Pko 01.10.2017

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°53/2017

Dimanche 1er octobre 2017 – 26ème Dimanche du Temps ordinaire – Année A

Humeurs…

Persévérance et collaboration !

Lorsqu’on lit ou relit le récit de cette jeune lépreuse de Taenga relaté par Raoul Follereau dans son livre « Tour du monde des lépreux » (voir ci-dessous p.5)… comme David, à l’histoire que lui rapporte le prophète Nathan du riche propriétaire qui vole la brebis de celui qui n’en avait qu’une (2 Sa 12), nous sentons la colère monter… « Par le Seigneur vivant, l’homme qui a fait cela mérite la mort ! »… Mais Nathan, aujourd’hui pourrait nous redire la même chose : « Cet homme, c’est toi ! Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur en faisant ce qui est mal à ses yeux ? »

Voilà plus de 3 ans qu’un homme, que l’on appellera Lazare, erre dans nos rues de Papeete, atteint de schizophrénie, laissé à lui-même dans ses délires permanents, n’ayant plus conscience de sa dignité d’homme, sale à rebuter les plus courageux,… Demeurant essentiellement à côté d’un service du territoire sans que jamais un signalement ne semble avoir été fait, ou peut-être pris en compte ! À notre défense, quelques personnes de son voisinage prenaient soin de lui, lui apportant à manger, semble- t-il quotidiennement ! Mais rien de plus !!!

Cette semaine, grâce à la persévérance d’un médecin du C.H.T, de la responsable du service social de la commune de Papeete, de la disponibilité d’un médecin privé, de quelques membres de la police municipale et de pompiers de Papeete… ce qui était notre plus grande honte a pris fin !!!

En effet, Dr Frédéric G. qui avait été saisi par la justice en 2014 pour un examen en vue d’une mise sous tutelle, et qui désespérait de retrouver Lazare n’a pas baissé les bras… et avec obstination a frappé à toutes les portes jusqu’à ce qu’enfin il retrouve trace de Lazare… Suite à cela, Heitiare T., responsable du service social de la Mairie a pris son bâton de pèlerin pour trouver la solution afin de faire admettre Lazare au C.H.T. La réponse une fois trouvée… restait à mettre en place « l’opération secours » : prendre contact avec un médecin acceptant de venir sur place après ses heures de permanences Dr Françis B., prévoir une équipe de police et l’ambulance des pompiers…

Le rendez-vous est fixé pour le mardi soir à 19h… mais comment cela allait-il se passer ?… Grâce à Dieu, Lazare, après un moment de promenade dans les rues, accepte de monter dans l’ambulance… et le voilà parti vers le C.H.T…

Aujourd’hui, il est hospitalisé probablement pour quelques semaines jusqu’à ce qu’il retrouve une stabilité et qu’il puisse retrouver sa place au milieu des siens…

Merci au Dr Frédéric G., à Heitiare T, au Dr Françis B., aux pompiers et à la police municipale… ce n’est pas seulement à Lazare que vous avez redonné la dignité… mais à nous tous et à toute la Polynésie…

Persévérance et collaboration auront eu raison de notre inhumanité… la lépreuse de Taenga est dans nos rues… mais les Raoul Follereau sont bien rares !

Laissez-moi vous dire…

1er octobre : Fête de la famille à Punaauia, rentrée sociale et politique
Soutenir et défendre la famille

La famille est un bien précieux pour toute société, mais elle peut se trouver très vite fragilisée. Une maladie qui survient, le chômage qui perdure, un ado qui tourne mal, ajoutons à cela : les jeux d'argent, l'oisiveté, la tentation de l'adultère, l'alcool... et la famille éclate...

Les synodes diocésains successifs ont tous soulignés l'importance de la famille, la nécessité de bien préparer les couples au mariage, son rôle primordial dans l'éducation. Combien de familles en morceaux ont bénéficié du soutien des Églises ? Mais face à une politique familiale centrée sur les droits des individus la tâche est de plus en plus ardue. L'Association Familiale Catholique (A.F.C.) milite pour le soutien et la défense de la famille. La rencontre inter-familles qu'elle organise ce dimanche 1er octobre à Punaauia est un moyen de renforcer - dans un cadre festif et convivial - les liens entre familles de différentes paroisses.

Au nom des libertés individuelles, les politiques menées par les gouvernements dits « libéraux » ont sacrifié la famille naturelle en développant une législation basée sur des théories niant la loi naturelle. Exemple : la dernière trouvaille de notre gouvernement central actuel : faire de « l'égalité femmes – hommes » grande cause du quinquennat présidentiel !

En soi l'objectif semble louable quand on analyse les inégalités qui affectent les femmes par rapport aux hommes. Mais la surprise vient de l'annonce du premier projet de loi que la Secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes veut faire voter en 2018 : ouvrir la PMA (Procréation Médicalement Assistée) aux femmes célibataires et aux couples de femmes.

Les hommes auraient-ils déjà accès à la PMA ? [mdr !] En fait l'étape suivante sera probablement : le recours à la GPA pour les hommes célibataires et les couples d'hommes ! L'A.F.C. a du pain sur la planche, raison pour laquelle nous devons soutenir ses actions.

D.S.

Note : pour connaitre les actions menées par l'A.F.C. on peut consulter le site www.afc-tahiti.org ou s'abonner à la newwsletter par mail à l'adresse : afcdepolynesie@gmail.com.

© Cathédrale de Papeete - 2017

 

En marge de l’actualité…

Foi et Écologie

La prise de conscience de l’importance de la sauvegarde et de la protection de la nature et de l’environnement, l’ouverture à la nécessité de nouveaux comportements « écologiques » dans la vie quotidienne témoignant d’un respect plus grand pour la création dans laquelle nous vivons pourraient sembler des préoccupations encore éloignées pour beaucoup, ou réservées à un petit nombre de responsables « acquis à la cause ». Cependant, même si, comme dit le proverbe, « une hirondelle ne fait pas le printemps », l’actualité montre que l’idée fait son chemin. Réactions au projet de carrière dans la vallée de la Papenoo, journée de l’environnement au collège et CED de Rikitea devant permettre aux élèves de prendre conscience de la fragilité de la nature qui les entoure et du respect dû à cette nature, opérations de nettoyage des rivages de la mer par des volontaires… L’Église n’est pas en reste comme le montre cette initiative de la Conférence des évêques de France et de la Fédération protestante de France. Elles ont lancé, samedi 16 septembre à Paris, un label « Église verte » visant « la conversion écologique » des paroisses dans un esprit œcuménique. Répondant à cette invitation, la paroisse St Gabriel dans le XX° arrondissement a vu se créer un groupe de laïcs qui, sous l’impulsion de leur curé, ont créé un jardin potager autour de l’église. Des bacs pour recycler les déchets organiques ont également été installés ainsi qu’un bac de récupération pour les plastics. Des infos régulières sont données sur les moyens d’éviter le gaspillage dans la vie courante. Des sorties en fermes biologiques sont parfois organisées pour les enfants de la catéchèse de la paroisse, et dans les homélies, les prières universelles, les chants, une attention particulière est portée aux textes bibliques évoquant la création, la nature et son peuplement. Dans la paroisse Notre-Dame-de-la-Croix à Ménilmontant, des ruches ont été installées à flanc d’église. À Lyon, au Grand Temple de l’Église protestante unie, une « cellule verte » a été mise en place il y a un an. Au programme des actions concrètes : prédications sur la création, parcours botanique et vaisselle lavable sont de rigueur.

Aux fidèles qui auraient du mal à comprendre ce lien entre Foi et respect de la nature, le Pape François, dans sa lettre encyclique « Laudato si » (« Loué sois-tu ») explique longuement les racines d’un tel lien. Il écrit au n°66 : « Les récits de la création dans le livre de la Genèse… suggèrent que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché. L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées... » Évoquant la responsabilité de chacun vis-à-vis de cette terre où nous vivons, il écrit au n°68 : « Cette responsabilité vis-à-vis d’une terre qui est à Dieu implique que l’être humain, doué d’intelligence, respecte les lois de la nature et les délicats équilibres entre les êtres de ce monde, parce que “lui commanda, eux furent créés, il les posa pour toujours et à jamais sous une loi qui jamais ne passera” (Ps 148, 5b-6). C’est pourquoi la législation biblique s’attarde à proposer à l’être humain diverses normes, non seulement en relation avec ses semblables, mais aussi en relation avec les autres êtres vivants : “Si tu vois tomber en chemin l’âne ou le bœuf de ton frère, tu ne te déroberas pas (…) Si tu rencontres en chemin un nid avec des oisillons ou des œufs, sur un arbre ou par terre, et que la mère soit posée sur les oisillons ou les œufs, tu ne prendras pas la mère sur les petits” (Dt 22, 4.6) »

Il nous revient, en tant que Chrétiens, mais surtout en tant qu’humains habitant cette terre de nous réveiller pour nous mettre en route sans tarder. Ne nous faisons pas d’illusion, ce choix n’est pas à option !

+ Mgr Jean Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete - 2017

Audience générale du Pape Francois du mercredi 27 septembre 2017…

N’ayons pas peur de partager le chemin de ceux qui espèrent

Lors de l’audience générale de ce mercredi 27 septembre, le Pape s’est de nouveau penché sur l’espérance chrétienne. Pour la 34e étape de ce parcours catéchétique, François s'est penché sur les ennemis de l'espérance, appelant à vaincre dans la simplicité de cœur.

Chers frères et sœurs, bonjour !

En cette période, nous parlons de l’espérance ; mais aujourd’hui, je voudrais réfléchir avec vous sur les ennemis de l’espérance. Parce que l’espérance a ses ennemis : comme tout bien en ce monde, elle a ses ennemis.

Et il m’est venu à l’esprit le vieux mythe du vase de Pandore : l’ouverture du vase déclenche des tas de catastrophes dans l’histoire du monde. Mais peu nombreux sont ceux qui se souviennent de la dernière partie de l’histoire, qui ouvre une spirale de lumière : après que tous les maux soient sortis de l’embouchure du vase, un don minuscule semble prendre sa revanche face à tout le mal qui se répand. Pandore, la femme qui gardait le vase, l’aperçoit en dernier : les Grecs l’appellent « elpis », qui veut dire espérance.

Ce mythe nous raconte pourquoi l’espérance est si importante pour l’humanité. Ce n’est pas vrai que « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », comme on dit. C’est plutôt le contraire : c’est l’espérance qui tient la vie debout, qui la protège, la garde et la fait grandir. Si les hommes n’avaient pas cultivé l’espérance, s’ils ne s’étaient pas tenus à cette vertu, ils ne seraient jamais sortis des cavernes et n’auraient pas laissé de trace dans l’histoire du monde. C’est ce qui peut exister de plus divin dans le cœur de l’homme.

Un poète français – Charles Péguy – nous a laissé des pages magnifiques sur l’espérance (cf. Le portail du mystère de la seconde vertu). Il dit poétiquement que Dieu ne s’étonne pas tellement de la foi des êtres humains, ni même de leur charité mais que ce qui le remplit vraiment d’étonnement et d’émotion, c’est l’espérance des gens : « Que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux ». L’image du poète rappelle les visages de tant de personnes qui ont traversé ce monde – paysans, pauvres ouvriers, migrants à la recherche d’un avenir meilleur – qui ont lutté avec ténacité malgré l’amertume d’un quotidien difficile, rempli de bien des épreuves, mais animés par la confiance que leurs enfants auraient une vie plus juste et plus sereine. Ils luttaient pour leurs enfants, ils luttaient dans l’espérance.

L’espérance est l’impulsion dans le cœur de ceux qui partent en laissant leur maison, leur terre, parfois des proches et des parents – je pense aux migrants – pour chercher une vie meilleure, plus digne pour eux-mêmes et pour ceux qui leur sont chers. Et c’est aussi l’impulsion dans le cœur de ceux qui accueillent : le désir de se rencontrer, de se connaître, de dialoguer… L’espérance est l’impulsion pour « partager le voyage », parce que le voyage se fait à deux : ceux qui viennent sur notre terre et nous qui allons vers leur cœur pour les comprendre, pour comprendre leur culture, leur langue. C’est un voyage à deux, mais sans espérance ce voyage ne peut se faire. L’espérance est l’impulsion pour partager le voyage de la vie, comme nous le rappelle la campagne de la Caritas que nous inaugurons aujourd’hui. Frères, n’ayons pas peur de partager ce voyage ! N’ayons pas peur ! N’ayons pas peur de partager notre espérance !

L’espérance n’est pas une vertu pour les gens qui ont l’estomac plein. Voilà pourquoi, depuis toujours, les pauvres sont les premiers porteurs d’espérance. Et en ce sens, nous pouvons dire que les pauvres, et aussi les mendiants, sont les protagonistes de l’Histoire. Pour entrer dans le monde, Dieu a eu besoin d’eux : de Joseph et de Marie, des bergers de Bethléem. Dans la nuit du premier Noël, il y avait un monde qui dormait, tranquillement, dans toutes ses certitudes acquises. Mais les humbles préparaient en cachette la révolution de la bonté. Ils étaient pauvres de tout, certains se maintenaient à peine au-dessus du seuil de survie, mais ils étaient riches du bien le plus précieux qui existe au monde, à savoir l’envie de changement.

Parfois, avoir tout reçu de la vie est une malchance. Pensez à un jeune auquel n’a pas été enseignée la vertu de l’attente et de la patience, qui n’a pas jamais eu à transpirer, qui a brûlé les étapes et qui, à vingt ans, « sait déjà comment marche le monde » ; il a été destiné à la pire des condamnations : celle de ne plus rien désirer. C’est cela, la pire des condamnations. Fermer la porte aux désirs, aux rêves. Il semble être jeune mais en fait l’automne est déjà tombé sur son cœur. Ce sont les jeunes d’automne.

Avoir une âme vide est le pire obstacle à l’espérance. C’est un risque duquel personne ne peut se dire exclu ; parce qu’être tenté contre l’espérance peut arriver aussi quand on avance sur le chemin de la vie chrétienne. Les moines de l’Antiquité avaient dénoncé un des pires ennemis de la ferveur. Ils disaient ceci : ce « démon de midi » qui va saper une vie d’engagement, justement au moment où le soleil est au zénith. Cette tentation nous surprend quand nous nous y attendons le moins : les journées deviennent monotones et ennuyeuses, aucune valeur ne semble mériter que l’on se fatigue. Cette attitude s’appelle l’acédie, qui érode la vie de l’intérieur jusqu’à ce qu’elle la laisse comme une enveloppe vide.

Quand cela se produit, le chrétien sait que cette situation doit être combattue, jamais acceptée passivement. Dieu nous a créés pour la joie et pour le bonheur, et non pour que nous nous complaisions dans des pensées mélancoliques. Voilà pourquoi il est important de garder son cœur, en s’opposant aux tentations de malheur, qui ne viennent certainement pas de Dieu. Et là où nos forces pourraient apparaître fatiguées et où la bataille contre l’angoisse semble particulièrement dure, nous pouvons toujours recourir au nom de Jésus. Nous pouvons répéter cette simple prière dont nous trouvons la trace aussi dans les Évangiles et qui est devenue le pivot de nombreuses traditions spirituelles chrétiennes : « Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, aie pitié de moi, pécheur ! ». Une belle prière. « Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, aie pitié de moi, pécheur ! ». C’est une prière d’espérance, parce que je m’adresse à celui qui peut ouvrir grand les portes et résoudre le problème et me faire regarder l’horizon, l’horizon de l’espérance.

Frères et sœurs, nous ne sommes pas seuls pour combattre le désespoir. Si Jésus a vaincu le monde, il est capable de vaincre en nous tout ce qui s’oppose au bien. Si Dieu est avec nous, personne ne nous volera cette vertu dont nous avons absolument besoin pour vivre. Personne ne nous volera l’espérance. Avançons !

© Libreria Editrice Vatican - 2017

PMA Pour toutes, dernière frontière avant le transhumanisme

L'ouverture de la PMA pour toutes les femmes a été annoncée par le gouvernement. Pour François-Xavier Bellamy, une telle décision serait un dévoiement de la médecine et constituerait le point de bascule vers le transhumanisme.

Alors nous y voilà rendus, à cette frontière si longtemps rêvée, si longtemps imaginée, à cette frontière tant redoutée aussi. À la plus essentielle de toutes les frontières. Celle que les légendes de l'humanité ont tenté de décrire pendant des millénaires, celle qui a hanté les nuits des alchimistes, celle dont tant de héros et de puissants dans l'histoire ont recherché avidement la trace... La véritable Finis Terrae, le seuil du monde humain connu. Nous voilà prêts à passer la ligne. Et finalement ce n'est pas si impressionnant que cela. Et c'est peut-être ce qui est le plus inquiétant, au fond.

Il n'y a qu'un pas à faire, et nous allons le faire presque sans y penser. Juste un pas de plus, comme n'importe quel pas. Sans voir la ligne sous nos pieds.

On nous en avait pourtant parlé, de cette fameuse frontière dont les progrès de la science ne cessent de nous rapprocher. Le transhumanisme. L'homme augmenté. Nous avons eu le temps de l'imaginer, ce nouveau monde incroyable, qui devenait peu à peu attirant ou vaguement terrifiant à mesure qu'il semblait devenir possible.

Monde où la médecine ne servirait plus à réparer les corps, mais à les mettre au service de nos rêves. Monde où le donné naturel ne serait plus une limite, ni un modèle - où l'individu enfin émancipé des frontières ordinaires du vivant pourrait modeler sa vie, et celle des autres, à la mesure de son désir. Nous avons eu le temps de l'imaginer, ce monde de science-fiction.

Eh bien, nous y voilà. Et finalement c'est tout simple, de passer la frontière. Je ne pensais pas que cela paraîtrait si simple, et que cet événement inouï passerait presque inaperçu. Je suis sur le quai de la gare, ce matin. C'est une journée parfaitement banale. Les gens autour de moi semblent plongés dans leurs préoccupations quotidiennes. Et pourtant, nous sommes sur le point de changer de monde.

Je lis et relis cette notification sur mon portable. Entre les manifestations du jour et les résultats d'un match, cette information en apparence anodine : Marlène Schiappa annonce que la PMA sera bientôt ouverte aux couples de femmes et aux célibataires, « une mesure de justice sociale ». « Évidemment », a-t-elle dit. Évidemment.

Comment n'y avais-je pas pensé. Comment avons-nous pu croire que le transhumain allait débarquer tout de suite avec son cerveau augmenté, son cœur rechargeable, ses yeux bioniques... Nous étions tellement naïfs.

Finalement, c'est à cela que devait ressembler l'entrée dans le nouveau monde : à Marlène Schiappa chez Jean-Jacques Bourdin, évoquant, sans même en mesurer l'importance, la mutation inouïe - cette révolution probablement plus importante que tout autre événement dans l'histoire de l'humanité : désormais, lorsque notre pouvoir technique se saisira de nos corps, ce sera pour nier ce qu'ils sont, et non pour les réparer.

La nature n'existe plus. S'ouvre le règne du désir.

Une annonce de Marlène Schiappa, ça n'a pas l'air si décisif, bien sûr. Vous devez penser que je délire. Encore un rétrograde angoissé, et ses « passions tristes ». Je connais déjà par cœur les refrains qu'entonneront les partisans du progrès dans leur bonne conscience innocente, incapables sans doute de comprendre (c'est la meilleure excuse qu'on puisse leur trouver) quels intérêts gigantesques ils servent par leur naïveté enthousiaste.

Quoi, diront-ils, la société évolue, faut-il rester immobile ? Pourquoi refuser à des personnes qui désirent avoir un enfant le secours de la science ? Et surtout, au nom de quoi refuser à des femmes ce qui est accordé à des couples hétérosexuels ? C'est une mesure de « justice sociale », a dit Marlène Schiappa. Si vous y résistez, ce ne peut être que par homophobie, par lesbophobie, par machisme même.

Comment s'opposer au fait que la PMA, qui existe déjà, puisse être ouverte à toutes les femmes ? Mais là réside le sophisme qui dissimule la frontière que nous sommes sur le point de franchir.

Mensonge en effet, puisqu'il faut bien l'annoncer : en fait, la procréation médicalement assistée ne sera jamais ouverte aux couples de femmes, ni aux célibataires. Parce que ce n'est pas possible.

Comme son nom l'indique, la PMA est un acte médical. Un acte qui pose des questions éthiques en lui-même, mais qui est dans son essence un acte thérapeutique, en ce sens qu'il vise à remédier à une pathologie. Le geste médical est un geste technique qui se donne pour objectif la santé : l'état d'un corps qu'aucune anomalie ne fait souffrir. Il met les artifices parfois prodigieux dont l'homme est capable au service de l'équilibre naturel du vivant. C'est quand la santé est atteinte, suite à un accident ou à une maladie, que la médecine intervient pour tenter de rétablir le cours régulier de la nature.

La procréation médicalement assistée est donc le geste thérapeutique par lequel un couple qui se trouve infertile pour une raison accidentelle ou pathologique, peut recouvrer la fécondité qu'un trouble de santé affectait.

Ce dont parle Marlène Schiappa, c'est en fait tout autre chose : en apparence, le même geste pratique ; en réalité, le contraire d'une thérapeutique. Ce n'est plus un acte médical : c'est une prestation technique. La différence est aussi grande, qu'entre greffer un bras à une personne amputée, et greffer un troisième bras sur un corps sain.

Les femmes auxquels s'adresse Marlène Schiappa n'auront pas recours à une procréation médicalement assistée, pour une raison assez simple : ce n'est pas un problème de santé. Que pourrait guérir la médecine ? Quand notre désir n'implique pas que soit corrigé un échec aux lois de la biologie, mais qu'on organise cet échec, il s'agit d'un acte absolument nouveau - d'une procréation artificiellement suscitée.

Il n'est plus question de rétablir la nature, mais de s'en arracher. Le but n'est plus que nos corps soient réparés, mais qu'ils soient vaincus. Et que soit enfin brisée cette impuissance douloureuse de leur condition sexuée, qui nous faisant hommes ou femmes, interdit à chacun d'entre nous de pouvoir prétendre être tout, et de se suffire pour engendrer.

Pour la première fois dans l'histoire, la science médicale est détournée du principe qui la règle depuis ses commencements - préserver ou reconstituer la santé, pour être mise au service exclusif du désir. Et nous ne parlons pas ici de chirurgie esthétique ; il s'agit de créer des vies. Jamais un corps humain n'a été fécond sans contact avec l'altérité biologique.

Si nous décidons aujourd'hui d'autoriser un geste technique qui renie notre condition de vivants, nous faisons le premier pas d'une longue série. Nous choisissons la toute-puissance du désir contre l'équilibre naturel. Nous décidons de nous rêver plutôt que de nous recevoir.

C'est cette logique qui nous conduira de proche en proche jusqu'au monde de science-fiction que l'état de nos savoirs met presque à notre portée, ce monde où l'invasion de la technique dans nos corps libérera une surenchère inédite dans la consommation et la compétition vitale. Inutile de tenter de dissocier chacune des étapes qui suivront. « Une fois passée la borne, écrivait Pascal, il n'y a plus de bornes. »

Nous ne voyons pas la frontière, et pourtant elle est là. Nous assistons sans le savoir à l'acte de naissance du transhumain. Ce que Marlène Schiappa vient de nous annoncer, ce n'est rien de moins que le passage de la grande frontière. - L'histoire se joue avec les circonstances qu'elle se trouve, et qu'elle dépasse souvent, c'est vrai...

Mais nous, alors, serons-nous à la hauteur ? Depuis la nuit des temps, les civilisations humaines ont pressenti le débat qui s'engage aujourd'hui, sans oser imaginer qu'il puisse se réaliser de façon si concrète. Voici Prométhée déchaîné. Nous voilà obligés chacun à un choix lucide, en conscience. Il ne s'agit pas de gauche ou de droite, de croyants ou d'athées, d'homos ou d'hétéros. Une seule question compte : quelle humanité voulons-nous ?

C'est là sans doute la question politique majeure qui attend notre génération. Oh bien sûr, on nous explique déjà que l'avenir est écrit d'avance, que ce pas en avant est inévitable. « Hypocrisie, dira-t-on : vous savez que cette pratique est légale à l'étranger ; voulez-vous seulement obliger des femmes à quitter la France pour obtenir ce qu'elles espèrent ? » - Comme si nous n'avions pas le choix, comme si nous ne pouvions plus fixer des règles puisque l'argent permet de tout contourner.

Au fond, ceux qui voudraient franchir toutes les limites veulent dissoudre en même temps la nature et la politique, puisque dans ces deux ordres il se trouve des lois qui gênent encore le règne infini du désir. Si notre droit doit s'adapter aux évolutions de la société - comme si toute « évolution de la société » était spontanée, constatable et juste - autant dissoudre tout de suite la politique et laisser les choses se faire.

Bref, il faudrait donc abdiquer et reconnaître que nous n'avons déjà plus le choix. La PMA se fera, « évidemment » ; et toutes les autres lignes seront franchies, tôt ou tard. À quoi sert donc le débat ? Dans l'esprit du progressisme, la démocratie n'existe plus, puisque la seule position valable consiste à consentir à ce qui sera.

Mais il reste encore assez d'hommes et de femmes pour savoir que leurs pauvres corps, limités, vulnérables, mortels, sont une merveille à recevoir, à aimer et à transmettre.

Qu'il vaut la peine de croire encore à la sagesse d'une fécondité qui suppose l'altérité, même dans ce que ce mystère comporte parfois de douleur et de silences dans l'itinéraire de nos vies.

Qu'il serait fou d'imaginer que nous serons plus heureux en poursuivant, comme un mirage destructeur, la surenchère infinie de nos désirs, qu'aucune transgression nouvelle ne suffira à satisfaire.

Et il reste encore, j'en suis sûr, assez d'hommes et de femmes pour continuer de croire en la politique, quand elle tente d'améliorer l'état du monde plutôt que d'abdiquer notre responsabilité, et quand elle consiste à prononcer librement les oui et les non collectifs qui nous protègent de la folie où tombe une société sans limites.

Oui, nous avons le choix. Et c'est aujourd'hui qu'il faut le poser, en résistant aux fausses évidences, aux intimidations partisanes, à l'illusion d'un sens de l'histoire, au fantasme de toute-puissance. Nous avons le choix. Nous pouvons, au nom du supposé progrès, nous laisser dicter nos choix par nos seuls désirs, aveugles à tout ce qui nous précède et à tout ce qui nous suivra.

À l'heure où l'écologie nous a appris les catastrophes que cette logique avait produites, il serait absurde de transférer sur nos propres corps la violence d'une technique débridée dont nous tentons de protéger notre planète, et les vivants qui l'habitent. La nature en nous aussi appelle le respect. Céder au désir quand il exige que cette frontière soit franchie, c'est toujours répondre d'une fragilité qu'il menace pour l'avenir : comment regarderons-nous ces enfants que notre société, au nom du progrès « évidemment », aura fait naître orphelins de père ?

La voilà, la vraie frontière. De l'autre côté du monde humain connu, ce qui se dessine ressemble plutôt à l'inhumain. Nous avons encore un peu de temps pour nous réveiller ; et pour choisir librement de nous accepter tels que nous sommes.

Là serait le vrai progrès - évidemment.

François-Xavier BELLAMY[1]

© Figaro – 2017

L’île maudite

« Non, ce n’est pas un conte affreux. Non, cela ne s’est pas passé au moyen âge ». C’est ainsi que Raoul Follereau commence le récit de cette histoire dans son livre « Tour du monde des Lépreux » suite à son voyage en Polynésie.

Taenga. Une des quatre-vingts îles Tuamotu, atolls de corail perdus dans le Pacifique…

Lorsque le médecin est passé – il passe une fois par an – il a examiné la jeune femme. Tâches suspectes. « Cela pourrait être la lèpre, a-t-il dit à mi-voix, il faudra que je la revoie. »

Il l’avait dit trop fort cependant. À peine était-il remonté à bord que le chef du village faisait saisir la femme « suspecte ». On l’arracha à son mari, à ses cinq enfants. On la mena de force dans une pirogue et on la jeta sur un « motu » à huit kilomètres de l’île.

Elle et son chien.

On n’entendit ni ses pleurs, ni ses cris, ni l’animal épouvanté qui hurlait à la mort. La peur de la lèpre excuse tout. Tout, même le crime.

Cette femme avait vingt-cinq ans… Six années ont passé depuis.

Depuis six ans, elle est seule. Seule avec son chien. Dressé pour la pêche, il va lui chercher sa misérable pitance.

Chaque semaine cependant, une pirogue, avec précaution, s’approche du rivage maudit. Sans descendre, sans même accoster, on lui jette quelques vivres, un bidon d’eau. Et on repart, à force de rames… Depuis six ans.

- « La dernière fois que je l’ai vue, me dit ce fonctionnaire, elle était entièrement rongée… Ses pieds ne la supportaient plus… Je lui ai laissé un peu de farine, mais qu’en fera-t-elle ? Ses doigts sont tellement pourris qu’en pétrissant la pâte, elle y laissera des morceaux de sa propre chair… Le chien, lui, a vieilli. Il avait l’air sournois et rôdait autour du grabat. »

Il y eut un silence… Le brave homme détournait son regard du mien, pour que je ne voie pas que ses yeux étaient pleins de larmes. Et soudain, il éclata : « Comment cela va finir, Monsieur ? Vous allez le savoir… - Un jour elle ne pourra plus se lever. Le chien aura faim, très faim, très faim… Il flairera l’agonisante. Et à peine morte – s’il n’a pas trop faim avant ! – il la mangera. Voilà Monsieur ! Et moi je ne peux rien, rien… »

Et l’homme, le brave homme me quitta. Et je vis ses épaules qui se secouaient, tandis qu’il s’enfonçait dans la nuit.

- « C’est vrai, m’a dit le docteur. Je l’ai vue moi aussi lorsque j’étais chargé des Tuamotu. Ma goélette s’est approchée du motu. J’ai eu le temps de compter les huit cocotiers qui en sont l’ornement ! Quelques arbustes rabougris les entourent : c’est tout. Une masure faite avec rien, pire, avec n’importe quoi. Elle est sortie (alors elle marchait encore) et m’a crié : “N’approche pas ! J’ai la lèpre…” Je lui ai répondu : “Qu’est-ce que tu veux que ça me foute : je suis toubib.” Alors elle m’a souri. Son premier sourire depuis tant d’années… Je lui ai remis ce que j’avais : quelques pansements, un peu d’aspirine. Les sulfones n’étaient pas encore arrivées en Océanie. Elle m’a supplié de l’emmener. Je ne pouvais pas. L’équipage refusait. L’équipage avait déclaré qu’il quitterait le bateau si elle y montait ». Je devine sa douleur, sa colère…

Le docteur me regarda, et puis, doucement : « Elle n’a pas eu de colère, Monsieur, pas même d’amertume. Elle m’a dit : Je comprends. Alors j’ai eu envie de lui demander pardon. Et quand je suis parti… Quand je suis parti, il s’est passé quelque chose, quelque chose qui vous paraîtra incroyable… Elle m’a crié : Ia Orana – Ia Orana. Au revoir ! Au revoir !... Puis elle a chanté la “Marseillaise” ! Et je serrais les poings pour ne pas pleurer… tandis que j’entendais, dans le silence bleu du Pacifique, la voix rauque qui s’élevait :  “Amour sacré de la Patrie…” Monsieur, c’était si grand, si grand… »

Et après un silence : Mais on ne peut pas raconter cela. Et puis à quoi bon ?...

Cette histoire horrible et déchirante, ce n’est pas ici que je l’ai rapportée d’abord, on le pense bien… Et très vite, je fus entendu, compris, aidé. Cinq jours plus tard, la Tamara avec, à son bord, cet homme loyal et brave, M. Ahnne, Administrateur des Tuamotu et un infirmier partait pour Taenga.

Lors de mon escale de retour, à San Francisco, j’ai reçu, de Tony Bambridge, ce télégramme : « Lépreuse Taenga sauvée Stop Arrivée Papeete Très heureuse Merci. »

Puis cette lettre, à Paris : « 3 juin. - Aujourd’hui à 13 heures, la Tamara a débarqué la lépreuse de Taenga à la Pointe de Vénus où se trouve le monument de Cook que nous avons vu ensemble. Le Médecin-Colonel, Directeur du service de Santé était là pour la recevoir. On l’a débarquée sur un brancard. Elle chantait la “Marseillaise”. Et pendant tout le temps qu’elle chanta, le Colonel demeura au garde à vous. C’était un émouvant tableau. La goélette Tamara ancrée là où Cook avait jeté l’ancre, la baleinière arrivant sur la plage, deux marins et l’infirmier Pierre Coulon remettant la malade au chef du service de Santé. Après la Marseillaise, elle cria : Merci la France, je suis sauvée. Merci, merci ! Elle est arrivée à Orofara à 13h30 et tous les malades lui souhaitèrent la bienvenue. C’est vous qui avez fait cela, par votre parole et votre influence : merci ! »

C’est tout.

© Raoul Follereau - 1953

 


[1] Ancien élève de l'École normale supérieure et agrégé de philosophie, François-Xavier Bellamy enseigne en classe préparatoire. Il est également l'auteur de Les Déshérités, ou l'urgence de transmettre (éd. Plon, 2014).

Commentaire des lectures du dimanche

Le passage de l’épître aux Philippiens que nous venons d’entendre est certainement l’un des textes fondamentaux du Nouveau Testament. Depuis près de vingt siècles, tous les chrétiens désireux de vivre selon l’Evangile l’ont patiemment médité et chanté dans leurs liturgies. Ce texte est un des témoignages les plus impressionnants sur le secret de la personne de Jésus. En quelques mots, tout y est dit sur l’évènement le plus extraordinaire de l’histoire de l’humanité : la venue de Dieu sur terre sous les traits d’un homme ordinaire, Jésus de Nazareth.

Ce qu’il y a de surprenant à la première lecture du texte, c’est que Paul lie le mystère de l’incarnation à la difficulté pour la communauté chrétienne à vivre dans l’unité. Il commence sa méditation du mystère de Jésus par une invitation : « Que chacun estime les autres plus grands que soi ». Il appuie cette demande par une exhortation plus vigoureuse que d’habitude : « je vous en conjure par tout ce qu’il peut y avoir d’appel pressant dans le Christ, de persuasion dans l’Amour, de communion dans l’Esprit Saint ». Si Paul insiste tant, c’est que ce qu’il demande a une importance primordiale : l’unité dans la communauté chrétienne. Et le seul remède que Paul propose contre les divisions, c’est l’humilité profonde par laquelle on s’efface devant le frère.

À contrario, ce qui détruit le plus la communauté, c’est notre désir de puissance par lequel on tente d’imposer ses idées, sa manière de faire et de penser. Ce qui empêche de construire la véritable fraternité, ce ne sont pas nos imperfections, nos faiblesses et nos fautes, mais notre désir d’imposer aux autres notre idéal de perfection. Car le fondement de notre communauté chrétienne, ce n’est pas la somme de nos bonnes volontés, mais la grâce de Dieu Notre Père offerte en Jésus-Christ. La chance du pécheur, oui la chance que nous avons d’être pécheur et même la chance que nous avons de nous blesser mutuellement par nos fautes, cette chance, c’est de vivre du pardon. Si nous étions parfaits, nous vivrions de notre propre justice. Cette illusion de la perfection est meurtrière pour nos relations humaines, car elle est impossible à réaliser. Et cette illusion de la perfection nous fait manquer à l’attitude fondamentale du Chrétien, du disciple de Jésus, comme nous le rappelle St Paul : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus ».

Notre vie en communauté humaine, familiale ou religieuse, notre expérience en relation humaine, nous fait découvrir que nous ne pouvons pas vivre ensemble sans pardon mutuel. Et c’est une vraie chance que de vivre dans cette imperfection qui nous oblige à apprendre à pardonner pour continuer notre chemin ensemble. L’unité de nos familles et de nos communautés ne se réalise pas d’abord dans la réussite humaine de nos projets, de nos idéaux, mais par le pardon donné et reçu. Ce chemin du pardon est celui qui nous fait le plus participer au mystère de la personne de Jésus « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave (…) ». Dans le pardon que j’accorde, je ne retiens pas mon droit d’être respecté dans ma dignité qui a été blessée par mon frère, mon époux ou mon ami. Si notre Père des cieux nous invite à cet abaissement du pardon, c’est que lui-même l’a vécu en son Fils. L’humilité nécessaire pour vivre et développer nos relations humaines s’enracinent dans l’humilité de Dieu qui nous accorde de vivre avec lui. Pour réussir notre vie familiale et communautaire, il n’y a pas d’autres solutions que d’avoir entre nous les mêmes dispositions qui sont dans le Christ Jésus. En prenant la condition de serviteur, le Seigneur nous a montré que celui qui se met à genoux, ce n’est pas celui qui demande pardon, mais celui qui pardonne. Pour réaliser entre nous la perfection de l’amour, il n’y a pas d’autre chemin que celui de Jésus : l’humilité qui permet de pardonner. Le pardon demande de savoir rejoindre celui qui nous a blessé pour le relever de sa faute, comme le Christ Jésus est venu nous chercher.

Ainsi l’imperfection humaine devient le chemin de la perfection de l’amour, par le don gratuit du pardon. Tandis que la perfection humaine est le lieu de la rigueur injuste. Nous devons irrémédiablement renoncer dans nos relations, à l’obscur désir qui nous fait vouloir toujours plus, toujours mieux des autres. La fraternité chrétienne et, même plus largement, tout amour, n’est pas d’abord un idéal humain à réaliser coûte que coûte, mais une réalité donnée par Dieu. C’est une grâce dans notre chemin de croissance spirituelle et psychologique que de briser nos rêves idéaux pour accéder à l’amour authentique. Nos rêveries de perfections humaines font souvent de nous des êtres durs et prétentieux. Car nous exigeons l’impossible des autres, de Dieu et de nous-même. Au nom de notre idéal irréalisable, nous posons à nos frères et à nos amis des conditions trop dures, et nous nous érigeons en juge sur nos frères.

Il en va tout autrement quand nous avons compris que Dieu a posé le seul fondement de l’amour authentique : Jésus qui révèle les conditions de notre réussite. J’aime en acceptant de suivre, comme Jésus, le chemin d’un abaissement pour rejoindre l’autre dans sa pauvreté où il a besoin de mon pardon pour continuer à vivre. Nous construisons une véritable communauté d’amour quand nous acceptons de vivre avec une sœur, un frère faillible, imparfait, pécheur comme moi. Ensemble nous partageons non pas d’abord un idéal de perfection, mais le pardon reçu et donné. Nous demeurons ensemble non pas parce que nous réussissons notre projet de vie, mais parce que nous dépendons tous les deux de la grâce du pardon. La faute qui blesse la communion entre nous doit d’abord être le lieu où nous vivons ensemble du pardon donné et reçu. Nous nous reconnaissons frères et sœurs, non parce que nous nous choisissons, mais parce que tous nous vivons par la grâce de Dieu, son amour miséricordieux, nous sommes tous pécheurs pardonnés.

Le moment où se produit une grande déception, dans notre vie de couple ou de communauté, peut-être pour nous le moment vraiment salutaire. Car cette heure nous fait comprendre que nous ne pouvons absolument pas compter pour vivre ensemble sur nos propres paroles, sur nos propres actions, mais uniquement sur la Parole et sur l’Action du Christ en nos cœurs et qui nous lient les uns aux autres. L’amour authentique est au prix de cette déception, car la perfection humaine fait de nous des êtres durs et exigeants, tandis que la chance du pécheur est de connaître la gratuité de l’amour.

Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.

© Carmel asso - 2008