Pko 03.09.2017
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°48/2017
Dimanche 3 septembre 2017 – 22ème Dimanche du Temps ordinaire – Année A
Hommage à Louise CARLSON
Il est peu de personnes qui remplisse de leur seule présence le lieu où elle se trouve, Louise Carlson en faisait indubitablement partie. Une femme de laquelle se dégageait à la fois autorité et tendresse et ce jusqu’au terme de son voyage parmi nous.
Je n’oublierai jamais cette première rencontre avec Louise… ou plutôt « Tavana » ce matin du 23 décembre 1994, dans le bien modeste local de l’Accueil Te Vai-ete. Elle était là, assise au milieu de la salle, entourée de quelques bénévoles du Secours Catholique, de trois S.D.F. rencontrés sur la route, de Sœur Madeleine et de Manutea Gay.
Lorsque Manutea et Taote Raynal l’avaient rencontré, quelques semaines plutôt, pour lui parler du projet d’ouvrir un « petit café » pour les personnes de la rue… la réponse de Louise avait été immédiatement « Oui », précisant « la commune n’a pas d’argent mais elle a des employés disponibles près au travail… nous allons nous charger de mettre ce petit local en forme… »
Je découvrais pour la première fois Louise… une femme qui rayonnait la tendresse, la paix… la sérenité ! Une femme pleine d’humanité… une vraie polynésienne ! Le souci des petits, de leur dignité… qu’ils aient été petits enfants lorsqu’elle était institutrice, qu’ils aient été les « petits » employés de la mairie… tous étaient importants à ces yeux…
Alors, un lieu d’accueil pour les personnes à la rue n’était pour elle qu’une évidence naturelle !
Que le Seigneur fut bon d’ouvrir cette brève fenêtre de deux ans de mandat de Maire à Louise, pour permettre l’ouverture de ce lieu… pierre d’achoppement pour beaucoup, honte pour certain. Ce ne fut pas seulement du courage ou de l’audace qu’il te fallut pour oser dire « Oui » à cette initiative mais aussi un « esprit de prophétie » qui avant l’heure osait dénoncer le scandale de la marginalisation, de l’exclusion qui déjà pointait son nez au cœur de notre société polynésienne.
Humaniste chrétienne, l’homme était toujours au centre des préoccupations de Louise… bien loin avant les considérations politiciennes ou de la bien-pensance ! Relever « ces petits », leur redonner une dignité comme une mère le fait pour ses petits.
Les années ont passées, l’âge et les infirmités sont venus… mais chaque fois que nos chemins se croisaient sa question était toujours : « Comment va l’Accueil ?… C’est pas trop dur ! » La même humanité, la même attention à l’autre.
Au nom des centaines de personnes qui en près de 23 ans ont bénéficié de l’Accueil Te Vai-ete… « MERCI ».
Tu étais…et tu resteras une belle personne comme on aimerait l’être nous-même… Je bénis le Seigneur d’avoir croisé ton chemin… c’est ton « oui » à l’Accueil qui m’a conduit à vivre ce que je vis aujourd’hui !
Merci et À DIEU !
Laissez-moi vous dire…
Surprenante jeunesse…
À l’école de Saint Matthieu
La ville de Papeete nous réserve bien des surprises.
Marchant de la Mission vers la cathédrale, je parviens à un passage protégé, une jeune fille m’emboîte le pas. Vêtue à la mode d’jeunes, portant des fringues de marque, c’est sans doute une lycéenne. Après une bonne centaine de mètres, la jeune fille me regarde et me demande : « Monsieur, t’as pas 1000 francs ? » Interloqué, car la jeune fille n’a l’air ni pauvre, ni famélique… mon regard lui manifeste mon étonnement.
Après quelques secondes, elle ajoute : « C’est pour donner au SDF qui est là-bas. »
Drôle de manière de faire la charité. Les jeunes ne manquent pas d’imagination !
Notez : c’était un 5 septembre / Journée internationale de la charité.
Cette jeune fille aurait-elle inventé une nouvelle manière de collecter l’impôt ?
Saint Matthieu collectait l’impôt pour les maîtres de l’époque : les Romains ; comme disait Saint Vincent de Paul : nos maîtres ne sont-ils pas les pauvres ?
D.S.
Note : Rappelons-nous : « L’aumône délivre de la mort ; c’est elle qui efface les péchés et qui fait trouver la miséricorde et la vie éternelle. » (Tobie 12, 9)
© Cathédrale de Papeete - 2017
En marge de l’actualité…
« Ne l’en empêchez pas »
Vendredi 25 Août : sur les marches de l’archevêché sont disposés cartons de nourriture, boites de conserve, sacs de riz… une partie symbolique du don alimentaire de 850 000 frs offert par les membres de l’église des Saints des derniers jours à ceux qui œuvrent au « Truck de la Miséricorde », cette camionnette qui, partant du presbytère de la cathédrale et grâce à des bénévoles, parcourt chaque mardi en soirée les rues du « grand Papeete » pour livrer des repas chauds à plus de 70 personnes, adultes et enfants, et offrir chaque nuit du Vendredi entre Mahina et Paea un dépistage santé aux sans-abris.
Cette remise du don fut effectuée en présence de hauts responsables de l’Eglise des Saints des derniers jours venus pour la circonstance, du P. Christophe et de Mgr Cottanceau. S’il est vrai que dans un passé quelque peu lointain, un tel événement eut été inimaginable, nous avons tout lieu de nous réjouir de ce qu’il soit devenu non seulement possible, mais réel. C’est ainsi que peu à peu, des ponts se construisent et des fenêtres s’ouvrent, qui rapprochent hommes et femmes de bonne volonté, unis dans un même combat contre tout ce qui défigure l’image de Dieu présente chez les plus misérables. Comment ne pas penser à ce passage de l’évangile de Marc en 9, 38-39 : « Jean dit au Seigneur : "Maître, nous avons vu quelqu'un expulser des démons en ton nom, quelqu'un qui ne nous suit pas, et nous voulions l'empêcher, parce qu'il ne nous suivait pas. " Mais Jésus dit : " Ne l'en empêchez pas, car il n'est personne qui puisse faire un miracle en invoquant mon nom et sitôt après parler mal de moi ».
Aurons-nous assez de foi en la puissance de l’Esprit Saint et assez de courage pour éloigner définitivement de nos esprits ce danger de ne retenir de l’autre que ce qui divise, ce qui oppose et pour accueillir de lui ce qui unit, ce qui rapproche, ce qui rassemble ? Le combat contre la misère ne mérite-t-il pas de faire taire nos différences pour lutter plus efficacement au nom de celui qui du haut de la croix, a voulu rassembler tous les enfants de Dieu dispersés ?
+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete - 2017
Audience générale du Pape Francois du mercredi 30 août 2017…
La mémoire de la vocation ravive l’espérance
Lors de l’audience générale de ce mercredi, tenue sur la Place Saint-Pierre, le Pape a poursuivi son parcours sur l’espérance chrétienne. Thème de la 32e étape de ses catéchèses sur ce sujet : « La mémoire de la vocation ravive l’espérance ». Le Pape s’est appuyé sur l’extrait du 1er chapitre de l’Évangile de Jean, dans lequel l’évangéliste, qui écrit ce récit alors qu’il est à la fin de sa vie, raconte la naissance de sa vocation et celle d’André.
Chers frères et sœurs, bonjour !
Aujourd’hui, je voudrais revenir sur un thème important : le rapport entre l’espérance et la mémoire, avec une référence particulière à la mémoire de la vocation. Et je prends comme image l’appel des premiers disciples de Jésus. Dans leur mémoire, cette expérience est restée tellement imprimée que l’un d’eux en a même enregistré l’heure : « C’était vers la dixième heure » (Jn 1,39). L’évangéliste Jean raconte l’épisode comme un net souvenir de jeunesse, resté intact dans sa mémoire de personne âgée : parce que Jean a écrit cela quand il était déjà âgé.
La rencontre avait eu lieu près du fleuve du Jourdain, où Jean Baptiste baptisait ; et ces jeunes Galiléens avaient choisi le Baptiste comme guide spirituel. Un jour Jésus est venu et s’est fait baptiser dans le fleuve. Le jour suivant, il est repassé et à ce moment le Baptiseur – c’est-à-dire Jean le Baptiste – dit à deux de ses disciples : « Voici l’Agneau de Dieu ! » (v.36).
Et pour eux deux, c’est l’« étincelle ». Ils laissent leur premier maître et se mettent à la suite de Jésus. Sur le chemin, il se tourne vers eux et pose la question décisive : « Que cherchez-vous ? » (v.38) Jésus apparaît dans les Évangiles comme un expert du cœur humain. À ce moment-là, il avait rencontré deux jeunes en recherche, sainement inquiets. En effet, quelle sorte de jeunesse est une jeunesse satisfaite, sans une question de sens ? Les jeunes qui ne cherchent rien ne sont pas jeunes, ils sont à la retraite, ils ont vieilli avant l’heure. C’est triste de voir des jeunes à la retraite… Et à travers tout l’Évangile, dans toutes les rencontres qu’il lui arrive sur sa route, Jésus apparaît comme un « incendiaire » des cœurs. D’où sa question qui cherche à faire émerger le désir de vie et de bonheur que tout jeune porte en lui-même : « que cherches-tu ? » Moi aussi, aujourd’hui, je voudrais demander aux jeunes qui sont ici sur la place et à ceux qui écoutent à travers les médias : « Toi qui es jeune, que cherches-tu ? Que cherches-tu dans ton cœur ? »
La vocation de Jean et d’André part ainsi : c’est le début d’une amitié avec Jésus tellement forte qu’elle impose une communion de vie et de passions avec lui. Les deux disciples commencent à rester avec Jésus et aussitôt ils se transforment en missionnaires parce que lorsque la rencontre se termine ils ne rentrent pas tranquillement chez eux : au point que leurs frères respectifs, Simon et Jacques, sont rapidement impliqués dans la « sequela ». Ils sont allés les trouver et leur ont dit : « Nous avons trouvé le Messie, nous avons trouvé un grand prophète » : ils annoncent la nouvelle. Ils sont missionnaires de cette rencontre. Ce fut une rencontre tellement touchante, tellement heureuse que les disciples se souviendront à jamais de ce jour qui illumina et orienta leur jeunesse.
Comment découvrir sa vocation dans ce monde ? On peut la découvrir de nombreuses manières, mais cette page de l’Évangile nous dit que le premier indicateur est la joie de la rencontre avec Jésus. Mariage, vie consacrée, sacerdoce : toutes les vraies vocations commencent par une rencontre avec Jésus qui nous donne une joie et une espérance nouvelles ; et il nous conduit, y compris à travers les épreuves et les difficultés, à une rencontre toujours plus pleine – cette rencontre grandit, la rencontre avec lui – et à la plénitude de la joie.
Le Seigneur ne veut pas des hommes et des femmes qui marchent derrière lui de mauvaise volonté, sans avoir dans le cœur le vent de la joie. Vous qui êtes sur la place, je vous demande – que chacun se réponde à soi-même – avez-vous dans le cœur le vent de la joie ? Que chacun se demande : « Ai-je en moi, dans le cœur, le vent de la joie ? »
Jésus veut des personnes qui ont fait l’expérience qu’être avec lui donne un bonheur immense, qui peut se renouveler tous les jours de la vie. Un disciple du Royaume de Dieu qui n’est pas joyeux n’évangélise pas ce monde, il est triste. On devient prédicateur de Jésus non pas en affinant les armes de la rhétorique : tu peux parler, parler, parler, mais s’il n’y a pas autre chose… Comment devient-on prédicateur de Jésus ? En gardant dans les yeux la lueur du vrai bonheur. Nous voyons tant de chrétiens, aussi parmi nous, qui te transmettent avec les yeux la joie de la foi : avec les yeux !
Pour cette raison, le chrétien – comme la Vierge Marie – garde la flamme de son amour : amoureux de Jésus. Certes, il y a des épreuves dans la vie, il y a des moments où il faut avancer malgré le froid et les vents contraires, malgré beaucoup d’amertume. Mais les chrétiens connaissent la route qui conduit à ce feu sacré qui s’est allumé en eux une fois pour toutes.
Mais, s’il vous plaît, j’insiste : ne donnons pas raison aux personnes déçues et malheureuses ; n’écoutons pas ceux qui recommandent cyniquement de ne pas cultiver d’espérance dans la vie ; ne nous fions pas à ceux qui éteignent dès sa naissance tout enthousiasme en disant qu’une entreprise ne vaut le sacrifice de toute une vie ; n’écoutons pas les « vieux » de cœur qui étouffent l’euphorie juvénile. Allons vers les personnes âgées dont les yeux sont brillants d’espérance ! Cultivons au contraire de saines utopies : Dieu nous veut capables de rêver comme lui et avec lui, tandis que nous cheminons en étant bien attentifs à la réalité. Rêver un monde différent. Et si un rêve s’éteint, recommencer à y rêver de nouveau, en puisant avec espérance à la mémoire des origines, à ces braises qui, après peut-être une vie pas très bonne, sont cachées sous les cendres de la première rencontre avec Jésus.
Voici donc une dynamique fondamentale de la vie chrétienne : se souvenir de Jésus. Paul disait à son disciple : « Souviens-toi de Jésus-Christ » (2 Tm 2,8) ; c’est le conseil du grand saint Paul : « Souviens-toi de Jésus-Christ ». Se souvenir de Jésus, du feu d’amour avec lequel nous avons un jour conçu notre vie comme un bon projet et raviver par cette flamme notre espérance.
© Libreria Editrice Vatican - 2017
Louise CARLSON, au commencement de l’Accueil Te Vai-ete
Dernier entretien avec Louise CARLSON au sujet de l’ouverture de l’Accueil Te Vai-ete
En octobre 2016, dans le cadre des entretiens de « Parole aux sans parole » nous avions rencontré Louise Carlson qui était à l’origine de l’aventure de l’Accueil Te Vai-ete. En hommage à cette grande dame, nous vous proposons de relire ce petit entretien.
Est-ce que l’accueil Te Vaiete serait devenu une réalité sans Louise Carlson, première et unique mairesse de la capitale ? Le doute est permis ! En moins d’un mois, un ancien débarras a été transformé en une salle à manger fonctionnelle, avec des douches. Certes, Louise n’est restée en poste que 2 ans mais les fruits de son travail continuent à produire encore aujourd’hui. Assurément, des femmes comme cela, pas facile d’en trouver !
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Racontez-nous les débuts de l’accueil Te Vaiete ?
« C’était un hangar inoccupé. Taote Raynald était intéressé par le local. On s’est rencontré parce qu’il avait besoin d’un frigidaire et il m’a dit : "Il y a des jeunes gens qui viennent chiper les médicaments au dispensaire. Il faudrait que je les vois, au lieu qu’ils prennent n’importe quoi." Et pour les voir, il avait besoin du hangar. Et Manu Gay était là aussi. Il a beaucoup fait. En fait, tout le monde était gagnant dans l’affaire. On savait ce que l’on faisait et pourquoi on le faisait ! La mairie était pauvre, les comptes étaient à redresser mais la mairie disposait d’ouvriers pour faire les travaux nécessaires. L’endroit était abandonné, c’était sale, tout était à faire : il fallait tirer l’eau, vérifier l’électricité, il y avait beaucoup à faire ! »
Vous avez même fait construire des tables et des bancs.
« Oui… on pouvait bien faire ça ! » (Rires)
Et tout cela en moins d’un mois ! Quelle efficacité !
« Pourtant certains ouvriers n’aimaient pas beaucoup être commandés par une femme. (Rires) Il fallait expliquer, juste un peu de pédagogie ! » (Rires)
Vous y alliez parfois pour voir comment ça tournait ?
« Non, non, pas vraiment parce qu’il y avait trop de problèmes à résoudre à la mairie. Mais c’était Papa Tihoni qui était là-bas et il s’en occupait très bien. J’étais présente à l’inauguration. »
Il y avait beaucoup de SDF à votre époque ?
« Je me rappelle, quand j’étais petite, il y avait deux : Matthieu qui restait toujours sur les quais et Gauguin. On ne disait pas SDF en ce temps-là. On les appelait par leur prénom. Il faut dire aussi que la vie était plus facile, on pouvait manger chez les uns et chez les autres. Avant, personne n’était pauvre ! Au fond, à Tipaerui, il y avait un ahima’a qui fonctionnait nuit et jour. Il y avait toujours des uru, des bananes, des trucs à cuire. Donc ceux qui n’avaient pas d’argent, avaient tout de même à manger. Ils allaient à la pêche. Il n’y avait vraiment pas de clochards, ni de mendiants. Et quand le CEP est arrivé, beaucoup sont arrivés de France et surtout des îles et ils couchaient là, à Tipaerui, sur les terres de Juventin. Ils ont construit de petites cases en tôles, moches. Et c’est comme ça qu’on a construit l’école Pina’i, c’était pour scolariser toute cette marmaille ! Avec le temps, d’autres ont fait pareil. Ceux-là ne voulaient plus retourner à la maison. Ils ne voulaient pas travailler. Ils ne voulaient faire que ce qu’ils voulaient. En étant SDF, ils allaient racoler du vin par ci, de la bière par là. Un jour, j’en ai trouvé un dans mon garage tôt le matin : "Tu n’as pas d’argent ?" J’ai répondu : "Regarde un peu, je suis vieille, pourtant je travaille encore. Il faut travailler." Il a été dire à ses copains "Elle n’est pas bien cette mairesse-là, elle ne donne pas d’argent !" (Rires) Aujourd’hui, ils sont dans les parkings à quémander et tout de suite après, ils vont acheter de l’alcool et du paka : ça va de mal en pis ! »
Un beau souvenir de ton mandat ?
« Non, plutôt des soucis ! (Rires) »
© Accueil Te Vai-ete - 2016
L’Olivier, Témoin fidèle des promesses divines
L'olivier est riche de signification : nourriture, base de la cuisine, remède, lumière, parfum... témoin de la prière du Christ à la veille de sa Passion. Voici la première partie de l'article consacré à ce nouveau personnage de la série « Les arbres de la Bible ».
Voilà un arbre rustique avec son tronc rugueux, tressé en lianes qui s’élancent en un bouquet de branches aux feuilles sombres et cendrées ; un arbre résistant aux maladies, s’accommodant à la nature du sol, même si celui-ci est pauvre et sec. Il sorti de son aire d'origine, l'Anatolie il y a une dizaine de milliers d’années, pour se répandre dans tout le bassin méditerranéen. Sa silhouette noueuse d’une noble beauté évoque le soleil, la chaleur et le chant des cigales. Son feuillage gris vert persistant, ses fleurs blanches en grappes dressées, au parfum de réséda, le font briller de mille attraits.
Avec le figuier, il figure parmi les premiers arbres évoqués dans la Bible. Il y est cité plus de cinquante fois : c’est dire son importance. Pour le fermier palestinien, il avait une valeur inestimable : ses olives lui procuraient nourriture, base de la cuisine, mais aussi remède, lumière, parfum ! Son bois dur, jaune et veiné de brun violacé, était utilisé dans l'ébénisterie de luxe[1]. Les branches superflues servaient de combustible… Les anciens l'appelaient « le premier des arbres ». À ce titre, il est plusieurs fois mentionné parmi les principales ressources agricoles du pays[2] :
- Isaïe relate comment on gaulait l’olivier pour en récolter les fruits[3]. À la cueillette, les olives ont une saveur âcre et désagréable : elles doivent être adoucies par macération dans la saumure pour être comestibles.
- L’huile d’olive était utilisée pour la table, mais aussi pour protéger la peau du soleil, fabriquer du savon, éclairer l’intérieur des maisons à l’aide de lampes à mèches, et allumer les chandeliers du Temple[4]. On avait coutume d’adoucir avec de l’huile les blessures et les contusions, afin d’accélérer la cicatrisation[5], ou de s’en servir pour le massage des personnes affaiblies[6]. L’huile s’utilisait encore pour les embaumements[7] et, bien sûr, l’onction des prêtres, des prophètes, mais en premier lieu du roi, l’oint de Dieu[8], élu comme son représentant pour diriger le peuple. Le mélange spécifique et élaboré d’huile d’olive et de substances aromatiques dans la confection de l’huile sacrée reflétait la dignité du culte et la transcendance de Dieu qui exige la plus grande perfection morale de ses serviteurs. Christ ou Oint est devenu le nom propre de Jésus[9] parce qu’il accomplit parfaitement la mission divine que ce mot signifie : le Messie devait être oint par l’Esprit du Seigneur, à la fois comme roi et prêtre, mais aussi comme prophète. Et Jésus accomplit l’espérance messianique d’Israël dans sa triple fonction[10].
Dans l’histoire du Salut, l’olivier figure les caractéristiques de l’Alliance entre Dieu et son peuple :
- C’est une alliance de paix. Fatigué des hommes qui n’avaient de cesse que de se pervertir, Yahvé engage Noé à préparer l'avènement d'un monde nouveau. La colombe qui revient vers l'Arche à la fin du déluge, en ramenant dans son bec un rameau d'olivier, atteste que la réconciliation désormais est accomplie, que l’humanité peut prendre un nouveau départ[11]. En s’unissant à la terre purifiée et asséchée, l’arc en ciel manifeste l’alliance de Dieu, non plus avec la seule famille du patriarche, mais avec toute la Création. D’après les Pères et les écrivains ecclésiastiques, c’est la première annonce de la nouvelle alliance qui sera réalisée par le nouveau Noé, le Fils de Dieu lui-même qu’une nuée, lors de son Ascension, cachera à nos yeux : élevé entre ciel et terre, il est le mémorial vivant de l’amitié retrouvée avec le Père, lui qui dans sa chair a endigué l’hostilité déchaînée par le péché[12].
- C’est une alliance d’amour, pas uniquement une alliance juridique, comme l’exprime symbolisme du mariage qui traverse toute la Bible. C’est une manifestation de Dieu dans son intimité : L’Amour va, vient, court, vole ; il est libre et joyeux… son ardeur, par-delà toute borne, emporte sa ferveur ; il ne trouve point d’obstacle insurmontable[13]. Il est conquérant et n’accepte pas de ne pas avoir le dernier mot.
L’olivier, à sa façon, illustre ce portrait :
- Il est généreux : pour mieux prospérer, il est taillé chaque année et ses fruits sont pressés. « Au temps de Jésus, sur les pentes du Mont des Oliviers, se trouvait une ferme avec un pressoir où les olives étaient pressées… Il a donné le nom de Gethsémani à la ferme »[14] Là, le Messie a été pressé comme les olives… pour en faire sortir « l’huile » de l’Esprit que la liturgie des Heures invoque avec confiance : Esprit de Dieu, très pur Amour, descends dans notre nuit obscure. Le temps nous tient, la chair nous dure, Esprit de feu, très pur Amour !
- Il est plus fort que la mort : même lorsqu’on l’abat, sa souche ne tarde pas à produire de nouvelles pousses. Le secret de sa résistance et de sa prolificité réside dans ses longues racines, qui peuvent s’enfoncer sous terre jusqu’à six mètres et rayonner plus loin encore. Elles lui permettent de s’accrocher à des versants rocailleux, de survivre à la sécheresse, de porter des olives des siècles durant, même lorsque son tronc torturé à l’écorce fissurée ne semble plus bon qu’à servir de bois de chauffage. C'est un arbre longévif, fidèle à la vie, tourné vers la lumière. Les exemplaires séculaires que l'on visite aujourd'hui à Gethsémani passent dans les explications des guides pour avoir été contemporains de l'agonie de Jésus-Christ[15]. C’est hautement improbable car, durant le siège de Jérusalem, Titus fit abattre tous les arbres sur un vaste espace autour de la ville. Mais peut-être s’agit-il de rejets de souches qui, elles, datent d’il y a deux mille ans : non pas d’autres sujets, mais elles-mêmes dans une nouvelle durée. Comme le Mont des Oliviers demeure identique à ce qu’il était alors, ceux-ci marquent physiquement ce lieu. Ils y ont vu se dérouler l’histoire. Ils sont nos témoins : en ce temps-là, ils étalèrent leurs rameaux argentés pour couvrir de leur ombre la honte de la trahison perpétrée à leurs pieds dans l’obscurité. Selon l’interprétation théologique qu’apporte implicitement l’évangile de Jean[16], le jardin des oliviers fait autant allusion au jardin de l’Éden qui fut témoin de l’état de justice originelle de nos premiers parents et de leur péché, qu’au jardin du sépulcre où Jésus fut enseveli. Ce lieu-clé de l’histoire du Salut fut le spectateur du baiser de Judas, mais aussi de la résurrection du Sauveur. « Dans le jardin, en effet, il a accepté jusqu’au bout la volonté du Père, il l’a faite sienne et ainsi, il a renversé l’histoire »[17].
- toujours il renaît en dépit des adversités… : dans le livre de la Bible qui lui est dédié, le pauvre Job, couvert d’ulcères et excédé de misères, souhaite mourir pour se soustraire à la souffrance de son existence. Il convoite la tombe comme un refuge d’où il pourra resurgir. Il espère dans la mort un sommeil d’où Yahvé saura un jour le tirer : Tout le temps de ma faction, j’attendrai jusqu’à ce que vienne ma relève. Tu m’appelleras, et moi je te répondrai[18] : à travers l’épaisseur de sa déréliction, il sait que Dieu se lèvera le dernier, que son amour aura le dernier mot car il est puissance de vie. Ce n'est pas la finitude humaine qui le révolte ni la perspective de la mort qui le paralyse. Ce qu’il désire, c’est mourir réconcilié. Comme les psalmistes post-exiliens[19], il veut de toutes ses forces exister dans le souvenir de Dieu. Aussi réclame-t-il une ultime rencontre qui manifeste la fidélité de celui-ci à son propos d'amour et, par là même, donne sens à la longue nuit de l’épreuve qu’il lui fait traverser : l'amitié avec le Vivant est déjà une victoire sur la mort.
Et comment exprime-t-il sa confiance en Dieu ? Au moyen d’une image, celle d’un arbre dont la description correspond à l’olivier : Il y a de l’espoir, même pour un arbre. Coupé, il peut reverdir encore[20]. Effectivement, pour peu qu’il ne soit pas déraciné, l’olivier peut être coupé sans que cela n’entraîne sa mort. Si ses racines demeurent intactes, il repoussera avec une vigueur renouvelée.
Même si une aridité prolongée le dessèche en profondeur, sa souche ratatinée pourra néanmoins repartir : Si sa racine vieillit dans la terre et si sa souche meurt dans la poussière, à l’odeur de l’eau, il bourgeonnera, oui il produira une branche comme une plante nouvelle[21].
Tout comme un cultivateur espère voir renaître ses oliviers desséchés, Dieu languit de ressusciter ses serviteurs : il attend avec impatience, lui, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, non le Dieu des morts mais des vivants[22], l’époque où ils seront ramenés à la vie.
- ... et ses rejetons demeurent : Tes fils seront comme des plants d’olivier autour de ta table[23] Que signifie cette comparaison ? Lorsqu’en raison de son âge, le tronc principal d’un olivier ne produit plus autant qu’auparavant, les cultivateurs peuvent laisser plusieurs plants ? ces pousses qui sortent continuellement de la base de l’arbre ? se développer jusqu’à devenir partie intégrante de l’ensemble.
Au bout d’un certain temps, trois ou quatre nouveaux troncs vigoureux entoureront celui d’origine, comme des fils autour de la table familiale. Cette caractéristique de l’olivier illustre bien la façon dont les enfants peuvent grandir fermes dans la foi, grâce aux robustes racines spirituelles de leurs parents.
- Patient : le Talmud cite ce proverbe : « Il est plus aisé de lever une légion d'oliviers en Galilée que d'élever un enfant en Palestine ». Les difficultés de l’éducation et les incertitudes quant à la transmission de la foi donnent une idée de la hauteur du défi à relever. L’olivier est un arbre à croissance lente. Il faut attendre plusieurs années avant de le tailler, puis de le greffer ; au début, l'arrosage est indispensable, ainsi que de fréquents bêchages ; souvent aussi on y met de l'engrais. Ce n'est qu'au bout de quinze à vingt ans qu’il atteint sa pleine valeur. Il peut ensuite durer des siècles, à la condition toutefois d'une culture toujours attentive.
De l’éducation en famille, l’analogie peut s’appliquer au développement des vertus civiques en société : la prudence, la persévérance, les habitudes industrieuses... sont des qualités réclamées, autant par la culture de l’olivier que par le progrès d’une communauté. Dans cette optique, il est ? dit-on ? l'un des éducateurs de l'humanité sur la voie de la civilisation.
- L’alliance de paix et d’amour entre Dieu et son peuple l’est aussi pour la victoire : l’Arche, signe visible de la sollicitude de Dieu envers les siens, accompagnait Israël dans son long périple d’approche de la Terre promise. Encore en Transjordanie, avant qu’il n’entre en Palestine, Moïse lui annonce que Dieu va l’amener dans une terre excellente…un pays d’oliviers à huile et de miel… où rien ne lui manquera…, où il bénira le Seigneur pour le bon pays qu’il lui a donné, où seront apaisés les tourments de quarante années passées dans le désert, où son opulence égalera celle de l’olivier[24]. Conforté par une telle assurance, comment ne pas aller de l’avant ?
Une fois installées en Terre sainte, les familles israélites avaient souvent des oliviers autour de leur demeure. Et, dans un psaume, le roi David témoigne de son désir d’être proche de Dieu comme un olivier verdoyant dans sa maison[25] : pour lui rendre grâce et répondre à son amour.
À présent, dans l’économie de la nouvelle Alliance, quel peut être le sens de ce symbolisme ? L’olivier ne représente-t-il pas le chrétien fidèle, qui accepte de bon gré d’être corrigé, taillé par les circonstances de la Providence pour porter des fruits de justice et de paix[26], qui fortifie jour après jour ses racines spirituelles afin d’endurer épreuve et persécution[27], dans l’attente, selon sa promesse, de nouveaux cieux et d’une terre nouvelle[28] ?
L’olivier, presque indestructible, dont la fécondité demeure d’une année sur l’autre, nous remémore l’engagement de Dieu : Les jours de mon peuple seront comme les jours d’un arbre ; et mes élus profiteront pleinement de l’œuvre de leurs mains[29]. Cette promesse prophétique s’accomplira dans le monde à venir, renouvelé.
Bertrand Cauvin, expert forestier
Abbé Patrick Pégourier
© Opus Dei – 2017
[1] Les anciens savaient greffer les variétés les plus productrices, mais l'olivier sauvage était exclusivement réservé à la construction et à la menuiserie fine. Pour le Temple, Salomon fit réaliser en bois d’olivier sauvage les deux chérubins, les deux battants de la porte du Sanctuaire, ainsi que les poteaux de celle-ci (1R 6, 23.31.33).
[2] Am 4:9, Ha 3:17, Ag 2:19, Si 24:14.
[3] 17,6.
[4] Ex 27, 20-21 ; Lv 24, 2.
[5] Is, 6. Au temps de Jésus, dans la parabole, le bon Samaritain verse de l’huile et du vin sur les blessures de l’infortuné trouvé sur la route de Jéricho Lc 10, 34.
[6] Cf. Dt 28,40.
[7] Cf. Rt 3, 3 ; 2 S 12, 20 ; Mt 6, 17.
[8] Cf. Ex 30, 22-3 ; Cf. 1 R 19, 16. Pour le roi : 1 S 24, 7 ; 26, 9.23 ; 2 S 23, 1. Saül fut le 1er roi oint par mandat divin (1 S 9, 15-16),mais c’est surtout, à partir de David, que le roi d’Israël est figure de Jésus.
[9] Cf. discours à la synagogue de Nazareth : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par l’onction : Is 61, 1-2 ; Lc 4, 18.
[10] Cf. CEC 436.
[11] Dans son ouvrage La doctrine chrétienne, saint Augustinécrit que « la paix est indiquée par la branche d'olivier que la colombe apporte quand elle retourne à l'Arche ». Au fil des siècles, la branche d’olivier s’est affirmée en tant que symbole de paix et de coopération entre les humains : en 1947, l’ONU a adopté comme emblème la carte du monde entourée de deux rameaux croisés d’olivier symbolisant la paix. ; la colombe tenant un rameau d’olivier a été rendue célèbre en tant que symbole de paix au xxe siècle , par la Colombe de la paixdessinée par Picasso en 1949.
[12] Cf. Gn 8,10-13 et 9, 9-16 ; Rupert de Deutz, Commentaire de la Genèse 4, 36.
[13] Imitation de Jésus-Christ.
[14] Gehrard Kroll cité par Benoit XVI dans Jésus de Nazareth II, chap. 6.
[15] Mt 26, 30-36sv.
[16] Cf. 18, 1. 26 ; 19, 41.
[17] Benoît XVI, Jésus de Nazareth II, chap. 6, 1.
[18] Jb 14, 14-15. C’est « comme pour signifier : le renouveau futur procédera du pouvoir de ton appel ou de ton ordre, selon ce que dit Jean (5, 28) : Tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l’entendront vivront » (saint Thomas d’Aquin, Commentaire du livre de Job).
[19] Cf. Ps. 16, 10-11 ; 49, 16 ; 73, 23-26.
[20] 14, 7.
[21] 14, 8-9
[22] Mt 22, 31-32.
[23] Jb14, 7 et Ps 128, 3.
[24] Dt 8, 7-10 et Os 14, 6. Aujourd’hui encore, du pied du mont Hermon à la campagne de Bersheba en passant par la plaine côtière du Sharon, les pentes rocailleuses de la Samarie et les vallées fertiles de la Galilée, le paysage est parsemé d’oliveraies du nord au sud.
[25] Ps 52, 10.
[26] Cf. He 12, 5-7. 11.
[27] Mt 13, 21.
[28] 2 Pi 3, 13.
[29] Is 65, 22.
Commentaire des lectures du dimanche
« Arrière ennemi »
Nous sommes au grand tournant de la vie de Jésus : le ministère en Galilée s’achève, et malgré le signe de la multiplication des pains l’hostilité des Pharisiens et des Sadducéens ne désarme pas.
Pierre vient de faire sa belle profession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » ; et désormais Jésus va se consacrer en priorité à la formation du petit groupe de ses disciples immédiats. C’est dans cet axe de la pédagogie de Jésus qu’il faut replacer les trois annonces de la Passion qui jalonnent le récit de saint Matthieu : d’emblée Jésus veut couper court à tous les rêves de messianisme politique et préparer les siens à reconnaître en lui le Messie souffrant.
C’est alors que le bon sens de Pierre commence à se révolter : « Dieu t’en préserve, Seigneur, cela ne t’arrivera pas ! » Il dit cela par attachement pour le Maître, c’est sûr, mais peut-être aussi parce que la peur est entrée en lui, cette peur de l’inconnu, de l’insécurité et de l’inconfort, qui nous fait dire, à nous : « Dieu m’en préserve, Seigneur, cela ne m’arrivera pas ! »
Nous voudrions que la vérité nous parvienne au creux de nos évidences humaines, que la révélation de Dieu épouse nos chemins préférés, et que la source de Dieu coule toujours à la fontaine que nous avons choisie.
Nous attendrions que les exigences de l’Évangile viennent simplement prolonger nos désirs humains d’épanouissement.
Nous aimerions effacer de nos vies l’ascèse et la vigilance, comme on fait la chasse aux rides sur un visage. Sans cesse renaît pour nous la tentation d’imaginer Dieu comme satellite de l’homme, au service de l’homme pour répondre au moindre de ses désirs ; or Dieu reste Dieu quand il s’approche de l’homme.
Nous préférerions un Christ sans mystère, sans histoire et sans croix, qui serait passé, dans un sourire, de Nazareth à la résurrection ; nous préférerions Béthanie sans le calvaire, les Béatitudes sans les renoncements, le salut sans le pardon.
« Arrière, ennemi ! », nous dit Jésus comme à Pierre. « Tu reconstruis tout avec tes pensées d’homme, tu arranges tout avec tes désirs de femme. Si tu veux servir un autre maître, pourquoi avoir choisi de me suivre ? Là où je suis sera mon serviteur ; là où je suis passé, pourquoi ne passerais-tu pas ? Le disciple n’est pas plus grand que son maître ! Si tu tiens la charrue, va droit devant, creuse ton sillon sans regarder en arrière. Si tu veux me suivre, prends ta croix. »
Jésus ne dit pas : « Prends ma croix, ma croix de bois », car il n’y aura jamais qu’un seul Golgotha, mais bien « prends ta croix ». Non pas une croix imaginée et angoissante, mais le réel de ta vie, les contraintes de ta santé, le poids de tes responsabilités, le souci de tous ceux que tu aimes. Assume avec le sourire les séquelles de ton histoire affective ; n’aie plus peur des cicatrices que la vie t’a laissées, et cesse de te chercher dans le miroir des autres. Prends ta croix, et surtout ne cesse pas de me suivre ! « Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, ajoute Jésus, mais celui qui perd sa vie à cause de moi la trouvera ». De fait, celui qui prend sa croix commence à vivre, en suivant le Maître, une étrange folie qui est la plus douce des sagesses.
Il se met à perdre l’avoir, le valoir, le pouvoir ; il se perd lui-même des yeux, n’ayant de regard que pour Celui qui marche devant.
Il perd sa vie, sans rien tuer en lui-même, mais en vivant son temps d’homme au compte de Dieu.
Il perd sa vie en tant que sienne, parce qu’il laisse Dieu libre de la prendre pour la survolter ou pour l’enfouir, pour en faire une parole ou un silence.
Et voilà « l’admirable échange » : l’homme s’est fait perdant et il a gagné ; il s’est laissé gagner par Dieu. Souvent il a perdu ce qui fait courir l’esclave des choses, mais il a trouvé son âme, il a trouvé un sens à sa vie ; il s’est trouvé lui-même en Dieu et selon Dieu, il a trouvé Dieu.
Frères et sœurs, il ne servirait à rien de laisser dans le monde une traînée de puissance. Ce que le Christ nous demande, c’est de creuser un sillon de bonté, et d’aller à Dieu humblement par le chemin du don de nous-mêmes. Là est la paix, là est la joie, car c’est le choix qu’a fait le Christ pour réussir l’homme.
Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.
© Carmel.asso- 2008