Pko 12.03.2017
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°15/2017
Dimanche 12 mars 2017 – 2ème Dimanche du Temps de Carême – Année A
Le Clochard
Le clochard
Sur une bouche de métro
S'étend pour avoir chaud
L'air misérable
Le clochard
D'une vieille boîte en fer blanc
Retire quelques croissants
Et se met à table
Le clochard
Embrassant sa bouteille
Boit longuement le soleil
Des pauvres diables
Le clochard
Fume son dernier mégot
En regardant là-haut
Vers le ciel noir
Ce clochard
A quoi peut-il penser
Peut-être à son passé
Qui peut le dire
Dans un bar
De l'autre côté de la rue
Y'a un drôle de chahut
Des chants, des rires
Un clébar qu'a un beau petit manteau
Vient renifler le clodo
Puis il se tire
Vers le bar
Sifflé par son papa
Qui aime les bêtes mais pas
Pas les clochards
Le clochard
Sur sa bouche de métro
Ne gène pas les badauds
Qui tourbillonnent
Et sans voir
Les femmes en robe du soir
Et les hommes dans le bar
Qui réveillonnent
Le clochard
D'un œil indifférent
Regarde les agents qui le harponnent
Pour avoir la veille du jour de l'an
Volé quelques croissants
Chez un bon commerçant
Qui trouve que vraiment
On fait trop de sentiments
Avec ces salopards
De clochards.
Henri SALVADOR
Chronique de la roue qui tourne
L’aumône
« Le bien qu'on répand dans le sein des pauvres est comme une semence qui souvent produit des fruits abondants, même pour cette vie. L'aumône faite en vue de Dieu et selon les lois de la charité, n'a jamais vu l'indigence marcher à sa suite. Combien, au contraire, n'y en a-t-il pas, dont la postérité semble avoir été en proportion de leurs aumônes ! Ce qu'ils donnaient d'un côté, Dieu le leur rendait de l'autre. C'est qu'on ne perd rien avec un maître qui ne se laisse pas vaincre en libéralité. » Jean Baptiste Blanchard
Sommes-nous généreux ? Oui, bien sûr que oui, il suffit de voir le succès des différents appels aux dons. La Polynésie est très généreuse. Devant une catastrophe, nous répondons présents d’une seule voix. Mais notre générosité reste tout de même occasionnelle et impersonnelle. L’aumône, elle, réclame une vraie relation. Nous n’aidons untel, nous aidons un frère. L’aumône a besoin de relation personnelle, l’aumône a besoin d’une vraie empathie pour se concrétiser.
L’aumône suppose tout d’abord une clairvoyance où oser voir la misère est un mal nécessaire. C’est une étape cruciale de l’aumône. Nos rues sont remplies de situations désespérées, de drames sociaux. Pourtant, nos yeux se sont habitués à « ces scènes », aussi inacceptables qu’elles soient. Faire l’aumône nous demande d’agir devant ces injustices banalisées par le quotidien. Faire l’aumône, c’est réveiller notre conscience engourdie.
Au commencement de l’aumône, il y a une prise de conscience de la réalité.
Une fois la misère repérée, il nous faut reconnaitre en l’autre malheureux, un frère. Sa détresse doit nous toucher, doit nous révolter. Instantanément, nous devenons attentifs à ses besoins. Nous entendons enfin sa détresse au milieu de notre cacophonie. Irrépressiblement, nous sommes poussés vers cet autre. Humblement, nous devons l’aider… sans fanfare, sans caméra, sans moyen de vantardise et sans raison exceptionnelle.
Juste avant l’aumône, il y a de la compassion et un autre à aider.
Enfin, faire l’aumône exige de se dépouiller pour ce frère… sans obligation sinon celle du cœur et sans rien demander en retour, auquel cas nous aurons reçu notre récompense. Faire l’aumône, c’est renoncer à un de nos conforts pour offrir un peu de dignité à l’autre.
L’aumône, c’est ce renoncement total de notre confort. L’aumône, c’est ce don aussi spontané que gratuit.
Par l’aumône, première recommandation du Carême, apprenons à nous détacher des biens matériaux. Apprenons à donner sans retenue, ni regret. Apprenons à nous libérer de ce qui est superflu dans notre vie… pour en faire le bonheur d’un frère !
La chaise masquée
© Nathalie SH – P.K.0 – 2017
L’aumône
En marge de l’actualité du mercredi 8 mars 2017
Depuis ce Mercredi des cendres, nous voici entrés en Carême, ce temps qui nous invite au jeûne, à l’aumône et à la prière. Après avoir évoqué le jeûne la semaine dernière, arrêtons-nous aujourd’hui sur l’aumône.
L’idée d’aumône est très ancienne et figure dans l’Ancien Testament. Dans toute la Bible, l’aumône est un geste de bonté de l’Homme pour son frère, et donc une imitation des gestes de Dieu qui, le premier, a fait preuve de bonté envers l’Homme. En effet, tout ce que possède l’Homme lui a été prêté par le créateur de l’Univers à qui appartient la terre et tout ce qu’elle contient. Par l’aumône, on assure simplement une répartition plus équitable des dons de Dieu à l’humanité. L’acte de charité non seulement vient en aide aux nécessiteux, mais apporte également un bienfait spirituel à celui qui donne : « Le mendiant fait plus pour le maître de maison que le maître de maison pour le mendiant » dit un texte Juif. Mais il ne faudrait pas croire que l’aumône s’inspire uniquement de motifs intéressés. Souvent la charité est estimée comme une vertu suprême : « La charité est égale à toutes les autres prescriptions réunies ». « Quiconque pratique la charité et la justice agit comme s’il remplissait le monde entier de bonté et d’amour ».
L’aumône ne doit pas consister tout juste à donner un secours. Il faut prendre en considération la condition de celui qui le reçoit. Le devoir de charité ne se limite pas à donner, il faut aussi avoir de la considération pour celui à qui l’on donne : « Si quelqu’un donnait à son prochain toutes les bonnes choses du monde mais avec un air maussade, cela lui serait compté comme s’il n’avait rien donné du tout, mais celui qui reçoit aimablement son prochain, même s’il ne lui donnait rien, cela lui sera compté comme s’il lui avait donné toutes les bonnes choses du monde ». « Si tu n’as rien à donner au pauvre, réconforte-le par tes paroles. Dis-lui : « mon âme vient à toi parce que je n’ai rien à te donner ».
Jésus dans ses paroles sur l’aumône reprend en partie ce que disait déjà l’Ancien Testament : il la compte avec le jeûne et la prière comme l’un des trois piliers de la vie religieuse. Il en souligne le caractère désintéressé et discret, sans attente de récompense en retour, et sans mesure. Mais Jésus va plus loin dans le sens de cette démarche de partage et de solidarité. C’est qu’à travers nos frères dans le besoin, c’est Jésus lui-même à qui l’on vient en aide : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger… Chaque fois que vous l’aurez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’aurez fait ! » (Mt 25, 31-46) Donner aux pauvres, c’est imiter le Christ lui-même qui, « de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour vous, afin de vous enrichir de sa pauvreté » (2 Co 8, 9). Enfin, l’aumône ne peut être faite de façon Chrétienne que par référence à l’amour de Dieu manifesté dans la passion et la mort de Jésus Christ. Là est le fondement de la charité, c’est que tous, même et surtout les pauvres sont aimés du Christ qui a donné sa vie.
Dans l’Église, l’aumône est une nécessité pour quiconque veut mettre en œuvre l’amour de Dieu : « Comment l’amour de Dieu demeurerait-il en celui qui ferme ses entrailles devant son frère nécessiteux ? » (1 Jn 3, 17) ; « Si un frère ou une sœur sont nus, s’ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l’un d’entre vous leur dise : “Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous”, sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? » (Jc 2, 15). Mais la pratique de l’aumône va encore plus loin que le partage avec celui que l’on croise et qui est dans le besoin. Paul évoque dans ses lettres le devoir de partage entre les Églises ; lorsque la communauté de Jérusalem se trouve dans le besoin, il organise une collecte et parle de « service ». Et il donne même aux Corinthiens l’esprit qui doit présider à ce partage : « Que chacun donne selon ce qu’il a décidé dans son cœur, non d’une manière chagrine ou contrainte ; car Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Co 9, 6). Puisse cet esprit de partage illuminer et guider notre chemin de Carême !
+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete – 2017
La Parole aux sans paroles - 70
Portrait d’une femme de la rue - Malika
Tout ne tient qu’à un fil et l’on ne croit pas si bien dire ! Un jour, vous avez une vie stable et heureuse, le lendemain tout s’écroule comme un château de cartes. Et là, que reste-t-il, sinon la rue ? C’est l’histoire de Malika.
Pourquoi es-tu dans la rue ?
« Parce que, tout simplement, j’ai travaillé et mon patron ne m’a pas payée. Ça fait que je n’ai pas pu payer le loyer de mon studio. Je dois récupérer avec un patron 6 mois de salaire et avec un autre 4 mois. J’ai porté plainte donc l’affaire est au tribunal. Mais je n’ai aucune nouvelle. Aucun délai, je dois attendre. »
Tu travaillais dans quel domaine ?
« Je travaillais dans un foyer d’accueil pour personnes âgées, j’étais auxiliaire de vie. Et là, c’est 12 mois de salaire que j’attends toujours. »
Tu n’as pas de famille ou d’amis qui pourraient t’aider ?
« Je n’ai pas de famille ici vu que je ne suis pas d’ici. Mes copines ? Elles savent que je suis dans la rue, parfois je les croise. Rien ! Mais je ne leur en veux pas. C’est comme ça ! Et tu ne peux pas en vouloir à qui que ce soit parce qu’après tu vis avec la haine et ce n’est pas bon ! Donc, je pardonne, je ne suis pas rancunière. Je ne veux pas me prendre la tête avec des bêtises comme ça ! Il vaut mieux que je garde mes forces pour autre chose ! »
Quand es-tu arrivée à Tahiti ?
« Il y a 22 ans maintenant ! Et c’est la première fois que je me retrouve comme cela. »
Si tu avais le choix, ne voudrais-tu pas repartir voir ta famille ?
« Non, je veux m’en sortir. Je veux me débrouiller parce qu’il faut toujours garder courage ! Je sais qu’avec l’aide du Seigneur c’est possible. À ce moment-là, je verrais si je reste ou si je m’en vais. Mais je veux d’abord m’en sortir, on ne fuit pas devant les problèmes. »
Depuis quand dors-tu dans la rue ?
« Une semaine. »
Ta première nuit dans la rue ?
« Avec les copines, sur un trottoir, sur un carton. Mais je ne me plains pas. Quand j’étais jeune, j’ai beaucoup voyagé, j’ai fait beaucoup de campings, tu vois. Donc, j’accepte. De toute façon, ce sont des épreuves de la vie. J’accepte. »
Où dors-tu ?
« Juste devant le presbytère. »
Tu as eu des problèmes ?
« Au début, si. Il y avait beaucoup de jalousie, et comme je suis étrangère… Ils pensaient que je volais leur place et Père a dit : "Il n’y a de places. L’aide, c’est pour tout le monde !" »
Le plus dur dans la rue ?
« Je ne dirai pas le plus dur mais le plus décevant, c’est de voir qu’on est tous dans le même problème et on se vole, on se ment, on se trompe… au lieu d’être une famille qui s’entraide, qui se soutient. On me traitre de menteuse. »
Comment as-tu connu Te Vaiete ?
« Ce sont des copines infirmières qui me l’ont dit. Je vais là-bas tous les matins avant d’aller à la recherche d’un travail. Je cherche à droite, à gauche. Je veux travailler et je ne désespère pas. Et puis, Père Christophe est très gentil. Il nous aide beaucoup. Il a un cœur immense. Je lui ai dit : "Je vais tout faire pour trouver un travail." Je veux m’en sortir. Je ne veux pas profiter. »
Un dernier message ?
« Qu’on est tous des hommes, tous frères et sœurs. Il faut qu’on s’aide. Même les animaux sont souvent plus corrects, ils s’aident entre eux. Et nous, soi-disant qu’on est plus intelligent, on est plus méchant et plus bête que les animaux. Pourquoi ? Juste par orgueil et jalousie ! On ne sait plus donner avec le cœur, tout simplement. On ne sait plus être simple, on ne sait plus aider, on ne sait plus se soutenir. D’accord, la vie est dure, surtout aujourd’hui, mais il faut garder notre cœur… pas qu’on ait une pierre à la place. Et là, on sera un peu plus heureux. »
© Accueil Te Vai-ete - 2017
Le progrès de la foi dans la vie du prêtre (2ème partie)
Méditation de Carême du pape François pour les prêtres de son diocèse
L’image de Simon-Pierre « passée au crible »
Pour concrétiser cette réflexion sur une foi qui grandit avec le discernement du moment, contemplons l’image de Simon-Pierre « passée au crible » (cf. Lc 22,31), que le Seigneur a préparé de manière paradigmatique pour qu’avec sa foi éprouvée, il nous confirme nous tous qui « aimons le Christ sans l’avoir vu » (cf. 1 P 1,8).
Nous entrons pleinement dans le paradoxe selon lequel celui qui doit nous confirmer dans la foi est celui-là même à qui le Seigneur reproche souvent son « peu de foi ». Le Seigneur, en général, indique d’autres personnes comme exemples de grande foi. Il loue très souvent, avec une emphase notable la foi de personnes simples et d’autres qui n’appartiennent pas au peuple d’Israël – pensons au centurion (cf. Lc 7,9) et à la femme syro-phénicienne (cf. 15,28) – tandis qu’aux disciples, et à Simon-Pierre en particulier, il reproche souvent leur « peu de foi » (Mt 14,31).
En gardant à l’esprit le fait que les réflexions du Seigneur sur la grande foi et le peu de foi ont une intention pédagogique et sont un stimulant pour augmenter le désir de grandir dans la foi, nous nous concentrons sur un passage central dans la vie de Simon-Pierre, celui où Jésus lui dit qu’il « a prié » pour sa foi. C’est le moment qui précède la passion ; les apôtres viennent de discuter pour savoir qui d’entre eux était le traître et qui était le plus grand, et Jésus dit à Simon : « Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22,31-32).
Précisons les termes, puisque les demandes du Seigneur au Père sont des choses qu’il faut garder précieusement dans le cœur. Considérons que le Seigneur « prie » pour Simon mais en pensant à nous : « défaillir » traduit « ekleipo » – d’où « s’éclipser » – et l’image d’une foi éclipsée par le scandale de la passion est très plastique. C’est cette expérience que nous appelons désolation : quelque chose couvre la lumière.
« Revenir » (epistrepsas) exprime ici le sens de « se convertir », de revenir à la consolation précédente après une expérience de désolation et être passé au crible par le démon.
« Affermir » (sterizon) se dit dans le sens de « consolider » (histemi) la foi afin que désormais elle soit « déterminée » (cf. Lc 9,51). Une foi qu’aucun vent de doctrine ne peut secouer (cf. Ep 4,14). Plus loin, nous nous arrêterons encore sur ce « passage au crible ». Nous pouvons relire ainsi les paroles du Seigneur : « Simon, Simon, […] j’ai prié le Père pour toi, pour que ta foi ne demeure pas éclipsée (par mon visage défiguré, en toi qui l’a vu transfiguré) ; et toi, une fois que tu seras sorti de cette expérience de désolation dont le démon a profité pour te passer au crible, affermis (avec ta foi éprouvée) la foi de tes frères ».
Ainsi, nous voyons que la foi de Simon-Pierre a un caractère spécial : c’est une foi éprouvée et avec elle, il a la mission d’affermir et de consolider la foi de ses frères, notre foi. La foi de Simon-Pierre est moins grande que celle de tant de petits du peuple fidèle de Dieu. Il y a même des païens, comme le centurion, qui ont une foi plus grande au moment d’implorer la guérison d’un malade de leur famille. La foi de Simon est plus lente que celle de Marie-Madeleine et de Jean. Jean croit simplement en voyant le signe du suaire et il reconnaît le Seigneur sur la rive du lac en entendant simplement ses paroles. La foi de Simon-Pierre a des moments de grandeur, comme lorsqu’il confesse que Jésus est le Messie, mais à ces moments succèdent presque immédiatement d’autres de grande erreur, d’extrême fragilité et de désarçonnement total, comme lorsqu’il veut éloigner le Seigneur de la croix, ou quand il coule irrémédiablement dans le lac ou quand il veut défendre le Seigneur de son épée. Pour ne pas parler du moment honteux des trois reniements devant les serviteurs.
Nous pouvons distinguer trois types de pensées, lourdes de sentiments, qui interagissent dans les épreuves de foi de Simon-Pierre : certaines sont les pensées qui lui viennent de sa manière d’être ; d’autres pensées sont directement provoquées par le démon (par l’esprit mauvais) ; et un troisième type de pensées sont celles qui viennent directement du Seigneur ou du Père (du bon esprit).
a) Les deux noms et le désir de marcher vers Jésus sur les eaux
Nous voyons, en premier lieu, comment le Seigneur entre en relation avec l’aspect le plus humain de la foi de Simon-Pierre. Je parle de cette saine estime de soi par laquelle on croit en soi et dans l’autre, dans sa capacité d’être digne de foi, sincère et fidèle, sur laquelle se base toute amitié humaine. Il y a deux épisodes dans la vie de Simon-Pierre, où l’on peut voir une croissance dans la foi que l’on pourrait dire sincère. Sincère dans le sens de sans complications, dans laquelle une amitié grandit en approfondissant qui est chacun sans qu’il y ait d’ombre. Le premier épisode est celui des deux noms ; l’autre, quand Simon-Pierre demande au Seigneur de lui commander d’aller vers lui en marchant sur les eaux.
Simon entre en scène quand son frère André va le chercher et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1,41) ; et il suit son frère qui le conduit à Jésus. Et là se produit immédiatement le changement de nom. Il s’agit d’un choix que fait le Seigneur en vue d’une mission, celle d’être Pierre, fondement solide de la foi sur laquelle il édifiera son Église. Notons que, plutôt que de changer le nom de Simon, en fait, ce que fait le Seigneur est d’ajouter celui de Pierre.
Ce fait est déjà en soi motif de tension et de croissance. Pierre se déplacera toujours autour du pivot qu’est le Seigneur, tournant et sentant le poids et le mouvement de ses deux noms : celui de Simon – le pêcheur, le pécheur, l’ami… – et celui de Pierre, le Roc sur lequel on construit, celui qui a les clés, qui a le dernier mot, qui soigne et fait paître les brebis. Cela me fait du bien de penser que Simon est le nom par lequel Jésus l’appelle quand ils parlent et se disent des choses en amis, et Pierre est le nom par lequel le Seigneur le présente, le justifie, le défend et le met en avant d’une manière unique comme l’homme qui a toute sa confiance, devant les autres. Même si c’est lui qui lui donne le nom de « Pierre », Jésus l’appelle Simon.
La foi de Simon-Pierre progresse et grandit dans la tension entre ces deux noms, dont le point fixe, le pivot, est centré en Jésus.
Avoir deux noms le décentre. Il ne peut se centrer sur aucun d’eux. S’il voulait que Simon soit son point fixe, il devrait toujours dire : « Seigneur, éloigne-toi de moi car je suis un homme pécheur » (Lc 5,8). S’il prétendait se centrer exclusivement sur le fait d’être Pierre et s’il oubliait ou couvrait tout ce qui est de Simon, il deviendrait une pierre de scandale, comme cela lui arrive lorsque « il ne se comportait pas strictement selon la vérité de l’Évangile » comme lui dit Paul, parce qu’il avait caché le fait d’être allé manger avec les païens (cf. Ga 2,11-14). Se maintenir Simon (pêcheur et pécheur) et Pierre (la pierre et la clé pour les autres) l’obligera à se décentrer constamment pour ne tourner qu’autour du Christ, l’unique centre.
L’image de ce décentrement, sa mise en acte, est quand il demande à Jésus de lui ordonner d’aller vers lui sur les eaux. Là, Simon-Pierre montre son caractère, son rêve, son attraction pour imiter Jésus. Quand il coule, parce qu’il cesse de regarder le Seigneur et qu’il regarde les vagues s’agiter, il montre ses peurs et ses fantasmes. Et quand il le prie de le sauver et que le Seigneur lui tend la main, il montre qu’il sait bien qui est Jésus pour lui : son Sauveur. Et le Seigneur renforce sa foi, lui accordant ce qu’il désire, en lui tendant la main et en fermant la question par cette phrase affectueuse et rassurante : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Mt 14,31).
Dans toutes les situations « limite » où il pourra se trouver, Simon-Pierre, guidé par sa foi en Jésus, discernera toujours quelle est la main qui le sauve. Avec cette certitude qui, même quand il ne comprend pas bien ce que Jésus dit ou fait, lui fera dire : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68). Humainement, cette conscience d’avoir « peu de foi », ainsi que l’humilité de se laisser aider par celui qui sait et qui peut le faire, sont le point de saine estime de soi en lequel s’enracine la semence de cette foi « pour affermir les autres », pour « édifier sur elle », qui est celle que Jésus veut de la part de Simon-Pierre et de la nôtre qui participons de son ministère. Je dirais que c’est une foi partageable, peut-être parce qu’elle n’est pas si admirable. La foi de quelqu’un qui aurait appris à marcher sans tribulations sur les eaux serait fascinante, mais elle nous éloignerait. En revanche cette foi d’un bon ami, conscient de sa petitesse et qui fait pleinement confiance à Jésus, suscite notre sympathie et – c’est cela sa grâce – nous affermit !
b) La prière de Jésus et le crible du démon
Dans le passage central de Luc, que nous avons pris comme guide, nous pouvons voir ce que produit le crible du démon dans la personnalité de Simon-Pierre et comment Jésus prie afin que la faiblesse, et même le péché, se transforment en grâce et en grâce communautaire.
Nous nous concentrons sur le terme « crible » (« siniazo » = tamiser les graines), qui évoque le mouvement des esprits grâce auquel, à la fin, on discerne ce qui vient du bon esprit de ce qui vient du mauvais. Dans ce cas-ci, celui qui passe au crible – celui qui revendique le pouvoir de passer au crible – est l’esprit mauvais. Et le Seigneur ne l’en empêche pas mais, profitant de cette épreuve, il adresse sa prière au Père pour qu’il fortifie le cœur de Simon-Pierre. Jésus prie afin que Simon-Pierre « ne tombe pas dans la tentation ». Le Seigneur a fait tout son possible pour garder les siens dans sa Passion. Toutefois, il ne peut éviter que chacun soit tenté par le démon qui s’introduit dans la partie plus faible. Dans ce type d’épreuve, que Dieu n’envoie pas directement mais qu’il n’empêche pas, Paul nous dit que le Seigneur veille à ce que nous ne soyons pas tentés au-delà de nos forces (cf. 1 Co 10,13).
Le fait que le Seigneur dise expressément qu’il prie pour Simon est extrêmement important parce que la tentation la plus insidieuse du démon est que, avec une certaine épreuve particulière, il nous fait sentir que Jésus nous a abandonnés, qu’en quelque sorte il nous a laissés seuls et ne nous a pas aidés comme il aurait dû le faire. Le Seigneur a lui-même expérimenté et vaincu cette tentation, d’abord dans le jardin et ensuite sur la croix, se remettant entre les mains du Père quand il s’est senti abandonné. C’est à ce point de la foi que nous avons besoin d’être spécialement et avec soin fortifiés et affermis. Dans le fait que le Seigneur prévienne de ce qui arrivera à Simon-Pierre et l’assure qu’il a déjà prié pour que sa foi ne vacille pas, nous trouvons la force dont nous avons besoin.
Cette « éclipse » de la foi devant le scandale de la passion est une des choses pour lesquelles le Seigneur prie de manière particulière. Le Seigneur nous demande de prier toujours, avec insistance ; il nous associe à sa prière, nous fait demander de « ne pas tomber dans la tentation et d’être libérés du mal » parce que notre chair est faible ; il nous révèle aussi qu’il y a des démons qui ne sont vaincus que par la prière et la pénitence et, en certaines choses, il nous révèle qu’il prie tout spécialement. Celle-ci en fait partie. De même qu’il s’est réservé l’humble tâche de laver les pieds des siens, de même qu’une fois ressuscité, il s’est occupé personnellement de consoler ses amis, de la même manière cette prière par laquelle, en renforçant la foi de Simon-Pierre, il renforce celle de tous les autres, est une chose dont le Seigneur se charge personnellement. Et il faut en tenir compte : c’est à cette prière que le Seigneur a faite autrefois et qu’il continue de faire – « il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous » (Rm 8,34) – que nous devons recourir pour renforcer notre foi.
Si la leçon donnée à Simon-Pierre de se laisser laver les pieds a confirmé l’attitude de service du Seigneur et l’a fixé dans la mémoire de l’Église comme un fait fondamental, cette leçon, donnée dans son contexte, doit elle aussi se présenter comme une image de la foi tentée et passée au crible pour laquelle le Seigneur prie. En tant que prêtres, qui prenons part au ministère pétrinien, en ce qui est en nous, nous participons de la même mission : non seulement nous devons laver les pieds de nos frères, comme nous le faisons le Jeudi Saint, mais nous devons les affermir dans leur foi, témoignant comment le Seigneur a prié pour la nôtre.
Si, dans les épreuves qui ont leur origine dans notre chair, le Seigneur nous encourage et nous fortifie, en opérant très souvent des miracles de guérison, dans ces tentations qui viennent directement du démon, le Seigneur adopte une stratégie plus complexe. Nous voyons qu’il y a certains démons qu’il expulse directement et sans égards ; d’autres qu’il neutralise, en les faisant taire ; d’autres qu’il fait parler, il leur demande leur nom, comme celui qui était « Légion » ; à d’autres il répond amplement avec l’Écriture, supportant une longue procédure, comme dans le cas des tentations dans le désert. Ce démon, qui tente son ami au début de sa passion, il le vainc en priant, non pas pour qu’il le laisse en paix mais pour que son crible devienne un motif de force au bénéfice des autres.
Nous avons ici quelques grands enseignements sur la croissance dans la foi. L’un d’eux concerne le scandale de la souffrance de l’Innocent et des innocents. Cela nous touche plus que nous ne le pensons, cela touche même ceux qui le provoquent et ceux qui font semblant de ne pas le voir. Cela fait du bien d’écouter de la bouche du Seigneur, au moment précis où il va prendre sur lui ce scandale dans la passion, qu’il prie pour que ne faiblisse pas la foi de celui qu’il laisse à sa place, et pour que ce soit lui qui nous affermisse, nous autres. L’éclipse de la foi provoquée par la passion n’est pas quelque chose que chacun peut résoudre et surmonter individuellement.
Une autre leçon importante est que, quand le Seigneur nous met à l’épreuve, il ne le fait jamais en se basant sur notre partie la plus faible. Cela, c’est typique du démon, qui exploite nos faiblesses, qui cherche notre partie la plus faible et qui s’acharne férocement contre les plus faibles de ce monde. C’est pourquoi la miséricorde infinie et inconditionnelle du Père pour les plus petits et les pécheurs, et la compassion et le pardon infini que Jésus exerce au point de donner sa vie pour les pécheurs, n’est pas seulement parce que Dieu est bon, mais c’est aussi le fruit du discernement ultime de Dieu sur le mal pour le déraciner de sa relation avec la fragilité de la chair. En dernière instance, le mal n’est pas lié à la fragilité et à la limite de la chair. C’est pourquoi le Verbe se fait chair sans aucune crainte et il témoigne qu’il peut vivre parfaitement au sein de la Sainte Famille et grandir protégé par deux humbles créatures comme saint Joseph et la Vierge Marie, sa mère.
Le mal a son origine dans un acte d’orgueil spirituel et naît de l’orgueil d’une créature parfaite, Lucifer. Puis il contamine Adam et Ève, mais en trouvant un appui dans leur « désir d’être comme des dieux », et non dans leur fragilité. Dans le cas de Simon-Pierre, le Seigneur ne craint pas sa fragilité d’homme pécheur ni sa peur de marcher sur les eaux au milieu d’une tempête. Il craint plutôt la discussion sur qui est le plus grand.
C’est dans ce contexte qu’il dit à Simon-Pierre que le démon a demandé le permis de le passer au crible. Et nous pouvons penser que le crible a commencé là, dans la discussion sur qui était celui qui allait le trahir, qui a abouti sur la discussion de qui était le plus grand. Tout le passage de Luc, qui suit immédiatement l’institution de l’Eucharistie est un crible : discussions, prédiction du reniement, offrande de l’épée (cf. 22,23-38). La foi de Simon-Pierre est passée au crible dans la tension entre le désir d’être loyal, de défendre Jésus et celui d’être le plus grand et le reniement, la lâcheté et le fait de se sentir le pire de tous. Le Seigneur prie afin que Satan n’obscurcisse pas la foi de Simon à ce moment où il se regarde pour se grandir, pour se mépriser ou rester déconcerté et perplexe.
S’il y a une formulation élaborée par Pierre à ce sujet, c’est celle d’une « foi mise à l’épreuve », comme nous le montre sa première Lettre, où Pierre avertit qu’il ne faut pas s’étonner des épreuves, comme s’il s’agissait de quelque chose d’étrange (cf. 4,12) mais qu’il faut résister au démon « avec la force de la foi » (5,9). Pierre se définit lui-même comme « témoin des souffrances du Christ » (5,1) et il écrit ses lettres afin de « réveiller […] une intelligence claire » (2 P 3,1) (eilikrine dianoian = un jugement éclairé par un rayon de soleil) qui serait la grâce contraire à l’« éclipse » de la foi.
Le progrès de la foi advient donc grâce à ce crible, à ce passage à travers les tentations et les épreuves. Toute la vie de Simon-Pierre peut être vue comme un progrès dans la foi grâce à l’accompagnement du Seigneur qui lui enseigne à discerner, dans son cœur, ce qui vient du Père et ce qui vient du démon.
c) Le Seigneur qui met à l’épreuve en faisant grandir la foi du bien au mieux et la tentation toujours présente.
Enfin, la rencontre au bord du lac de Tibériade. Un pas ultérieur où le Seigneur met à l’épreuve Simon-Pierre en le faisant grandir du bien au mieux. L’amour d’amitié personnelle se consolide comme ce qui « alimente » le troupeau et le fortifie dans la foi (cf. Jn 21,15-19).
Lue dans ce contexte des épreuves de la foi de Simon-Pierre, qui servent à fortifier la nôtre, nous pouvons voir ici combien il s’agit d’une épreuve très spéciale du Seigneur. En général on dit que le Seigneur l’a interrogé trois fois parce que Simon-Pierre l’avait renié trois fois. Il est possible que cette faiblesse ait été présente dans l’esprit de Simon-Pierre (ou dans l’esprit de celui qui lit cette histoire) et que le dialogue ait servi à le guérir. Mais nous pouvons aussi penser que le Seigneur a guéri ce reniement par son regard qui fit pleurer amèrement Simon-Pierre (cf. Lc 22,62). Dans cet interrogatoire, nous pouvons voir une manière de procéder du Seigneur, à savoir partir d’une chose bonne – que tous reconnaissaient et dont Simon-Pierre pouvait être content – : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn 21,v.15) ; le confirmer en le simplifiant en un simple « m’aimes-tu ? » (v. 16) qui enlève tout désir de grandeur et de rivalité de l’âme de Simon ; pour finir dans ce « m’aimes-tu comme un ami ? » (cf. v.17) qui est ce que Simon-Pierre désirait le plus et évidemment, c’est ce qui tient le plus à cœur à Jésus. Si vraiment c’est un amour d’amitié, cela n’a rien avoir avec aucun type de reproche ou de correction dans cet amour ; l’amitié est l’amitié et c’est la valeur la plus haute qui corrige et améliore tout le reste, sans qu’il soit besoin de parler de la raison.
Peut-être la plus grande tentation du démon est-elle celle-ci : insinuer chez Simon-Pierre l’idée de ne pas se considérer digne d’être l’ami de Jésus parce qu’il l’avait trahi. Mais le Seigneur est fidèle. Toujours. Et il renouvelle de fois en fois sa fidélité. « Si nous sommes infidèles, lui est fidèle, parce qu’il ne peut se renier lui-même » (2 Tm 2,13), comme dit Paul à son fils dans la foi, Timothée. L’amitié possède cette grâce : qu’un ami qui est plus fidèle peut, par sa fidélité, rendre fidèle celui qui l’est moins. Et s’il s’agit de Jésus, lui plus que quiconque a le pouvoir de rendre fidèles ses amis. C’est dans cette foi, la foi en un Jésus ami fidèle, que Simon-Pierre est affermi et invité à affermir tous les autres. En ce sens précis, on peut lire la triple mission de faire paître les brebis et les agneaux. Considérant tout ce que comporte le soin pastoral, celui de fortifier les autres dans la foi en Jésus, qui nous aime comme des amis, est un élément essentiel. Pierre se réfère à cet amour dans sa première Lettre : c’est une foi en Jésus-Christ que, dit-il, « vous aimez sans l’avoir vu et maintenant, sans le voir, vous croyez en lui » et cette foi nous fait exulter « d’une joie indicible et glorieuse », sûre de parvenir au « but de (notre) foi : le salut des âmes » (cf. 1 P 1,7-9).
Toutefois, surgit une nouvelle tentation. Cette fois contre son meilleur ami. La tentation de vouloir enquêter sur la relation de Jésus avec Jean, le disciple aimé. Le Seigneur le corrige sévèrement sur ce point : « que t’importe ? Toi, suis-moi ! » (Jn 21,22).
* * *
Nous voyons combien la tentation est toujours présente dans la vie de Simon-Pierre. Il nous montre en première personne comme sa foi progresse en confessant et en se laissant mettre à l’épreuve. Et en montrant tout autant que même le péché entre dans le progrès de la foi. Pierre a commis le pire des péchés – renier le Seigneur – et pourtant, il a été fait pape. C’est important pour un prêtre de savoir insérer ses propres tentations et ses propres péchés dans le cadre de cette prière de Jésus pour que notre foi ne vacille pas, mais qu’elle mûrisse et serve à fortifier à son tour la foi de ceux qui nous ont été confiés.
J’aime répéter qu’un prêtre ou un évêque sui ne se sent pas pécheur, qui ne se confesse pas, se replie sur soi, ne progresse pas dans la foi. Mais il faut être attentifs à ce que la confession et le discernement de ses tentations incluent, en en tenant compte, cette intention pastorale que le Seigneur veut leur donner.
Un jeune homme qui faisait une cure dans le Hogar de Cristo du père Pepe, à Buenos Aires, racontait qu’il luttait contre son esprit qui lui disait qu’il ne devait pas rester là et qu’il se battait contre ce sentiment. Et il disait que le P. Pepe l’avait beaucoup aidé. Qu’un jour, il lui avait dit qu’il n’y arrivait plus, qu’il ressentait beaucoup l’absence de sa famille, de sa femme et de ses deux enfants et qu’il voulait partir. « Et le prêtre m’a dit : ‘Et avant, quand tu traînais pour te droguer et vendre de la drogue, les tiens te manquaient ? Pensais-tu à eux ?’ Je niais de la tête, en silence, raconte l’homme, et le prêtre, sans rien ajouter, me donna une tape sur l’épaule et me dit : ‘Allez, cela suffit’, comme pour me dire : rends-toi compte de ce qui t’arrive et de ce que tu dis. Remercie le ciel d’en ressentir le manque maintenant ».
Cet homme disait que le prêtre était grand. Qu’il lui disait les choses en face. Et cela l’aidait à se battre, parce que c’était à lui d’y mettre sa volonté.
Je raconte ceci pour montrer que ce qui aide à faire grandir la foi, c’est de tenir ensemble son propre péché, son désir du bien des autres, l’aide que nous recevons et ce que nous devons donner nous-mêmes. Il ne sert à rien de diviser : il ne faut pas nous sentir parfaits quand nous vivons notre ministère et, quand nous péchons, nous justifier en disant que nous sommes comme tout le monde. Il faut unir les choses : si nous fortifions la foi des autres, nous le faisons en tant que pécheurs. Et quand nous péchons, nous nous confessons pour ce que nous sommes, prêtres, en soulignant que nous avons une responsabilité envers les personnes, nous ne sommes pas comme tout le monde. Ces deux choses s’unissent bien si nous mettons devant les personnes, nos brebis, en particulier les plus pauvres. C’est ce que fait Jésus quand il demande à Simon-Pierre s’il l’aime, mais il ne lui dit rien, ni de la douleur, ni de la joie que cet amour lui cause, il le fait regarder ses frères de cette façon : fais paître mes brebis, affermis dans la foi tes frères. Comme s’il lui disait, comme à ce jeune homme du Hogar de Cristo : « Remercie si maintenant, tu ressens le manque ».
« Remercie si tu sens que tu as peu de foi », cela veut dire que tu es en train d’aimer tes frères. « Remercie si tu te sens pécheur et indigne du ministère », cela veut dire que tu te rends compte que si tu fais quelque chose, c’est parce que Jésus prie pour toi et sans lui, tu ne peux rien faire (cf. Jn 15,5).
Nos anciens disaient que la foi grandit quand on fait des actes de foi. Simon-Pierre est l’image de l’homme à qui le Seigneur Jésus fait faire à tout moment des actes de foi. Quand Simon-Pierre comprend cette « dynamique » du Seigneur, sa pédagogie, il ne perd pas une occasion de discerner, à tout moment, quel acte de foi il peut faire dans son Seigneur. Et en cela, il ne se trompe pas. Quand Jésus agit comme son patron, en lui donnant le nom de Pierre, Simon le laisse faire. Son « ainsi soit-il » est silencieux, comme celui de saint Joseph, et il se montrera réel au cours de sa vie. Quand le Seigneur l’exalte et l’humilie, Simon-Pierre ne se regarde pas mais il est attentif à apprendre la leçon de ce qui vient du Père et de ce qui vient du diable. Quand le Seigneur lui fait un reproche parce qu’il s’est grandi, il se laisse corriger. Quand le Seigneur lui fait voir, avec humour, qu’il ne doit pas faire semblant devant les collecteurs d’impôts, il va pêcher le poisson avec la pièce de monnaie. Quand le Seigneur l’humilie en lui annonçant qu’il le reniera, il est sincère en disant ce qu’il sent, comme il le sera en pleurant amèrement et en se laissant pardonner. Tous ces moments si divers dans sa vie, et pourtant une seule leçon : celle du Seigneur qui affermit sa foi pour que lui affermisse celle de son peuple. Demandons-nous aussi à Pierre de nous affermir dans la foi, pour que nous puissions affermir celle de nos frères.
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Commentaire des lectures du dimanche
Dans l’oraison au début de la Messe, nous avons demandé au Seigneur deux grâces : « écouter ton Fils bien-aimé », pour que notre foi soit nourrie de la Parole de Dieu, et — l’autre grâce — « purifier les yeux de notre esprit, pour que nous puissions jouir un jour de la vision de la gloire ». Écouter, la grâce d’écouter, et la grâce de purifier nos yeux. Cela est justement en lien avec l’Évangile que nous venons d’entendre. Lorsque le Seigneur se transfigure devant Pierre, Jacques et Jean, ils entendent la voix du Père, qui dit : « Celui-ci est mon Fils ! Écoutez-le ! ». La grâce d’écouter Jésus. Pourquoi ? Pour nourrir notre foi avec la Parole de Dieu. Et cela est la tâche du chrétien. Quelles sont les tâches du chrétien ? Peut-être me direz-vous : aller à la Messe le dimanche ; faire jeûne et abstinence pendant la Semaine Sainte ; faire ceci... Mais la première tâche du chrétien est d’écouter la Parole de Dieu, écouter Jésus, parce qu’il nous parle et il nous sauve avec sa Parole. Et avec cette Parole, il rend aussi notre foi plus robuste, plus forte. Écouter Jésus ! « Mais, mon Père, moi j’écoute Jésus, je l’écoute beaucoup ! ». « Oui ? Et qu’écoutes-tu ? ». « J’écoute la radio, j’écoute la télévision, j’écoute les commérages des personnes... ». Nous écoutons beaucoup de choses pendant la journée, beaucoup de choses... Mais je vous pose une question : prenons-nous un peu de temps, chaque jour, pour écouter Jésus, pour écouter la Parole de Jésus ? À la maison, avons-nous l’Évangile ? Et chaque jour écoutons-nous Jésus dans l’Évangile, lisons-nous un passage de l’Évangile ? Ou cela nous fait-il peur, ou bien n’en avons-nous pas l’habitude ? Écouter la Parole de Jésus pour nous nourrir ! Cela signifie que la Parole de Jésus est le repas le meilleur pour l’âme : il nourrit notre âme, il nourrit notre foi ! Moi je vous suggère aussi d’avoir un petit Évangile, tout petit, à porter dans votre poche, votre sac et quand nous avons un peu de temps, dans le bus peut-être... quand c’est possible dans le bus, parce que souvent dans le bus nous sommes un peu obligés de garder l’équilibre et aussi de défendre nos poches, non ?... Mais quand tu es assis, ici ou là, tu peux lire, même pendant la journée, prendre l’Évangile et lire deux petits mots. L’Évangile toujours avec nous ! De certains martyrs des premiers temps on disait — sainte Cécile par exemple — qu’ils emportaient toujours l’Évangile avec eux : ils emportaient l’Évangile ; elle, Cécile, emportait l’Évangile. Parce que c’est vraiment notre premier repas, c’est la Parole de Jésus, celle qui nourrit notre foi.
Et puis la deuxième grâce que nous avons demandée est la grâce de la purification des yeux, des yeux de notre esprit, pour préparer les yeux de l’esprit à la vie éternelle. Purifier nos yeux ! Je suis invité à écouter Jésus et Jésus se manifeste et avec sa Transfiguration il nous invite à le regarder. Et regarder Jésus purifie nos yeux et les prépare à la vie éternelle, à la vision du Ciel. Peut-être nos yeux sont-ils un peu malades parce que nous voyons tant de choses qui ne sont pas de Jésus, qui sont même contre Jésus : des choses du monde, des choses qui ne font pas de bien à la lumière de l’âme. Et ainsi, cette lumière s’éteint lentement et sans le savoir nous finissons dans l’obscurité intérieure, dans l’obscurité spirituelle, dans l’obscurité de la foi : une obscurité parce que nous ne sommes pas habitués à regarder, à imaginer les choses de Jésus. Voilà ce que nous avons demandé aujourd’hui au Père, qu’il nous enseigne à écouter Jésus et à regarder Jésus. Écouter sa Parole, et pensez à ce que je vous disais de l’Évangile : c’est très important ! Et regarder : quand je lis l’Évangile imaginer et regarder comment était Jésus, comment il faisait les choses. Et ainsi notre intelligence, notre cœur progressent sur le chemin de l’espérance, où le Seigneur nous place, comme nous avons entendu qu’il a fait avec notre père Abraham. Rappelez-vous toujours : écouter Jésus pour rendre notre foi plus forte ; regarder Jésus, pour préparer nos yeux à la belle vision de son visage, où nous tous — puisse le Seigneur nous en donner la grâce — nous nous retrouverons pour une Messe sans fin. Ainsi soit-il.
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