Pko 23.12.2016

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°68/2016

Vendredi 23 décembre 2016 – Solennité de Dédicace de la Cathédrale – Année A

Les premiers murs de la Cathédrale

1856-1857

Pourquoi une cathédrale

C’est en 1848 que le Saint-Siège avait érigé le Vicariat apostolique de Tahiti. Mgr Étienne-Florentin Jaussen, nommé Évêque titulaire d’Axiéri, fut chargé de le fonder et de le gouverner. Diocèse nouveau, il fallait presque tout créer. À l’exception de la petite chrétienté de Gambier, il n’y avait ni église, ni maison épiscopale, ni presbytères pour les missionnaires, ni écoles pour l’instruction et l’éducation de la jeunesse chrétienne. Les Sœurs de St-Joseph-de-Cluny, appelées par le Gouvernement, avaient élevé un pensionnat pour les jeunes filles en 1845 ; mais elles n’avaient qu’un nombre limité d’enfants presque tous de familles étrangères au pays. Pour faire tomber les préjugés et se faire accepter par les indigènes, Monseigneur et ses missionnaires se donnèrent comme instituteurs, et tout en faisant l’école, ils gagnaient peu à peu la confiance des enfants et des parents.

Mais pour un évêque, placé par la Providence à la tête d’un nouveau diocèse, son vif et constant désir était d’avoir une église digne du siège qu’il occupe. Mgr Jaussen n’a trouvé à Papeete qu’une petite chapelle montée en bois et crépie à la chaux, de vingt mètres de long sur six de large, ne pouvant contenir qu’un nombre très restreint de fidèles. Évidemment, il fallait à la ville, résidence du pontife, un édifice plus spacieux et plus important, capable de faire impression sur les indigènes et les attirer au culte du vrai Dieu. Son dessein est donc de recueillir des fonds pour arriver à élever au plutôt cette maitresse-Église de son Vicariat.

Au début de l’année 1851, les démarches faites à Paris, par le Très Révérend Père Général, lui procurent une somme à laquelle il ne s’attendait pas ; il met cet argent en réserve.

- Un jour, dit-il, il servira à la construction de ma cathédrale.

Terrain et financement

Il fait agir auprès du ministre des colonies. De son côté, il revendiqua les terrains qui avaient été promis à la Mission par le Gouverneur Bruat, à la place de celui que lui avait cédé jadis le P. Caret. La reine Pomare avait donné une propriété à la Mission catholique : Mr Bruat eut besoin de ce lieu pour en faire un camp et y dresser une batterie afin de défendre l’entrée de la rade de Papeete. Le P. Caret céda son terrain par acte qui resta entre les mains du Gouvernement, et Mr Bruat s’engagea à accorder un autre lieu convenable pour une église et à faire construire cette église.

Monseigneur ne pouvait pas demander l’exécution de cet engagement au Gouvernement de la colonie, qui avait trop peu de fonds ; mais le ministère des cultes a toujours une somme réservée pour les églises : ne pourrait-on pas distraire de cette somme ce qui serait nécessaire pour construire une église à Papeete ? Il lui semblait que c’était au Gouvernement de faire élever cet édifice pour ses soldats, ses marins et ses colons. La musique même du bataillon ne pouvait entrer dans une chapelle de six mètres de large. Puis l’évêque demandait :

- Quelle somme faudrait-il pour édifier cette cathédrale ?

- De 120 à 180 000 frs.

- Je souhaiterais que le ministre m’allouât cette somme et me la mît entre les mains pour la faire fructifier. J’ose espérer que vous ferez cette démarche, dont la réussite peut avoir pour nous de si bons résultats.

Nous ne connaissons pas les résultats de ces démarches, mais nous pensons qu’elles eurent peu de succès.

En 1852, revenant sur ce sujet, Mgr écrivait au procureur de la Maison de Paris :

« Ce que je désire le plus, c’est de voir s’élever ma cathédrale. Vous pensez que le Gouvernement pourrait en faire la dépense ; ce serait justice ce me semble ; mais dois-je espérer qu’il en soit ainsi ? Je n’ose. Je vous envoie une pétition, agissez chaudement et faites agir.

Ce que vous devez demander pour moi à la Propagation de la foi, ce sont des fonds pour cette église.

Il est d’un intérêt majeur pour la Mission de Tahiti qu’elle se fasse promptement ; elle aura de l’influence sur toute l’Océanie. Un beau monument et les pompes extérieures sont les meilleures preuves pour un Maori.

D’ailleurs, les Français sentent en général qu’ils ne feront jamais avancer leur influence en Océanie, si elle ne devient pas catholique et française. »

Naufrage du premier cargo de matériaux

L’entreprise n’était pas facile dans un pays où la pierre et le fer, où les matériaux de construction autres que le bois, font absolument défaut. Depuis son arrivée dans l’île jusqu’en 1855, Sa Grandeur avait célébré la messe surtout à bord des navires, remplissant ses fonctions d’aumônier de la division navale du Pacifique. Puis à bord de la Papeete, de la Thisbé ou de l’Artémise, elle visitait les diverses stations qu’évangélisaient les missionnaires.

Mais la vue de sa petite chapelle lui rappelait sans cesse qu’il fallait une cathédrale au chef-lieu de son Vicariat. Après avoir réfléchi longtemps, l’évêque donna à son projet un commencement d’exécution. Il écrivit en Australie et commanda à Sydney les pierres, les briques, le fer et autres matériaux nécessaires à la construction de l’édifice. Pendant que les moellons se chargeaient en Australie, lui en France, visitait différentes églises afin de se fixer sur le plan de celles qu’il voulait élever à Papeete. Nous pensons que ses plans et ses devis furent soumis à qui de droit et qu’il dut employer toute son éloquence pour obtenir du secours afin de mener son entreprise à bonne fin. Puis il retournait à Tahiti, où il apprenait que le navire apportant les précieux matériaux avait fait un triste naufrage et que pas une pierre n’était arrivée à Papeete. C’était à recommencer. Sans se décourager, l’évêque fit une nouvelle commande de matériaux, espérant les voir cette fois arriver à bon port.

D’autre part, le P. Nicolas, pendant son absence, avait élevé sur le terrain de la Mission, qu’il avait acheté, une construction provisoire en planches, un grand hangar où il avait accumulé les bois de charpente pour la future cathédrale. Enfin, on voyait sur l’emplacement un chantier de pierres préparées pour les fondations et les murailles. Il ne manquait que des ouvriers pour l’exécution de ce travail. Le pays ne pouvait en fournir ; mais l’évêque a jeté les yeux sur les îles Gambier, il sait qu’il y a dans cet archipel des frères qui ont formé des élèves industrieux et pleins de zèle, et il profitera de leur science et de leur bonne volonté.

Arrivée des ouvriers des Gambier

Montant sur la goëlette de l’État, la Kameamea, capitaine Hardy, il va lui-même les chercher. A la première proposition de Sa Grandeur, le P. Laval, supérieur de la Mission, fut tenté de résister, craignant pour ses chrétiens les séductions et les mauvais exemples de Papeete.

Cependant, le désir du premier Pasteur était trop précis et il dut céder et confier ces enfants de Gambier à la garde de Dieu.

Soixante-six ouvriers, tailleurs de pierres, scieurs de long, maçons, gâcheurs de mortier, charpentiers, menuisiers et même cuisinier, partirent donc, le 26 juin 1856, avec Monseigneur, sur le navire français, après avoir demandé la bénédiction aux missionnaires et fait au roi et à leurs parents, les plus tendres adieux. Pendant le voyage, capitaine et matelots furent émerveillés de leur conduite chrétienne. Matin et soir, ils faisaient la prière en commun. En passant devant l’île Anaa, Monseigneur laissa six de ces travailleurs pour achever l’église en pierres du P. Albert à Tematahoa, alors en construction. L’œuvre achevée, ces six devraient rejoindre à Tahiti les soixante autres ouvriers.

Le Messager de Tahiti rendit ainsi compte de leur arrivée :

« Dimanche dernier, 6 juillet, est entré en rade de Papeete, le brick-goëlette de guerre, le Tanemanu, commandé par Mr Hardy, enseigne de vaisseau, venant de Mangareva et en dernier lieu d’Anaa. Le bâtiment a ramené à Tahiti soixante indigènes des îles Gambier, qui doivent être employés à construire l’église catholique de Papeete. Ces hommes, dont le capitaine du Tanemanu a pu, pendant son séjour dans leur pays et sa traversée de retour, apprécier la douceur, la piété et la bonne conduite, ont excité une certaine curiosité parmi les résidents et les indigènes de Tahiti. Tous ont été frappés de leur bonne mine et de leur excellente tenue.

En effet, quand ces bons néophytes débarquèrent à Papeete, dit un témoin, ce fut pour les habitants une étrange surprise de les voir en pantalons blancs, chemise blanche, habit drap noir et cravate de soie. Les Tahitiens ne pouvaient revenir de leur surprise. Les uns les prenaient pour un renfort de français qui arrivaient ; d’autres pour des Espagnols venus de Californie ; ils ne pouvaient croire que ce fussent des ouvriers de Mangareva, jadis anthropophages, qui venaient bâtir une cathédrale.

Mais leur étonnement fut à son comble, lorsqu’on les vit au travail. Ils se mirent gaillardement à l’œuvre sous la direction de deux frères. Après s’être d’abord logés eux-mêmes, ils allèrent au près et au loin chercher pierres, sables, bois et autres matériaux ; ils creusèrent et exploitèrent des carrières avec la mine, pratiquèrent des chemins pour le charroi du moëllon et de la pierre de taille, construisirent un magnifique four à chaux et deux bateaux plats pour le transport du sable. Ils déblayèrent l’emplacement, préparèrent le terrain désigné, creusèrent les fondations de l’édifice, et le 2 octobre, ils se mirent à bâtir, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture, un double rang de fondations, et conduisirent enfin toute l’enceinte extérieure de l’église à la hauteur de trois mètres au-dessus du sol.

Il était beau de les voir travailler sous les yeux de la population blanche et indienne de Papeete. »

[…]

Bénédiction de la première pierre le 8 décembre 1856

Cependant l’ouvrage avançait avec rapidité. Le 8 décembre 1856 fut choisi et désigné pour la bénédiction de la première pierre.

Sans aucun doute, ce dut être une grande joie pour le Vicaire apostolique, de voir ce commencement d’exécution d’un dessein qu’il avait formé en débarquant à Tahiti et qui lui tenait tant à cœur. Il pouvait penser qu’il allait ainsi prendre possession d’une terre où régnaient jusque-là le Protestantisme, l’Infidélité et la Dissolution. Ce qui augmentait l’éclat de ce triomphe, c’est que le nouvel édifice devait s’élever sur la plus belle place de la ville de Papeete.

Laissons parler le journal de Tahiti :

« Lundi dernier, fête de l’Immaculée Conception de la Vierge, Monseigneur d’Axiéri a béni et posé la première pierre fondamentale de sa cathédrale avec la pompe accoutumée de l’Église, en présence de Mr le Gouverneur impérial, Mr le comte du Bouzet, entouré de son État-major, des employés de terre et de mer, d’un grand nombre de résidents et d’indigènes, et d’une partie de la garnison rangée en haie autour des fondations, sous le commandement de Mr le capitaine Marveraux. Monseigneur d’Axiéri, revêtu de ses ornements pontificaux, a ensuite donné la bénédiction à tous les assistants, pendant que les troupes, genoux en terre, portaient les armes et que les tambours battaient "aux champs".

Cette cérémonie, continue le journal, ainsi que la rapidité admirable avec laquelle se sont élevées les constructions, laisseront de profonds souvenirs chez les Tahitiens. Ils ont vu à l’œuvre ces hommes simples de Mangareva, qui ne savent que travailler et que prier. Arrivés depuis cinq mois à peine, ils ont créé, en dehors des fortifications, tout un établissement avec jardin, maison, puits, fours à pain, fours à chaux etc…

Mis en possession du terrain où doit s’élever l’église dans les premiers jours d’octobre seulement (2 octobre), ils ont déjà jeté dans les fondations quatorze cents mètres cubes de maçonnerie. Nous n’avons pas besoin d’ajouter, car tout le monde l’a vu et constaté comme nous, que leur conduite à Tahiti a toujours été irréprochable. En terminant ces quelques lignes, nous payerons un juste tribut d’éloges au directeur des travaux le frère Gilbert Soulié, vieillard aussi dévoué que modeste, venu de Mangareva, où il réside depuis 22 ans, pour conduire et diriger les ouvriers, nous dirions presque ses enfants, car ils ont pour lui le respect et l’affection que l’on porte à un père. »

Les gens de Mangareva ne savent que travailler et prier : n’est-ce pas là le plus bel éloge que pouvait leur donner le journaliste ? En effet, avant d’aller au travail et après la journée laborieuse, matin et soir, ils priaient en commun, ajoutant à la prière un court moment de méditation et d’examen de conscience. C’étaient en un mot : des ouvriers laborieux, plein de piété et de gaieté, inaccessibles à la séduction.

Les Tahitiens finirent par avoir une haute idée de ces gens venus de Mangareva ; ils les accueillaient partout et se faisaient plaisir de leur offrir à manger. Le Gouvernement aussi voulut les honorer à sa manière.

Après le coup de canon de huit heures du soir, il n’était plus permis aux Tahitiens, ni aux équipages des navires, de circuler dans Papeete, sous peine de prison et obligé de payer deux piastres pour en sortir. Les Mangaréviens seuls eurent la faculté de sortir et de rentrer à toute heure du jour et de la nuit : la patrouille et le poste avaient reçu ordre de les laisser passer.

Cependant le travail de la cathédrale avançait. Le 20 mars 1857 le gouverneur Mr du Bouzet écrivit à Monseigneur d’Axiéri :

« J’ai vu aujourd’hui les portes de l’église. Ce travail gigantesque fait autant d’honneur à ceux qui l’ont exécuté qu’à ceux qui l’ont inspiré. Les Mangaréviens ont acquis des titres à notre reconnaissance ; car sans eux on n’eut pas songé à élever un pareil monument ; sans eux aussi on ne pourrait l’achever. Lorsque vous voudrez les renvoyer dans leur île, je mettrai une goëlette à leur disposition. J’aurais meilleure opinion de la race polynésienne, si je rencontrais plus souvent d’aussi braves gens qu’eux. »

Suspension des travaux 26 avril 1857

Les ouvriers avaient travaillé, soutenus et encouragés par la présence de l’évêque : les murs de l’édifice sacré s’élevaient déjà à la hauteur de neuf ou dix pieds, quand Monseigneur et le frère Gilbert jugèrent à propos de suspendre les travaux et de les laisser reposer pendant quelques temps.

Un premier motif était de laisser la bâtisse s’asseoir plus solidement.

Un deuxième nous est insinué par Monseigneur dans une lettre (2 septembre 1856) où il disait :

- Je serai bientôt obligé de m’arrêter faute de ressources.

Un troisième venait du côté des ouvriers qui éprouvaient la nostalgie du pays, l’impérieux besoin de revoir Mangareva leur patrie. Quelques-uns avaient été atteints de diverses maladies pendant leur séjour de huit mois à Tahiti, et tous avaient eu à pleurer la mort de trois d’entre eux, et un quatrième mourut en mer au retour. Il fallut donc leur accorder d’aller se reposer au sein de leur famille. Les six laissés d’abord à Anaa ayant été amenés à Tahiti, le 3 avril, par le P. Albert, tous ensembles partirent le 26 de ce mois 1857 sous la conduite du frère Gilbert, emportant les pierres qu’ils devaient tailler chez eux pendant les deux années de congé.

Du reste on louait l’ouvrage, on l’admirait, on en faisait l’éloge ; tout cela donnait bon espoir pour l’avenir.

« À Gambier, écrivait le P. Laval, nous étions dans l’attente. C’était l’époque indiquée par Mgr d’Axiéri pour le retour de nos néophytes. Enfin le 10 mai, le lendemain de la fête du roi, un cri se fait entendre : “Pahi ! Pahi ! navire ! navire !” »

C’était un trois-mâts pavoisé et qui entrait dans la passe. En un clin d’œil l’embarcadère est encombré par la foule, d’où partaient des cris de joie ; mais des cris de douleurs ne tardèrent pas aussi à se faire entendre par les parents des morts. Les voyageurs débarqués, six tambours se mirent à leur tête, un battement de mains général éclata et dura jusqu’au moment où les arrivants se présentèrent au roi, puis à nous. Je témoignai à nos bons ouvriers toute ma satisfaction ; le roi les félicita sur leur bonne conduite et le peuple les applaudit. Le soir à la suite des vêpres, la fête se termina par un Te Deum auquel on ajouta un De Profundis pour les quatre ouvriers qui avaient succombé durant la continuation de ces travaux. »

(Extrait du livre « Vie de Mgr Tepano Jaussen » par le R.P. Venance Prat – 2 tomes – 2016)

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