal FARREL énumère la liste de ce qu’il appelle « les sept œuvres de miséricorde de la famille », telles qu’elles sont énumérées dans le décret sur l’Apostolat des laïcs du Concile Vatican II au § 11, à savoir : « 1/ Adopter les enfants abandonnés – 2/ Accueillir aimablement les étrangers – 3/ Aider à la bonne marche des écoles, conseiller et aider les adolescents – 4/ Aider les fiancés à mieux se préparer au mariage – 5/ Donner son concours au catéchisme – 6/ Soutenir époux et familles dans leurs difficultés matérielles ou morales – 7/ Procurer aux vieillards non seulement l’indispensable mais les justes fruits du progrès économique ».

La famille chrétienne, poursuit-il, est fondée sur le sacrement du mariage, et à ce titre elle est image et participation à l’alliance d’amour qui unit le Christ et l’Église : « L’union entre les époux, le dialogue entre les parents et les enfants, le respect pour les personnes âgées, l’attention envers les malades et les handicapés sont fruits de cette charité divine que l’Esprit Saint met dans le cœur des croyants et qui devient un signe de la présence spéciale de Dieu au sein des familles chrétiennes ». Ainsi, les familles doivent donc être considérées par les pasteurs de l’Église non pas comme « objet » de la pastorale, mais comme « sujet » de la pastorale : « la mission des familles est basée sur la communion et sur le témoignage rendu à la vie. La famille est missionnaire en tant que famille et non pas par chacun de ses membres pris séparément. La famille… doit témoigner au monde de ce qu’elle est et ce qu’elle vit en son sein : l’accueil de la vie sous toutes ses formes et la communion de personnes ainsi que l’unité rendue possible par le Saint Esprit »

Puissent chacune de nos familles accueillir ces orientations… Elles pourront nourrir notre réflexion et nous aider à fonder notre façon de vivre cette mission que l’Église confie à la famille.

+ Monseigneur Jean Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete – 2018

Messe inaugurale du Synode des jeunes 2018

Oindre les jeunes des dons de prophétie et de vision

Le Pape François a présidé place Saint-Pierre de Rome la messe inaugurale du Synode des évêques pour les jeunes, mercredi 3 octobre 2018. Une messe sous le signe des dons «de l’espérance, du rêve, de la prophétie et de la vision».

« L’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26).

De cette manière très simple, Jésus offre à ses disciples la garantie qu’il accompagnera toute l’œuvre missionnaire qui leur sera confiée : l’Esprit Saint sera le premier à garder et à maintenir toujours vivante et actuelle la mémoire du Maître dans le cœur des disciples. C’est Lui qui permettra que la richesse et la beauté de l’Evangile soient source de joie et de nouveauté constantes. 

Au début de ce moment de grâce pour toute l’Église, en syntonie avec la Parole de Dieu, demandons avec insistance au Paraclet qu’il nous aide à faire mémoire et à raviver les paroles du Seigneur qui ont fait brûler notre cœur (cf. Lc 24, 32). Ardeur et passion évangélique qui engendrent l’ardeur et la passion pour Jésus. Mémoire qui puisse réveiller et renouveler en nous la capacité de rêver et d’espérer. Parce que nous savons que nos jeunes seront capables de prophétie et de vision dans la mesure où, désormais adultes ou âgés, nous sommes capables de rêver et ainsi de rendre contagieux et de partager les rêves et les espérances que nous portons dans notre cœur (cf. Jl 3, 1).

Que l’Esprit nous donne la grâce d’être des Pères synodaux oints du don des rêves et de l’espérance, afin que nous puissions, à notre tour, oindre nos jeunes du don de la prophétie et de la vision ; qu’il nous donne la grâce d’être une mémoire active, vivante, efficace, qui de génération en génération ne se laisse pas étouffer ni écraser par des prophètes de calamités et de malheur, ni par nos limites, erreurs et péchés, mais qui est capable de trouver des espaces pour enflammer le cœur et discerner les chemins de l’Esprit. C’est avec cette attitude d’écoute docile de la voix de l’Esprit que nous sommes réunis de toutes les parties du monde. Aujourd’hui, pour la première fois, sont aussi ici avec nous deux confrères évêques de la Chine continentale. Nous leur exprimons notre chaleureuse bienvenue : la communion de l’Épiscopat tout entier avec le Successeur de Pierre est encore plus visible grâce à leur présence.

Oints dans l’espérance, nous commençons une nouvelle rencontre ecclésiale capable d’élargir les horizons, de dilater le cœur et de transformer ces structures qui aujourd’hui nous paralysent, nous séparent et nous éloignent des jeunes, les laissant exposés aux intempéries et orphelins d’une communauté de foi qui les soutienne, d’un horizon de sens et de vie (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 49).

L’espérance nous interpelle, nous déplace et rompt avec le conformisme du « on a toujours fait ainsi », et elle nous demande de nous lever pour regarder directement le visage des jeunes et les situations dans lesquelles ils se trouvent. La même espérance nous demande de travailler pour renverser les situations de précarité, d’exclusion et de violence, auxquelles sont exposés nos enfants.

Les jeunes, qui sont le fruit de nombreuses décisions prises dans le passé, nous appellent à prendre en charge avec eux le présent, en nous engageant davantage et à lutter contre ce qui, de toutes les façons, empêche leur vie de se développer avec dignité. Ils nous demandent et exigent un dévouement créatif, une dynamique intelligente, enthousiaste et pleine d’espérance, et que nous ne les laissions pas seuls aux mains de tant de marchands de mort qui oppriment leur vie et obscurcissent leur vision.

Cette capacité de rêver ensemble, qu’aujourd’hui le Seigneur nous offre à nous comme Église, exige – selon ce que disait Saint Paul dans la première Lecture – de développer entre nous une attitude bien précise : « Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres » (Ph 2,4). Et en même temps, il vise plus haut, demandant qu’avec humilité nous considérions les autres supérieurs à nous-mêmes (cf. v.3). Avec cet esprit nous chercherons à nous mettre à l’écoute les uns des autres pour discerner ensemble ce que le Seigneur demande à son Église. Et cela exige de nous que nous soyons attentifs et veillions bien à ce que ne prévale pas la logique de l’auto-préservation et de l’autoréférentialité, qui finit par faire devenir important ce qui est secondaire et secondaire ce qui est important. L’amour pour l’Évangile et pour le peuple qui nous a été confié nous demande d’élargir le regard et de ne pas perdre de vue la mission à laquelle il nous appelle pour viser un plus grand bien qui profitera à nous tous. Sans cette attitude, tous nos efforts seront vains.

Le don de l’écoute sincère, priante et le plus possible sans préjugés ni conditions nous permettra d’entrer en communion avec les diverses situations que vit le Peuple de Dieu. Écouter Dieu, pour écouter avec lui le cri des gens ; écouter les gens pour respirer avec eux la volonté à laquelle Dieu nous appelle (cf. Discours lors de la veillée de prière en préparation au Synode sur la famille, 4 octobre 2014).

Cette attitude nous défend de la tentation de tomber dans une position moralisante ou élitiste, comme aussi de l’attraction pour des idéologies abstraites qui ne correspondent jamais à la réalité de nos gens (cf. J.M. Bergoglio, Meditaciones para religiosos, 45-46).

Frères et sœurs, plaçons ce temps sous la protection maternelle de la Vierge Marie. Femme de l’écoute et de la mémoire, qu’elle nous accompagne pour reconnaître les traces de l’Esprit afin que, avec empressement (cf. Lc 1, 39), entre rêves et espérances, nous accompagnions et stimulions nos jeunes afin qu’ils ne cessent pas de prophétiser.

Pères synodaux,

beaucoup d’entre nous étaient jeunes ou faisaient leurs premiers pas dans la vie religieuse alors que se terminait le Concile Vatican II. Aux jeunes d’alors a été adressé le dernier message des Pères conciliaires. Cela nous fera du bien de repasser de nouveau dans notre cœur ce que nous avons entendu lorsque nous étions jeunes en rappelant les paroles du poète : que « l’homme conserve ce qu’il a promis lorsqu’il était enfant » (F. Hölderlin)

Les Pères conciliaires nous ont ainsi parlé : « L’Église, quatre années durant, vient de travailler à rajeunir son visage, pour mieux répondre au dessein de son Fondateur, le grand Vivant, le Christ éternellement jeune. Et au terme de cette imposante “révision de vie”, elle se tourne vers vous. C’est pour vous, les jeunes, pour vous surtout, qu’elle vient, par son Concile, d’allumer une lumière : lumière qui éclaire l’avenir, votre avenir. L’Église est soucieuse que cette société que vous allez constituer respecte la dignité, la liberté, le droit des personnes : et ces personnes, c’est vous […] Elle a confiance […] que vous saurez affirmer votre foi dans la vie et dans ce qui donne un sens à la vie : la certitude de l’existence d’un Dieu juste et bon.

C’est au nom de ce Dieu et de son Fils Jésus que nous vous exhortons à élargir vos cœurs aux dimensions du monde, à entendre l’appel de vos frères et à mettre hardiment à leur service vos jeunes énergies. Luttez contre tout égoïsme. Refusez de laisser libre cours aux instincts de violence et de haine, qui engendrent les guerres et leur cortège de misères. Soyez généreux, purs, respectueux, sincères. Et construisez dans l’enthousiasme un monde meilleur que celui de vos aînés ! » (Paul VI, Message aux jeunes à la fin du Concile Vatican II, 8 décembre 1965).

Pères synodaux, l’Église vous regarde avec confiance et amour.

© Libreria Editrice Vaticana – 2018

Théologie

« La pauvreté, voilà le fléau ! »

Au centre des priorités des organisations internationales, des discours de l’immense majorité des partis politiques occidentaux, d’innombrables recherches, rapports et analyses, la « lutte contre la pauvreté » semble faire consensus. En dépit de cette apparente unanimité, celle-ci ne diminue guère et oscille autour de 15 % depuis vingt ans dans les pays industrialisés. Comment expliquer cet apparent paradoxe ?

Pour comprendre la stagnation de la pauvreté au cours des vingt dernières années, il convient de s’intéresser à la façon dont les autorités publiques ont décidé d’aborder le problème au tournant des années 1980. Inspirés par les théories économiques de Milton Friedman (voir « Un foisonnement d’écoles de pensée »), nombre de gouvernements vont progressivement s’opposer à l’héritage idéologique de l’après-guerre. Jusque-là, les politiques sociales visaient ouvertement une plus grande égalité au moyen d’institutions comme la sécurité sociale et les services publics. Elles visaient à fournir à l’ensemble de la population des « droits sociaux » collectifs pour s’attaquer aux causes de la misère en intervenant directement dans la sphère économique et en régulant, notamment, le marché du travail (voir « Droit du travail en vigilance orange »). Bref, moins de pauvreté signifiait à l’époque moins d’inégalités.

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Avec Friedman, cette perspective se voit remise en question. L’État social ne serait qu’une gigantesque machine bureaucratique, décourageant l’effort et nuisible au dynamisme de l’économie. L’État ne devrait donc pas intervenir dans l’économie, mais se borner à créer un cadre dans lequel puissent se déployer l’activité économique et la libre entreprise. Pas de système de sécurité sociale ou de services publics, mais des allocations minimales destinées aux seuls « pauvres » : au-dessous d’un certain seuil de revenus, chacun recevrait ainsi un complément du gouvernement (ce que Friedman appellera un « impôt négatif »). Les pauvres jouissant ainsi d’un revenu minimal garanti, pourquoi maintenir les protections sociales à visée universelle existantes ? Aux yeux des néolibéraux, l’idée présente deux avantages fondamentaux : elle ne limite pas les inégalités (supposées doper l’esprit d’initiative) et elle flexibilise le marché du travail.

« Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre »

Si le système de Friedman n’a jamais vu le jour de manière intégrale, il a inspiré la logique des politiques sociales européennes des dernières décennies : réduire les dépenses publiques, circonscrire les droits sociaux en n’en garantissant que certains, résiduels, pour les plus démunis.

Les effets de cette politique sont connus. Les richesses ont considérablement augmenté, mais elles sont de moins en moins bien réparties (voir « Aux États-Unis, les riches creusent l’écart »). Et l’ambition de lutter contre les inégalités a cédé la place à celle de réduire la pauvreté. Simple variation lexicale ? Loin de là…

« Pauvre France », reportage de Marie-Paule Nègre, réalisé avec le Secours populaire, consacré à une famille relogée par Emmaüs, Créteil, 1996. © Marie-Paule Nègre / Signatures.

Déconnectée de l’inégalité, la pauvreté n’est plus pensée comme la conséquence de l’inégale répartition des richesses. Elle devient l’attribut de « publics cibles », dits « fragilisés », supposés faire l’objet de mesures individuelles. En parallèle, on insiste sur les « efforts » que devraient accomplir les allocataires sociaux pour « réussir ». Le ministre français de l’économie Emmanuel Macron a ainsi expliqué : « Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre. J’essaierais de me battre d’abord » (BFM TV, 18 février 2015). Les mesures contre la pauvreté se déploient aujourd’hui en marge des politiques économiques et sociales globales, sans les remettre en cause ni les affecter.

« Tous les hommes politiques appliquent sans le savoir les recommandations d’économistes souvent morts depuis longtemps et dont ils ignorent le nom. » John Maynard Keynes, économiste britannique (1883-1946)

En réalité, seule l’idéologie néolibérale, qui est au cœur de notre imaginaire politique actuel, a permis d’alimenter le fantasme d’une lutte contre la pauvreté sans redistribution des richesses et d’oublier que l’une des principales causes de la pauvreté des uns, c’est la richesse des autres.

Daniel Zamora

Docteur en sociologie à l’Université libre de Bruxelles. A dirigé Critiquer Foucault. Les années 1980 et la tentation néolibérale,Aden, 2014.

© Le Monde diplomatique - 2016

Commentaire des lectures du dimanche

« Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection » (1Jn 4, 12).

Les lectures bibliques de ce dimanche semblent choisies spécialement pour l’événement de grâce que l’Église est en train de vivre, c'est-à-dire l’Assemblée Ordinaire du Synode des Évêques sur le thème de la famille, qui est inauguré par cette célébration eucharistique.

Elles sont centrées sur trois thèmes : le drame de la solitude, l’amour entre l’homme et la femme, et la famille.

La solitude

Adam, comme nous l’avons lu dans la première lecture, vivait dans le Paradis, il donnait leur nom aux autres créatures, exerçant une maîtrise qui montrait son indiscutable et incomparable supériorité ; mais, malgré cela, il se sentait seul parce qu’ « il ne trouva aucune aide qui lui corresponde » (Gn 2, 20), et il faisait l’expérience de la solitude.

La solitude, le drame qui, encore aujourd’hui, afflige tant d’hommes et de femmes. Je pense aux personnes âgées, abandonnées même de leurs êtres chers et de leurs propres enfants ; aux veufs et aux veuves ; à tant d’hommes et de femmes laissés par leur épouse ou par leur mari ; à tant de personnes qui, de fait, se sentent seules, incomprises, pas écoutées ; aux migrants et aux réfugiés qui fuient les guerres et les persécutions ; et à tant de jeunes victimes de la culture de la consommation, de l’utilise et jette, et de la culture du déchet.

Aujourd’hui se vit le paradoxe d’un monde globalisé, où nous voyons beaucoup d’habitations luxueuses et de gratte ciels, mais de moins en moins de chaleur de la maison et de la famille ; beaucoup de projets ambitieux, mais peu de temps pour vivre ce qui a été réalisé ; beaucoup de moyens sophistiqués de divertissement, mais de plus en plus un vide profond dans le cœur ; beaucoup de plaisirs, mais peu d’amour ; beaucoup de liberté mais peu d’autonomie… Les personnes qui se sentent seules sont de plus en plus nombreuses, mais aussi celles qui se renferment dans l’égoïsme, dans la mélancolie, dans la violence destructrice et dans l’esclavage du plaisir et du dieu argent. 

Nous vivons aujourd’hui, dans un certain sens, la même expérience qu’Adam : beaucoup de puissance, accompagnée de beaucoup de solitude et de vulnérabilité ; et la famille en est l’icône. De moins en moins de sérieux pour faire progresser un rapport d’amour solide et fécond : dans la santé comme dans la maladie, dans la richesse comme dans la pauvreté, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. L’amour durable, fidèle, consciencieux, stable, fécond est de plus en plus moqué et regardé comme s’il était une affaire de l’antiquité. Il semblerait que les sociétés les plus avancées soient justement celles qui ont le taux le plus bas de natalité et le taux le plus élevé d’avortements, de divorces, de suicides et de pollution environnementale et sociale.

L’amour entre l’homme et la femme

Nous lisons encore dans la première lecture que le cœur de Dieu est resté comme douloureux devant la vision de la solitude d’Adam, et il a dit : « il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra » (Gn 2,18). Ces paroles montrent que rien ne rend heureux le cœur de l’homme qu’un cœur qui lui ressemble, qui lui corresponde, qui l’aime et qui le tire de la solitude et du sentiment d’être seul. Elles montrent aussi que Dieu n’a pas créé l’être humain pour vivre dans la tristesse ni pour rester seul, mais pour le bonheur, pour partager son chemin avec une autre personne qui lui soit complémentaire, pour vivre l’étonnante expérience de l’amour, c'est-à-dire aimer et être aimé, et pour voir la fécondité de son amour dans les enfants, comme le dit le Psaume qui a été proclamé aujourd’hui (cf. Ps 128).

Voilà le rêve de Dieu pour sa créature bien-aimée : la voir se réaliser dans l’union d’amour entre l’homme et la femme ; heureuse sur le chemin commun, féconde dans le don réciproque. C’est le même dessein que Jésus, dans l’Évangile de ce jour, résume par ces paroles : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux mais une seule chair » (Mc10, 6-8) ; (cf. Gn 1, 27 ; 2, 24).

Jésus, face à la demande rhétorique qui lui est faite ­– probablement comme un piège, pour le faire devenir tout à coup antipathique à la foule qui le suivait et qui pratiquait le divorce comme réalité enracinée et intangible –, répond de manière franche et inattendue : il fait tout remonter à l’origine, à l’origine de la création, pour nous apprendre que Dieu bénit l’amour humain, que c’est lui qui unit les cœurs d’un homme et d’une femme qui s’aiment et qui les unit dans l’unité et l’indissolubilité. Cela signifie que le but de la vie conjugale n’est pas seulement de vivre ensemble pour toujours, mais de s’aimer pour toujours ! Jésus rétablit ainsi l’ordre qui était à l’origine et qui est origine. 

La famille

« Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Mc 10,9). C’est une exhortation aux croyants à dépasser toute forme d’individualisme et de légalisme, qui cache un égoïsme mesquin et une peur de rallier la signification authentique du couple et de la sexualité humaine selon le projet de Dieu. 

En effet, c’est seulement à la lumière de la folie de la gratuité de l’amour pascal de Jésus que la folie de la gratuité d’un amour conjugal unique et jusqu’à la mort apparaîtra compréhensible. 

Pour Dieu, le mariage n’est pas une utopie propre à l’adolescence, mais un rêve sans lequel sa créature sera destinée à la solitude ! En effet, la peur d’adhérer ce projet paralyse le cœur humain.

Paradoxalement aussi, l’homme d’aujourd’hui – qui ridiculise souvent ce dessein – reste attiré et fasciné par tout amour authentique, par tout amour solide, par tout amour fécond, par tout amour fidèle et perpétuel. Nous le voyons suivre les amours temporaires, mais il rêve de l’amour authentique ; il court derrière les plaisirs de la chair, mais il désire la donation totale.

En effet, « maintenant que nous avons pleinement savouré les promesses de la liberté sans limite, nous commençons à comprendre de nouveau l’expression “tristesse de ce monde”. Les plaisirs interdits ont perdu leur attrait dès qu’ils ont cessé d’être interdits. Même s’ils sont poussés à l’extrême et s’ils sont renouvelés indéfiniment, ils restent insipides parce qu’ils sont des choses finies, et nous, au contraire, nous avons soif d’infini » (Joseph Ratzinger, Auf Christus schauen. Einübung in Glaube, Hoffnung, Liebe, Freiburg 1989, p. 73). 

Dans ce contexte social et matrimonial très difficile, l’Église est appelée à vivre sa mission dans la fidélité, dans la vérité et dans la charité. Vivre sa mission dans la fidélité à son Maître comme une voix qui crie dans le désert, pour défendre l’amour fidèle, et encourager les très nombreuses familles qui vivent leur mariage comme un espace où se manifeste l’amour divin ; pour défendre la sacralité de la vie, de toute vie ; pour défendre l’unité et l’indissolubilité du lien conjugal comme signe de la grâce de Dieu et de la capacité de l’homme d’aimer sérieusement. 

L’Église est appelée à vivre sa mission dans la vérité qui ne change pas selon les modes passagères et les opinions dominantes. La vérité qui protège l’homme et l’humanité des tentations de l’autoréférentialité et de la transformation de l’amour fécond en égoïsme stérile, l’union fidèle en liens passagers. « Dépourvu de vérité, l’amour bascule dans le sentimentalisme. L’amour devient une coque vide susceptible d’être arbitrairement rempli. C’est le risque mortifère qu’affronte l’amour dans une culture sans vérité » (Benoît XVI, Enc. Caritas in veritate, n.3).

Et l’Église est appelée à vivre sa mission dans la charité qui ne pointe pas du doigt pour juger les autres, mais – fidèle à sa nature de mère – se sent le devoir de chercher et de soigner les couples blessés avec l’huile de l’accueil et de la miséricorde ; d’être « hôpital de campagne » aux portes ouvertes pour accueillir quiconque frappe pour demander aide et soutien ; de plus, de sortir de son propre enclos vers les autres avec un amour vrai, pour marcher avec l’humanité blessée, pour l’inclure et la conduire à la source de salut.

Une Église qui enseigne et défend les valeurs fondamentales, sans oublier que « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2,27) ; et que Jésus a dit aussi : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs » (Mc 2, 17). Une Église qui éduque à l’amour authentique, capable de tirer de la solitude, sans oublier sa mission de bon samaritain de l’humanité blessée.

Je me souviens de Saint Jean Paul II quand il disait : « L’erreur et le mal doivent toujours être condamnés et combattus ; mais l’homme qui tombe ou se trompe doit être compris et aimé […] Nous devons aimer notre temps et aider l’homme de notre temps » (Discours à l’Action Catholique Italienne, 30 décembre 1978 : Insegnamenti I [1978], 450). Et l’Église doit le chercher, l’accueillir et l’accompagner, parce qu’une Église aux portes closes se trahit elle-même et trahit sa mission, et au lieu d’être un pont devient une barrière : « Celui qui sanctifie, et ceux qui sont sanctifiés, doivent tous avoir la même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères » (He 2, 11).

Dans cet esprit demandons au Seigneur de nous accompagner dans le Synode et de guider son Église, par l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et de Saint Joseph, son très chaste époux.

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