Pko 10.07.2016
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°38/2016
Dimanche 10 juillet 2016 – XVème Dimanche du Temps ordinaire – Année C
Humeurs…
Éco-solidaire… 3 ans plus tard…ça continue toujours
La campagne « Éco-solidaire », collecte de canettes en aluminium au profit de nos frères et sœurs de la rue, était lancée en juin 2013. En trois ans et grâce à vous, près d’un million deux mille canettes ont pu être récoltées… ces 15 245 kgs ont rapportés 762 875 xfp.
L’argent récolté est affecté aux frais médicaux. Un apport non négligeable considérant que les frais de pharmacie sont conséquents dans le budget de l’Accueil Te Vai-ete. En 2014, ils s’élevaient à 392 936 xfp et sont passés à 615 118 xfp, en 2015, en raison d’un remboursement à 70% au lieu de 80%. Cette année, tout laisse à penser que le budget santé explose puisqu’ à ce jour les dépenses s’élèvent déjà à 685 012 xfp.
Un grand merci à chacune et chacun d’entre vous… notamment les écoles, collèges et lycées, tant publics que privés, aux comités d’entreprise et administrations ; aux snacks et restaurants… aux fidèles de la Cathédrale et à la multitude des anonymes qui déposent presque quotidiennement sacs ou cartons de canettes…
Continuons ensemble… soyons « Éco-solidaire »…
Chronique de la roue qui tourne
Alors ! On handidanse ?
« Le plus beau voyage est de se prouver sa liberté. » Anonyme
« Alors on handidanse », c’est la magnifique rencontre de danseurs professionnels et de quelques jeunes en situation de handicap qui, le temps d’une danse, synchronisent leurs gestes. Oui, le temps d’une danse, personnes valides et personnes porteuses d’un handicap physique deviennent, ensemble, des danseurs à part entière. Beau défi physique pour ce corps invalide, imparfait même, qui se montre danseur et donne, par là même, une très belle leçon de vie. Ce corps, source de leur exclusion de la société, devient l’affranchissement de leur exil. Une douleur devenue douceur sur des notes de musique.
Beau défi humain pour ces professionnels de la danse qui font de leur passion un monde où chacun peut exister. Une douceur devenue lueur d’espoir pour ceux qu’on regarde mal si souvent.
En janvier dernier, cette petite troupe a pu présenter son spectacle au petit théâtre de la Maison de la Culture. Salle comble, une foule dehors faute de places et une standing ovation à la fin du spectacle.
Cette aventure humaine était si belle que Jacques Navarro, très sensible à ce genre d’action, se propose d’immortaliser ces moments en en faisant un film. Mais, comme tout projet, ça nécessite des moyens financiers importants – surtout que « Alors on handidanse » compte deux projets, la réalisation d’un film documentaire et une seconde représentation de la troupe au grand théâtre cette fois-ci.
Aussi, « Alors on handidanse » est basé sur un financement participatif, tout le monde est en mesure de donner, ce qu’il peut, ce qu’il veut. Ainsi sur le site www.touscoprod.com, outre le fait, de contribuer à la noble cause, pour 1 400 xfp votre nom sera mentionné comme généreux donateur, pour 4 200 xfp vous recevrez une carte dédicacée de la troupe, pour 7 200 xfp le DVD du film, pour 120 000 xfp des cours de danse avec l’école Annie Fayn, etc… Pour les plus traditionnels, vos dons spontanés peuvent être déposés dans les boutiques « Vini », sauf celle de Mahina, ou au centre de la Fraternité Chrétienne des Handicapés, à la Mission.
Une danse où l’on s’épanouie pour mieux exister !
La chaise masquée
© Nathalie SH – P.K.0 – 2016
Le Bon Samaritain
En marge de l’actualité du jeudi 7 juillet 2016
Dans l’évangile de ce dimanche, nous est proposée la parabole du bon Samaritain. Nous y rencontrons le scribe qui pose deux questions à Jésus : « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » et « Qui est mon prochain ? » Au lieu de répondre directement à la 2° question, « Qui est mon prochain », Jésus lui demande : qui s’est comporté comme le prochain de l’autre ? « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé entre les mains des voleurs ? » Le scribe voulait une définition du mot “prochain”. La question de Jésus présuppose que tous les hommes sont nos prochains, en particulier ceux qui sont dans le besoin. Il ne s’agit pas de savoir qui est mon prochain, mais de qui je me fais proche ?
La question de Jésus va plus loin. Elle montre clairement qu’une personne se conduit comme le prochain de l’autre par l’exercice de la miséricorde à son égard. En d’autres mots, Jésus omet délibérément de fournir des renseignements quant à celui qu’on devrait aider. Il laisse entendre cependant que le Samaritain est l’exemple d’un homme qui a fait ce que la loi commande, dont les actions sont en harmonie avec l’héritage de la vie éternelle. Cette intervention nous renvoie à la question initiale posée par le scribe. La réponse de Jésus est claire : « Tu m’as demandé ce que tu devais faire pour hériter la vie éternelle. Eh bien, je viens de te donner la réponse. Fais la même chose que le Samaritain. Il a observé la loi. Il a aimé son prochain comme lui-même. Fais de même et tu vivras. Fais comme lui et tu hériteras la vie éternelle ». La réponse de Jésus nous surprend puisqu’elle semble lier le salut à l’observance de la loi. On se serait attendu à ce que Jésus dise, “Crois en Moi et tu vivras.” La plupart des chrétiens auraient donné cette réponse. Et pourtant, rien dans ce passage n’y fait allusion. Les paroles de Jésus sont sans équivoques. “Va et fais ce que la loi exige.” ‘Observe la loi et tu hériteras de la vie éternelle.” Cette insistance sur la nécessité d’accomplir la loi de Dieu doit être soulignée. Cette loi en effet se doit d’être au cœur de notre agir, et elle tient en peu de mots : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Jésus exhorte le scribe et nous aussi à “faire de même.” Va, et toi, fais de même. “Faire la loi,” “Faire preuve de bonté,” “Faire de même”. Du début à la fin, cette parabole nous invite à passer à l’action. Il ne suffit pas de savoir comment hériter la vie éternelle. Il faut encore mettre ce savoir en pratique. La scène du jugement final en Mt 25, 31 ne dit pas autre chose : « Recevez en héritage le Royaume… car j’avais faim et vous m’avez donné à manger ! »
+ R.P. Jean Pierre COTTANCEAU
© Archidiocèse de Papeete – 2016
Les trésors de l’Église sont les pauvres
Discours du pape François aux 200 français en situation précaire – 6 juillet 2016
« Vous êtes les bienvenus et votre présence ici est importante », le Pape François s’est adressé ce mercredi 6 juillet, salle Paul VI au Vatican, à un groupe de quelque 200 pèlerins français en situation de précarité. Une délégation qui est actuellement en pèlerinage à Rome, (du 4 au 8 juillet 2016) accompagnée notamment par le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et la communauté du Sappel.
Chers amis,
Je suis très heureux de vous accueillir. Quelle que soit votre condition, votre histoire, le fardeau que vous portez, c’est Jésus qui nous réunit autour de lui. S’il y a une chose qu’a Jésus, c’est cette capacité d’accueillir. Il accueille chacun tel qu’il est. En lui nous sommes des frères, et je voudrais que vous sentiez combien vous êtes les bienvenus ; votre présence est importante pour moi, et il est important vous soyez ici chez vous.
Avec les responsables qui vous accompagnent, vous donnez un beau témoignage de fraternité évangélique dans cette démarche commune de pèlerinage. Car vous êtes venus en vous portant les uns les autres. Les uns en vous aidant généreusement, en offrant de leurs ressources et de leur temps pour vous faire venir ; et vous, en leur donnant, en nous donnant, en me donnant Jésus lui-même.
Car Jésus a voulu partager votre condition, il s’est fait, par amour, l’un d’entre vous : méprisé des hommes, oublié, compté pour rien. Lorsqu’il vous arrive d’éprouver tout cela, n’oubliez pas que Jésus l’a éprouvé lui aussi comme vous. C’est la preuve que vous êtes précieux à ses yeux, et qu’il est proche de vous. Vous êtes au cœur de l’Église, comme disait le Père Joseph Wresinski, car Jésus, dans sa vie, a toujours donné la priorité à des gens qui étaient comme vous, qui connaissaient des situations semblables. Et l’Église, qui aime et préfère ce que Jésus a aimé et préféré, ne peut être en repos tant qu’elle n’a pas rejoint tous ceux qui connaissent le rejet, l’exclusion et qui ne comptent pour personne. Au cœur de l’Église, vous nous permettez de rencontrer Jésus, car vous nous parlez de lui, non pas tant par les mots, mais par toute votre vie. Et vous témoignez de l’importance des petits gestes, à la portée de chacun, qui contribuent à édifier la paix, rappelant que nous sommes frères, et que Dieu est notre Père à tous.
Il me vient à l’esprit d’essayer d’imaginer ce que les gens pensaient en voyant Marie, Joseph et Jésus sur les routes, fuyant en Égypte. Ils étaient pauvres, ils étaient éprouvés par la persécution : mais là, il y avait Dieu.
Chers accompagnateurs, je veux vous remercier pour tout ce que vous faites, fidèles à l’intuition du Père Joseph Wresinski qui voulait partir de la vie partagée, et non pas de théories abstraites. Les théories abstraites nous conduisent aux idéologies, et les idéologies nous conduisent à nier que Dieu s’est fait chair, l’un de nous ! Car c’est la vie partagée avec les pauvres, qui nous transforme et nous convertit. Et pensez bien à ça ! Non seulement vous allez à leur rencontre - même à la rencontre de celui qui a honte et qui se cache -, non seulement vous marchez avec eux, vous efforçant de comprendre leur souffrance, d’entrer dans leur disposition intérieure ; mais encore vous suscitez autour d’eux une communauté, leur rendant, de cette manière, une existence, une identité, une dignité. Et l’Année de la miséricorde est l’occasion de redécouvrir et de vivre cette dimension de solidarité, de fraternité, d’aide et de soutien réciproque.
Frères bien aimés, je vous demande surtout de garder courage, et, au milieu même de vos angoisses, de garder la joie de l’espérance. Que cette flamme qui vous habite ne s’éteigne pas ; car nous croyons en un Dieu qui répare toutes les injustices, qui console toutes les peines et qui sait récompenser ceux qui gardent confiance en lui. En attendant ce jour de paix et de lumière, votre contribution est essentielle pour l’Église et pour le monde : vous êtes des témoins du Christ, vous êtes des intercesseurs auprès de Dieu qui exauce tout particulièrement vos prières.
Vous me demandiez de rappeler à l’Église de France que Jésus est souffrant à la porte de nos Églises si les pauvres n’y sont pas. « Les trésors de l’Église, ce sont les pauvres », disait le diacre romain Saint Laurent. Et enfin, je voudrais vous demander une faveur, plus qu’une faveur, vous donner une mission : une mission que vous seuls, dans votre pauvreté, serez capables d’accomplir. Je m’explique : Jésus, parfois, a été très sévère et a réprimandé fortement les personnes qui n’accueillaient pas le message du Père. Ainsi, de même qu’il a dit cette belle parole « bienheureux » aux pauvres, à ceux qui ont faim, à ceux qui pleurent, à ceux qui sont haïs et persécutés, il en a dit une autre qui, de sa part, fait peur ! Il a dit « malheur ! » Et il l’a dite aux riches, aux sages, à ceux qui maintenant rient, à ceux qui aiment être loués, aux hypocrites. Je vous donne la mission de prier pour eux, pour que le Seigneur change leur cœur. Je vous demande aussi de prier pour les responsables de votre pauvreté, pour qu’ils se convertissent ! Prier pour tant de riches qui s’habillent de pourpre et qui font la fête dans de grands festins, sans se rendre compte qu’à leur porte il y a beaucoup de Lazare, avides de se nourrir des restes de leur table. Priez aussi pour les prêtres, pour les lévites qui, en voyant cet homme battu à moitié mort, passent outre, en regardant de l’autre côté, parce qu’ils n’ont pas de compassion. À toutes ces personnes, et aussi, certainement, à d’autres qui sont liées négativement à votre pauvreté et à tant de douleur, souriez-leur avec le cœur, désirez pour eux le bien et demandez à Jésus qu’ils se convertissent. Et je vous assure que, si vous faites cela, il y aura une grande joie dans l’Eglise, dans votre cœur et aussi dans la France bien aimée.
Tous unis, maintenant, sous le regard de notre Père du ciel, je vous confie à la protection de la Mère de Jésus et de Saint Joseph, et je vous donne de tout cœur la Bénédiction Apostolique. Et nous prions tous le Notre Père.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
La parole aux sans paroles – 44
Portrait d’une initiatrice - Madeleine
Si Te Vaiete devait nommer une maman, ce serait sans conteste Madeleine, première bénévole. « Maman amour » qui avait toujours un petit geste, un petit mot pour chaque SDF. « Maman correction » qui n’hésitait à faire des remarques au moindre écart et à sortir son balai ni’au au besoin. « Maman charité » qui piochait dans son propre réfrigérateur pour nourrir ses enfants de la rue… au grand dam de son mari. Un altruisme, hérité de sa grand-mère, qui n’a d’égal que sa foi pour un chemin, parfois, semé d’embuches.
Comment et pourquoi es-tu devenue bénévole ?
« Tout simplement par l’éducation que j’ai reçu ! Petite, j’accompagnais ma grand-mère, celle qui m’a élevée et que j’appelais “mama”, au marché tous les samedis. Nous vendions tous les produits qu’elle a cultivés elle-même. Et, au retour, vers 16h, 17h, nous repartions du marché avec du poisson. J’étais petite et quand je voyais la quantité de poissons qu’on avait, je savais que c’était trop pour nous deux ! Ben, on emportait ça pour distribuer dans tous les foyers qui ne pouvaient pas acheter du poisson. Et tous les samedis, c’était comme ça. Cultiver dans la montagne pour aider les plus démunis, c’était la vie de ma grand-mère et mon éducation. Voilà mon éducation ! À 12, 13 ans, j’ai fait ma confirmation et l’Évêque, je me rappellerai toujours, m’a dit : “Tu seras la servante du Seigneur.” Sur le coup, je me suis dite “Hof, jamais je serai servante !” Puis plus tard, j’ai fait ma vie et me revoilà dans la rue pour aller voir les plus petits que moi ! Après, j’ai rencontré des personnes, Sœur Madeleine Tassié par exemple qui m’a demandé si je ne voulais pas servir le Secours Catholique. Mon Dieu, ma joie ! Ma joie, parce que je pouvais apporter beaucoup plus à ceux qui sont dans la rue. J’ai rencontré Sœur Madeleine et je suis entrée dans le Secours Catholique. Et, je pense, 5 ans après, on parlait de servir un petit café et du pain/beurre. Donc, on a ouvert Te Vaiete le 24 décembre 1994. On a commencé à Noël en quelque sorte, dans l’esprit de donner au plus petit un petit cadeau, avec l’aide de Béatrice Vernaudon bien sûr. Elle nous a beaucoup aidés. Je me rappelle qu’elle venait nous aider pendant les périodes de fêtes parce que personne ne voulait servir en temps de fêtes, tout le monde reste chez soi pour profiter. Donc, avec d’autres bénévoles qui sont arrivés par la suite, on a décidé d’ouvrir Te Vaiete les jours de fête. Donc personnellement, si je me suis engagée à Te Vaiete, c’est par amour pour celle qui m’a éduquée. Il me faut donner tout cet amour à ceux qui étaient dans le besoin. »
Combien étiez-vous de bénévoles ?
« Tout au début, on n’était que deux, Papa Tihoni et moi. Et de temps en temps, Manutea. Ça n’a pas été facile au début. On n’avait pas d’aide, c’était difficile de trouver d’autres bénévoles. Parce que c’était tout nouveau, personne ne connaissait mais tout le monde racontait n’importe quoi. Personne ne comprenait pourquoi on ouvrait un centre pareil. Puis, on a eu des bénévoles de Papenoo qui sont venus nous aider. Ariane me remplaçait de temps en temps. Il y avait Madelon, Madeleine, on l’appelait Madelon pour ne pas nous confondre. Elle venait tous les mercredi matins. Sinon, il y avait aussi un médecin, le docteur Jacques Raynal, qui les auscultait… jusqu’à aujourd’hui je crois. Il continue à les voir à la clinique. De temps en temps il venait prendre un café avec nous, vu qu’il était juste à côté. Et puis, bien sûr, le Père Christhophe. Tout le monde connaissait “Jésus” ! Je le connaissais bien avant Te Vaiete parce qu’il était l’Aumônier du Secours Catholique. Sa présence est très importante. Je me rappelle d’une année, il était parti à Rome, je crois. Ce fut une année très dure pour Te Vaiete parce que les SDF sont très attachés à lui. À chaque fois, ils me demandaient : “Alors ? Tu as reçu des nouvelles de notre papa ?” Je disais : “Quel papa ? Je ne savais pas que vous aviez un papa ! (Rires) Mais c’est moi votre maman.” – “Ben, Père Christophe !” –“"Non, je n’ai pas reçu de nouvelles !”- Non, sérieusement, ça a été dur d’assumer son absence. On sentait bien un manque. Ils ont vraiment besoin de la présence du prêtre aussi. Parce qu’avec Père Christophe, ça vient vraiment du cœur. Et les SDF le sentent. Et, quand ils s’attachent à quelqu’un, c’est sincère. Tu sais, quand j’allais au marché avec la camionnette, tout le monde savait que c’était ma camionnette. Et malheur à celui qui va aller faire pipi sur ma roue ! Ils vont le frapper. Je pouvais laisser ma voiture sans gardien, les vitres baissées, je ne risquais rien parce qu’ils étaient là à surveiller. Si tu leur tends la main, ils sont très fidèles ! Ils te rendent toujours. Avec le temps, on a eu beaucoup de bénévoles, des femmes principalement. Au début, c’était plus des dames âgées qui venaient. »
On me parle souvent de Papa Tihoni. Comment était-il ?
« Papa Tihoni m’a aidée dès l’ouverture. Il était toujours heureux, lui. Il parlait avec tout le monde, même avec celui dont personne ne s’approche parce qu’il avait plein de poux. Papa Tihoni était avec. Il coupait les cheveux, rasait la barbe, le faire baigner. On avait des savons et du linge par le Secours Catholique. Voilà le rôle de Papa Tihoni, moi j’étais trop prise avec le maa. »
Pour faire tourner Te Vaiete, quelle était l’organisation ?
« Au tout début, ce n’était que le café/pain/beurre et un petit casse-croûte quand ils partaient. Mais Madeleine ne voyait pas les choses comme ça. (Rires) On a commencé à faire du cassoulet. Petit-à-petit, on a fait des lentilles, le riz, enfin tout le reste quoi ! »
Mais vous n’aviez pas de four encore ?
« Non, non, il n’y avait qu’un petit four pour le café. »
Comment ça se passait alors pour le maa ?
« On faisait le maa à la maison, on cuisait tout à la maison. Au départ, on n’avait rien pour le financer. Alors ? Comment ? C’est dommage que mon époux ne soit pas là, il aurait témoigné : je piochais dans son congélateur. Il arrivait que, quand il revenait à la maison, on n’avait plus de maa parce que j’ai tout déposé ici. (Rires) Alors, je me levais à 3h du matin pour faire le repas. Des fois, poulet, petits pois ou bien alors du poisson, enfin tout ce que mon mari aimait manger. Des “plats maison”. Les SDF se gardaient toujours une portion pour partir avec. À chaque fois je leur disais : “Mangez, s’il en reste à la fin, je vous en donnerais encore.” Je disais bien : “S’il en reste !” Notre premier généreux donateur a été Henri L…, il me semble. Il nous a beaucoup aidés. Il a ouvert un compte chez “Wing Chong” parce que je lui avais raconté que je piochais dans le congélateur de mon époux. Donc Henri nous a fait un bon de 60 000 francs. Mais ça, c’était 3 ou 4 ans après l’ouverture. C’est le départ qui a été difficile. Je prenais chez moi ce qu’il fallait. Une fois, je me rappelle, mon époux était tellement fiu de moi, il ne m’a pas donné la camionnette. Il pensait que j’allais laisser tomber. J’habite à Faaa, dans un quartier. Il me fallait tout porter au bord de la route. Et tu sais, comme je faisais tout le maa que je mettais dans de grands “fait-tout”. Et c’était lourd. En plus, il y avait aussi la cocotte de riz. J’ai eu du mal à porter tout ça jusqu’au bord de la route. Et, comme si ce n’était pas assez dur, il a plu. Je me suis dit : “Jamais je ne vais arriver à Te Vaiete comme ça !” Alors j’ai fait ma prière, j’ai dit : “Mon Dieu, fais venir quelqu’un.” Et comme le “fait-tout” était encore chaud, avec la pluie qui tombait dessus, ça fumait. Et une voiture est passée par là. C’était une femme. Intriguée par la fumée, elle s’est arrêtée et m’a demandée où j’allais comme ça. Ben, c’est elle qui m’a emmenée jusqu’à Te Vaiete. J’ai pleuré sur elle, je disais : “Merci, merci, merci !” Sans elle, je n’aurais pas pu arriver ! Ça a été la première et la dernière fois que mon époux m’a refusé la camionnette. (Rires) Parce qu’il est passé me voir et, bien sûr, j’ai su l’accueillir ! (Rires) En plus, ce jour-là, on a eu la visite surprise de Monseigneur Michel ! Alors, j’ai dit sur mon époux : “Grâce à l’ange qui est là, je ne t’ai rien balancé ! Mais je t’attends au tournant !” (Rires) »
Rassure-moi, vous êtes encore ensemble ? (Rires)
« Oui ! Il m’attend dans la voiture ! (Rires) »
À Te Vaiete, comment se faisait le service ?
« Il y en avait toujours deux ou trois prêts à aider. Et puis, j’en envoyais un au magasin, chercher 30 baguettes de pain. Après, ils coupaient et beurraient. Pendant ce temps, j’étais en train de faire le riz. Après, ils mettaient le couvert. Des fois, je n’avais pas besoin de demander, ils le faisaient déjà. Ils savaient ce qu’ils avaient à faire. »
Y avait-il beaucoup de SDF ?
« Au début, on avait commencé avec 10, 15 SDF. »
Des jeunes ? Des vieux ?
« Pour la plupart, c’était des jeunes, il y avait deux personnes âgées. Et c’était les SDF eux-mêmes qui me disaient : “Ah tu sais mamie, là-bas, il y a quelqu’un qui a honte de venir.” Donc je me déplaçais, j’allais les chercher. Je trouvais même des personnes âgées dans les caniveaux, ils vivaient dans le caniveau. Bien sûr, ils ne se sentaient pas bien. Donc direction Jacques Raynal ou direction hôpital. C’est Jacques Raynal qui faisait venir l’ambulance. »
À ton avis, pourquoi avaient-ils honte ?
« Les jeunes n’étaient pas habitués de recevoir gratuitement, c’était comme ça avant. D’où mon surnom que j’avais : mamie. »
Est-ce que vous aviez des bagarres ?
« Ohlalala, les bagarres ! On en avait énormément à l’époque ! »
Comment tu gérais cela ?
« Comment je gérais ? Balai ni’au, tac ! Et ils me disaient : “Tu n’es pas notre maman.” Je répondais : “Heureusement ! Sinon…” »
Et tu n’as jamais eu de problèmes ?
« Non, ils rigolaient et la bagarre s’arrêtait. Tu sais, je les tapais avec le balai ni’au ou un bâton ou tout ce que j’avais sous la main. Ils étaient comme mes enfants ! Tu sais, j’étais peut-être sévère avec eux mais quand la police arrivait pour embarquer quelques-uns pour vol par exemple, j’allais les cacher dans la salle de bain. Je leur disais : “Vous restez là et pas un bruit”. Et je venais interdire aux policiers d’entrer dans la salle. »
Mais qu’est-ce que ça t’apportait de t’investir autant pour les SDF ?
« Ma plus grande récompense était de voir cette joie dans leurs yeux. Je buvais mon café avec eux et quand je m’asseyais avec eux, on se racontait des blagues. Et là, je voyais du bonheur dans leur regard. C’est ça qui me récompensait, ce petit bonheur dans leur regard. »
À l’époque, comment étaient-ils acceptés par la société ? Y avait-il une petite solidarité ?
« Dans les quartiers, la solidarité n’existait pas. Ils ne connaissaient ce petit bonheur qu’ici, chez nous ou alors chez Pepe. Dans les quartiers, c’était des gros mots, des bagarres. On ne les acceptait pas. Je me rappelle, un jour, on a accueilli deux jeunes qui m’ont demandé de ne rien dire aux parents. Je leur ai conseillé de faire des efforts pour trouver du travail parce qu’ils étaient bacheliers. Il ne faut pas croire qu’il n’y a pas de bacheliers parmi les SDF, il y en a ! Petit-à-petit, avec Manu, on a essayé de trouver du travail pour ceux-là pour qu’ils ne restent pas longtemps dans nos rues. »
Et vous en avez sauvé quelques-uns ?
« Bien sûr qu’on en a sauvés ! On a même réussi à ramener deux couples dans les îles. Un à Bora Bora et l’autre à Raiatea. Le couple à Bora Bora a réussi son retour. Celui de Raiatea, malheureusement non. On les a retrouvés ici, à Papeete. Ils sont peut-être revenus chercher des paires de gifles de ma part. Et ils les ont trouvé ! (Rires) Non mais c’est se foutre de ma tête. “Pourquoi vous êtes là ?” - “On vient chercher du linoleum.” - “Avec quel argent vous allez payer ?” - “Oh, ça va, on a vendu la machine du bateau.” - Là, c’était vraiment se foutre de ma tête ! Je les ai chassés ! Après, le cœur te rappelle à l’ordre. »
Combien de temps es-tu restée bénévole ?
« 6 ans. »
Tous les jours ?
« Oui, sachant que Te Vaiete était ouvert du lundi au vendredi. Le samedi, j’œuvrais dans ma paroisse. Mais on ouvrait tous les jours de fête. J’arrivais ici à 5h et on mangeait à 6h. Enfin, ça dépend, j’attendais tout le monde. Je les connaissais tous et je savais qui manquait à l’appel. Souvent, je partais d’ici à 8h pour rejoindre mon époux sur les chantiers. »
Ce n’était pas trop dur ?
« C’était lourd, ce n’était pas dur. »
Justement, le plus dur ?
« C’est de ne pas avoir à manger à leur servir et tu sais qu’ils ont faim. C’est arrivé une fois, je ne savais pas quoi leur donner. Ça a été très dur pour moi. Ce jour-là, je n’ai pas réussi à avoir des sous. Mais je me suis levée comme d’habitude à 3h du matin. J’ai pris mon chapelet et j’ai dit à Maman Marie : “Maman Marie, je n’ai rien à leur donner.” Et je suis venue, quand même. Arrivée ici, on m’appelle : “Tu peux venir chercher des choses ici chez moi.” Ah ! J’ai pleuré de joie ! J’ai eu du fromage, du jambon, des boites de bœuf mais alors à volonté ! Du coup, ils ont eu ce qu’il faut. Les petites disputes, ça ne compte pas ! Mais quand tu ne sais pas quoi leur donner, là c’est très très difficile. »
Et ton plus beau souvenir ?
« C’est bien sûr leur sourire, c’est de pouvoir les accueillir tous les matins avec du ma’a sur la table. Alors le lundi, aucun sourire, parce que le dimanche ils n’ont rien eu. Donc ils arrivaient tout raplapla. Mais rien qu’avec un repas, leur sourire revenait. Parmi les beaux souvenirs, il y a les anniversaires aussi. On fêtait à la fin du mois tous ceux qui sont nés durant le mois. Pour le gâteau, soit je faisais moi-même, soit je demandais à des amis d’apporter. Les SDF rigolaient, tous fiers d’être fêtés comme ça. Des fois, pour m’embêter, ils me disaient : “Ah, il manque quelque chose.” Ils parlaient de l’alcool. Alors, je répondais : “Non, il manque rien du tout. Le café que vous buvez, c’est ça votre bière. Et l’eau que vous buvez, c’est ça votre vin”. Et on rigolait. Quand, aussi, je les rencontre dans la rue. Ils viennent toujours : “Mamie, bonjour !” »
Pourquoi as-tu arrêté ton bénévolat ?
« Ce qui est sûr, c’est que ça a été très dur de les quitter. Très, très dur ! Mais, tu vois, même si j’ai arrêté Te Vaiete, je continue ailleurs. Je m’occupe de personnes handicapées par exemple. Je visite des familles dans certains quartiers. Je ne peux pas m’empêcher d’aider les autres, je n’y arrive pas. J’ai beau me dire : “Maintenant, j’arrête”. Je ne tiens pas ! »
Aujourd’hui, comment tu expliques le nombre de SDF ?
« Parce que nous n’avons pas de travail, pas assez en tout cas. Ce qu’ils ont besoin, ce sont de petits travaux. On ne peut pas leur donner du “travail de bureau”. Ce n’est pas possible puisqu’ils sont dans la rue. Il faut des petits travaux et surtout de vite les payer. Il ne faut pas attendre la fin de la semaine, ils ne vont pas tenir le coup. Parce que, eux, ils vivent au jour le jour. Si tu ne paies pas à la fin de la journée, ils ne reviennent plus ! Avec mon époux, on a essayé de les prendre et on payait chaque soir. »
On dit que les SDF sont des paresseux. Qu’en penses-tu ?
« Certains mais pas tous. Il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. Il faut bien se dire que certains ont décidé de venir dans la rue parce que ce n’était plus possible chez eux. Ceux-là sont faciles à gérer. Il faut juste les guider et les relancer. Te Vaiete ne doit être qu’un tremplin pour mieux repartir. Te Vaiete est un point d’eau où ils peuvent venir pour repartir ensuite. Ceux qui restent sont ceux dont la famille n’en veut plus. »
Comment tu expliques l’éclatement des familles ? Dans notre culture, la famille est sacrée.
« Avant, oui mais plus aujourd’hui ! Mes enfants, je les ai gardés jusqu’à 30 ans. Mais, aujourd’hui la famille est devenue un poids. Aujourd’hui, on voit des petites maisons avec 20 personnes dedans mais ce n’est pas une vie ! D’où justement le nombre de jeunes à la rue aujourd’hui. »
Un dernier message ?
« Je demande aux gens d’essayer de les comprendre. S’ils ont des enfants, eux, ont eu la chance d’avoir une éducation, d’avoir de l’affection. Ici, beaucoup n’ont pas eu cette chance. Quand je parle des bacheliers qui sont ici, eux, s’en sortent. Mais les autres ? Il faut les comprendre, comprendre leur souffrance et leur tendre au moins la main. Ce n’est pas de leur faute s’ils sont là. »
© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016
« Aucune des deux n’est vérité : ni le rigorisme, ni le laxisme »
Dialogue du pape François avec son diocèse (2) – 16 juin 2016
« La joie de l’amour : le chemin des familles à Rome à la lumière de l’exhortation apostolique Amoris Laetitia du Pape François » : c’est le thème au centre de la réunion qui s'est déroulée le jeudi 16 juin 2016 à la cathédrale Saint-Jean-de-Latran, en présence du Pape François, l’évêque de Rome, qui a été accueilli par le vicaire général du diocèse de Rome, le cardinal Agostino Vallini, qui assure au quotidien le gouvernement effectif du diocèse de la capitale italienne. Le Saint-Père a prononcé un long discours partiellement improvisé et a répondu à quelques questions. Il a notamment insisté sur la devoir de baptiser les enfants de mères célibataires. « Il fut un temps où les enfants des filles mères étaient considérés comme des animaux, au point que les curés ne voulaient pas les baptiser », a rappelé le Saint-Père, rappelant l'importance d'accueillir ces demandes de baptême avec bienveillance, tout en insistant sur la promotion d'une pastorale familiale qui ne soit « ni rigoriste, ni laxiste ». Durant trois semaine, nous vous proposons de lire le contenu de cette intervention… riche pour nous aussi.
Deuxième question
Nous savons qu’en tant que communautés chrétiennes, nous ne voulons pas renoncer aux exigences radicales de l’Évangile de la famille. Comment éviter que naisse dans nos communautés une double morale, une exigence et une permissivité, l’une rigoriste et l’autre laxiste ?
Deuxième réponse
Aucune des deux n’est vérité : ni le rigorisme, ni le laxisme ne sont vérité. L’Évangile choisit une autre voie. C’est la raison de ces quatre mots — accueillir, accompagner, intégrer, discerner — sans mettre le nez dans la vie morale des gens. Pour votre tranquillité, je dois vous dire que tout ce qui est écrit dans l’exhortation — et je reprends les mots d’un grand théologien qui a été secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Schönborn, qui l’a présentée — tout est thomiste, du début à la fin. C’est la doctrine sûre. Mais nous voulons, si souvent, que la doctrine sûre soit dotée de cette mathématique sûre qui n’existe pas, ni avec le laxisme, peu regardant, ni avec la rigidité. Pensons à Jésus : l’histoire demeure la même, elle se répète. Quand Jésus parlait aux gens, ceux-ci disaient : « Il enseignait non pas comme les scribes, mais comme celui qui parle avec autorité » (cf. Mc 1,22). Ces docteurs connaissaient la loi, et pour chaque cas, ils avaient une loi spécifique, pour arriver en fin de compte à environ 600 préceptes. Tout est réglé, tout. Et le Seigneur — la colère de Dieu, je la vois dans ce chapitre 23 de Matthieu, ce chapitre est terrible — m’impressionne surtout lorsqu’il parle du quatrième commandement et dit : « Vous, qui au lieu de donner à manger à vos parents âgés, leur dites : “Non, j’en ai fait la promesse, mieux vaut l’autel que vous”, vous êtes en contradiction » (cf. Mt 7,10-13). Jésus était ainsi, et il a été condamné par haine, ils lui tendaient toujours des pièges : « Peut-on faire cela, ou pas ? ». Pensons à la scène de l’adultère (cf. Jn 8, 1-11). Il est écrit : elle doit être lapidée. C’est la morale. Elle est claire. Et elle n’est pas rigide, celle-là n’est pas rigide, c’est une morale claire. Elle doit être lapidée. Pourquoi ? En vertu de la sacralité du mariage, la fidélité. Jésus est clair en cela. Le mot est adultère. Il est clair. Et Jésus joue un peu l’innocent, il laisse passer le temps, écrit par terre… Et ensuite il dit : « Commencez : que le premier d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Jésus a manqué à la loi, dans ce cas. Ils sont partis, à commencer par les plus vieux. « Femme, personne ne t’a condamnée ? Moi non plus ». Quelle est la morale ? C’était de la lapider. Mais Jésus va au-delà, au-delà de la morale. Cela nous fait penser que l’on ne peut pas parler de la « rigidité », de la « sécurité », d’être mathématique dans la morale, comme la morale de l’Évangile.
Ensuite, continuons avec les femmes : quand cette femme ou cette jeune fille [la Samaritaine, cf. Jn 4,1-27], je ne sais pas quelle était sa situation, commença à faire un peu la « catéchiste » et à dire : « Mais il faut adorer Dieu sur cette montagne, ou sur celle-ci ?… ». Jésus lui a dit : « Et ton mari ?… » — « Je n’en ai pas » — « Tu as dit la vérité ». Et en effet, elle portait de nombreuses médailles d’adultère, beaucoup de « décoration »… Pourtant, elle a été la première à être pardonnée, elle a été « l’apôtre » de la Samarie. Alors, comment doit-on faire ? Allons à l’Évangile, allons à Jésus ! Cela ne signifie pas jeter le bébé avec l’eau sale du bain, non, non. Cela signifie chercher la vérité ; et que la morale est un acte d’amour, toujours : d’amour pour Dieu, d’amour envers son prochain. C’est également un acte qui laisse place à la conversion de l’autre, il ne condamne pas immédiatement, il laisse de l’espace.
Une fois — il y a beaucoup de prêtres ici, mais excusez-moi — mon prédécesseur, non, l’autre, le cardinal Aramburu, qui est mort après mon prédécesseur, m’a donné un conseil quand j’ai été nommé archevêque : « Quand tu vois qu’un prêtre vacille un peu, glisse, appelle-le et dis-lui: “Parlons un peu, on m’a dit que tu étais dans cette situation, presque de double vie, je ne sais pas…”; et tu verras que ce prêtre commencera à te dire : “Non ce n’est pas vrai, non…” ; interromps-le et dis-lui : “Écoute-moi, rentre chez toi, penses-y et reviens dans quinze jours, nous en reparlerons ; et pendant ces quinze jours — c’est ce qu’il me disait — il avait le temps de penser, de repenser devant Jésus et de revenir : “Oui, c’est vrai. Aide-moi !” ». Il faut toujours du temps. « Mais, Père, ce prêtre a vécu, il a célébré la Messe, en état de péché mortel pendant ces quinze jours, c’est ce que dit la morale, et vous, que dites-vous ? ». Qu’est-ce qui est mieux ? Qu’est-ce qui a été mieux ? Que l’évêque ait eu la générosité de lui laisser quinze jours pour y penser, malgré le risque de célébrer la Messe en état de péché mortel, c’est cela qui est mieux ou l’autre option, la morale rigide ? Et à propos de la morale rigide, je vous raconterai un fait auquel j’ai moi-même assisté. Pendant mes études de théologie, l’examen concernant l’écoute des Confessions — il s’appelait « ad audiendas » — avait lieu en troisième année, mais nous, ceux de deuxième année, nous avions la permission d’aller y assister pour nous préparer ; et une fois, on a soumis à l’un de nos camarades le cas d’une personne qui va se confesser, mais un cas très compliqué, concernant le septième commandement, « de justitia et jure » ; mais c’était vraiment un cas tellement irréel… ; et ce camarade, qui était une personne normale, a dit au professeur : « Mais père, cela n’arrive pas dans la vie » — « Oui, mais on le trouve dans les livres ! ». J’ai vu cela.
Troisième question
Où que l’on aille, nous entendons parler aujourd’hui de crise du mariage. C’est pourquoi nous voulions vous demander : sur quoi devons-nous miser aujourd’hui pour éduquer les jeunes à l’amour, en particulier au mariage sacramentel, en surmontant leurs résistances, le scepticisme, le désenchantement, la peur du définitif ?
Troisième réponse
Je reprends ton dernier mot : nous vivons aussi une culture du provisoire. J’ai entendu un évêque raconter, il y a quelques mois, qu’il avait reçu un jeune homme qui avait fini ses études universitaires, un brave garçon, qui lui a dit : « Je veux devenir prêtre, mais pendant dix ans ». C’est la culture du provisoire. Et cela se produit partout, même dans la vie sacerdotale, dans la vie religieuse. Le provisoire. C’est pour cela qu’une partie de nos mariages sacramentels sont nuls, car ils [les époux] disent : « Oui, pour toute la vie », mais ils ne savent pas ce qu’ils disent, car ils ont une autre culture. Ils le disent et ils sont de bonne volonté, mais ils n’en ont pas la conscience. Une fois, à Buenos Aires, une femme m’a adressé un reproche : « Vous les prêtres, vous êtes malins, car pour devenir prêtre vous étudiez huit ans, et ensuite, si les choses ne vont pas bien et que le prêtre rencontre une jeune fille qui lui plaît… pour finir vous lui donnez la permission de se marier et de fonder une famille. Et nous les laïcs, qui recevons un sacrement indissoluble pour toute la vie, on nous fait suivre quatre conférences et cela pour toute la vie ! ». Pour moi, l’un des problèmes est le suivant : la préparation au mariage.
Ensuite, cette question est profondément liée au fait social. Je me souviens avoir téléphoné — ici en Italie, l’année dernière — avoir téléphoné à un jeune homme que j’avais connu quelques temps auparavant à Ciampino et qui se mariait. Je l’ai appelé et je lui ai dit : « Ta mère m’a dit que tu te mariais le mois prochain… Où le feras-tu.. ? — Mais nous ne savons pas, parce que nous sommes en train de chercher l’église adaptée à la robe de ma fiancée… Et ensuite nous devons faire beaucoup de choses : les dragées, chercher un restaurant qui ne soit pas loin… ». Voilà les préoccupations ! Un fait social. Comment changer cela ? Je ne sais pas. Un fait social à Buenos Aires : j’ai interdit de célébrer des mariages religieux, à Buenos Aires, dans les cas que nous appelons « matrimonios de apuro », mariages « en hâte » [réparateurs], quand un bébé est attendu. À présent, les choses sont en train de changer, mais il existe cela : socialement, tout doit être en règle, le bébé arrive, nous célébrons le mariage. J’ai interdit de le faire, car ils ne sont pas libres, ils ne sont pas libres ! Peut-être s’aiment-ils. Et j’ai vu de beaux cas, où ensuite, après deux-trois ans, ils se sont mariés, et je les ai vus entrer dans l’église, le papa, la maman et l’enfant qu’elle tenait par la main. Mais ils savaient bien ce qu’ils faisaient. La crise du mariage existe parce qu’on ne sait pas ce qu’est le sacrement : on ne sait pas qu’il est indissoluble, on ne sait pas que c’est pour toute la vie. C’est difficile. Voilà une autre de mes expériences à Buenos Aires : quand les curés faisaient les cours de préparation au mariage, il y avait toujours 12-13 couples, pas plus, on n’arrivait pas à 30 personnes. La première question qui était posée était : « Combien d’entre vous vivent ensemble ? ». La majorité levait la main. Ils préfèrent vivre ensemble, et cela est un défi, demande du travail. Il ne faut pas dire tout de suite : « Pourquoi est-ce que tu ne te maries pas à l’église ? » Non. Les accompagner : attendre et faire mûrir. Et faire mûrir la fidélité. Dans la campagne argentine, dans la zone du nord-est, il y a une superstition : les fiancés qui ont un enfant se mettent en concubinage. À la campagne, c’est ce qui arrive. Ensuite, quand l’enfant doit aller à l’école, ils font un mariage civil. Et ensuite, quand ils sont grands-parents, ils célèbrent le mariage religieux. C’est une superstition, car ils disent que célébrer tout de suite le mariage religieux fait peur au mari ! Nous devons lutter également contre cette superstition. Pourtant, je dois dire que j’ai vraiment vu une grande fidélité dans ces concubinages, une grande fidélité ; et je suis certain que c’est un véritable mariage, ils ont la grâce du mariage, précisément en raison de la fidélité qu’ils vivent. Mais il y a des superstitions locales. La pastorale du mariage est la plus difficile.
Et ensuite, la paix dans la famille. Pas seulement quand les époux discutent entre eux, même si le conseil est toujours de ne pas finir la journée sans faire la paix, car la guerre froide du lendemain est pire. C’est pire, oui, c’est pire. Mais quand les parents, les beaux-parents s’en mêlent, car ce n’est pas facile de devenir beau-père ou belle-mère… ce n’est pas facile. J’ai entendu une belle chose, qui plaira aux femmes : quand une femme voit lors de l’échographie qu’elle est enceinte d’un petit garçon, à partir de ce moment elle commence à étudier pour devenir belle-mère !
Je reprends sérieusement : on doit faire la préparation au mariage de près, sans s’effrayer, lentement. C’est souvent un chemin de conversion. Il y a des jeunes garçons et des jeunes filles qui ont une pureté et un amour grands et qui savent ce qu’ils font. Mais ils sont peu nombreux. La culture d’aujourd’hui nous présente ces jeunes, ils sont bons et nous devons nous en approcher et les accompagner, les accompagner, jusqu’au moment de la maturité. Et, à ce moment-là, qu’ils reçoivent le sacrement, mais dans la joie, dans la joie ! Il faut tant de patience, tant de patience. C’est la même patience qu’il faut pour la pastorale des vocations. Ecouter les mêmes choses, écouter : l’apostolat de l’oreille, écouter, accompagner… Il ne faut pas avoir peur, s’il vous plaît, ne pas avoir peur. Je ne sais pas si j’ai répondu, mais je te parle de mon expérience, de ce que j’ai vécu comme curé.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Le travail du marin, essentiel pour la vie quotidienne
Message du conseil pontifical chargé de l’Apostolat de la mer – 10 juillet 2016
Le Conseil pontifical pour la pastorale des Migrants et des personnes en déplacement a diffusé un message pour le dimanche de la Mer, qui se tient ce dimanche 10 juillet 2016. Cette journée organisée depuis une quarantaine d'années donne cette année l'’occasion de rappeler la dépendance de l’économie par rapport à la circulation maritime, et l’importance d’une attention pastorale spécifique aux marins.
Assis confortablement sur notre canapé dans le salon, il est difficile pour nous de comprendre à quel point notre vie quotidienne dépend de l’industrie maritime et de la mer. Si nous regardons autour de nous dans les lieux où nous vivons et travaillons, nous réalisons que la plupart des meubles et du matériel informatique que nous utilisons ont été transportés par navire, que nos vêtements ont été expédiés dans des containers de l’autre bout du monde et que les fruits que nous mangeons ont été livrés par des navires réfrigérés provenant d’un autre pays tandis que des pétroliers transportent le pétrole et l’essence pour nos voitures. Sans le commerce maritime, l’importation et l’exportation de biens et de produits finis ne serait pas possible.
Même lorsque nous décidons de nous divertir et de nous détendre en partant en croisière, nous ne réalisons pas que des milliers de marins travaillent dur pour assurer que tout se passera bien et nous garantir tout le confort possible pendant nos vacances.
De plus, au cours de la récente situation d’urgence humanitaire en mer méditerranée, des équipages de navires marchands ont été en première ligne pour intervenir et secourir des milliers de personnes tentant de naviguer vers l’Europe à bord d’embarcations surchargées et hors d’état de prendre la mer, ou de radeaux pneumatiques.
Presque 1 200 000 marins de toutes nationalités (dont un grand nombre provenant de pays en voie de développement) à bord de 50 000 navires marchands transportent près de 90% des cargaisons de toute sorte. Les forces impitoyables de la mer et de l’océan exposent les navires à des risques importants, mais ce sont les marins qui « risquent leur vie » sous de nombreux aspects.
L’intégrité physique des marins est menacée parce que, hormis les dangers des forces de la nature, la piraterie et les vols à main armée, le fait de passer d’une région à l’autre, de changer et de s’adapter constamment à de nouvelles situations, continue de représenter une menace importante pour la sécurité de l’équipage. Leur bien-être psychologique est menacé lorsque, après avoir été en mer pendant des jours et des semaines, on leur nie le droit de descendre à terre et on les empêche de quitter le navire.
La vie de famille des marins est en danger parce que leurs contrats les forcent à être éloignés de leurs familles et de leurs proches pendant plusieurs mois et, souvent, pendant plusieurs années d’affilée. Les enfants grandissent sans une figure paternelle tandis que toutes les responsabilités familiales reposent sur les épaules de la mère.
La dignité humaine et professionnelle des marins est menacée lorsqu’ils sont exploités en raison de longues heures de travail et que leurs salaires sont retardés pendant des mois ou, dans les cas d’abandon, lorsqu’ils ne sont pas du tout payés. La criminalisation des marins est une grave préoccupation, étant donné en particulier qu’au cours des récentes années, un certain nombre d’activités maritimes considérées auparavant comme légales ont été criminalisées, spécialement en ce qui concerne les accidents tels que les naufrages, la pollution, etc.
Encouragés par le Pape François qui a appelé les aumôniers et les bénévoles de l’Apostolat de la Mer à « être la voix des travailleurs qui vivent loin de leurs proches et qui affrontent des situations dangereuses et difficiles »[1], en tant qu’Apostolat de la Mer, nous sommes aux côtés des marins pour répéter que leurs droits humains et professionnels doivent être respectés et protégés.
Nous voudrions également appeler les gouvernements et les autorités maritimes compétentes à renforcer l’application de la Convention sur le travail maritime de l’OIT (MLC) 2006, en particulier la règle 4.4 dont l’objet est : Assurer aux gens de mer qui travaillent à bord d’un navire l’accès à des installations et services à terre afin d’assurer leur santé et leur bien-être.
Enfin, à l’occasion de la célébration annuelle du Dimanche de la Mer, nous voudrions rappeler à toutes les communautés chrétiennes et à chaque individu combien la profession du marin et l’industrie maritime sont importantes et essentielles pour notre vie quotidienne. Nous voudrions appeler les évêques, en particulier ceux des diocèses maritimes, à établir et soutenir l’apostolat maritime en tant que « signe visible de la sollicitude à l’égard de ceux qui ne peuvent pas recevoir de soins pastoraux ordinaires ».
En exprimant notre gratitude aux marins pour leur travail, nous les confions, ainsi que leurs familles, à la protection maternelle de Marie, Stella Maris.
© Conseil pontifical pour la pastorale de migrants et des personnes en déplacement - 2016
Commentaire des lectures du dimanche
« Va, toi aussi fais de même et tu vivras »
Nous connaissons trop bien cette parabole du bon Samaritain. Elle offre cependant plusieurs points importants pour notre réflexion chrétienne.
L’expert en religion, qui veut tendre un piège au Seigneur, connaît bien la réponse à sa question. Le prêtre et le lévite de la parabole connaissent certainement cette réponse eux aussi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur… tu aimeras ton prochain comme toi-même »… Ils savent ce qu’il faut faire mais ne le font pas. Ce qui intéresse Jésus, ce n’est pas tellement d’avoir les bonnes réponses, mais d’agir selon les lois de Dieu.
Le samaritain, un hérétique, un ennemi des juifs, un homme qui n'a jamais mis les pieds dans le Temple, un homme qu’il faut éviter et qu'il est interdit d'inviter à sa table, lui sait ce qu’il doit faire et il le fait : « Il fut saisi de pitié... ! » Il a été pris aux entrailles, pris aux tripes.
C’est donc le Samaritain et non le prêtre et le lévite qui met en pratique la loi de Dieu.
Une autre question importante dans cette parabole : Qui est mon prochain ? L’homme de loi avait une idée bien précise sur le sujet. Jésus bouleverse complètement la notion de « prochain »… Le prochain, ce n’est pas mon voisin ou mon compatriote, ce n’est pas celui qui est blessé et dans le besoin… Le prochain, c’est vous, c’est moi lorsque nous nous rapprochons de quelqu’un qui souffre !
Le légiste qui était venu pour prendre Jésus au piège se voit donc obligé d’admettre que le Samaritain, l’exclus, et non pas le prêtre ou le lévite a été celui qui s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des voleurs de grands chemins.
Le Samaritain ne demande pas si l’homme blessé est un compatriote, un ami, un homme de la même religion. C’est une personne qui a besoin d’aide et cela suffit. Jésus donne le coup de grâce au légiste en le mettant au défi d’agir de la même façon : « Va et fais de même ». Tu as donné la bonne réponse, tu sais ce qu’il faut faire. Agis comme le Samaritain et tu vivras…
Lors du Jugement dernier, nous ne serons pas évalués sur nos titres, nos appartenances ou nos connaissances, mais sur nos actes : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais en prison, j’étais malade et vous êtes venus me visiter… » Au soir de la vie, rappelle Jean de la Croix, nous serons jugés sur l’amour.
À nous de nous poser la question aujourd’hui : Qui est le prochain du vieillard qui souffre de solitude et ne peut se déplacer ? ?- de la femme abandonnée par son mari et par ses enfants ??- du jeune déboussolé, sans travail, qui se réfugie dans la drogue ??- du prisonnier qui n’a eu aucune chance dans la vie et qui a raté toutes les occasions de s’en sortir ??- du voisin qui vient de perdre son emploi et qui se demande comment il va faire vivre sa famille…
Est-ce que je me fais le prochain de ces gens dans le besoin ?
Nous savons maintenant qui sont les vrais pratiquants, les vrais croyants. Ce sont les bons samaritains de ce monde. Nous les retrouvons partout : ceux et celles qui distribuent les repas de la « popote roulante », qui s’occupent des malades, qui visitent les personnes âgées, qui chantent dans les foyers afin de donner un peu de joie et d’agrément aux personnes seules, qui accueillent les jeunes sans foyers, qui se privent d’un voyage ou de quelques jours de vacances pour aider financièrement un voisin sans emploi, etc…
À chacun et à chacune d’entre nous, Le Christ dit : « Fais de même… et tu auras la vie ».
« La loi du Seigneur n’est pas au-dessus de tes forces et hors de ton atteinte », affirme la première lecture. Être chrétien, c’est pas compliqué. Il s’agit d’avoir le cœur et les yeux ouverts. On ne sert pas Dieu dans le temple si on ne le sert pas d'abord dans la rue et sur la route ! Suis-je un chrétien « pratiquant ? »
À la fin de chaque eucharistie, le Christ nous renvoie à nos occupations, à nos familles, à notre travail… en nous disant : « Souviens-toi du bon Samaritain… et toi, va, fais de même, et tu vivras. »
© Cursillo - 2016