Pko 27.11.2016

Eglise cath papeete 1

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°63/2016

Dimanche 27 novembre 2016 – Ier du Temps de l’Avent – Année A

Humeurs…

À Dieu Christine

Vous ne verrez plus Christine sur le bord du trottoir près de la Poste de Papeete… Vous ne l’entendrez plus vous interpeller : « M’sieur, t’as pas 100 francs… ». Elle s’en est allé jeudi matin à l’aube vers la maison du Seigneur…

Christine, j’ai plus que souvent été impatient avec toi… Qu’est-ce tu pouvais me casser les pieds… me mettre hors de moi parfois… mais chez toi, jamais de rancune…

Au-delà des apparences, il y avait chez toi un cœur de maman en souffrance de ne pas savoir ce que devenaient tes enfants… Combien de fois tu nous as demandé : « Tu connais mes enfants ? Tu sais où ils sont ? Tu as des nouvelles de mes enfants ? »

Tu ne demandais pas grand-chose… un peu d’attention, de tendresse… Je ne peux oublier ton petit baisé sur mon front lorsque tu arrivais à Te Vai-ete… une joie pour toi de te savoir comme les autres…

Avec toi… nous avons fait l’expérience de notre impuissance à changer les choses… accepter nos limites… Merci Christine et bon voyage… toi qui nous précède au Royaume !

« La beauté d’une ville, elle est d’abord de ne pas avoir de taudis, de ne pas avoir de sans-logis » - Abbé Pierre

Chronique de la roue qui tourne

L’Avent

« Voilà qu'elle a quatorze ans, toujours pleurnicheuse. Mais le soir de la nuit de Noël 1886, après avoir communié, revenant en famille aux Buissonnets où l'attendent des cadeaux dans la cheminée, son papa, fatigué, laisse échapper : “Heureusement que c'est la dernière année (qu'on prépare ainsi les cadeaux). Elle est trop grande...”

Ayant entendu, Thérèse fond en larmes. Elle monte l'escalier pour retirer son chapeau. Devant son état, sa sœur Céline lui conseille de ne pas descendre. Mais soudain, Thérèse reçoit une grande grâce de force. Elle ne se reconnaît pas ! Ses larmes sont séchées. Elle redescend l'escalier, découvre ses cadeaux en riant. Tous sont dans la joie. La "pleureuse" a été soudainement transformée en une fille forte, après dix ans d'efforts. Elle appellera ce Noël, la nuit de sa "conversion". Le Dieu fort qui se fait si petit en Jésus à Bethléem a transformé la faible petite Thérèse Martin en une jeune fille combattante pour son amour. D'autant qu'elle voudrait aussi être carmélite et qu'il faudrait de la force pour vivre cette vocation. Alors, elle priait... elle priait...

Et voilà que l'Amour est entré dans son cœur, elle va s'oublier pour faire plaisir aux autres et dès lors écrit-elle, "je fuis heureuse". » Noël 1886 : la nuit de la conversion de Sainte Thérèse de Lisieux.

Le mois de décembre est là. Noël et ses réjouissances se profilent à l’horizon. L’occasion idéale pour revoir notre définition de Noël et nos attentes. Au fil du temps, le réveillon de Noël est devenu la fête familiale par excellence. Une fête qui invite au partage, au don gratuit, à la recherche du bonheur de l’autre. Voilà en tous les cas la « définition » de Noël en théorie. Mais dans la pratique, qu’en est-il ? Force est de constater que cette si belle fête est devenue une véritable frénésie. Oui, Noël a été réduit à une fête commerciale et égocentrique. Égocentrique car, que l’on se le dise bien, offrir les plus beaux jouets à nos enfants ou offrir les plus onéreux présents à nos proches, cela s’apparente plus à de l’égocentrisme qu’à un vrai partage avec l’autre. Nous sommes tellement obnubilés par notre propre plaisir et celui de notre comité restreint… voire très restreint que nous nous coupons du reste du monde.

Alors, quoi ? Devons-nous nous priver d’un réveillon pour les pauvres ? C’est extrême !

Non, essayons juste d’avoir de petits gestes pour l’autre avant de fêter Noël. Oui, mettons à profit le temps de l’Avent pour rendre visibles les oubliés, pour partager avec les négligés de notre routine. Oui, durant cet Avent, imposons-nous chaque jour un geste envers un inconnu. Rien de dispendieux, rassurez-vous ! Un simple sourire, un petit bonjour, une attention. Un pas chaque jour vers l’autre… pour nous rapprocher de la crèche. Quittons un peu plus tous les jours notre confort pour, ne serait-ce, que voir la misère et le désespoir de l’autre pour mieux apprécier l’Espérance de Noël. Ce sera notre calendrier de l’Avent censé nous préparer à fêter dignement Noël. Un effort pour l’autre, une marque d’attention à Dieu tous les jours jusqu’à Noël. Oui, faisons de cet Avent le bon moment pour penser à l’autre, le moment de voir le malheur de l’autre et d’essayer d’y remédier, le moment d’apprendre à donner au lieu de recevoir et d’expérimenter la vraie richesse d’un partage !

« Heureusement que c'est la dernière année (qu'on prépare ainsi les cadeaux). », n’attendons pas une phrase si dure pour changer notre égocentrisme en générosité.

Et puis, avouez que rendre visibles les invisibles de notre quotidien serait un bel hommage à Dieu qui se rend visible à Noël.

La chaise masquée

© Nathalie SH – P.K.0 – 2016

Regard sur l’Année jubilaire

En marge de l’actualité du mercredi 23 novembre 2016

Alors que se termine l’année jubilaire de la Miséricorde voulue par le Pape François, il est bon de jeter un regard rétrospectif sur les fruits que ce temps fort de l’Église a fait mûrir dans notre diocèse. Le premier de ces fruits fut la mobilisation des fidèles pour vivre le passage de la porte sainte comme une démarche de conversion et de foi. De nombreux fidèles, de nombreuses paroisses, mouvements, groupes de catéchèse et de jeunes et jusqu’à certaines communautés des îles hors de Tahiti ont vécu cette démarche comme un signe de leur désir de se laisser interpeller dans leur vie Chrétienne non seulement de façon individuelle, mais surtout en communauté. Vivre ensemble une telle démarche ne peut que contribuer à rapprocher les fidèles et faire grandir chez chacun la conscience d’appartenir à un peuple de croyants. Un grand merci doit être exprimé ici aux églises de Maria no te Hau et de Taravao et à leurs équipes de prêtres et de laïcs pour l’accueil et le service qu’ils ont rendu pendant cette année jubilaire. Le second fruit fut les nombreuses démarches de réconciliation vécues par beaucoup grâce à l’accueil du sacrement du pardon mais aussi par le pardon donné et reçu au sein même des relations humaines, dans les couples, les familles, entre frères et sœurs ; beaucoup se sont réconciliés, témoignant ainsi de leur accueil de cette miséricorde que Dieu accorde à ceux qui le lui demandent. Un troisième fruit fut la participation de nombreux fidèles aux conférences, enseignements, retraites, visant à expliquer, faire découvrir la réalité de la miséricorde de Dieu, notamment à travers des commentaires de la Parole de Dieu. Nul doute que tous ces efforts de formation auront permis à beaucoup de mieux saisir le véritable visage de ce Dieu qui nous aime au-delà de nos faiblesses et que le Christ nous a révélé par sa vie et sa mort sur la croix. Autre fruit, lié à ce qui précède : le retour de bien des enfants prodigues vers la maison du Père. Ce fut en effet pour certains la redécouverte de la personne de Jésus Christ qu’ils avaient laissé de côté, redécouverte s’accompagnant souvent d’un retour à la pratique de l’Eucharistie dominicale dans leur paroisse et d’une authentique charité. Autre fruit, ce fut l’accueil de personnes d’autres confessions dans cette démarche d’approche du mystère d’amour de Dieu, dans le respect des différences et l’ouverture à la bienveillance de Dieu envers tous ceux qui cherchent la vérité. Enfin, signalons les « actes de miséricorde » accomplis à l’égard de ceux qui souffrent de solitude, de pauvreté, de maladie : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger… » Ces actions ont été menées au niveau individuel, certes, mais aussi par des groupes, des paroisses, des mouvements qui entendaient ainsi concrétiser leur désir d’être miséricordieux « comme le Père ».

Des regrets et des souhaits ? Peut-être nos communautés Chrétiennes auraient-elles pu faire davantage pour se rendre plus proches et plus accueillantes envers ceux et celles qui souffrent de situations qui les tiennent comme « à l’écart » de l’Église. La miséricorde de Dieu va bien au-delà des limites posées par la loi. Dans sa lettre apostolique à l’occasion de la clôture du jubilé de la miséricorde, le Pape François écrit : « La miséricorde ne peut être une parenthèse dans la vie de l’Église, mais elle en constitue l’existence même, qui rend manifeste et tangible la vérité profonde de l’Évangile. Tout se révèle dans la miséricorde ; tout se résout dans l’amour miséricordieux du Père… Au centre, il n’y a pas la loi ni la justice de la loi, mais l’amour de Dieu qui sait lire dans le cœur de chacun, pour en saisir le désir le plus caché, et qui doit avoir le primat sur tout ». Mais il est toujours temps de relever ce défi !

Pour conclure, laissons la parole à notre Pape : « À l’heure où s’achève ce Jubilé, il est temps de regarder en avant et de comprendre comment continuer avec fidélité, joie et enthousiasme, à faire l’expérience de la richesse de la miséricorde divine. Nos communautés pourront rester vivantes et dynamiques dans la mission de nouvelle évangélisation dans la mesure où la “conversion pastorale” que nous sommes appelés à vivre sera imprégnée chaque jour de la force rénovatrice de la miséricorde. Ne mettons pas de limites à son action ; n’attristons pas l’Esprit qui indique toujours des chemins nouveaux pour annoncer à tous l’Évangile du salut ».

+ R.P. Jean Pierre COTTANCEAU

© Archidiocèse de Papeete - 2016

La parole aux sans paroles – 59

Portrait d’une sœur de la nuit- Fara (2)

Jean-Marie Poirier disait : « C’est souvent l’évidence qui exige le plus de démonstrations. » Une absurdité, me direz-vous. Pourtant, le témoignage touchant de Fara en est l’exemple même. Le regard et la désapprobation des autres fut une source de souffrances pour cette enfant qui agissait en toute innocence. Avec le temps et une détermination infaillible, elle a fait des recherches et s’est documentée pour montrer et démontrer ce qui était inné et naturel pour elle. Elle s’est battue pour se faire opérer. Elle a affronté mille et une épreuves pour que une évidence personnelle devienne vérité aux yeux de la société. Une grande leçon de courage et de persévérance !

Aujourd’hui, tu es opérée. Raconte-nous comment ça s’est passé ?

« Quand j’ai eu 18 ans, le lendemain de mon anniversaire, j’ai acheté un billet d’avion et je suis partie en France. Parce que ma mère était contre à ce que je parte à 17 ans. Elle ne voulait pas en entendre parler, c’est normal, c’est une mère. Et si elle avait pu me retenir jusqu’à 20 ans, elle l’aurait fait ! Arrivée en France, je me suis débrouillé comme je pouvais, pour pouvoir me faire opérer. Et, là-bas, il y a beaucoup de transsexuelles qui ont essayé de me dissuader de faire l’opération, des transsexuelles qui n’étaient pas opérées elles-mêmes. Elles disaient que ça rendait folle, qu’on n’avait pas d’orgasme et qu’on avait plein de problème de santé par la suite. Il y avait beaucoup de personnes qui spéculaient sur le sujet alors qu’elles ne connaissaient rien. J’ai décidé de me tourner vers des transsexuelles qui ont été opérées, je leur ai demandé leur avis et toutes ne m’ont pas parues folles. Au contraire, je les ai trouvées libérées, joyeuses, heureuses et en train de découvrir une autre facette de leur vie. Et ça, pour celles qui n’étaient pas opérées et qui ont peur de franchir le pas, c’est justement ça être folle, tout simplement. Ces filles-là qui se sont faites opérer étaient libres, joyeuses, coquettes, en phase avec elles-mêmes. Alors, j’ai décidé de me faire opérer, j’ai économisé tout mon argent. Ça m’a coûté 16 000 € (1 920 000fcp). Je me suis faite opérer à Londres. J’y suis allée toute seule, j’ai pris le train, j’ai rencontré le médecin, je me suis faite opérer. Bon, il y a toute procédure en amont, une procédure psychologique, psychiatrique mais je me suis faite quand même opérer après. Quand je me suis faite opérer, je suis restée une semaine complète là-bas. Je ne pouvais pas me lever, on m’a fait une péridurale aussi… comme si j’avais donné naissance à mon propre enfant en fait. Donc je suis restée une semaine alitée et, après ça j’ai commencé à marcher tout doucement dans ma chambre. Et, le 8ème jour, je suis rentrée à Paris. Bon, il y a eu quelques petites complications. J’ai eu des migraines atroces, je me suis allongée et endormie dans les toilettes du train parce que je ne pouvais pas rester debout. Arrivée à la gare, j’ai dû attendre que la dernière personne prenne un taxi parce que je ne pouvais pas faire la file d’attente. À cette époque-là, je ne savais pas que je pouvais demander une assistance, dans le train ou à la gare. Je me suis débrouillée toute seule jusqu’au bout. Et après je suis rentrée, là a commencé la convalescence, une longue convalescence, avec énormément de choses à faire, des soins, des dilatations pour éviter la fermeture du vagin, etc. Mais, aujourd’hui, ce que j’avais remarqué sur les filles opérées que j’avais rencontrées, ben, je le vis, je suis très heureuse et épanouie. »

Donc, l’épreuve, car c’est tout de même une rude épreuve, l’épreuve vaut la peine ?

« Oui, l’épreuve vaut vraiment la peine. En fait, les rumeurs, les spéculations autour du sujet étaient vraies pour les opérations antérieures aux années 80. Mais ces rumeurs, ces spéculations ont continué à courir jusqu’aux années 2000. Moi, j’ai eu la chance d’arriver à un moment où la médecine avait progressé. Aujourd’hui, les opérations se font très bien. Les reconstructions sont à leur extrême puisqu’ils arrivent à reproduire même le vagin très très bien, avec le clitoris, avec les petites lèvres, les grandes lèvres, les sensations avec tous les nerfs qui sont placés aux mêmes endroits, avec les muqueuses, tout. Le vagin transsexuel est très réussi. »

Et, dis-moi, comment es-tu arrivée dans le milieu de la prostitution ?

« À l’âge de 13 ans, quand j’ai commencé ma transition, je sortais avec des amis aux boums de Vaiete et de Langlois, où justement Père Christophe est intervenu pour les interdire. (Rires) Et, nous, on y allait pour s’amuser et on s’y amusait très bien. Donc je sortais là-bas avec des copains, des amis et d’autres amis qui commençaient, eux aussi, leur transition. Et, un soir, en rentrant, on a croisé une transsexuelle qui travaillait en face de la mairie, elle nous a abordé et elle m’a trouvée très belle et intéressante. Elle m’a amenée au Piano Bar et c’est là que ma transition a réellement commencé. »

Quand tu découvres cet univers à 13 ans, qu’est-ce qui est le plus dur ?

« À 13 ans, on se croit invincible. À 13 ans, on ne voit pas le malheur là où il est, le danger là où il est. À 13 ans, on est insouciant. Pour moi, à 13 ans, ce n’était pas difficile ce qui se passait, au contraire. J’avais l’impression que je défiais l’autorité. Donc j’étais en extase et heureuse, je me rebellais. »

Ton premier « client », tu t’en rappelles ?

"Non, je ne m’en rappelle pas, c’est assez vague. Mais, j’aimerais dire une chose par rapport à tout ça. Aujourd’hui, j’ai 33 ans et je me rends compte de tous les dangers que j’ai traversé, toutes les choses qui auraient pu m’arriver, les agressions, les viols, les vols, la maladie comme le sida, la drogue, l’alcoolémie, toutes ces choses-là dont on ne se rends pas compte. On ne se rend pas compte, pourquoi ? Parce que, d’une, rejetées par la société, on a l’impression d’être des merdes ! Donc, on ne donne pas de valeur à nos vies. Alors, on n’a peur de rien et on s’en fiche de ce qu’il peut nous arriver. Tout ça parce qu’on est abandonné. »

Quelque part, c’est de l’autodestruction, non ?

Non, ce n’est pas de l’autodestruction. Tu sais, à l’époque, quand j’ai débuté à 13 ans, il n’y avait pas toute la compréhension d’aujourd’hui autour du transsexualisme. Quand j’ai débuté, on était tout simplement mises au placard. Personne ne voulait de nous. On était tout simplement mises au placard, on était des parias, tout simplement. »

Et, d’après toi, la société d’aujourd’hui est davantage tolérante ?

« Je pense qu’aujourd’hui il y a une grosse différence avec l’arrivée d’internet, notamment. Moi, j’ai débuté en 1993, et je trouve qu’il y avait beaucoup plus d’agressions, beaucoup plus d’incompréhensions sur le sujet qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, les jeunes ont accès à internet. Aujourd’hui, les jeunes ont accès à plus d’informations, plus de partages. Donc ça passe mieux je trouve. Aux États-Unis par exemple, l’homosexualité est intégrée dans la société, ce qui n’était pas le cas dans les années 90. Dans les années 80, on disait encore qu’"on cassait du pédé" quand le sida est apparu. Dans les années 90, les transsexuelles étaient tabassées dans les écoles. Aujourd’hui, il y a des droits, il y a des associations, il y a des protections pour les transsexuelles et les gays dans les écoles et les universités, aux États-Unis, en France. Et tout ça, ça arrive chez nous. Donc c’est mieux qu’auparavant, bien sûr que c’est mieux qu’auparavant ! Et, avec internet qui démocratise tout ça, qui fait passer le message en quelques secondes, bien sûr qu’aujourd’hui ce n’est pas la même époque ! Mais, aujourd’hui, j’ai remarqué qu’il y a moins de transsexuelles dans les rues. À l’époque, toutes les transsexuelles étaient réunies, toutes se connaissaient. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque, on était rejeté donc isolé, donc on s’était réuni. On se mettait entre congénères, on va dire, entre personnes de la même race. Mais ce n’est pas le bon mot, je le sais ! »

Le plus dur dans ce métier ?

« Le plus dur ? Pour moi, c’est le non-respect, des clients ou des passants. C’est le plus dur pour moi. Pour moi, faire l’amour est un besoin, un acte naturel. Tu sais, il y a énormément de choses que l’on ne voit pas entre quatre murs, que l’on n’entend pas entre quatre vitres. Et j‘ai beaucoup de clients qui sont dans le besoin, j’ai beaucoup de clients qui sont divorcés, abandonnés, seuls, puceaux et handicapés. J’ai des clients qui sont handicapés. C’est dans ce genre de situation qu’on se rend compte que ce qu’on fait n’est pas mal, au contraire. Parce que, faire l’amour est un besoin naturel. J’avais un client à Lyon qui est handicapé. Il venait me voir souvent. Il m’a dit que sa mère était au courant. Et un jour, il est venu et m’a dit : "Ma mère t’envoie le bonjour." Elle avait compris justement que son fils en avait besoin. Bien sûr qu’il y a aussi des salauds, des salauds qui ont des copines qui les trompent, bien sûr. Ça arrive. Et, d’ailleurs, ce sont ceux-là qui sont irrespectueux justement. Ils ne respectent pas leur femme, pourquoi ils vont nous respecter ? Mais, la majorité des clients nous respecte parce qu’ils ont un vrai besoin. »

Donc, on peut vraiment garder un bon souvenir de certains clients ?

« Bien sûr ! Moi, j’en garde de merveilleux souvenirs. Là, je t’en parle, j’ai des larmes aux yeux. J’avais un client en France, il est devenu un de mes meilleurs amis. Quoiqu’il m’arrive, quels que soient les problèmes que je traverse, il sera toujours là pour moi. Il m’a déjà aidée plus d’une fois. Lorsque je me suis retrouvée à l’autre bout de la terre, en Thaïlande, et j’avais eu un gros souci d’argent, il m’en a envoyé. Lorsque je me suis retrouvée à la rue, il s’est porté garant pour moi et m’a trouvé un appartement. J’avais besoin de me déplacer pour pouvoir étudier, il m’a aidée à acquérir mon véhicule. Donc, oui, on peut garder de bons souvenirs avec les clients. Mais, lui, je ne le considère plus comme un client, pour moi c’est un ami. Et donc j’ai d’autres souvenirs avec lui comme les soirées passées avec lui, les promenades sur la plage, les restaurants où on a rigolé comme des fous, les tuyaux qu’il m’a donnés quand j’ai monté mon entreprise. Il m’a expliqué comment il fallait faire. »

Ah ! Tu as monté une entreprise ?

« Oui, je le ferai dans quelques temps. J’ai fait un peu de droit et ensuite j’ai fait un diplôme en marketing, spécialisé dans la mode. Après, je suis partie en Chine faire un stage de 6 mois. J’ai étudié le chinois pendant 1 an et demi. En revenant, je n’ai pas trouvé de travail ici. Et, là, comme je suis en train de construire, j’ai besoin de beaucoup d’argent pour financer mes travaux. Je mettrais en location par la suite. Donc je travaille très dur, jour et nuit. Je mets la main à la patte pour les travaux. Je me lève tôt, j’aide mon travailleur. À 19h, je mange un peu et je viens travailler. Je rentre vers 1h du matin, pour me lever vers 6, 7h, tous les jours. »

C’est un rythme de dingue !

« Oui, c’est un rythme de dingue et je le maintiens tant que je peux. Là, mes travaux avancent bien. Il y aura 2 chambres, 1 salle de bain et 1 terrasse et j’espère pouvoir mettre en location dès la rentrée prochaine pour que je puisse avoir un petit revenu. Cela me permettra d’acheter un terrain ou, éventuellement, financer une entreprise. »

Justement, comment tu vois ta vie dans 20 ans ?

« Dans 20 ans, je me vois avec des enfants. Dans 20 ans, je me vois avoir réussi ma vie professionnelle, ma vie familiale et mon confort matériel. »

Et, lorsque tu auras ton entreprise comptes-tu continuer la prostitution ?

« Non, bien sûr que non ! Je vais arrêter parce que c’est un métier assez difficile, comme beaucoup de métiers. Je vais arrêter parce que je compte avoir une famille. Je n’ai rien contre la prostitution, pour moi c’est un métier comme un autre, mais je ne veux pas faire croire à mes enfants que c’est quelque chose de facile et de beau. Donc, je préfère arrêter parce que je mène assez bien ma barque, je suis assez intelligente et lorsque je travaille, même dans la prostitution, je me débrouille très bien. Et, si j’ai des enfants, j’ai peur qu’ils admirent ce côté-là. Et ça, je ne veux pas ! Je préfère leur montrer d’autres valeurs. »

Une petite question un peu plus personnelle, as-tu quelqu’un dans ta vie ?

« En ce moment, non. Je suis célibataire parce que mes ambitions me prennent trop de temps. Aujourd’hui, si j’avais un copain, je le rendrais fou parce que j’ai un rythme de vie assez soutenu, je travaille 18h sur 24. Dès que je me réveille, je travaille. Je suis sur le chantier à faire du carrelage, de la peinture et même de la maçonnerie. Je fais tout. Pourquoi ? Pour que ça aille plus vite et parce que j’aime apprendre. Alors, je le fais. »

Ta plus mauvaise expérience dans la prostitution ?

« Ouh la la la, ça va être compliqué, il y en a eu beaucoup. Mais il y en a eu une en particulier qui était une très mauvaise expérience, elle aurait pu être très dangereuse. Mais, finalement, elle est drôle. C’était en France, je me suis faite agressée dans les bois par un client et j’ai réussi à m’échapper. Il m’a coursée mais j’ai pu le semer. Malheureusement, il m’a rattrapée en voiture, j’étais en voiture avec des amis. Il nous a poursuivis en voiture et nous a foncé dedans à plusieurs reprises. On s’en est sorti indemne heureusement. Donc, à la fin, c’était assez comique ! Et puis, une autre fois, je me suis faite violée par un client. Là, ce n’était pas drôle, j’ai pleuré. Mais, j’ai été assez maline pour lui faire croire que j’allais dans son sens. Alors, il ne m’a plus rien fait, il m’a ramenée. L’essentiel, c’était de rester en vie ! »

Comment on survit à ça ?

« Il faut relativiser… il y a pire dans le monde. Je pense que, quand on est transsexuelle, on apprend beaucoup à relativiser ! »

Un dernier message ?

« Mon dernier message, il sera pour les parents des très jeunes et futures transsexuelles. Renseignez-vous. Aujourd’hui on a la possibilité d’avoir accès à internet, à une documentation, à des recherches plus fondées et plus sérieuses. Il y a des vidéos sur youtube, des vidéos avec de vrais professeurs qui parlent. Il faut lire les bonnes choses, qui sortent de réelles études avec des médecins, de vrais psychiatres, des gens très professionnels. Il faut arrêter de croire tout et n’importe quoi. Il faut s’informer sur la toile pour pouvoir justement apporter la meilleure éducation à son enfant. Et surtout prendre le temps d’écouter son enfant, qu’il soit transsexuel ou gay, homo, lesbienne, peu importe. Il faut écouter, il faut se renseigner. Voilà ! Et ne jamais lâcher son enfant ! Il faut toujours être avec, il faut toujours le soutenir et l’aimer ! »

© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016

Les doutes font grandir la foi

Audience générale du mercredi 23 novembre 2016

Le Pape François a tenu son audience générale ce mercredi 23 novembre dans la salle Paul VI du Vatican. Dans la dynamique de l’année jubilaire qui vient de s’achever, le Pape a centré sa catéchèse sur les œuvres de miséricorde spirituelle, et en a rappelé deux en particulier, fortement liées entre elles : « Conseiller ceux qui doutent et enseigner les ignorants ». Ces œuvres peuvent se vivre soit dans une dimension simple et familiale, soit sur un plan plus institutionnel.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Le Jubilé étant terminé, aujourd’hui nous retournons à la normalité, mais il reste encore quelques réflexions sur les œuvres de miséricorde et nous continuons donc sur ce sujet.

La réflexion sur les œuvres de miséricorde spirituelle concerne aujourd’hui deux actions fortement liées entre elles : conseiller ceux qui doutent et enseigner aux ignorants, c’est-à-dire à ceux qui ne savent pas. Le terme « ignorant » est trop fort mais il signifie ceux qui ne savent pas quelque chose et à qui il faut enseigner. Ce sont des œuvres qui peuvent se vivre dans une dimension simple, familière, à la portée de tous, ou bien, spécialement la seconde, celle d’enseigner, sur un plan plus institutionnel, organisé. Pensons par exemple à tous les enfants qui souffrent encore d’analphabétisme. Cela n’est pas compréhensible : dans un monde où le progrès technico-scientifique est arrivé si haut, il y a des enfants analphabètes ! C’est une injustice. Combien d’enfants souffrent du manque d’instruction ! C’est une situation de grande injustice qui porte atteinte à la dignité même de la personne. Sans instruction, on devient facilement la proie de l’exploitation et de diverses formes de malaise social

Au cours des siècles, l’Église a senti l’exigence de s’engager dans le domaine de l’instruction parce que sa mission d’évangélisation comporte l’engagement à redonner dignité aux plus pauvres. Du premier exemple d’une « école » fondée précisément ici, à Rome, par saint Justin, au second siècle, pour que les chrétiens connaissent mieux l’Écriture sainte, jusqu’à saint Joseph Calasanz, qui a ouvert les premières écoles populaires gratuites d’Europe, nous avons une longue liste de saints et de saintes qui, à différentes époques, ont porté l’instruction aux plus désavantagés, sachant qu’à travers ce chemin ils pourraient dépasser la misère et les discriminations. Combien de chrétiens, laïcs, frères et sœurs consacrés, prêtres ont donné leur vie dans l’instruction, dans l’éducation des enfants et des jeunes ! C’est quelque chose de grand ; je vous invite à leur rendre hommage par de beaux applaudissements [applaudissements des fidèles]. Ces pionniers de l’instruction avaient compris à fond l’œuvre de miséricorde et en avaient fait un style de vie au point de transformer la société elle-même. À travers un travail simple et peu de structures, ils ont su rendre leur dignité à un grand nombre de personnes. Et l’instruction qu’ils donnaient était souvent aussi orientée au travail. Mais pensons à saint Jean Bosco, qui préparait au travail les enfants des rues avec l’Oratoire et ensuite avec les écoles, les bureaux. C’est ainsi qu’on surgi beaucoup d’écoles professionnelles différentes qui préparaient au travail tout en éduquant aux valeurs humaines et chrétiennes. L’instruction, par conséquent, est vraiment une forme particulière d’évangélisation.

Plus l’instruction se développe et plus les personnes acquièrent des certitudes et une conscience, dont nous avons tous besoin dans la vie. Une bonne instruction nous enseigne la méthode critique qui comprend aussi un certain type de doute, utile pour poser des questions et vérifier les résultats obtenus, en vue d’une plus grande connaissance. Mais l’œuvre de miséricorde qui consiste à conseiller ceux qui doutent ne concerne pas ce type de doute. Exprimer de la miséricorde envers ceux qui doutent équivaut, au contraire, à apaiser cette douleur et cette souffrance qui proviennent de la peur et de l’angoisse qui sont les conséquences du doute. C’est donc un acte de véritable amour par lequel on entend soutenir une personne dans sa faiblesse provoquée par l’incertitude.

Je pense qu’on pourrait me demander : « Père, mais j’ai tellement de doutes sur la foi, que dois-je faire ? Vous n’avez jamais de doutes ? » J’en ai beaucoup… C’est certain qu’à certains moments, tout le monde a des doutes. Les doutes qui touchent la foi, dans le sens positif, sont un signe que nous voulons mieux et plus à fond connaître Dieu, Jésus et le mystère de son amour pour nous. « Mais, moi, j’ai ce doute : je cherche, j’étudie, je vois ou je demande conseil sur la façon de faire ». Ces doutes-là font grandir ! C’est donc un bien que nous posions des questions sur notre foi, parce qu’ainsi nous sommes poussés à l’approfondir. Cependant les doutes doivent être dépassés. Pour cela, il est nécessaire d’écouter la Parole de Dieu et de comprendre ce qu’il nous enseigne. Une voie importante qui aide beaucoup en cela est celle de la catéchèse, par laquelle l’annonce de la foi vient à notre rencontre dans le concret de notre vie personnelle et communautaire. Et en même temps, il y a une autre voie également importante, celle de vivre le plus possible la foi. Ne faisons pas de la foi une théorie abstraite où les doutes se multiplient. Faisons plutôt de la foi notre vie. Cherchons à la pratiquer dans le service rendu à nos frères, spécialement les plus démunis. Et alors beaucoup de doutes disparaissent, parce que nous sentons la présence de Dieu et la vérité de l’Évangile dans l’amour qui, sans notre mérite, habitent en nous et que nous partageons avec les autres.

Comme on peut le voir, chers frères et sœurs, ces deux œuvres de miséricorde non plus ne sont pas loin de notre vie. Chacun de nous peut s’engager à les vivre pour mettre en pratique les paroles du Seigneur quand il dit que le mystère de l’amour de Dieu n’a pas été révélé aux sages et aux intelligents mais aux petits (cf. Lc 10,21 ; Mt 11,25-26). C’est pourquoi l’enseignement le plus profond que nous soyons appelés à transmettre et la certitude la plus sûre pour sortir du doute sont l’amour de Dieu duquel nous avons été aimés (cf. 1 Jn 4,10). Un amour grand, gratuit et donné pour toujours. Dieu ne fait jamais marche arrière avec son amour ! Il va toujours de l’avant et il attend ; il donne pour toujours son amour, dont nous devons sentir fortement la responsabilité, pour en être les témoins en offrant la miséricorde à nos frères. Merci.

© Libreria Editrice Vaticana - 2016

Aimez vos ennemis

Homélie du Pape François aux nouveaux cardinaux – 19 novembre 2016

Un consistoire à l’image de l’Église, reflet de son universalité et de sa diversité. Ils représentent autant de réalités particulières que le Pape, par ce choix, a souhaité mettre en lumière, consacrant un peu plus l’internationalisation du Sacré Collège. Dans son homélie, le Pape est longuement revenu sur le passage de l’Évangile choisi et proclamé pour l’occasion : le « discours de la Plaine » en saint Luc où Jésus invite à aimer ses ennemis, à prier pour eux, à les bénir, et à leur faire du bien. Une logique de miséricorde bien loin de celle qui prévaut dans notre monde actuel.

Le passage de l’Évangile que nous venons d’entendre (cf. Lc 6, 27-36), beaucoup l’ont appelé « le discours de la plaine ». Après l’institution des Douze, Jésus est descendu avec ses disciples là où une multitude l’attendait pour l’écouter et pour se faire guérir. L’appel des Apôtres est accompagné par ce « se mettre en route » vers la plaine, pour la rencontre avec une multitude qui, comme le dit le texte de l’Évangile, était « tourmentée » (cf. v.18). L’élection, au lieu de les maintenir en haut sur la montagne, au sommet, les conduit au cœur de la foule, les met au milieu de ses tourments, au niveau de leur vie. De cette manière, le Seigneur leur révèle ainsi qu’à nous que le vrai sommet s’atteint dans la plaine, et la plaine nous rappelle que le sommet se trouve dans un regard et spécialement dans un appel : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (v.36).

Une invitation accompagnée de quatre impératifs, nous pourrions dire de quatre exhortations, que le Seigneur leur adresse pour modeler leur vocation concrètement, dans le quotidien de l’existence. Ce sont quatre actions qui donneront forme, qui donneront chair et rendront tangible le chemin du disciple. Nous pourrions dire que ce sont quatre étapes de la mystagogie de la miséricorde : aimez, faites du bien, bénissez et priez. Je pense que nous pouvons être d’accord sur ces quatre aspects et qu’ils nous paraissent également raisonnables. Ce sont quatre actions que nous réalisons facilement avec nos amis, avec les personnes plus ou moins proches, proches par l’affection, par les goûts, par les habitudes.

Le problème surgit lorsque Jésus nous présente les destinataires de ces actions, et en cela il est très clair, il n’utilise pas des figures de style ni des euphémismes. Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous traitent mal (cf. vv.27-28).

Et ce ne sont pas des actions qui viennent spontanément envers des personnes qui sont devant nous comme adversaires, comme ennemis. Face à elles, notre attitude première et instinctive, c’est de les disqualifier, de les discréditer, de les maudire : dans beaucoup de cas, nous cherchons à les « diaboliser », en vue d’avoir une « sainte » justification pour nous débarrasser d’elles. Au contraire, en ce qui concerne l’ennemi, celui qui te hait, qui te maudit ou te diffame, Jésus nous dit : aime-le, fais-lui du bien, bénis-le et prie pour lui.

Nous nous trouvons face à l’une des caractéristiques propres du message de Jésus, là où se cache sa force et son secret ; de là proviennent la source de notre joie, la puissance de notre mission et l’annonce de la Bonne Nouvelle. L’ennemi est quelqu’un que je dois aimer. Dans le cœur de Dieu, il n’y a pas d’ennemis, Dieu n’a que des enfants. Nous élevons des murs, nous construisons des barrières et nous classons les personnes. Dieu a des enfants et pas précisément pour s’en débarrasser. L’amour de Dieu a la saveur de la fidélité envers les personnes, car c’est un amour viscéral, un amour maternel/paternel qui ne les laisse pas dans l’abandon, même lorsqu’elles ont commis des fautes. Notre Père n’attend pas que nous soyons bons pour aimer notre monde, il n’attend pas que nous soyons moins injustes ou parfaits pour nous aimer ; il nous aime parce qu’il a choisi de nous aimer, il nous aime parce qu’il nous a donné le statut de fils. Il nous a aimés même lorsque nous étions ses ennemis (cf. Rm 5,10). L’amour inconditionnel du Père envers tous a été et est une vraie exigence de conversion pour notre pauvre cœur qui tend à juger, à diviser, à opposer et à condamner. Savoir que Dieu continue d’aimer même celui qui le rejette est une source illimitée de confiance et un encouragement pour la mission. Aucune main sale ne peut empêcher que Dieu y mette la Vie qu’il désire nous offrir.

Notre époque est caractérisée par de grandes problématiques et interrogations à l’échelle mondiale. Il nous arrive de traverser un temps où émergent de nouveau de manière épidémique, dans nos sociétés, la polarisation et l’exclusion comme l’unique façon possible de résoudre les conflits. Nous voyons, par exemple, comment rapidement celui qui est à côté de nous non seulement possède le statut d’inconnu ou d’immigré ou de réfugié, mais [encore] devient une menace, acquiert le statut d’ennemi. Ennemi parce qu’il vient d’un pays lointain ou parce qu’il a d’autres coutumes. Ennemi par la couleur de sa peau, par sa langue ou par sa condition sociale, ennemi parce qu’il pense différemment et aussi parce qu’il a une autre foi. Ennemi par… Et, sans que nous ne nous en rendions compte, cette logique s’installe dans notre manière de vivre, d’agir et de procéder. Donc, tout et tous commencent à avoir une saveur d’inimitié. Peu à peu, les différences sont transformées en symptômes d’hostilité, de menace et de violence. Que de blessures s’élargissent à cause de cette épidémie d’inimitié et de violence, qui s’imprime dans la chair de beaucoup de sans-voix, parce que leur cri s’est affaibli et est réduit au silence à cause de cette pathologie de l’indifférence ! Que de situations de précarité et de souffrance sont semées à travers cette prolifération de l’inimitié entre les peuples, entre nous ! Oui, entre nous, dans nos communautés, dans nos presbytères, dans nos réunions. Le virus de la polarisation et de l’inimitié imprègne nos façons de penser, de sentir et d’agir. Nous ne sommes pas immunisés contre cela et nous devons être attentifs afin que cette attitude n’occupe pas notre cœur, car cela serait contre la richesse et l’universalité de l’Église que nous pouvons toucher de la main dans ce Collège Cardinalice. Nous provenons de pays lointains, nous avons des coutumes, des couleurs de peau, des langues et des conditions sociales différents ; nous pensons de manières différentes et nous célébrons aussi la foi par des rites différents. Et rien de tout cela ne nous rend ennemis, au contraire, c’est l’une de nos plus grandes richesses.

Chers frères, Jésus ne cesse de « descendre de la montagne », il ne cesse de vouloir nous insérer au carrefour de notre histoire pour annoncer l’Évangile de la Miséricorde. Jésus continue de nous appeler et de nous envoyer dans la « plaine » de nos peuples, il continue de nous inviter à passer notre vie en soutenant l’espérance de nos gens, comme signes de réconciliation. Comme Église, nous continuons à être envoyés pour ouvrir nos yeux afin de regarder les blessures de tant de frères et sœurs privés de leur dignité, privés dans leur dignité.

Cher frère nouveau Cardinal, le chemin vers le ciel commence dans la plaine, dans le quotidien de la vie rompue et partagée, d’une vie dépensée et donnée. Dans le don quotidien et silencieux de ce que nous sommes. Notre sommet est cette qualité de l’amour : notre but et notre aspiration c’est de chercher dans la plaine de la vie, avec le peuple de Dieu, à nous transformer en personnes capables de pardon et de réconciliation.

Cher frère, aujourd’hui, on te demande de garder dans ton cœur et dans celui de l’Église cette invitation à être miséricordieux comme le Père, en sachant que « si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n.49).

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Commentaire des lectures du dimanche

« Veillez car vous ne connaissez pas le jouroù votre Seigneur viendra »

 

Tenez-vous prêts car c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Seigneur viendra.

Nous commençons aujourd’hui le temps de l’Avent, temps de préparation à la grande fête de Noël. Depuis plusieurs semaines déjà, les commerçants affichent leurs décorations et nous entrons dans une période de consommation effrénée. À travers nos nombreuses occupations, nous risquons d’oublier l’aspect profondément chrétien qui nous interpelle et nous invite à créer un espace pour Dieu dans nos vies de tous les jours. Nous risquons de faire comme les gens de Bethléem : « Il n’y avait plus de place pour Marie, Joseph et l’enfant dans l’auberge » (Luc 2,7).

Le Christ résume l’attitude superficielle qui nous guette en nous comparant aux gens qui vivaient au temps de Noé : « Avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait... Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis. »

L’Avent nous donne une raison de vivre, une raison d’aimer et d’espérer « maintenant ». C’est une invitation à construire un monde meilleur, selon le désir de Dieu.

Jésus ne dit pas que les gens étaient mauvais ou immoraux au temps de Noé. Ce sont des hommes et des femmes qui respiraient la joie de vivre ! Ils s'occupaient des besoins tout à fait normaux de la vie, sans arrière-pensée. Que peut bien leur reprocher le Seigneur ? : « Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu'au jour du déluge qui les a tous engloutis ». Jésus leur reproche la superficialité de leur attitude. Ils ont l'air de croire que leur vie terrestre durera toujours et ils oublient la fragilité de la condition humaine.

Comme au temps de Noé, l'humanité aujourd'hui est comme anesthésiée. Le progrès matériel tend à nous endormir. On croit que le monde dans lequel nous vivons n’aura pas de fin, jusqu'au jour où survient le réveil, d'autant plus brutal qu'on était inconscient du danger. Lorsqu’arrive un 11 septembre, ou une crise monétaire internationale, ou une augmentation soudaine des coups du pétrole, une maladie imprévisible, une épidémie qu’on ne peut contrôler, un accident grave, un tremblement de terre, un tsunami destructeur... alors toutes nos sécurités s’écroulent !

Les tours de New York étaient le symbole de la stabilité, de la richesse, de la suprématie et de la puissance économique de l’Amérique. L’attaque de ces tours a changé le cours de l’histoire et modifié notre façon de vivre. Ses conséquences négatives ont dépassées tout ce qu’Ousama ben Laden aurait pu espérer de cette attaque meurtrière. On peut se demander combien des 3 000 personnes qui sont mortes ce jour-là étaient prêtes à rencontrer leur créateur ?... « Comme au temps du déluge !, dit le Christ, il est dangereux et irresponsable de ne se douter de rien »... de faire comme si notre déluge à nous n'arrivera jamais.

Dans nos vies, souvent les projets qui nous tiennent à cœur et qui ont été construits avec beaucoup de peine, s’effondrent dans un instant : la compagnie où nous travaillons transporte ses usines en Chine ou en Amérique latine, une maladie soudaine nous frappe dans la force de l’âge, un accident nous rend invalide et incapable de gagner notre vie, un être aimé disparaît sans avertissement. Le Christ nous dit aujourd’hui : « Veillez et soyez prêts car vous ne savez pas quand ces événements peuvent se produire ».

Le chrétien doit rester éveillé et se préparer à toutes les éventualités, non pas par crainte ou par peur, mais parce qu’il veut utiliser le temps à sa disposition pour construire une société plus juste, plus humaine et plus fraternelle. La « venue du Seigneur » sera alors une visite attendue et reçue avec joie.

Il faut nous rappeler que la période de l’Avent ne se limite pas aux quatre semaines de préparation à Noël. L’Avent doit devenir pour nous un style de vie, une attitude constante d’imagination créatrice et d’espérance permanente. Malgré tous les problèmes, toutes les calamités, toutes les maladies, nous savons que la vie vaut la peine d’être vécue et que la mort n’est pas la fin de tout. L’Avent nous donne une raison de vivre, une raison d’aimer et d’espérer « maintenant ». C’est une invitation à construire un monde meilleur, selon le désir de Dieu.

Il est bon de réfléchir sur ce superbe verset de la première lecture d’aujourd’hui, verset imagé exprimant la paix voulue par Dieu : « De leurs épées, ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances des faucilles. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on ne s'entraînera plus pour la guerre » (Isaïe 2, 4). Le projet de Dieu pour nous est un projet de paix et de fraternité.

Imaginez un monde où les différents pays dépenseraient plus en agriculture qu’en armement, où l’art de la guerre deviendrait inutile, où la technologie militaire serait mise au service du développement social et rural. Au lieu de faire face au combat, les soldats assureraient la sécurité des villes et villages. Avec l’argent des armements, on fournirait de la nourriture à la population. Des hôpitaux et des écoles surgiraient un peu partout… Dans nos familles, il n’y aurait ni abus, ni violence, ni haine. Chacun de nous « briserait ses épées et ses lances » pour retrouver la paix en famille et autour de soi. Voilà le rêve de Dieu pour notre humanité !

Le chrétien est un croyant qui s'active pour améliorer son petit monde et vit intensément le présent, mais sans anxiété, parce qu’il travaille pour que vienne le royaume de Dieu parmi nous. Chaque instant peut être celui où le Christ frappe à la porte. Quels que soient le jour et l'heure, cette visite ne surprendra pas le serviteur fidèle et vigilant. Il ouvrira la porte avec joie pour accueillir le Seigneur qui entrera chez lui et s'assoira à une table toujours mise.

« Tenez-vous prêts car le Fils de l’homme viendra ».

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