Pko 06.08.2017

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°41/2017

Dimanche 6 août 2017 – Transfiguration du Seigneur – Année A

Humeurs…

Les S.D.F.… la voix des sans voix

Nos ministres, maires et élus en tous genres se faisant l’écho de ceux qui parlent fort ne cessent de nous parler de la mauvaise image que donne la présence de S.D.F. dans les rues de Papeete : « Tout cela donne un mauvais affichage de ce qu'est l'ile de Tahiti, Papeete, sa capitale et de ce qu'est la Polynésie française de manière générale. Les touristes ont une autre idée de Papeete » (Tahiti info du 1er août 2017). Des lecteurs vont plus loin en disant : « Ya un logement kon construit pour eux à tipaerui... Sinon kil retourne ds leur îles… »

Certes les S.D.F. ne sont pas des anges et nous causent parfois bien des soucis… les paroissiens eux-mêmes vous le diront notamment lorsqu’ils entendent les mémorables coups de gueule du vicaire à l’égard des S.D.F. qui sont autour de la Cathédrale…

Mais les S.D.F ne sont-ils pas d’abord une bénédiction pour notre société qui se donne une bonne conscience en cachant la misère dans des quartiers de misère de la zone urbaine… là où vit 40% de la population qui à moins de 40 000 xfp par mois… et qui ne sont pas des fainéants… mais d’abord les victimes d’une société égoïste qui s’est construite en marchant sur la tête des plus petits et des plus faibles… et qui aujourd’hui refuse de partager le gâteau.

Oui les S.D.F. sont une bénédiction pour notre société car ils sont la voix des sans voix… la partie visible de cette misère rampante de notre Fenua que l’on cache avec précaution de la vue des touristes… de cette misère rampante qui voit les maladies de la misère éclore un peu partout… non seulement la syphilis et les M.S.T. mais aussi la tuberculose dont il ne faut surtout pas parler mais qui s’installe dans ces quartiers défavorisés et abandonnés…

Les patrons ont le Medef, les ouvriers et les employés ont les syndicats… les sans-voix, tous ceux qui se sont retrouvés au chômage et confinés dans les quartiers de misère ont les S.D.F. pour être leur porte-voix… pour être leur visibilité…

Vous ne voulez plus voir cette misère dans vos rues…toutefois la cacher dans le fond des vallées ne sert à rien… alors soyez pragmatique… apprenez à partager…

La misère ne se soigne que par la justice… Il est définitivement révolu le temps des Arii méprisants les Manahune !!!

Être chrétien n’est pas juste un passeport pour le ciel… c’est une exigence de justice !

C’est la rentrée !

En marge de l’actualité du mercredi 2 août 2017

Dans les jours à venir, nous allons nous trouver en période de « rentrée ». Rentrée scolaire, bien sûr, mais aussi rentrée pour nos communautés paroissiales, avec tout ce que cela comporte : rentrée des catéchismes, nouveau départ pour les groupes qui composent nos paroisses. Certes, organisation, timing, horaires, partage des responsabilités ont leur importance. Mais derrière les questions d’organisation, n’oublions pas l’essentiel : où voulons-nous aller ? Que voulons-nous construire ou faire grandir dans nos communautés, et comment avancer en fidélité à l’Évangile et à la mission de l’Église ? Le risque n’est jamais loin de voir nos paroisses comme des entreprises à faire marcher, et de cantonner les personnes en charge au rôle de « managers ».

Le « manager » administre, contrôle que le système fonctionne bien selon les règles. Il demande « comment » et « quand » les choses doivent être faites. Il mesure les rendements et s’intéresse aux statistiques, indice essentiel de réussite à ses yeux. Il veille au bon déroulement des plannings et s’assure que les plans sont respectés. Il veille à ce que la machine soit « bien huilée ».

Cependant, notre Église n’est pas une entreprise à faire marcher mais un peuple à faire vivre et avancer. Plus que de « managers », c’est de « leaders » que nos communautés ont besoin. Le leader innove, donne du souffle et de la vie, développe. Dans l’Église, il est celui qui ouvre au souffle de cet Esprit « qui renouvelle la face de la terre ». Il met en premier non pas les structures ou le système, mais les personnes et les dons qu’elles ont reçus de Dieu. Il ne contrôle pas, mais inspire confiance. Il demande « Que faire ? » et « Pourquoi le faire ? » en fidélité à l’Évangile. Il entraine à la suite du Christ ceux qui veulent prendre l’Évangile au sérieux et dans le cadre de sa mission, est capable d’ouvrir des chemins nouveaux. Il fait naître au cœur de ceux qu’il rencontre le désir de servir, de se dépasser, de se donner à fond.

Certes, le curé doit être le premier leader de sa communauté. Mais chaque responsable dans sa charge, et chaque baptisé dans sa famille peut être également leader en vivant et insufflant l’Esprit de l’Évangile autour de lui et dans tout ce qu’il vit. Ne serait-ce pas cela, « être prophète » ? Souvenons-nous du vœu de Moïse au livre des Nombres 11, 29 : « Ah ! Puisse tout le peuple de Yahvé être prophète, Yahvé leur donnant son Esprit ! » En ce début d’année, ce vœu est aussi le mien pour tous les fidèles de notre diocèse !

+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete - 2017

Tahiti-info : Sans abris, des solutions à venir, mais pour quand ?

Quelques remarques, précisions et réactions à chaud de notre part !!!

Mercredi, un article fort intéressant sur la situation des personnes à la rue dans la zone urbaine de Tahiti qui nous amène à quelques remarques, précisions et réactions.

« Alors que le collectif Te Tai Vevo parle d'environ 750 personnes à la rue, le père Christophe estime le nombre de SDF autour de 400. »

Nous n’estimons pas à 400 le nombre de personnes à la rue… nous ne savons pas combien ils sont ! Ce que nous pouvons affirmer c’est que nous avons rencontré 400 personnes dormant dans les rues depuis le début de l’année… Loin de nous de prétendre rencontrer tous ceux qui sont dans les rues de l’agglomération de Papeete !!!

« …s'ajoutent l'agacement et le ras-le-bol des commerçants. Las de devoir nettoyer leur trottoir à grandes eaux, ils font pression sur la commune. "Nous devons nettoyer le trottoir à cause des odeurs, c'est insupportable. Le matin quand on arrive, ils ont fait leur besoin juste devant. C'est infect" s'énerve la patronne d'une des boutiques autour du marché. Les riverains dénoncent la mauvaise image que la présence des sans-abris renvoie aux touristes. »

Ce sont ces mêmes commerçants et riverains qui ne trouvent pas gênant de laisser leurs poubelles pleines et débordantes sur le bord de la route à longueur de journée et de semaine !!!…

D’autre part, si des toilettes étaient mises à leur disposition, ainsi qu’aux touristes et usagés de la ville… cela ne serait pas !!! Les fidèles qui accueillent dans leur Cathédrale près d’une trentaine de personnes sans toit durant la nuit mettent à disposition leurs toilettes… et l’on ne connait pas ce genre de désagrément !!!

« "Nous ne pouvons pas traiter de la situation de ces sans domicile fixe si nous regardons leur problématique d'une simple lucarne. Il faut aller beaucoup plus loin. Il faut les amener à former un projet de vie. Ce que nous allons proposer ensemble et sous l'égide du gouvernement, c'est un traitement global en fonction de la spécificité de chaque problématique rencontrée auprès de chaque SDF", indique Jean-Christophe Bouissou »

Un traitement global… en fonction de la spécificité de chaque problématique ???? les personnes à la rue ne sont pas « un problème » ou une « problématique »… ce sont des personnes… et pour nous chrétiens… nos frères et sœurs !!!

« Je suis ouvertement contre, parce que cela revient à mettre ensemble deux types de population à risque. […] Le ministère de la Santé se défend, "Le pays met à disposition le terrain et la structure qu'il faut rénover, réhabiliter. Nous avons mis du temps, presque 6 mois à trouver le terrain parce que nous cherchions quelque chose de plus adapté. Il est projeté de donner cette structure à l'association Te Torea pour en faire un centre de nuit et mettre en place un projet d'insertion par l'activité. Le ministre a rencontré père Christophe qui lui a dit que là-haut ce n'était pas très adapté. À défaut de trouver la structure adéquate, nous gardons ce site", explique Maiana Bambridge, directrice de cabinet du ministère de la Santé et vice-présidente de la croix rouge ».

N’en demeure pas moins que mettre un foyer d’accueil pour personnes à la rue juste à côté d’un quartier social tel que les Hauts du Tira en surpopulation et en grande souffrance… est de notre point de vue extrêmement risqué… surtout que la raison du maintien de ce projet est que la subvention de 80 millions xfp destinée à un lieu d’hébergement de nuit pour les personnes à la rue sera obsolète à la fin de l’année civile.

« Tout cela donne un mauvais affichage de ce qu'est l'ile de Tahiti, Papeete, sa capitale et de ce qu'est la Polynésie française de manière générale. Les touristes ont une autre idée de Papeete. »

Avec 40% de la population qui vivent en dessous du seuil de pauvreté… les personnes à la rue ne sont pas une « mauvais affichage » mais les « porte-parole » de la masse silencieuse des exclus de notre pays. Mais… « Cachez cette misère que je ne saurai voir !!! »

© Accueil Te Vai-ete - 2017

Porter la Lumière du Christ dans le monde

Audience générale du mercredi 2 août 2017

Après la pause estivale du mois de juillet, le Pape François a repris les audiences générales. Devant près de 7 000 pèlerins réunis en salle Paul VI dans un climat festif, le Saint-Père a poursuivi son cycle de catéchèses sur l’espérance chrétienne. Revenant sur le rite du baptême, il a exhorté les fidèles à porter la lumière du Christ dans le monde.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Il fut un temps où les églises étaient orientées vers l’est. On entrait dans l’édifice sacré par une porte ouverte vers l’occident et, en marchant dans la nef, on se dirigeait vers l’orient. C’était un symbole important pour l’homme antique, une allégorie qui a progressivement disparu au cours de l’histoire. Nous, les hommes de l’époque moderne, beaucoup moins habitués à percevoir les grands signes du cosmos, nous ne nous apercevons presque jamais d’un détail de ce genre. L’occident est le point cardinal du coucher du soleil, où meurt la lumière. L’orient, en revanche, est le lieu où les ténèbres sont vaincues par la première lumière de l’aurore et il nous rappelle le Christ, Soleil surgi d’en-haut à l’horizon du monde (cf. Lc 1, 78).

Les anciens rites du baptême prévoyaient que les catéchumènes émettent la première partie de leur profession de foi en gardant le regard tourné vers l’occident. Et ils étaient interrogés dans cette position : « Renoncez-vous à Satan, à ses pompes et à ses œuvres ? » — Et les futurs chrétiens répétaient en chœur : « Je renonce ! ». Ils se tournaient ensuite vers l’abside, en direction de l’orient, où naît la lumière, et les candidats au baptême étaient à nouveau interrogés : « Croyez-vous en Dieu le Père, Fils et Esprit Saint ? ». Et cette fois-ci, ils répondaient : « Je crois ! ».

À l’époque moderne, on a partiellement perdu l’attrait pour ce rite : nous avons perdu la sensibilité au langage du cosmos. On a conservé, naturellement, la profession de foi faite selon l’interrogation baptismale, qui est propre à la célébration de certains sacrements. Elle reste cependant intacte dans sa signification. Que que signifie être chrétiens ? Cela signifie regarder la lumière, continuer à faire sa profession de foi dans la lumière, également lorsque le monde est enveloppé par la nuit et par les ténèbres.

Les chrétiens ne sont pas exemptés des ténèbres, extérieures et aussi intérieures. Ils ne vivent cependant pas en dehors du monde, par la grâce du Christ reçue dans le baptême, ce sont des hommes et des femmes « orientés » : ils ne croient pas dans l’obscurité, mais dans la clarté du jour ; ils ne succombent pas à la nuit, mais ils espèrent l’aurore ; ils ne sont pas vaincus par la mort, mais ils aspirent à renaître ; ils ne sont pas écrasés par le mal, parce qu’ils ont toujours confiance dans les possibilités infinies du bien. Telle est notre espérance chrétienne. La lumière de Jésus, le salut que Jésus nous apporte avec sa lumière qui nous sauve des ténèbres.

Nous sommes ceux qui croient que Dieu est le Père : voilà la lumière ! Nous ne sommes pas orphelins, nous avons un Père et notre Père est Dieu. Nous croyons que Jésus est descendu parmi nous, qu’il a marché dans notre vie même, en devenant en particulier le compagnon des plus pauvres et des plus vulnérables : voilà la lumière ! Nous croyons que l’Esprit Saint œuvre sans relâche pour le bien de l’humanité et du monde, et que même les douleurs les plus grandes de l’histoire seront dépassées : c’est l’espérance qui nous réveille chaque matin ! Nous croyons que chaque lien d’affection, chaque amitié, chaque bon désir, chaque amour, même les plus petits et les plus négligés, trouveront un jour leur accomplissement en Dieu : telle est la force qui nous pousse à embrasser avec enthousiasme notre vie de tous les jours ! Et cela est notre espérance : vivre dans l’espérance et vivre dans la lumière, dans la lumière de Dieu le Père, dans la lumière de Jésus Sauveur, dans la lumière de l’Esprit Saint qui nous pousse à aller de l’avant dans la vie.

Il y a ensuite un autre très beau signe de la liturgie baptismale qui nous rappelle l’importance de la lumière. Au terme du rite, on remet aux parents — s’il s’agit d’un enfant — ou au baptisé lui-même — s’il est adulte — un cierge, dont la flamme est allumée au cierge pascal. Il s’agit du grand cierge qui, pendant la nuit de Pâques, entre dans l’église complètement plongée dans l’obscurité, pour manifester le mystère de la Résurrection de Jésus ; tous allument leur propre bougie à ce cierge et transmettent la flamme à leurs voisins : dans ce signe, il y a la lente propagation de la Résurrection de Jésus dans les vies de tous les chrétiens. La vie de l’Église — j’utiliserai un mot un peu fort, est une contamination par la lumière. Plus nous, chrétiens, avons de lumière de Jésus, plus il y a de lumière de Jésus dans la vie de l’Église, plus celle-ci est vivante. La vie de l’Église est une contamination par la lumière.

La plus belle exhortation que nous pouvons nous adresser mutuellement est celle de nous rappeler toujours de notre baptême. Je voudrais vous demander : combien d’entre vous se rappellent de la date de leur baptême ? Ne répondez pas, parce que certain éprouveront de la honte ! Réfléchissez-y et si vous ne vous en souvenez pas, vous avez aujourd’hui un devoir à faire à la maison : va voir ta mère, va voir ton père, ta tante, ton oncle, ta grand-mère, ton grand-père et demande-leur : « Quelle est la date de mon baptême ? ». Et ne l’oublie plus ! Est-ce clair ? Vous le ferez ? L’engagement d’aujourd’hui est d’apprendre ou de se rappeler de la date de son baptême, qui est la date de la renaissance, qui est la date de la lumière, qui est la date où — je me permets d’utiliser un mot — nous sommes nés contaminés par la lumière du Christ. Nous sommes nés deux fois : la première à la vie naturelle, la deuxième grâce à la rencontre avec le Christ, sur les fonts baptismaux. Là, nous sommes morts à la mort, pour vivre en fils de Dieu dans ce monde. Là, nous sommes devenus humains comme nous ne l’aurions jamais imaginé. Voilà pourquoi nous devons tous diffuser le parfum du Chrême, par lequel nous avons été marqués le jour de notre baptême. En nous, vit et œuvre l’Esprit de Jésus, premier-né de nombreux frères, de tous ceux qui s’opposent au caractère inéluctable des ténèbres et de la mort.

Quelle grâce quand un chrétien devient vraiment un « christo-phore », c’est-à-dire un « porteur de Jésus » dans le monde ! En particulier pour ceux qui traversent des situations de deuil, de désespoir, de ténèbres et de haine. Et on comprend cela à tant de petits détails : à la lumière qu’un chrétien conserve dans le regard, à l’air de sérénité qui n’est pas même entamé dans les moments les plus compliqués, à l’envie de recommencer à aimer même quand on a fait l’expérience de nombreuses déceptions. A l’avenir, quand on écrira l’histoire de notre époque, que dira-t-on de nous ? Que nous avons été capables d’espérance, ou bien que nous avons mis notre lumière sous le boisseau ? Si nous sommes fidèles à notre baptême, nous diffuserons la lumière de l’espérance, le baptême est le début de l’espérance, cette espérance de Dieu, et nous pourrons transmettre des raisons de vie aux générations futures.

© Libreria Editrice Vaticana - 2017

Lettre du Pape Benoit XV aux Bélligérants – 1er août 1917

Le 1er août a marqué le 100e anniversaire de la lettre du Pape Benoît XV, adressée aux « chefs des peuples belligérants » du premier conflit mondial. Ce document, bien que sans effet sur le moment, a tracé les grands axes d'une diplomatie pontificale tournée inlassablement vers la paix, qui permettra finalement au Saint-Siège de bénéficier d'une reconnaissance internationale croissante tout au long du XXe siècle. Benoît XV demeure pourtant un Pape méconnu et parfois oublié. Le 3 septembre 1914, au moment même où l'Europe s'apprêtait à vivre l'une des pires déchirures, Giacomo della Chiesa était élu Pape de l'Église universelle et prenait le nom de Benoît XV. Diplomate de formation, en fonction au sein de la Secrétairerie d’État et en Pologne, il avait conscience de ce qui était en train de se jouer sur les champs de bataille du nord de la France et dans l’ouest de la Russie, comme son prédécesseur Pie X, avant lui. Sa première exhortation apostolique, Ubi Primum, avait été publiée dès le 8 septembre 1914 pour appeler les belligérants à déposer les armes. Sans résultat. Pourtant, Benoît XV n’a pas ménagé ses efforts durant les quatre années suivantes pour appeler à la raison les gouvernements européens impliqués.

Dès le début de Notre Pontificat, au milieu des horreurs de la terrible guerre déchaînée sur l’Europe, Nous Nous sommes proposé trois choses entre toutes : garder une parfaite impartialité à l’égard de tous les belligérants, comme il convient à Celui qui est le Père commun et qui aime tous ses enfants d’une égale affection ; Nous efforcer continuellement de faire à tous le plus de bien possible, et cela sans acception de personnes, sans distinction de nationalité ou de religion, ainsi que Nous le dicte aussi bien la loi universelle de la charité que la suprême charge spirituelle à Nous confiée par le Christ ; enfin, comme le requiert également Notre mission pacificatrice, ne rien omettre, autant qu’il était en Notre pouvoir, de ce qui pourrait contribuer à hâter la fin de cette calamité, en essayant d’amener les peuples et leurs chefs à des résolutions plus modérées, aux délibérations sereines de la paix, d’une paix « juste et durable ».

Quiconque a suivi Notre œuvre pendant ces trois douloureuses années, qui viennent de s’écouler, a pu facilement reconnaître que, si Nous sommes restés toujours fidèles à Notre résolution d’absolue impartialité et à Notre action de bienfaisance, Nous n’avons pas cessé non plus d’exhorter peuples et gouvernements belligérants à redevenir frères, bien que la publicité n’ait pas été donnée à tout ce que Nous avons fait pour atteindre ce très noble but.

Vers la fin de la première année de guerre, Nous adressions aux nations en lutte les plus vives exhortations, et de plus Nous indiquions la voie à suivre pour arriver à une paix stable et honorable pour tous. Malheureusement Notre appel ne fut pas entendu ; et la guerre s’est poursuivie, acharnée, pendant deux années encore, avec toutes ses horreurs : elle devint même plus cruelle et s’étendit sur terre, sur mer, jusque dans les airs ; et l’on vit s’abattre sur des cités sans défense, sur de tranquilles villages, sur leurs populations innocentes, la désolation et la mort. Et maintenant personne ne peut imaginer combien se multiplieraient et s’aggraveraient les souffrances de tous, si d’autres mois, ou, pis encore, si d’autres années venaient s’ajouter à ce sanglant triennat. Le monde civilisé devra-t-il donc n’être plus qu’un champ de mort ? Et l’Europe, si glorieuse et si florissante, va-t-elle donc, comme entraînée par une folie universelle, courir à l’abîme et prêter la main à son propre suicide ?

Dans une situation si angoissante, en présence d’une menace aussi grave, Nous qui n’avons aucune visée politique particulière, qui n’écoutons les suggestions ou les intérêts d’aucune des parties belligérantes, mais uniquement poussé par le sentiment de Notre devoir suprême de Père commun des fidèles, par les sollicitations de Nos enfants qui implorent Notre intervention et Notre parole pacificatrice, par la voix même de l’humilité et de la raison, Nous jetons de nouveau un cri de paix et Nous renouvelons un pressant appel à ceux qui tiennent en leurs mains les destinées des nations. Mais pour ne plus Nous renfermer dans des termes généraux, comme les circonstances Nous l’avaient conseillé par le passé, Nous voulons maintenant descendre à des propositions plus concrètes et pratiques, et inviter les gouvernements des peuples belligérants à se mettre d’accord sur les points suivants, qui semblent devoir être les bases d’une paix juste et durable, leur laissant le soin de les préciser et de les compléter.

Tout d’abord le point fondamental doit être, qu’à la force matérielle des armes soit substituée là force morale du droit ; d’où un juste accord de tous pour la diminution simultanée et réciproque des armements, selon des règles et des garanties à établir, dans la mesure nécessaire et suffisante au maintien de l’ordre public en chaque État ; puis, en substitution des armées, l’institution de l’arbitrage, avec sa haute fonction pacificatrice, selon des normes à concerter et des sanctions à déterminer contre l’État qui refuserait soit de soumettre les questions internationales à l’arbitrage soit d’en accepter les décisions.

Une fois la suprématie du droit ainsi établie, que l’on enlève tout obstacle aux voies de communication des peuples, en assurant, par des règles à fixer également, la vraie liberté et communauté des mers, ce qui, d’une part, éliminerait de multiples causes de conflit, et, d’autre part, ouvrirait à tous de nouvelles sources de prospérité et de progrès.

Quant aux dommages à réparer et aux frais de guerre, Nous ne voyons d’autre moyen de résoudre la question, qu’en posant, comme principe général, une remise entière et réciproque, justifiée du reste par les bienfaits immenses à retirer du désarmement ; d’autant plus qu’on ne comprendrait pas la continuation d’un pareil carnage uniquement pour des raisons d’ordre économique. Si, pour certains cas, il existe, à l’encontre, des raisons particulières, qu’on les pèse avec justice et équité.

Mais ces accords pacifiques, avec les immenses avantages qui en découlent, ne sont pas possibles sans la restitution réciproque des territoires actuellement occupés. Par conséquent, du côté de l’Allemagne, évacuation totale de la Belgique, avec garantie de sa pleine indépendance politique, militaire et économique, vis-à-vis de n’importe quelle puissance ; évacuation également du territoire français ; du côté des autres parties belligérantes, semblable restitution des colonies allemandes.

Pour ce qui regarde les questions territoriales, comme par exemple celles qui sont débattues entre l’Italie et l’Autriche, entre l’Allemagne et la France, il y a lieu d’espérer qu’en considération des avantages immenses d’une paix durable avec désarmement, les parties en conflit voudront les examiner avec des dispositions conciliantes, tenant compte, dans la mesure du juste et du possible, ainsi que Nous l’avons dit autrefois, des aspirations des peuples, et à l’occasion coordonnant les intérêts particuliers au bien général de la grande société humaine.

Le même esprit d’équité et de justice devra diriger l’examen des autres questions territoriales et politiques, et notamment celles relatives à l’Arménie, aux États balkaniques et aux territoires faisant partie de l’ancien royaume de Pologne, auquel en particulier ses nobles traditions historiques et les souffrances endurées, spécialement pendant la guerre actuelle, doivent justement concilier les sympathies des nations.

Telles sont les principales bases sur lesquelles Nous croyons que doive s’appuyer la future réorganisation des peuples. Elles sont de nature à rendre impossible le retour de semblables conflits et à préparer la solution de la question économique, si importante pour l’avenir et le bien-être matériel de tous les États belligérants. Aussi, en vous les présentant, à vous qui dirigez à cette heure tragique les destinées des nations belligérantes, Nous sommes animé d’une douce espérance, celle de les voir acceptées et de voir ainsi se terminer au plus tôt la lutte terrible, qui apparaît de plus en plus comme un massacre inutile. Tout le monde reconnaît, d’autre part, que, d’un côté comme de l’autre, l’honneur des armes est sauf. Prêtez donc l’oreille à Notre prière, accueillez l’invitation paternelle que Nous vous adressons au nom du divin Rédempteur, Prince de la Paix. Réfléchissez à votre très grave responsabilité devant Dieu et devant les hommes ; de vos résolutions dépendent le repos et la joie d’innombrables familles, la vie de milliers de jeunes gens, la félicité en un mot des peuples, auxquels vous avez le devoir absolu d’en procurer le bienfait. Que le Seigneur vous inspire des décisions conformes à sa très sainte volonté. Fasse le Ciel, qu’en méritant les applaudissements de vos contemporains, vous vous assuriez aussi, auprès des générations futures, le beau nom de pacificateurs.

Pour Nous, étroitement uni dans la prière et dans la pénitence à toutes les âmes fidèles qui soupirent après la paix, Nous implorons pour vous du divin Esprit lumière et conseil.

Du Vatican, 1er août 1917.

BENOÎT XV

© Libreria Editrice Vaticana - 1917

Moines et éditeurs, urbi et orbi

Ils sont bénédictins et férus de littérature. Ils lancent une maison d'édition en publiant l'autobiographie d'une intellectuelle russe et un roman albanais. Leur petit monastère rural est ouvert aux quatre vents. Visite d'une PME pas comme les autres. Parmi eux, Frère Guillaume est venu un an en Polynésie dans le cadre du service civique. Il a travaillé avec Sœur Madeline au Secours Catholique…

On se croirait dans un palace. À ceci près que le luxe d'attentions dont on est entouré ici semble être l'expression surabondante d'une bonté naturelle. Tout est simple, non ostentatoire. Parce qu'on n'est pas dans un hôtel fastueux mais dans un monastère de village perdu dans les vastes étendues ondulantes d'une partie de la Champagne qu'on dit « pouilleuse » tant les sols y sont pauvres. Et ceux qui vous reçoivent comme un prince ne sont pas des serveurs en livrée mais des serviteurs de Dieu en robe blanche. Le secret de cette hospitalité incomparable ? « Tout hôte sera accueilli au monastère comme le Christ », dit la règle de saint Benoit que suivent les quatre moines bénédictins de la branche olivétaine qui vivent ici, à Mesnil-Saint-Loup. « Nos monastères ne pourraient exister sans vous, hôtes de passage, familles, amis du Christ, chercheurs de sens, agnostiques. Tous, vous nous aidez à devenir ce que Dieu désire que nous soyons », renchérit frère Bertrand, l'actuel prieur, convaincu que son Dieu qu'il appelle Père est présent dans ses frères, tous.

La journée des moines est rythmée par la liturgie des heures, depuis la cloche qui sonne les matines à cinq heures et demie jusqu'aux complies. Ce jour-là, après l'office des vêpres, frère Guillaume, portier et hôtelier du monastère, a mis le couvert dans le parloir pour dîner avec leur invitée. Seuls les hommes sont admis au réfectoire. Qu'à cela ne tienne, on déplace la table dans une autre pièce ! D'ordinaire les moines prennent leur repas en silence en écoutant une lecture - en ce moment, une biographie de Fénelon - mais ce soir, c'est relâche. Ils discutent, se taquinent, comme des frères de sang. Leur connivence est palpable. Frère Bernard, archiviste et jardinier de la communauté, est toujours prêt à rire. Frère Étienne, l'aîné, parle peu mais ne perd pas une miette de ce qui se dit.

Frère Bertrand, intarissable conteur, essaie de dire ce qui motive leur amour passionné pour l'autre, le proche et le lointain. Il a un don pour voir au-delà des masques qui le défigurent ce qu'il y a de meilleur en chacun. Et ce fond de beauté inaltéré ne cesse de l'émerveiller. Frère Bertrand n'est pourtant pas un candide. Il est depuis huit ans l'exorciste du diocèse de Troyes. Le mal, il l'a rencontré. Il ne l'intimide plus. Il a une arme imparable qu'il vous livre avec le sourire en invoquant sainte Thérèse d'Avila : « On dit: le diable, le diable, le diable. Je dis : Jésus, Jésus, Jésus. »

Peur de rien

Suivant ses pensées, il cite Vassili Grossman : « Il y a toujours un impondérable dans la nature humaine, c'est la bonté aveugle. » Dans Vie et Destin, le grand écrivain russe rapporte une scène dont il a été témoin en 1945 à Moscou, après la victoire soviétique. Frère Bertrand raconte : « Un cortège de soldats allemands traversait la ville, pliés en deux, exténués de souffrance et de faim, pitoyables. Des badauds s'attroupèrent, s'interdisant de les plaindre. Et soudain, des grands-mères russes toutes desséchées s'avancèrent vers les prisonniers et leur tendirent des morceaux de pain, ce pain qui leur manquait tant. » Le moine ne se lasse pas de cette vision sublime. La même scène est racontée par Liliana Lounguine, dans son autobiographie fleuve, Mot à mot[1], qui fut un best-seller en Russie. Le livre de cette femme née à Moscou en 1920 paraît enfin en français. Il est publié par la maison d'édition des Quatre Vivants que lancent nos moines de Mesnil-Saint-Loup.

Une maison d'édition, alors qu'ils ont déjà tant à faire et que le marché de la librairie est saturé, quelle drôle d'idée ! Frère Étienne, cadet d'une fratrie de scientifiques éminents, est le cellérier de la communauté, celui qui tient les comptes, tandis que ses trois autres frères moines sont d'indécrottables littéraires, anciens de l'hypokhâgne et de la khâgne de Louis-le-Grand et d'Henri-IV. On sent qu'il n'est pas loin de penser que si leur maison d'édition dégage un jour des bénéfices, ce sera miraculeux. Mais parce qu'il est moine et que les moines n'ont peur de rien, il dit : « Il faut tenter l'aventure. Dieu nous parle par les désirs qu'il met en nous. »

« Ora et labora »

Quand on leur demande pourquoi ils sont devenus éditeurs, on obtient des réponses désarmantes. Connaît-on vraiment les raisons pour lesquelles on fait ceci ou cela ? semblent-ils dire, avec des têtes de lutins qui n'ont pas le temps de se poser des questions inutiles. Se sentent-ils héritiers du fol esprit d'entreprise qui animait les moines bâtisseurs du Moyen Âge et de leur passion pour la diffusion des grands textes qui en firent d'infatigables copistes ? Ils ne semblent pas y avoir pensé. Pour eux, c'est plus simple que cela. Un moine ne vit pas que d'amour et de prière. La devise bénédictine est connue : Ora et labora. Prie et travaille. Leur atelier de céramique ne faisait plus recette. Il leur fallait se reconvertir. Ils ont fait avec leur désir, leurs talents et aussi avec le trésor invisible que constitue leur réseau d'amitiés international et intellectuel qui vaut tous les « scouts » littéraires professionnels.

Ainsi ce sont des amis russes qui leur ont apporté l'autobiographie de Liliana Lounguine, juive agnostique, amie de Jean-Pierre Vernant, mère du réalisateur Pavel Lounguine (L'Île, Taxi Blues), qui raconte sa vie pleine de bruits, de fureur et néanmoins de bonheurs au sein du milieu intellectuel moscovite tout au long du siècle, un récit passionnant. D'où leur viennent ces amis russes ? Les frères sourient en regardant leur prieur, qui s'explique. Tellement impatient de vivre dans « la grande présence de Dieu » qui l'attirait depuis l'enfance, frère Bertrand entra au monastère à 18 ans. « Mais vers l'âge de 30 ans, j'ai connu un moment difficile. Je me demandais ce que j'avais fait de ma vie. L'existence d'un moine n'est pas épargnée par les crises de croissance, pas du tout ! C'est même le contraire, parce que la solitude et le silence n'offrent pas de dérivatifs. On est obligé d'affronter ses monstres intérieurs. » On le regarde. Il a une présence forte et légère. Les passions qui l'habitent semblent avoir été décantées de toute violence, lavées dans le sang de l'Agneau, comme dit l'Apocalypse. On pense aux figures de starets de la littérature russe. En 1985, il part donc se reposer chez une cousine qui est en poste à l'ambassade de France à Moscou. C'est une révélation. « J'ai eu l'impression d'arriver chez moi. » Il y noue des amitiés très fortes avec des dissidents invisibles. Depuis, il y retourne tous les dix-huit mois et, l'été, le monastère accueille ses amis de l'Est qui débarquent parfois par familles entières. « Les Russes m'ont beaucoup aidé. Chez eux, les crises sont normales. Grâce à eux, je me suis autorisé à exprimer des passions qui m'habitaient. »

Connaître la culture des uns et des autres

Frère Bertrand observe de près et avec lucidité les changements qui ont lieu en Russie. « Qui sommes-nous pour leur faire la morale ? » Pour faire tomber les murs de peur entre les peuples, on ne peut que créer des liens d'amitié gratuits et apprendre à connaître la culture des uns et des autres. C'est pourquoi il n'a pas hésité quand un ami diplomate lui a conseillé de publier le roman d'un écrivain albanais, Baskhim Shehu, fils du numéro deux du régime communiste qu'Enver Hoxha fit assassiner en 1981. Préfacé par Éric Naulleau, Le Jeu, la chute du ciel[2] est inspiré par ce que l'auteur a vécu pendant les dix ans qu'il a passés en prison après la mort de son père. « On est dans un univers proche de celui de Kafka et parfois de Dostoïevski. À un moment, un franciscain prisonnier est torturé par un ancien séminariste devenu policier qui lui dit : “C'est nous qui sommes Dieu.” »

Le dîner fini, on fait le tour du cloître et du jardin, foisonnant, fleuri, égayé d'arbres fruitiers. Un setter fougueux approche. Voici Tiapa, la mascotte des enfants qui passent des vacances à l'hôtellerie, la terreur des vieilles dames qui viennent ici à la messe. Frère Guillaume fait la généalogie des chiens du monastère. Elle remonte à l'année 1901. Dans l'inventaire des biens réalisé après le vote de la loi qui aboutit à la fermeture des monastères et à leur mise en liquidation judiciaire, le chien est mentionné ! Le dimanche, Tiapa accompagne frère Bernard dans son jogging hebdomadaire. Né en 1962, fils d'un officier, ce dernier a grandi à Neuilly et fait sa scolarité à Sainte-Croix. Les moines de Mesnil ont vécu dans les beaux quartiers de Paris, avenue de Wagram, rue Dufour, et fréquenté des écoles prestigieuses. Ils auraient pu se faire une belle place dans le monde. Frère Guillaume, né en 1971 à Saint-Germain-en-Laye, explique sa vocation avec son sérieux de normalien : « Quand on est amoureux, on n'hésite pas. » Mais pourquoi ici et pas dans une abbaye illustre ? « J'ai senti que Dieu qui me connaît mieux que personne me disait : tu seras heureux ici. Je n'ai pas cherché plus loin. » On visite enfin la bibliothèque, riche de 60 000 ouvrages ! Frère Bertrand furète dans les rayonnages russes. C'est sa salle de jeu. Dans des cartons qui attendent d'être rangés, il y a la bibliothèque que le cardinal Cottier, le théologien de Jean-Paul II, leur a léguée.

Ce n'est pas un hasard si ce petit monastère si ouvert a des liens intellectuels et fraternels qui passent les frontières. Le père Emmanuel, son fondateur, un curé de campagne de génie de la fin du XIXe siècle, passionné par le judaïsme et les Églises d'Orient, fit édifier le monastère au chevet de l'église du village parce qu'il rêvait de créer une unité organique entre les moines et le monde. Fils de charpentier, il apprit l'hébreu dans son presbytère sur des cahiers d'écolier, traduisit et commenta avec une audace amoureuse étonnante le Cantique des Cantiques. Il est aussi l'auteur d'un commentaire des psaumes au sujet duquel il correspondit avec un rabbin de Bohème à qui il déclara son « grand amour pour Israël ». Décidément, les vrais liens entre les peuples ne se font pas sous les ors des ambassades.

Astrid de Larminat

© Le Figaro - 2017

 

[1] « Mot à mot. Une vie dans le siècle soviétique », de Liliana Lounguine, traduit du russe par Bertrand Jeuffrain, Éditions des Quatre Vivants, 400 p., 24 €.

[2] « Le Jeu, la chute du ciel », de Baskhim Shehu, traduit de l'albanais par Michel Aubry, Éditions des Quatre Vivants, 200 p., 19 €.

 

Commentaire des lectures du dimanche

Pour ceux qui ont pu parcourir la Terre sainte et gravir le mont Thabor, la première phrase de l’évangile peut les faire sourire : Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il les amena sur une haute montagne. En effet, le Thabor est loin d’être une haute montagne, c’est plutôt une belle colline d’un peu moins de 600 mètres d’altitude. Si l’évangéliste emploie ce terme de montagne, ce n’est ni pour exagérer ni pour nous induire en erreur. Il s’agit plutôt de placer l’événement de la transfiguration dans l’univers symbolique des manifestations du Seigneur à son peuple. Ce qui se déroule sur le mont Thabor, devant Pierre, Jacques et Jean, est du même ordre que ce qui s’est déroulé au mont Sinaï où Dieu donna la loi à Moïse, ou bien dans la fente du rocher où Élie rencontra le Seigneur. Au Thabor comme au Sinaï, nous avons la montagne, la nuée et Dieu qui nous adresse une parole.

Cette manifestation de Dieu, qui s’inscrit dans la symbolique de l’Ancien Testament, à ce moment précis de la montée vers Jérusalem, manifeste aussi la nouveauté de la Nouvelle Alliance. Jésus s’entretient avec les deux personnages qui représentent le mieux les deux sources de la révélation juive : la loi et les prophètes, Moïse et Élie. Ces deux figures emblématiques de la première alliance entourent Jésus et s’entretiennent avec lui, Jésus apparaît alors comme une nouvelle étape de la révélation. Puis la voix du père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le ». Alors, Moïse et Élie s’effacent devant la nouvelle révélation et Jésus reste le seul. Il n’est plus ainsi une simple étape nouvelle dans l’histoire de la révélation, il en est l’achèvement qui, d’une certaine manière, relativise l’ancienne révélation.

L’événement de la transfiguration réoriente fondamentalement la révélation issue de la première alliance. Car désormais, la parole que le seigneur nous adresse n’est plus un message, mais une personne, « celui-ci est mon fils ». Moïse et Élie, la loi et les prophètes, proposaient aux croyants un message : faites ceci, ne fait pas cela, et Dieu sera avec vous. Dorénavant, avec la personne de Jésus, la Nouvelle alliance ne consiste pas d’abord à accueillir une nouvelle loi ou une nouvelle prophétie, mais à croire en l’œuvre de grâce manifestée en Jésus.

Certes, nous avons des textes, un Nouveau Testament, certes, nous sommes appelés à nous comporter selon la foi et la morale évangélique. Mais ce qui fait que je suis chrétien, ce n’est pas la pratique, ma morale, mais ma Foi en la personne de Jésus. Au sens strict, l’Évangile, la Bonne Nouvelle, ce n’est pas le texte qui raconte la vie et le message de Jésus, mais l’évènement de la victoire de Jésus sur la mort. La vie de Jésus manifeste la véritable voie pour être sauvé, c’est-à-dire pour vivre en communion avec Dieu. Sa crucifixion démontrait qu’il était un réprouvé, « maudit soit celui qui est pendu au bois de la croix » (Dt 21, 23). Et Paul nous dira que Dieu l’avait, pour nous, identifié au péché (2Co 5, 21). Mais, après la passion du Christ, Dieu, le père de Jésus, l’a ressuscité d’entre les morts alors qu’aux yeux de ses contemporains, sa passion et sa mort sur la croix démontraient que Jésus était rejeté de Dieu.

Ce rejet, c’était l’extérieur, le visible, le sensible. Car l’intérieur était demeuré intact. Ce que la transfiguration avait manifesté aux yeux des trois disciples privilégiés demeurait vivant dans la personne de Jésus. La résurrection fera éclater aux yeux des disciples la réalité de la communion profonde de Jésus à la vie divine qui n’est pas vaincue par le mal. Ce qu’ils ont vu de leurs yeux au mont Thabor avant la passion sera à nouveau manifesté à la résurrection. Voilà la bonne nouvelle pour tous les hommes : quand Dieu fait alliance avec l’homme, il peut mener jusqu’à son achèvement l’œuvre de vie qu’il a initiée. Malgré le mal qui nous ronge et qui défigure le monde, si je demeure tourné vers le père dans la confiance et l’amour, la vie divine aura le dernier mot. L’Évangile, la Bonne Nouvelle des chrétiens, ce n’est pas d’abord un récit, un écrit qui nous est transmis sous quatre formes, mais l’événement de la mort et de la résurrection de Jésus. La religion chrétienne n’est pas à proprement parler une religion du livre, de la loi et des prophètes, c’est une religion de la relation vivante et actuelle avec Jésus, seul, présent aujourd’hui à nos côtés.

Par le récit de la Transfiguration, le Seigneur veut nous redonner courage : « N’ayez pas peur, je suis vainqueur du monde. Avec moi, vous traverserez les épreuves et les difficultés de cette vie, qui ne signifient pas que Dieu vous a abandonné, et au terme de votre vie, je manifesterai, dans toute votre personne, l’Alliance que j’ai conclue avec vous par mon Fils unique » AMEN.

Fr. Antoine-Marie, o.c.d.

© Carmel.asso- 2006