Pko 21.02.2016
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°12/2016
Dimanche 21 février 2016 – 2ème Dimanche du Temps de Carême – Année C
Humeurs
À Monsieur le Président de la République
Chanoine honoraire de la Basilique Saint Jean du Latran
Monsieur le Chanoine honoraire,
C’est avec beaucoup d’attention que nous avons pris connaissance du programme de votre déplacement en Polynésie française. Une grande joie pour nous de savoir que vous irez vous recueillir sur la tombe du Metua, Pouvanaa a Oopa. D’autres parties de votre séjour ne sont pas inintéressantes… mais il est dommage que ceux qui ont concocté votre séjour, l’aient davantage fait dans un esprit de voyage touristique plutôt qu’avec le souci de vous faire connaître la véritable réalité de notre fenua.
De la tombe de Pouvana’a, on aurait pu vous conduire dans ce petit coin de France, à Nuutania, prison d’État. Là vous auriez pu entendre les cris et les larmes de ces enfants du pays logés dans des conditions indignes et inhumaines. Les y voir entassés par quatre dans des cellules… Voir de vos propres yeux comment la République, dans cette prison, transforme des hommes en bêtes au point que les plus forts abusent et violent régulièrement les plus faibles… que des « jeunes y entrent et des fauves en sortent » tatoués contre leur gré de toutes sortes de dessins qui n’ont rien à voir avec les tatouages nobles et traditionnels mais qui les feront désormais être regardés par la société comme des parias, des marginaux…
Plutôt que la visite de l’opération de logement social, Domaine de Labbé à Pirae… on aurait pu vous montrer le quartier des Hauts du Tira à Papeete, où les logements sociaux construits font que les gens y sont parqués en grande promiscuité … mais surtout loin de la vue des bonnes gens. Quartier près duquel on souhaite ajouter un Accueil de nuit pour les personnes à la rue : « Qui se ressemble s’assemble »… et surtout en préservant les beaux quartiers des gens bien !!!
Après l’entretien avec votre ami Oscar, il aurait pu vous accompagner pour visiter un des nombreux taudis de la première ville de Polynésie, puis partager un repas avec une famille de ces squats…
Au lieu de vous prendre la tête à savoir si vous ôterez ou non vos chaussures pour marcher sur le Marae Taputapuatea, à Raiatea, on aurait pu vous emmener dans une de ces petites îles isolées, où il n’y a qu’un bateau par mois… un avion par semaine… si les conditions météorologiques le permettent et où l’on survit…
Bref, il est dommage que vous retourniez en France avec comme seule image la « Polynésie des cartes postales » que vos hommes et nos politiques vous auront fait miroiter… évitant soigneusement ce qui fâche. Il est bien évident, qu’il n’est jamais facile de montrer ce que l’on ne veut pas voir soi-même…
Je ne peux m’empêcher de comparer le programme que l’on vous a préparé avec celui de votre homonyme*, homologue* et un peu « patron »*… notre bon Pape François qui vient de faire un voyage au Mexique… allant dans la zone la plus pauvre du pays, au Chiappas, au milieu des « sans dents », visitant la prison de Ciudad, serrant les mains des exclus… bref un « Pape comme tout le monde » !!!
Je ne pense pas que vous aurez l’occasion de lire notre prose… mais si par hasard cela était… veuillez excuser notre impertinence… mais nous sommes un peu collègues : vous portez le titre honorifique de Chanoine de la Basilique Saint Jean du Latran… et moi celui de Vicaire-coopérateur de la Cathédrale de Papeete, deux fonctions inexistantes aux yeux du Droit canonique !!!
Bienvenue malgré tout, Monsieur le Chanoine honoraire… et si l’envie de revenir en Polynésie vous venait, contactez nous… nous vous préparerons un autre itinéraire !
Le Vicaire-coopérateur de la Cathédrale.
P.K.0
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* Homonyme : François ; *Homologue : Chef d’état ; *Un peu « patron » : Évêque de la Cathédrale dont vous êtes le Chanoine honoraire !
Chronique
Plus de mort, ni d’exploitation !
Quel monde voulons-nous laisser à nos enfants ? Je crois qu’en grande majorité, nous pouvons tomber d’accord. C’est précisément cela notre horizon, voilà notre but, et pour eux, aujourd’hui nous devons nous unir et travailler. Il est toujours bon de penser à ce que je voudrais laisser à mes enfants ; c’est également une bonne façon de penser aux enfants des autres. Qu’est-ce que le Mexique voudrait léguer à ses enfants ? Veut-il léguer une mémoire d’exploitation, de salaires insuffisants, de harcèlement au travail ? Ou bien voudrait-il léguer une culture de la mémoire d’un travail digne, d’un logement décent et d’une terre à travailler ? (…) Dans quelle culture voudrions-nous voir naître ceux qui nous suivront ? Quelle atmosphère vont-ils respirer ? Un air vicié par la corruption, la violence, l’insécurité et la méfiance ou, au contraire, un air capable de créer des alternatives, de générer du renouvellement et du changement ? (…)
Le profit et le capital ne sont pas un bien au-dessus de l’homme, ils sont au service du bien commun. Et lorsque le bien commun est contraint à être au service du profit et du capital, jugés l’unique gain possible, cela s’appelle l’exclusion (…).
Pape François
La parole aux sans paroles – 25
Parole au bénévole - Stéphane
Infirmier de profession, Stéphane assure, depuis près de 5 mois, soins et suivi médical aux ombres de nos rues. La mission professionnelle est vite devenue un engagement personnel. Nul doute, Stéphane est un « fonctionnaire » qui met vraiment du cœur à l’ouvrage tous les matins.
Pourquoi et comment es-tu devenu bénévole à Te Vaiete ?
« Parce que dans la vie il y a des hauts et des bas. Et j’ai connu très très haut et j’ai connu très très bas. Ça fait 19 ans que je suis en Polynésie et maintenant je travaille avec le Docteur Lam NGUYEN, au CCSMIT (Centre de Consultations Spécialisés des Maladies Infectieuses et Tropicales). Nous nous occupons plus de la population marginale, des défavorisés de la vie. On va vers eux leur proposer des soins et des dépistages parce qu’on sait pertinemment qu’ils ne vont pas venir d’eux-mêmes pour prendre soins d’eux. Donc le Docteur Lam m’a demandé de prendre contact avec les différentes associations comme "Te Torea", et il m’a dit de me rapprocher du Père Christophe, parce qu’il s’occupe des SDF depuis 20 ans. Donc je suis venu proposer mes services à Père Christophe. Et depuis octobre, tous les matins, je suis à Te Vaiete pour établir un premier contact de confiance, pour travailler au plus proche d’eux et leur apporter tout ce qui est prévention, dépistage et traitement. Aujourd’hui je suis arrivé à presque 200 dépistages. »
Et que disent les résultats ?
« Ils sont bons pour cette population. Je propose des dépistages de sida et de syphilis, avec résultat immédiat, parce que la syphilis a triplé en un an. C’est une maladie sexuellement transmissible qui se soigne très bien, mais faut il savoir que si l’on est infecté, ça ne fait pas mal. On appelle ça les maladies de la pauvreté. Et on voit qu’ici, en Polynésie, il y a de plus en plus de pauvreté. »
Qu’est-ce que ça t’apporte ?
« Sur le plan professionnel, c’est mon bassin de prélèvements, c’est la population cible. Avec la recrudescence de la syphilis, on essaye de faire un suivi longitudinal des SDF, surtout s’il y a des prises de risque avec de la prostitution. On propose un suivi médical par rapport aux IST, les infections sexuellement transmissibles. Et donc tous les 3 mois, je fais des dépistages. Si jamais, il y a une découverte de pathologie je dirige la personne directement vers le Docteur Lam pour le traitement. Et d’un point de vue personnel, ça m’apporte énormément parce qu’il y a vraiment un contact humain qui est difficile de retrouver ailleurs. C’est vraiment des valeurs humaines vraies, il y a réel un échange, un regard, un sourire. Ça apporte énormément. C’est un merci ou parfois un simple regard, pas beaucoup de mots. C’est l’Abbé Pierre qui disait que donner c’est recevoir. Et en donnant là-bas, on reçoit énormément. »
La plus belle chose qui t’est arrivée à Te Vaiete ?
« C’est découvrir une cellule familiale qui est un peu particulière, certes, mais c’est une cellule familiale où tout le monde a sa place, il n’y a pas de jalousie. C’est vraiment cette cellule familiale que j’ai plaisir à retrouver tous les matins. Et le Père Christophe a bien son rôle de père. En tant que Père religieux mais aussi dans le rôle de père dans ce que l’on peut entendre d’autorité. C’est une voix, non pas dans le désert, une voix pour tous ses enfants et ils sont bien là. Il y a vraiment un rapport de confiance qui s’est installé entre les SDF et le Père Christophe, c’est une évidence. Il y a un profond respect. D’ailleurs lorsqu’il n’est pas là, on le sent tout de suite, il manque l’autorité, il manque le papa. Il a un rôle bien défini. Nous, les bénévoles, on est là pour l’aider, que pour des petites choses. L’autorité, c’est lui et que lui. »
Le plus dur à Te Vaiete ?
« Pour l’instant, ce n’est que du plaisir ! (Rires) Le plus dur ? Je pense que ça serait une grosse bagarre, quelque chose comme ça. Mais pour l’instant, ce n’est que du plaisir ! »
Ton premier jour à Te Vaiete ?
« Je ne me rappelle plus ! (Rires) Mon premier jour ? Je me suis placé dans un coin et j’ai beaucoup observé. Avant de faire une bêtise ou quoi que ce soit, j’aime bien observer ! Regarder qui fait quoi. Observer les bénévoles, leur place, leur fonctionnement. Avec les SDF, ça allait. J’avais déjà travaillé avec des SDF en France. Donc ce regard-là, je n’ai plus de gêne. Pour le premier jour, il me fallait vite apprendre ce qu’il y avait à faire et, surtout, ce qu’il ne fallait pas faire pour ne pas déranger mais vraiment aider. Trouver comment j’allais pouvoir œuvrer au milieu de cette petite organisation qui fonctionnait déjà très bien. Donc beaucoup d’observation pour trouver ma place afin d’être le plus efficace ! »
© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016
Devenez des prophètes dans la société
Discours du pape François aux prisonniers de Ciudad – 17 février 2016
Les prisonniers du Centre de Réadaptation Social d’État n°3 de Ciudad Juarez sont ceux que le Pape François a choisi de rencontrer en premier lors de son déplacement au nord du Mexique, à la frontière avec les États-Unis, mercredi 17 février 2016, dernier jour de ce voyage apostolique en Amérique latine. Le Saint-Père est arrivé en papamobile à l’établissement pénitentiaire Cereso n°3, salué sur son chemin par une foule en liesse. Accueilli par le directeur du pénitencier où sont détenus des centaines de tueurs, membres des gangs et des cartels, il a béni des familles de détenus.
Chers frères et sœurs,
Je suis sur le point de conclure ma visite au Mexique et je ne voulais pas m’en aller sans venir vous saluer, sans célébrer le Jubilé de la Miséricorde avec vous.
Je vous remercie de tout cœur pour les paroles de salutation que vous m’avez adressées, par lesquelles vous manifestez beaucoup d’espérance et d’aspirations, mais aussi beaucoup de douleur, de crainte et d’interrogations.
Lors de mon voyage en Afrique, dans la ville de Bangui, j’ai pu ouvrir la première porte de la miséricorde pour le monde entier (…). Aujourd’hui, uni à vous et avec vous, je veux réaffirmer une fois de plus la confiance à laquelle Jésus nous invite : la miséricorde qui embrasse tout le monde, et jusqu’aux confins de la terre. Il n’y a pas d’endroit où sa miséricorde ne puisse arriver, il n’y a pas de milieu ni de gens qu’elle ne puisse toucher.
Célébrer le Jubilé de la miséricorde avec vous, c’est rappeler le chemin urgent que nous devons emprunter pour rompre les cercles de la violence et de la délinquance. Nous avons déjà perdu plusieurs décennies, pensant et croyant que tout se résout en isolant, en écartant, en emprisonnant, en nous débarrassant des problèmes, en croyant que ces mesures solutionnent vraiment les problèmes. Nous avons oublié de nous concentrer sur ce qui doit être réellement notre préoccupation : la vie des personnes, leurs vies, celle de leurs familles, celle de ceux qui ont souffert aussi de ce cercle de la violence.
La miséricorde divine nous rappelle que les prisons sont un symptôme du genre de société que nous formons, elles sont un symptôme, dans de nombreux cas, des silences et des omissions qui ont provoqué une culture du rejet. Elles sont un symptôme d’une culture qui a cessé de miser sur la vie ; d’une société qui a abandonné progressivement ses enfants.
La miséricorde nous rappelle que la réinsertion ne commence pas ici dans cette enceinte, mais qu’elle commence avant, elle commence « au dehors », dans les rues de la ville. La réinsertion ou la réhabilitation commence par la création d’un système que nous pourrions qualifier de santé sociale, c’est-à-dire, d’une société qui cherche non pas à rendre malade en polluant les relations dans le quartier, dans les écoles, sur les places, dans les rues, dans les maisons, dans l’ensemble de la société ; mais un système de santé sociale qui permet de générer une culture efficace et qui cherche à prévenir ces situations, ces chemins qui finissent par abîmer et détériorer le tissu social.
Il semblerait parfois que les prisons se proposent de mettre les personnes dans l’incapacité de continuer à commettre des délits, plus que de promouvoir les processus de réhabilitation qui permettent de répondre aux problèmes sociaux, psychologiques et familiaux ayant conduit une personne à une attitude déterminée. Le problème de la sécurité ne se résout pas par le seul emprisonnement, mais il est un appel à intervenir pour faire face aux causes structurelles et culturelles de l’insécurité qui touchent tout le tissu social.
La préoccupation de Jésus à répondre aux affamés et aux assoiffés, à ceux qui n’ont pas de toit et aux prisonniers (Mt 25, 34-40) était pour exprimer les entrailles de la miséricorde du Père. Cela devient un impératif moral pour toute société qui désire avoir les conditions nécessaires pour une meilleure cohabitation. Dans la capacité à construire une société qui inclut ses pauvres, ses malades ou ses prisonniers, réside la possibilité que ceux-ci puissent guérir de leurs blessures et être les artisans d’une bonne cohabitation. La réinsertion sociale commence par l’insertion de tous nos enfants dans les écoles et par un travail digne à leurs familles, par la création d’espaces publiques de loisirs et de divertissement, par l’habilitation des instances de participation citoyenne, des services sanitaires, par l’accès aux services de base, pour n’énumérer que quelques mesures (…).
Célébrer le Jubilé de la miséricorde avec vous c’est apprendre à ne pas rester prisonnier du passé, d’hier. C’est apprendre à ouvrir la porte de l’avenir, du lendemain ; c’est croire que les choses peuvent être différentes. Célébrer le Jubilé de la miséricorde avec vous, c’est vous inviter à relever la tête et à travailler pour gagner cet espace de liberté désiré (…).
Nous savons qu’on ne peut pas retourner en arrière, nous savons que ce qui a été fait est fait ; c’est pourquoi j’ai voulu célébrer avec vous le Jubilé de la miséricorde, puisque cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de possibilité d’écrire une nouvelle histoire en avançant. Vous expérimentez la douleur de la chute, vous sentez le remords à cause de vos actes et je sais que, dans beaucoup de cas, au sein des grandes limitations, que vous cherchez à refaire votre vie dans la solitude. Vous avez connu la force de la douleur et du péché, n’oubliez pas que vous avez à votre portée la force de la résurrection, la force de la miséricorde divine qui renouvelle toute chose. Maintenant, vous pouvez affronter la partie plus dure, la plus difficile, mais qui, peut être, sera celle qui portera plus de fruit ; luttez ici, à l’intérieur, pour inverser les situations qui causent le plus d’exclusion. Parlez avec les vôtres, tirez profit de vos expériences, aidez à briser le cercle de la violence et de l’exclusion. Celui qui a affronté la douleur jusqu’au plus haut point et dont nous pourrions dire : « il a vécu l’enfer » peut devenir prophète dans la société. Travaillez pour que cette société qui utilise et jette ne continue pas à faire des victimes (…).
Je voudrais aussi encourager le personnel qui travaille dans ce Centre, ou dans d’autres centres similaires : les dirigeants, les agents de la Police pénitentiaire, tous ceux qui apportent une quelconque assistance dans ce Centre. Je salue l’effort des aumôniers, les personnes consacrées et les laïcs qui se dévouent pour maintenir vivante l’espérance de l’Évangile de la miséricorde dans la prison. Tous, ne l’oubliez pas : vous pouvez êtres des signes des entrailles du Père. Nous avons besoin les uns des autres pour aller de l’avant (…).
Avant de vous donner la bénédiction, je voudrais que nous priions un moment en silence. Que chacun demande à Dieu, dans l’intimité du cœur, de nous aider à croire en sa miséricorde (…).
Et je vous demande de ne pas oublier de prier pour moi.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Non à la résignation !
Homélie aux prêtres à Michoacan – Mexique – 16 février 2016 – Pape François
Lors de son voyage au Mexique, le Pape François s’est adressé aux prêtres, aux personnes consacrées et aux séminaristes dans le stade Venusiano Carranza de Morelia, la capitale du Michoacan. Dans son homélie, il a appelé les prêtres à imiter Jésus, à ne pas être des « fonctionnaires du divin ». Il les a conviés à vivre en priant et à prier en vivant, disant « Notre Père » comme Jésus l’a fait avec les siens.
Un proverbe de chez nous affirme : « Dis-moi comment tu pries et je te dirai comment tu vis, dis-moi comment tu vis et je te dirai comment tu pries ; car en me montrant comment tu pries, je pourrai découvrir le Dieu que tu vis et en me montrant comment tu vis, je pourrai croire au Dieu que tu pries ». En effet, notre vie parle de la prière et la prière parle de notre vie. En priant, on apprend à prier, comme nous apprenons à marcher, à parler, à écouter. L’école de la prière est l’école de la vie et c’est à l’école de la vie que nous fréquentons l’école de la prière.
Et Paul disait à Timothée, son disciple préféré, quand il l’enseignait ou l’exhortait à vivre la foi : « Rappelle-toi de ta mère et de ta grand-mère ». Et les séminaristes me demandaient souvent, quand ils entraient au Séminaire : « Père, je voudrais faire une prière plus profonde et plus mentale ». « Écoute, continue à prier comme on te l’a enseigné à la maison. Et ensuite, peu à peu, ta prière grandira, de même que ta vie a grandi ». On apprend à prier comme dans la vie.
Jésus a voulu introduire les siens dans le mystère de la Vie, dans le mystère de sa vie. Il leur a montré ce que signifie être Fils de Dieu, en mangeant, en dormant, en soignant, en prêchant, en priant. Il les a invités à partager sa vie, son intimité et en étant avec lui ; il leur a fait toucher dans sa chair la vie du Père. Il leur a fait expérimenter dans son regard, dans sa démarche, la force, la nouveauté de dire : « Notre Père ». En Jésus, cette expression, Notre Père, n’a pas « l’arrière-goût » de la routine ou de la répétition ; au contraire, elle a le goût de la vie, de l’expérience, de l’authenticité. Il a su vivre en priant et prier en vivant, disant : Notre Père.
Et il nous a invités à faire de même. Nous sommes d’abord appelés à faire l’expérience de cet amour miséricordieux du Père dans notre vie, dans notre histoire. Il nous appelle d’abord pour nous introduire dans cette nouvelle dynamique d’amour, de filiation. Nous sommes d’abord appelés à apprendre à dire : « Notre Père », comme Paul insiste : « Abba ».
Malheur à moi, si je n’évangélise pas, dit Paul, malheur à moi ! Car, évangéliser – poursuit-il – n’est pas un motif de gloire mais une nécessité (1 Cor 9, 16).
Il nous a invités à participer à sa vie, à sa vie divine, malheur à nous – consacrés, séminaristes, prêtres, évêques – malheur à nous si nous ne la partageons pas, malheur à nous si nous ne sommes pas des témoins de ce que nous avons vu et entendu, malheur à nous ! Nous ne voulons pas être des fonctionnaires du divin, nous ne sommes pas, ni ne voulons jamais être des employés de l’entreprise de Dieu, car nous sommes invités à participer à sa vie, nous sommes invités à nous introduire dans son cœur, un cœur qui prie et qui vit en disant : Notre Père. Et qu’est-ce que c’est la mission, sinon dire avec notre vie – du début à la fin, comme notre frère Evêque qui est mort cette nuit – qu’est-ce que c’est la mission, sinon dire avec notre vie : « Notre Père » ?
C’est ce Père que nous prions avec insistance tous les jours. Et que lui disons-nous, entre autres invocations ? Ne nous laisse pas tomber en tentation. Jésus lui-même l’a fait. Il a prié pour que ses disciples – d’hier et d’aujourd’hui – nous ne tombions pas en tentation. Quelle peut être l’une des tentations qui peuvent nous assiéger ? Quelle peut être l’une des tentations qui provient non seulement de la contemplation de la réalité mais aussi du fait de la vivre ? Quelle tentation peut venir de milieux souvent dominés par la violence, la corruption, le trafic de drogue, le mépris de la dignité de la personne, l’indifférence face à la souffrance et à la précarité ? Quelle tentation pouvons-nous avoir sans cesse – nous qui sommes appelés à la vie consacrée, au sacerdoce, à l’épiscopat – quelle tentation pouvons-nous avoir face à tout cela, face à cette réalité qui semble devenir un système inamovible ?
Je crois que nous pourrions la résumer en un seul mot : résignation. Et face à cette réalité, l’une des armes préférées du démon, la résignation, peut nous tenter. « Et que pouvons-nous y faire ? La vie est ainsi ». Une résignation qui nous paralyse et nous empêche non seulement de marcher, mais aussi de faire du chemin ; une résignation qui non seulement nous effraie, mais qui nous fait aussi nous retrancher dans nos « sacristies » et dans nos sécurités apparentes ; une résignation qui non seulement nous empêche d’annoncer, mais qui nous empêche aussi de louer, nous retire l’allégresse, la joie de louer. Une résignation qui non seulement nous empêche de prévoir, mais qui nous empêche aussi de prendre des risques et de transformer.
Par conséquent, Notre Père, ne nous laisse succomber à la tentation.
Qu’il nous fait du bien de recourir, dans les moments de tentation, à notre mémoire ! Comme cela nous aide de regarder « l’étoffe » dont nous sommes faits. Tout n’a pas commencé avec nous, tout ne finira pas non plus avec nous, c’est pourquoi cela nous fait du bien de récupérer l’histoire qui nous a conduits jusqu’ici !
Et dans ce souvenir, nous ne pouvons pas passer sous silence une personne qui tant aimé cet endroit, qui s’est fait fils de cette terre. Une personne qui a su dire d’elle-même : « Ils m’ont arraché à la magistrature et ils m’ont placé au timon du sacerdoce à cause de mes péchés. Moi, inutile et entièrement inapte pour l’exécution d’une si grande entreprise ; moi, qui ne savais pas manier la pagaie, ils m’ont fait premier Évêque de Michoacán » (Vasco Vásquez de Quirogq, Lettre pastorale, 1554).
Je remercie – parenthèse – Monsieur le Cardinal Archevêque qui a voulu que je célèbre cette Eucharistie avec sa crosse et son calice.
Avec vous, je voudrais faire mémoire de cet évangélisateur, connu également comme Tata Vasco, comme « l’espagnol qui s’est fait indien ».
La réalité que vivaient les indiens Purhépecha décrits par lui comme « vendus, harcelés et errants dans les marchés, recueillant les miettes jetées au sol », loin de le conduire à la tentation et à la paresse de la résignation, a stimulé sa foi, a stimulé sa vie, a stimulé sa compassion et l’a incité à réaliser divers projets qui ont donné du « souffle » face à cette réalité si paralysante et injuste. La douleur de la souffrance de ses frères s’est faite prière et la prière s’est faite réponse. Et cela lui a fait donner le nom parmi tous les indiens de « Tata Vasco » qui en langue purhépecha signifie : papa.
Père, papa, tata, abba….
Voilà la prière, voilà l’expression à laquelle Jésus nous a invités. Père, papa, abba, ne nous laisse pas tomber dans la tentation de la résignation, ne nous laisse pas tomber dans la tentation de l’acédie, ne nous laisse pas tomber dans la tentation de la perte de la mémoire, ne nous laisse pas tomber dans la tentation d’oublier nos anciens qui nous ont appris par leur vie à dire : Notre Père.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Catholiques et orthodoxes russes… un rapprochement qui vient de loin
Déclaration commune du pape françois et du patriarche Cyrille de Moscou et de toute la russie
À l'issue de leur rencontre en privé, le Pape François et le patriarche Cyrille ont signé une déclaration commune, un texte dense et dont chaque mot a été soupesé, témoignant d'une convergeance sur de nombreux points. Une déclaration qui comprend trente paragraphes et qui revient sur les grands enjeux contemporains comme les conflits au Moyen-Orient, la liberté religieuse, la famille, la destruction de la création ou encore l'unité de l'Europe. Conscients que de nombreux obstacles restent à surmonter, le Pape et le patriarche de Moscou souhaitent, dans leur déclaration commune, que leur rencontre contribue au rétablissement de l’unité voulue par Dieu.
« La grâce de Notre Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soit avec vous tous » (2 Co 13, 13).
- Par la volonté de Dieu le Père de qui vient tout don, au nom de Notre Seigneur Jésus Christ et avec le secours de l’Esprit Saint Consolateur, nous, Pape François et Kirill, Patriarche de Moscou et de toute la Russie, nous sommes rencontrés aujourd’hui à La Havane. Nous rendons grâce à Dieu, glorifié en la Trinité, pour cette rencontre, la première dans l’histoire.
- Avec joie, nous nous sommes retrouvés comme des frères dans la foi chrétienne qui se rencontrent pour se « parler de vive voix » (2Jn 12), de cœur à cœur, et discuter des relations mutuelles entre les Églises, des problèmes essentiels de nos fidèles et des perspectives de développement de la civilisation humaine.
- Notre rencontre fraternelle a eu lieu à Cuba, à la croisée des chemins entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest. De cette île, symbole des espoirs du « Nouveau Monde » et des événements dramatiques de l’histoire du XXe siècle, nous adressons notre parole à tous les peuples d’Amérique latine et des autres continents.
- Nous nous réjouissons de ce que la foi chrétienne se développe ici de façon dynamique. Le puissant potentiel religieux de l’Amérique latine, sa tradition chrétienne séculaire, réalisée dans l’expérience personnelle de millions de personnes, sont le gage d’un grand avenir pour cette région.
- Nous étant rencontrés loin des vieilles querelles de l’« Ancien Monde », nous sentons avec une force particulière la nécessité d’un labeur commun des catholiques et des orthodoxes, appelés, avec douceur et respect, à rendre compte au monde de l’espérance qui est en nous (cf. 1P 3, 15).
- Nous rendons grâce à Dieu pour les dons que nous avons reçus par la venue au monde de son Fils unique. Nous partageons la commune Tradition spirituelle du premier millénaire du christianisme. Les témoins de cette Tradition sont la Très Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie, et les saints que nous vénérons. Parmi eux se trouvent d’innombrables martyrs qui ont manifesté leur fidélité au Christ et sont devenus « semence de chrétiens ».
- Malgré cette Tradition commune des dix premiers siècles, catholiques et orthodoxes, depuis presque mille ans, sont privés de communion dans l’Eucharistie. Nous sommes divisés par des blessures causées par des conflits d’un passé lointain ou récent, par des divergences, héritées de nos ancêtres, dans la compréhension et l’explicitation de notre foi en Dieu, un en Trois Personnes – Père, Fils et Saint Esprit. Nous déplorons la perte de l’unité, conséquence de la faiblesse humaine et du péché, qui s’est produite malgré la Prière sacerdotale du Christ Sauveur : « Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous » (Jn 17, 21).
- Conscients que de nombreux obstacles restent à surmonter, nous espérons que notre rencontre contribue au rétablissement de cette unité voulue par Dieu, pour laquelle le Christ a prié. Puisse notre rencontre inspirer les chrétiens du monde entier à prier le Seigneur avec une ferveur renouvelée pour la pleine unité de tous ses disciples ! Puisse-t-elle, dans un monde qui attend de nous non pas seulement des paroles mais des actes, être un signe d’espérance pour tous les hommes de bonne volonté !
- Déterminés à entreprendre tout ce qui nécessaire pour surmonter les divergences historiques dont nous avons hérité, nous voulons unir nos efforts pour témoigner de l’Évangile du Christ et du patrimoine commun de l’Église du premier millénaire, répondant ensemble aux défis du monde contemporain. Orthodoxes et catholiques doivent apprendre à porter un témoignage unanime à la vérité dans les domaines où cela est possible et nécessaire. La civilisation humaine est entrée dans un moment de changement d’époque. Notre conscience chrétienne et notre responsabilité pastorale ne nous permettent pas de rester inactifs face aux défis exigeant une réponse commune.
- Notre regard se porte avant tout vers les régions du monde où les chrétiens subissent la persécution. En de nombreux pays du Proche Orient et d’Afrique du Nord, nos frères et sœurs en Christ sont exterminés par familles, villes et villages entiers. Leurs églises sont détruites et pillées de façon barbare, leurs objets sacrés sont profanés, leurs monuments, détruits. En Syrie, en Irak et en d’autres pays du Proche Orient, nous observons avec douleur l’exode massif des chrétiens de la terre d’où commença à se répandre notre foi et où ils vécurent depuis les temps apostoliques ensemble avec d’autres communautés religieuses.
- Nous appelons la communauté internationale à des actions urgentes pour empêcher que se poursuive l’éviction des chrétiens du Proche Orient. Élevant notre voix pour défendre les chrétiens persécutés, nous compatissons aussi aux souffrances des fidèles d’autres traditions religieuses devenus victimes de la guerre civile, du chaos et de la violence terroriste.
- En Syrie et en Irak, la violence a déjà emporté des milliers de vies, laissant des millions de gens sans abri ni ressources. Nous appelons la communauté internationale à mettre fin à la violence et au terrorisme et, simultanément, à contribuer par le dialogue à un prompt rétablissement de la paix civile. Une aide humanitaire à grande échelle est indispensable aux populations souffrantes et aux nombreux réfugiés dans les pays voisins.
- Nous demandons à tous ceux qui pourraient influer sur le destin de ceux qui ont été enlevés, en particulier des Métropolites d’Alep Paul et Jean Ibrahim, séquestrés en avril 2013, de faire tout ce qui est nécessaire pour leur libération rapide.
- Nous élevons nos prières vers le Christ, le Sauveur du monde, pour le rétablissement sur la terre du Proche Orient de la paix qui est « le fruit de la justice » (Is 32, 17), pour que se renforce la coexistence fraternelle entre les diverses populations, Églises et religions qui s’y trouvent, pour le retour des réfugiés dans leurs foyers, la guérison des blessés et le repos de l’âme des innocents tués.
- Nous adressons un fervent appel à toutes les parties qui peuvent être impliquées dans les conflits pour qu’elles fassent preuve de bonne volonté et s’asseyent à la table des négociations. Dans le même temps, il est nécessaire que la communauté internationale fasse tous les efforts possibles pour mettre fin au terrorisme à l’aide d’actions communes, conjointes et coordonnées. Nous faisons appel à tous les pays impliqués dans la lutte contre le terrorisme pour qu’ils agissent de façon responsable et prudente. Nous exhortons tous les chrétiens et tous les croyants en Dieu à prier avec ferveur le Dieu Créateur du monde et Provident, qu’il protège sa création de la destruction et ne permette pas une nouvelle guerre mondiale. Pour que la paix soit solide et durable, des efforts spécifiques sont nécessaires afin de redécouvrir les valeurs communes qui nous unissent, fondées sur l’Évangile de Notre Seigneur Jésus Christ.
- Nous nous inclinons devant le martyre de ceux qui, au prix de leur propre vie, témoignent de la vérité de l’Évangile, préférant la mort à l’apostasie du Christ. Nous croyons que ces martyrs de notre temps, issus de diverses Églises, mais unis par une commune souffrance, sont un gage de l’unité des chrétiens. À vous qui souffrez pour le Christ s’adresse la parole de l’apôtre : « Très chers !… dans la mesure où vous participez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin que, lors de la révélation de Sa gloire, vous soyez aussi dans la joie et l’allégresse » (1P 4, 12-13).
- En cette époque préoccupante est indispensable le dialogue interreligieux. Les différences dans la compréhension des vérités religieuses ne doivent pas empêcher les gens de fois diverses de vivre dans la paix et la concorde. Dans les circonstances actuelles, les leaders religieux ont une responsabilité particulière pour éduquer leurs fidèles dans un esprit de respect pour les convictions de ceux qui appartiennent à d’autres traditions religieuses. Les tentatives de justifications d’actions criminelles par des slogans religieux sont absolument inacceptables. Aucun crime ne peut être commis au nom de Dieu, « car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix » (1 Co 14, 33).
- Attestant de la haute valeur de la liberté religieuse, nous rendons grâce à Dieu pour le renouveau sans précédent de la foi chrétienne qui se produit actuellement en Russie et en de nombreux pays d’Europe de l’Est, où des régimes athées dominèrent pendant des décennies. Aujourd’hui les fers de l’athéisme militant sont brisés et en de nombreux endroits les chrétiens peuvent confesser librement leur foi. En un quart de siècle ont été érigés là des dizaines de milliers de nouvelles églises, ouverts des centaines de monastères et d’établissements d’enseignement théologique. Les communautés chrétiennes mènent une large activité caritative et sociale, apportant une aide diversifiée aux nécessiteux. Orthodoxes et catholiques œuvrent souvent côte à côte. Ils attestent des fondements spirituels communs de la convivance humaine, en témoignant des valeurs évangéliques.
- Dans le même temps, nous sommes préoccupés par la situation de tant de pays où les chrétiens se heurtent de plus en plus souvent à une restriction de la liberté religieuse, du droit de témoigner de leurs convictions et de vivre conformément à elles. En particulier, nous voyons que la transformation de certains pays en sociétés sécularisées, étrangère à toute référence à Dieu et à sa vérité, constitue un sérieux danger pour la liberté religieuse. Nous sommes préoccupés par la limitation actuelle des droits des chrétiens, voire de leur discrimination, lorsque certaines forces politiques, guidées par l’idéologie d’un sécularisme si souvent agressif, s’efforcent de les pousser aux marges de la vie publique.
- Le processus d’intégration européenne, initié après des siècles de conflits sanglants, a été accueilli par beaucoup avec espérance, comme un gage de paix et de sécurité. Cependant, nous mettons en garde contre une intégration qui ne serait pas respectueuse des identités religieuses. Tout en demeurant ouverts à la contribution des autres religions à notre civilisation, nous sommes convaincus que l’Europe doit rester fidèle à ses racines chrétiennes. Nous appelons les chrétiens européens d’Orient et d’Occident à s’unir pour témoigner ensemble du Christ et de l’Évangile, pour que l’Europe conserve son âme formée par deux mille ans de tradition chrétienne.
- Notre regard se porte sur les personnes se trouvant dans des situations de détresse, vivant dans des conditions d’extrême besoin et de pauvreté, alors même que croissent les richesses matérielles de l’humanité. Nous ne pouvons rester indifférents au sort de millions de migrants et de réfugiés qui frappent à la porte des pays riches. La consommation sans limite, que l’on constate dans certains pays plus développés, épuise progressivement les ressources de notre planète. L’inégalité croissante dans la répartition des biens terrestres fait croître le sentiment d’injustice à l’égard du système des relations internationales qui s’est institué.
- Les Églises chrétiennes sont appelées à défendre les exigences de la justice, le respect des traditions des peuples et la solidarité effective avec tous ceux qui souffrent. Nous, chrétiens, ne devons pas oublier que « ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est; ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu » (1Co 1, 27-29).
- La famille est le centre naturel de la vie humaine et de la société. Nous sommes inquiets de la crise de la famille dans de nombreux pays. Orthodoxes et catholiques, partageant la même conception de la famille, sont appelés à témoigner que celle-ci est un chemin de sainteté, manifestant la fidélité des époux dans leurs relations mutuelles, leur ouverture à la procréation et à l’éducation des enfants, la solidarité entre les générations et le respect pour les plus faibles.
- La famille est fondée sur le mariage, acte d’amour libre et fidèle d’un homme et d’une femme. L’amour scelle leur union, leur apprend à se recevoir l’un l’autre comme don. Le mariage est une école d’amour et de fidélité. Nous regrettons que d’autres formes de cohabitation soient désormais mises sur le même plan que cette union, tandis que la conception de la paternité et de la maternité comme vocation particulière de l’homme et de la femme dans le mariage, sanctifiée par la tradition biblique, est chassée de la conscience publique.
- Nous appelons chacun au respect du droit inaliénable à la vie. Des millions d’enfants sont privés de la possibilité même de paraître au monde. La voix du sang des enfants non nés crie vers Dieu (cf. Gn 4, 10).
- Le développement de la prétendue euthanasie conduit à ce que les personnes âgées et les infirmes commencent à se sentir être une charge excessive pour leur famille et la société en général.
- Nous sommes aussi préoccupés par le développement des technologies de reproduction biomédicale, car la manipulation de la vie humaine est une atteinte aux fondements de l’existence de l’homme, créé à l’image de Dieu. Nous estimons notre devoir de rappeler l’immuabilité des principes moraux chrétiens, fondés sur le respect de la dignité de l’homme appelé à la vie, conformément au dessein de son Créateur.
- Nous voulons adresser aujourd’hui une parole particulière à la jeunesse chrétienne. À vous, les jeunes, appartient de ne pas enfouir le talent dans la terre (cf. Mt 25, 25), mais d’utiliser toutes les capacités que Dieu vous a données pour confirmer dans le monde les vérités du Christ, pour incarner dans votre vie les commandements évangéliques de l’amour de Dieu et du prochain. Ne craignez pas d’aller à contre-courant, défendant la vérité divine à laquelle les normes séculières contemporaines sont loin de toujours correspondre.
- Dieu vous aime et attend de chacun de vous que vous soyez ses disciples et apôtres. Soyez la lumière du monde, afin que ceux qui vous entourent, voyant vos bonnes actions, rendent gloire à votre Père céleste (cf. Mt 5, 14, 16). Éduquez vos enfants dans la foi chrétienne, transmettez-leur la perle précieuse de la foi (cf. Mt 13, 46) que vous avez reçue de vos parents et aïeux. N’oubliez pas que vous « avez été rachetés à un cher prix » (1 Co 6, 20), au prix de la mort sur la croix de l’Homme-Dieu Jésus Christ.
- Orthodoxes et catholiques sont unis non seulement par la commune Tradition de l’Église du premier millénaire, mais aussi par la mission de prêcher l’Évangile du Christ dans le monde contemporain. Cette mission implique le respect mutuel des membres des communautés chrétiennes, exclut toute forme de prosélytisme.
- Nous ne sommes pas concurrents, mais frères : de cette conception doivent procéder toutes nos actions les uns envers les autres et envers le monde extérieur. Nous exhortons les catholiques et les orthodoxes, dans tous les pays, à apprendre à vivre ensemble dans la paix, l’amour et à avoir « les uns pour les autres la même aspiration » (Rm 15, 5). Il ne peut donc être question d’utiliser des moyens indus pour pousser des croyants à passer d’une Eglise à une autre, niant leur liberté religieuse ou leurs traditions propres. Nous sommes appelés à mettre en pratique le précepte de l’apôtre Paul : « Je me suis fait un honneur d’annoncer l’Évangile là où Christ n’avait point été nommé, afin de ne pas bâtir sur le fondement d’autrui » (Rm 15, 20).
- Nous espérons que notre rencontre contribuera aussi à la réconciliation là où des tensions existent entre gréco-catholiques et orthodoxes. Il est clair aujourd’hui que la méthode de l’« uniatisme » du passé, comprise comme la réunion d’une communauté à une autre, en la détachant de son Église, n’est pas un moyen pour recouvrir l’unité. Cependant, les communautés ecclésiales qui sont apparues en ces circonstances historiques ont le droit d’exister et d’entreprendre tout ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins spirituels de leurs fidèles, recherchant la paix avec leurs voisins. Orthodoxes et gréco-catholiques ont besoin de se réconcilier et de trouver des formes de coexistence mutuellement acceptables.
- Nous déplorons la confrontation en Ukraine qui a déjà emporté de nombreuses vies, provoqué d’innombrables blessures à de paisibles habitants et placé la société dans une grave crise économique et humanitaire. Nous exhortons toutes les parties du conflit à la prudence, à la solidarité sociale, et à agir pour la paix. Nous appelons nos Églises en Ukraine à travailler pour atteindre la concorde sociale, à s’abstenir de participer à la confrontation et à ne pas soutenir un développement ultérieur du conflit.
- Nous exprimons l’espoir que le schisme au sein des fidèles orthodoxes d’Ukraine sera surmonté sur le fondement des normes canoniques existantes, que tous les chrétiens orthodoxes d’Ukraine vivront dans la paix et la concorde et que les communautés catholiques du pays y contribueront, de sorte que soit toujours plus visible notre fraternité chrétienne.
- Dans le monde contemporain, multiforme et en même temps uni par un même destin, catholiques et orthodoxes sont appelés à collaborer fraternellement en vue d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut, à témoigner ensemble de la dignité morale et de la liberté authentique de la personne, « pour que le monde croie » (Jn 17, 21). Ce monde, dans lequel disparaissent progressivement les piliers spirituels de l’existence humaine, attend de nous un fort témoignage chrétien dans tous les domaines de la vie personnelle et sociale. De notre capacité à porter ensemble témoignage de l’Esprit de vérité en ces temps difficiles dépend en grande partie l’avenir de l’humanité.
- Que dans le témoignage hardi de la vérité de Dieu et de la Bonne Nouvelle salutaire nous vienne en aide l’Homme-Dieu Jésus Christ, notre Seigneur et Sauveur, qui nous fortifie spirituellement par sa promesse infaillible : « Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume » (Lc 12, 32)!
- Le Christ est la source de la joie et de l’espérance. La foi en Lui transfigure la vie de l’homme, la remplit de sens. De cela ont pu se convaincre par leur propre expérience tous ceux à qui peuvent s’appliquer les paroles de l’apôtre Pierre : « Vous qui jadis n’étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu, qui n’obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde » (1 P 2, 10).
- Remplis de gratitude pour le don de la compréhension mutuelle manifesté lors de notre rencontre, nous nous tournons avec espérance vers la Très Sainte Mère de Dieu, en l’invoquant par les paroles de l’antique prière : « Sous l’abri de ta miséricorde, nous nous réfugions, Sainte Mère de Dieu ». Puisse la Bienheureuse Vierge Marie, par son intercession, conforter la fraternité de ceux qui la vénèrent, afin qu’ils soient au temps fixé par Dieu rassemblés dans la paix et la concorde en un seul Peuple de Dieu, à la gloire de la Très Sainte et indivisible Trinité !
François Kirill
Évêque de Rome Patriarche de Moscou
Pape de l’Église catholique et de toute la Russie
le 12 février 2016, La Havane (Cuba)
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Commentaire des lectures du dimanche
Celui-ci est mon fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le
Dans le texte de la transfiguration, Luc est le seul des évangélistes à nous dire que Jésus était allé sur la montagne pour prier. C’est pendant sa prière qu’il est transfiguré. Quelques jours plus tôt, il avait révélé à ses disciples qu’il montait à Jérusalem pour y être rejeté par les autorités civiles et religieuses et être condamné à souffrir et à mourir. Aujourd’hui, en contact avec son Père, son chemin de ténèbres et de souffrances s’illumine et prend tout son sens. L’amour sera plus fort que la mort. Ce sera pour lui un chemin de libération, un « exode », qui le conduira à la résurrection.
La tradition disait qu’après sa rencontre avec Dieu sur la montagne, le visage de Moïse était resté si brillant qu’il devait porter un voile pour ne pas aveugler ses compatriotes. La gloire de Dieu se manifeste aujourd’hui sur le visage de Jésus. Au moment où la perspective de la souffrance et de la mort se confirme, nous avons ici une anticipation de la résurrection. Suite à la transfiguration, Jésus aura le courage de descendre dans la plaine, de se rendre à Jérusalem et de faire face à ses adversaires.
Maintenant, il n’y a plus qu’une seule voix à écouter, la voix du Christ.
Ce qui est le plus important dans le texte de ce dimanche n’est pas le miracle du changement extérieur de Jésus mais bien la révélation de Dieu le Père : « Celui-ci est mon fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le. »
Écouter les paroles de Jésus afin d’être transfigurés nous aussi, c’est là le but du carême. Être renouvelés grâce au contact que nous avons avec le Seigneur.
La transfiguration se produit à maintes reprises dans l’évangile : le Christ transfigure les blessés de la vie, les rejetés de la société, les pécheurs et les transgresseurs. Au contact avec le Seigneur, ces gens reprennent goût à la vie. C’est l’histoire du lépreux chassé hors de la ville, de la Samaritaine qui vit avec son sixième mari, de Zachée le publicain, de Marie Madeleine « la pécheresse », de la prostituée dans la maison de Simon le pharisien, de la femme adultère condamnée à être lapidée, de Pierre qui avait affirmé ne pas connaître Jésus, du voleur sur la croix, etc.
Et, à travers les siècles, des milliers de personnes, entrant en contact avec le Christ, apprendront à donner un sens nouveau à leur existence. Il s’agit de véritables renaissances, de vraies transfigurations.
Nous pouvons nous aussi vivre une transfiguration, une transformation, un changement qui nous aidera à reprendre goût à la vie, à mieux réussir notre pèlerinage sur la terre, et ce malgré nos maladies, nos faiblesses, nos échecs et nos défaites.
La transfiguration est une invitation à aller de l’avant. Elle nous sort de l’enlisement et nous empêche de nous installer définitivement. Pierre aurait bien voulu rester sur la montagne (« Dressons trois tentes ») mais le Christ l’invite à descendre dans la plaine. Comme pour Abraham, Dieu nous incite à quitter notre routine confortable et à nous mettre en marche : « Je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Ur en Chaldée ». (Genèse 15, 7)
Grâce à la foi nous évitons de nous replier sur notre passé ou de nous installer trop confortablement dans le présent. La foi combat l’immobilisme et la stagnation. C’est un itinéraire de liberté, qui nous pousse toujours vers l’avant.
Le disciple prend au sérieux le message du Seigneur et se laisse questionner par lui. C’est une personne d’écoute. La parole du Seigneur nous permet de trouver une direction et une perspective nouvelles. « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». Comme le dit le psaume d’aujourd’hui : « Le Seigneur est ma lumière et salut » (Psaume 26). Il est « une lampe pour mes pas ». (Psaume 119, 105).
Jusque-là, on écoutait Moïse, interlocuteur de Dieu au Sinaï, porteur de la Loi, nimbé de lumière (Exode 34, 29). On écoutait aussi les prophètes, dont Elie est le représentant dans l’évangile d’aujourd’hui. Maintenant, il n’y a plus qu’une seule voix à écouter, la voix du Christ. « Celui-ci est mon fils, celui que j’ai choisi. Écoutez-le. »
© Cursillo - 2016