Pko 10.04.2016
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°22/2016
Dimanche 10 avril 2016 –3ème Dimanche de Pâques – Année C
Humeurs
Un monument de Miséricorde
« L’autre jour, en parlant avec les dirigeants d’une association d’aide, de charité, a émergé cette idée, et j’ai pensé : “Je l’exprimerai sur la Place [Saint Pierre], le samedi”. Qu’il serait beau que comme souvenir, disons, comme un “monument” de cette Année de la Miséricorde, il y ait dans chaque diocèse une œuvre, sous la forme d’une structure de miséricorde : un hôpital, une maison pour les personnes âgées, pour les enfants abandonnés, une école là où il n’y en a pas, une maison pour récupérer les toxicomanes… Tant de choses qu’on peut faire… Il serait beau que chaque diocèse y pense : que puis-je laisser comme souvenir vivant, comme œuvre de miséricorde vivante, comme plaie de Jésus vivant à l’occasion de cette Année de la Miséricorde ? Pensons-y et parlons-en avec les Évêques. Merci ! » C’est ainsi que le Pape François a conclu son homélie lors de la veillée de prières à la Divine Miséricorde samedi 2 avril.
Quel « Monument » de Miséricorde pourrions-nous élever chez nous ?
Du côté de la Cathédrale, deux idées ont émergé autour des actions de l’Église en Polynésie auprès des marginaux et des plus démunies. Un « Truck de la Miséricorde » et de nouveaux locaux pour l’Accueil Te Vai-ete… ouvrant de nouveaux services aux personnes à la rue.
- Un « Truck de la Miséricorde » : Ceci est déjà pratiquement acquis… puisque depuis quelques mois a germé l’idée d’une pastorale de rue la nuit. Aller à la rencontre de nos frères et sœurs de la nuit pour leur offrir la possibilité de dépistage gratuit, d’une collation et surtout d’écoute, de présence, de partage… Aller ainsi « à la périphérie » témoigner de la Miséricorde. Être là ou Dieu est présent et où nous sommes encore absents !
Ce « monument » de la Miséricorde est déjà en bonne voie. En effet, nous avons déjà le véhicule, gracieusement offert. Une fois les différentes démarches administratives accomplies, nous allons l’aménager… Il nous reste aujourd’hui à l’habiller extérieurement… Nous voudrions qu’il rayonne de la lumière de la Miséricorde rien qu’en le regardant, en le voyant arrivé et qu’il nous rappelle que la Miséricorde ce n’est pas une année… mais toujours… Alors avis aux artistes, aux « designers »…
- Un nouveau local pour l’Accueil Te Vai-ete : Ce point d’eau, cette oasis au cœur de notre cité pour nos frères et sœurs qui ont des difficultés à trouver leur place au cœur de notre société, a aujourd’hui 21 ans. Situé dans les locaux de la Mairie, grâce à la bienveillance de Mme Louise Carlson, alors Maire de Papeete… nous devons envisager aujourd’hui de trouver un autre lieu… un peu plus spacieux… dans la perspective de pouvoir ouvrir le soir, et ainsi de permettre à nos amis de la rue de prendre une douche dans des conditions descentes… l’idéal : « un bail emphytéotique » ou au moins pour trente ans à 1000 xfp par an !!! Qui ne demande rien… n’a rien !
Enfin, d’ores et déjà, nous vous invitons à réserver votre dimanche 4 septembre pour le « Jubilé des opérateurs et bénévoles de la miséricorde » que nous célèbrerons à la Cathédrale. D’ici-là peut-être auront nous mis en œuvre nos « Monuments de la Miséricorde » voulu par notre Saint-Père le Pape François !
Chronique de la roue qui tourne
Quand l’infiniment petit crée l’immensément grand
« Nous menons notre vie quotidienne sans presque rien comprendre au monde qui est le nôtre » Stephen Hawking
Les étoiles et l’univers m’ont toujours fascinée. J’ai toujours voulu connaître l’infiniment grand. Les constellations, les galaxies, le cosmos… Et une amie qui a toujours su titiller ma curiosité, m’a conseillé un jour de lire Stephen Hawking, un physicien théoricien et cosmologiste britannique. Au-delà de son explication du bing bang, il développait une idée forte intéressante : l’immensément grand qui ne pouvait exister sans l’infiniment petit. Sur le coup, quelle déception ! Ce que j’admirais n’était composé que de matières visibles qu’au microscope ! Le grand n’était qu’une somme de petits. En clair, pour admirer l’immense, il fallait baisser la tête et contempler la poussière. Quel échec ! Or, mes yeux étaient attirés vers le ciel et non vers le sol. Et puis, l’âge de raison passa par là et cette affirmation si décevante devint magnifique. C’est l’insignifiant qui crée l’évolution. C’est le petit qui fait le grand. Voilà la vérité, la vérité d’une merveille, la vérité de l’humilité, la vérité de la vie.
Comme si la vie devait s’admirer à la loupe… et voir ainsi le futile devenir essentiel ! Allez, amusez-vous, pensez à chaque chose « digne » d’admiration et recherchez l’origine, la base de tout. Cette théorie s’applique partout ! Le monde ne trouve-t-il pas son origine dans un simple élan d’amour ? Ne sommes-nous pas fait de cellules microscopiques et ne dépendons-nous d’un petit souffle ? Notre Salut ne repose-t-il pas sur un petit enfant ?
Alors, aujourd’hui, en rentrant chez nous, prenons un moment pour regarder ces ombres de la nuit qui habillent nos trottoirs, ces petits riens qu’on dédaigne si facilement. Considérés comme le petit caillou dans notre chaussure alors qu’elles sont la pierre qui manque à l’édifice de notre humanité. C’est juste un défaut de perception et de savoir-faire !
La chaise masquée
La parole aux sans paroles – 30
Portrait de bénévole : Dominique
La vie de Dominique a toujours été faite de partages. Il s’est construit grâce à ses amis « les compagnons » qui, d’une région à une autre, lui apprenaient chacun un métier. Devenu aujourd’hui professeur en finition bâtiment, il souhaite, le temps de son séjour à Tahiti, partager avec les plus démunis.
Depuis quand, pourquoi et comment es-tu devenu bénévole à Te Vaiete ?
« Je suis bénévole depuis 2 ans maintenant parce que je pense que, lorsqu’on a du temps, c’est une bonne chose de rendre service autour de soi. Ça fait aussi partie de mon fonctionnement depuis très très longtemps. Donc, un bénévole, Pascal, m’a parlé de Te Vaiete. Je me suis dit : tiens, en voilà une bonne idée pour occuper les matinées qui sont disponibles ! Aller donner de son temps, rendre service, préparer à manger. Et puis, c’est agréable, il y a une bonne ambiance, c’est sympa. Je viens le lundi car c’est un temps de préparation de cours pour moi. Donc mon lundi est disponible. En ce moment, je travaille l’après-midi. »
Qu’est-ce que ça t’apporte ?
« Alors, déjà, ça m’apporte de faire des rencontres. Ça, c’est une première chose. Ça m’apporte, personnellement, le plaisir que je peux avoir à rendre service. Et puis de voir les sans domicile fixe me sourire, dire merci, ça fait du bien ! C’est agréable ! Ça suffit comme récompense. C’est une belle récompense. Du coup, je prends autant de plaisir à venir ici. Te Vaiete, c’est un peu égoïste. Tu penses donner mais tu reçois beaucoup plus. »
La plus belle chose qui t’est arrivée à Te Vaiete ?
« Tous les lundis, je viens, je fais à peu près la même chose. Mais mon meilleur moment est un peu particulier. Au Noël de l’année dernière, on a pris le temps avec une douzaine de SDF, pour les 20 ans de Te Vaiete, de repeindre entièrement les locaux, d’installer des planches pour éviter d’abîmer les murs. On a passé une semaine complète à manger ensemble le midi et à travailler du matin au soir. Ça, ça m’a permis de les découvrir beaucoup plus que le lundi matin lorsque je suis à la cuisine parce qu’il a fallu qu’on partage des outils, il a fallu qu’on partage des techniques, il a fallu qu’on fasse connaissance ! Ça reste vraiment un moment pour moi. De plus, comme c’était pour les 20 ans de Te Vaiete, ils étaient très motivés. Donc tout s’est bien passé. Quand tu te contentes de les croiser de la rue, quand tu te contentes de les regarder sans rien partager avec eux, même pas un mot, tu peux te dire qu’ils ne font aucun effort pour trouver un travail et sortir de leur condition. Avec ce petit moment de travail passé avec eux, je me suis rendu compte que ce n’était pas ça du tout. Ils sont, au contraire, très travailleurs, ils n’arrêtaient pas. Et si, effectivement, ils sont dans cette situation, pour moi ce n’est pas par choix, contrairement à ce que certaines personnes disent. Je pense vraiment qu’ils seraient mieux hors de la rue, dans une petite maison, tranquilles, à vivre normalement. Et suite à ce petit travail collectif, on a trouvé un patron qui a accepté de prendre Heifara dans son équipe. »
Le plus dur à Te Vaiete ?
« Le plus difficile à Te Vaiete, ça va être de trouver quelque chose de difficile ! (Rires) Parce que tous les moments, sans exception, que je passe ici sont agréables. Il n’y a pas de moments désagréables ici et je pense qu’il n’y en aura pas. Parce que, si effectivement, il aurait quelque chose qui se passait mal, je ne le prendrais pas pour moi. On est au-delà de ça. Donc je ne pense pas qu’il y aura de mauvais moments à Te Vaiete… c’est pour ça que je continue à venir d’ailleurs. (Rires) »
Ton premier jour à Te Vaiete ?
« Le premier jour, on ne sait pas trop ce qu’on doit faire, on est un petit peu perdu. Mais on a un bon guide spirituel mais aussi pour nous dire ce qu’il faut faire. Père Christophe te dit : "Tu prends ça, tu fais ça, tu casses les œufs, tu mélanges". Donc on est bien guidé ! Ce premier jour m’a permis de rencontrer beaucoup de SDF, de ceux que je connaissais, que je voyais dans la rue, à qui on donnait un gâteau de temps en temps. Ça a été une découverte car je ne pensais pas qu’il y en avait autant, je ne pensais pas trouver des Sans Domicile Fixe aussi jeunes, de jeunes adolescents. Ça m’a beaucoup surpris ! Le premier jour, c’était surtout ça. Au-delà de ça, faire la cuisine pour 35, ce n’est pas la même chose que faire la cuisine pour 2. (Rires) C’est plus compliqué ! Bon, on prépare de bonnes soupes ici, ils reviennent ! Et puis, comme je te l’avais dit, dans le compagnonnage on apprend, en faisant le tour de la France, des compétences chez différents artisans. On y apprend les techniques les plus fines de chaque métier. Du coup, à charge pour nous, lorsqu’on a fini le tour de France, de transmettre les compétences qu’on a, donc de donner à notre tour. Et ça continue, ici, à Te Vaiete. J’aime rendre service. Tout service qui m’est demandé, que ce soit par des gens que je connais ou que je ne connais pas, si je peux, je le fais. C’est un état d’esprit. Une fois que tu l’as, tu le gardes et tu fonctionnes comme ça. C’est comme un sourire, ça ne coûte rien et ça fait tellement plaisir ! »
© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016
Le Christ, commencement du temps de la miséricorde
Audience générale du mercredi 6 avril 2016 - pape François
Après avoir exploré, dans ses précédentes catéchèses, le thème de la miséricorde dans l’Ancien Testament, le Pape François a débuté une nouvelle série d’enseignements pour expliquer comme Jésus a porté cette miséricorde de Dieu « vers son plein accomplissement ». Pour cette première étape, il s’est appuyé sur l’Évangile de Matthieu, versets 13 à 17.
Chers frères et sœurs, bonjour !
Après avoir réfléchi sur la miséricorde de Dieu dans l’Ancien Testament, nous commençons aujourd’hui à méditer sur la façon dont Jésus l’a menée à son accomplissement. Une miséricorde qu’il a toujours exprimée, réalisée et communiquée, en tous moments de sa vie terrestre. En rencontrant les foules, en annonçant l’Évangile, en guérissant les malades, en s’approchant de ceux qui sont les derniers, en pardonnant aux pécheurs, Jésus rend visible un amour ouvert à tous : personne d’exclu ! Ouvert à tous sans limites. Un amour pur, gratuit et absolu. Un amour qui atteint son sommet dans le sacrifice de la croix. Oui, l’Évangile est vraiment l’« Évangile de la miséricorde », parce que Jésus est la miséricorde.
Les quatre Évangiles attestent que Jésus, avant d’entreprendre son ministère, a voulu recevoir le baptême de Jean-Baptiste (Mt 3,13-17 ; Mc 1,9-11 ; Lc 3,21-22 ; Jn 1,29-34). Cet événement imprime une orientation décisive à toute la mission du Christ. En effet, il ne s’est pas présenté au monde dans la splendeur du Temple ; il pouvait le faire. Il ne s’est pas fait annoncer au son de la trompette ; il pouvait le faire. Et il n’est pas non plus venu habillé en juge ; il pouvait le faire. Au contraire, après trente années de vie cachée à Nazareth, Jésus s’est rendu au bord du Jourdain, avec un grand nombre de ceux de son peuple, et il s’est mis dans la queue avec les pécheurs. Il n’a pas eu honte : il était là avec tout le monde, avec les pécheurs, pour se faire baptiser. Par conséquent, dès le début de son ministère, il s’est manifesté comme le Messie qui prend sur lui la condition humaine, poussé par la solidarité et la compassion. Comme il l’affirme lui-même dans la synagogue de Nazareth, en s’identifiant à la prophétie d’Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur » (Lc 4,18-19). Tout ce que Jésus a accompli après son baptême a été la réalisation du programme initial : apporter à tous l’amour de Dieu qui sauve. Jésus n’a pas apporté la haine, il n’a pas apporté l’inimitié : il nous a apporté l’amour ! Un amour grand, un cœur ouvert pour tous, pour nous tous ! Un amour qui sauve !
Il s’est fait proche des derniers, leur communiquant la miséricorde de Dieu qui est pardon, joie et vie nouvelle. Jésus, le Fils envoyé par le Père, est réellement le commencement du temps de la miséricorde pour toute l’humanité ! Ceux qui étaient présents sur la rive du Jourdain n’ont pas tout de suite compris la portée du geste de Jésus. Jean-Baptiste lui-même a été surpris de sa décision (cf. Mt 3,14). Mais le Père céleste, non ! Il a fait entendre sa voix d’en haut : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour » (Mc 1,11). Ainsi, le Père confirme le chemin que son Fils a emprunté en tant que Messie, tandis que descend sur lui l’Esprit-Saint, comme une colombe. Ainsi, le cœur de Jésus bat, pour ainsi dire, à l’unisson avec le cœur du Père et de l’Esprit, montrant à tous les hommes que le salut est le fruit de la miséricorde de Dieu.
Nous pouvons contempler encore plus clairement le grand mystère de cet amour en tournant notre regard vers Jésus crucifié. Alors qu’il va mourir innocent pour nous, pécheurs, il supplie le Père : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). C’est sur la croix que Jésus présente à la miséricorde du Père le péché du monde : le péché de tous, mes péchés, tes péchés, vos péchés. Et là, sur la croix, il les présente au Père. Et avec le péché du monde, tous nos péchés sont effacés. Rien ni personne ne demeure exclu de cette prière sacrificielle de Jésus. Cela signifie que nous ne devons pas craindre de nous reconnaître et de nous confesser pécheurs. Combien de fois disons-nous : « Mais celui-ci est un pécheur, il a fait ceci et cela… », et nous jugeons les autres. Et toi ? Chacun de nous devrait se demander : « Oui, il est pécheur. Et moi ? » Nous sommes tous pécheurs, mais nous sommes tous pardonnés : nous avons tous la possibilité de recevoir ce pardon qu’est la miséricorde de Dieu. Nous ne devons donc pas craindre de nous reconnaître pécheurs, de nous confesser pécheurs, parce que tous les péchés ont été portés par le Fils sur la croix. Et quand nous les confessons, repentis, en nous remettant à lui, nous sommes certains d’être pardonnés. Le sacrement de la réconciliation rend actuelle pour chacun la force du pardon qui jaillit de la croix et renouvelle dans notre vie la grâce de la miséricorde que Jésus nous a acquise ! Nous ne devons pas craindre nos misères : chacun de nous a les siennes. La puissance de l’amour du Crucifié ne connaît pas d’obstacles et ne s’épuise jamais. Et cette miséricorde efface nos misères.
Bien chers amis, en cette année jubilaire, demandons à Dieu la grâce de faire l’expérience de la puissance de l’Évangile : l’Évangile de la miséricorde qui transforme, qui fait entrer dans le cœur de Dieu, qui nous rend capables de pardonner et de regarder le monde avec davantage de bonté. Si nous accueillons l’Évangile du Crucifié ressuscité, toute notre vie est façonnée par la force de son amour qui renouvelle.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Les papous minoritaires en Papouasie
Unification des mouvements indépendantistes contre l‘Indonésie
Le président indonésien Joko Widodo, investi en octobre 2014, a été présenté comme un homme d’ouverture, un sentiment renforcé par la libération de deux journalistes français arrêtés en Papouasie. Mais leur accompagnateur papou, lui, risque la prison à vie, et son avocate est menacée de mort. Plus encourageante est la volonté de concorde entre les indépendantistes papous pour dénoncer les massacres.
C’est en arrivant à Londres que M. Octovianus Mote apprend que son ami John Wamu Haluk, responsable de l’une des plus grosses entreprises papoues, vient de décéder. La mort l’a fauché ce 13 novembre 2014 tandis qu’il venait de garer sa voiture dans un parking de Timika. Cette « ville western » de la côte sud de la Papouasie a surgi de terre avec la force d’un furoncle à mesure que le géant minier américain Freeport -McMoRan Copper & Gold Inc. arasait le mont Grasberg pour en extraire ses colossales richesses d’or et de cuivre. Malgré l’absence d’autopsie, M. Mote est formel : Haluk a été empoisonné. Un meurtre perpétré par le Badan Intelijen Negara (BIN), les services secrets indonésiens, connus pour leurs méthodes d’action aussi discrètes qu’efficaces.
Mains chaleureuses et figure avenante, M. Mote ne cache pas son désarroi en foulant le sol parisien pour rencontrer des organisations non gouvernementales (ONG) françaises : « En empoisonnant John Haluk, on me coupe les deux jambes. » L’homme n’était pas seulement son ami, il était aussi le soutien financier des principaux dirigeants papous réfugiés à l’étranger. « C’est grâce à lui que je pouvais mener ma mission : dénoncer toutes les exactions commises sur les populations par la police et les militaires indonésiens ; informer les médias sur ce génocide qui ronge la Papouasie depuis plus de cinquante ans. »
Génocide ? « En Papouasie, colonisée depuis 1969, les Papous sont aujourd’hui minoritaires sur leurs terres natales. Ils devraient représenter moins de 15 % de la population en 2030, contre 96 % en 1971 », précise M. Mote, ancien journaliste au Kompas.
Au sein du plus grand média indonésien de presse écrite, il pouvait parler de tout, sauf de la Papouasie, dont il était pourtant le responsable de bureau. Il a fallu attendre la chute de Suharto — et avec elle la fin de trente années de dictature (1967-1998) particulièrement sanglantes — pour que les Papous commencent enfin à espérer. Par le biais notamment de la fameuse « Tim 100 », l’équipe des cent représentants missionnés par le peuple papou pour demander l’indépendance au nouveau président en exercice : Jusuf Habibie (1998-1999). Intellectuel respecté, M. Mote en est l’un des promoteurs actifs.
Le Vanuatu menacé par Djakarta
Mais la parenthèse démocratique ouverte ensuite par le très modéré président Abdurrahman Wahid (1999-2001), surnommé « Gus Dur », est de courte durée. Mme Megawati Sukarnoputri (2001-2004), la fille de Sukarno, le président fondateur de l’Indonésie, lui succède. Avec en tête l’antienne paternelle qu’elle fait sienne avec rage : « Sans la Papouasie, l’Indonésie n’est pas complète. » Le « printemps papou » est réprimé dans le sang. Ses leaders sont emprisonnés quand ils ne sont pas assassinés, comme Theys Eluay, le dirigeant du présidium du Conseil de Papouasie, froidement abattu en novembre 2001 par les forces spéciales de l’armée de terre indonésienne (Kopassus). Ayant échappé à une tentative de meurtre, M. Mote se réfugie quant à lui aux États-Unis.
C’est avec un passeport américain qu’il aurait pu retourner en Papouasie dès 2011 pour participer à la conférence de paix organisée à Abepura (banlieue de Jayapura) par le pasteur Neles Tebay. Ce dernier coordonne le Réseau pour la paix en Papouasie. Cette organisation militant pour la non-violence et l’établissement d’un dialogue entre le gouvernement et les indépendantistes entend mettre en place une structure apte à négocier avec le pouvoir indonésien. Pour lui conférer sa légitimité, huit cents délégués papous ont élu cinq négociateurs, tous réfugiés à l’étranger : M. Mote et Mme Leonie Tanggahma, ainsi que MM. Benny Wenda, Rex Rumakiek et John Otto Ondawame. Ils ont l’avantage de parler plusieurs langues et d’avoir suivi de longues études. Des qualités rares désormais, les élites papoues ayant été décimées et leurs successeurs potentiels étouffés par un système scolaire indigent.
En l’absence de dialogue avec Djakarta, les négociateurs se doivent de trouver de nouveaux appuis, notamment auprès de leurs voisins les plus proches, leurs frères mélanésiens rassemblés au sein du Groupe mélanésien Fer de lance (GMFL). Cette organisation réunit le Vanuatu, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, Fidji et le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), mouvement politique indépendantiste de Nouvelle-Calédonie — soit la majorité de la population mélanésienne de l’Océanie insulaire. Pour les leaders papous, être acceptés par le GMFL donnerait l’assurance de se faire entendre dans des instances comme les Nations unies ou le Commonwealth, auxquels appartiennent certains membres du GMLF.
« Sans reconnaissance régionale, difficile d’espérer que notre cause puisse accéder à une reconnaissance internationale. Mais encore faut-il que nous autres, les Papous, puissions parler d’une seule voix face au GMFL pour qu’il accepte notre adhésion », rappelle M. Wenda, responsable de Free West Papua Campaign. Un pari difficile. Deux cent cinquante-trois groupes ethniques divisés en de nombreux mouvements politiques composent le peuple papou dans le pays. Sans compter le rôle de sape que joue l’Indonésie en sous-main. « Elle soutient les leaders qui nous divisent et assassine ceux qui nous unissent ! », s’exclame M. Mote. Le 4 septembre 2014, la crise cardiaque qui emporte Ondawame, principal organisateur d’une conférence qui, à Port-Vila (Vanuatu), devait débattre de la situation papoue devant le GMFL, provoque la consternation générale. La conférence est finalement reprogrammée.
Djakarta a menacé le Vanuatu de représailles s’il persistait à soutenir ce rassemblement mélanésien et l’indépendance de la Papouasie. Pour l’heure, ce petit État insulaire, membre des Nations unies depuis 1981, tient bon. Une constante dans la ligne politique établie par son fondateur Walter Lini (1942-1999), qui déclarait que son pays ne serait pas libre tant que la Mélanésie ne le serait pas. Et une fraternité de sang d’autant plus remarquable que le Vanuatu ne compte que deux cent cinquante mille habitants, contre deux cent cinquante millions d’Indonésiens.
À Port Moresby, la capitale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, soixante-dix dirigeants papous d’Indonésie ont été bloqués sans pouvoir se rendre à la conférence. « À cause de pressions indonésiennes, confie un diplomate. Militaires, économiques, politiques. Elles sont multiples, et s’exercent parfois avec la complicité de l’Australie, très proche de l’Indonésie sur un plan militaro-économique. Et il y a peu d’espoirs pour que les choses changent avec le nouveau président indonésien. » M. Joko Widodo, dit « Jokowi », avait pourtant fait des deux provinces papoues l’une de ses priorités de campagne.
Mais, pour M. Wenda, qui avait appelé les électeurs papous à boycotter l’élection présidentielle de juillet 2014, « Jokowi appartient au Parti démocratique indonésien de lutte (PDI-P), fondé par l’ancienne présidente Megawati Sukarnoputri. Il est tenu par l’élite traditionnelle en place depuis des décennies. Regardez Jusuf Kalla ! » Le comportement de ce dernier, nouveau vice-président, n’incite guère à l’optimisme. Dans le documentaire The Act of Killing (2012), de Joshua Oppenheimer, on voit M. Kalla s’adresser, en 2009, aux Jeunesses du Pancasila (Pemuda Pancasila), une organisation paramilitaire très impliquée dans le massacre anticommuniste de 1965.
« Comment espérer ? », s’interroge M. Wenda. « Même si l’on compte parmi les nouveaux ministres une femme papoue, Mme Yohana S. Yambise, chargée de la promotion des femmes et de la protection de l’enfance... », ironise-t-il. La ligne politique est sans ambiguïté concernant les postes-clés : le ministre de la défense, le général Ryamizard Ryacudu, un proche de Mme Megawati Sukarnoputri, est un ultranationaliste qui avait traité en héros les soldats de la Kopassus après l’assassinat du dirigeant indépendantiste Eluay. Le nouveau ministre de l’intérieur veut multiplier les provinces administratives en Papouasie (une dizaine sont déjà évoquées), pour densifier plus encore la bureaucratie indonésienne tout en divisant les populations papoues. Quant au ministre du développement des régions défavorisées et de la transmigration, il veut accélérer le programme de transmigration, condamnant les Papous à une inexorable et irréversible marginalisation. « S’il avait voulu jeter de l’huile sur le feu, il ne s’y serait pas pris autrement, souligne L. T., militante papoue. Jokowi est un homme de paille au service des militaires. Il vient d’ailleurs de renforcer leur nombre en Papouasie. »
On compte déjà un policier pour quatre-vingt-dix-neuf Papous (un pour deux cent quatre-vingt-seize dans le pays). Selon le président indonésien, ce serait pour prévenir les atteintes aux droits humains. « Mais, poursuit L. T., chacun sait que ces violations sont le fait des policiers et des militaires. » La toute récente nomination du très corrompu général Budi Gunawan à la tête de la police nationale fait couler beaucoup d’encre.
Certes, M. Widodo a fait libérer deux journalistes français, Thomas Dandois et Valentine Bourrat, arrêtés pour avoir enquêté en Papouasie sans autorisation. Faut-il y voir un signe d’ouverture ou, plus sûrement, l’occasion d’une notoriété internationale à peu de frais ? Mais qui parle aujourd’hui de M. Areki Wanimbo, inculpé de rébellion depuis sa rencontre avec les deux journalistes et menacé de prison à vie ? Qui se soucie de son avocate, Mme Anum Siregar, agressée, menacée de mort pour avoir contesté devant le tribunal la légalité de l’arrestation et de la détention de M. Wanimbo ? Depuis l’élargissement des deux journalistes en octobre 2014 (ils ont promis de se taire pour accélérer leur libération), la Papouasie a disparu des médias.
Pourtant, le 6 décembre 2014, la conférence de Port-Vila s’est finalement tenue et a abouti à un accord historique. Pour la première fois, les trois principaux groupes indépendantistes papous se sont rassemblés au sein d’une seule et nouvelle formation : le Mouvement uni pour la libération de la Papouasie occidentale (Mulpo), par l’intermédiaire duquel les Papous pourront déposer leur candidature d’adhésion au prochain sommet du GMFL (prévu cette année aux îles Salomon). « Vu la capacité de nuisance de l’Indonésie, il faut rester prudent », temporisent MM. Wenda et Mote, respectivement porte-parole et secrétaire général du Mulpo. Djakarta a en effet depuis 2012 un rôle d’observateur au sein du GMFL au titre de représentant des autres populations mélanésiennes — non papoues.
Cette présence indonésienne en dit long sur son emprise régionale. Comment expliquer par exemple que l’Organisation des Nations unies (ONU) se désintéresse du sort de la Papouasie mais place la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser (résolution du 7 mai 2013), rappelant au passage le « droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l’autodétermination et à l’indépendance » ? Les Polynésiens seraient-ils plus menacés que les Papous ? À moins que la France soit moins influente que l’Indonésie aux Nations unies. Ou que les États-Unis y défendent mieux les intérêts de leurs industries minières.
« Trop pauvres pour faire valoir nos droits »
Pour protéger sa rente en Papouasie, la multinationale Freeport-McMoRan n’avait pas hésité à embaucher l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger (1973-1977), membre fondateur de la puissante Commission trilatérale, une organisation non gouvernementale qui rassemble des personnalités parmi les plus influentes du monde, comme M. Jusuf Wanandi, politologue indonésien, politicien ultranationaliste et actuel vice-président de la région Asie-Pacifique au sein de la Commission.
« Il faut que l’ONU prenne ses responsabilités ; qu’elle défasse ce qui a été fait sans nous et contre nous, insiste M. Mote. En 1969, nous avons été obligés de voter, pistolet sur la tempe, notre intégration à l’Indonésie. Les Nations unies ont pris note ! Depuis, nous subissons les conséquences de ce que nombre de chercheurs appellent désormais un génocide au ralenti. Ne manque que l’argent pour faire reconnaître ces preuves devant la Cour pénale internationale. Nous vivons dans l’une des régions les plus riches du monde et nous sommes trop pauvres pour faire valoir nos droits ! »
Le 8 décembre 2014, un nouveau massacre ensanglante la région. Après qu’un véhicule militaire a failli faucher des enfants papous, des manifestations sont organisées ; la police et l’armée ouvrent le feu. Cinq jeunes sont tués. M. Widodo promet de faire toute la lumière sur cette affaire. Un mois plus tard, l’enquête, qui est toujours au point mort, est reléguée au second plan par le meurtre de deux policiers indonésiens retrouvés non loin de l’entreprise Freeport, dans des circonstances non encore élucidées. Plus d’une centaine de Papous sont aussitôt arrêtés, battus, et une douzaine de maisons incendiées. « Voilà la lumière qu’on nous promettait », murmure un Papou.
Philippe Pataud Célérier
Journaliste.
© Le Monde diplomatique - 2016
La Miséricorde, une foi en acte (ii)
Conférence de Carême de Mgr Jean-pierre Grallet, archevêque de Strasbourg
Au cours du mois de février 2016, Mgr Jean-Pierre Grallet, archevêque de Strasbourg, a donné dans plusieurs villes d’Alsace (Strasbourg, Mulhouse, Colmar et Marienthal) une conférence de Carême intitulée « La miséricorde, une foi en actes ». Une conférence pour vivre avec tous les chrétiens une double démarche, a-t-il expliqué, « reconnaître la miséricorde de Dieu, et lui répondre par des œuvres de miséricorde ». L’intervention de l’archevêque de Strasbourg était conçue en trois parties. La première sur la miséricorde depuis le concile Vatican II (de Jean XXIII au pape François), la deuxième sur la miséricorde au cœur de l’expérience biblique (de Moïse à Jésus-Christ), enfin la troisième sur la miséricorde, foi en actes, dans la vie de tous les jours.
II. La miséricorde, au cœur de l’expérience biblique
A. De Moïse aux prophètes
Dès le début de l’histoire biblique, Dieu se manifeste envers son peuple. Moïse en sera le témoin privilégié. Lorsque Dieu se révèle à lui, au buisson-ardent de l’Horeb, il lui dit : « j’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu sa clameur… je connais ses angoisses, je veux le délivrer… C’est pour cela, Moïse, que je t’envoie ! » (Ex 3, 7-9). Plus tard, au Sinaï, alors que le peuple est libéré de la servitude d’Égypte mais qu’il s’est détourné de Dieu pour idolâtrer un veau d’or, Dieu se révèle, à nouveau, à Moïse : « je suis le Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, abondant en miséricorde (Hesed, en hébreu) et en fidélité, gardant sa miséricorde jusqu’à la millième génération, supportant faute, transgression et péché, mais sans les innocenter, punissant la faute jusqu’à la troisième ou quatrième génération » (Ex 34, 6-7).
Ainsi, l’expérience de l’exode se révèle fondatrice d’une relation amoureuse, éducative et forte entre Dieu et son peuple. Celui-ci, à maintes occasions, va expérimenter la miséricorde que Dieu a pour lui. Dieu voit sa misère, entend sa plainte. Il se montre miséricordieux, patient et fidèle. Il ne retire pas sa miséricorde à l’homme, mais il l’avertit de son péché et le corrige, tel un père « qui aime bien et châtie bien », selon l’expression populaire que nous connaissons.
Dès lors, l’homme, conscient de son péché, peut se tourner, à nouveau, vers Dieu.
« Pitié pour moi, ô Dieu, en ta bonté, en ta grande miséricorde, efface mon péché ! » Ainsi commence le psaume 50, le célèbre miserere.
Dieu est pris de pitié quand l’homme se retourne vers lui, raconte le prophète Osée : « Mon peuple est malade de son infidélité, mon cœur en moi se retourne, toutes mes entrailles frémissent. Je ne donnerai pas cours à ma colère… car je suis Dieu et non pas homme. Au milieu de toi, je suis le saint et je ne me plais pas à détruire ! » (Osée 11, 7-9) C’est pourquoi, le psalmiste peut chanter avec reconnaissance : « Bénis le Seigneur ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits. Dieu fait œuvre de justice. Il fait droit aux opprimés… Il est miséricordieux et bienveillant, lent à la colère et plein de fidélité. Il n’est pas toujours en procès et ne garde pas rancune indéfiniment… Comme est la tendresse d’un père pour ses fils, tendre est Dieu pour qui le craint » (Ps 103).
B. Le Christ, visage de la miséricorde du Père
En parlant d’un Dieu tendre comme un père, le psaume 103 annonce la grande révélation que fera le Christ : Dieu est proche de vous. Dieu est votre père et vous êtes ses enfants. C’est pourquoi, quand vous priez, osez dire avec confiance : « Notre Père ! » Toute la prédication du Christ est là et tout, chez lui, exprime l’amour et la miséricorde. Ses premières paroles publiques à la synagogue de Nazareth, nous dit saint Luc, furent une citation du prophète Isaïe : « l’esprit du Seigneur est sur moi… Il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer la délivrance aux captifs, et rendre la vue aux aveugles » (Lc 4, 18).
C’est ce qu’il fait aussitôt, raconte l’évangéliste, en guérissant des malades, libérant des possédés, purifiant un lépreux, relevant un paralysé, fréquentant les pécheurs et invitant chacun à le suivre. « Beaucoup cherchaient à le toucher, car de lui sortait une force qui les guérissait tous » (Lc 6, 19). C’est alors que, selon saint Luc, le Christ leur annonce les béatitudes : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume des cieux est à vous. Heureux, vous qui avez faim, maintenant, car vous serez rassasiés » (Lc 6, 20-21). L’évangéliste Matthieu précise, lui, dans son récit (5, 7) : « Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde ».
Aussitôt après l’annonce des béatitudes, Luc cite l’appel de Jésus à dépasser le strict calcul du « donnant-donnant » : « je vous le dis, à vous qui m’écoutez : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous maltraitent… ». Annonçant la révolution de la miséricorde dont lui-même témoignera jusqu’à la croix, le Christ insiste « aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande et vous serez les fils du Très Haut, car il est bon, lui, (même) pour les ingrats et pour les méchants. Montrez-vous miséricordieux comme votre Père est miséricordieux », dit Jésus, en précisant aussitôt de quelle manière : « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés, donnez et on vous donnera. C’est une mesure tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans le pan de votre vêtement, car c’est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous » (Lc 6, 27-35).
Quelle leçon d’amour et de miséricorde, en paroles et en actes, donnée par Jésus au début de son ministère ! Quelle invitation à la générosité entre les hommes, comme est généreux Dieu envers tous ses enfants. Dieu donne, redonne et pardonne, sans se lasser, sans compter, nous invitant à faire de même.
C’est ce que le Christ révèle par tous ses actes et par ses nombreuses paraboles, de la drachme perdue à la brebis perdue, du fils prodigue au bon samaritain. Enfin, alors qu’on le met en croix, le Christ, nous dit saint Luc (23, 34) prononce cette impressionnante parole de miséricorde : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Oui, comme l’affirme le pape François, Jésus-Christ est bien « visage de la miséricorde du Père » !
© Urbi et orbi - 2016
Commentaire des lectures du dimanche
Chers frères et sœurs !
C’est une joie pour moi de célébrer l’Eucharistie avec vous dans cette basilique. Je salue l’Archiprêtre, le Cardinal James Harvey, et je le remercie pour les paroles qu’il m’a adressées ; je salue et remercie également les différentes institutions qui font partie de cette basilique, ainsi que vous tous. Nous sommes sur la tombe de saint Paul, un humble et grand apôtre du Seigneur, qui l’a annoncé par la parole, lui a rendu témoignage par le martyre et l’a adoré de tout son cœur. Voilà justement les trois verbes sur lesquels je voudrais réfléchir à la lumière de la Parole de Dieu que nous avons écoutée : annoncer, témoigner, adorer.
1. Dans la première lecture, la force de Pierre et des autres apôtres impressionne. À l’injonction de se taire, de ne plus enseigner au nom de Jésus, de ne plus annoncer son message, ils répondent avec clarté : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». Et le fait d’être flagellés, de subir des outrages et d’être emprisonnés ne les freine pas non plus. Pierre et les apôtres annoncent avec courage, en toute vérité, ce qu’ils ont reçu, l’Évangile de Jésus. Et nous ? Sommes-nous capables de porter la Parole de Dieu dans nos milieux de vie ? Savons-nous parler du Christ, de ce qu’il représente pour nous, en famille, avec les personnes qui partagent notre vie quotidienne ? La foi naît de l’écoute, et se raffermit dans l’annonce.
2. Mais faisons un pas en avant : l’annonce de Pierre et des apôtres n’est pas faite seulement de paroles, mais la fidélité au Christ touche leur vie, qui est changée, qui reçoit une nouvelle direction, et c’est justement par leur vie qu’ils rendent témoignage à la foi et à l’annonce du Christ. Dans l’Évangile, Jésus demande à Pierre par trois fois de paître son troupeau et de le paître par son amour, et il lui prophétise : « Quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21, 18). C’est une parole adressée surtout à nous pasteurs : nous ne pouvons pas paître le troupeau de Dieu si nous n’acceptons pas d’être conduits par la volonté de Dieu là aussi où nous ne voudrions pas, si nous ne sommes pas prêts à témoigner du Christ par le don de nous-mêmes, sans réserve, sans calculs, quelquefois au prix de notre vie. Mais cela vaut pour tous : l’Évangile doit être annoncé et témoigné. Chacun de nous devrait se demander : Comment moi, je témoigne du Christ par ma foi ? Ai-je le courage de Pierre et des autres apôtres de penser, de choisir et de vivre en chrétien, dans l’obéissance à Dieu ? Le témoignage de la foi a certainement plusieurs formes, comme dans une grande fresque, où il y a une variété de couleurs et de nuances ; toutes cependant sont importantes, mêmes celles qui n’apparaissent pas. Dans le grand dessein de Dieu, chaque détail est important, même ton témoignage et le mien, humbles et petits, même le témoignage caché de celui qui vit avec simplicité sa foi dans le quotidien des relations de famille, de travail, d’amitié. Il y a les saints de tous les jours, les saints « cachés », une sorte de « classe moyenne de la sainteté », comme le disait un auteur français, cette « classe moyenne de la sainteté » dont nous pouvons tous faire partie. Mais en diverses parties du monde, il y a aussi des personnes qui souffrent, comme Pierre et les apôtres, à cause de l’Évangile ; il y a des personnes qui donnent leur vie pour rester fidèles au Christ par un témoignage marqué par le prix du sang. Souvenons-nous en bien tous : on ne peut pas annoncer l’Évangile de Jésus sans le témoignage concret de la vie. Qui nous écoute et nous voit doit pouvoir lire à travers nos actions ce qu’il écoute de notre bouche et rendre gloire à Dieu ! Me vient à l’esprit en ce moment un conseil que saint François d’Assise donnait à ses frères : prêchez l’Évangile et, si c’était nécessaire, aussi par les paroles. Prêcher par la vie : le témoignage. L’incohérence entre ce que disent les fidèles et les pasteurs, et ce qu’ils font, entre leur parole et leur façon de vivre mine la crédibilité de l’Église.
3. Mais tout cela est possible seulement si nous reconnaissons Jésus Christ, car c’est lui qui nous a appelés, qui nous a invités à parcourir son chemin, qui nous a choisis. Il est possible d’annoncer et de témoigner seulement si nous sommes proches de lui, exactement comme Pierre, Jean et les autres disciples, dans le passage de l’Évangile d’aujourd’hui, sont autour de Jésus ressuscité ; il y a une proximité quotidienne avec lui, et ils savent bien qui il est, ils le connaissent. L’évangéliste souligne que « personne n’osait lui demander : “qui es-tu ?” Ils savaient que c’était le Seigneur » (Jn 21, 12). Et c’est un point important pour nous : vivre une relation intense avec Jésus, une intimité de dialogue et de vie, pour ainsi le reconnaître comme “le Seigneur”. L’adorer ! Le passage de l’Apocalypse que nous avons écouté nous parle de l’adoration : la multitude d’anges, toutes les créatures, les êtres vivants, les anciens, se prosternent en adoration devant le Trône de Dieu et l’Agneau immolé, qui est le Christ, à qui vont la louange, l’honneur et la gloire (cf. Ap 5, 11-14). Je voudrais que nous nous posions tous cette question : Toi, moi, adorons-nous le Seigneur ? Allons-nous à Dieu seulement pour demander, pour remercier, ou allons-nous à lui aussi pour l’adorer ? Que veut dire alors adorer Dieu ? Cela signifie apprendre à rester avec lui, à nous arrêter pour dialoguer avec lui, en sentant que sa présence est la plus vraie, la meilleure, la plus importante de toutes. Chacun de nous, dans sa propre vie, de manière inconsciente et peut-être parfois sans s’en rendre compte, a un ordre bien précis des choses qu’il retient plus ou moins importantes. Adorer le Seigneur veut dire lui donner la place qu’il doit avoir ; adorer le Seigneur veut dire affirmer, croire, non pas simplement en paroles, que lui seul guide vraiment notre vie ; adorer le Seigneur veut dire que devant lui nous sommes convaincus qu’il est le seul Dieu, le Dieu de notre vie, le Dieu de notre histoire.
4. Cela a une conséquence dans notre vie : se dépouiller de beaucoup d’idoles petites et grandes que nous avons, et dans lesquelles nous nous réfugions, dans lesquelles nous cherchons et plaçons bien des fois notre sécurité. Ce sont des idoles que nous tenons souvent cachées ; elles peuvent être l’ambition, le carriérisme, le goût du succès, le fait de se mettre soi-même au centre, la tendance à dominer les autres, la prétention d’être les seuls maîtres de notre vie, quelques péchés auxquels nous sommes attachés, et beaucoup d’autres. Ce soir, je voudrais qu’une question résonne dans le cœur de chacun de nous et que nous y répondions avec sincérité : ai-je pensé, moi, à cette idole cachée que j’ai dans ma vie et qui m’empêche d’adorer le Seigneur ? Adorer c’est se dépouiller de nos idoles mêmes les plus cachées, et choisir le Seigneur comme le centre, comme la voie royale de notre vie.
Chers frères et sœurs, le Seigneur nous appelle chaque jour à le suivre avec courage et fidélité ; il nous a fait le grand don de nous choisir comme ses disciples ; il nous invite à l’annoncer avec joie comme le Ressuscité, mais il nous demande de le faire par la parole et par le témoignage de notre vie, dans le quotidien. Le Seigneur est l’unique, l’unique Dieu de notre vie et il nous invite à nous dépouiller des nombreuses idoles et à l’adorer lui seul. Annoncer, témoigner, adorer. Puissent la Bienheureuse Vierge Marie et l’apôtre Paul nous aider sur ce chemin et intercéder pour nous. Ainsi soit-il.
[Homélie du Pape François – Dimanche 14 avril 2015]
© Libreria Editrice Vaticana - 2015