Pko 28.08.2016
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°49/2016
Dimanche 28 août 2016 – XXIIème Dimanche du Temps ordinaire – Année C
Humeurs…
Dècès de Père Jean van den Eynde
Au début de cette année, Père Jean avait rejoint la communauté Saint-Claude La Colombière. Malgré l’affaiblissement de ses forces, Père Jean est resté très présent à la vie de la communauté. Il s’est éteint doucement ce 24 août.
Rendons grâce au Seigneur pour ses engagements au sein des collèges (Godinne et Verviers) et pour l’apostolat de sa vie, les Exercices Spirituels, qu’il exerça notamment à Wépion et Fayt, enfin à Namur, sans oublier toutes les retraites qu’il anima partout dans le monde et particulièrement en Polynésie française. Depuis 1996, Père Jean est venu à de nombreuses reprises pour animer des retraites dans l'Archidiocèse.?La messe de funérailles aura lieu le mardi 30 août à 10h à l’église Saint-Jean Berchmans (église du collège Saint-Michel) à Etterbeek.?Une veillée de prière aura lieu le lundi 29 août de 15h30 à 16h à la chapelle de la Maison Saint-Claude La Colombière.
La communauté paroissiale de la Cathédrale adresse à sa communauté religieuse et à sa famille ses sincères condoléances.
Prier ! C'est ne rien faire !
La prière est une espèce d'ascèse.
« J'ai envie de m'en aller, de lire, de sortir »… Non, non, non… Tu vas rester ici, mon ami. Assieds-toi là. Calme-toi. Cesse de réfléchir. Arrête ton émotivité, ton affectivité et surtout ta nervosité.
Comme quelqu'un qui me disait : « Le livre pour moi est une tentation ». Justement, il ne faut pas lire. La prière ! Ce n'est pas de lire des choses spirituelles.
La prière ! C'est d'entrer dans ce rien, dans ce silence et d'attendre Dieu au fond de moi et non dans mon imagination dans le mental. Mais ! au fond de moi Ne croyez surtout pas que nous perdons du temps en restant assis dans son coin de prière.
« Oui, mais ! J'ai des distractions ». Qu'est-ce que c'est de ne pas avoir de distractions ? Ne pas avoir de distractions pour vous, c'est de penser continuellement « spirituel ». Alors ! C'est une distraction parfaite. Observez le ciel, les arbres, la mer, etc… Après un temps, vous verrez que vous n'êtes plus dans le brouillard, mais dans le mystère de la vie, de la création, de la présence de Dieu.
Alors, quand on se tait, on commence à sentir Dieu. Que Dieu est présent à tout et que ma vie, je dois la lâcher, me laisser faire. Il faut être paisible.
La prière est une présence à Dieu et une présence de Dieu en moi qui me donne un fruit : lâcher prise, soumission, paix, confiance, acceptation, humilité…
Ne croyez surtout pas :
- que l'on perd son temps
- que l'on n'est pas dans la grâce
- que je ne suis pas dans la prière
parce que je suis là à observer ,à me taire, à écouter, à me laisser faire…etc.
Je ne perds pas mon temps. Si vous ne savez pas faire cela c'est parce que vous n'êtes pas spirituel. Vous êtes psychique.
Remettons-nous dans ce silence et laissons Dieu agir. Il fera de nous des êtres spirituels.
Extrait d’une retraite de Père Jean à Tibériade - Tahiti
Chronique de la roue qui tourne
L’ambition
« Un homme n’est pas malheureux parce qu’il a de l’ambition, mais parce qu’il en est dévoré. » Montesquieu
« Avoir de l’ambition », cette expression a toujours eu une connotation négative. On a l’image de quelqu’un aux dents super longues, pouvant rayer le trentième sous-sol, l’image de quelqu’un prêt à marcher sur tout le monde pour arriver. À côté de ça, on est adepte du « quand on veut, on peut ». Les deux phrases vont pourtant dans le même sens, elles posent notre volonté comme meilleur moteur pour nous faire avancer. Mais, comme toute énergie, elle a besoin d’être maitrisée, elle a besoin d’être canalisée, pour ne pas devenir un moteur fou, lancé à vive allure faisant des dégâts et des victimes. Oui, « vouloir » n’a rien de répréhensible en soi, encore faut-il savoir exactement ce que nous voulons, et surtout ce qu’il nous faut éviter, et par quels moyens comptons-nous y arriver. Quel genre de personne voulons-nous être ? Quel genre de vie voulons-nous mener ? Nous devons identifier très clairement ce qui nous est essentiel et ce qui ne l’est pas. Des réflexions fondamentales avant tout changement car elles détermineront si cela a été une « évolution » ou une « régression ». Sans aucune valeur et sans sauvegarder ce qui est notre essence, l’élan de l’ambition nous ferait perdre toute trajectoire viable à notre épanouissement durable. Nous y perdrons tout sens des réalités et irons de désillusions en insatisfactions.
L’ambition n’est qu’un élan, ce sont nos choix qui déterminent l’aboutissement. Donc, soyons ambitieux et faisons les bons choix !
La chaise masquée
© Nathalie SH – P.K.0 – 2016
Jésus, un invité qui dérange
En marge de l’actualité du mercredi 24 août 2016
Il nous arrive peut-être de faire le beau rêve d'accueillir Jésus dans sa maison. Imaginons la scène : Jésus vient un dimanche, le jour où nous avons pour tradition d'inviter des proches à partager le repas. Nous serions bien fiers ! Mais est-ce si évident que cela de recevoir Jésus chez soi ? D'après l'Évangile de ce dimanche, c’est ce qui arrive à un chef de pharisiens, un notable qui possède une autorité morale et politique. Il reçoit des convives, dont Jésus, pour le repas du sabbat.
Chez les pharisiens, ce repas est l'occasion de mener des débats religieux. Le passage évangélique donne d'ailleurs l'impression d'une atmosphère tendue. Jésus est connu pour faire des guérisons le jour du sabbat (voir Lc 6,1-11). Or, dans la tradition juive dominante, le repos sabbatique exclut tout type d'activité, quand bien même celle-ci consisterait à guérir. Souvenons-nous que le sabbat célèbre le repos du Créateur à la création du monde (Ex 20,8-11), et aussi la libération du peuple asservi en Egypte (Dt 5,12-15). Jésus ne s'y oppose pas mais dans sa manière d'agir et dans ses paroles, il souhaite faire réfléchir : quel sens donner à la célébration de l'alliance le jour du sabbat.
Dans un premier temps, aux invités qui choisissent les premières places, Jésus propose de préférer les dernières en adoptant l'attitude de l'humilité. C'est cette manière d'être qui conduit à recevoir des marques d'honneur authentiques dans la mesure où elles ne viennent pas de nous-mêmes, mais d’un autre qui nous demande d'occuper la première place.
Dans un deuxième temps, Jésus exhorte son hôte à modifier ses habitudes. Plutôt que d'inviter à sa table des individus de même rang social, pourquoi ne pas inviter des pauvres, des estropiés... c'est-à-dire des personnes qui ne seront jamais en mesure de rendre la pareille ?
Dans les deux cas, Jésus ne vise pas les règles de convenance. Il les dépasse en incitant ses interlocuteurs à adopter des attitudes qui plaisent au Père. Dieu élèvera l'homme qui se place en toute humilité devant Lui et qui le reconnaît comme son Créateur et son Père. De même qu'Il récompensera lui-même la générosité de celui qui s'ouvre activement à la misère des autres : « Cela te sera rendu à la résurrection des justes ».
Accueillir Jésus conduit manifestement à envisager la convivialité de nos relations de manière renouvelée. Oui, prendre Jésus chez soi, dans sa vie, est une grâce. Car sa présence produit des effets bénéfiques quant à l'authenticité évangélique de nos manières de vivre. Il paraît cependant évident que si nous continuons de nous accrocher à des mérites extérieurs pour obtenir des marques d'honneur en oubliant notre dépendance vis-à-vis de Dieu, et si nous continuons d'exercer une générosité intéressée, alors là, oui, Jésus peut devenir un invité qui dérange.
+ R.P. Jean Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete – 2016
La parole aux sans paroles – 50
Portrait d’homme : Stéphane
« Il y a des réveils qui sont plus durs que d'autres. », disait Paul Carvel. Depuis 2012, Stéphane en fait l’expérience.
D’où viens-tu ?
« Je viens de la métropole, du département de la Haute-Loire, dans l’Auvergne, en France. J’ai grandi là-bas avec mes parents, mon frère et ma sœur. »
Et comment es-tu arrivé chez nous ?
« Alors, je suis arrivé ici en octobre 2002 parce que je voulais voir un peu Tahiti, la Polynésie Française qui m’a toujours fait rêver. Bon, j’ai eu des petits soucis avec une ancienne petite amie mais ce n’est pas ça qui m’a fait prendre la décision de partir. Je voulais vraiment changer d’air et voir ce que c’était la Polynésie. Et comme je travaille dans la restauration depuis plus de 20 ans, j’ai voulu voir ce que ça donnait de travailler dans des hôtels de luxe. »
Donc tu as travaillé ?
« Quand je suis arrivé en octobre 2002, je me suis pris une semaine de vacances et j’ai travaillé tout de suite après. Mon premier travail, c’était à l’Auberge du Pacifique avec Jean Galopin à Punaauia. J’ai fait presque un an et je suis parti parce que je ne m’entendais pas avec sa femme. J’étais en désaccord avec sa façon de travailler donc je suis parti. Et j’ai retrouvé tout de suite du travail à "Côté jardin", à Carrefour Punaauia. J’ai beaucoup bougé. A "Côté jardin", j’y suis resté un an et demi. Après je suis venu en ville, j’ai fait "Le Retro", "Le Velvet" à l’hôtel Tahiti Nui sur Prince Hinoi, "Les 3 Brasseurs", "Le Mana Rock Café" pendant 4 ans. J’ai pas mal bourlingué, j’ai pas mal bougé ! »
Et aujourd’hui alors ?
« Ben, aujourd’hui, ma situation est un peu différente et complexe parce que j’ai perdu mon travail en 2012. On nous a foutu dehors comme des malpropres. Je ne citerai pas le nom de la boite parce que ça ne regarde que moi. Et j’ai eu du mal à retrouver du travail et c’est comme ça que j’ai atterri ici. Je ne dirai pas dans la rue parce qu’on a un toit au-dessus de notre tête pour dormir. Depuis 2012, je fais des petits boulots mais jamais plus de C.D.I., plus de C.D.D. et je n’ai pas droit aux C.A.E. vu que je suis diplômé dans l’hôtellerie. Alors, voilà, maintenant je vais monter ma propre boite. Mais je n’en dis pas plus ! »
Où dors-tu ?
« Je suis logé au centre d’hébergement, à Tipaerui. »
Et comment tu te débrouilles ?
« Je fais des petits boulots. Mon ex belle-mère, la mère de la maman de mon fils, parce que j’ai un petit garçon Kamaleï, me fait travailler dans son faapu et qui me paie. Ou alors, j’ai la chance d’avoir des amis popa’a qui me prêtent de l’argent si j’ai besoin. J’arrive à me débrouiller, j’arrive à avoir mes cigarettes. »
Est-ce que tu regrettes d’être venu à Tahiti ?
« Non, je ne regrette pas d’être venu parce que j’ai mon fils. Peut-être, la seule chose que je regrette, c’est le racisme. Et je trouve qu’il y en a de plus en plus ! »
Tu as eu des problèmes ?
« Ah oui, il y a beaucoup des gens qui me disent : "Rentre dans ton pays. Blanc, tu n’es pas chez toi." Même en haut, au centre d’hébergement, on l’a dit déjà. Quand je suis arrivé au centre d’hébergement en 2014, on m’a dit : "Ce n’est pas pour toi ici, rentre chez toi en France." Mais je ne regrette pas d’être à Tahiti mais c’est dommage que ça ne suive pas au niveau boulot. Ici, si tu ne montes pas ta boite, si tu ne connais pas les bonnes personnes, tu ne trouves pas de travail, même si tu as des diplômes. Et à 40 ans, tu es trop vieux pour travailler ici. »
Tu es le copain de Marie-Jo ?
« Voilà, depuis presque un an. »
Raconte-nous votre rencontre.
« Alors, elle est monté au centre d’hébergement de Tipaerui. C’est elle qui est venue vers moi la première fois. Elle était amoureuse de moi depuis un petit moment déjà. Bon, on se croisait dans la rue, elle me disait toujours bonjours. Elle est en-haut depuis septembre 2015. Voilà, on s’est connu comme ça. Elle est venue me voir et m’a avoué ses sentiments. »
Le plus dur dans la rue ?
« C’est de ne pas pouvoir faire plaisir à ma Marie-Jo. De ne pas avoir d’argent tous les jours, ça, c’est dur pour moi. Quand j’étais en métropole, je n’avais pas de problèmes d’argent. J’avais une maison, j’avais ma voiture, j’avais mon boulot. Donc c’est difficile pour moi qui ne suis pas du même milieu social. Mais, je pense que si je ne les avais pas côtoyés, Je ne leur aurais jamais adressé la parole. C’est dur pour moi d’admettre mais je m’étais fait de mauvaises idées sur eux. Tu vois, ceux qui vivent dans la rue sont des gens vraiment courageux. Il y n’a pas beaucoup qui vivraient ce qu’ils vivent. Moi, je suis admiratif de ces gens qui vivent dans la rue. Et, tu vois, je ne connaissais pas Père Christophe, c’est ma chérie qui me l’a fait connaitre. Et ce que fait le Père Christophe, c’est chapeau, c’est respect. Dommage que personne ne veuille travailler avec lui. Ce monsieur est extraordinaire ! »
Un beau souvenir de la rue ?
« C’est quand on a été invité à l’Assemblée pour un repas de Noël en 2014. »
Pourquoi ?
« Parce qu’il y avait tous les SDF, il y avait des familles, des enfants. Il y avait au moins 200 personnes. Il y avait Miss Tahiti et ses Dauphines. On a bien mangé, on a bien rigolé. C’est un bon souvenir ! »
Si tu pouvais changer une chose à ta vie…
« D’avoir mal jugé les gens de la rue. Je me suis fait de fausses idées sur eux. Ils sont courageux de vivre ce qu’ils vivent. Moi, je sais que je ne serais pas capable de vivre dans la rue. Ça, je l’ai dit déjà à Marie-Jo. Je ne pourrais pas passer une nuit dehors, ce n’est pas possible ! »
Parle-nous de ton fils.
« Kamaleï aura 8 ans en octobre. Je le vois tous les dimanches. Je n’ai aucun problème avec sa mère. Je vois mon fils quand je veux. Il n’y pas de souci. »
Tu disais avoir une maison en France.
« En fait, mon papa a deux maisons. Et comme on a déménagé, mes parents habitent maintenant l’Ardèche. Et, mon papa a une deuxième maison en Charente-Maritime. »
Et tu n’as pas envie de rentrer ?
« Ah si, j’ai bien envie de rentrer parce que, depuis 2002, je ne suis jamais rentré chez moi. Mes parents sont venus en 2003. Ma sœur est venue en 2009 pour le baptême de mon fils parce que son mari était le parrain. Alors, oui, j’ai envie de rentrer mais pas définitivement. En vacances, simplement. J’ai besoin d’aller me ressourcer. Mais pour l’instant, je fais le dos rond, je n’ai pas les moyens financiers. Je ne peux pas. Alors, je prends sur moi et j’avance ! »
Un dernier message ?
« Quand on a un rêve, il faut y aller, il faut foncer, il ne faut rien lâcher. »
© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016
Serviteur de Dieu et de l’humanité – Biographie de Benoit XVI
Bénoit XVI évoque son pontificat, sa renonciation…
Dans un entretien, le pape émérite revient sur sa vie vécue « dans l’esprit d’obéissance »
Le pape émérite a accepté de répondre à un entretien pour l’ouvrage « Serviteur de Dieu et de l’humanité. La biographie de Benoît XVI » écrit par Elio Guerriero, qui sera publié en italien aux éditions Mondadori le 30 août 2016. Dans cet entretien – un fait rare depuis sa démission – publié en avant-première par le quotidien La Repubblica le 24 août, Benoît XVI évoque son pontificat, sa renonciation et ses relations avec son successeur.
Dans l’esprit d’obéissance
Celui qui s’est décrit dès son élection comme « humble serviteur dans la vigne du Seigneur », était « conscient de (ses) limites » mais convaincu « que l’Église est guidée par le Seigneur » : « J’ai accepté (l’élection à la papauté, ndlr) dans l’esprit d’obéissance, affirme-t-il, comme j’ai toujours cherché à le faire dans ma vie ».
Dans les difficultés « plus ou moins grandes du pontificat », raconte le pape allemand, « je me rendais compte que je ne pouvais pas faire seul tout ce que je devais faire et ainsi j’étais contraint à me remettre dans les mains de Dieu, à me confier à Jésus » et à « la Mère de Dieu, la mère de l’espérance qui était un soutien sûr ». Autres soutiens célestes de Benoît XVI : « mes compagnons de voyage d’une vie : saint Augustin et saint Bonaventure, mes maîtres de l’esprit, mais aussi saint Benoît dont la devise ‘nulla anteporre a Cristo’ (ne rien préférer au Christ) m’est devenue toujours plus familière et saint François, le pauvre d’Assise ».
« Chaque jour, se souvient-il, je recevais de nombreuses lettres non seulement des grands de la Terre, mais aussi de personnes humbles et simples » qui exprimaient leur proximité. Soutien qui a continué après sa renonciation : « Je ne peux qu’être reconnaissant au Seigneur et à tous ceux qui m’ont exprimé et me manifestent encore leur affection. »
Benoît XVI formule aussi une recommandation pour les « situations de crise » : « La meilleure attitude est de se mettre devant Dieu avec le désir de retrouver la foi pour pouvoir poursuivre sur le chemin de la vie. »
La renonciation, pour les J.M.J.
Le pape émérite explique aussi sa décision de renoncer au Siège de Pierre : « J’avais à cœur de mener à terme l’Année de la foi et d’écrire l’encyclique sur la foi qui devait conclure le parcours initié avec Deus caritas est. (…) En 2013, cependant, il y avait de nombreux engagements que je ne pensais plus pouvoir mener à terme. »
Il évoque en particulier la Journée mondiale de la jeunesse qui devait se dérouler à l’été 2013 à Rio de Janeiro au Brésil : « Après l’expérience du voyage au Mexique et à Cuba, je ne me sentais plus en mesure de réaliser un voyage si exigeant ». En effet, explique-t-il, « j’ai expérimenté (…) les limites de ma résistance physique. Je me suis rendu compte que je n’étais plus en mesure d’affronter à l’avenir des vols transocéaniques en raison du décalage horaire ».
Or pour les JMJ, souligne Benoît XVI, « la présence physique du pape était indispensable (…). Une circonstance pour laquelle la renonciation était pour moi un devoir ».
Quant au choix de rester au monastère Mater Ecclesiae dans les jardins du petit État, il rappelle que Jean-Paul II avait décidé que cette maison soit « un lieu de prière contemplative, comme une source d’eau vive au Vatican ». Puisque le triennat des Visitandines arrivait à son terme, il décida de s’y retirer « pour continuer à (sa) façon le service de la prière ».
Communion profonde avec François
Enfin, le pape émérite évoque ses relations avec son successeur, faisant état d’« un sentiment de communion profonde et d’amitié ». « L’obéissance à mon successeur n’a jamais été remise en question », ajoute-t-il.
« Au moment de son élection, confie Benoît XVI, j’éprouvai comme beaucoup un sentiment spontané de gratitude envers la Providence. Après deux pontifes provenant de l’Europe centrale, le Seigneur tournait pour ainsi dire le regard vers l’Église universelle et nous invitait à une communion plus large, plus catholique. »
« Personnellement, poursuit-il, je suis resté profondément touché, dès le premier moment, de l’extraordinaire disponibilité humaine du pape François à mon égard. Tout de suite après son élection il a cherché à me joindre au téléphone. N’ayant pas réussi, il me téléphona encore une fois immédiatement après la rencontre avec l’Église universelle depuis le balcon de Saint-Pierre et me parla avec une grande cordialité. »
Evoquant « un rapport magnifiquement paternel-fraternel », le pape émérite énumère les attentions du pape argentin pour lui : « Souvent m’arrivent ici des petits cadeaux, des lettres écrites personnellement. Avant d’entreprendre des grands voyages, le pape ne manque jamais de me rendre visite ». Benoît XVI, qui vit la « bienveillance humaine » du pape François comme « une grâce particulière de ce dernier stade de (sa) vie », assure de ses prières pour son successeur.
L’ouvrage Servitore di Dio e dell’umanità. La biografia di Benedetto XVI, d’Elio Guerriero, directeur de la revue théologique Communio, est aussi préfacé par le pape François. Ce dernier rend hommage au « courage » et à la « détermination » de Benoît XVI face aux situations difficiles.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Je suis née morte… un petit éloge de la vie
Un livre à lire ou à relire… de Nathalie SALMON-HUDRY
PAPEETE, le 22 août 2016 - Le « Feel good book » de la rentrée ! Je suis née morte est un témoignage touchant, parfois bouleversant, parfois émouvant, que rapporte la jeune auteure polynésienne Nathalie Salmon-Hudry, sous une plume fluide et légère, toujours sincère et authentique. C’est le parcours atypique d’une jeune femme qui se plie à l’exercice de confier ses expériences et ses anecdotes de vie, en oubliant presque de mentionner son handicap.
Suite à une erreur médicale lors de sa venue au monde, Nathalie Salmon-Hudry est infirme moteur cérébral. Accompagnée et entourée d’une mère au profil de battante, institutrice de formation, Nathalie enchaîne dès le plus jeune âge les apprentissages communs à tout enfant : couleurs, formes, écriture... Avec une volonté implacable, la mère et la fille franchissent les obstacles les uns après les autres, toujours avec humilité et détermination. Témoignage d’une mère, qui alterne entre réjouissances et déceptions, entre sursauts de bonheur et périodes d’angoisses et de préoccupations. Témoignage d’une jeune femme au parcours de vie bien singulier.
Plaidoyer pour la vie
Ce récit, sincère dans les moindres détails, nous amène à partager des moments bienheureux, des anecdotes insoupçonnées -une handicapée motrice en Harley Davidson, sur une patinoire, au théâtre dans le rôle d’une prostituée- et des bonheurs anodins qui prennent immédiatement une ampleur décuplée, lorsque l’on y porte un regard complice. Fan de littérature, Nathalie Salmon-Hudry a entrepris des études de journalisme et n’hésite pas à dénoncer les défaillances du système administratif quant à l’intégration sociale, scolaire et professionnelle des handicapés dans notre société. C’est avec beaucoup d’aplomb qu’elle contribue à briser les stéréotypes si communs -et souvent, si maladroits- en nous invitant à faire preuve de tolérance et d’entraide mutuelle, notamment envers les plus fragiles et dépendants. Nathalie nous inspire un profond respect pour sa manière philosophique épicurienne de croquer la vie avec enthousiasme et simplicité.
La rédemption par l'écriture
Véritable invitation à faire preuve d’empathie -au sens littéral-, cet ouvrage nous amène adroitement à réfléchir en profondeur sur notre niveau de conscience et notre vision de l’handicap, dans un sens général, commun et populaire. Leçon d’humilité, fraîcheur et auto-dérision, la protagoniste nous offre un contenu pétillant, en traitant pourtant un sujet des plus sérieux. L’oxymore comme figure de style -opposition réunissant deux termes opposés l’un à côté de l’autre- choisi dans le titre même de l’ouvrage atteste de l’humour enjoué de l’auteure, tout en soulignant la gravité de la situation, la sienne comme celle de ses semblables.
Car nous sommes loin de nous imaginer de la difficulté, en même temps que du profond respect, qu’inspire le fait d’affronter la vie avec un tel handicap, dur à vivre et à assumer au jour le jour... De l’enfance -ses étapes d’éveil progressif et de construction identitaire- à l’âge adulte, en passant par l’inébranlable adolescence -et son conflit identitaire, morale comme physique. D’autant que c’est à cette période charnière que les choses empirent : apparition des raideurs chroniques, gestes spasmodiques... Et le corps qui continue de se développer, tout en prenant véritablement conscience de la réalité implacable que représente le handicap... à vie. Et le regard d’autrui « pitié, dégoût, curiosité malsaine ». Les problématiques liées à l’handicap dans une situation d’éloignement insulaire rajoute qui plus est une difficulté supplémentaire à surmonter, à accepter un tel sort. Mais à en croire Nathalie Salmon-Hudry, tout est possible pour qui y met du cœur et garde espoir !
Au Vent des îles
Nathalie, le cœur sous la plume
Nathalie Salmon-Hudry, cette jeune femme d’aujourd’hui 33 ans, nous émeut avec ce premier ouvrage auto-biographique (éditions Au vent des îles), en nous faisant vivre des anecdotes et épisodes de son quotidien, parfois une confidence, puis un aveu... Mais il est d’autant plus étonnant de savoir qu’elle s’exprime à l’écrit grâce à un mécanisme dit « licorne » : imaginez un casque posé sur la tête, sur lequel est fixé un manche dont l’embout sert à taper touche par touche. Chaque lettre est le résultat d’un effort qui se converti en mots, phrases, paragraphes... Jusqu’à remplir d’émotion les 154 pages de ce récit au contenu sensible, hors du commun et tout du long, captivant. Le choc de la réalité s’adoucie avec la fraîcheur des anecdotes et le positivisme ambiant. Avec Je suis née morte, Nathalie a reçu le Prix Vi Nimo décerné par les lycéens de Noumea lors du dernier Salon International du Livre d’Océanie (SILO) en octobre dernier, une première depuis la création de ce prix littéraire qui n’avait jusqu’alors jamais été remis à un auteur hors Nouvelle-Calédonie.
© Tahiti-info - 2016
Théologie et handicap
La Doctrine sociale sur le fil par Dominique Greiner
Dans le monde francophone, la réflexion théologique autour du handicap reste encore balbutiante. Il en est autrement dans le monde anglo-saxon. Depuis plus de deux décennies, l’activisme handicapé et les « disability studies » d’une part, le travail des théoriciens de la justice – économistes et philosophes – d’autre part, ont conduit les théologiens à investir la question du handicap qui est vite apparue comme interrogeant aussi bien l’anthropologie, l’ecclésiologie, la sacramentaire, l’éthique.
Face à l’énigme du handicap
Le handicap commence par interroger la nature de la prise de parole que l’on peut risquer sur lui. La théologie n’échappe pas au risque de saturer le discours sur le handicap en s’enfermant dans un discours de consolation facile et ainsi d’éviter le questionnement soulevé par celui ou celle qui devant nous est différent ou nous apparaît comme tel.
Lucidité sur nos propres émotions
Le discours éthique aussi bien philosophique que théologique peut s’aventurer à chercher une raison à ce qui n’en a pas, mais c’est déjà refuser de se confronter et d’être remis en cause par la différence, l’incomplétude, la souffrance. Cette remise en cause peut être profonde. Il suffit pour s’en rendre compte d’être lucide sur ses propres émotions et réactions lorsque nous croisons dans la rue une personne aux mouvements désordonnés, un adulte aux traits marqués par la trisomie ou un enfant en fauteuil que promènent ses parents. Nous pouvons feindre de ne pas les voir pour signifier à nous-mêmes et à ceux qui nous voient que nous sommes tolérants et donc indifférents. Mais sous couvert de tolérance, cette attitude est aussi déni de la différence. Nous pouvons feindre de ne pas les voir parce que leur vue nous est insupportable. Dans ce cas, la personne vivant avec un handicap est réduite à sa différence qui est absolutisée : nous ne voyons plus que le handicap en l’autre. N’ayant plus rien de semblable avec nous, l’autre se trouve exclu de la convivialité qui nous rassemble. Nous pouvons encore être habité par un sentiment de réprobation : « Ils n’ont rien à faire dans la rue », « quand on a un enfant comme celui-là, on reste chez soi ». Cette attitude manifeste un rejet de la différence qui conduit à vouloir établir entre soi et l’autre une ligne de démarcation infranchissable.
Différence et commune humanité
Dans le même temps, le trouble face à la personne handicapée vient de ce qu’au-delà de la différence avec moi, elle apparaît aussi dans sa similitude avec moi. Au-delà des blessures du corps ou de l’intelligence, nous percevons aussi l’humanité qui nous est commune avec celui/celle qui vit avec un handicap. Mais si nous faisons l’expérience de l’angoisse, c’est parce que l’autre n’est jamais seulement différent. Autrui, si différent soit-il, a quelque chose de commun avec moi, quels que soient son langage, son comportement, son apparence physique. L’autre, dans sa différence, malgré elle, me reste proche. L’atteinte corporelle ou psychique chez soi comme chez autrui bouleverse une sécurité fondamentale. Le corps difforme, l’incohérence du langage ou des comportements ouvrent une brèche dans un univers du corps exalté et de la tête bien faite. « Face à ces autres, il faut oser prendre le risque de la rencontre. Rencontrer autrui, c’est certes œuvrer pour l’unité, mais dans le deuil de l’identité, sinon l’unité recherchée impliquerait encore la tentation de ramener l’autre à moi, à mon désir sur lui ».
Sortir du registre abstrait du handicap
Ces remarques liminaires tirées de la rencontre avec la personne handicapée indiquent déjà que la question du handicap ne se réduit pas à une question de droits, d’avantages compensatoires ou de dispositifs de lutte contre les discriminations. La question du handicap se situe dans l’ordre de l’humain tel qu’il est dans ce monde et tel qu’il devient. Parler de handicap nous situe encore dans un registre abstrait alors que les personnes handicapées qui sont devant nous et vivent parmi nous, nous sollicitent et nous interrogent dans notre approche et notre interprétation du corps de l’autre, dans nos manières d’échanger. Elles remettent en question nos conceptions de la vie bonne, de la réussite, de la normalité, mais aussi de la bonté et de la justice de Dieu. La question politique du vivre ensemble ne peut faire l’économie d’un tel détour de pensée pour se laisser confronter à l’énigme du handicap.
La vulnérabilité, une condition commune
Le handicap apparaît injuste. C’est un mal injustifiable qui nourrit le malaise en nous, à cause de la peur qu’il suscite, de l’impuissance qu’il nous fait éprouver, des interrogations sur notre propre devenir qu’il suscite. La tentation, en pareilles circonstances, est de vouloir « combler » le malaise en misant positivement sur l’avenir (par exemple en escomptant sur les capacités restauratrices de la médecine ou en déployant un discours « religieux » consolateur) ou en s’attachant à trouver une cause au mal ou une raison à ce qui n’en a pas.
Face à la question du mal et de l’injustice
Cette tentation de trouver une explication rationnelle – morale ou religieuse – au mal est dénoncée par Jésus lui-même dans l’épisode de l’aveugle-né au chapitre 9 de l’évangile de Jean. Jésus est interrogé par ses disciples : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jn 9, 2). Par leur question les compagnons de Jésus se situent dans une logique de rétribution du mal par le mal. Celle-ci a l’avantage d’offrir une explication simple à l’état de cécité de cet homme. Les pharisiens, quelques versets plus loin, font de même : « Tu es né dans le péché », déclarent-ils à celui qui désormais voit. Jésus leur répond clairement : « ni lui, ni ses parents » ont péché (Jn 9, 3). La suite de sa réponse est plus mystérieuse : « Mais c’est afin que soit manifestée en lui les œuvres de Dieu » (Jn 9, 3). La réponse de Jésus renvoie à un horizon de sens qui ne nous appartient pas. La personne handicapée devient occasion de la manifestation, de l’épiphanie de l’attention et du soin que Dieu porte à tout homme, quelle que soit sa condition ontique. Dieu saisit le handicap pour rendre manifeste la venue de la lumière au cœur de notre humanité fragilisée. Plus largement encore, il révèle du même coup la fragilité, la vulnérabilité foncière de tout homme : la présence de personnes handicapées parmi rappelle la commune condition humaine marquée par l’incomplétude et la limite.
« Dieu handicapé »
L’itinéraire personnel de Jésus le Christ achève de mettre cela en pleine lumière : pour vaincre définitivement le mal et le péché, le Fils de Dieu descend personnellement jusque dans les profondeurs du mal et du péché. Et ce chemin, cette « kénose », passe logiquement par l’acceptation libre non seulement de la condition humaine, mais encore celle de tous les handicaps, jusqu’à la plus radicale dépendance : l’ignominieuse mort sur la Croix. Et lorsque le Ressuscité apparaît, c’est avec les stigmates de la Passion sur les mains et sur son côté (Jn 20, 27) : la Résurrection du Christ n’abolit pas le fait qu’il assume la faiblesse humaine la plus radicale. La foi chrétienne confesse que le Christ est vraiment ressuscité, précisément avec cette « chair » marquée par la faiblesse. Dieu, par son incarnation en Christ a ratifié la vulnérabilité et l’interdépendance relationnelle comme normatives : « Le pouvoir de Dieu est porté à son accomplissement et dans sa perfection dans la faiblesse. » Jésus est l’icône du Dieu vulnérable.
Pour Nancy Eiesland, Dieu se révèle comme « Dieu handicapé » : Jésus ressuscité se fait reconnaître par les marques des clous et son côté transpercé (Luc 24, 36-39). Parce que Dieu a embrassé la faiblesse humaine et l’incapacité en Christ, nous sommes en pouvoir d’accueillir la faiblesse d’autrui comme aimés de Dieu. Le handicap peut alors être regardé autrement, non plus comme une déficience ou une tragédie, mais comme une manière d’être humain et de vivre avec d’autres avec sa vulnérabilité. Une telle approche rejoint l’expérience de la maladie ou du handicap qui signifie souvent la perte d’une complète maîtrise de soi et de son environnement.
Un monde vulnérable aimé de Dieu
De fait, la réflexion théologique conduit à porter un nouveau regard sur le handicap. Il fait partie de ce monde vulnérable que Dieu aime. Il est révélateur de la vulnérabilité constitutive de l’être humain. Alors que le handicap est généralement appréhendé en termes de dysfonction, d’incomplétude, d’incapacité et comme une menace sur l’ordre symbolique, la réflexion théologique rappelle notre condition de commune vulnérabilité. Le handicap opère comme une « mémoire dangereuse » qui bouscule nos représentations de la santé et de la normalité. Il nous oblige à reconnaître et à expérimenter les liens profonds de réciprocité et de solidarité entre humains vulnérables. La présence parmi nous de personnes handicapées vient rappeller que « tout être humain est vulnérable et, tôt ou tard, aura besoin d’aide au cours de sa vie ». Elle devient appel à l’ensemble de la communauté humaine et dénonce tous les comportements d’exclusion, de discrimination.
La reconnaissance d’une commune condition de vulnérabilité déplace le questionnement, et sans nier les désagréments quotidiens de la vie handicapée, elle invite à dépasser le clivage entre handicapés et non-handicapés. La vulnérabilité nous fait découvrir le besoin que nous avons les uns des autres et doit nous faire renoncer à une vue de l’existence comme autosuffisance autonome. Ceci signifie aussi que la « perfection » qui nous est également promise, en termes d’accomplissement de notre humanité, n’abolit pas la faiblesse de la chair. Au contraire : nous n’avons pas à nous évader du handicap et de la dépendance qui marquent notre condition humaine, mais à passer au travers, à aller au-delà…
Compassion et solidarité
La vie et le ministère public de Jésus peuvent alors être relus selon cette perspective. À travers les nombreuses guérisons qu’il opère, il dévoile l’amour infini du Père et même temps qu’il révèle la nature profonde du mal et du péché. Dans le même temps, ceci nous dégage d’une compréhension simplement compassionnelle de l’amour témoigné par le Christ à tous les « blessés de la vie ». Outre l’invalidation d’une conception morale et moralisatrice du handicap, la littérature néo-testamentaire souligne la constante d’une approche du corps, envisagé comme expression d’une humanité inachevée ou en attente d’accomplissement et comme lieu de manifestation de l’attention de l’Autre, le Fils du Père mais aussi, après lui, le frère en humanité, habité du même Esprit. Notre solidarité envers les plus fragiles est dès lors décisive. L’orientation de nos pratiques à partir de ce que Alasdair MacIntyre appelle « les vertus d’une dépendance reconnue » renouvelle notre rapport envers les personnes en situation de handicap et de dépendance. À l’inverse, oublier les plus fragiles nous conduirait finalement à refuser une catégorie importante de notre agir moral, et un trait essentiel de notre dignité puisqu’il nous façonne en tant qu’individus rationnels et solidaires.
[à suivre]
© La Croix - 2016
Commentaire des lectures du dimanche
La mondanité nous rend aveugles aux pauvres
Ces paroles nous disent avant tout quel est le style de Dieu. Dieu ne se révèle pas par les moyens de la puissance et de la richesse du monde, mais par ceux de la faiblesse et la pauvreté : « Lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous… ». Le Christ, le Fils éternel de Dieu, qui est l’égal du Père en puissance et en gloire, s’est fait pauvre ; il est descendu parmi nous, il s’est fait proche de chacun de nous, il s’est dépouillé, « vidé », pour nous devenir semblable en tout (cf. Ph 2, 7 ; He 4, 15). Quel grand mystère que celui de l’Incarnation de Dieu ! C’est l’amour divin qui en est la cause, un amour qui est grâce, générosité, désir d’être proche et qui n’hésite pas à se donner, à se sacrifier pour ses créatures bien-aimées. La charité, l’amour, signifient partager en tout le sort du bien-aimé. L’amour rend semblable, il crée une égalité, il abat les murs et les distances. C’est ce qu’a fait Dieu pour nous. Jésus en effet, « a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et Spes, n. 22 § 2).
La raison qui a poussé Jésus à se faire pauvre n’est pas la pauvreté en soi, mais, – dit saint Paul – [pour que] « … vous deveniez riches par sa pauvreté ». Il ne s’agit pas d’un jeu de mots, ni d’une figure de style ! Il s’agit au contraire d’une synthèse de la logique de Dieu, de la logique de l’amour, de la logique de l’Incarnation et de la Croix. Dieu n’a pas fait tomber sur nous le salut depuis le haut, comme le ferait celui qui donne en aumône de son superflu avec un piétisme philanthropique. Ce n’est pas cela l’amour du Christ ! Lorsque Jésus descend dans les eaux du Jourdain et se fait baptiser par Jean Baptiste, il ne le fait pas par pénitence, ou parce qu’il a besoin de conversion ; il le fait pour être au milieu des gens, de ceux qui ont besoin du pardon, pour être au milieu de nous, qui sommes pécheurs, et pour se charger du poids de nos péchés. Voilà la voie qu’il a choisie pour nous consoler, pour nous sauver, pour nous libérer de notre misère. Nous sommes frappés par le fait que l’Apôtre nous dise que nous avons été libérés, non pas grâce à la richesse du Christ, mais par sa pauvreté. Pourtant saint Paul connaît bien « la richesse insondable du Christ » (Ep 3, 8) « établi héritier de toutes choses » (He 1, 2).
Alors quelle est-elle cette pauvreté, grâce à laquelle Jésus nous délivre et nous rend riches ? C’est justement sa manière de nous aimer, de se faire proche de nous, tel le Bon Samaritain qui s’approche de l’homme laissé à moitié mort sur le bord de la route (cf. Lc 10, 25ss). Ce qui nous donne la vraie liberté, le vrai salut, le vrai bonheur, c’est son amour de compassion, de tendresse et de partage. La pauvreté du Christ qui nous enrichit, c’est le fait qu’il ait pris chair, qu’il ait assumé nos faiblesses, nos péchés, en nous communiquant la miséricorde infinie de Dieu. La pauvreté du Christ est la plus grande richesse : Jésus est riche de sa confiance sans limite envers le Père, de pouvoir compter sur Lui à tout moment, en cherchant toujours et seulement la volonté et la gloire du Père. Il est riche comme est riche un enfant qui se sent aimé et qui aime ses parents et ne doute pas un seul instant de leur amour et de leur tendresse. La richesse de Jésus, c’est d’être le Fils ; sa relation unique avec le Père est la prérogative souveraine de ce Messie pauvre. Lorsque Jésus nous invite à porter son « joug qui est doux », il nous invite à nous enrichir de cette « riche pauvreté » et de cette « pauvre richesse » qui sont les siennes, à partager avec lui son Esprit filial et fraternel, à devenir des fils dans le Fils, des frères dans le Frère Premier-né (cf. Rm 8, 29).
On a dit qu’il n’y a qu’une seule tristesse, c’est celle de ne pas être des saints (L. Bloy) ; nous pourrions également dire qu’il n’y a qu’une seule vraie misère, c’est celle de ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ.
Message de Carême 2014 – Pape François
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