Pko 25.05.2017 Ascension

Eglise cath papeete 1

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°29/2017

Jeudi 25 mai 2017 – Ascension du Seigneur – Année A

L’Ascension

Question d’exégèse : de quelle Ascension parle-t-on ?

Revenons maintenant sur le débat exégétique pour constater qu’il existe un réel problème : À s’en tenir aux textes évangéliques, il existe plusieurs présentations du fait de l’Ascension qui paraissent difficilement conciliables entre elles.

La première difficulté, bien connue, est celle qui résulte du désaccord existant entre la finale de l’Évangile de Luc et le début des Actes, deux textes réputés néanmoins du même auteur. On connaît la présentation de la Résurrection à la fin du troisième évangile (chapitre 24) qui se répartit en trois volets :

1. autour du tombeau (v.1-12) : les saintes femmes reçoivent des anges une première annonce ; elles ne sont pas crues ; Pierre vient constater que le tombeau est vide.

2. sur la route d’Emmaüs (v.13-35) : deux disciples découragés rencontrent Jésus et découvrent son identité au terme de leur route avec lui. Ils rentrent tout de suite à Jérusalem apporter la nouvelle.

3. au Cénacle (v.36-53) : Jésus se montre aux Onze rassemblés, il leur permet de constater la réalité de sa Résurrection, puis il les entraîne sur le Mont des Oliviers et il est emporté au ciel.

Ces trois parties sont très fortement liées entre elles, toutes les manifestations du Christ ressuscité convergeant vers la rencontre avec les Apôtres qui devront ensuite être les témoins de la Résurrection.

L’intervalle chronologique entre ces différentes scènes est très faible. Les disciples d’Emmaüs rencontrent le Christ « ce jour même » (celui de Pâques) ; l’ayant reconnu, ils partent « sur l’heure » et rentrent à Jérusalem, « ils parlaient encore » quand le Christ apparaît au Cénacle. Les derniers enseignements et l’Ascension sont introduits par une liaison plus vague (« puis »), mais ne supposent pas un très long intervalle. Comme l’écrit le P. Benoît : s’il (Luc) n’a pas voulu les placer en un même jour, il a au moins accepté de donner cette impression.

Dans le chapitre 1 des Actes au contraire, le délai de quarante jours est bien marqué : il est donné explicitement comme le laps de temps nécessaire à accréditer définitivement la Résurrection par plusieurs apparitions, et également comme l’occasion de divers enseignements sur le Royaume de Dieu. On sait que Luc marque ainsi la jointure entre le temps de la vie du Christ et le temps de l’Église, selon une vision de l’histoire du salut qui lui est particulièrement chère : les apparitions sont l’achèvement de l’économie du Christ ; avec l’Ascension et la Pentecôte commence l’aventure de l’Église qui rejoue sur son mode propre celle de Jésus-Christ.

D’un autre côté, la critique a montré que Jn 20,17 « Va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » ne pouvait guère renvoyer à l’événement décrit par le chapitre 1 des Actes, en dépit des commentateurs anciens. Jésus n’a nullement besoin de faire avertir ses disciples de l’Ascension par Marie-Madeleine, puisqu’ils se reverront avant et que cette Ascension se déroulera, d’après le témoignage des Actes, en leur présence. De toute évidence, il s’agit de quelque chose d’imminent et de caché. Le présent « je monte », comme l’a remarqué entres autres le P. Benoît, ne peut viser qu’un futur proche et non un épisode séparé par quarante jours.

On ne peut néanmoins parler de deux présentations de l’Ascension : une située le jour de Pâques et qui serait commune à Jn 20 et à Lc 24, l’autre réservée aux Actes, quarante jours plus tard. C’est bien de la même scène que parle Luc dans son évangile et dans les Actes ; le prologue de ce dernier ouvrage fait visiblement allusion à la fin de son « premier livre », où est déjà mentionnée l’Ascension (jusqu’au jour où, après avoir donné ses instructions aux Apôtres... il fut enlevé au ciel). Il se peut, comme l’ont suggéré certains auteurs, que le début des Actes soit justement là pour compléter la finale de l’Évangile, en intégrant des informations dont Luc ne disposait pas au moment de la rédaction de son Évangile. Ajoutons que l’Ascension de Lc 24 se distingue essentiellement de celle dont parle Jn 20 par son caractère visible et quasi public. On ne saurait donc citer ce texte pour affirmer deux traditions rivales.

La seule vraie difficulté vient donc de Jn 20,17, dont nous tirons peut-être trop facilement la conclusion qu’elle parle d’un événement intérieur et contemporain de la Résurrection.

On dit couramment, et cela est incontestable, que le quatrième évangile ignore toute disparition du Christ ressuscité. Qu’on arrête le texte primitif à la fin du chapitre 20, ou qu’on prenne l’épisode rajouté du chapitre 21, le récit se termine sur la présence du Christ au milieu de ses Apôtres, sans indiquer, semble-t-il, aucune limite à cette présence. L’Ascension de Jn 20, 17 ne marque donc plus, comme dans Ac 1, la fin des apparitions. Là où Luc indiquait une coupure entre le temps du Christ et celui de l’Église, Jean soulignerait au contraire une continuité : la vie de l’Église est une participation à l’existence du Ressuscité, présent sacramentellement au milieu des siens (les connotations sacramentelles sont vraisemblables en Jn 20, 22-23 et en Jn 21, 13 ; mais elles ne sont pas non plus absentes de Lc 24). C’est pourquoi l’Ascension ne pourrait plus être qu’un événement intérieur, méta-historique, non distinct dans le temps de la Résurrection, de même que la « petite Pentecôte » de Jn 20, 22-23 rendrait inutile la mise en scène lucanienne d’une effusion publique de l’Esprit marquant la naissance de l’Église.

Ce genre de considération pèche encore une fois par a priori. Repérer une tendance chez un évangéliste est une chose ; supposer qu’il a fait passer par cet unique filtre toutes les données dont il disposait sur Jésus est excessif. On constate que le récit johannique des apparitions ne nous plonge nullement dans une ambiance intemporelle : « Le soir du premier jour de la semaine » (20, 19), « huit jours plus tard » (20, 26), « après cela » (21, 1), sans parler du « pas encore » de Jn 20, 17. Les apparitions sont datées et se déroulent, semble-t-il, dans un laps de temps assez bref, qui n’est nullement incompatible avec les quarante jours de Luc. Si l’évangile ne parle pas d’une disparition de Jésus, il considère néanmoins que les signes de Jésus (20,30), ou encore ses actions (21,25), parmi lesquelles il faut compter les apparitions, forment une série nécessairement close, même s’il est impossible d’en donner l’énumération exhaustive.

D’autre part, il n’est pas exact de dire qu’il n’a jamais été question d’un départ du Christ dans le quatrième évangile. C’est au contraire une notion fort répandue, spécialement dans les discours après la Cène. Il est notable que le départ est donné comme condition d’une nouvelle visibilité (16, 16) et du don du Saint-Esprit (16, 7). Tout cela pourrait s’entendre de la Passion du Christ qui est un départ suivi d’un retour, mais il semble difficile d’exclure la perspective de l’Ascension, notamment dans le passage où il est dit que le Christ part nous préparer une place et qu’il viendra nous prendre avec lui (14, 3).

En fait, le temps des apparitions est présenté par Jean dans cette ambiguïté essentielle : temps provisoire qui achève l’économie terrestre du Christ, il aboutit à un départ visible, il est aussi temps initial de la vie nouvelle, instaurée par le mystère pascal, il se prolonge dans toute l’existence de l’Église. Le second élément, fortement mis en valeur par Jean dans les chapitres 20 et 21, ne doit pas faire oublier le premier, mieux présenté dans Luc, mais présent chez Jean lui-même.

Ces considérations nous préparent peut-être à comprendre l’énigme du verset 17 de Jn 20, où l’Ascension (si c’est d’elle qu’il s’agit) est envisagée sous deux aspects :

  • en devenir (je monte — présent).
  • en acte (je ne suis pas encore monté — parfait).

À lire le texte dans son sens le plus obvie, on dirait qu’il y a quelque chose qui commence (qui a commencé dès la Résurrection) et quelque chose qui n’est pas encore réalisé ; un processus est engagé, qui n’a pas encore connu son terme. Se pourrait-il que l’Ascension, ce soit précisément ces deux réalités ?

La raison donnée par Jésus pour refuser les marques d’affection de Marie (ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père) est généralement interprétée comme le signe que le Christ est dans un état nouveau et ne peut être atteint de la façon dont il était accessible dans sa vie pré-pascale. C’est interpréter le texte exactement au rebours de ce qu’il affirme, comme si Jésus disait : « ne me touche pas, car je suis déjà monté vers mon Père » .

Parmi les commentateurs anciens et modernes qui ont aperçu la difficulté, il faut retenir quatre hypothèses principales :

1. Celle, apparemment récente, qui consiste à traduire : « Ne me retiens pas », au lieu de : « Ne me touche pas », comme si le geste possessif de Marie était en contradiction avec la tension du Christ vers le ciel.

2. Celle de Dom Delatte qui glose ainsi le passage : Ne vous attachez pas à moi comme pour me retenir, comme si vous deviez me perdre aussitôt, comme si cette entrevue était la dernière. Nous aurons encore l’occasion de nous revoir, car l’heure n’est pas venue pour moi de remonter à mon Père.

3. L’interprétation de saint Jean Chrysostome suppose que la défense formulée par le Christ (comprise comme : ne me touche pas) est destinée à faire prendre conscience à Marie du nouvel état dans lequel se trouve le corps du Christ : état « meilleur » que le précédent ; le second membre de phrase ne peut donc s’entendre que comme la réponse à une question tacite qui surgit dans l’esprit de son interlocutrice : Si tu me vois, ce n’est pas que je sois encore mortel, mais parce que je ne suis pas encore remonté... Beaucoup d’auteurs modernes suivent plus ou moins cette interprétation : le Christ voudrait détourner Marie d’un rapprochement trop sensible avec lui, au profit d’un service ecclésial, sa présence ne serait donc que provisoire et pédagogique.

4. Pour plusieurs auteurs patristiques, Jésus interdit à Marie de le toucher, car il n’est pas remonté au ciel envoyer le Saint-Esprit qui lui permettrait de le toucher vraiment dans la foi (saint Augustin) et dans l’eucharistie (saint Cyrille d’Alexandrie).

La première hypothèse, outre la difficulté de traduction (retenir au lieu de toucher), supposerait que le Christ ressuscité puisse être arrêté dans son Ascension vers le Père par un geste humain, ce qui est peu vraisemblable. Néanmoins l’idée d’une tension du Christ vers son ultime accomplissement dans l’Ascension nous paraît juste. La seconde, si charmante qu’elle soit, se heurte au contexte. Jésus ne paraît pas encourager le geste de Marie, mais lui proposer une tâche ecclésiale qui, la séparant dans un premier temps de lui, lui offre une autre possibilité, plus profonde, de rencontre avec lui. C’est là l’élément juste de la troisième hypothèse, mais celle-ci ne paraît pas résoudre de façon convaincante l’énigme du deuxième membre de phrase. Reste la quatrième, qui est la seule à regarder la difficulté en face. Elle suppose un réel inachèvement dans la rencontre que Marie-Madeleine peut faire du Christ avant son Ascension. Cet inaccomplissement n’est pas seulement subjectif (dans les dispositions de Marie qui ne seraient pas assez pures, par exemple), mais concerne le Christ lui-même. Un événement ne s’est pas encore produit qui permettrait une relation transformante et pourtant familière entre Jésus et ses disciples. En attendant, Jésus est tendu vers son Ascension, comme il était tendu vers l’Heure du Père.

Mais, en même temps, il est déjà en train de "monter". Il faut que Marie-Madeleine le fasse savoir. L’Ascension n’est pas seulement au terme des quarante jours, elle est déjà à l’œuvre dans ce temps où Jésus se manifeste sensiblement à ses disciples. Telle est, à ce qu’il nous semble, l’affirmation mystérieuse que Jésus confie en Jn 20, 17. 11 ne s’agit pas de séparer des scènes où la glorification du Christ serait acquise et d’autres où elle serait en devenir. Dans la même phrase, le Christ johannique dit l’inachèvement et le début de la réalisation.

© Revue Résurrection - 2008