Pko 06.05.2018

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°25/2018

Dimanche 6 mai 2018 – 6ème Dimanche de Pâques – Année B

Humeurs…

L’obsolescence programmée

Deux événements choisis parmi bien d'autres dans l'actualité récente peuvent nous faire réfléchir en cette période pascale durant laquelle les chrétiens célèbrent la résurrection du Christ. Celui qui avait connu la mort est désormais vivant pour toujours car « nous croyons en Celui qui ressuscita d'entre les morts, Jésus, notre Seigneur, livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification » (Epître aux Romains, 4,24). Selon l'apôtre Paul, Il est le premier d'une multitude que la mort n'atteindra plus jamais car notre Dieu est « le Dieu qui donne la vie aux morts et ap­pelle le néant à l'existence » (Romains, 4,17).

Apparemment ces deux faits n'ont pas de rapport entre eux, mais ce n'est pas si sûr ! Le premier se produisit le 25 octobre 2017, quand le gouvernement de l'Arabie saoudite accorda le statut de citoyen à un robot, prénommé Sophia, créé par une société de Hong-Kong spécialisée dans la création de répliques d'êtres humains. Ainsi, pour la première fois, dans la longue histoire de l'humanité, un État souverain reconnut une machine comme faisant partie de ses administrés humains. Quelle pro­motion ! L'homme, cette créature faite à l'image de Dieu selon la Bible, s'improvise à son tour dieu pour faire une créature à sa propre image. Il appelle le néant à l'existence ! Sauf que Sophia n'est pas vivante, même si elle s'exprime avec facilité et si son visage montre de multiples sentiments. Sophia reste artificielle, ne rêve pas et répond non à des émotions mais à des impulsions électriques. Le vieux projet de l'homme-démiurge, c'est-à-dire semblable au Dieu créateur de l'univers, n'est donc abouti qu'en partie. L'homme est capable de réaliser la mécanique des androïdes mais reste incapable de leur donner une âme.

Le deuxième titre est apparu dans de nombreux journaux à la fin de décembre et signalait le dépôt de plusieurs plaintes par l'association H. O. P. (Halte à l'obsolescence programmée) contre Apple et Epson. Ces deux sociétés, extrêmement puissantes sur le marché mondial, sont soupçonnées de réduire volontairement la durée de vie de leurs produits pour que le consommateur soit obligé sans cesse d'en acheter de nouveaux. Dans notre jargon moderne cela s'appelle l'obsolescence programmée et peut-être en avez-vous déjà été victime. La société dite de consommation dans laquelle nous vivons tourne dans le sens d'un cercle vicieux. La croissance impose de fabriquer toujours plus - ce qui ruine notre planète - pour vendre toujours plus - pour permettre à un petit nombre de s'enrichir davantage. « Un produit qui ne s'use pas est une tragédie pour les affaires », affirmait déjà en mai 1928 un magazine américain ! Le drame est que d'un côté on cherche à copier la créature humaine, de l'autre on la massacre, bombarde, exploite pour la jeter au rebut ! Résistons au tout-jetable, surtout quand il s'agit des hommes !

Bernard ROBIN

© Ami Hebdo

Laissez-moi vous dire…

Angleterre

Lundi 23 avril 2018 à 11h01 : Naissance du Prince Louis de Cambridge

Samedi 28 avril 2018 à 2h30 : Mort (par euthanasie) du petit Alfie Evans (23 mois)

Entre le devoir d’accompagner les plus vulnérable… et le pouvoir de donner la mort

Alors que l’on annonce avec éclat la naissance du petit Prince Louis de Cambridge, les parents du petit Alfie Evans (atteint d'une pathologie neurodégénérative rare pour laquelle il n'existe pas de traitement) luttent contre l’avis des médecins de l’hôpital Alder Hey à Liverpool : il faut arrêter les soins. Ils ont tout essayé : tribunal, Haute Cour de Manchester, cour d’appel, Cour européenne des droits de l’Homme, Haute cour de Londres, intervention du Pape François et des autorités italiennes. Le 23 avril (jour de la naissance du petit Prince Louis) l’assistance respiratoire est retirée à Alfie, mais… le bébé continue à respirer ! La lutte juridique se poursuit… verdict de la Haute cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles : l’enfant ne sera pas transféré en Italie. Elfie meurt le 28 avril, faute d’assistance médicale.

Dans une classe de collège à Papeete, les élèves discutent de ce fait d’actualité :

  • Dominiko : Un tribunal anglais a donné l’accord aux médecins pour « débrancher » le petit Alfie… contre l’avis de ses parents.
  • Francisco : C’est au nom de la Reine et du peuple britannique que le jugement a été prononcé… C’est donc la société qui a condamné à mort Alfie… alors que la peine de mort n’existe plus en Angleterre !
  • Théo : Vous pensez pas que les parents demandaient un acharnement thérapeutique aux médecins ? De toutes façons Alfie serait mort tôt ou tard…
  • Maria : T’es dur Théo, et sans cœur. T’as vu les photos du bébé ? Il était beau, il ne semblait pas souffrir. Je comprends la démarche des parents : la maladie est inconnue, alors ils voulaient se tourner vers un autre hôpital pour avoir l’avis d’une autre équipe médicale. C’est pour ça qu’ils ont fait appel au Pape. Finalement on voit que les médecins ont le pouvoir de donner la mort !
  • Désirée : Imaginez que ce soit le Prince Louis qui soit atteint de cette maladie. Est-ce que les médecins auraient pris la même décision que pour Alfie ?

L’euthanasie est un sujet de débat dans de nombreux pays, y compris la France (notamment avec le douloureux cas de Vincent Lambert, à Reims). En Angleterre, l’euthanasie est condamnée par le code pénal et unanimement réprouvée par les pouvoirs publics, les médecins et les juristes. Mais, la jurisprudence reconnaît le droit pour un malade capable de refuser un traitement pour un « motif rationnel, ou irrationnel, voire sans raison ». Lorsque le patient est dans un état végétatif persistant, l'arrêt des médicaments, et notamment des antibiotiques, est légal. Cependant, la légalité de l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles n'est pas clairement établie ; c’est pourquoi l'Association médicale britannique conseille aux médecins d'obtenir au préalable une décision de justice. Il s'agit de soins fondamentaux qui revêtent une dimension symbolique et non médicale.

En général, le discours médical évolue vers l'inutilité de prolonger la vie à tout prix et l'arrêt des gestes médicaux disproportionnés avec la situation du patient. En France, la loi Claeys-Leonetti, adoptée en janvier 2016, instaure un « droit à la sédation profonde et continue » pour les personnes atteintes d’une maladie « grave et incurable » en phase terminale. La loi précise que les médecins ont le droit de plonger le patient dans le coma jusqu’à sa mort, parallèlement à l’arrêt des traitements. Cette « sédation profonde et continue » peut également s’accompagner de l’arrêt de l’hydratation et de la nutrition. En aucun cas la mort d’un patient en fin de vie ne peut être provoquée directement par un médecin qui injecterait une substance létale au malade. Contrairement à la Belgique, aux Pays Bas ou à la Suisse où la pratique de l’euthanasie active ou de l’aide au suicide sont autorisées par la loi.

En Belgique, depuis 2002, 14 573 personnes ont été « légalement euthanasiées » ; en 2016 : 2024 déclarations d’euthanasie ont été enregistrées, soit une moyenne de 6 par jour ! (Données de la Commission fédérale de contrôle belge)

Que dit l’Église ?

Son enseignement est clair, basé sur le cinquième commandement de Dieu (cf. Exode 20,13 et 23,7) et sur l’enseignement du Christ (Matthieu 5,21-22). Le Catéchisme de l’Église Catholique (CEC) répond clairement aux questions que l’on se pose sur le respect de la vie, l’euthanasie… Pour mémoire, rappelons ici deux articles :

2258. « La vie humaine est sacrée… personne en aucune circonstance ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent ».

2279. « Même si la mort est considérée comme imminente, les soins ordinairement dus à une personne malade ne peuvent être légitimement interrompus. L’usage des analgésiques pour alléger les souffrances du moribond, même au risque d’abréger ses jours, peut être moralement conforme à la dignité humaine si la mort n’est pas voulue, ni comme fin ni comme moyen, mais seulement prévue et tolérée comme inévitable. Les soins palliatifs constituent une forme privilégiée de la charité désintéressée. À ce titre ils doivent être encouragés. »

Actuellement, l’argument le plus employé pour justifier la légalisation de l’euthanasie et de l’assistance médicale au suicide est le respect de la dignité humaine : « Il faut assurer une mort digne ». Les opposants à l’euthanasie, dont bon nombre de soignants chrétiens ou non, militent aussi pour « le respect de la dignité de la personne en fin de vie » en développant les soins palliatifs. Il s’agit de conceptions différentes de l’anthropologie humaine qui compliquent les débats sur l’éthique médicale, opposant « le droit d’être soigné » au « droit de mourir ».

Il ne faudrait pas que « la raison du plus fort soit nécessairement la meilleure ». (cf. Jean de La Fontaine, Le loup et l’agneau).

Dominique Soupé

Une question : Et si l’euthanasie était une question d’économie ?… une unité de soins palliatifs coût cher !

© Cathédrale de Papeete - 2018

En marge de l’actualité…

« Protégeons notre maison commune »

Du 11 au 17 Avril avait lieu à Port Moresby (Papouasie - Nlle Guinée) l’Assemblée de tous les évêques d’Océanie, à savoir ceux d’Australie, de Nlle Zélande, de Papouasie Nlle Guinée, des îles Salomon et de la CEPAC qui regroupe toutes les autres îles d’Océanie (Guam, Carolines, Saipan, Tuvalu, Marshall, Suva, Samoa Apia et Pago Pago, Tonga, Nlle Calédonie, Wallis et Futuna, Vanuatu, Rarotonga, Kiribati) et dont font partie les diocèses des îles Marquises et de Papeete… soit près de 80 évêques. Étaient également présents à ce temps fort de l’Église en Océanie les trois Nonces en fonction dans cette vaste partie du monde ainsi que le Cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’état du Vatican, bras droit du Saint Père et à ce titre, n°2 de l’Église Catholique. Le thème principal choisi pour cette rencontre était (traduit en Français) : « Protégeons notre maison commune d’Océanie – Un océan de possibilités ». Un certain nombre d’experts avaient été invités pour alerter sur les menaces qui planent sur les populations, surtout en Océanie et qui portent gravement atteinte à l’équilibre écologique si fragile mais si important pour ces îles du Pacifique : changement climatique avec montée du niveau de l’océan, fréquence grandissante des cyclones… engendrant de redoutables conséquences pour les communautés humaines parfois obligées de quitter leur sol natal. Derrière ces phénomènes, furent pointées du doigt une industrialisation s’accompagnant d’émission de carbone désastreuse pour la nature et le climat, et des projets d’exploitation minière des fonds sous-marins, qui risquent fort de porter atteinte aux richesses que renferme l’océan, richesses qui doivent profiter en premier lieu aux populations locales.

Plus encore fut rappelée l’importance d’une prise de conscience de la part de tous, particulièrement des décideurs en matière économique, et d’une solidarité grandissante entre nations industrialisées et aires géographiques impactées par les décisions prises par ces pays industriels. Car il n’est plus possible d’oublier que la terre et l’océan sont un patrimoine qui revient à tous et que tous devons en prendre soin. Les dérèglements de la nature et du climat se moquent des frontières ! Dans cette prise de conscience, l’Église doit avoir son mot à dire.

Dans sa lettre encyclique « Laudato si », le Pape François nous rappelle que tous les humains sont liés par leur appartenance à une « maison commune », la terre. Il nous invite à partager le regard que Jésus portait sur la création. Jésus nous dit que Dieu prend soin de toute créature : « Regardez les oiseaux du ciel… Votre Père céleste les nourrit » (Mt 6, 26) « Ne vend-on pas cinq moineaux pour deux sous ? Or pas un seul n’est oublié au regard de Dieu » (Lc 12, 6) Il admire la création et dans ses paraboles, il se réfère à la semence jetée en terre ou dans les épines, au grain de sénevé qui devient un arbre, au ciel qui rougeoie le soir, au vent dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va, à la perle découverte par le négociant, à la vigne qui porte du fruit, aux lys des champs plus magnifiquement parés que le roi Salomon … Plus encore, la mer et les vents lui obéissent ! Enfin, nous rappelle le Pape François, « le destin de toute création passe par le mystère du Christ qui est présent depuis l’origine de toute chose : « Tout est créé par lui et pour lui » (Col 1, 16)… Il revient à chacun de se sentir responsable à son niveau et de prendre conscience des enjeux. Voilà une belle façon d’être disciple du Christ !

+ Monseigneur Jean Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete - 2018

Audience générale…

Le diable divise alors que Dieu unit

Lors de l’audience générale de ce mercredi 2 mai place Saint-Pierre, le Pape a poursuivi sa réflexion sur le baptême, et en particulier sur les rites centraux qui se déroulent près des fonts baptismaux.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Poursuivant la réflexion sur le baptême, je voudrais aujourd’hui m’arrêter sur les rites centraux qui se déroulent devant les fonts baptismaux.

Considérons avant tout l’eau, sur laquelle est invoquée la puissance de l’Esprit afin qu’elle ait la force de régénérer et de renouveler (cf. Jn 3,5 et Tt 3,5). L’eau est matrice de vie et de bien-être, tandis que son absence fait s’éteindre toute fécondité, comme cela se produit dans le désert ; mais l’eau peut aussi être cause de mort, quand elle submerge par ses flots ou quand, en grande quantité, elle renverse tout ; enfin, l’eau a la capacité de laver, de nettoyer et de purifier.

À partir de ce symbolisme naturel, universellement reconnu, la Bible décrit les interventions et les promesses de Dieu à travers le signe de l’eau. Toutefois, le pouvoir de remettre les péchés ne vient pas de l’eau en elle-même, comme l’expliquait saint Ambroise aux nouveaux-baptisés : « Tu as vu l’eau. Cependant toute eau ne guérit pas, mais l’eau qui a la grâce du Christ guérit. […] L’acte s’accomplit avec de l’eau, mais l’efficacité vient de l’Esprit-Saint » (De Sacramentis 1,15).

C’est pourquoi l’Église invoque l’action de l’Esprit sur l’eau « pour que ceux qui recevront en elle le baptême soient ensevelis dans la mort avec le Christ et qu’ils ressuscitent avec lui à la vie immortelle » (Rite du baptême des enfants, n.60). La prière de bénédiction dit que Dieu a préparé l’eau « à être le signe du baptême » et rappelle les principales préfigurations bibliques : sur les eaux des origines planait l’Esprit pour qu’elles deviennent germe de vie (cf. Gen 1,1-2) ; l’eau du déluge a marqué la fin du péché et le commencement de la vie nouvelle (cf. Gen 7,6-8,22) ; à travers l’eau de la Mer Rouge, les fils d’Abraham furent libérés de l’esclavage d’Égypte (cf. Ex 14,15-31). En relation avec Jésus, on rappelle le baptême dans le Jourdain (cf. Mt 3,13-17), le sang et l’eau qui ont coulé de son côté (cf. Jn 19,31-37) et la mission donnée aux disciples de baptiser tous les peuples au nom de la Trinité (cf. Mt 28,19).

Forts d’une telle mémoire, on demande à Dieu d’insuffler à l’eau des fonts baptismaux la grâce du Christ mort et ressuscité (cf. Rite du baptême des enfants, n.60). Et ainsi cette eau est transformée en eau qui porte en elle la force de l’Esprit-Saint. Et avec cette eau, pleine de la force de l’Esprit-Saint, nous baptisons les gens, nous baptisons les adultes, les enfants, tout le monde.

Une fois sanctifiée l’eau des fonts, il faut disposer son cœur pour accéder au baptême. Cela se fait avec la renonciation à Satan et la profession de foi, deux actes étroitement liés entre eux. Dans la mesure où je dis « non » aux suggestions du diable – celui qui divise – je suis en mesure de dire « oui » à Dieu qui m’appelle à me conformer à lui dans mes pensées et dans mes œuvres. Le diable divise ; Dieu unit toujours la communauté, les gens en un seul peuple. Il n’est pas possible d’adhérer au Christ en mettant des conditions. Il faut se détacher de certains liens pour pouvoir en embrasser véritablement d’autres ; ou tu es bien avec Dieu ou tu es bien avec le diable. C’est pourquoi le renoncement et l’acte de foi vont ensemble. Il faut couper des ponts, en les laissant derrière soi, pour emprunter la voie nouvelle qu’est le Christ.

La réponse aux questions : « Renoncez-vous à Satan, à toutes ses œuvres et à toutes ses séductions ? » est formulée à la première personne du singulier : « Je renonce ». Et de la même manière, on professe la foi de l’Église, en disant : « Je crois ». Je renonce et je crois : c’est à la base du baptême. C’est un choix responsable qui exige d’être traduit en gestes concrets de confiance en Dieu. L’acte de foi suppose un engagement que le baptême aidera à maintenir avec persévérance dans les diverses situations et épreuves de la vie. Souvenons-nous de l’ancienne sagesse d’Israël : « Mon fils, si tu viens te mettre au service du Seigneur, prépare-toi à subir l’épreuve » (Sir 2,1), c’est-à-dire prépare-toi au combat. Et la présence de l’Esprit-Saint nous donne la force de bien combattre.

Chers frères et sœurs, lorsque nous mettons la main dans l’eau bénite – en entrant dans une Église, nous touchons l’eau bénite – et que nous faisons le signe de croix, nous pensons avec joie et gratitude au baptême que nous avons reçu – cette eau bénite nous rappelle le baptême – et nous renouvelons notre « Amen », « Je suis content », pour vivre immergés dans l’amour de la Très Sainte Trinité.

© Libreria Editrice Vaticana – 2018

Exhortation apostolique « Gaudete et exultate »…

L’appel à la sainteté dans le monde actuel

Le 9 avril 2018 a été publiée l’exhortation apostolique du Pape François sur la sainteté. « Gaudete et exsultate », - « Soyez dans la joie et l’allégresse » (Mt 5, 12). C’ est un document d’une quarantaine de pages, divisé en 5 chapitres et 177 paragraphes. D’emblée, le Souverain Pontife précise qu’il ne s’agit nullement d’un traité savant sur la question, mais bien d’un appel à une sainteté simple et joyeuse dans le monde actuel, « avec ses risques, ses défis et ses opportunités ». Nous vous proposons de la lire à raison d’une petite partie chaque semaine.

Premier chapitre

L’APPEL À LA SAINTETÉ

Pour toi aussi

14. Pour être saint, il n’est pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuse ou religieux. Bien des fois, nous sommes tentés de penser que la sainteté n’est réservée qu’à ceux qui ont la possibilité de prendre de la distance par rapport aux occupations ordinaires, afin de consacrer beaucoup de temps à la prière. Il n’en est pas ainsi. Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve. Es-tu une consacrée ou un consacré ? Sois saint en vivant avec joie ton engagement. Es-tu marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un travailleur ? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères. Es-tu père, mère, grand-père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels[14].

15. Laisse la grâce de ton baptême porter du fruit dans un cheminement de sainteté. Permets que tout soit ouvert à Dieu et pour cela choisis-le, choisis Dieu sans relâche. Ne te décourage pas, parce que tu as la force de l’Esprit Saint pour que ce soit possible ; et la sainteté, au fond, c’est le fruit de l’Esprit Saint dans ta vie (cf. Ga 5, 22-23). Quand tu sens la tentation de t’enliser dans ta fragilité, lève les yeux vers le Crucifié et dis-lui : ‘‘Seigneur, je suis un pauvre, mais tu peux réaliser le miracle de me rendre meilleur’’. Dans l’Église, sainte et composée de pécheurs, tu trouveras tout ce dont tu as besoin pour progresser vers la sainteté. Le Seigneur l’a remplie de dons par sa Parole, par les sacrements, les sanctuaires, la vie des communautés, le témoignage de ses saints, et par une beauté multiforme qui provient de l’amour du Seigneur, « comme la fiancée qui se pare de ses bijoux » (Is 61, 10).

16. Cette sainteté à laquelle le Seigneur t’appelle grandira par de petits gestes. Par exemple : une dame va au marché pour faire des achats, elle rencontre une voisine et commence à parler, et les critiques arrivent. Mais cette femme se dit en elle-même : « Non, je ne dirai du mal de personne ». Voilà un pas dans la sainteté ! Ensuite, à la maison, son enfant a besoin de parler de ses rêves, et, bien qu’elle soit fatiguée, elle s’assoit à côté de lui et l’écoute avec patience et affection. Voilà une autre offrande qui sanctifie ! Ensuite, elle connaît un moment d’angoisse, mais elle se souvient de l’amour de la Vierge Marie, prend le chapelet et prie avec foi. Voilà une autre voie de sainteté ! Elle sort après dans la rue, rencontre un pauvre et s’arrête pour échanger avec lui avec affection. Voilà un autre pas !

17. Parfois, la vie présente des défis importants et à travers eux le Seigneur nous invite à de nouvelles conversions qui permettent à sa grâce de mieux se manifester dans notre existence « afin de nous faire participer à sa sainteté » (He 12, 10). D’autres fois il ne s’agit que de trouver une forme plus parfaite de vivre ce que nous vivons déjà : « Il y a des inspirations qui tendent seulement à une extraordinaire perfection des exercices ordinaires de la vie chrétienne »[15]. Quand le Cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân était en prison, il avait renoncé à s’évertuer à demander sa libération. Son choix était de vivre « le moment présent en le comblant d’amour » ; et voilà la manière dont cela se concrétisait : « Je saisis les occasions qui se présentent chaque jour, pour accomplir les actes ordinaires de façon extraordinaire »[16].

18. Ainsi, sous l’impulsion de la grâce divine, par de nombreux gestes, nous construisons ce modèle de sainteté que Dieu a voulu, non pas en tant qu’êtres autosuffisants mais « comme de bons intendants d’une multiple grâce de Dieu » (1 P 4, 10). Comme nous l’ont bien rappelé les Évêques de Nouvelle Zélande, l’amour inconditionnel du Seigneur est possible parce que le Ressuscité partage sa vie puissante avec nos vies fragiles : « Son amour n’a pas de limites et, une fois donné, il ne recule jamais. Il a été inconditionnel et demeure fidèle. Aimer ainsi n’est pas facile, car souvent nous sommes vraiment faibles. Mais précisément pour que nous nous efforcions d’aimer comme le Christ nous a aimés, le Christ partage sa propre vie ressuscitée avec nous. Ainsi, nos vies révèlent son pouvoir en action, y compris au milieu de la faiblesse humaine »[17]. 

Ta mission dans le Christ

19. Pour un chrétien, il n’est pas possible de penser à sa propre mission sur terre sans la concevoir comme un chemin de sainteté, car « voici quelle est la volonté de Dieu : c’est votre sanctification » (1 Th 4, 3). Chaque saint est une mission ; il est un projet du Père pour refléter et incarner, à un moment déterminé de l’histoire, un aspect de l’Évangile.

20. Cette mission trouve son sens plénier dans le Christ et ne se comprend qu’à partir de lui. Au fond, la sainteté, c’est vivre les mystères de sa vie en union avec lui. Elle consiste à s’associer à la mort et à la résurrection du Seigneur d’une manière unique et personnelle, à mourir et à ressusciter constamment avec lui. Mais cela peut impliquer également de reproduire dans l’existence personnelle divers aspects de la vie terrestre de Jésus : sa vie cachée, sa vie communautaire, sa proximité avec les derniers, sa pauvreté et d’autres manifestations du don de lui-même par amour. La contemplation de ces mystères, comme le proposait saint Ignace de Loyola, nous amène à les faire chair dans nos choix et dans nos attitudes[18]. Car « tout dans la vie de Jésus est signe de son mystère »,[19] « toute la vie du Christ est Révélation du Père »[20], « toute la vie du Christ est mystère de Rédemption »[21], « toute la vie du Christ est mystère de Récapitulation »[22], et « tout ce que le Christ a vécu, il fait que nous puissions le vivre en lui et qu’il le vive en nous »[23].

21. Le dessein du Père, c’est le Christ, et nous en lui. En dernière analyse, c’est le Christ aimant en nous, car « la sainteté n’est rien d’autre que la charité pleinement vécue »[24]. C’est pourquoi, « la mesure de la sainteté est donnée par la stature que le Christ atteint en nous, par la mesure dans laquelle, avec la force de l’Esprit Saint, nous modelons toute notre vie sur la sienne »[25]. Ainsi, chaque saint est un message que l’Esprit Saint puise dans la richesse de Jésus-Christ et offre à son peuple.

22. Pour reconnaître quelle est cette parole que le Seigneur veut dire à travers un saint, il ne faut pas s’arrêter aux détails, car là aussi il peut y avoir des erreurs et des chutes. Tout ce que dit un saint n’est pas forcément fidèle à l’Évangile, tout ce qu’il fait n’est pas nécessairement authentique et parfait. Ce qu’il faut considérer, c’est l’ensemble de sa vie, tout son cheminement de sanctification, cette figure qui reflète quelque chose de Jésus-Christ et qui se révèle quand on parvient à percevoir le sens de la totalité de sa personne[26].

23. Pour nous tous, c’est un rappel fort. Toi aussi, tu as besoin de percevoir la totalité de ta vie comme une mission. Essaie de le faire en écoutant Dieu dans la prière et en reconnaissant les signes qu’il te donne. Demande toujours à l’Esprit ce que Jésus attend de toi à chaque moment de ton existence et dans chaque choix que tu dois faire, pour discerner la place que cela occupe dans ta propre mission. Et permets-lui de forger en toi ce mystère personnel qui reflète Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui.

24. Puisses-tu reconnaître quelle est cette parole, ce message de Jésus que Dieu veut délivrer au monde par ta vie ! Laisse-toi transformer, laisse-toi renouveler par l’Esprit pour que cela soit possible, et qu’ainsi ta belle mission ne soit pas compromise. Le Seigneur l’accomplira même au milieu de tes erreurs et de tes mauvaises passes, pourvu que tu n’abandonnes pas le chemin de l’amour et que tu sois toujours ouvert à son action surnaturelle qui purifie et illumine. 

L’activité qui sanctifie 

25. Comme tu ne peux pas comprendre le Christ sans le Royaume qu’il est venu apporter, ta propre mission est inséparable de la construction de ce Royaume : « Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33). Ton identification avec le Christ et avec ses désirs implique l’engagement à construire, avec lui, ce Royaume d’amour, de justice et de paix pour tout le monde. Le Christ lui-même veut le vivre avec toi, dans tous les efforts ou les renoncements que cela implique, et également dans les joies et dans la fécondité qu’il peut t’offrir. Par conséquent, tu ne te sanctifieras pas sans te donner corps et âme pour offrir le meilleur de toi-même dans cet engagement. 

26. Il n’est pas sain d’aimer le silence et de fuir la rencontre avec l’autre, de souhaiter le repos et d’éviter l’activité, de chercher la prière et de mépriser le service. Tout peut être accepté et être intégré comme faisant partie de l’existence personnelle dans ce monde, et être incorporé au cheminement de sanctification. Nous sommes appelés à vivre la contemplation également au sein de l’action, et nous nous sanctifions dans l’exercice responsable et généreux de notre propre mission.

27. L’Esprit Saint peut-il nous inciter à accomplir une mission et en même temps nous demander de la fuir, ou d’éviter de nous engager totalement pour préserver la paix intérieure ? Cependant, nous sommes parfois tentés de reléguer au second plan le dévouement pastoral ou l’engagement dans le monde, comme si c’étaient des ‘‘distractions’’ sur le chemin de la sanctification et de la paix intérieure. On oublie que « la vie n’a pas une mission, mais qu’elle est mission »[27].

28. Une tâche accomplie sous l’impulsion de l’anxiété, de l’orgueil, du besoin de paraître et de dominer, ne sera sûrement pas sanctifiante. Le défi, c’est de vivre son propre engagement de façon à ce que les efforts aient un sens évangélique et nous identifient toujours davantage avec Jésus-Christ. C’est pourquoi on a coutume de parler, par exemple, d’une spiritualité du catéchiste, d’une spiritualité du clergé diocésain, d’une spiritualité du travail. C’est pour la même raison que, dans Evangelii gaudium, j’ai voulu conclure par une spiritualité de la mission, dans Laudato si’, par une spiritualité écologique et, dans Amoris laetitia, par une spiritualité de la vie familiale.

29. Cela n’implique pas de déprécier les moments de quiétude, de solitude et de silence devant Dieu. Bien au contraire ! Car les nouveautés constantes des moyens technologiques, l’attraction des voyages, les innombrables offres de consommation, ne laissent pas parfois d’espaces libres où la voix de Dieu puisse résonner. Tout se remplit de paroles, de jouissances épidermiques et de bruit à une vitesse toujours croissante. Il n’y règne pas la joie mais plutôt l’insatisfaction de celui qui ne sait pas pourquoi il vit. Comment donc ne pas reconnaître que nous avons besoin d’arrêter cette course fébrile pour retrouver un espace personnel, parfois douloureux mais toujours fécond, où s’établit le dialogue sincère avec Dieu ? À un certain moment, nous devrons regarder en face notre propre vérité, pour la laisser envahir par le Seigneur, et on n’y parvient pas toujours si « on ne se sent pas au bord de l’abîme de la tentation la plus étouffante, si on ne sent pas le vertige du précipice de l’abandon le plus désespéré, si on ne se trouve pas absolument seul, au faîte de la solitude la plus radicale »[28]. C’est ainsi que nous trouvons les grandes motivations qui nous incitent à vivre à fond les devoirs personnels.

30. Les mêmes moyens de distraction qui envahissent la vie actuelle nous conduisent aussi à absolutiser le temps libre au cours duquel nous pouvons utiliser sans limites ces dispositifs qui nous offrent du divertissement ou des plaisirs éphémères[29]. Par voie de conséquence, c’est la mission elle-même qui s’en ressent, c’est l’engagement qui s’affaiblit, c’est le service généreux et disponible qui commence à en pâtir. Cela dénature l’expérience spirituelle. Une ferveur spirituelle peut-elle cohabiter avec une lassitude dans l’œuvre d’évangélisation ou dans le service des autres ? 

31. Il nous faut un esprit de sainteté qui imprègne aussi bien la solitude que le service, aussi bien l’intimité que l’œuvre d’évangélisation, en sorte que chaque instant soit l’expression d’un amour dévoué sous le regard du Seigneur. Ainsi, tous les moments seront des marches sur notre chemin de sanctification. 

Plus vivants, plus frères

32. N’aie pas peur de la sainteté. Elle ne t’enlèvera pas les forces, ni la vie ni la joie. C’est tout le contraire, car tu arriveras à être ce que le Père a pensé quand il t’a créé et tu seras fidèle à ton propre être. Dépendre de lui nous libère des esclavages et nous conduit à reconnaître notre propre dignité. Cela se reflète en sainte Joséphine Bakhita qui « enlevée et vendue en esclavage à l’âge de 7 ans, […] endura de nombreuses souffrances entre les mains de maîtres cruels. Mais elle comprit que la vérité profonde est que Dieu, et non pas l’homme, est le véritable Maître de chaque être humain, de toute vie humaine. L’expérience devint une source de profonde sagesse pour cette humble fille d'Afrique »[30]. 

33. Dans la mesure où il se sanctifie, chaque chrétien devient plus fécond pour le monde. Les évêques de l’Afrique occidentale nous ont enseigné : « Nous sommes appelés dans l’esprit de la Nouvelle Évangélisation à nous laisser évangéliser et à évangéliser à travers les responsabilités confiées à tous les baptisés. Nous devons jouer notre rôle en tant que sel de la terre et lumière du monde où que nous nous trouvions »[31].

34. N’aie pas peur de viser plus haut, de te laisser aimer et libérer par Dieu. N’aie pas peur de te laisser guider par l’Esprit Saint. La sainteté ne te rend pas moins humain, car c’est la rencontre de ta faiblesse avec la force de la grâce. Au fond, comme disait Léon Bloy, dans la vie « il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints »[32].

© Libreria Editrice Vaticana – 2018

Commentaire des lectures du dimanche

Il y a quelque chose de terrible dans notre langue française … Nous n’avons qu’un seul verbe pour décrire deux actions sans commune mesure : aimer Dieu ou aimer une page Facebook. Le Français a beau avoir la réputation d’être la langue de l’amour, il faut reconnaître sa pauvreté par rapport à d’autres langues comme l’anglais ou l’espagnol. Cela ne nous aide pas à voir clair dans ce qu’est vraiment l’amour. La 1re lettre de saint Jean vient heureusement à notre secours : « Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés. » La réponse à ce qu’est l’amour ne se trouve donc pas du côté humain : ce n’est pas parce que nous voulons aimer que nous savons aimer. C’est Dieu qui nous dévoile ce qu’est l’amour puisque « Dieu est amour ». En d’autres termes, si nous voulons savoir ce qu’est l’amour véritable, il nous faut connaître Dieu ; connaître, non pas au sens purement intellectuel mais au sens biblique : connaître, c’est faire l’expérience avec son cœur, son intelligence, sa volonté et sa sensibilité. « L’amour vient de Dieu. » En nous tournant vers Dieu, nous nous tournons donc vers la source de tout amour véritable.

Cette recherche de l’amour divin n’est heureusement pas une quête ésotérique réservée à un petit nombre d’initiés ou à certains clubs d’élites. En effet, l’Amour s’est lui-même manifesté. Il a été exposé sous nos yeux et ceux de toute l’humanité, sur la croix : Dieu « a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés. » « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés » dit Jésus à chaque personne humaine. Pour toi, j’ai donné ma vie, avant même que tu me connaisses. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Voilà l’objectivité de l’amour. L’amour que Dieu nous révèle n’est pas une idée, un concept ; ce n’est pas non plus un sentiment éphémère ou une passion furtive. C’est un fait historique, celui d’une vie donnée gratuitement, le prix d’une existence livrée. L’amour peut se dire par des paroles mais il se vérifie, il s’éprouve par des actes.

Dans son Manuscrit C où Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus médite sur le mystère de la charité, elle affirme : « ce n’est pas assez d’aimer, il faut le prouver. » (C 15v°) Et ce besoin de prouver son amour à Jésus habite le cœur de la carmélite : « Mon cœur ardent veut se donner sans cesse. Il a besoin de prouver sa tendresse. (…) C’est à toi seul, Jésus, que je m’attache. C’est en tes bras que j’accours et me cache, Je veux t’aimer comme un petit enfant, Je veux lutter comme un guerrier vaillant. » (P 36, 1.3) Thérèse veut aimer, elle veut prouver son amour au Bon Dieu. Mais comment fera-t-elle ? Elle le dit elle-même dans le manuscrit B que je cite longuement : « Oui mon Bien-Aimé, voilà comment se consumera ma vie… Je n’ai d’autre moyen de te prouver mon amour, que de jeter des fleurs, c’est-à-dire de ne laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard, aucune parole, de profiter de toutes les plus petites choses et de les faire par amour… Je veux souffrir par amour et même jouir par amour, ainsi je jetterai des fleurs devant ton trône ; je n’en rencontrerai pas une sans l’effeuiller pour toi… puis en jetant mes fleurs, je chanterai, (…) je chanterai, même lorsqu’il me faudra cueillir mes fleurs au milieu des épines et mon chant sera d’autant plus mélodieux que les épines seront longues et piquantes. » (B 4r-v°)

Prouver son amour à Jésus en jetant des fleurs, c’est-à-dire en se servant de tous les petits évènements de sa vie, joyeux ou douloureux, pour tout rapporter à Dieu, dans l’action de grâces ou dans la supplication. Prouver son amour à Jésus, c’est dire un grand OUI à la vie, en la vivant avec le Seigneur. C’est comprendre que j’ai reçu assez d’amour de la part du Seigneur pour vivre ce que j’ai à vivre, même si c’est difficile. Car l’amour dont parle Thérèse, ce n’est pas de la mièvrerie, c’est la traversée du vide et de la souffrance, c’est le service quotidien de la sœur qu’elle ne peut pas voir en peinture, c’est la nuit de la foi vécue par amour de ceux qui n’ont pas la foi. « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même. » (P54,22) Voilà à quel amour nous sommes tous appelés !

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Le Christ ne nous a pas aimés à moitié ou sur le bout des lèvres. Si nous demeurons dans son amour, si nous choisissons de devenir ses amis, nous nous engageons sur le chemin de l’amour véritable. Bien sûr, c’est un chemin : l’amour véritable s’apprend. Mais il ne faut pas craindre. Le Seigneur use d’une pédagogie adaptée à chacun : il nous donne ce dont nous avons besoin et ne nous demande pas plus que ce que nous pouvons donner comme amour. Il éclaire aussi notre intelligence comme nous le voyons dans la 1re lecture : le bon Juif qu’est Pierre découvre en visitant le centurion Corneille que l’amour de Dieu ne se limite pas à Israël mais que son salut concerne l’univers païen. « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. » L’Esprit Saint l’éclaire pour lui faire approfondir ce qu’est l’amour et le conduire à décider de baptiser Corneille et les siens. Voilà ce qu’est le chemin de l’amour véritable. Il consiste à décider d’aimer Jésus en cherchant à le connaître. Il consiste à choisir de se laisser guider par son Esprit pour mieux comprendre ce que veut dire aimer les autres, comme Lui nous a aimés. Il consiste enfin à prouver concrètement notre amour par une mise en pratique de l’amour du prochain dans les petites occasions du quotidien : dans ma famille, ma communauté, au travail, dans ma paroisse, dans le métro.

Et c’est comme cela que nous deviendrons les témoins de l’amour véritable. Le Christ nous a choisis et établis pour que nous partions et portions du fruit. Il nous envoie témoigner de son amour, c’est-à-dire enseigner aux autres ce qu’est l’amour véritable. Mais cet amour ne s’enseigne pas tant par des paroles que par des gestes, des gestes désintéressés et gratuits qui montrent que l’amour qui les habite ne vient pas de nous mais de Celui qui est Amour, Dieu. Ce que ne peut traduire notre langue française, il faut donc inventer une nouvelle langue, celle des gestes de l’amour. Jésus nous a laissé un exemple, celui du lavement des pieds. A nous de faire de même et d’en trouver de nouvelles expressions, pour que l’amour soit dit de multiples manières. Et aussi pour que ses contrefaçons soit dénoncées par contraste.

« Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » Frères et sœurs, rendons grâces d’avoir été choisis par le Christ pour devenir ses amis et pour connaître ce qu’est l’amour qui ne déçoit pas. Demandons à l’Esprit Saint la grâce de ne pas défigurer cet amour mais d’en être les fragiles icônes. Amen.

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd

© Carmel.asso – 2015