Pko 31.01.2016

Eglise cath papeete 1

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°07/2016

Dimanche 31 janvier 2016 – 4ème Dimanche du Temps ordinaire – Année C

Humeurs

Les lépreux d’aujourd’hui

En 1953, Raoul Follereau dans un livre intitulé « Tour du monde chez les lépreux » rapporte cette histoire polynésienne, non pas du « moyen âge » mais de 1930…

L’ILE MAUDITE

Non, ce n’est pas un conte affreux.

Non, cela ne s’est pas passé au moyen âge.

Taenga. Une des quatre-vingts îles Tuamotu, atolls de corail perdus dans le Pacifique… Lorsque le médecin est passé – il passe une fois par an – il a examiné la jeune femme. Tâches suspectes. « Cela pourrait être la lèpre, a-t-il dit à mi-voix, il faudra que je la revoie. » Il l’avait dit trop fort cependant. À peine était-il remonté à bord que le chef du village faisait saisir la femme « suspecte ». On l’arracha à son mari, à ses cinq enfants. On la mena de force dans une pirogue et on la jeta sur un « motu » à huit kilomètres de l’île. Elle et son chien. On n’entendit ni ses pleurs, ni ses cris, ni l’animal épouvanté qui hurlait à la mort. La peur de la lèpre excuse tout. Tout, même le crime.

Cette femme avait vingt-cinq ans… Six années ont passé depuis. Depuis six ans, elle est seule. Seule avec son chien. Dressé pour la pêche, il va lui chercher sa misérable pitance. Chaque semaine cependant, une pirogue, avec précaution, s’approche du rivage maudit. Sans descendre, sans même accoster, on lui jette quelques vivres, un bidon d’eau. Et on repart, à force de rames… Depuis six ans. « La dernière fois que je l’ai vue, me dit ce fonctionnaire, elle était entièrement rongée… Ses pieds ne la supportaient plus… Je lui ai laissé un peu de farine, mais qu’en fera-t-elle ? Ses doigts sont tellement pourris qu’en pétrissant la pâte, elle y laissera des morceaux de sa propre chair… Le chien, lui, a vieilli. Il avait l’air sournois et rôdait autour du grabat. »

Il y eut un silence… Le brave homme détournait son regard du mien, pour que je ne voie pas que ses yeux étaient pleins de larmes. Et soudain, il éclata : « Comment cela va finir, Monsieur ? Vous allez le savoir… - Un jour elle ne pourra plus se lever. Le chien aura faim, très faim, très faim… Il flairera l’agonisante. Et à peine morte – s’il n’a pas trop faim avant ! – il la mangera. Voilà Monsieur ! Et moi je ne peux rien, rien… » Et l’homme, le brave homme me quitta. Et je vis ses épaules qui se secouaient, tandis qu’il s’enfonçait dans la nuit.

- C’est vrai, m’a dit le docteur. Je l’ai vue moi aussi lorsque j’étais chargé des Tuamotu.

[…]

Elle est sortie (alors elle marchait encore) et m’a crié : « N’approche pas ! J’ai la lèpre… » Je lui ai répondu : « Qu’est-ce que tu veux que ça me foute : je suis toubib. » Alors elle m’a souri. Son premier sourire depuis tant d’années… Je lui ai remis ce que j’avais : quelques pansements, un peu d’aspirine. Les sulfones n’étaient pas encore arrivées en Océanie. Elle m’a supplié de l’emmener. Je ne pouvais pas. L’équipage refusait. L’équipage avait déclaré qu’il quitterait le bateau si elle y montait. Je devine sa douleur, sa colère… Le docteur me regarda, et puis, doucement : « Elle n’a pas eu de colère, Monsieur, pas même d’amertume. Elle m’a dit : “Je comprends”. Alors j’ai eu envie de lui demander pardon. Et quand je suis parti… Quand je suis parti, il s’est passé quelque chose, quelque chose qui vous paraîtra incroyable… Elle m’a crié : “Ia Orana – Ia Orana. Au revoir ! Au revoir !...” Puis elle a chanté la “Marseillaise” ! Et je serrais les poings pour ne pas pleurer… tandis que j’entendais, dans le silence bleu du Pacifique, la voix rauque qui s’élevait :  Amour sacré de la Patrie… Monsieur, c’était si grand, si grand… »

Et après un silence : « Mais on ne peut pas raconter cela. Et puis à quoi bon ?... »

Aujourd’hui, les nouveaux lépreux, boucs émissaires d’une catastrophe économique, ne sont-ils pas nos « Sdf » ? De plus en plus de voix s’élèvent pour les exclure, les chasser, que ce soit parmi la population ou de façon plus opportuniste les politiques… Mépris, rejet… Créera-t-on aussi une vallée d’Orofero pour les parquer et les oublier ? Serons-nous, nous aussi, la honte de nos petits-enfants ?

« Il [nous] faudra plus de courage, j’allais écrire plus de sainteté, pour combattre ces lèpres qui s’appellent l’égoïsme, la peur, la lâcheté, que pour soigner le mal de Hansen. »

Chronique de la roue qui tourne

Le bonheur

« Le bonheur est souvent la seule chose qu’on puisse donner sans l’avoir et c’est en le donnant qu’on l’acquiert » – Voltaire

Le bonheur, l’éternelle quête humaine. Après autant de millénaires à le traquer, il reste aussi insaisissable qu’indéfinissable. Petit ou grand, éphémère ou profond, il aime se faire désirer et se pointe là où nous l’attendons le moins. Il arrive comme un coup de vent, à peine ressenti qu’il est déjà parti. Et nous nous mettons à l’attendre passivement, estimant qu’il pourra revenir tout seul. Ainsi commence notre tragédie grecque. Car plus nous l’attendons, plus nous sommes exigeants. Plus nous sommes exigeants, plus nous nous faisons une idée bien précise du bonheur que nous voulons. Et là, il nous échappe complètement ! Parfois, nous devenons même blasés et donc aveugles. Combien de fois attendons-nous « le » bonheur en regardant et en enviant le voisin ? Nous sommes si prompts à trouver l’herbe plus verte ailleurs que nous loupons notre propre récolte. Quel gâchis ! Nous oublions que, si le bonheur est à la portée de tous, il n’est pas le même pour tout le monde. Combien de fois sommes-nous déçus après une longue attente ? Nous nous étions « fait des films »… si bien que la réalité paraît fade. Quelques fois, nos réactions sont dignes d’enfants gâtés. Comment pouvons-nous exiger le bonheur parfait ? Notre bonheur n’est-il pas à notre propre image ?

Le bonheur est souvent là, sous des formes différentes loin de nos idées préconçues. Saurons-nous le reconnaître à chaque fois ? Espérons-le, il y va de notre bonheur !

La chaise masquée

La parole aux sans paroles – 20

Portrait d’homme - Alexandre

Mi-ange, mi-démon, Alexandre erre dans les rues de Papeete depuis 38 ans… à la recherche d’un peu d’amour et de considération. Un père inexistant, une mère souvent absente, des grands-parents trop exigeants et une société qui l’ignore semble avoir malheureusement livré ce destin à l’alcool et l’autodestruction.

D’où viens-tu ?

« J’ai grandi là, dans ce quartier, derrière le snack "le jasmin", la deuxième maison. J’habitais avec ma grand-mère et ma mère. »

Et ton père ?

« J’ai su qui il était qu’à 18 ans. Quand j’étais petit, je n’avais qu’un beau-père. Mon vrai père ne s’est jamais occupé de moi. On est trois garçons. Il ne s’est jamais occupé de nous. C’est juste un géniteur ! »

Et ta mère ? Parle-moi de ta mère.

« Ma maman est décédée. Je l’aimais beaucoup, c’est elle qui m’a donné la vie. »

Comment es-tu devenu SDF ?

« Ma vie dans la rue commence à 11 ans. »

Pourquoi ?

« C’était pas bien chez grand-mère. Tu vois les vieux d’avant, c’est strict. Et je n’aimais pas ça. Maman, elle partait avec son chéri, comme il était infirmier, il devait faire les îles. Parfois on le mutait d’une île à l’autre. Et maman partait avec lui. Moi, je restais là. »

Aujourd’hui, quel âge as-tu ?

« 49 ans ! Ça fait 38 ans que je suis dans la rue, avec des allers et retours quand même ! »

Comment on se débrouille dans la rue lorsqu’on n’a que 11 ans ?

« J’allais mendier. Parfois on me donnait, parfois on ne me donnait rien. Et dans les deux cas, je disais merci. (Rires) Et Te Vaiete a ouvert en 1994. Ce n’était pas Père Christophe, c’était papa Tihoni. Au début, c’était sardines et fromage "Vache qui rit" tous les jours. Du lundi au vendredi, c’était fermé le samedi. »

Le plus dur ?

« Se faire tabasser et voler. Heureusement qu’il y avait des grands, ils nous protégeaient. En échange, ils nous demandaient d’aller voler. Et on obéissait pour qu’ils soient nos protecteurs. Je savais que voler n’était pas bien. Une fois, je suis allé en prison, 7 ans. Je crois que j’avais 25 ans. C’est dur là-bas. Je ne souhaite à personne d’y aller. C’est vraiment dur ! Depuis, j’ai changé. Je me suis promis d’arrêter de voler et faire des conneries. Ça fait 20 ans maintenant, je n’ai plus jamais remis les pieds là-bas. Je n’ai plus d’ennuis avec la justice. C’est ma promesse à moi-même. »

Raconte-moi ta vie.

« J’ai eu une première femme. Avec elle, j’ai eu 2 enfants, une fille et un garçon. Aujourd’hui, ma fille à 24 ans et mon fils 22 ans. Et avec ma fille, j’ai 2 "mootua".  D’un deuxième lit, j’ai eu une fille, 15 ans, et un garçon, 13 ans. »

Donc tu as réussi à quitter la rue quand même !

« Oui. »

Et pourquoi es-tu encore dans la rue ?

« Je n’arrive pas à vivre longtemps dans une maison. Je suis trop habitué dans la rue. »

Ce n’est pas plus dur ?

« Je préfère vivre comme ça. Tu sais, avant j’étais décorateur d’hôtel. On mettait les "ni’au", les "peue", les pailles de riz. Mais quand il y a eu le problème de travail, j’ai perdu mon travail. »

Mais pourquoi revenir dans la rue ?

« J’ai grandi dans la rue. »

Tes enfants savent où tu es ?

« Oui. Quand ils viennent en ville, ils viennent me voir. Je te dis, parfois je fais des petits boulots. Et j’envoie un peu de sous pour eux. »

Ton école ?

« Je ne suis jamais allé. Mais je sais lire et écrire, un peu. J’ai appris dans la rue. »

Ton plus beau souvenir de la rue ?

« Je ne sais pas ! »

Parle-moi de l’alcool.

« Quand je suis dans la rue, je suis attiré par l’alcool. J’ai commencé quand je suis arrivé dans la rue, à 11 ans. J’ai commencé à boire et à fumer à cet âge. »

Fumer ? Cigarettes ou Paka ?

« J’ai commencé le paka vers 20 ans. »

Crois-tu pouvoir arrêter de boire un jour et signer la croix bleue ?

« Si je signe, ça va "hape". » (Rires)

Pourquoi bois-tu autant ?

« Peut-être que c’est pour noyer mon chagrin, cacher un peu. Je préfère boire. Je ne peux pas arrêter l’alcool, j’ai commencé à 11 ans. Imagine. Tu sais, je ne suis jamais tombé malade. Pourquoi ? Parce que je bois beaucoup d’alcool !  »

Trop facile ton truc ! Mais tu es conscient que c’est en train de te…

« Bousiller, je sais, je sais ! »

Comment vois-tu ta vie dans 10 ans ?

« Je ne peux pas prévoir, je laisse le temps venir. Je ne sais pas ce qui va se passer demain. J’espère juste améliorer. Je vis au jour le jour. »

Un dernier message ?

« Je ne souhaite pas que d’autres enfants deviennent comme moi ! Qu’ils grandissent dans la rue, sans amour. Encore les garçons, ça passe. Mais aujourd’hui il y a beaucoup de filles. Et tu sais où ça va finir ? Sur le trottoir, à se vendre. C’est malheureux. Pour eux, c’est de l’argent facile mais, ça, c’est de l’argent sale. Moi, je préfère aller mendier, plutôt que de me vendre. La vie dans la rue n’est pas facile. »

© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016

« La miséricorde ne peut pas rester indifférent à la souffrance des opprimés »

Audience générale du mercredi 20 janvier 2016 – Pape François

Lors de l’audience général, mercredi 27 janvier 2016, le Pape François a appelé chacun à ne jamais rester indifférent à la douleur humaine. S’appuyant sur l’histoire de Moïse dans la Bible, libérateur du peuple, le Saint-Père a insisté sur la miséricorde de Dieu qui sauve.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans l’Écriture sainte, la miséricorde de Dieu est présente tout au long de l’histoire du peuple d’Israël.

Par sa miséricorde, le Seigneur accompagne le chemin des patriarches, il leur donne des fils malgré leur condition de stérilité, il les mène par des sentiers de grâce et de réconciliation, comme le montre l’histoire de Joseph et de ses frères (cf. Gen 37-50). Et je pense à tous ces frères qui sont éloignés les uns des autres, dans leur famille, et qui ne se parlent pas. Mais cette Année de la miséricorde est une bonne occasion pour se retrouver, s’embrasser et se pardonner, et pour oublier les choses difficiles. Mais, comme nous le savons, en Égypte, pour le peuple la vie devient dure. Et c’est précisément quand les Israélites sont sur le point de succomber que le Seigneur intervient et opère le salut.

Dans le livre de l’Exode, on lit ceci : « Au cours de cette longue période, le roi d’Égypte mourut. Du fond de leur esclavage, les fils d’Israël gémirent et crièrent. Du fond de leur esclavage, leur appel monta vers Dieu. Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Dieu regarda les fils d’Israël, et Dieu les reconnut ». (2,23-25). La miséricorde ne peut pas rester indifférente devant la souffrance des opprimés, au cri de ceux qui sont soumis à la violence, réduits en esclavage, condamnés à mort. C’est une réalité douloureuse qui affecte toutes les époques, y compris la nôtre, et qui fait qu’on se sent souvent impuissant, tenté d’endurcir son cœur et de penser à autre chose. Dieu, lui, « n’est pas indifférent » (Message pour la Journée mondiale de la paix 2016), il ne détourne jamais son regard de la souffrance humaine. Le Dieu de miséricorde répond et prend soin des pauvres, de ceux qui crient leur désespoir. Dieu écoute et intervient pour sauver, suscitant des hommes capables d’entendre la plainte souffrante et d’agir en faveur des opprimés.

C’est ainsi que commence l’histoire de Moïse comme médiateur de la libération pour le peuple. Il affronte Pharaon pour le convaincre de laisser partir Israël ; puis il guidera le peuple à travers la Mer Rouge et le désert, vers la liberté. Moïse, que la miséricorde divine a sauvé, à peine né, de la mort dans les eaux du Nil, se fait médiateur de cette même miséricorde, permettant au peuple, sauvé des eaux de la Mer Rouge, de naître à la liberté. Et nous aussi, en cette Année de la miséricorde, nous pouvons faire ce travail d’être médiateurs de miséricorde par les œuvres de miséricorde, pour approcher, soulager et faire l’unité. On peut faire tellement de bien.

La miséricorde de Dieu agit toujours pour sauver. C’est tout le contraire de l’œuvre de ceux qui agissent toujours pour tuer : par exemple, ceux qui font les guerres. Le Seigneur, à travers son serviteur Moïse, guide Israël dans le désert comme s’il était son fils, il l’éduque à la foi et fait alliance avec lui, créant un lien d’amour très fort, comme celui du père avec son fils et de l’époux avec l’épouse.

La miséricorde divine va jusque là. Dieu propose une relation d’amour particulière, exclusive, privilégiée. Quand il donne ses instructions à Moïse à propos de l’alliance, il dit : « Maintenant donc, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples, car toute la terre m’appartient ; mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte » (Ex 19,5-6).

Certes, Dieu possède déjà toute la terre parce qu’il l’a créée ; mais le peuple devient pour lui un bien différent, spécial : sa « réserve d’or et d’argent » personnelle, comme celle que le roi David affirmait avoir donnée pour la construction du Temple.

Et bien, c’est ce que nous devenons pour Dieu en accueillant son alliance et en nous laissant sauver par lui. La miséricorde du Seigneur rend l’homme précieux, comme une richesse personnelle qui lui appartient, qu’il garde et en laquelle il se complaît.

Ce sont là les merveilles de la miséricorde divine qui atteint son plein accomplissement dans le Seigneur Jésus, dans cette « alliance nouvelle et éternelle » consommée dans son sang, qui détruit notre péché par son pardon et fait définitivement de nous des enfants de Dieu (cf. 1 Jn 3,1), joyaux précieux dans les mains du Père bon et miséricordieux. Et si nous sommes enfants de Dieu et que nous avons la possibilité d’avoir cet héritage – celui de la bonté et de la miséricorde – en comparaison avec les autres, demandons au Seigneur qu’en cette Année de la miséricorde, nous fassions nous aussi des œuvres de miséricorde ; ouvrons notre cœur à tous par nos œuvres de miséricorde, cet héritage miséricordieux que Dieu le Père nous a laissé.

© Libreria Editrice Vaticana - 2015

un jour à Tahiti !

Extrait du livre « Trente fois le tour du monde » de Raoul FOLLERAU

1 200 000 kilomètres, soit trente fois le tour du monde, telle est la route que Raoul FOLLERAU a parcourue dans sa croisade en faveur des gens les plus déshérités, les plus abandonnés du monde, auxquel il a consacré sa vie : les lépreux. Faisant le point au bout de trente ans d’apostolat, il expose, ensuite de brèves notations, parfois véhémentes, bien souvent bouleversantes, ce qu’il a v comme il l’a vu. Voici ce qu’il nous dit sur son expérience tahitienne.

C’était en 1956. J’arrivai à Tahiti sur le même bateau que le général de Gaulle qui visitait alors les possessions françaises d’Océanie.

Pour accueillir leur illustre visiteur, toutes les populations de l’île s’étaient rassemblées sur le quai de Papeete et, parmi elles, vingt-cinq malades de la lèpre qui, le matin même, avaient quitté la léproserie d’Orofara parce que j’avais souhaité d’être reçu par mes propres amis.

Ils étaient là, tenus à l’écart, un peu gênés, un peu honteux, avec chacun un collier de fleurs à la main. Il y avait Doris, et Esther, et Nora, et le Chef, et Hitu, et tous les autres qui m’avaient accueilli quelques années auparavant par la danse des piroguiers.

Je descendis. Il y eut un grand silence, un peu lourd. La foule regardait. Du groupe de lépreux, une petite fille se détacha, une ravissante petite fille, avec déjà, sur son visage, les terribles stigmates. Elle tenait à bout de bras son collier de fleurs. Je lui dis, d’une voix que j’essayai de rendre bourrue : « Alors, qu’est-ce que tu attends ? » Et je tendis le cou. Elle me passa son collier, puis, à la mode tahitienne, je l’embrassai sur les deux joues.

Il y eut une seconde de silence, puis ce fut la ruée.

Chaque lépreuse, chaque lépreux voulait me remettre son collier et avoir son baiser de bienvenue. Mon chapeau avait volé à l’autre bout du quai. Quant à moi, je ne voyais plus rien, aveuglé, étouffé par les fleurs, porté par cette ferveur, cette merveilleuse joie.

Alors la foule a applaudi. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que nous avions remporté une grande victoire.

Quelques jours plus tard, le Gouverneur des Établissements Français d’Océanie décidait de fermer Orofara en tant que léproserie et d’en faire un centre de traitement annexé à l’hôpital, avec le statut de l’hôpital, le personnel de l’hôpital. Les registres d’état civil étaient supprimés : nul ne pourrait plus jamais naître ou mourir « lépreux ».

Douze malades, cependant, recevaient à l’occasion de mon passage, leur exeat. À la radio, je déclarais : « J’ai douze anciens malades à caser. J’ouvre pour eux un bureau de placement », et j’indiquais leur profession. Quelques heures plus tard me parvenait un télégramme : « Suite à votre appel, vous demandons bonne à tout faire parlant français. Signé : Constantin, école Vaitoaré ».

Aujourd’hui, tous ont retrouvé, à Tahiti, leur emploi dans une société intelligente et généreuse. Ancien cantonnier, le Chef du village est redevenu cantonnier dans la commune qui l’a vu naître. Fifi est mariée à un planteur ; Rachel et Esther sont demoiselles de magasin ; Hitu, jardinier.

Tous sont heureux.

LE CHRIST CHEZ LES LEPREUX

Il n’est que d’ouvrir l’Évangile. Parmi les Pauvres, ils sont les préférés. Ceux sur qui le Sauveur inclina le plus souvent Sa tendresse. Lépreux guéris, lépreux bénis… Et ce repas chez Simon le Lépreux, au soir de Sa vie humaine.

Comment Ses messagers ne se seraient-ils pas sentis attirés par ceux qui furent, entre tous, les Amis du Seigneur ?

De fait, l’Église n’a point cessé de s’occuper des lépreux.

Elle, et elle seule pendant des siècles. Alors que rien n’était possible pour eux que de les aimer, alors que tout espoir humain était interdit, elle leur apporta la Charité divine, et l’Espérance.

Saint Martin, saint Louis de France, saint François d’Assise ont laissé des exemples qui demeurent dans tous les cœurs.

Tandis que tous les repoussaient, les méprisaient, les ignoraient, dans l’océan tragique de leur misère et de leur solitude, l’Eglise a fait surgir des îlots de charité. A force d’héroïsme, de volonté, de sainteté. Dans des pays où la lèpre était une maladie maudite, elle a, renouvelant l’antique droit d’asile, ouvert ses refuges aux lépreux et, avant même qu’on pût efficacement les soigner, elle a redonné à leur vie désespérée un sens et un espoir.

D’après les dernières statistiques de la Propagation de la Foi, il y a actuellement 97 léproseries missionnaires réunissant 26 437 malades.

Il convient d’ajouter que les Sœurs apportent leur concours – infiniment précieux et toujours apprécié – dans 122 léproseries officielles où près de 50 000 malheureux se confient à leurs soins et à leur tendresse.

À l’exemple du Père Damien dont l’épopée est aujourd’hui universellement connue, Religieuses et Religieux ont rivalisé de zèle ardent, d’héroïque charité.

Silencieux, humbles, sublimes, ils ont vécu, souffert, au service de ceux qui – parce qu’ils sont les plus malheureux de tous les hommes – sont les plus près du cœur de Dieu.

Aujourd’hui l’épopée de la lèpre est révolue. Mais la Bataille se poursuit. Si elle sollicite moins d’héroïsme spectaculaire, elle exige autant de courage quotidien.

Redisons-le :

A l’heure où rien n’était possible pour les lépreux que de les aimer, les Missionnaires étaient là. Eux et souvent eux seuls. À l’heure où il est impossible de les guérir, où il est du devoir de chacun de nous aider à en faire « des hommes comme les autres », ils sont toujours là, Dieu merci. Pour les aimer. Et pour les faire aimer.

Ils sont là pour être les messagers de la bonne nouvelle.

Pour dire aux malades qu’ils soignent : « Vous guérirez. Préparez-vous sans crainte à retourner dans la vie. Et vous, les infirmes détectés trop tard, mutilés, hélas ! sachez bien que vous n’en êtes pas moins des hommes comme les autres, et que la société doit s’occuper de vous. Pas par pitié, mais avec respect et avec amour ».

Ils sont là pour dire à ceux qui se cachent encore, parce qu’ils ont peur : « Rassurez-vous, venez à nous en confiance. Vous ne serez pas privés du droit de tout homme à la liberté. On vous soignera à domicile si vous n’êtes pas contagieux. On vous hospitalisera si votre état l’exige, mais sans jamais cesser de vous considérer pour ce que vous êtes : des êtres humains ! »

Ils sont là, enfin, pour témoigner devant les bien-portants qu’il faut guérir d’une lèpre cent fois plus contagieuse : la peur. Qui donc aurait plus d’autorité pour leur dire : « La lèpre est guérissable, la lèpre est une maladie banale à laquelle on a fait une stupide, une atroce publicité », que celles, que ceux qui ont consacré leur vie aux plus douloureuses minorités opprimées du monde ? Qui serait cru avec plus de confiance, suivi avec plus d’amour ?

Voilà le rôle merveilleux qui s’ajoute, pour les missionnaires, à tant de charité déjà dépensée. Et il leur faudra parfois plus de courage, j’allais écrire plus de sainteté, pour combattre ces lèpres qui s’appellent l’égoïsme, la peur, la lâcheté, que pour soigner le mal de Hansen. Ils poursuivront cette tâche, comme toujours, dans la simplicité et dans la joie.

D’une lettre reçue récemment, je détache ces lignes :

« Veuillez croire, cher monsieur Follereau, que parmi beaucoup d’autres que vous avez certainement enrôlés au service des lépreux, sans esprit de tragi-comédie, un spiritain est heureux de se trouver au milieu d’eux et de s’en occuper comme d’une paroisse normale dont le prêtre doit avoir à cœur et la piété et la joie de vivre sous le soleil du Seigneur. »

On ne saurait dire mieux, ni plus spirituellement.

… Le Christ est toujours chez les lépreux. Mais nous en sommes à l’heure de la Résurrection.

FAIM DES HOMMES… FIN DU MONDE

Seigneur, voici vos lépreux,

leurs mains absentes et leurs visages tuméfiés,

les repoussants, les repoussés, les immondes,

qui portent comme votre Croix

toute la misère du monde.

Seigneur, voici vos lépreux,

Leurs mains absentes et leurs visages tuméfiés.

Seigneur, voici les vrais lépreux,

les égoïstes, les impies,

ceux qui vivent dans l’eau croupie,

les confortables, les peureux,

ceux qui ne font rien de leur vie ;

Seigneur, voici les vrais lépreux,

ceux qui vous ont crucifié.

© Raoul FOLLEREAU - 1960

Déchéance de la nationalité

Ce débat signifie que nous sommes dans la fin d’une civilisation

Jean-Luc Nancy, philosophe, professeur émérite à l’université des sciences humaines de Strasbourg.

C’est en France, vieille nation ébranlée, pays le plus centralisé, doté d’une très forte image de lui-même, que cette idée de « déchéance » a germé. Sa force est très frappante, elle tient au mot « déchet » qu’on y entend. Quand on est déchu, on devient un déchet. Il existait déjà tous les instruments juridiques pour frapper quelqu’un d’indignité. « La déchéance de nationalité » n’est qu’une façon d’accrocher à cette possibilité un mot bien infamant. Elle signifie aussi que cette nationalité a potentiellement une pureté, une intégrité telle qu’elle peut rejeter des sujets dégoûtants et qu’elle est tout à fait légitimée à le faire.

Nous sommes ramenés par des pressions très puissantes à tous ces cercles de repérage, d’identité, de reconnaissance, simplement parce que les choses ne vont plus du tout dans le sens où nous étions portés à le penser il y a une vingtaine d’années, vers un progrès. Tout est allé de plus en plus mal, selon un mouvement extrêmement puissant, qui dépasse tout ce qu’on peut maîtriser politiquement, intellectuellement, même philosophiquement. Je tendrais à dire que nous sommes dans la fin d’une civilisation. Autrement dit, nous avons entamé quelque chose qui dans deux siècles aura pris la forme du début d’une nouvelle civilisation.

Nous sommes dans la situation de l’homme romain au VIe siècle de notre ère : totalement perdus devant tout ce qui disparaît. Seuls les chrétiens voyaient dans cet écroulement un signe de Dieu, comme Augustin. À présent, nous n’avons plus aucun moyen d’y déceler un tel signe divin. Mais ceux qui, au contraire, ont voulu voir des signes de déclin, comme Heidegger, ont toujours été démentis car l’histoire est plus sinueuse. Nous sommes aujourd’hui en plein déferlement, et ne savons plus quoi faire. La déchéance de nationalité est une magistrale bêtise, et une réaction face à cela.

Les hommes ne voient jamais l’histoire dans laquelle ils sont emportés. Mais il est temps d’ouvrir un peu les yeux, de se rendre compte qu’il s’agit d’une mutation très profonde. Il faut repenser de fond en comble le commun, l’être ensemble, qui sont devenus des mots doucereux. Repenser comment nous sommes au monde. Penser aussi que certaines positions au monde s’usent. La royauté, ce qui a rendu possible la Révolution française, a chuté car elle était usée. Ce que la Révolution française a engendré, la République – et plus largement une civilisation – est aujourd’hui usée à son tour. Les hommes ont du mal à accepter de vieillir, les peuples et les civilisations encore plus. La déchéance est l’arme désespérée de ceux qui ne peuvent le concevoir.

Jean-Luc NANCY

© La Croix -2016

Les relations entre les françs-maçons et l’Église évoluent

Réflexion de Jean Rigal, théologien

Jean Rigal, théologien nous interroge « Dans le contexte actuel, le débat ne serait-il pas plus bénéfique qu’une condamnation ? »

Les catholiques ne sont pas toujours bien informés d’une querelle séculaire qui existe entre leur Église et les francs-maçons.

Selon les époques, la rivalité a été plus ou moins dure, l’Église romaine critiquant la maçonnerie et réciproquement. L’ancienne excommunication a disparu, en 1983, dans l’édition actuelle du droit canon ; mais une autre condamnation a été formulée, la même année, par le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Elle affirme que les fidèles qui s’inscrivent à la franc-maçonnerie « sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion ». On remarquera que cette désignation touche exclusivement les maçons et atteint seulement et douloureusement ceux qui, parmi eux, affirment avoir une foi catholique.

Cette condamnation était compréhensible lorsque les maçons, dans les allées du pouvoir, poursuivaient des attitudes d’hostilité, voie de persécution, dans les États latins. Qu’on songe à la France de la IIIe République ou aux Italiens, quand Rome, jusque-là ville du pape, fut annexée au nouveau royaume d’Italie. Mais n’oublions pas qu’à la même époque l’Église catholique n’était pas sans reproche, s’employant à promouvoir une restauration monarchique du pouvoir.

Depuis lors, la franc-maçonnerie a évolué. Elle s’est divisée, dans chaque État, en de nombreuses obédiences, plus diverses qu’on ne croit. Leur spiritualité spécifique se situe généralement de manière apaisée, à l’égard des différentes religions.

Quant à l’Église catholique, depuis Vatican II et le pape François, elle s’est ouverte au dialogue avec les autres familles de pensée, y compris avec des groupes d’incroyants.

En 2016, la famille de pensée maçonnique, en dépit de ses divisions, est bien représentée en France avec 150 000 adultes des deux sexes, en toutes régions. Ce sont des personnes qui vivent souvent des valeurs morales et citoyennes affirmées. Pourquoi ne pas multiplier les occasions de dialogue ?

On sait que beaucoup de maçons se veulent a-dogmatiques (opposés aux dogmes). Peut-être est-il utile de rappeler que la foi chrétienne ne porte pas d’abord sur des formules mais sur la découverte de « Quelqu’un ». Qu’en pensent les catholiques maçons ?

Dans le contexte actuel, le débat ne serait-il pas plus bénéfique qu’une condamnation ? Comment ne pas situer cet appel dans l’interpellation lancée par l’Année jubilaire sur la miséricorde ? « Qu’à tous, croyants ou loin de la foi, écrit le pape François, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous. “La miséricorde est le propre de Dieu dont la toute-puissance consiste justement à faire miséricorde.” Ces paroles de saint Thomas d’Aquin montrent que la miséricorde n’est pas un signe de faiblesse, mais bien l’expression de la toute puissance de Dieu ».

À l’occasion de l’Année de la miséricorde, pourquoi ne pas écarter définitivement cette accusation de « péché grave », imputée uniquement, du moins de cette façon, aux « initiés » des obédiences maçonniques ?

© La Croix -2016

Lois Clayes-Leonetti – Oui à la culture palliatve

Déclaration de la Conférence des Évêques de France

Suite à l’adoption, en France, de la loi Claeys-Leonetti sur « la fin de vie », le mercredi 27 janvier 2016, à la l’Assemblée nationale, Mgr Pierre d’Ornellas et les membres du groupe de travail sur la fin de vie de la Conférence des évêques de France (CEF) s’expriment dans cette déclaration.

Les parlementaires viennent de voter une nouvelle loi sur la fin de vie. Ils ont heureusement écarté l’idée qu’une vie pouvait être inutile : oui, chaque personne est digne du plus grand respect jusqu’au terme de sa vie ! Ils ont maintenu que « l’obstination déraisonnable » est interdite : oui, prendre soin de la personne est plus essentiel que la seule poursuite de thérapies devenues disproportionnées !

Pendant le débat législatif, une demande massive a été enfin entendue : que soient développés l’accès et la formation aux soins palliatifs. Le gouvernement a mis en œuvre un plan triennal dans ce but. De même, une évaluation annuelle de la politique développée pour ces soins a été votée. La nouvelle loi est donc à appliquer selon les objectifs, les principes et les pratiques des soins palliatifs. Beaucoup s’en réjouissent car tout cela lutte contre le « mal mourir » qui subsiste par endroit.

La loi donne des droits aux patients afin de respecter leur autonomie. Or celle-ci s’inscrit toujours dans une relation, d’autant plus que la vulnérabilité grandit. C’est en garantissant aux patients comme aux soignants une juste implication dans la relation de soin que la loi peut répondre à l’ambition d’une meilleure qualité de soins.

La loi définit et encadre un nouveau droit « à la sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience jusqu’au décès ». Ces cas sont rares. Quoiqu’il en soit, la loi ne peut se substituer à l’appréciation médicale en imposant des systématisations qui nieraient la singularité de chaque cas. Sur le projet de loi, nous nous sommes exprimés dans la déclaration « Ne prenons pas le problème à l’envers ! » (20 janvier 2015)

Pour chaque situation, l’art médical cherche à procurer le meilleur apaisement possible de la souffrance, et à qualifier avec justesse l’obstination déraisonnable afin de la refuser, notamment pour les patients incapables d’exprimer leur volonté. Cet art médical discerne quand l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles correspond au meilleur soin à donner. Il évalue quand les directives anticipées sont ou non appropriées. Nourri par un vrai dialogue entre professionnels de santé, patients et proches, cet art permet de s’ajuster aux situations les plus délicates, dans le respect de la déontologie médicale.

Cet art est celui de l’accompagnement guidé par l’intention de soulager, adapté à chaque personne et à ses souhaits, dans les limites du raisonnable. Nous remercions les soignants qui, avec les bénévoles, s’engagent en équipe, au quotidien, aux côtés de personnes en fin de vie pour que leur « confort » soit le meilleur possible.

Les recommandations de bonne pratique sont essentielles à cet art du soin palliatif. Seule la poursuite d’une réflexion concertée et continue pour leur rédaction et leur mise en œuvre le favorisera. Soutenant toujours l’intention de soulager, elles dissiperont les craintes de dérives euthanasiques qui, à juste titre, ont surgi pendant le débat.

Non, cette nouvelle loi n’est pas qu’une étape ! Prenons sérieusement le temps de l’appliquer grâce aux moyens octroyés et à la formation – qui est urgente – de tous les professionnels de santé. Alors le « mal mourir » reculera. Et le grand public, grâce à une information honnête, régulière et nécessaire, sera conforté sur la qualité de l’accompagnement et sur le soulagement de la souffrance, que ce soit ou non en fin de vie.

Face à l’opacité de la mort et à son énigme, la conscience cherche au plus profond d’elle-même, et avec l’aide d’autrui, la lumière qui l’habite pour trouver réconfort et paix. Quelle que soit cette lumière – la foi en Dieu ou la simple gratitude pour la vie –, le chemin vers la mort est difficile et rude. Nul ne s’y aventure sans le juste et fidèle soutien de l’équipe soignante, de proches et de la société. C’est à cela qu’une société se reconnaît digne de l’humanité des siens.

La culture palliative est « un élément essentiel des soins de santé », proclame le Conseil de l’Europe. Ces frères et sœurs en grande vulnérabilité nous appellent à un surcroît de fraternité. Répondre à leur appel est une belle œuvre politique : elle inscrit la culture palliative non seulement dans le monde du soin mais aussi dans nos mentalités pour que nous soyons attentifs à prendre soin les uns des autres, car nous portons tous les questions existentielles les plus vives : nous avons à la fois soif d’infini et l’expérience de la finitude. Telle est la fraternité que sont appelées à construire nos lois relatives à la fin de vie, qui seront alors des lois de progrès pour la France.

Le 28 janvier 2015

© Conférence des Évêques de France -2016

Commentaire des lectures du dimanche

« Dieu nous sauve dans nos erreurs, pas dans nos certitudes »

Ce qui nous sauve ce n’est pas tant notre certitude d’observer les commandements, mais l’humilité d’avoir toujours besoin d’être guéris par Dieu.

« Aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays » : Nous partirons de ces paroles de Jésus aux habitants de Nazareth, pour qui il ne put faire de miracles parce « qu’ils n’avaient pas la foi ». Jésus rappelle l’épisodes biblique du le miracle de la guérison de la lèpre de Naamàn le Syrien, aux temps du prophète Elisée. Les lépreux et les veuves, à cette époque étaient des marginaux. Pourtant, ces marginaux, en accueillant les prophètes, ont été sauvés. Par contre, les habitants de Nazareth n’acceptent pas Jésus, parce qu’ils étaient si sûrs d’eux dans leur foi, tellement sûrs dans leur observance des commandements qu’ils n’avaient pas besoin d’un autre salut.

Voilà bien le drame de l’observance des commandements sans la foi : « Je me sauve tout seul, parce que je vais à la synagogue tous les samedis, je tente d’obéir aux commandements, mais qu’on ne vienne pas me dire que ce lépreux et cette veuve étaient meilleurs que moi ! » C’étaient des marginaux ! Et Jésus nous dit : « Sache que si tu ne te mets pas à la marge, si tu ne te sens pas à la marge, tu ne seras pas sauvé ». C’est l’humilité, le chemin de l’humilité : se sentir si marginalisés que nous avons besoin du salut du Seigneur. Lui seul sauve, et non pas la stricte observance des préceptes. Et bien évidemment, cela n’a pas plu, ils se sont fâchés et ils voulaient le tuer.

La même colère touche au début également Naamàn, parce qu’il considère ridicule et humiliante l’invitation d’Elisée à se baigner sept fois dans le fleuve Jourdain pour être guéri par la lèpre. Le Seigneur lui demande un geste d’humilité, d’obéir comme un enfant, d’être ridicule. Il s’en va indigné, mais ensuite, convaincu par ses serviteurs, il revient et fait de qui est demandé par le prophète. Cet acte d’humilité le guérit. Voilà bien le message d’aujourd’hui : si nous voulons être sauvés, nous devons choisir la route de l’humilité.

Marie dans son Cantique ne dit pas qu’elle est heureuse parce que Dieu a considéré sa virginité, sa bonté et sa douceur, toutes vertus qu’elle avait, non : mais parce que le Seigneur a regardé l’humilité de sa servante. Voilà ce que regarde le Seigneur. Et nous devons apprendre cette sagesse de nous « marginaliser », pour que le Seigneur nous trouve. Il ne nous trouvera pas au centre de nos certitudes, non. Là le Seigneur ne va pas. Il nous trouvera dans la marginalité, dans nos péchés, nos erreurs, nos besoins d’être guéris spirituellement, d’être sauvés ; là le Seigneur nous trouvera .

Voilà bien le chemin de l’humilité : L’humilité chrétienne, c’est dire la vérité : « Je suis pécheur, pécheresse ». Dire la vérité, c’est dire notre vérité. Dieu ne nous sauve pas dans nos certitudes. Demandons donc la grâce d’avoir cette sagesse de nous marginaliser, la grâce de l’humilité pour recevoir le salut du Seigneur.

Pape François

© Libreria Editrice Vaticana - 2014