PKO 24.12.2017
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°68/2017
Dimanche 24 décembre 2017 – 4ème Dimanche de l’Avent – Année B
Hommage au Père Pierre LE GUEVEL, ss.cc.
Père Pierre LE GUEVEL, ss.cc., arrivé à Tahiti le 2 septembre 1964, a rejoint la maison du Père ce lundi 18 décembre à Moorea où il demeurait en communauté depuis juillet 2013.
Religieux des Sacrés-Coeurs, le Père Pierre Le GUEVEL est né à Sèrent (Morbihan) le 30 janvier 1931. Profès le 8 septembre 1951. Prêtre le 6 juillet 1957 à Chateaudun (Eure et Loire). Il arrive à Tahiti en mars 1964. Passe à Hao, avant d'être en poste à Mooréa où il restaure, à partir de 1968, l'église d'Haapiti, et en plus du troupeau des chrétiens, il prend soin du troupeau de bœufs et de vaches de la mission. Curé de Paea et Papara de 1977 à 1992. Il garde la charge de la paroisse de Papara jusqu’au 30 juin 2013, après 36 ans comme curé. Il se retire au noviciat de la congrégation à Moorea.
À sa congrégation et à sa famille, la communauté paroissiale de la Cathédrale présente ses sincères condoléances.
Laissez-moi vous dire…
Noël : le temps des rencontres Une mangeoire qui change le cours de l’histoire !
L’approche de Noël suscite des générosités. On récolte des dons pour les pauvres, pour les SDF, pour les malades, pour les isolés, les prisonniers, les orphelins… etc… etc... Un paquet de riz, quelques conserves, quelques pièces de monnaie, un chèque, une parole d’encouragement… et on retourne à ses achats, à ses préoccupations… J’ai donné, mais… à qui ? J’ai partagé, mais… avec qui ?
Fin octobre, le Pape François a partagé cette même interrogation avec des représentants de l’Église et des personnalités politiques d’Europe lors d’un colloque organisé par la COMECE. Après avoir rappelé le rôle joué par Saint Benoît et les monastères dans le renouveau de l’Europe, le pape déclarait : « La première, et peut-être la plus grande contribution que les chrétiens puissent offrir à l’Europe d’aujourd’hui, c’est de lui rappeler qu’elle n’est pas un ensemble de nombres ou d’institutions, mais qu’elle est faite de personnes. Malheureusement, on remarque comment souvent tout débat se réduit facilement à une discussion de chiffres. Il n’y a pas les citoyens, il y a les suffrages. Il n’y a pas les migrants, il y a les quotas. Il n’y a pas les travailleurs, il y a les indicateurs économiques. Il n’y a pas les pauvres, il y a les seuils de pauvreté. Le caractère concret de la personne humaine est ainsi réduit à un principe abstrait, plus commode et plus apaisant. On en saisit la raison : les personnes ont des visages, elles nous obligent à une responsabilité réelle, active ‘‘personnelle’’ ; les chiffres nous occupent avec des raisonnements, certes utiles et importants, mais ils resteront toujours sans âme. Ils nous offrent l’alibi d’un désengagement, parce qu’ils ne nous touchent jamais dans la chair. » (Discours du Pape François aux participants à la Conférence ‘’(RE)THINGKING’ EUROPE’’, organisée par la COMECE [Commission des Episcopats de la Communauté Européenne], Rome, le 28 octobre 2017)
L’humoriste Coluche quand il eut l’idée de fonder les « restos du cœur » disait ceci : « Dieu a partagé le monde en deux : d’un côté les personnes qui ont la nourriture, de l’autre : les personnes qui ont de l’appétit ! » Il revient donc aux personnes de la première catégorie d’aller à la rencontre de celles qui ont faim. Il insistait pour que ce ne soit pas une simple distribution de nourriture mais que ce soit une véritable rencontre, un temps d’échange, de compréhension mutuelle. Une autre manière de mettre en application cette parole biblique : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez. » (Isaïe 55, 1)
L’attention aux personnes est une attitude fondamentale pour un chrétien. Rappelons-nous l’annonce faite aux bergers par les anges : « …vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » (Luc 2, 12) C’est une invitation à la rencontre, une rencontre qui dérange. Présenter une étable dans un lieu public … placer un nouveau-né dans une mangeoire … pour certains : cela fait désordre. Dieu qui se fait pauvre, un Enfant-Dieu dans une mangeoire au XXIème siècle… vous n’y pensez pas ! Et pourtant Noël c’est ça : une rencontre personnelle avec un frère, une sœur, un(e) ami(e) qui a besoin de mon regard, de mon attention, de mon humanité.
Dominique Soupé
Note : L’abbé Pierre aimait dire : « un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de lumière ». Cela signifie que la manière dont on donne peut être aussi importante que ce que l’on donne.
© Cathédrale de Papeete - 2017
En marge de l’actualité…
Jeunesse et joie de la nativité
Le week-end dernier, le Comité Diocésain de la Pastorale des Jeunes (CDPJ) a organisé un « forum des jeunes » auquel était convié les coopérateurs pastoraux du diocèse qui travaillent au service de la pastorale des jeunes à la paroisse sainte-Thérèse. Le but était de réfléchir aux actions à mener au cours de l’année à venir.
Cette année, le CDPJ a choisi le thème de la prévention. Nous savons combien notre jeunesse est exposée à nombre de dangers contre lesquels il est important de les prévenir et protéger : drogue, alcool, violences familiales, phénomène de bandes, bagarres de rues, échec scolaire, désœuvrement lié à la précarité de l’emploi, etc.
Il y a bien des raisons d’envisager des solutions pour aider la jeune génération. Cette période de la vie est faite avant tout de projets, de rêves et d’espoirs. Mais leur réalisation dépend en grande partie des circonstances historiques et sociales qui doivent être en mesure d’offrir des conditions minimales.
Pensons par exemple au marché de l’emploi qui est en crise. La période florissante inaugurée par l’installation du CEP est tarie depuis la fin des années 90. Les jeunes ont bien du mal à s’insérer durablement dans le monde du travail. Or, nous savons que le fait d’avoir un métier sociabilise l’individu et le responsabilise.
La pression qui pèse sur la génération issue des années 2000 est forte. Les jeunes doivent faire de plus longues études. Ils doivent quitter le pays pour plusieurs années sans même avoir la certitude de trouver un emploi à leur retour. Pour beaucoup, la vie se fera certainement à l’extérieur du pays. Les générations précédentes, qui ont profité du boum économique de la seconde moitié du 20e siècle, devraient en prendre conscience.
Cela fait voir la nécessité d’une solidarité intergénérationnelle qui ne soit pas seulement celle des parents avec leurs enfants mais à l’échelle de toute la société. La jeune génération a grand besoin d’être sécurisée et rassurée face à un avenir plein d’incertitudes qui génèrent beaucoup d’inquiétude. Nous avons tous un futur, nous avons droit aussi à un avenir commun.
Durant l’Avent, la figure de Jean le baptiste a été proposée comme un témoin authentique de la présence divine : il prévient le peuple contre les dangers engendrés par le manque de charité et de miséricorde, crie la volonté de Dieu au monde et la vérité à la face des puissants, désigne le Sauveur déjà présent au milieu des hommes. Que chacun y trouve une source d’inspiration, particulièrement ceux et celles qui agissent au service de la jeunesse.
Quant à la fête de la Nativité de Jésus, tout proche, elle ouvre une période de douceur, de joie, d’espérance. Gageons que cette solennité ne soit pas de l’ordre d’un placebo mais que chacun puisse réellement y trouver force et courage pour surmonter les défis de la vie. Dieu est avec nous, assurément.
+ Monseigneur Jean Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete - 2017
Audience générale…
Pas de retardataire à la messe !
Après avoir loué les vertus du repos dominical la semaine dernière, le Pape poursuit son cycle de catéchèses sur la célébration eucharistique en entrant, dit-il, « dans le vif du sujet ». Ce mercredi 20 décembre, François a expliqué l’importance des rites d’introduction de la messe.
Chers frères et sœurs, bonjour !
Nous poursuivons les catéchèses sur la Messe. Pour comprendre la beauté de la célébration eucharistique, je désire tout d’abord commencer par un aspect très simple : la Messe est prière, elle est même la prière par excellence, la plus élevée, la plus sublime, et dans le même temps la plus « concrète ». En effet, c’est la rencontre d’amour avec Dieu, à travers sa Parole et le Corps et le Sang de Jésus. C’est une rencontre avec le Seigneur.
Mais nous devons tout d’abord répondre à une question. Qu’est vraiment la prière ? Elle est tout d’abord dialogue, relation personnelle avec Dieu. Et l’homme a été créé comme être en relation personnelle avec Dieu qui ne trouve sa pleine réalisation que dans la rencontre avec son Créateur. La route de la vie est dirigée vers la rencontre définitive avec le Seigneur.
Le Livre de la Genèse affirme que l’homme a été créé à l’image et ressemblance de Dieu, qui est Père et Fils et Saint-Esprit, une relation d’amour parfaite qui est unité. À partir de cela, nous pouvons comprendre que nous avons tous été créés pour entrer dans une relation parfaite d’amour, en nous donnant et en nous recevant sans cesse, pour pouvoir ainsi trouver la plénitude de notre être.
Quand Moïse, face au buisson ardent, reçoit l’appel de Dieu, il lui demande quel est son nom. Et que répond Dieu ? « Je suis celui qui est » (Ex 3,14). Cette expression, dans son sens originel, exprime présence et faveur, et en effet, Dieu ajoute immédiatement après : « Yahvé, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (v.15). Le Christ lui aussi, quand il appelle ses disciples, les appelle afin qu’ils soient avec Lui. Il s’agit donc de la plus grande grâce : pouvoir faire l’expérience que la Messe, l’Eucharistie est le moment privilégié pour être avec Jésus, et, à travers Lui, avec Dieu et avec nos frères.
Prier, comme tout véritable dialogue, est également savoir demeurer en silence — dans les dialogues il y a des moments de silence —, en silence avec Jésus. Quand nous allons à la Messe, nous arrivons peut-être cinq minutes à l’avance et nous commençons à bavarder avec celui qui est à côté de nous. Mais ce n’est pas le moment de bavarder : c’est le moment du silence pour nous préparer au dialogue. C’est le moment de nous recueillir dans notre cœur pour nous préparer à la rencontre avec Jésus. Le silence est si important ! Rappelez-vous ce que j’ai dit la semaine dernière : nous n’allons pas à un spectacle, nous allons à la rencontre du Seigneur et le silence nous prépare et nous accompagne. Demeurer en silence avec Jésus. Et du mystérieux silence de Jésus jaillit sa Parole qui retentit dans notre cœur. Jésus lui-même nous enseigne comment il est réellement possible « d’être » avec le Père et il nous le démontre par sa prière. Les Evangiles nous montrent Jésus qui se retire dans des lieux apartés pour prier ; les disciples, en voyant sa relation intime avec le Père, sentent le désir d’y participer, et ils lui demandent : « Seigneur apprends-nous à prier » (Lc 11, 1). C’est ce que nous avons entendu dans la première Lecture, au début de l’audience. Jésus répond que la première chose nécessaire pour prier est de savoir dire « Père ». Soyons attentifs : si je ne suis pas capable de dire « Père » à Dieu, je ne suis pas capable de prier. Nous devons apprendre à dire « Père », c’est-à-dire à nous mettre en sa présence dans une confiance filiale. Mais pour pouvoir apprendre, il faut humblement reconnaître que nous avons besoin d’être instruits, et dire avec simplicité : Seigneur, apprends-moi à prier.
C’est le premier point : être humbles, se reconnaître comme ses fils, reposer dans le Père, avoir confiance en Lui. Pour entrer dans le Royaume des cieux il est nécessaire de devenir petits comme des enfants. A savoir que les enfants savent avoir confiance, ils savent que quelqu’un se préoccupera pour eux, de ce qu’ils mangeront, de comment ils s’habilleront et ainsi de suite (cf. Mt 6, 25-32). C’est la première attitude : confiance et confidence, comme un enfant à l’égard de ses parents ; savoir que Dieu se rappelle de toi, prend soin de toi, de toi, de moi, de tous.
La deuxième prédisposition, elle aussi propre aux enfants, est de se laisser surprendre. L’enfant pose toujours mille questions parce qu’il désire découvrir le monde ; et il s’émerveille même de petites choses, car tout est nouveau pour lui. Pour entrer dans le Royaume des cieux il faut se laisser émerveiller. Dans notre relation avec le Seigneur, dans la prière — je pose la question — nous laissons-nous émerveiller ou pensons-nous que la prière signifie parler à Dieu comme le font les perroquets ? Non, c’est avoir confiance et ouvrir son cœur pour se laisser émerveiller. Nous laissons-nous surprendre par Dieu qui est toujours le Dieu des surprises ? Car la rencontre avec le Seigneur est toujours une rencontre vivante, ce n’est pas une rencontre de musée. C’est une rencontre vivante et nous allons à la Messe, pas au musée. Nous allons à une rencontre vivante avec le Seigneur.
Dans l’Évangile on parle d’un certain Nicodème (Jn 3,1-21), un homme âgé, qui faisait autorité en Israël, qui se rend auprès de Jésus pour le connaître ; et le Seigneur lui parle de la nécessité de « renaître d’en haut » (cf. v.3). Mais qu’est-ce que cela signifie ? Peut-on « renaître » ? Est-il possible de recommencer à éprouver du goût, de la joie, de l’émerveillement pour la vie, même devant les si nombreuses tragédies ? Il s’agit d’une question fondamentale de notre foi et cela est le désir de tout véritable croyant : le désir de renaître, la joie de recommencer. Eprouvons-nous ce désir ? Chacun de nous a-t-il envie de toujours renaître pour rencontrer le Seigneur ? Eprouvez-vous ce désir en vous ? En effet, on peut facilement le perdre, car à cause de tant d’activités, de nombreux projets à mettre en œuvre, il reste à la fin peu de temps et nous perdons de vue ce qui est fondamental : la vie de notre cœur, notre vie spirituelle, notre vie qui est une rencontre avec le Seigneur dans la prière.
En vérité, le Seigneur nous surprend en nous montrant qu’Il nous aime également dans nos faiblesses. Jésus Christ « est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier » (1 Jn 2,2). Ce don, source de véritable consolation — mais le Seigneur nous pardonne toujours, cela console, c’est une véritable consolation — est un don qui nous est donné à travers l’Eucharistie, ce banquet nuptial au cours duquel l’Époux rencontre notre fragilité. Est-ce que je peux dire que lorsque je fais la communion pendant la Messe, le Seigneur rencontre ma fragilité ? Oui ! Nous pouvons le dire parce que c’est vrai ! Le Seigneur rencontre notre fragilité pour nous reconduire à notre premier appel : celui d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu. Tel est le cadre de l’Eucharistie, telle est la prière.
© Libreria Editrice Vatican - 2017
Lettre pastorale…
Le désir et la sainte inquiétude de l’espérance
Après avoir traité, au cours des dernières années, les thèmes de l’éducation à la foi et l’exercice de la charité, l’archevêque de Chieti-Vasto (Italie), Mgr Bruno Forte, a adressé à son Église – le 2 septembre 2017 – une lettre pastorale pour l’année 2017-2018 intitulée : « L’espérance qui sauve ». Face à la question profonde et inéluctable de l’amour qui est inhérente à tout cœur humain, et à la tentation du désespoir qui semble se dessiner puissamment dans les situations chaotiques du présent, il se penche à la source de l’espérance chrétienne, qui est la rencontre avec Jésus. « L’espérance de celui qui croit n’est pas un réconfort mondain, ni une des nombreuses idéologies qui ont leurré le monde et causé l’aliénation de l’homme, mais bien un don d’en haut : ce n’est pas quelque chose qui devient en nous, mais Quelqu’un qui vient à nous », écrit Mgr Forte. « La pénurie la plus grande que l’on puisse expérimenter en soi est celle de l’espérance, souligne-t-il également, précisément parce qu’elle est le signe de l’absence d’un amour qui n’est pas éphémère (…). C’est pour cela que la tentation la plus forte qui pourrait se présenter face aux nombreuses situations de conflits en cours et de grandes épreuves de la nature et de l’histoire, c’est le désespoir ». Pour lui, « l’espérance de la foi n’est pas un repos tranquille, basé sur une certitude désormais acquise », mais plutôt « désir et sainte inquiétude, recherche sans sommeil du Visage divin révélé et caché… »
Dans les lettres pastorales de ces dernières années, j’ai traité les thèmes de l’éducation à la foi et à l’exercice de la charité, à vivre dans l’Église suscitée et alimentée par l’amour de Dieu trois fois saint. Je voudrais maintenant évoquer l’espérance, non seulement pour compléter la réflexion sur les vertus théologales et leur répercussion dans la vie du baptisé et de la communauté chrétienne, mais aussi pour encourager et nourrir toujours davantage en moi et en ceux que Dieu m’a confié, la passion pour les choses à venir et nouvelles, apportées par la promesse qui nous est offerte dans la résurrection de Jésus-Christ.
1. Une question inéluctable à partir du besoin d’amour
Que le cœur humain ait besoin d’aimer et d’être aimé pour vivre et apprendre à mourir, c’est ce que nous pouvons tous constater : à partir des situations actuelles comme de celles du cœur, s’élève une inéluctable attente d’amour. Il s’agit d’une expectative si grande que toutes les expériences qui lui correspondent, semblent tôt ou tard limitées, marquées par la fragilité de la vie, par la limitation dans le temps des œuvres, par la brièveté des jours. Le besoin d’un amour victorieux à toute épreuve est en nous tous, même si nous refusons de l’admettre : voilà pourquoi la pénurie la plus grande que l’on puisse expérimenter en soi est celle de l’espérance, précisément parce qu’elle est le signe de l’absence d’un amour qui n’est pas éphémère, comme c’est le cas dans les nombreuses formes où l’amour est aujourd’hui exhibé et offert. C’est pour cela que la tentation la plus forte qui pourrait se présenter face aux nombreuses situations de conflits en cours et de grandes épreuves de la nature et de l’histoire, c’est le désespoir.
Si le risque des temps de tranquillité et d’une relative sécurité revient à la présomption – c’est-à-dire l’illusion de pouvoir facilement changer le monde et la vie –, le risque opposé, justement des temps d’épreuve, revient à vivre la peur du lendemain de façon plus forte que la volonté et l’engagement pour le préparer et le réaliser comme un lendemain de bien. Accueillir le défi de l’espérance veut dire se vouloir vraiment humains. Y renoncer, c’est renoncer à la vie. Ainsi écrivait Benoît XVI dans son encyclique Spe salvi, « notre salut est objet d’espérance » (cf. Rm 8, 24) : « le présent, même un présent pénible, peut être vécu et accepté s’il conduit vers un terme et si nous pouvons être sûrs de ce terme, si ce terme est si grand qu’il peut justifier les efforts du chemin » (n.1). Seulement s’il existe en nous une espérance certaine, nous pourrons donner du sens à la vie et nous arriverons à vivre nos jours avec un amour plus fort que toute déception ou fatigue, parce que c’est « la vraie espérance chrétienne » – comme l’affirme le pape François –, qui « engendre toujours l’histoire » (Evangelii gaudium, n.181).
2. Que puis-je espérer ?
Que pouvons-nous espérer ? Voilà la question à laquelle nous sommes confrontés. Il s’agit d’un point d’interrogation qui nous concerne tous, à partir du moment où nous avons tous besoin d’avoir une espérance digne de confiance, en vertu de laquelle nous pouvons affronter notre présent et construire notre avenir. L’éventail de réponses offertes à cette question en démontre l’aspect radical ainsi que l’incontournable retour.
À une époque de passions idéologiques, l’espérance nous est proposée comme « l’anticipation militante de l’avenir » (Roger Garaudy), en soulignant – propre à cette époque – le rôle protagoniste de l’humain dans la réalisation de son avenir rêvé et espéré. Dans un tel contexte, même si c’est une forme alternative à une attente seulement mondaine, la « théologie de l’espérance » avait défini l’espérance comme « l’aurore de l’attente, nouveau jour qui colore chaque chose de sa lumière » (Jürgen Moltmann), en mettant en évidence combien vivre dans l’espérance signifie « puiser l’avenir de Dieu dans le présent du monde ».
Benoît XVI rappelait qu’à la question décisive « que pouvons-nous espérer ? » la foi chrétienne a apporté dès le début une réponse claire : « La rédemption, le salut… n’est pas un simple donné de fait. La rédemption nous est offerte en ce sens que nous a été donnée l’espérance » (Spe salvi, n. 1). Dire que l’espérance est un don ne signifie certainement pas ignorer l’effort qu’elle exige : espérer n’est pas la simple expansion du désir, mais orienter son cœur et sa vie vers un but élevé, qui vaille la peine d’être atteint, et qui néanmoins peut être atteint seulement au prix d’un effort sérieux, persévérant, honnête, capable de supporter la fatigue d’un long chemin. Dans ce sens-là, on peut définir l’espérance comme « la passion pour ce qui est possible » (Søren Kierkegaard), en insistant sur l’amour, à la fois douloureux et joyeux, qui lie le cœur humain à ce dont il a une nostalgie profonde et une attente. Toutefois, il n’est pas difficile de comprendre que l’effort humain, seul, ne suffise pas pour s’ouvrir à une espérance qui ne déçoive pas…
3. Les raisons de l’espérance
En réalité, à propos de l’espérance, deux visions différentes de l’homme se font face : d’un côté, il s’agit d’une conception qui fait de l’espérance la mise en avant de nos possibilités, l’expression des capacités de l’être humain à transformer le monde et la vie. C’est la vision moderne, liée à la naissance de l’homme adulte et émancipé de la science et de la philosophie du progrès : il faut pourtant reconnaître qu’une espérance humaine, purement humaine, comme était celle des diverses idéologies, n’a pas engendré une plus grande liberté, égalité ni fraternité.
Comme l’histoire des deux siècles derniers le montre, l’espérance confiée seulement au protagoniste humain, qui s’est appropriée les visions idéologiques du monde, a débouché dans de nombreux cas, sur l’enfer des totalitarismes, des génocides et des solitudes, où l’autre a été réduit à un adversaire à éliminer ou encore à un simple « étranger moral » à ignorer. De la même façon, la technique et la science se sont révélées fallacieuses dans les revendications absolues formulées en leur nom : comme Benoît XVI le remarquait, « si au progrès technique ne correspond pas un progrès dans la formation éthique de l’homme, dans la croissance de l’homme intérieur, alors ce n’est pas un progrès, mais une menace pour l’homme et pour le monde » (Spe salvi, n. 22).
L’espérance n’est pas quelque chose que nous pouvons créer ni gérer avec nos seules forces : l’espérance est Quelqu’un qui vient à nous, transcendant et souverain, libre et libérateur pour nous. C’est ce que la foi chrétienne reconnaît comme étant advenu en Jésus-Christ : en lui s’offre le Dieu qui a eu du temps pour l’homme. C’est lui, l’Attendu qui vient : étant venu une fois, il nous a offert le don de la rédemption, en allumant en nous une attente plus grande même que ce qu’il avait accompli, l’attente de son retour dans la gloire. C’est cela le « kérygme », la proclamation joyeuse de Dieu avec nous, dont la révélation n’est pas idéologie, mais parole qui ouvre les sentiers de la vie qui vainc la mort. C’est pourquoi, la foi dans le « déjà » de la première venue du Seigneur est inséparable de l’attente du « pas encore », quand le Fils reviendra le dernier jour et que s’accompliront pleinement les promesses de Dieu.
4. L’espérance d’un possible, impossible amour
Saint Jean de la Croix, dans un de ses Dits de lumière et d’amour, écrit : « Le Père prononça la Parole dans un silence éternel et c’est dans le silence que sa Parole doit être écoutée par les hommes ». Croire en l’accomplissement de la révélation en Jésus-Christ signifie laisser que sa Parole nous introduise dans les sentiers du divin silence pour parvenir pleinement aux pâturages de la vie. C’est cette foi qui nous ouvre à l’espérance d’un amour qui vainque l’injustice, l’infidélité et la mort et qui guérisse les blessures de l’âme, impossible avec nos seules forces, rendu possible par le don de Dieu. Que nous en soyons conscients ou pas, nous avons tous besoin de cette espérance plus grande que tout avant-dernier horizon. La foi chrétienne en reconnaît le socle dans le futur de Dieu, ouvert à l’homme comme pacte et promesse dans la résurrection de Christ, aurore de notre participation à la beauté éternelle du ciel. C’en est ainsi, l’espérance de la foi n’est pas un repos tranquille, basé sur une certitude désormais acquise.
L’espérance chrétienne est désir et sainte inquiétude, recherche sans sommeil du Visage divin révélé et caché : avoir connu le Seigneur n’empêchera personne de vouloir chercher toujours plus la lumière de sa beauté, et plus encore rallumera toujours la soif de l’attente. Le croyant est et demeure en ce monde un chercheur de Dieu, un mendiant du Ciel, et sur ses lèvres résonnera l’invocation poignante du psalmiste : « C’est ton visage, Seigneur, que je cherche. Ne me cache point ton visage » (Psaume 27, 8s). David, l’aimé de Dieu, qui a fait une expérience cruciale de la miséricorde de l’Éternel, demeure le chercheur amoureux de son visage.
5. Se laisser faire prisonniers de l’invisible Aimé
Dans cette perpétuelle recherche du visage du Seigneur, le croyant, se reconnaissant aimé du Dieu révélé et caché, vit sa propre reddition à lui : qu’est-ce que l’espérance de la foi, sinon se laisser faire prisonniers de l’Invisible ? Cette reddition se passe au cours d’une rencontre, qu’il ne faut jamais considérée comme acquise d’avance : celui qui croit n’est jamais arrivé, en réalité, il vit comme un pèlerin dans une espèce de conscience nocturne qui se situe entre le premier et le dernier avènement du Seigneur, cependant confortée par la lumière qui est venue resplendir dans les ténèbres et qui est toutefois dans une recherche constante, assoiffée d’aurore. Pèlerin vers la lumière, déjà connue et pas encore pleinement atteinte, celui qui croit espère, avance dans la nuit, guidé par la croix du Fils, étoile de la rédemption.
L’espérance de la foi parle par conséquent d’une façon particulière au cœur des jeunes ouverts au futur et audacieux dans le don de soi. L’espérance n’est pas exempte de combat ni de passion, mais bien vivre en se fiant au Dieu vivant : la foi n’est pas la réponse tranquille à nos questions, mais la subversion de beaucoup d’entre elles, la recherche du Visage désiré, révélé et caché et justement paix et inquiétude, obscurité et lumière toujours nouvelles. Nous croirons dans le Dieu de l’espérance si nous continuons à être des chercheurs de son visage, guidés par son Fils Jésus dans un commencement toujours nouveau. Par conséquent, foi et espérance sont inséparables. Et ainsi, on peut dire que l’espérance de celui qui croit n’est pas un réconfort mondain, ni une des nombreuses idéologies qui ont trompé le monde et causé l’aliénation de l’homme, mais bien un don d’en-haut : ce n’est pas quelque chose qui devient en nous, mais Quelqu’un qui vient à nous. Différemment de toute assurance idéologique, l’espérance de la foi c’est se convertir continuellement à Dieu, c’est lui livrer continuellement notre cœur, et justement se laisser à nouveau toujours aimer par le Très-Haut pour commencer chaque jour, de façon renouvelée, à l’aimer lui et notre prochain.
6. Apprendre à espérer
Ainsi, un don à demander à Dieu, pour tous, c’est justement l’espérance théologale : une espérance plus forte que tout calcul, humble et confiante dans la promesse du Fils, venu nous rendre visite pour commencer avec nous son lendemain pour nous. Le salut est don, grâce à accueillir et à laquelle s’ouvrir au-delà de tout calcul et mesure : « La foi – écrivait encore le pape Benoît XVI – n’est pas seulement une tension personnelle vers les biens qui doivent venir, mais qui sont encore absents ; elle nous donne déjà maintenant quelque chose de la réalité attendue, et la réalité présente constitue pour nous une “preuve” des biens que nous ne voyons pas encore. Elle attire l’avenir dans le présent » (Spe salvi, n. 7) (4). L’espérance théologale, c’est accueillir le Dieu qui vient, celui qui a vaincu et qui vaincra la mort, pour lequel il vaut la peine de vivre, ancrés et solides sur les paroles de sa promesse : « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).
Comment apprendre à espérer ainsi ? C’est encore Benoît XVI qui nous propose trois voies, pouvant nous ouvrir au don de l’espérance qui vient à nous : la prière, la disponibilité à payer le prix pour réaliser l’espérance et l’obéissance au jugement de Dieu, mesure de vérité et de justice pour chaque choix et source de sens et de beauté pour le cœur qui l’accueille. La prière est le lieu où – se laissant aimer de Dieu – le cœur s’ouvre aux surprises de son avènement et se fait invocation, désir, attente. Celui qui prie davantage, espère davantage ! Le service est la forme concrète de l’exode de soi sans retour, qui libère le cœur et l’éduque à aimer l’autre, en se laissant conduire par le Seigneur. Le jugement de Dieu est le feu de vérité qui nous ouvre à son futur et nous montre le vide de chacun de nos choix ou de nos projets qui sont uniquement guidés par nos égoïsmes ou nos peurs. Sous le soleil de Dieu, on apprend à accueillir son lendemain, en vivant le présent dans un exode toujours renouvelé, motivé et soutenu par l’espérance.
7. L’espérance dans les différents domaines de la vie
Ainsi, pour apprendre à espérer, comme pour apprendre à aimer, il nous faut nous impliquer et croire, en se fiant et se confiant, et ouvrir sans réserve les portes de notre cœur au Seigneur. L’espérance théologale est celle qui nous fait « prisonniers » du Ressuscité (« prisonniers de l’espérance », nous dit le prophète Zacharie : 9,12), saisis par lui, qui est l’espérance qui ne nous décevra jamais.
Cette espérance illumine tous les domaines de la vie de ceux qui croient : s’il s’agit des consacrés, c’est l’espérance du Royaume qui donne pleinement du sens à la vie consacrée avec un cœur sans partage pour Dieu, éminemment aimé ; s’il s’agit des prêtres, c’est l’espérance qui fait consacrer sa propre existence pour offrir à tous le don de la réconciliation, en annonçant la Parole et en rompant le pain de la vie éternelle, tout en guidant la communauté chrétienne sur les chemins de la vérité et de la paix ; s’il s’agit des époux, c’est l’espérance qui les unit et les soutient dans la fatigue des jours pour garder vivant et fidèle l’alliance nuptiale ; s’il s’agit des parents, c’est l’espérance qui les pousse à s’ouvrir à la vie, en engendrant des enfants et en les accompagnant avec le dévouement quotidien de leur croissance et de leur éducation ; s’il s’agit de jeunes, c’est l’espérance qui les conduit à rêver un avenir de beauté, et à payer le prix d’amour pour le réaliser, rêve si précieux que le pape François n’hésite pas à leur répéter : « Ne vous laisser pas voler votre espérance ! » (dimanche des Rameaux, mars 2013) ; s’il s’agit des éducateurs, c’est l’espérance qui les nourrit dans leur don d’eux-mêmes à la formation des nouvelles générations, en particulier à l’école et à l’université ; pour ceux qui travaillent, c’est l’espérance que chaque travail honnête exige pour être vécu avec dévouement et professionnalisme ; pour ceux qui vivent avec engagement leur foi, c’est l’espérance qui motive le don au service de l’Évangile dans la communauté chrétienne et dans la société, auquel s’ajoute celui vécu dans les différentes formes de la vie associative inspirée à la foi ; pour ceux qui ont le don des relations amicales, c’est l’espérance qui accompagne avec attention et générosité les amis ; pour ceux qui sont engagés dans la charité, c’est l’espérance qui les pousse à se mettre au service des pauvres et des démunis, en les soutenant sur le chemin avec un profond respect de leur dignité ; pour ceux qui s’engagent en politique, c’est l’espérance qui anime leur action au service de l’intérêt général, en considérant l’action politique comme une des formes les plus hautes de la charité.
Cette espérance resplendit dans la croix du Ressuscité et inonde le cœur de celui qui l’accueille dans sa propre vie. C’est pourquoi, la foi de l’Église n’hésite pas à chanter à la croix glorieuse : « O crux ave, spes unica,/ hoc passionis tempore ! Ave croix, seule espérance, en ce temps de passion ! » (Hymne Vexilla regis de Venanzio Fortunato).
8. Demandons le don de l’espérance
À Marie, mère de Jésus et notre mère à nous, qui au pied de la croix, accompagna le sacrifice du Fils et conserva la foi dans la douloureuse attente du samedi saint, confiante dans l’aube de la résurrection, demandons d’intercéder pour nous afin que nous puissions espérer, comme elle a espéré, en l’invoquant du plus profond de notre cœur comme « mère de miséricorde, vie, douceur, et notre espérance ». Que ce soit elle qui nous enseigne « la vertu de l’attente, même quand tout apparaît privé de sens : elle est toujours confiante dans le mystère de Dieu, même quand il semble s’éclipser à cause du mal du monde » (pape François, audience générale du 10 mai 2017).
Que les paroles de l’apôtre Paul puissent se réaliser : « Que le Dieu de l’espérance vous donne en plénitude dans votre acte de foi, la joie et la paix, afin que l’espérance surabonde en vous par la vertu de l’Esprit Saint » (Rm 15, 13). Nous le demandons avec confiance au Seigneur ressuscité, espérance qui jamais ne nous décevra : « Christ, image radieuse du Père, prince de la paix, qui réconcilie Dieu avec l’homme et l’homme avec Dieu, Parole éternelle devenue chair, et chair divinisée dans la rencontre nuptiale, en toi seulement nous étreindrons Dieu. Toi qui t’es fait petit pour te laisser appréhender par la soif de notre connaissance et de notre amour, donne-nous de te chercher avec désir, de croire en toi dans l’obscurité de la foi, de t’attendre encore dans l’ardente espérance, de t’aimer dans la liberté et dans la joie du cœur. Fais que nous ne nous laissions pas vaincre par la puissance des ténèbres, séduire par l’étincelle de ce qui passe. Donne-nous donc ton Esprit, qu’il devienne lui-même en nous désir et foi, espérance et amour humble. Alors nous te chercherons, Seigneur, dans la nuit, nous veillerons pour toi à tout moment, et les jours de notre vie mortelle deviendront comme une aurore splendide, où tu viendras, étoile claire du matin, pour être finalement pour nous le Soleil, qui ne connaît pas de crépuscule, Amen. Alleluia ! ».
© Urbi et orbi - 2017
Commentaire des lectures du dimanche
« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » : cet avertissement de Jean le Baptiste dimanche dernier nous a mis en alerte. Préparons-nous à être surpris par la venue de Dieu. Nous avons beau l’avoir préparée cette venue, nous avons beau penser que nous connaissons le Seigneur, nous serons nécessairement déroutés par les manières divines ! Car Dieu s’invite là où nous ne l’attendions pas.
La 1re lecture évoque bien cette déroute de David. Il exprime sa gêne devant le confort de sa maison de cèdre face à la pauvreté de l’abri de toile où repose l’arche d’alliance. Cette gêne est l’expression de la droiture de cœur de David devant Dieu. Elle diffère bien du besoin religieux païen de construire un temple à ses dieux pour bénéficier de la faveur divine. Elle atteste de la relation personnelle de David avec le Dieu d’Israël. Si le prophète Natan approuve alors le désir du roi « Tout ce que tu as l’intention de faire, fais-le, car le Seigneur est avec toi », il n’en est pas de même de l’Intéressé. Dieu rappelle à David que Lui seul est capable de bâtir une demeure digne de sa gloire : « Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ? » Pourtant Salomon construira effectivement le Temple. Pourtant le Temple sera une nouvelle fois rebâti après l’exil à Babylone. Mais de nouveau le Seigneur avertira son peuple : « Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, et quel pourrait être le lieu de mon repos, quand tout cela, c’est ma main qui l’a fait, quand tout cela est à moi, oracle du SEIGNEUR ! » (Is 66,1-2). Si Dieu est notre créateur, il est le premier bâtisseur ; et sa première demeure est la création tout entière. Oublier cela et prétendre construire la maison de Dieu sans être certain que là est Sa volonté est hautement périlleux. Le psaume 126 nous le dit : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain. »
Faut-il donc réprimer nos désirs d’honorer le Seigneur ? Ce n’est pas la manière divine de faire. Dieu n’oppose pas une simple fin de non-recevoir à David. Il retourne la proposition de son serviteur, manière de convertir son désir plutôt que de l’anéantir. Si Dieu est le vrai bâtisseur, c’est Lui-même qui bâtira une maison nouvelle : ce ne sera pas une demeure de pierre, mais une descendance avec qui il fera alliance. Le Seigneur reprend ainsi l’initiative de David pour l’inverser et dévoiler son projet d’amour sur l’humanité. La demeure qu’il souhaite, le lieu où il veut habiter, c’est dans l’humanité même. Si cela n’apparaît pas encore clairement dans ce texte, nous savons que c’est la venue de Dieu dans la chair, le mystère de l’Incarnation qui accomplira cette promesse. Dieu s’est choisi lui-même une demeure, une nouvelle arche d’alliance, un nouveau trône de David : une vierge d’Israël du nom de Marie de Nazareth.
Surprenant choix de Dieu : et Marie est en effet toute bouleversée par les premières paroles de l’ange. Le Seigneur est avec elle comme il était avec David. Mais elle est surtout la « Comblée de grâces », la demeure que Dieu s’est choisie et qu’il a créée en sa parfaite image de grâce. Le bâtisseur a enfin établi une demeure digne de lui, une fille de Sion capable de donner un visage au Messie : par son ‘oui’, Marie devient celle qui devait enfanter le fils de David, le Messie dont le règne sera éternel. Voilà la demeure que Dieu annonçait déjà à David : par Marie, Dieu est venu faire sa demeure parmi nous, planter de nouveau sa tente au milieu de l’humanité.
A quelques jours de Noël, nous sommes invités à tourner notre regard vers Marie. Non pas pour contempler une scène du passé ou un évènement étranger. Mais pour apprendre comment faire ! Car si Marie est la demeure de Dieu par excellence, ce qui est dit de Marie a toujours valeur pour l’Eglise et pour chacun des croyants. La demeure que Dieu vient habiter par son Fils, c’est notre cœur. Nous sommes appelés à devenir à notre tour des arches, des trônes divins. Bien sûr, cela peut nous troubler. Mieux, cela devrait nous bouleverser comme Marie en a été bouleversée. Comment, nous ? Comment, moi, pauvre pécheur ? Eh bien oui ! Sainte Thérèse d’Avila l’affirme avec force : « Nous avons au-dedans de nous un palais d’un prix inestimable, tout bâti d’or et de pierres précieuses, digne du Maître auquel il appartient. (…) Songez que dans ce palais réside ce grand Roi qui a bien voulu se faire votre Père, et qu’il est assis sur un trône fort riche, qui n’est autre que votre cœur. » (Chemin de perfection Ms.V, chap. 28, § 1-11) La promesse faite à David court jusqu’à nous !
Dieu s’invite là où nous ne l’attendions pas. Vous étiez prévenus : la venue de Dieu est toujours déroutante. Mais justement tout l’enjeu pour nous est de nous laisser dérouter, de changer de route, changer de direction. Car désormais, la parole est à nous. Marie, après son trouble et après ce dialogue de vérité avec l’ange, a dit ‘oui’. Et nous, que ferons-nous ? Que dirons-nous ? Allons-nous faire obstacle à l’action de Dieu par notre manque de foi dans sa puissance ? Sainte Thérèse nous interpellerait ici : « Quant à moi, je sais très bien que quiconque n’en est pas convaincu n’en fera jamais l’expérience, car Dieu aime extrêmement que l’on ne pose pas de limites à ses œuvres. » (1D 1,4)
Que la Vierge Marie intercède pour nous afin que nous n’ayons pas peur d’accueillir le Seigneur dans la nuit de Noël. Afin que nous nous laissions dérouter avec confiance par les manières de Celui dont nous savons qu’Il nous aime. Amen.
Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau ocd (Couvent de Paris)
© Carmel-asso - 2014