Pko 19.06.2016

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°34/2016

Dimanche 19 juin 2016 – 12ème Dimanche du Temps ordinaire – Année C

Humeurs

Daesh… Orlando… Communauté gay… La Polynésie

La communauté humaine est frappée, une fois de plus, par la haine aveugle d’une poignée d’hommes et de femmes qui massacre au nom de Dieu ! À Orlando, c’est la communauté gay qui est spécialement visée… Si sur la toile, la majorité des commentaires sont des commentaires de compassion, de désarroi et de révolte… quelques-uns surprennent par leur homophobie.

Sur les pages du Fenua, on retrouve souvent des commentaires du style : « Heureusement qu’il n’y a pas cela chez nous… ». C’est vrai… Cependant ne nous trompons pas, le lit de cette violence et de cette barbarie se fait petit à petit, non pas dans la lecture du Coran ou de l’Ancien Testament – même si une lecture trop littérale peut induire à cela -… mais dans ces attitudes aux quotidien que l’on retrouve aussi chez nous aussi.

Depuis quelques semaines, une petite équipe s’est engagée dans l’accompagnement de nos frères et sœurs péripatéticiens (ou « travailleurs du sexe »). Outre le dépistage SIDA-Syphillis, l’objectif de ces sorties est avant tout pour permettre des rencontres, des partages…

Les « confidences » qui y sont faites sont bien souvent décapantes… notamment quant aux mépris et agressions dont font l’objet l’ensemble des péripatéticiens et les « raerae » en particulier. Descente de groupes de jeunes pour les passer à tabac… insultes proférées par des familles entières, notamment les jeunes enfants, dans les voitures passant devant eux en ralentissant… mépris tout simplement d’une la population « bien-pensante » et souvent « très chrétienne ».

L’homophobie n’est pas seulement une réalité internationale ou de Daesh… mais elle est aussi bien présente en Polynésie… plus silencieuse mais tout aussi méprisante.

Les extrémismes en tous genres ne naissent pas un beau jour par miracle… ni parce qu’un jour une religion pose un « anathème » mais bien dans le quotidien, au cœur de nos petites communautés humaines si prompte à catégoriser les hommes et à exclure tout ce qui ne correspond pas à la norme des plus forts…

Pourquoi avoir si peur de la différence ? Pourquoi craindre l’autre dans sa différence ? Toute différence apporte une lumière nouvelle sur la beauté de l’homme crée à l’image de Dieu…

« Les différences sont vraiment la richesse, parce que j’ai une chose, tu en as une autre, et avec ces deux-là nous faisons une chose plus belle, plus grande. Et ainsi nous pouvons aller de l’avant. Pensons à un monde où nous serions tous égaux : ce serait un monde ennuyeux ! C’est vrai que certaines différences sont douloureuses, nous le savons tous, ceux qui ont leurs racines dans certaines maladies… mais aussi ces différences nous aident, nous mettent face à un défi et nous enrichissent. C’est pour cela qu’il ne faut jamais avoir peur de la diversité : c’est vraiment le chemin pour s’améliorer, pour être plus beaux et plus riches. » (Pape François)

Alors soyons vigilant… ouvrons nos cœurs… accueillons l’autre comme un don de Dieu… ainsi le « Notre Père » prendra tout son sens… et nous serons seulement alors vraiment « chrétien »… disciple du Christ qui s’est fait tout à tous…

Chronique de la roue qui tourne

Les maladies qu’on ne voient pas

« L'ennemi invisible est le plus redoutable. » Jacques Garneau

Nous venons de vivre le sacrement des malades. Moment intense où chacun est arrivé avec son fardeau et est reparti fièrement. Belle messe où notre faiblesse était appelée à devenir force. Rassemblement où, ce qui généralement isole ou exclut devenait un point commun appelé à être une rencontre privilégiée avec l’autre.

Mais nous souffrons tant de maladies qui ne se voient pas. Notre bouche qui sait se parer d’un beau sourire semble préférer calomnier, injurier, médire et maudire. Des paroles triées sur le volet pour bien blesser. Nos mains qui peuvent être aide et secours pour celui qui ne s’en sort pas semblent préférer taper, martyriser et détruire. Force est de constater que l’expression « une main tendue » risque d’être méconnue des nouvelles générations. Nos yeux qui ont de merveilleux spectacles à contempler semblent préférer juger, défier et provoquer. Nous laissons nos yeux exprimer ce que notre langue n’ose pas et le message n’en est pas moins atténué. Nos oreilles qui ont le concerto de la nature et tant de gens à écouter chaque jour semblent préférer les ragots et la cacophonie. Aujourd’hui nous sommes tellement bien de notre personne que nous refusons désormais tout contact avec l’autre. Ne serait-ce qu’une poignée de main.

Pourquoi haïr autant l’autre ? Pourquoi dévaloriser ainsi l’autre ? Sommes-nous obligés de rabaisser pour nous se sentir grands ? Quel malaise… en attente d’un remède.

La chaise masquée

© Nathalie SH – P.K.0 – 2016

La parole aux sans paroles – 39

Portrait d’un bénévole - Willy

Servir les autres n’est pas un engagement confiné aux murs de l’église. Bien au contraire ! Pour Willy, c’est être avec ceux qui ont le plus besoin et donner sans compter, sans attendre quoi que ce soit. Bénévole du lundi au samedi, et ce, pendant 7 ans, Willy est un passionné. Il considère tous les SDF comme ses enfants. Il va même plus loin : « Les servir, c’est servir le Christ. »… même s’il reconnait qu’ils ne sont pas toujours des anges. Un bon père de famille qui ne désespère jamais… un serviteur de Dieu qui garde la foi !

Pourquoi as-tu été bénévole à Te Vaiete ?

« Quand je suis devenu tavini, ministre extraordinaire à la Sainte Communion, il fallait faire quelque chose et éviter de dire "j’aide les gens" et rester seulement à l’intérieur de l’église. Il fallait que je sorte pour voir ce qu’il se passe dehors. Ce sont ceux qui sont dehors qui ont besoin de nous, pas ceux qui sont dans l’église. Eux, ils ont tout ce qu’il faut. Te Vaiete, c’est par pur hasard. En déposant Père, là-bas, un matin, il m’a proposé d’entrer boire un café. J’ai donc passé le pas de la porte et je ne suis plus ressorti ! (Rires) Je suis resté dedans pendant 7 ans. 7 ans, tous les jours c’est-à-dire du lundi au samedi. Et même, j’allais faire le café et le maa et, quand on fermait Te Vaiete, je partais récupérer du maa. Parfois, quand j’arrivais chez moi, il était déjà 15h. Et le lendemain, c’était reparti ! Je ne voulais pas venir faire du maa et rentrer tranquillement chez moi. A Te Vaiete, il faut aller jusqu’au bout, même si tu n’en peux plus, même si tu es fatigué. J’ai commencé en 2006. Et je suis parti à la suite d’un infarctus, je croyais que j’allais y passer. Mais ça ne veut pas dire que je les ai oubliés ! »

Qu’est-ce qui te manque le plus ?

« De les voir, de les entendre, d’être avec eux, c’est ça qui me manque ! Quand tu parles avec eux, tu sens bien qu’ils souffrent. On dit que certains sont violents. Oui mais il faut regarder pourquoi. Ils souffrent beaucoup mais ne montrent pas. Lorsque tu vas parler avec eux, il faut les écouter… sans les couper. Ainsi, tu comprendras beaucoup de choses, c’est là que tu verras leurs souffrances. Mais personne ne prend ce temps. »

Tu leur parlais beaucoup ?

« J’attendais plutôt qu’ils viennent me parler. Parce qu’avec moi, c’était autre chose qu’avec Père. Avec Père, il y a le respect. Mais, avec moi, c’était le même langage. Si je devais leur dire "banane", je disais "banane". Alors ils s’arrêtaient et me disaient : "Pourquoi tu nous parles comme ça ?" Je répondais : "Ecoutez, depuis tout à l’heure, vous me parlez comme ça. J’essaye de vous expliquer, vous ne comprenez pas, alors je parle comme vous." Et là, tu vois, ils prenaient conscience. Tu es obligé de parler comme eux, des fois. Le message passe mieux ! (Rires) »

Tu leur parlais en tahitien aussi ?

« En français et en tahitien. Si je vois que la personne commence à s’emporter, je devenais sévère et je parlais en tahitien. Là, ils comprenaient que ça allait barder ! (Rires) »

Tu pouvais leur faire des remarques ?

« Ah oui ! Avant le café, il m’arrivait de prendre la parole pour leur dire ce que je pensais d’eux. Par exemple, lorsqu’ils étaient trop turbulents, je leur disais : "J’ai l’impression de perdre mon temps à venir vous servir. J’ai tout abandonné, pour vous et vous faites ça ? »

Et tu n’avais pas de problèmes ?

« Non, ils baissaient tous la tête. Ils savaient que là j’étais vraiment fâché ! Mais, une fois que j’ai dit ce que je pensais, c’est fini. On boit le café, on discute, on rigole. Mais, je dois dire que ce sont des gens qui ont beaucoup de reconnaissance. Aujourd’hui encore, lorsqu’ils me voient, ils viennent toujours. Dans la rue, j’entends "padre", c’est eux, ils m’appelaient comme ça. Parfois même, ils viennent me demander si je vais mieux, si je compte retourner là-bas. C’est beau à voir. C’est ce que les gens ne comprennent pas cette beauté ! »

Te Vaiete est plus qu’une "cantine", c’est comme une famille, non ?

« Ce n’est pas comme, c’est une famille. Certains me disaient :"Tu es comme notre papa, parce que tu nous grondes." Là, ils me demandent de retourner mais je ne peux plus. Bon, de temps en temps, j’essaye de passer. Il y a un message de Père que je garde en mémoire : "Eux ont la violence, nous, de l’amour. C’est à nous à leur donner, à leur montrer de l’amour. Et parfois, c’est rien. C’est un petit sourire, qui ne coûte même pas 100 francs. C’est une présence, une écoute. C’est simple. Et c’est ça, aider avec un grand "A" ! »

Qu’est-ce que ça t’apportait d’être avec eux ?

« D’autres valeurs ! Avant, je mangeais à midi et le soir je ne voulais plus manger ce que j’avais à midi. Je jetais ! Mais, en allant avec eux, maintenant, ce que je mange à midi, s’il en reste, je re-mangerai ce soir, et s’il en reste encore, ce sera pour demain. Et donc, à Te Vaiete, lorsque je voyais un jeter la nourriture, je le reprenais : "Tu sais, il y a des gens qui n’ont rien à manger. Ce que tu gaspilles là ferait le bonheur d’autres personnes à Papeete même." Comme je dis, je ne vais pas aller aider des gens en Afrique… On a assez de pauvres ici et on ne pense même pas à les aider. Il faut d’abord aider ceux d’ici ! Et aider pour aider. Parce que, souvent, les gens aident, pensant recevoir quelque chose. Quand on aide, c’est comme du troc : je te donne ça si tu me donnes ça. Or, c’est faux ! Si tu viens avec cet état d’esprit à Te Vaiete, tu ne tiendras pas. Je te donne 3 jours maximum, tu partiras. Il faut aider sans rien attendre. »

La plus belle chose qui t’est arrivée à Te Vaiete ?

« Oh lala, il y en beaucoup, beaucoup ! C’est de les voir souriants après manger ! Quand je vois ça, je me dis : "Là, ils vont passer une bonne journée !" Un repas, c’est très important. Quelqu’un qui ne mange pas, il devient mauvais et violent. Quelqu’un qui a bien mangé donne de l’amour. Je crois que les 7 ans passés là-bas ont été les plus beaux de ma vie ! Parce qu’avant Te Vaiete, je n’étais pas un saint. Je peux même dire que le diable avait peur de moi ! (Rires) Beaucoup ont été surpris de me voir m’investir autant pour Te Vaiete, parce que ce n’était pas du tout mon genre. (Rires) Mais, tu vois, quand je les sers, quand je suis avec eux, c’est comme si je servais et j’étais avec le Christ ! J’étais avec des prostituées, des bandits, des voleurs, des mendiants et des menteurs, pourtant je voyais le Christ. »

Le plus dur à Te Vaiete ?

« Je ne vois pas, il n’y en a pas… Peut-être alors, le fait de mettre un cadre, de dire : "Ici, c’est moi le chef, pas toi." C’est des gens qu’il faut aider et aimer, oui, mais il ne faut pas les laisser monter sur ta tête. Pas par plaisir mais parce qu’ils ne savent pas gérer. Il ne faut pas les laisser monter sur ta tête mais il ne faut pas non plus les rabaisser. Il faut les garder près de toi, être avec eux, les comprendre et avancer ensemble. Et si tu arrives à faire ça, les bagarres n’auront pas encore éclaté que tu as déjà calmé le jeu. Parce que, attention à eux, ce sont des roublards ! Un jour, il y en un qui vient me dire : "Père a dit que je peux avoir un deuxième beurre." Parce que la règle c’était qu’ils avaient droit qu’à un sel, un sucre, un beurre, pas deux. Alors je lui réponds : "Je préfère que ça soit Père, lui-même, qui me le dise" et je commence à faire signe à Père. Tout un coup, il me dit : "Non, non, Père n’a rien dit !" et il est parti. Ils essayent toujours d’avoir plus, ils ne peuvent pas s’en empêcher ! »

Tu as eu des bagarres à gérer ?

« Oh oui ! (Rires) »

Comment tu les calmais ?

« Parfois, Père partait en retraite ou dans les îles et c’était moi qui gérait Te Vaiete. Je ne m’embêtais pas, quand il y avait une bagarre, je disais : "C’est comme vous voulez. Vous voulez manger aujourd’hui ou vous taper dessus ? Une fois, ben à la suite d’une bagarre, j’ai fermé Te Vaiete pendant 2 jours. A la fin, c’est eux qui sont venus avant la messe me demander si je pensais ré-ouvrir Te Vaiete. J’ai répondu : "Assistez à la messe et priez pour que l’Esprit Saint me fasse ré-ouvrir Te Vaiete. En fait, ils sont comme de grands enfants, je suis là pour montrer l’exemple. Souvent, je leur disais : "Si vous voulez vous en sortir, battez-vous. Battez-vous, ne restez pas comme des veaux affalés dans un pré. Non, parce que, ce qu’il y a dans ce monde ne va pas venir à vous. C’est à vous à aller vers. Alors, levez-vous. Ils disaient : "Mais on n’a rien." Je répondais : "Je sais. Je sais que le monde ne connait même vos prénoms, alors qu’il retient facilement celui d’un chien. Je sais tout ça et, si je suis là, c’est pour vous aider, vous aider à reprendre votre place d’êtres humains aux yeux de la société." Parmi mes connaissances, beaucoup m’ont dit : "Pourquoi tu vas les aider. Tu perds ton temps, ça ne sert à rien. Tu ne pourras pas tous les sauver !" Je répondais : "Il y a une parole dans l’évangile qui dit : lorsque un sera sauvé, les anges chanteront et il y aura une grande joie dans le ciel. Dieu sera heureux parce que un de ses enfants sera revenu. Alors, oui, peut-être que je ne peux pas sauver tout le monde mais si je peux en sauver un, ça vaut la peine ! Pendant les 7 ans où j’étais là-bas, il y en a 5 qui s’en sont sortis. »

Donc il y en a qui s’en sortent…

« Oui, il y en a qui partent dans les îles, ils ne sont plus revenus. Certaines personnes se demandent pourquoi ils sont devenus SDF. On va dire que c’est la drogue, que c’est l’alcool. On va dire qu’ils ont quitté l’école trop tôt et qu’il n’y a pas de boulot. On va dire que c’est les parents. Mais moi, je dirais que tous ces SDF n’ont pas été éduqués mais élevés. Or, on élève des animaux et non des enfants. On éduque les enfants. Alors, quand des parents disent "on a bien élevé nos enfants", c’est faux ! Quand on éduque, on devient un modèle pour l’enfant. Or, regarde, les parents d’aujourd’hui : les enfants sont livrés à eux-mêmes pendant que les parents vont boire, se droguent, font la bringue. Et puis, ici, on ne parle pas,  on rosse. Pour un oui, pour un non, on rosse. On ne prend pas le temps d’écouter l’enfant, on rosse. Voilà l’exemple qu’ont les enfants. Il faut s’étonner après d’avoir des adultes complètement perdus. »

Un dernier message ?

« Mon dernier message, je veux l’adresser à toute la Polynésie : Aider les SDF, ce n’est pas donner une overdose de pitié mais juste une main tendue ! »

© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016

Nous sommes tous des mendiants qui ont besoin d’être sauvés

Audience générale du mercredi 15 juin 2016 - pape François

Le Pape François exhorte les chrétiens à être attentifs aux personnes qui ont besoin d’aide et de consolation. Il l’a redit à l’audience générale ce mercredi. Commentant le récit évangélique de l’aveugle de Jéricho à qui Jésus rend la vue, le Saint-Père a regretté que des personnes soient encore marginalisées aujourd’hui à cause d’un handicap physique ou autre.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Un jour, approchant de la ville de Jéricho, Jésus accomplit le miracle de redonner la vue à un aveugle qui mendiait au bord de la route (cf. Lc 18,35-43). Aujourd’hui, nous voulons saisir la signification de ce signe parce qu’il nous touche nous aussi directement. L’évangéliste Luc dit que cet aveugle mendiait, assis au bord de la route (cf. v.35). Un aveugle, en ces temps-là – mais aussi jusqu’à il n’y a pas si longtemps – ne pouvait vivre que d’aumône. La figure de cet aveugle représente de nombreuses personnes qui, aujourd’hui encore, se retrouvent marginalisées à cause d’un désavantage physique ou d’une autre sorte. Il est séparé de la foule, il est là, assis tandis que les gens passent, affairés, absorbés dans leurs pensées et dans beaucoup d’autres choses… Et la route, qui peut être un lieu de rencontre, est pour lui au contraire le lieu de la solitude. Toute la foule passe… Et lui est seul.

Cette image d’une personne marginalisée est triste, surtout sur le fond de la ville de Jéricho, la splendide et luxuriante oasis dans le désert. Nous savons que c’est justement à Jéricho que le peuple d’Israël est arrivé à la fin de son long exode d’Égypte : cette ville représente la porte d’entrée dans la terre promise. Souvenons-nous des paroles que Moïse prononce dans cette circonstance : « Se trouve-t-il chez toi un malheureux parmi tes frères, dans l’une des villes de ton pays que le Seigneur ton Dieu te donne ? Tu n’endurciras pas ton cœur, tu ne fermeras pas la main à ton frère malheureux… Certes, le malheureux ne disparaîtra pas de ce pays. Aussi je te donne ce commandement : tu ouvriras tout grand ta main pour ton frère quand il est, dans ton pays, pauvre et malheureux. » (Dt 15, 7.11) Le contraste est saisissant entre cette recommandation de la loi de Dieu et la situation décrite par l’Évangile : tandis que l’aveugle invoque Jésus en criant, les gens le réprimandent pour le faire taire, comme s’il n’avait pas le droit de parler. Ils n’ont pas de compassion pour lui, au contraire, ils sont agacés par ses cris. Combien de fois, quand nous voyons toutes ces personnes dans la rue – des gens dans le besoin, malades, qui n’ont pas de quoi manger – nous nous sentons agacés. Combien de fois, lorsque nous nous trouvons devant tous ces réfugiés, nous sommes agacés. C’est une tentation que nous avons tous. Tous, moi aussi ! C’est pour cela que la parole de Dieu nous avertit en nous rappelant que l’indifférence et l’hostilité rendent aveugles et sourds, empêchent de voir nos frères et ne permettent pas de reconnaître le Seigneur en eux. Indifférence et hostilité. Et parfois cette indifférence et cette hostilité deviennent aussi une agression et une insulte : « Mais chassez-les tous, ceux-là ! Mettez-les ailleurs ! ». Cette agression, c’est ce que faisait les gens quand l’aveugle criait : « Mais va-t-en, allez, tais-toi, ne crie pas ! »

Nous notons un détail intéressant. L’évangéliste dit que quelqu’un dans la foule a expliqué à l’aveugle la raison de tout ce monde : « C’est Jésus qui passe, le Nazaréen ! » (v.37). Le passage de Jésus est indiqué par le même verbe que celui qui, dans le livre de l’Exode, parle du passage de l’ange exterminateur qui sauve les Israélites en terre d’Égypte (cf Ex 12,23). C’est le « passage » de la Pâque, le début de la libération : quand Jésus passe, il y a toujours une libération, il y a toujours le salut ! Pour l’aveugle, par conséquent, c’est comme si on lui annonçait sa pâque. Sans se laisser intimider, l’aveugle crie plusieurs fois vers Jésus, le reconnaissant comme le Fils de David, le Messie attendu qui, selon le prophète Isaïe, ouvrirait les yeux des aveugles (cf. Is 35,5). À la différence de la foule, cet aveugle voit avec les yeux de la foi. Grâce à celle-ci, sa requête a une efficacité puissante. En effet, en l’entendant, « Jésus s’arrêta et ordonna qu’on le conduise à lui » (v.40). Ce faisant, Jésus enlève l’aveugle du bord de la route et le place au centre de l’attention de ses disciples et de la foule. Pensons, nous aussi, quand nous avons été dans une mauvaise situation, même des situations de péché, que c’est précisément Jésus qui nous a pris par la main et nous a retirés du bord de la route pour nous donner le salut. Ainsi se réalise un double passage. Premièrement, les gens avaient annoncé une bonne nouvelle à l’aveugle mais ils ne voulaient rien avoir à faire avec lui ; maintenant Jésus les oblige tous à prendre conscience que la bonne nouvelle implique de placer au centre de son propre chemin celui qui en était exclu. Deuxièmement, à son tour, l’aveugle ne voyait pas, mais sa foi lui a ouvert la voie du salut et il se retrouve au milieu de ceux qui étaient descendus dans la rue pour voir Jésus. Frères et sœurs, le passage du Seigneur est une rencontre de miséricorde qui nous unit tous autour de lui pour permettre de reconnaître qui a besoin d’aide et de consolations. Dans notre vie aussi, Jésus passe ; et quand Jésus passe, et que je m’en aperçois, c’est une invitation à m’approcher de lui, à être meilleur, à être un chrétien meilleur, à suivre Jésus.

Jésus s’adresse à l’aveugle et lui demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (v.41). Ces paroles de Jésus sont impressionnantes : le Fils de Dieu se tient maintenant devant l’aveugle comme un humble serviteur. Lui, Jésus, Dieu, dit « Mais que veux-tu que je te fasse ? Comment veux-tu que je te serve ? ». Dieu se fait serviteur de l’homme pécheur. Et l’aveugle répond à Jésus non plus en l’appelant « Fils de David », mais « Seigneur », le titre que l’Église, depuis les débuts, applique à Jésus ressuscité. L’aveugle demande de pouvoir voir à nouveau et son désir est exaucé : « Retrouve la vue ! Ta foi t’a sauvé » (v.42). Il a montré sa foi en invoquant Jésus et en voulant absolument le rencontrer, et cela lui a apporté en cadeau le salut. Grâce à la foi, il peut maintenant voir et surtout, il se sent aimé par Jésus. C’est pourquoi, le récit se termine en racontant que l’aveugle « se mit à le suivre en glorifiant Dieu » (v.43) :  il se fait disciple. De mendiant à disciple, c’est aussi notre route : nous sommes tous mendiants, tous. Nous avons toujours besoin du salut. Et tous, tous les jours, nous devons faire ce pas : de mendiants à disciples.  Et ainsi, l’aveugle se met en chemin derrière le Seigneur, commençant à faire partie de sa communauté. Celui qu’on voulait faire taire, témoigne maintenant à voix haute de sa rencontre avec Jésus de Nazareth et « tout le peuple, en le voyant, rendait grâce à Dieu » (v.43). Il se produit un second miracle : ce qui s’est passé pour l’aveugle fait que les gens aussi finissent par voir. La même lumière les illumine tous, les rassemblant dans la prière de la louange. Ainsi Jésus répand sa miséricorde sur tous ceux qu’il rencontre, il les appelle, les fait venir à lui, les rassemble, les guérit et les éclaire, créant un peuple nouveau qui célèbre les merveilles de son amour miséricordieux. Laissons-nous, nous aussi, appeler par Jésus, et laissons-nous guérir par Jésus, pardonner par Jésus et allons derrière Jésus en louant Dieu. Ainsi soit-il !

© Libreria Editrice Vaticana - 2016

Accueillir et entourer. Tous

Dialogue du Pape François au Congrès italien sur le Handicap – 11 juin 2016

Le Pape François a présidé ce dimanche 12 juin 2016 au Vatican une messe solennelle à l’occasion du Jubilé des malades et des personnes handicapées, point d’orgue du cette année Sainte. Traduction en langue des signes, lecture en braille, et pour la première fois place Saint-Pierre, l’Évangile a été joué en scènes par des personnes avec un handicap mental. Les personnes malades et handicapés étaient donc protagonistes de cette célébration eucharistique. Ainsi la première lecture a été proclamée par une personne handicapée espagnole. La seconde, en anglais, par une jeune femme aveugle lisant en braille. Toutes ont été traduites par des personnes malentendantes de divers pays. Cette messe a été précédée de plusieurs témoignages sur le handicap et la maladie. Le fondateur de la communauté de « l’Arche », et « Foi et Lumière » Jean Vanier, a notamment envoyé du Canada un message vidéo.

La première question était très riche, très riche. Et elle parlait des diversités. Nous sommes tous différents : il n’y en a pas un qui soit identique à l’autre. Il y a des différences plus grandes ou plus petites, mais nous sommes tous différents. Et elle, la jeune fille qui a formulé la question, disait : « Bien souvent nous avons peur des différences ». Elles nous font peur. Pourquoi ? Parce qu’aller à la rencontre d’une personne qui a une différence, disons, pas forte, mais grande, est un défi, et tous les défis nous font peur. Il est plus facile de ne pas bouger, il est plus commode d’ignorer la différence et de dire : « Nous sommes tous égaux, et s’il y a quelqu’un qui n’est pas aussi “égal”, laissons-le de côté, n’allons pas à sa rencontre ». C’est la peur que nous provoque chaque défi ; chaque défi nous rend peureux, nous fait peur, nous rend un peu timoré. Mais non ! Les différences sont vraiment la richesse, parce que j’ai une chose, tu en as une autre, et avec ces deux-là nous faisons une chose plus belle, plus grande. Et ainsi nous pouvons aller de l’avant. Pensons à un monde où nous serions tous égaux : ce serait un monde ennuyeux ! C’est vrai que certaines différences sont douloureuses, nous le savons tous, ceux qui ont leurs racines dans certaines maladies… mais aussi ces différences nous aident, nous mettent face à un défi et nous enrichissent. C’est pour cela qu’il ne faut jamais avoir peur de la diversité : c’est vraiment le chemin pour s’améliorer, pour être plus beaux et plus riches.

Et comment cela se fait-il ? En mettant en commun ce que nous avons. Mettre en commun. Il y a un geste très beau que nous avons, nous, personnes humaines, un geste que nous faisons pratiquement sans y penser, mais c’est un geste très profond : serrer la main. Quand je serre la main je mets en commun ce que j’ai avec toi – si l’on serre la main sincèrement – : je te donne la main, je te donne ce qui est à moi et tu me donnes ce qui est à toi. Et c’est quelque chose qui nous fait du bien à tous. Allons de l’avant avec la diversité, parce que les différences sont un défi mais nous font grandir. Et pensons que, chaque fois que je serre la main à quelqu’un, je donne quelque chose de moi et je reçois quelque chose de lui. Ceci aussi nous fait grandir. Voilà ce qui me vient comme réponse à la première question.

J’ai oublié quelque chose au sujet de la première question, mais je le dirais maintenant avec celle qu’a faite Serena. Serena me met en difficulté, parce que si je dis ce que je pense… Elle a peu parlé, trois ou quatre lignes, mais elle l’a dit avec force ! Serena a parlé au sujet d’une des choses les plus terribles qu’il y ait entre nous : la discrimination. C’est terrible ! « Tu n’es pas comme moi, tu vas là-bas et moi ici ». « Mais je voudrais faire le catéchisme … – Dans cette paroisse, non ! Cette paroisse est pour ceux qui se ressemblent, il n’y a pas de différences… ». Cette paroisse est bonne ou non ? [La salle : non!]. Que doit faire le curé ? ….. Se convertir ? Il est vrai que si tu veux faire ta communion, tu dois avoir une préparation ; et si tu ne comprends pas cette langue, par exemple si tu es sourd, tu dois avoir la possibilité dans cette paroisse de te préparer avec le langage des sourds. Voila, ceci est important ! Si tu es différent, tu as aussi la possibilité d’être le meilleur, c’est vrai. La différence ne dit pas que celui dont les cinq sens fonctionnent bien est meilleur que celui qui – par exemple – est sourd muet. Non ! Ce n’est pas vrai ! Tous nous avons la même possibilité de grandir, d’aller de l’avant, d’aimer le Seigneur, de faire de bonnes choses, de comprendre la doctrine chrétienne, et tous nous avons la même possibilité de recevoir les sacrements. Compris ? Quand il y a bien des années – cent ans, ou plus – le Pape Pie X disait qu’on devait donner la communion aux petits enfants, beaucoup se sont scandalisés. « Mais cet enfant ne comprend pas, il est différent, il ne comprend pas bien… ». « Donnez la communion aux petits enfants », a dit le pape, il a fait d’une différence une équivalence, parce qu’il savait que l’enfant comprend d’une autre manière. Quand il y a des différences entre nous, on comprend d’une autre manière. Même à l’école, dans notre quartier, chacun a sa richesse, il est différent, c’est comme s’il parlait dans une autre langue. Il est différent, parce que il s’exprime d’une manière différente. C’est un facteur de richesse. Ce qu’a dit Serena arrive bien souvent ; cela arrive bien souvent et c’est une des choses les plus terribles, les plus terribles de nos villes, de notre vie : la discrimination. Avec des paroles offensantes aussi. On ne peut pas être discriminé.

Chacun d’entre nous a une manière de connaître les choses qui est différente : l’un connaît d’une manière, un autre connaît d’une autre, mais tous peuvent connaître Dieu.

[Une petite fille s’approche du pape] Viens, viens…Elle est courageuse celle-là ! Viens… Celle-là n’a pas peur, elle prend un risque, elle sait que les différences sont une richesse ; elle prend un risque et elle nous a donné une leçon. Elle ne sera jamais discriminée, elle sait se défendre seule ! Voilà Serena, je ne sais pas si j’ai répondu à ta question. Dans la paroisse, à la Messe, dans les Sacrements, tous sont égaux, parce que tous ont le même Seigneur : Jésus, et la même maman, la Vierge Marie, Compris ?

 [Une autre petite fille s’approche] Viens, viens… Une autre courageuse.

Le père qui a parlé en premier a posé quelques questions qui sont liées à ce qu’a dit Serena : comment les accueillir tous. Mais si toi…. – je ne m’adresse pas à toi, parce que je sais que tu accueilles tout le monde – ; mais je pense à un curé qui n’accueille pas tout le monde: quel conseil donnerait le Pape ? « S’il te plait, ferme la porte de l’église ». Tous ou personne… « Mais non – pensons à ce prêtre qui se défend – Mais non, Père, non, ce n’est pas ainsi ; je comprends tout le monde, mais je ne peux pas les accueillir tous parce que tous ne sont pas capables de comprendre… » – « C’est toi qui n’est pas capable de comprendre ! ». Ce que doit faire le prêtre, aidé des laïcs, des catéchistes, beaucoup de monde, c’est aider tout le monde à comprendre : à comprendre la foi, à comprendre l’amour, à comprendre comment être amis, à comprendre les différences, à comprendre comment les choses sont complémentaires, l’un peut donner une chose et l’autre peut en donner une autre. C’est cela aider et comprendre. Tu as utilisé deux belles paroles : accueillir et écouter. Accueillir c’est à dire recevoir tout le monde, tout le monde. Et écouter tout le monde. Je vous dis une chose, je crois qu’aujourd’hui dans la pastorale de l’Église on fait beaucoup de belles choses, beaucoup de bonnes choses : dans le catéchisme, dans la liturgie, dans la charité, avec les malades… beaucoup de bonnes choses. Mais il y a une chose qu’on doit faire en plus, même les prêtres, même les laïcs, mais surtout les prêtres doivent faire en plus : l’apostolat de l’oreille : écouter ! « Mais Père, c’est ennuyeux d’écouter, parce que ce sont toujours les mêmes histoires, les mêmes choses… » – « Mais ce ne sont pas les mêmes personnes, et le Seigneur est dans le cœur de chacune des personnes, et tu dois avoir la patience d’écouter ». Accueillir et écouter. Tous. Je crois qu’avec ceci j’ai répondu aux questions.

J’avais préparé pour vous un discours, le préfet [de la Maison Pontificale] vous le remettra pour qu’il soit connu de tous. Parce que lire un discours est aussi un peu ennuyeux… C’est un moment, quand quelqu’un lit un discours, pendant lequel, avec une certaine fourberie, on commence à regarder sa montre, comme pour dire : « Mais quand finira-t-il de parler, celui-là ? ». Donc le discours vous le lirez vous-mêmes.

Je vous remercie beaucoup pour ce dialogue, pour cette visite, pour cette beauté des différences qui font une communauté : de l’un à l’autre et vice versa, et tout le monde fait l’unité de l’Église. Merci beaucoup et priez pour moi.

[Un petit enfant s’approche] Viens, viens toi aussi…

Maintenant, restez assis tranquillement, et comme de bons enfants prions notre Maman, la Vierge Marie. Tous ensemble prions la Vierge Marie. Je vous salue, Marie

[Bénédiction]

S’il vous plaît priez pour moi. Merci.

© Libreria Editrice Vaticana - 2016

Comprendre le Coran

Une autre culture…

Selon la tradition musulmane, le mois de Ramadan qui vient de s’ouvrir serait celui au cours duquel le Coran a été transmis à Mohammed.

Comment le Coran a-t-il été « révélé » ?

Le mot Coran viendrait du terme syriaque queryâna, désignant la lecture faite au cours d’un office religieux. « Il contient à la fois les notions de lecture, récitation, proclamation, prêche, annonce et même connaissance et mémorisation », note l’islamologue Ghaleb Bencheikh (Le Coran, Éd. Eyrolles, 2009). Pour les musulmans, il est « le Livre », copie d’un archétype consigné au ciel – « Umm al Kitab », la mère du Livre – sur « une table gardée » (sourate 85, verset 21). Il est surtout le dernier rappel qui clôt la révélation entamée avec Abraham.

La tradition musulmane rapporte que, vers l’âge de 40 ans (soit en 610 ap. J.-C.), Mohammed, qui avait pris l’habitude de se retirer chaque année dans une grotte au sommet du mont Hirâ, près de La Mecque, en reçut la révélation apportée par l’ange Gabriel. Pour certains, la « descente » (tanzîl en arabe) du Coran se serait faite en une seule fois, pendant la nuit du destin. « Le Coran a été révélé durant le mois de Ramadan. C’est une direction pour les hommes ; une manifestation claire de la direction et de la loi », indique le verset 185 de la sourate II (trad. Denise Masson). Pour d’autres, cette révélation s’est faite par bribes, entre 612 et 632, se mêlant donc à l’histoire du prophète Mohammed et à celle de sa communauté.

En tout état de cause, la grande majorité des musulmans considère que le Coran est « incréé ». Pour mieux signifier qu’il ne peut en être l’auteur, Mohammed est volontiers présenté comme illettré. En raison de son origine divine et miraculeuse pour les musulmans, ce livre est aussi réputé « inimitable », « intraduisible », et avoir été transmis dans une « langue arabe claire ».

Comment se présente-t-il ?

Du vivant du Prophète, ses compagnons ont essayé de réunir par écrit et sur divers matériaux des extraits de sa prédication. Après sa mort en 632 et la disparition de ceux qui l’avaient apprise par cœur, le troisième calife, Othman, fixe vers 650 ce qui deviendra la version officielle. Les autres Codex en circulation auraient alors été détruits. Il semble en réalité qu’il ait fallu du temps pour que les recueils non officiels cessent de circuler.

Les textes sont classés en 114 sourates (et 6 236 versets), organisés par ordre décroissant de longueur. La première – Al Fâtiha, « l’ouvrante » – est une prière de louange et de demande adressée à Dieu. « Tous les musulmans la connaissent par cœur et la récitent pendant la prière rituelle et dans les grandes circonstances de la vie personnelle et communautaire », indique Colette Hamza, xavière, directrice adjointe du Service national des relations avec les musulmans de la Conférence des évêques.

Les sourates provenant de la prédication de Mohammed à La Mecque sont plutôt disposées à la fin du livre, alors que celles proclamées à Médine – après qu’il a été chassé de La Mecque – viennent en premier.

Sur les 6 236 versets, 228 sont considérés comme ayant une connotation juridique, portant sur le droit de la famille, le droit civil ou le droit pénal. « Les versets dits normatifs ou prescriptifs sont beaucoup moins nombreux que les versets à visée narrative, informative ou exhortative », note Ghaleb Bencheikh, qui les a classés par thème : ceux ayant trait à la foi (imân) – les plus nombreux –, au culte (islâm), au « bel-agir et à la mystique » (ihsân), ou encore au rapport que doit entretenir l’homme au monde.

Comment est-il lu et commenté ?

D’une manière générale, et en signe du respect qui lui est porté, le Coran est souvent mis à la place d’honneur dans la maison, et il n’est pas consulté sans précaution. « Il a également une place centrale dans le cœur des croyants qu’il a pénétré dès l’enfance de ses rythmes et de ses injonctions », écrivait Mgr Pierre Claverie, l’ancien évêque d’Oran, assassiné en 1996 (Petite introduction à l’islam, Éd. du Cerf). Marquant par là leur attachement à leur livre, de nombreux musulmans récitent, psalmodient, ou écoutent le Coran.

Il existe ensuite de nombreuses manières de lire le texte : des plus littérales aux plus mystiques. Très tôt, des commentateurs se sont donné pour mission d’éclairer le sens des passages obscurs, pour certains en se fondant sur les « hadîth », ces récits censés avoir été recueillis de la bouche des premiers compagnons du Prophète et rapportant soit ses propres commentaires, soit des épisodes de sa vie. Au fil des siècles, le commentaire du Coran (tafsîr) s’est imposé en islam comme une science, sans qu’il fasse encore droit aux sciences humaines, et notamment à la lecture historico-critique du texte.

« La Révélation n’est pas un discours didactique, scolaire, de Dieu qui s’adresse aux hommes en leur disant : voilà qui je suis, avec une liste de ce que je demande et commande, de ce que je fais, etc. », affirme, quant à lui, l’historien Rachid Benzine dans Le Coran expliqué aux jeunes (éd. du Seuil). « Elle est beaucoup plus obscure, plus subtile, plus riche, et demande à être lue, relue, scrutée, interprétée… pour être comprise. » En particulier, et concernant les versets juridiques, ce spécialiste de l’herméneutique coranique rappelle qu’« on ne peut pas toucher au texte, (…) le réécrire ou encore le réduire (en supprimant les versets qui nous posent question). Mais nous pouvons changer la lecture que nous en faisons. »

Quelles difficultés pour le dialogue islamo-chrétien ?

Les conceptions chrétienne et musulmane de la révélation sont très différentes. Pour le chrétien, Dieu s’est révélé dans la personne de son fils Jésus-Christ – ce dont témoignent les Évangiles. Pour le musulman, en revanche, la révélation est « comme enclose dans cette parole divine qu’est le Coran », écrivait Mgr Pierre Claverie.

« Il juge les Écritures et l’Évangile à partir de sa conception de la révélation et de son expression coranique. Dès lors, toute différence est, pour lui, falsification de textes et il en voit la confirmation dans le fait que les chrétiens ont quatre évangiles différents (…). Ils reprochent aux chrétiens de se contenter de ces textes et de ne pas reconnaître leur racine et leur achèvement dans le Coran. (…) Il faut donc que chaque communauté retrouve dans ses textes sacrés la Présence dont ils sont l’écho humain. »

Anne-Bénédicte Hoffner

© La Croix – 2016

Commentaire des lectures du dimanche

Pour vous, qui suis-je ?

Ce qui est important dans le texte d’aujourd’hui, ce n’est pas la réponse de Pierre, mais la parole de Jésus : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les Anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour il ressuscite. »

Le Christ sera vainqueur mais ce ne sera pas une victoire de guerrier, une victoire du plus fort, de celui qui a le plus de moyens, mais une victoire de l’amour. Le Dieu qui vient parmi nous est un Dieu qui aime jusqu’au bout et qui est prêt à subir les conséquences de son engagement. « Celui qui veut sauver sa vie, la perdra; mais celui qui perdra sa vie pour moi, la sauvera. » Voici le paradoxe. Ce qu’il y a de plus important, c’est d’aimer, et l’amour n’est pas bon marché, il coûte cher.

Pierre réprimande Jésus en lui disant qu’il ne peut pas souffrir comme un criminel condamné à mort. Et Jésus lui répond : « Tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu mais celles des hommes ! » Le Christ sera un messie qui aime les gens, qui partage leur douleur, qui passe sa vie à faire du bien, à guérir, à pardonner, à réintégrer dans la société ceux et celles qui sont mis de côté. Et parce qu’il fait cela, avec un amour qui va jusqu’au bout, il devra souffrir, être rejeté et condamné.

Le règne de Dieu sera fondé sur l’amour et non sur la force. Et le Christ ajoute qu’il en sera ainsi, non seulement pour lui, mais pour chacun et chacune d’entre nous : « Si quelqu’un veut venir derrière moi, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. »

Le Christ veut nous donner un cœur nouveau, un esprit nouveau, un idéal nouveau, une vie nouvelle : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai. Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai votre cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois. » (Ézéchiel 36, 25-27)

Pour suivre le Christ, les disciples doivent accepter le mystère de la croix, aussi bien dans la vie de Jésus que dans leur propre vie. Si nous vivons avec amour, la croix fera partie de notre quotidien… Aucun projet valable ne peut réussir sans que nous soyons prêts à en payer le prix, à sacrifier quelque chose pour y arriver :

-  Ceci est vrai lorsque nous acceptons de nous engager dans une relation d’amour ;

-  lorsque nous décidons de vivre une vie de famille accueillante ;

-  lorsque nous voulons poursuivre des études, ou faire carrière ;

-  lorsque nous acceptons d’être honnête en affaires, de respecter l’opinion des autres en politique et en religion ;

-  lorsque nous décidons de nous occuper de nos vieux parents ;

-  lorsque nous voulons partager une partie de nos biens avec les personnes qui en ont plus besoin que nous.

Tout geste d’amour comporte un oubli de soi qui permet de partager avec les autres. La croix n’est pas un principe de résignation, mais un désir véritable d’aimer. La croix devient ainsi un instrument de transformation, de fraternité, de partage, de joie, de réconciliation.

Quelle est la croix que je pourrais porter par amour cette semaine ?

-  Si ça fait des mois, des années que je ne parle plus à telle personne, je rechercherai activement la réconciliation ;

-  Si j’ai un problème d’alcoolisme, je le reconnaîtrai et chercherai de l’aide ;

-  Si j’ai l’habitude de démolir les autres par des remarques désobligeantes, je maîtriserai sa langue ;

-  Si j’ai tendance à ne penser qu’à moi, je prendrai le temps de visiter quelqu’un qui souffre de solitude ;

-              Etc., etc.

Le Christ n’a pas voulu la croix, il a voulu l’amour. Il a voulu un monde meilleur, une religion qui respecte les personnes qui prend parti pour les rejetés de la société (prostituées, publicains, samaritains, lépreux, malades…). Parce qu’il a choisi cette option, on l’a condamné.

« Celui ou celle qui veut me suivre, qu’il ou qu’elle prenne sa croix et se mette au service de l’amour. »

Le Christ nous pose la question aujourd’hui : pour vous, qui suis-je? Plus nous saurons qui est le Christ, plus nous comprendrons ce qui le motive... et plus nous serons en mesure de le suivre et de l’imiter.

© Cursillo.ca – 2016