Pko 14.08.2016
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°45/2016
Dimanche 14 août 2016 – XXème Dimanche du Temps ordinaire – Année C
Humeurs…
« Des situations iniques… »
Nous avions déjà parlé, il y a trois mois, de situations « kafkaïennes » liées à la nouvelle loi sur le R.S.T. Aujourd’hui, on réfléchit, on prépare un aménagement pour la loi… En attendant, les personnes se retrouvent dans des situations de plus en plus complexes… et souvent dramatiques !
Les courriers en recommandés avec accusés de réception pleuvent… « Refus définitifs… vous serez affilié au régime des non salariés à compter du… » !
Ainsi une personne qui a perdu son travail se voit refuser le R.S.T au prétexte qu’elle a dépassé le plafond des revenus l’an dernier… Non seulement cette personne a bien payé ses cotisations sur son salaire l’an dernier mais aujourd’hui elle doit payer un RNS pour le même revenu !!! En attendant pas de couverture santé… : « Attends pour être malade la nouvelle loi » qui espérons-le sera rétroactive !!!
Une autre personne vivant sur les cartons à la rue, reçoit lui aussi un courrier lui stipulant « Refus définitif… il apparaît que les informations transmises ne permettent pas d’évaluer votre situation familiale et financière en 2015 et 2016… vous serez affilié au régime des non salariés à compter du… »… pas même de demande de justification au préalable… la Commission semble avoir oublié qu’elle ne traite pas un N° D.N. mais bien une personne, une famille !
Tel autre, à qui l’on n’a jamais souhaité un anniversaire, se voit elle aussi inscrite d’office au R.N.S. parce qu’elle n’a pas fait son renouvellement à la date fixée qui est celle de son anniversaire !!! Il eut été trop simple de laisser la règle d’une date fixe dans l’année pour toutes les personnes ! La réalité humaine, l’illettrisme, l’analphabétisme sont des réalités abstraites pour nos décideurs !
Voilà certainement celle qui fait partie des perles. Il y a quelques mois, une personne incarcérée à Nuutania depuis 2010, reçoit une lettre recommandée avec accusé de réception pour lui signifier : « Affiliation d’office au régime des non salariés pour défaut de dépôt de la demande de renouvellement d’admission au régime de solidarité territoriale »…
En cette période de rentrée scolaire, nous n’osons imaginer le nombre d’allocations familiales non versées parce que le dossier R.S.T. est bloqué !
Si les autorités nous disent : « J’ai pleinement conscience des situations iniques générées par ce texte… » où « Nous sommes parfaitement conscients des faiblesses de la loi actuelle » il n’en demeure pas moins qu’en attendant la révision de la loi par les juristes et politiques, de plus en plus de personnes sont dans des situations dramatiques et inextricables. Peu s’en faut pour revenir à la situation pré-RST, avant 1990, où les personnes sans revenus devaient aller quémander un « certificat d’indigence » dans leur commune !
Lorsque l’on se plante… on assume ses responsabilités. Si nous comprenons parfaitement que l’on ne peut changer une loi en deux coups de cuillère à pot… il n’en demeure pas moins qu’il reste toujours la possibilité de suspendre l’application d’une loi ou tout au moins des éléments de celle-ci « aux conséquences iniques » dans l’attente de sa révision.
La solidarité n’est pas une faveur que l’on fait à des indigents mais un droit dû par la société au nom de la dignité de l’homme.
L’Église catholique termine son livre de loi par : « Ces dispositions seront appliquées, en observant l’équité…, sans perdre de vue le salut des âmes qui doit toujours être dans l’Église la loi suprême ».
Peut-être que notre société civile pourrait s’en inspirer !
Chronique de la roue qui tourne
Aller aux périphéries
« Suivre Jésus signifie apprendre à sortir de nous-mêmes pour aller à la rencontre des autres, pour aller vers les périphéries de l’existence, faire le premier pas vers nos frères et nos sœurs, en particulier ceux qui sont le plus éloignés, ceux qui sont oubliés, ceux qui ont le plus besoin de compréhension, de réconfort, d’aide. Il y a tant besoin d’apporter la présence vivante de Jésus miséricordieux et riche d’amour ! » Le Pape François
Quelle belle exhortation du Pape François ! Être chrétien au-delà des murs de l’église. Être chrétien au dehors de notre rendez-vous hebdomadaire du dimanche matin. Être chrétien à temps complet.
Mais, aller aux périphéries, c’est pouvoir trouver assez de courage pour voir le monde tel qu’il est, loin souvent de notre vision étriquée et idéaliste.
Aller aux périphéries, c’est pouvoir prendre conscience de notre confort et avoir assez d’audace pour en sortir.
Aller aux périphéries, c’est pouvoir s’asseoir sur un trottoir sale parce qu’un frère y dort.
Aller aux périphéries, c’est pouvoir se tenir aux côtés de nos amies péripatéticiennes et affronter le regard des autres avec elles.
Aller aux périphéries, c’est pouvoir reconnaitre que certains font encore aujourd’hui les poubelles pour calmer la faim qui les tenaille.
Aller aux périphéries, c’est pouvoir être là pour celui qui souffre et savoir « n’être qu’une » simple présence dans un désespoir.
Aller aux périphéries, c’est pouvoir trouver les mots devant cette violence sourde qui irradie notre quotidien.
Aller aux périphéries, c’est pouvoir croire en un avenir meilleur pour celui qui regarde l’horizon à travers les barreaux d’une prison.
Aller aux périphéries, c’est pouvoir assurer à tous une place dans la société.
Aller aux périphéries, c’est gommer toutes les raisons qui nous éloignaient des autres !
La chaise masquée
© Nathalie SH – P.K.0 – 2016
Jeux olympiques
En marge de l’actualité du mercredi 10 août 2016
Depuis quelques jours, les Jeux Olympiques de Rio captivent des millions de personnes de par le monde. Cet événement sportif était à l’origine l’occasion d’une trêve entre les peuples, les performances sportives remplaçant pour un temps les exploits de guerre. Malgré les polémiques sur l’aspect financier de ces jeux, sur les « effets collatéraux » que subissent les populations les plus pauvres des pays où se déroulent les J.O., il n’est pas sans intérêt de considérer les valeurs sportives à la lumière de l’Évangile et plus largement, de la Parole de Dieu.
La pratique du sport permet de cultiver le goût de l’effort, de la persévérance, elle pousse au dépassement de soi pour arriver à de meilleures performances. Le moteur d’un tel effort n’est pas d’agir selon ses envies, mais d’arriver à un but. Cela demande du temps, de l’entrainement, car on ne devient pas champion du jour au lendemain. Cela exige bien des sacrifices librement consentis, qui n’ont de sens que parce qu’ils sont ordonnés à ce but. N’est-ce pas ce que nous sommes appelés à vivre dans notre vie Chrétienne ? Le chemin vers la sainteté à la suite du Christ demande aussi efforts, renoncements, sacrifices, mais qui n’ont de sens que si le but est clair, devenir de vrais disciples du Christ. Cela demande de l’entrainement, de la patience, de la persévérance. St Paul écrit en 1 Co 9, 25 : « Tout athlète se prive de tout ; mais eux, c'est pour obtenir une couronne périssable, nous une impérissable. Et c'est bien ainsi que je cours, moi ».
La pratique du sport va de pair avec le respect du corps. Alcool, gloutonnerie, drogues, paresse ne font pas bon ménage avec la recherche de l’exploit sportif. Les athlètes savent ce qu’ils imposent à leur corps pour une condition physique optimale. N’est-ce pas ce même respect que nous devons chacun à notre corps, appelé à l’immortalité, temple de l’Esprit Saint, en nous souvenant que le Fils de Dieu lui-même a pris corps dans le sein de la Vierge Marie ? Même si nous ne cherchons pas l’exploit sportif, même si nous sommes affaiblis par l’âge, même si notre corps est marqué par le handicap, souvenons-nous que ce corps ressuscitera un jour !
La pratique du sport et de la compétition exige souvent l’esprit d’équipe. Chacun des participants doit avoir en vue l’ensemble de son équipe pour gagner. L’individualisme dans une équipe est fatal dans bien des sports. L’équipe établit des stratégies que tous doivent appliquer en concertation. N’en est-il pas de même dans nos communautés Chrétiennes ? À la suite du Christ, chacun est invité à se sentir solidaire des autres. C’est ensemble que nous avons à avancer, et non en « francs-tireurs » !
La pratique du sport implique le respect de l’adversaire pendant les compétitions, et le respect des règles du jeu. Tricherie et dopage n’ont pas leur place. Certes, il y a à terme un vainqueur et un perdant, mais l’esprit sportif, le « fair-play » est essentiel si l’on veut respecter l’esprit de la compétition. Cette attitude doit être aussi la nôtre dans le dialogue avec ceux qui ne partagent pas nos idées, nos convictions, notre Foi. Agir avec la pensée d’humilier, d’écraser, d’anéantir l’adversaire ne serait pas conforme avec l’esprit de l’ÉÉvangile. Le respect de l’adversaire ne saurait être à option !
« Ne savez-vous pas que, dans les courses du stade, tous courent, mais un seul obtient le prix ? Courez donc de manière à le remporter. » (1 Co 9, 24) Accueillons cette invitation de l’Apôtre Paul, soyons des « sportifs de Dieu »… et ne boudons pas notre plaisir à vibrer avec les sportifs de Rio !
+ R.P. Jean Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete – 2016
La parole aux sans paroles – 48
Portrait de femme : Brenda
« C’est ça, la vie que tu veux ? » Cette phrase de Père Christophe provoqua un déclic chez Brenda. Aujourd’hui, en 2ème année de Licence de Reo Tahiti, cette jeune femme raconte son parcours. De la rue à l’université, en passant par une enfance ballotée et quelques vols, Brenda se dévoile, en toute sincérité et avec courage. Aujourd’hui, elle est un modèle de réussite et, par la même, nous impose de revoir nos idées reçues sur les gens de la rue.
D’où viens-tu ?
« Je suis de Tipaerui, c’est là-bas que j’ai grandi avec mes grands-parents. Mes parents étaient séparés et chacun avait refait sa vie. Donc, ma petite sœur et moi avons grandi avec mes grands-parents, du côté de ma maman. »
Et comment a été ton enfance ? C’était dur de grandir loin de ses parents ?
« C’était dur les jours de fête et les jours d’anniversaire. À Noël, par exemple, mes parents n’étaient jamais là. J’avais du mal à voir mes parents. Heureusement, mes grands-parents nous aimaient beaucoup parce que c’était dur, on n’arrêtait pas de jongler entre les deux familles. Pendant les vacances, au lieu que ça soit ma maman qui vienne me chercher, c’était mes grands-parents, côté papa, ou ma marraine, la sœur de mon papa. C’était dur de passer d’une famille à l’autre parce que ce n’était pas du tout pareil. Du côté de ma maman, on vivait de l’agriculture, c’était notre seule rentrée d’argent. Avec mes grands-parents, il fallait suer pour avoir de l’argent. Moi, j’allais vendre dans le quartier. C’était comme ça. Et j’aimais cette vie-là. Au moins, j’ai appris ce que c’est de gagner son pain et j’ai vu par où maman et sa famille étaient passées. Du côté de mon papa, c’était plus libre ! »
Et ton école ?
« J’ai fait mon primaire à Viénot et j’ai continué à Pomare. Je sais que, pour mon école, c’était la petite sœur de ma maman qui prenait tout à charge. Elle me suivait aussi pour mes devoirs, comme elle avait eu son C.A.P. comptabilité. Et je peux te dire qu’elle était très sévère. Quand je revenais de l’école, je devais d’abord faire le travail de la maison, le ménage, la vaisselle, la cour. Ensuite, j’aidais à faire la cuisine. Et après seulement, je faisais mes devoirs. Parfois, je pouvais rester des heures et des heures, je pouvais terminer à minuit. Mais j’ai eu une bonne scolarité. »
Comment es-tu arrivée à la rue ?
« J’étais en 4ème à Pomare, on m’a fait redoubler pour mieux assimiler. Après, j’ai obtenu mon certificat. Mais, à ce moment-là, j’étais très rebelle. J’ai fait une bêtise, j’ai fugué de la maison. Et, de là, on m’a ramené chez ma maman à Paea. J’ai fait une autre 4ème là-bas, à Tiapa. Mais, là-bas, ça ne s’est pas amélioré, ça s’est empiré ! Parce que là-bas tout le monde était dans la drogue et l’alcool. Après, je suis revenue chez mes grands-parents. J’ai fait un C.A.P. à Anne-Marie Javouhey. Et j’ai connu quelqu’un de la rue. C’est comme ça que je suis arrivée dans la rue. Et, en plus, j’avais une cousine qui vivait déjà dans la rue. Elle tripait dans la rue. C’est elle qui, en premier, m’a proposé d’aller avec elle. Et là, je venais d’avoir mes 16 ans. Mais avec mon copain, ça n’allait pas. Il ne faisait que de me taper. Il y avait beaucoup d’alcool et de drogue. On volait pour avoir tout ça. On s’est séparé, je n’en pouvais plus. Je suis restée avec quelqu’un de Faaa. C’est cette personne-là qui m’a aidée à changer. C’est lui qui m’a dit qu’il fallait mieux que je travaille pour avoir de l’argent à moi ! Il m’a dit que je pouvais changer. Alors, j’ai travaillé. Je suis restée avec lui 10 ans, je me suis même mariée. Mais les deux dernières années ont été difficiles. J’ai demandé le divorce. Je suis revenue dans la rue. J’ai revu mon 1er copain. On s’est remis ensemble. Je pensais qu’il avait changé. Non, ce n’était pas mieux ! Il était protecteur mais il ne tenait pas l’alcool. L’alcool le changeait. Je me suis rendue compte que j’étais juste revenue à la case départ, alors que je m’étais promise de m’en sortir ! »
Mais tu as repris tes études ? Raconte-nous comment.
« Je squattais à Te Vaiete. Avec mes amis, on avait pris l’habitude de boire. On buvait, on buvait, on ne faisait que ça. Dès que tu te réveilles, tu bois. C’était ça ma vie. Un jour, Père m’a demandé : "C’est ça la vie que tu veux ? Tu penses arriver jusqu’à 50 ans comme ça ?" Ça m’a fait un déclic. Quand j’ai regardé autour de moi, tout le monde buvait. Et je me suis dit : "Je peux faire mieux !" Un jour, je suis allée voir Père pour lui dire que je voulais reprendre mes études. Je savais que ça allait me faire du bien ! Je n’étais pas un génie intellectuel mais je voulais voir jusqu’où je pouvais aller. J’ai préparé mon D.A.E.U., des cours du soir. »
Es-tu encore dans la rue à ce moment-là ?
« Oui, et comme à cette époque, il y avait les CEPIA. Donc, je travaillais en journée et je rattrapais le bus pour arriver à mes cours à 18h. »
Et tu revenais dormir dans la rue ?
« Oui ! Et quand j’avais des devoirs à faire, je cherchais des spots où il y avait de la lumière. À Vaiete, il y a tout le temps de la lumière. Donc, j’allais là-bas faire mes devoirs. »
J’imagine que ce n’était pas simple ?
« Non, c’était très dur, c’était fatiguant, j’ai eu parfois envie de lâcher ! Surtout que mes amis ne comprenaient pas pourquoi je n’allais plus boire avec eux. Parfois, quand j’avais le nez dans mes bouquins, ils m’appelaient pour aller boire. Et quand je refusais, ils s’énervaient. Ils disaient : "Tu ne peux pas changer. Tu es voleuse, tu resteras voleuse !" Et je répondais : "Si tu crois ça, oti hoa ia." C’était très dur de réviser dans ces conditions. Je me rappelle que j’avais 8 livres à lire, avec les fiches techniques à faire ! Ia ! J’ai ça, les cours à réviser, les devoirs à faire et mon travail pendant la journée. C’était très dur à tenir ! Mais comme c’était un défi que je m’étais lancée à moi-même. C’était important pour moi de réussir ça ! Tapea te paari ! J’ai passé mon D.A.E.U. mais je l’ai raté la première année. Je l’ai repassé et je l’ai eu. Tu n’as pas envie de tourner le dos à tes amis mais tu es obligé. Il fallait que j’avance, il fallait que je m’en sorte. Ce n’était pas facile ! Ça me faisait mal quand ils disaient que j’avais changé. »
Mais tu as continué.
« J’étais tellement bien dans mes études, ça m’a plu ! »
Et qu’as-tu choisi de faire ?
« J’aime tout ce qui touche à la culture. J’aime les légendes. J’aime notre langue. Donc j’ai choisi de faire une licence de Reo Maohi. Mais je ne te cache pas que j’ai un peu honte, ça fait la 4ème fois que je repasse ma 2ème année. Et à chaque fois, c’est le français qui me fait défaut. Et pourtant, ma 1ère année s’est bien passée. Je ne comprends pas pourquoi là ça ne passe pas ! Parfois, j’ai envie de lâcher pour aller travailler et avoir un peu d’argent. Mais non ! Je suis une battante, j’irais jusqu’au bout ! »
Pour faire professeur de Tahitien ?
« Non, je ne suis pas trop attirée par la profession d’enseignant. Mais je ne sais pas encore très bien ce que je veux faire. Je ne me suis pas encore bien posée. Mais mon premier objectif, c’est ma licence. Après, je verrais ! »
Mais, dis-moi, aujourd’hui, tu n’es plus à la rue ?
« Non ! Je suis chez ma grand-mère, à Tipaerui. J’habite là-bas avec mon copain. Si tu veux, ma maman a acheté un terrain sur Papara. Donc, normalement, on devrait descendre sur Papara. Là, pour l’instant je garde ma grand-mère. Comme en 2013, j’ai perdu mon grand-père. Il fallait quelqu’un pour s’occuper de ma grand-mère. Voilà le deal ! Mais comme la maison est familiale, il y a parfois des conflits, des jalousies. Et, quand c’est comme ça, je regrette la rue. Tu vois, la vie dans la rue, c’est cool, pas de stress. Surtout aujourd’hui où il y a beaucoup d’aides. De mon temps, on n’avait pas tout ça ! »
Justement, le plus dur dans la rue pour toi ?
« C’est quand tu n’as rien et que tu sais que tu seras obligée d’aller voler. Bon, sur le coup, tu ne te rends pas compte. Tu es heureuse d’avoir ce que tu voulais. Et quand il n’y plus rien, rebelote, tu retournes voler. Mais après, tu réfléchis et tu te dis que tu aurais pu aller travailler. »
Et tu n’as jamais eu de problèmes lors de tes vols ?
« Ah si ! Et après, tu te dis : "Quand on te vole, tu réagis mal. Ben, c’est exactement ce qui se passe." Tu sais ce que ça fait. Alors, tu regrettes mais, je ne sais pas, ça ne dure pas longtemps ! (Rires) »
Un beau souvenir de la rue ?
« C’est mon premier Noël à Te Vaiete ! En 1996. On était une bande "d’anciens de la rue". Et, on nous a offert un pantalon jean, un sweat à capuche et une serviette. Alors que, nous, quand on voulait du linge, on allait voler. Parfois, Père arrivait avec un sac de linge, déposé par quelqu’un, et on prenait ce qui nous allait. À l’époque, on n’allait pas encore la Croix Rouge. Et là on nous offrait du linge ! On était fier ! On a tous mis le pantalon et le sweat. On était tous habillé de la même façon. (Rires) »
Si tu pouvais changer une chose à ta vie…
« Alors là ! Je ne me suis pas vraiment posée la question. Surtout qu’elle n’est pas simple cette question ! Mais si je pouvais changer ma vie, je voudrais bien un travail, une maison et une vie de famille heureuse. Voilà, c’est tout ce qui compte pour moi. »
Un dernier message ?
« C’est de dire à tous les SDF qu’on peut tous changer, on peut tous s’en sortir. Il n’est jamais trop tard pour prendre un bon chemin. Il ne faut pas rester dans la rue. Il faut lâcher à un moment donné la rue. Ce n’est pas facile et je m’en rends compte, il faut vraiment avoir de la volonté et du courage pour y arriver. Je ne me plains pas de l’enfance que j’ai eue, bien au contraire, je suis devenue débrouillarde. »
© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016
Jésus veut nous faire passer de la mort à la vie
Audience générale du mercredi 10 août 2016
Lors de l’audience générale de ce mercredi 10 août 2016, le Pape François a repris sa série de catéchèses sur la miséricorde, en cette Année jubilaire. Pour cette 25e méditation, le Pape est revenu sur la résurrection du fils de la veuve de Naïm. Un épisode raconté au chapitre 7 de l’Évangile de saint Luc. Le Pape a expliqué que c’est la douleur de cette maman qui a provoqué cette miracle, car Jésus s’était ému de la douleur de cette femme, qui avait perdu son mari et qui devait maintenant affronter la mort de son fils
Chers frères et sœurs, bonjour !
Le passage de l’Évangile de Luc que nous avons écouté (7,11-17) nous présente un miracle de Jésus vraiment grandiose : la résurrection d’un jeune garçon. Et pourtant, le cœur de ce récit n’est pas le miracle, mais la tendresse de Jésus pour la maman de ce jeune garçon. La miséricorde prend ici le nom d’une grande compassion envers une femme qui avait perdu son mari et qui maintenant accompagne son fils unique au cimetière. C’est cette grande douleur d’une maman qui émeut Jésus et le provoque à faire le miracle de la résurrection.
Dans l’introduction de cet épisode, l’évangéliste s’attarde sur de nombreux détails. À la porte de la petite ville de Naïn, un village, deux groupes nombreux venant de directions opposées et n’ayant rien en commun se rencontrent. Jésus, suivi par ses disciples et par une grande foule, s’apprête à entrer dans la bourgade tandis qu’en sort le triste cortège qui accompagne un défunt, avec sa mère veuve et beaucoup de monde. Près de la porte, les deux groupes s’effleurent seulement chacun empruntant sa route, mais c’est alors que saint Luc fait observer les sentiments de Jésus : « Voyant celle-ci, le Seigneur fut saisi de compassion pour elle et lui dit : “Ne pleure pas.” Il s’approcha et toucha le cercueil ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : “Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi.” » (vv. 13-14). Une grande compassion guide les actions de Jésus : c’est lui qui ferme le cortège, touchant le cercueil et, ému d’une profonde miséricorde pour cette mère, il décide d’affronter la mort, pour ainsi dire, en tête à tête. Et il l’affrontera définitivement, en tête à tête, sur la Croix.
Pendant ce Jubilé, ce serait une bonne chose qu’en passant la Porte sainte, la Porte de la miséricorde, les pèlerins se souviennent de cet épisode de l’Évangile, qui s’est produit à la porte de Naïn. Quand Jésus vit cette mère en larmes, elle est entrée dans son cœur ! À la Porte sainte, chacun arrive en apportant sa propre vie, avec ses joies et ses souffrances, ses projets et ses échecs, ses doutes et ses craintes, pour la présenter à la miséricorde du Seigneur. Nous sommes certains que, près de la Porte sainte, le Seigneur se fait proche pour rencontrer chacun de nous, pour apporter et offrir sa parole consolatrice puissante : « Ne pleure pas ! » (v. 13). C’est la Porte de la rencontre entre la douleur de l’humanité et la compassion de Dieu. En franchissant le seuil, nous accomplissons notre pèlerinage dans la miséricorde de Dieu qui redit à tous, comme au jeune garçon mort : « Je te l’ordonne, lève-toi ! » (v.14). À chacun de nous, il ordonne : « Lève-toi ! ». Dieu nous veut debout. Il nous a créés pour être debout : c’est pourquoi la compassion de Jésus pousse à ce geste de guérison, à nous guérir, dont la parole clé est : « Lève-toi ! Mets-toi debout, tel que Dieu t’a créé ! ». Debout. « Mais Père, nous tombons si souvent ! – Avance, lève-toi ! » C’est la parole de Jésus, toujours. En passant la Porte sainte, cherchons à entendre dans notre cœur cette parole : « Lève-toi ! ». La parole puissante de Jésus peut nous faire nous relever et réaliser en nous aussi le passage de la mort à la vie. Sa parole nous fait revivre, nous donne l’espérance, fortifie les cœurs fatigués, ouvre à une vision du monde et de la vie qui va au-delà de la souffrance et de la mort. Sur la Porte sainte est gravé pour chacun l’inépuisable trésor de la miséricorde de Dieu.
Rejoint par la parole de Jésus, « le mort se redressa et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère » (v. 15). Cette phrase est très belle : elle indique la tendresse de Jésus : « Jésus le rendit à sa mère ». La mère retrouve son fils. En le recevant des mains de Jésus, elle devient mère une seconde fois, mais ce fils qui lui est rendu maintenant, ce n’est pas d’elle qu’il a reçu la vie. La mère et le fils reçoivent ainsi leur identité respective grâce à la parole puissante de Jésus et à son geste plein d’amour. Ainsi, spécialement pendant le Jubilé, l’Église mère reçoit ses enfants, reconnaissant en eux la vie donnée par la grâce de Dieu. C’est en vertu de cette grâce, la grâce du baptême, que l’Église devient mère et que chacun de nous devient son enfant.
Devant le jeune garçon revenu à la vie et rendu à sa mère, « La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu en disant : “Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple.” » (v.16). Ce que Jésus a fait n’est donc pas seulement une action de salut destinée à la veuve et à son fils, ou un geste de bonté limité à cette petite ville. Dans le secours miséricordieux de Jésus, Dieu va à la rencontre de son peuple, en lui apparaît et continuera d’apparaître à l’humanité toute la grâce de Dieu. En célébrant ce Jubilé, dont j’ai voulu qu’il soit vécu dans toutes les Églises particulières, c’est-à-dire dans toutes les Églises du monde, et pas seulement à Rome, c’est comme si toute l’Église répandue dans le monde s’unissait dans un unique chant de louange au Seigneur.
Aujourd’hui encore l’Église reconnaît qu’elle est visitée par Dieu. C’est pourquoi, en nous approchant de la Porte de la miséricorde, chacun sait qu’il s’approche de la porte du cœur miséricordieux de Jésus : c’est lui, en effet, la vraie Porte qui conduit au salut et qui nous rend à une vie nouvelle. La miséricorde, en Jésus comme en nous-mêmes, est un chemin qui part du cœur pour arriver aux mains. Qu’est-ce que cela signifie ? Jésus te regarde, te guérit avec sa miséricorde et te dit : « Lève-toi ! » et ton cœur est neuf. Que signifie effectuer un chemin du cœur aux mains ? Cela signifie qu’avec un cœur nouveau, le cœur guéri par Jésus, je peux accomplir les œuvres de miséricorde à travers mes mains, en cherchant à aider, à soigner tous ceux qui en ont besoin. La miséricorde est un chemin qui part du cœur et arrive aux mains, c’est-à-dire aux œuvres de miséricorde.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Religion et violence : ce que l’on oublie de dire
Entretien avec Laurent Stalla-Bourdillon, Directeur du Service pastoral d’études politiques
Pour pouvoir préciser les rapports que peuvent entretenir les religions et la violence, et pour dépasser les simplifications enfantines, il est nécessaire de bien voir d’abord ce qu’est l’être humain doué de foi et de raison. Alors seulement, devient-il possible de comprendre le mécanisme qui associe « la violence et le sacré » et d’y répondre de manière adulte. L'analyse du père Laurent Stalla-Bourdillon, recteur de la Basilique Sainte-Clotilde (Paris) et directeur du Service pastoral d’études politiques (SPEP).
Les journaux n’ont pas manqué de relever et de commenter les propos du pape François de retour des JMJ de Cracovie, le 31 juillet 2016 : « Je n'aime pas parler de violence islamique, parce qu'en feuilletant les journaux je vois tous les jours que des violences, même en Italie, (...). Si je parle de violence islamique, je dois parler de violence catholique. Non, les musulmans ne sont pas tous violents, les catholiques ne sont pas tous violents. (…) Je crois que ce n'est pas juste d'identifier l'islam avec la violence, ce n'est pas juste et ce n'est pas vrai. » Nul ne connaît précisément son degré d’expertise en islamologie, et tant pis pour ceux qui s’imaginait que François serait le pourfendeur de l’Islam, de ses mœurs, de sa doctrine… François ne cède pas au relativisme, sa remarque porte tout simplement sur une autre réalité.
Si nous entendons correctement les propos du Pape, il ne serait pas juste d’identifier une religion – quelle qu’elle soit – avec la violence. François s’inscrit ici à rebours de ce que nous entendons souvent : « Les religions sont intrinsèquement source de violence ». Naturellement des doctrines religieuses peuvent être attentatoires à la dignité humaine, elles ne sont probablement pas à mettre de facto sur le même plan, nous y reviendrons. Mais pour François, il est essentiel de comprendre que la violence est d’abord le fait de l’homme avant même toute adhésion à une doctrine religieuse.
C’est toujours à partir de l’engagement d’une liberté humaine qu’une doctrine génère selon l’interprétation qu’on en fait, plus ou moins, peu ou pas de violence. Avant d’incriminer la doctrine religieuse, il faut regarder ce qu’il y a dans l’homme ! Si le Pape dit qu’il y a chez les catholiques aussi des fanatiques, c’est bien que – pour lui – la source de la violence n’est pas contenue dans le corpus de doctrines chrétiennes, mais dans l’homme lui-même. C’est d’abord le cœur de l’homme qui est malade, son intelligence blessée, et la religion peut devenir alors pour certains, le révélateur de cette violence déjà là. Le Pape a ainsi voulu dire qu’il sera toujours plus facile de défausser sa propre violence sur des doctrines religieuses, pour s’affranchir de la regarder au plus profond de soi-même.
Chacun est libre de lire ce qu’il veut, mais chacun est aussi responsable de ce qu’il décide de croire.
Il reste certainement vrai que les religions servent d’alibi à cette violence en nous. Cela est d’autant plus regrettable que ces violents attribuent à la « parole de Dieu » la légitimité de leur violence, une violence qui est en eux et non d’abord dans leur livre. À quel type nouveau d’éducation devons-nous réfléchir qui puisse intégrer la dimension violente de l’homme ? Qu’on le veuille ou non, l’homme ne vient pas au monde indemne du mal. Hélas, il saura en faire sans qu’on le lui apprenne. Nous le savons tous, mais nous feignons de croire que l’on pourra éduquer des jeunes sans les aider à nommer les puissances, les désirs, les élans qui sont en eux. Comment avons-nous pu concevoir un système éducatif muet sur les aspirations de l’âme, sur ses tensions contradictoires ?
Si un « livre » (religieux ou pas) devait entraîner à la haine, une sagesse collective devrait aussitôt interroger sa crédibilité et son autorité. Chacun est libre de lire ce qu’il veut, mais chacun est aussi responsable de ce qu’il décide de croire. Nous consentons trop facilement à ce que les religions soient vues comme des « contraintes à ne plus penser par soi », à ne plus questionner, à croire sans discernement. Toute la faute incomberait aux religions.
Or, tout croyant authentique donne librement son consentement. À qui décide-t-il de faire confiance ? En vue de quoi s’engage-t-il ? Ce sont là des questions qu’il serait heureux que nous apprenions à nous poser. Nous verrions alors que toute personne se forge ses propres doctrines personnelles. Ces conceptions subjectives que nous nous faisons sont sans doute très éloignées du sens authentique des doctrines. Et ainsi nous comprenons ces remarques de « défense des religions » comme « ce n’est pas cela le véritable islam, ou le vrai christianisme, ou le vrai hindouisme… », que nous retrouverions pour toutes religions. Les terroristes auraient donc conçu une version dégénérée de la vraie doctrine. Qui dira alors le « vrai » dans cette affaire ?
La vérité qui devrait nous intéresser n’est pas d’abord celle des doctrines dans un jeu de concurrence, mais celle de l’homme ! Qu’est-ce que la vérité sur l’homme ? C’est à cette unique question qu’entend répondre la foi en la personne du Christ. C’est en révélant l’homme à lui-même, que le Christ établit l’homme en face de Dieu, son Créateur et Père. L’Homme est né de Dieu et appelé à vivre en « fils de Dieu ». Aussi obscure que soit cette parole, elle énonce une vocation, un chemin d’accès à une identité qui nous échappait jusqu’alors. Il y a là quelque chose qui n’est pas le produit de l’homme, mais qui le rejoint par révélation et l’élève aussitôt qu’il le conçoit.
Les documents normatifs des religions, les textes dits « révélés », « inspirés », ou « commentaires autorisés », sont toujours sujets à interprétation. L’instance de réception dans le croyant, reste toujours sa liberté. S’il est vrai que nous sommes appelés à découvrir la vérité du sens ultime de nos vies, cet appel fonde notre liberté. La lecture des livres religieux n’enclenche pas automatique des actions qui y sont prescrites, à moins que nous soyons en présence d’un homme-machine qui réponde à un programme, comme nous essayons ou rêvons de les concevoir aujourd’hui. Nous devrions avoir un peu moins peur de nous familiariser avec les notions religieuses, afin de pouvoir mieux en discuter librement. Nous devrions faire davantage confiance à la capacité de notre conscience de rejeter le faux, de discerner le vrai.
« Moins de religion » ne signifie pas moins de violence. « Plus de religion » non plus.
Après ce regard sur l’homme lui-même comme première source de violence, revenons aux religions en tant que telles. Des doctrines peuvent être cause de violence, s’il est vrai qu’elles contiennent un message contraire à la dignité de la personne, à l’unité de l’unique famille humaine,…
Des religions visent-elles à obtenir sous la contrainte une confession de foi verbale ? On s’interroge. Si tel est le cas, il faut dénoncer une triste conception anthropologique et théologique, et redire que c’est à partir de sa seule liberté que Dieu appelle l’homme à lui exprimer sa gratitude. Qui pourrait croire un « merci » ou un « je t’aime » prononcés sous la contrainte ? S’il devait apparaître qu’une simple confession verbale envers Dieu, indifférente à la liberté de conscience soit le signe de la foi, la preuve serait faite que ce « dieu » ne connaît pas l’homme et est sans intérêt pour l’homme.
« Moins de religion » ne signifie pas moins de violence. « Plus de religion » non plus. La question est ailleurs : la violence est dans l’exercice contrarié de notre liberté faussement certaine d’avoir atteint la vérité. Nous n’aurons rien à craindre d’une ébullition du sentiment religieux si nous savons dans le même temps, travailler ensemble et avec la raison à la recherche de la vérité. Nous aurons tout à craindre si l’ignorance religieuse déjà répandue se doublait de la démission de l’effort de raison.
Il serait essentiel aujourd’hui que notre société se penche sur les mécanismes de la croyance, constitutifs de l’humain. Plutôt que de se battre pour savoir lequel des « livres » serait supérieur aux autres, sans plus réfléchir… il serait davantage pertinent de travailler sur les aptitudes du cœur et de l’intelligence communes à tous, à discerner la vérité et ses modes d’expression dans l’histoire.
Ce travail est urgent parce que vital. C’est le travail de la raison à mener de l’école à l’Assemblée. Dans l’errance de croyances privées de raison, l’homme meurt. De même, il étouffe sous le poids d’une raison enfermée sur elle-même. La raison sauve la foi en précisant les critères d’une confiance qui humanise, et la foi fait rayonner sur la raison humaine, la lumière de l’humilité requise pour s’ouvrir, découvrir et s’unir à la Raison divine.
Jean Paul II débutait son encyclique Foi et Raison par ces mots : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité. » De ce point de vue, notre société ressemble à un avion qui aurait éteint ses deux réacteurs, celui de la foi et celui de la raison, ne sachant plus s’il est pertinent de s’élever vers une hypothétique vérité. La crise actuelle est donc plus philosophique que religieuse. Mais c’est à la lumière des convulsions religieuses – de fanatisme, d’athéisme, de consumérisme – que nous la percevons aujourd’hui le plus clairement.
© La Vie - 2016
Commentaire des lectures du dimanche
« Je ne suis pas venu mettre la paix, mais la division »
Nous voici bien loin du « bon Jésus » des images pieuses d’autrefois. Ici, c'est le Jésus cause de scandale, « pierre d'achoppement » (Rm 9,33), le Jésus qui provoque, qui invite à faire des choix : « Heureux celui pour qui je ne serai pas cause de scandale » (Lc 7,23). Je ne suis pas venu apporter la paix, mais la division, la dissension et la guerre.
C’est un texte étrange. Étrange pour nous qui sommes habitués à nous représenter Jésus entouré d’une auréole de douceur et de bonté qui frôle la mièvrerie.
En fait, c'est bien la paix que Jésus apporte, mais pas la paix du monde, pas la paix facile. « C’est ma paix que je vous donne, mais je ne vous la donne pas comme le monde la donne » (Jn 14,27). Il existe des paix trompeuses, des sécurités dangereuses, qui endorment, qui sont construites sur des compromis, qui ne font que masquer les vrais problèmes. Les prophètes, avant Jésus, avaient dénoncé ces fausses paix sans exigence morale et religieuse : « Du plus petit au plus grand, tous sont avides de vols et de rapines ; prophètes comme prêtres, tous ils pratiquent le mensonge. Ils pansent à la légère la blessure de mon peuple en disant : “Paix ! Paix !” Alors qu’il n’y a point de paix ». (Jér 6, 13-14)
« Je ne suis pas venu établir la paix mais la division », dit le Christ. Avec son message, il provoque la division en nous-mêmes d’abord, mais aussi à l’intérieur de nos familles, dans notre ambiance de travail, dans notre cercle d’amis, dans nos relations humaines.
Aujourd'hui, même à l’intérieur de nos familles, nous pouvons remarquer la lucidité prophétique de ces paroles de Jésus : « Mes enfants ont rejeté toute pratique religieuse... ne veulent pas se marier... Ils refusent le baptême de leurs enfants... » Quelle est la famille chrétienne à l'abri de ces conflits, annoncés par Jésus ? Nous sommes alors tentés de nous culpabiliser ou d'accuser les autres : c’est la faute de l'Église... c’est la faute des éducateurs... c’est ma faute à moi : si j'avais fait ceci, si j’avais fait cela...
Si nous croyons que ce problème est nouveau, nous oublions de jeter un coup d’œil sur l’histoire. Déjà Michée, huit cents ans avant Jésus-Christ, avait décrit l'insurrection des enfants contre les parents comme une plaie de son temps : « Le fils insulte le père, la fille se dresse contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère. Chacun a pour ennemi les gens de sa maison » (Michée 7,6). Et nous retrouvons les mêmes plaintes dans la littérature grecque et romaine.
Jésus a dit à la foule : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » (Lc 14,26). Il ne s’agit pas de renier sa famille, mais d’accorder la priorité à la parole de Dieu… et cela causera toujours des conflits.
Que de fois nous sommes confrontés à une situation qui nous oblige à choisir entre la fidélité à la parole de Dieu et les directives de la famille, des amis, de notre pays.
La parole de Dieu nous invite continuellement à remettre en question nos traditions, nos façons de faire, notre vie de tous les jours, car ces traditions et ces façons de faire vont souvent à l’encontre des préceptes de Jésus.
Je pense aux parents qui essaient d’inculquer à leurs enfants certaines valeurs chrétiennes. Très vite, ils sont accusés de ne pas vivre dans le vrai monde, de refuser de laisser leurs enfants faire comme les autres.
Et les personnes qui s’appuient sur leur foi, qui continuent à avoir confiance en Dieu, qui participent aux eucharisties du dimanche. Leurs propres enfants les accusent souvent de vivre au Moyen Âge.
Et ceux qui veulent vivre les valeurs chrétiennes au travail, en politique, sur la place publique, ils sont vite ramenés à l’ordre. « La religion est chose privée. Elle n’a pas sa place dans le domaine public ».
Le Christ n’accepte pas tout, il ne tolère pas tout. Comme le texte d’aujourd’hui nous le montre, il est au contraire très exigeant. S’il avait été aussi tolérant qu’on veut bien le croire, il serait mort de vieillesse.
La paix véritable ne peut être obtenue facilement. Il y a un prix à payer : « Désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois; ils se diviseront: le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle?mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »
Il n’est pas facile de vivre les valeurs du christianisme dans un monde où l’argent, la carrière, la liberté individuelle, le « way of life », le patriotisme, la raison du plus fort règnent en maître. Qui aura le courage de vivre selon les règles du Royaume de Dieu et de participer à la construction d’un monde de justice, de paix, de fraternité et de compassion ?
En réfléchissant sur la paix du Christ, reviennent à l’esprit les magnifiques prophéties d'Isaïe, qui nous invitent à la paix, à la justice et à la fraternité : « De leurs épées, ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances, des faucilles. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on ne s'entraînera plus pour la guerre » (Is 2)...
« Le loup habitera avec l'agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l'ourse auront même pâturage, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf mangera du fourrage. Le nourrisson s'amusera sur le nid du cobra, sur le trou de la vipère l'enfant étendra la main. Il ne se fera plus rien de mauvais ni de corrompu sur ma montagne sainte » (Is 11).
Vivre pour établir cette paix véritable créera toujours des conflits et des divisions. « Je ne suis pas venu mettre la paix mais la division »
© Cursillo