Pko 08.05.2016

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°27/2016

Dimanche 8 mai 2016 – 7ème Dimanche de Pâques – Année C

Humeurs…

Tahiti et ses immigrés !

Nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt l’émission « Mata Ara » sur le thème des S.D.F. à Tahiti. Nous ne commenterons ni le débat, très bien mené par les journalistes, ni les points de vue donnés par les intervenants.

Ce que nous commenterons et qui nous a surtout interpellé ce sont les commentaires sur le net. Beaucoup de violence et de dureté. Nous pourrions résumer l’essentiel de ces commentaires par : « Ce sont des fainéants que l’on assiste… qu’ils retournent dans leurs îles ! » Nous n’avons pas pu nous empêcher de faire le rapprochement avec l’attitude des Européens face aux immigrés venus du Moyen-Orient ou d’Afrique !

« Qu’ils retournent chez eux… qu’ils restent chez eux ! » Paroles qui font mal… car la différence fondamentale entre l’Europe et Tahiti… c’est que nos immigrés sont nos frères et nos sœurs… nos immigrés sont polynésiens.

Retourner dans les îles, faire du coprah, pêcher… comme si seuls ces critères permettaient de décider. Or rester dans une île c’est aussi vivre l’isolement avec tout ce que cela comporte.

Jusqu’au dernier jour de ma vie, je me souviendrai de mes expériences à Napuka en 2001 et 2002 ou deux jeunes hommes originaires de l’île sont morts en l’espace d’une semaine et un an plus tard l’infirmière popa’a d’origine chilienne. Morts qui sont intervenues en l’espace de quelques heures… parce tous tombés malades tard dans la journée. Être dans une île isolée c’est savoir que si tu es malade après 16h, il te faudra attendre le lendemain pour espérer une « Evasan »… trop long pour Syméon, Armand et Mercédès… Durant toute la nuit, pour chacun d‘eux, toute la population était là dans l’attente, l’angoisse… Après ces évènements, pas de psychologues, pas de dispositif d’écoute… les habitants sont restées là avec leur souffrance, leur angoisse, leur peur… 15 ans après… certains jeunes qui n’avaient que 10 ou 12 ans au moment des faits, sont aujourd’hui dans la rue et dans des squats de la zone urbaine… Et nous devrions leur dire : « Retournez chez vous… c’est le paradis » !

Imaginons demain que le Gouvernement décide de transporter l’hôpital du Taaone à Napuka… Imaginez, ne serait-ce que pour un accouchement, votre épouse quittant Tahiti deux mois avant le terme puis accouchant seule loin de vous, de vos enfants… et ne revenant qu’un mois plus tard ! Imaginez-vous, à 16h, alors qu’une péritonite se déclare en vous ou chez l’un des vôtres devoir attendre le petit matin pour une « Evasan » si toutefois vous survivez ! Le choix de rester dans une île isolée… ce n’est pas juste avoir à manger, un toit, un petit bulot… c’est aussi tout ce que cela implique comme risques, peurs, renoncements et… isolement !

N’oublions pas surtout que ce sont en grande partie les îles qui assurent les revenus nécessaires au développement de Tahiti : la perle, le poisson, le coprah…  et même, - oserai-je le dire – il fut un temps, les essais nucléaires… et j’en passe. Autant de dividendes au profit essentiellement de Tahiti !

À l’image d’une Europe égoïste qui a oublié qu’elle a construit son développement et son essor sur l’exploitation des ressources premières de l’Afrique et le pétrole du Moyen Orient, nous refusons aujourd’hui de partager le gâteau : « Il est à nous ! Retournez dans vos îles ! »… Ne serions nous devenus qu’une bande de profiteurs égoïstes et imbus d’eux-mêmes ?

Mettons un terme à cet esprit néo-colonialiste qu’a Tahiti à l’égard du reste de la Polynésie. Il est temps de partager ce que nous avons amassé en bonne partie, pour ne pas dire en grande partie, grâce à l’ensemble des autres iles !

Demeurons dignes et responsables, sachons vivre notre particularité géographique, comme tant d’autres spécificités, maintenons impérativement l’union et la solidarité.

Ouvrons nos-cœurs !

Chronique de la roue qui tourne

Le profit… l’Apocalypse de l’humanité

« À force de sacrifier l’essentiel pour l’argent, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel ». Edgar Morin

À bien y regarder, l’histoire de l’homme est une succession de merveilles et d’horreurs. À ses débuts, l’homme a dû apprendre à prévoir, à amasser pendant les jours d’abondance pour survivre aux jours de disette. Jusque-là, rien de mal. L’intelligence de l’homme lui garantissait de longs jours heureux.

Mais, plus l’homme amassait, plus il perdait la valeur de chaque chose. Il n’amassait plus pour prévenir mais pour dominer, pour toujours plus de profit. Ce fut le début de la dérive car l’argent et le pouvoir ont eu une plus-value extraordinaire et ont commencé à primer sur l’humanité. Dérive qui pousse un peu plus l’homme dans sa noirceur. Aujourd’hui, dire que l’argent gouverne le monde est un euphémisme. Qu’est-ce que l’homme n’a pas encore fait en son nom ? On tue, on vole, on pille… si facilement.

Le mensuel « le monde diplomatique » vient de publier un article plus qu’inquiétant dénonçant la situation de la Papouasie. En effet, le territoire fourmille d’or, de cuivre, d’argent et de nickel… au détriment des Papous qui se retrouvent soudainement minoritaires sur leurs terres natales. Selon une source du journal, « Les Papous devraient représenter moins de 15 % de la population en 2030, contre 96 % en 1971. » L’article n’hésite pas à parler de génocide. Ainsi, les richesses vaudraient plus qu’une vie ? Ainsi, les richesses vaudraient plus qu’une conscience intacte ? Où va le monde ?

Dans sa futilité, l’homme a confié son salut aux choses futiles, oubliant que, quoiqu’il ait pu amasser pendant toute sa vie, cela restera du papier et des cailloux au pied de son cercueil ! Alors, qu’est-ce qui nous sauvera de nos horreurs ?

La chaise masquée

© Nathalie SH – P.K.0 – 2016

La parole aux sans paroles – 34

Portrait d’homme – Hotu

Hotu n’a pas été un enfant facile. Placé en foyer très jeune, il fugue dès 13 ans et décide de rester dans la rue avec ses nouveaux amis. Mais aujourd’hui, après 9 ans d’errance et 4 séjours en prison, Hotu se dit prêt pour une vie plus stable, auprès de ses parents. Mais voilà, il est amoureux d’une fille qui ne conçoit pas encore une vie hors de la rue. Pour l’instant, la voix du cœur l’emporte, Hotu reste dans la rue… mais jusqu’à quand.

D’où viens-tu ?

« De Huahine, du district de Fare, j’ai grandi là-bas avec mes parents. Mais comme je n’écoutais pas mes parents, je ne faisais que des bêtises, les Affaires Sociales sont venues me chercher pour me mettre dans un foyer. C’est là-bas que j’ai connu Père Christophe, il venait faire des prières au foyer J’avais 9 ans quand je suis arrivé à Tahiti. Et j’ai commencé à fuguer, à venir dans la rue à 13 ans. Je me suis adapté à la rue, je suis resté dans la rue. »

Et ton école ?

« J’avais déjà quitté l’école, je ne suis même pas allé au collège. »

Raconte-moi tes débuts dans la rue ?

« De temps en temps, on volait pour manger ou, parfois, on allait se prostituer et le matin on venait manger ici, à Te Vaiete. Faire la charité, j’ai déjà essayé mais j’ai honte. Il faut alors que je sois bourré. Aujourd’hui, c’est plus difficile. Quand tu demandes de sous, les gens te disent qu’il faut aller travailler. Maintenant, il y a plus de flics qui tournent. C’était plus facile avant »

Et pourquoi n’es-tu pas rentré à Huahine ?

« À l’âge de 16 ans, on m’a arrêté pour vol, je suis parti en prison. Je suis sorti pour y retourner 10 jours après. Je suis parti en prison 4 fois pour vol. J’ai fait 7 mois, 8 mois, 1 an et 2 mois la dernière fois. C’était il y a 6 mois. »

Le plus dur en prison, comparé à la rue ?

« C’est de penser à dehors. Si tu as une femme. »

Est-ce que la prison change un homme ?

« Ça dépend de toi. Si tu veux changer, tu peux. Mais si tu ne fais rien, tu restes le même. »

Il n’y a pas un moyen pour te sortir de la rue ?

« Si, je peux rentrer chez moi, à Huahine. Mes parents m’ont déjà demandé mais ma copine ne veut pas. Elle est trop habituée à la rue. On est parti un moment chez mes parents, ça s’est bien passé. Mais ma copine disait qu’elle s’ennuie. À Huahine, c’est plus calme qu’ici, à Tahiti. Ici, ça bouge ! C’est comme ça qu’on est revenu dans la rue. Mais si j’avais le choix, je rentrerais à Huahine. Mais elle ne va pas me suivre, c’est ça le problème. »

Tu as déjà essayé d’avoir un travail pour te sortir de la rue ?

« Oui, j’avais obtenu un contrat CAE mais je n’ai pas saisi ma chance. J’ai fait des conneries, tu vois. Maintenant, je dors seulement. Ce n’est pas aussi bien. »

Trouve-moi un beau souvenir de la rue ?

« C’est quand on est venu m’arrêter la première fois. »

Pourquoi ? Je ne comprends pas.

« Ben, la prison, c’est plus facile que la rue. Quand ils sont venus me chercher, je n’ai pas pleuré, j’étais heureux d’aller en prison. Je savais qu’en prison j’aurai un matelas, que je vais manger trois fois par jour, que je pourrai regarder la télé. En plus, il y a une salle de musculation. Tu peux jouer au football. C’est la belle vie là-bas ! »

Et comment tu vois ta vie dans 10 ans ?

« Je ne sais pas. Je ne peux pas prévoir. »

Un dernier message ?

« Juste un fa’aitoito à nous tous. Je n’ai pas d’autres messages. »

© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016

Pour Dieu, personne n’est jamais définitivement perdu

Audience générale du mercredi 4 mai 2016 - pape François

Le Pape François, en cette année de la miséricorde, a proposé ce mercredi une nouvelle réflexion sur la façon de vivre notre foi. Le Saint-Père qui commentait la parabole du Bon Pasteur et de la brebis égarée a rappelé que « la miséricorde envers les pécheurs est le style d’action de Dieu ». Dieu qui « ne peut se résigner au fait qu’une seule personne puisse être perdue ».

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous connaissons tous l’image du Bon Pasteur qui charge sur ses épaules la brebis perdue. Depuis toujours, cette image représente la sollicitude de Jésus envers les pécheurs et la miséricorde de Dieu qui ne se résigne à en perdre aucun. La parabole est racontée par Jésus pour faire comprendre que sa proximité à l’égard des pécheurs ne doit pas scandaliser mais au contraire provoquer chez tous une réflexion sérieuse sur la façon dont nous vivons notre foi. Le récit voit d’un côté les pécheurs qui s’approchent de Jésus pour l’écouter et, de l’autre côté, les docteurs de la loi, les scribes suspicieux qui s’écartent de lui justement à cause de son comportement. Ils s’écartent parce que Jésus s’approche des pécheurs. Ils étaient orgueilleux, ils étaient hautains, ils se croyaient justes.

Notre parabole s’articule autour de trois personnages : le pasteur, la brebis perdue et le reste du troupeau. Mais c’est seulement le pasteur qui agit, pas les brebis. Le pasteur est donc l’unique véritable protagoniste et tout dépend de lui. Une question introduit la parabole : « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? » (v. 4). Il s’agit d’un paradoxe qui induit un doute sur la façon d’agir du pasteur : est-il sage d’abandonner les quatre-vingt-dix-neuf pour une seule brebis ? Et en plus, non pas en sécurité dans une bergerie mais dans le désert ? Selon la tradition biblique, le désert est un lieu de mort où il est difficile de trouver de la nourriture et de l’eau, sans abri et à la merci des foires et des voleurs. Que peuvent faire quatre-vingt-dix-neuf brebis sans défense ? Pourtant le paradoxe se poursuit en disant que le pasteur, une fois qu’il a retrouvé la brebis, « il la prend sur ses épaules, tout joyeux, et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins pour leur dire : “Réjouissez-vous avec moi » (v. 6). Il semble donc que le pasteur ne retourne pas dans le désert pour récupérer tout le troupeau ! Tendu vers cette unique brebis, il semble oublier les quatre-vingt-dix-neuf autres. Mais en réalité, ce n’est pas comme cela. L’enseignement que Jésus veut nous donner est plutôt qu’aucune brebis ne peut se perdre.

Le Seigneur ne peut se résigner au fait que même une seule personne puisse se perdre. La manière d’agir de Dieu est d’aller à la recherche de ses enfants perdus pour faire ensuite une fête et se réjouir avec tous parce qu’il les a retrouvés. Il s’agit d’un désir impossible à réfréner : pas même quatre-vingt-dix-neuf brebis ne peuvent arrêter le pasteur et le garder enfermé dans la bergerie. Il pourrait raisonner ainsi : « Je fais le bilan : j’en ai quatre-vingt-dix-neuf, j’en ai perdu une, mais ce n’est pas une grande perte. » Au contraire, il va chercher celle-là, parce que chacune a beaucoup d’importance pour lui et c’est celle-là qui est la plus démunie, la plus abandonnée, la plus écartée ; et il part à sa recherche. Nous sommes tous prévenus : la miséricorde envers les pécheurs est le style de l’agir de Dieu et il est absolument fidèle à cette miséricorde ; rien ni personne ne pourra le détourner de sa volonté de salut. Dieu ne connaît pas notre culture actuelle du rebut, cela n’entre pas en cause chez Dieu. Dieu ne rejette personne ; Dieu nous aime tous, il nous cherche tous : un par un ! Il ne connaît pas l’expression « rejeter les gens », parce qu’il est tout amour et toute miséricorde.

Le troupeau du Seigneur est toujours en chemin : il ne possède pas le Seigneur, il ne peut se faire des illusions en croyant l’emprisonner dans nos schémas et dans nos stratégies. Le pasteur sera trouvé là où est la brebis perdue. Il faut donc chercher le Seigneur là où il veut nous rencontrer, non pas là où nous prétendons le trouver ! En aucune autre manière on ne pourra recomposer le troupeau, sinon en suivant la voie tracée par la miséricorde du pasteur. Tandis qu’il recherche la brebis perdue, il provoque les quatre-vingt-dix-neuf autres pour qu’elles participent à la réunification du troupeau. Alors, non seulement la brebis portée sur ses épaules, mais tout le troupeau suivra le pasteur jusque chez lui pour faire une fête avec les « amis et les voisins ».

Nous devrions souvent réfléchir à cette parabole parce que, dans la communauté chrétienne, il y a toujours quelqu’un qui manque et qui est parti en laissant sa place vide. Parfois, c’est décourageant et cela nous pousse à croire que c’est une perte inévitable, une maladie sans remède. C’est alors que nous courons le risque de nous renfermer à l’intérieur d’une bergerie, où il n’y aura pas l’odeur des brebis, mais une mauvaise odeur de renfermé ! Et les chrétiens ? Nous ne devons pas être fermés, parce que nous sentirons mauvais comme ce qui est enfermé. Jamais ! Il faut sortir et ne pas se replier sur soi, dans les petites communautés, dans la paroisse, en se considérant comme « les justes ». Cela se produit lorsque manque l’élan missionnaire qui nous pousse à rencontrer les autres.

Dans la vision de Jésus, il n’y a pas de brebis définitivement perdues, mais seulement des brebis qu’il faut retrouver. Cela, nous devons bien le comprendre : pour Dieu, personne n’est définitivement perdu. Jamais ! Jusqu’au dernier moment, Dieu nous cherche. Pensez au bon larron ; mais c’est seulement dans la vision de Jésus que personne n’est définitivement perdu. C’est pourquoi la perspective est tout entière dynamique, ouverte, stimulante et créative. Il nous pousse à sortir « à la recherche » pour emprunter un chemin de fraternité. Aucune distance ne peut garder le pasteur loin ; et aucun troupeau ne peut renoncer à un frère. Trouver celui qui s’est perdu est la joie du pasteur et de Dieu, mais c’est aussi la joie de tout le troupeau ! Nous sommes tous des brebis retrouvées et rassemblées par la miséricorde du Seigneur, appelées à rassembler avec lui tout le troupeau !

© Libreria Editrice Vaticana - 2016

Nous ne sommes pas seuls dans notre douleur

Veillée pour essuyer les larmes – Homélie du pape François – 5 mai 2016

En la solennité de l’Ascension du Seigneur, le Pape François a présidé ce jeudi 5 mai une veillée de prière pour ceux qui ont besoin de consolation. La célébration s’est déroulée en début de soirée dans la basilique Saint-Pierre. Trois témoins ont raconté leur histoire devant une assemblée émue jusqu’aux larmes. Ils ont allumé chacun un cierge devant le reliquaire de la Vierge des larmes de Syracuse. Le bas-relief en plâtre était exposé à la vénération des fidèles près du maître-autel.

Frères et sœurs,

Après les témoignages émouvants que nous avons entendus, et à la lumière de la Parole du Seigneur qui éclaire notre condition de souffrance, invoquons avant tout la présence de l’Esprit Saint, pour qu’il vienne au milieu de nous. Que ce soit lui qui illumine notre esprit pour trouver les mots justes et capables de réconforter ; que ce soit lui qui ouvre notre cœur pour avoir la certitude de la présence de Dieu qui ne nous abandonne pas dans l’épreuve. Le Seigneur Jésus a promis à ses disciples qu’il ne les laisserait jamais seuls, qu’il leur serait proche dans toutes les situations de la vie en envoyant l’Esprit Consolateur (cf. Gn 14, 26), qu’il les aiderait, les soutiendrait et les réconforterait.

Dans les moments de tristesse, dans la souffrance de la maladie, dans l’angoisse de la persécution et dans la douleur du deuil, chacun cherche une parole de consolation. Nous sentons fortement le besoin que quelqu’un nous soit proche et éprouve de la compassion envers nous. Nous faisons l’expérience de ce que signifie être désorientés, confus, frappés au plus profond comme jamais nous l’aurions pensé. Nous regardons tout autour, incertains, pour voir si nous trouvons quelqu’un qui puisse réellement comprendre notre douleur. L’esprit est rempli de questions, mais les réponses n’arrivent pas. La raison toute seule n’est pas capable de faire la lumière au fond de soi, de saisir la douleur que nous éprouvons et de donner la réponse que nous attendons. Dans ces moments, nous avons davantage besoin des raisons du cœur, seules capables de nous faire comprendre le mystère qui entoure notre solitude.

Que de tristesse il nous arrive de découvrir sur tant de visages que nous rencontrons. Que de larmes versées à chaque instant dans le monde ; chacune différente de l’autre, et qui forment ensemble comme un océan de désolation qui demande pitié, compassion, consolation. Les plus amères sont celles provoquées par la méchanceté humaine : les larmes de celui qui s’est vu arraché violemment une personne chère ; les larmes des grands parents, des mamans et des papas, des enfants… Il y a des regards qui restent souvent fixés sur le couchant et qui ont du mal à voir l’aube d’un jour nouveau. Nous avons besoin de miséricorde, de la consolation qui vient du Seigneur. Nous en avons tous besoin ; c’est notre pauvreté mais aussi notre grandeur : invoquer la consolation de Dieu qui, avec sa tendresse, vient essuyer les larmes sur notre visage (cf. Is 25,8 ; Ap 7,17 ; 21,4).

Dans cette douleur qui est nôtre, nous ne sommes pas seuls. Jésus aussi sait ce que signifie pleurer la perte d’une personne aimée. C’est une des pages les plus émouvantes de l’Évangile : quand Jésus voit pleurer Marie en raison de la mort de son frère Lazare, il ne parvient pas non plus à retenir ses larmes. Il a été saisi d’une profonde émotion et a fondu en larmes (cf. Gn 11,33-35). L’évangéliste Jean a voulu par ce récit montrer la participation de Jésus à la douleur de ses amis, et le partage du découragement. Les larmes de Jésus ont déconcerté beaucoup de théologiens au cours des siècles, mais elles ont surtout lavé beaucoup d’âmes, elles ont adouci beaucoup de blessures. Jésus aussi a expérimenté dans sa personne la peur de la souffrance et de la mort, la déception et le découragement pour la trahison de Judas et de Pierre, la douleur pour la mort de son ami Lazare. Jésus « n’abandonne pas ceux qu’il aime » (Augustin In Joh 49,5). Si Dieu a pleuré, je peux moi aussi pleurer, sachant que je suis compris. Les pleurs de Jésus sont l’antidote contre l’indifférence envers la souffrance de mes frères. Ces pleurs m’enseignent à faire mienne la douleur des autres, à participer au malaise et à la souffrance de ceux qui vivent dans les situations les plus douloureuses. Ils me secouent pour me faire percevoir la tristesse et le désespoir de ceux qui se sont vus même soustraire le corps de leurs êtres chers, et qui n’ont même pas un lieu où trouver consolation. Les pleurs de Jésus ne peuvent pas rester sans réponse de la part de celui qui croit en lui. De la manière dont il console, nous sommes appelés, nous aussi, à consoler.

Au moment de la défaillance, de l’émotion, et des pleurs, la prière au Père jaillit dans le cœur de Jésus. La prière est le vrai remède à notre souffrance. Nous aussi, dans la prière, nous pouvons sentir la présence de Dieu près de nous. La tendresse de son regard nous console, la force de sa parole nous soutient, en nous insufflant l’espérance. Jésus a prié près de la tombe de Lazare en disant : « Père, je te rends grâce car tu m’as écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours » (Jn 11, 41-42). Nous avons besoin de cette certitude : le Père nous écoute et vient à notre secours. L’amour de Dieu répandu dans nos cœurs permet de dire que lorsqu’on aime, rien ni personne ne pourra jamais nous arracher des personnes qu’on a aimées. L’Apôtre Paul le rappelle avec des paroles très consolantes : « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? La détresse ? L’angoisse ? La persécution ? La faim ? Le dénuement ? Le danger ? Le glaive ? […] Mais, en tout cela nous somme les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur » (Rm 8,35.37-39).

La force de l’amour transforme la souffrance dans la certitude de la victoire du Christ, et la nôtre avec lui, et dans l’espérance que nous serons un jour de nouveau ensemble et nous contemplerons pour toujours le visage de la Sainte Trinité, source éternelle de la vie et de l’amour.

Près de toute croix il y a toujours la Mère de Jésus. De son manteau elle essuie nos larmes. De sa main elle nous fait relever et nous accompagne sur le chemin de l’espérance.

© Libreria Editrice Vaticana - 2016

Communication et miséricorde : une rencontre féconde

Message du Pape François pour la 50è Journée mondiale des Communications sociales

Le Pape François recevait le 24 janvier le directeur général d'Apple, Tim Cook, et publiait dans le même temps un message où il met en garde contre la nouvelle agressivité dans le discours politique, religieux et sur les réseaux sociaux. Dans son message, le Pape définit le pouvoir de la communication comme «proximité». Fidèle à ses appels répétés à aller vers les périphéries, il demande à chaque chrétien de communiquer avec tous, sans exclusion.

Chers frères et sœurs,

L’Année Sainte de la Miséricorde nous invite à réfléchir sur le rapport entre communication et miséricorde. En effet l’Église, unie au Christ, incarnation vivante de Dieu Miséricordieux, est appelée à vivre la miséricorde comme un trait distinctif de tout son être et de tout son agir. Ce que nous disons et la manière dont nous le disons, chaque parole et chaque geste, devrait pouvoir exprimer la compassion, la tendresse et le pardon de Dieu pour tous. L’amour, par nature, est communication, il conduit à s’ouvrir et non pas à s’isoler. Et si notre cœur et nos gestes sont animés par la charité, par l’amour divin, notre communication sera porteuse de la force de Dieu.

En tant qu’enfants de Dieu, nous sommes appelés à communiquer avec tous, sans exclusion. En particulier, c’est le propre du langage et des actions de l’Église que de transmettre la miséricorde, en sorte de toucher les cœurs des personnes et de les soutenir sur le chemin vers la plénitude de la vie que Jésus Christ, envoyé par le Père, est venu apporter à tous. Il s’agit d’accueillir en nous et de répandre autour de nous la chaleur de l’Église Mère, pour que Jésus soit connu et aimé ; cette chaleur qui donne consistance aux paroles de la foi et qui allume dans la prédication et dans le témoignage l’« étincelle » qui les rend vivantes.

La communication a le pouvoir de créer des ponts, de favoriser la rencontre et l’inclusion, enrichissant ainsi la société. Comme il est beau de voir des personnes engagées à choisir avec soin des paroles et des gestes pour dépasser les incompréhensions, guérir la mémoire blessée et construire la paix et l’harmonie. Les paroles peuvent jeter des ponts entre les personnes, les familles, les groupes sociaux, les peuples ; que ce soit dans le domaine physique ou dans le domaine numérique. Que les paroles et les actions soient donc telles qu’elles nous aident à sortir des cercles vicieux des condamnations et des vengeances, qui continuent à piéger les individus et les nations, et qui conduisent à s’exprimer avec des messages de haine. La parole du chrétien, au contraire, se propose de faire grandir la communion et, même quand il faut condamner le mal avec fermeté, elle cherche à ne jamais briser la relation et la communication.

Je voudrais donc inviter toutes les personnes de bonne volonté à redécouvrir le pouvoir de la miséricorde de guérir les relations déchirées, et de ramener la paix et l’harmonie entre les familles et dans les communautés. Nous savons tous de quelle manière les vieilles blessures et les ressentiments peuvent piéger les personnes et les empêcher de communiquer et de se réconcilier. Et ceci vaut aussi pour les relations entre les peuples. Dans tous ces cas, la miséricorde est capable de créer une nouvelle manière de parler et de dialoguer, comme l’a ainsi très bien exprimé Shakespeare : « La miséricorde n’est pas une obligation. Elle descend du ciel comme la fraîcheur de la pluie sur la terre. Elle est une double bénédiction : elle bénit celui qui la donne et celui qui la reçoit » (Le Marchand de Venise, Acte 4, Scène 1).

Il est souhaitable que le langage de la politique et de la diplomatie se laisse aussi inspirer par la miséricorde, qui ne donne jamais rien pour perdu. Je fais appel surtout à tous ceux qui ont des responsabilités institutionnelles, politiques et dans la formation de l’opinion publique, pour qu’ils soient toujours vigilants sur la manière de s’exprimer envers celui qui pense ou agit autrement, et aussi envers celui qui peut s’être trompé. Il est facile de céder à la tentation d’exploiter de semblables situations et d’alimenter ainsi les flammes de la défiance, de la peur, de la haine. Il faut au contraire du courage pour orienter les personnes dans des processus de réconciliation ; et c’est justement cette audace positive et créative qui offre de vraies solutions à de vieux conflits, et l’occasion de réaliser une paix durable. « Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde […] Bienheureux les artisans de paix, parce qu’ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 7.9).

Comme je voudrais que notre manière de communiquer, et aussi notre service de pasteurs dans l’Église, n’exprime jamais l’orgueil fier du triomphe sur un ennemi, ni n’humilie ceux que la mentalité du monde considère comme perdants et à rejeter ! La miséricorde peut aider à tempérer les adversités de la vie et à offrir de la chaleur à tous ceux qui ont seulement connu la froideur du jugement. Que le style de notre communication soit en mesure de dépasser la logique qui sépare nettement les pécheurs des justes. Nous pouvons et devons juger des situations de péché – violence, corruption, exploitation, etc. – mais nous ne pouvons pas juger les personnes, parce que seul Dieu peut lire en profondeur dans leur cœur. C’est notre devoir d’avertir celui qui se trompe, en dénonçant la méchanceté et l’injustice de certains comportements, afin de libérer les victimes et de soulager celui qui est tombé. L’Évangile de Jean nous rappelle que « La vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32). Cette vérité est, en définitive, le Christ lui-même, dont la douce miséricorde est la mesure de notre manière d’annoncer la vérité et de condamner l’injustice. C’est notre principal devoir d’affirmer la vérité avec amour (Cf. Ep 4, 15). Seules les paroles prononcées avec amour et accompagnées de douceur et de miséricorde touchent les cœurs des pécheurs que nous sommes. Des paroles et des gestes durs ou moralisants risquent d’aliéner plus tard ceux que nous voudrions conduire à la conversion et à la liberté, en renforçant leur sens du refus et de la défense.

Certains pensent qu’une vision de la société enracinée dans la miséricorde serait de façon injustifiée idéaliste ou excessivement indulgente. Mais essayons de repenser à nos premières expériences de relations au sein de la famille. Nos parents nous ont aimés et appréciés pour ce que nous sommes, plus que pour nos capacités et nos succès. Les parents veulent naturellement le meilleur pour leurs enfants, mais leur amour n’est jamais conditionné par le fait d’atteindre des objectifs. La maison paternelle est le lieu où tu es toujours accueilli (Cf. Lc 15, 11-32). Je voudrais vous encourager tous à penser la société humaine non comme un espace où des étrangers rivalisent et cherchent à dominer, mais plutôt comme une maison ou une famille, où la porte est toujours ouverte et où l’on cherche à s’accueillir réciproquement.

C’est pourquoi il est fondamental d’écouter. Communiquer signifie partager, et le partage exige l’écoute, l’accueil. Écouter est beaucoup plus qu’entendre. Entendre concerne le domaine de l’information ; écouter, en revanche, renvoie à celui de la communication, et exige la proximité. L’écoute nous permet d’avoir l’attitude juste, en sortant de la condition tranquille de spectateurs, d’auditeurs, de consommateurs. Écouter signifie aussi être capable de partager des questions et des doutes, de faire un chemin côte à côte, de s’affranchir de toute présomption de toute-puissance et de mettre humblement ses capacités et ses dons au service du bien commun.

Écouter n’est jamais facile. Parfois il est plus confortable de faire le sourd. Écouter signifie prêter attention, avoir le désir de comprendre, de valoriser, respecter, garder la parole de l’autre. Dans l’écoute une sorte de martyre se consume, un sacrifice de soi-même dans lequel le geste sacré accompli par Moïse devant le buisson ardent se renouvelle : retirer ses sandales sur la « terre sainte » de la rencontre avec l’autre qui me parle (Cf. Ex 3, 5). Savoir écouter est une grâce immense, c’est un don qu’il faut invoquer pour ensuite s’exercer à le pratiquer.

Les e-mail, sms, réseaux sociaux, chat peuvent, eux aussi, être des formes de communication pleinement humaines. Ce n’est pas la technologie qui décide si la communication est authentique ou non, mais le cœur de l’homme et sa capacité de bien user des moyens mis à sa disposition. Les réseaux sociaux sont capables de favoriser les relations et de promouvoir le bien de la société, mais ils peuvent aussi conduire plus tard à des polarisations et des divisions entre les personnes et les groupes. Le domaine numérique est une place, un lieu de rencontre, où l’on peut caresser ou blesser, avoir une discussion profitable ou faire un lynchage moral. Je prie pour que l’Année jubilaire vécue dans la miséricorde « nous rende plus ouverts au dialogue pour mieux nous connaître et nous comprendre. Qu’elle chasse toute forme de fermeture et de mépris. Qu’elle repousse toute forme de violence et de discrimination » (Misericordiae vultus, n.23). Une véritable citoyenneté se construit aussi en réseau. L’accès aux réseaux numériques comporte une responsabilité pour l’autre, que nous ne voyons pas mais qui est réel, il a sa dignité qui doit être respectée. Le réseau peut être bien utilisé pour faire grandir une société saine et ouverte au partage.

La communication, ses lieux et ses instruments, ont comporté un élargissement des horizons pour beaucoup de personnes. C’est un don de Dieu, et c’est aussi une grande responsabilité. J’aime définir ce pouvoir de la communication comme « proximité ». La rencontre entre la communication et la miséricorde est féconde dans la mesure où elle génère une proximité qui prend soin, réconforte, guérit, accompagne et fait la fête. Dans un monde divisé, fragmenté, polarisé, communiquer avec miséricorde signifie contribuer à la bonne, libre et solide proximité entre les enfants de Dieu et les frères en humanité.

Du Vatican, le 24 janvier 2016

© Libreria Editrice Vaticana - 2016

Débousssolée, l’Europe se tourne vers le pape François

Prix Charlemagne au Pape François

Lors de la cérémonie de remise du Prix Charlemagne au Pape François ce vendredi 6 mai au Vatican, les principaux responsables européens se sont succédés pour saluer l’œuvre du Saint-Père en faveur de l’Europe. «Envoyer un signal en faveur des fondements moraux et des valeurs humaines de l'Europe, continent où le respect et la miséricorde ne doivent pas être perdus» a commencé le maire d’Aix-la-Chapelle, où est habituellement remis le prix, Marcel Philipp, qui a ouvert la cérémonie. Le Président du Conseil européen Donald Tusk, a lui, salué le «Pape de l'espoir». Comme les présidents du Parlement et de la Commission européenne, il a évoqué la prise de conscience de la crise en Europe, mais aussi la confiance dans la force de collaboration, gardant à l'esprit l'appel du pape à un esprit humaniste européen.

Le symbole est fort : l’Europe, divisée, malade, aux abois, espère trouver auprès du pape François un peu de soutien moral. Les présidents des trois principales institutions de l’Union, Jean-Claude Juncker pour la commission, Donald Tusk pour le Conseil et Martin Schulz, pour le Parlement européen, se rendent à Rome, vendredi 6 mai, pour lui remettre le prix Charlemagne.

Ce prix a été créé en 1948 en Allemagne, pour distinguer des personnes « ayant œuvré pour l’unification européenne ». MM. Schulz, Juncker et Tusk l’ont tous trois déjà reçu. Il est d’ordinaire remis dans la ville d’Aix-la-Chapelle, mais le pape a demandé à le recevoir au Vatican. La cérémonie aura lieu à midi, dans la Sala Regia du Vatican, et sera ponctuée par les discours des trois présidents européens, et clôturée par celui du pape.

Parmi les invités, sont attendus la chancelière allemande, Angela Merkel, Matteo Renzi, le premier ministre italien, le roi Felipe d’Espagne, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne. La France sera représentée par la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem. M. Schulz, principal artisan du choix du pape pour le prix, devait s’exprimer sur les « valeurs » européennes, M. Juncker sur « l’Europe » et M. Tusk, ex-premier ministre Polonais, sur « la chrétienté ».

Alors que l’Europe traverse une crise existentielle, les dirigeants européens espèrent trouver auprès du pape un peu de soutien à leur tentative de maintenir ensemble des pays de plus en plus divisés. En cause, la crise migratoire qui a profondément creusé le fossé entre Etats membres ; certains, à l’Est et au centre (en Hongrie, Autriche, Pologne, Slovaquie…), refusant de « prendre leur part ». Plane aussi la menace terroriste, qui a durci la réaction des populations à l’égard des migrants. Et la montée, de plus en plus préoccupante, des populistes anti-Européens, désormais présents sur l’ensemble du continent.

« Stopper les populistes »

Donald Tusk a eu des mots très forts, jeudi soir, lors d’une table ronde avec M. Juncker et Schuzl organisée au Musée du Capitole. « Aujourd’hui, nous devons admettre que le rêve d’un Etat européen avec un seul intérêt commun, une seule vision, une seule nation européenne était une illusion », a t-il déclaré. L’urgence, a t-il estimé, c’est « de convaincre nos citoyens que nous pouvons leur apporter sécurité et stabilité, en réintroduisant un contrôle effectif de nos frontières. (…) C’est la seule stratégie pour stopper la marche vers le pouvoir des populistes ».

Le pape dénoncera t-il l’égoïsme de certains pays membres ? L’incapacité de l’Europe à s’entendre ? L’accord controversé de « sous-traitance » des réfugiés à la Turquie ? Les murs érigés sur le continent pour stopper l’arrivée des migrants ? Une chose est sûre : les questions migratoires sont parmi ses grands sujets de préoccupation.

François n’avait pas mâché ses mots, devant le Parlement européen, en novembre 2014, estimant que l’Union européenne donnait « une impression générale de fatigue et de vieillissement », l’image d’une « Europe grand-mère et non plus féconde et vivante » et lui rappelant à de nombreuses reprises ses « valeurs humanistes ».

Lors de son déplacement à Lesbos, en avril, François a voulu braquer les projecteurs sur la « crise humanitaire » en cours dans cette île grecque dont le camp de transit est devenu ces dernières semaines un camp de rétention pour les réfugiés et les migrants. Il était reparti avec trois familles syriennes, douze personnes accueillies au Vatican. Un symbole, mais aussi un moyen de redonner espoir à des milliers d’individus fuyant la misère ou la guerre et que l’Europe, désormais, repousse.

© Le Monde - 2016

Commentaire des lectures du dimanche

Chers frères et sœurs !

En ce VIIe dimanche du temps de Pâques, nous sommes rassemblés avec joie pour célébrer une fête de la sainteté. […]

Lorsque les Actes des Apôtres nous parlent du diacre Étienne, le proto-martyr, ils insistent pour dire qu’il était un homme « rempli d’Esprit Saint » (6,5 ; 7,55). Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’il était rempli de l’Amour de Dieu, que toute sa personne, toute sa vie, étaient animées par l’Esprit du Christ ressuscité, au point de suivre Jésus avec une fidélité totale, jusqu’au don de soi.

[De nombreuses personnes martyrs] refusèrent de renier leur foi et elles moururent en confessant le Christ ressuscité. Où ont-elles trouvé la force de rester fidèles ? Précisément dans la foi qui fait voir au-delà des limites de notre regard humain, au-delà de la frontière de la vie terrestre, qui fait contempler les « cieux ouverts » — comme le dit saint Étienne — et le Christ vivant à la droite du Père. Chers amis, conservons la foi que nous avons reçue et qui est notre vrai trésor, renouvelons notre fidélité au Seigneur, même au milieu des obstacles et des incompréhensions. Dieu ne nous fera jamais manquer de force et de sérénité. Alors que nous vénérons les martyrs d’Otrante, demandons à Dieu de soutenir les nombreux chrétiens qui, justement à notre époque et dans tant de parties du monde, subissent encore des violences, et qu’il leur donne le courage de la fidélité et de répondre au mal par le bien.

Nous pouvons tirer la deuxième idée des paroles de Jésus que nous avons entendues dans l’Évangile : « Je prie pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi » (Jn 17, 20). Sainte Laura Montoya a été un instrument d’évangélisation tout d’abord comme institutrice, puis comme mère spirituelle des autochtones, chez qui elle a infusé l’espérance en les accueillant avec cet amour appris de Dieu, et en les conduisant à Lui avec une pédagogie efficace qui respectait leur culture et ne s’opposait pas à elle. Dans son œuvre d’évangélisation, Mère Laura s’est vraiment faite toute à tous, selon l’expression de saint Paul (cf. 1 Co 9, 22). Ses filles spirituelles aussi vivent aujourd’hui l’Évangile et l’apportent dans les lieux les plus reculés et qui en ont le plus besoin, comme une forme d’avant-garde de l’Église.

Cette première sainte née sur la belle terre colombienne nous enseigne à être généreux avec Dieu, à ne pas vivre la foi de façon solitaire — comme si c’était possible de vivre la foi de façon isolée — mais à la communiquer, à apporter la joie de l’Évangile par la parole et par le témoignage de la vie dans tous les milieux où nous nous trouvons. Dans tous les lieux où nous vivons, il faut faire rayonner cette vie de l’Évangile ! Elle nous enseigne à voir le visage de Jésus reflété dans l’autre, à vaincre l’indifférence et l’individualisme qui corrompent les communautés chrétiennes et corrompent notre cœur et elle nous enseigne à accueillir chacun sans préjugés, sans discrimination, sans réticences, avec un amour sincère, en leur donnant le meilleur de nous-mêmes et, surtout, en partageant avec eux ce que nous avons de plus précieux, qui n’est pas nos accomplissements ou nos organisations, non ! Ce que nous avons de plus précieux, c’est le Christ et son Évangile.

Enfin, une troisième idée. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus prie le Père avec ces paroles : « Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître encore, pour qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé, et que moi aussi, je sois en eux » (Jn 17,26). La fidélité des martyrs jusqu’à la mort, la proclamation de l’Évangile à tous, s’enracinent dans l’amour de Dieu, qui a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint (cf. Rm 5,5), et dans le témoignage que nous devons donner de cet amour dans notre vie quotidienne. Sainte Guadalupe García Zavala le savait bien. En renonçant à une vie confortable — combien de dommages provoque une vie confortable, le bien-être ; l’« embourgeoisement » du cœur nous paralyse —, en renonçant à une vie confortable pour suivre l’appel de Jésus, elle enseignait à aimer la pauvreté, pour pouvoir aimer davantage les pauvres et les malades. Mère Lupita s’agenouillait sur le sol de l’hôpital, devant les malades et les abandonnés pour les servir avec tendresse et compassion. Et cela s’appelle : « toucher la chair du Christ ». Les pauvres, les abandonnés, les malades, les marginalisés sont la chair du Christ. Et Mère Lupita touchait la chair du Christ et nous a enseigné cette façon d’agir : ne pas avoir honte, ne pas avoir peur, ne pas avoir de répugnance à « toucher la chair du Christ » ! Mère Lupita avait compris ce que signifie « toucher la chair du Christ ». Aujourd’hui aussi, ses filles spirituelles s’efforcent de refléter l’amour de Dieu dans des œuvres de charité, sans épargner les sacrifices et en affrontant avec douceur et persévérance apostolique (hypomon ?), en supportant avec courage tout obstacle.

Cette nouvelle sainte mexicaine nous invite à aimer comme Jésus nous a aimés, et cela suppose de ne pas se renfermer sur soi-même, sur ses problèmes, ses idées, ses intérêts, dans ce petit monde qui nous procure tant de mal, mais de sortir et d’aller à la rencontre de ceux qui ont besoin d’attention, de compréhension et d’aide, pour leur apporter la proximité chaleureuse de l’amour de Dieu, à travers des gestes concrets de délicatesse, d’affection sincère et d’amour.

Fidélité au Christ et à son Évangile, pour l’annoncer par la parole et par la vie, en témoignant de l’amour de Dieu par notre amour, par notre charité envers tous : ce sont les exemples et les enseignements lumineux que nous offrent les saints proclamés aujourd’hui, mais qui posent aussi des questions à notre vie chrétienne. Comment suis-je fidèle au Christ ? Portons avec nous cette question, pour y réfléchir pendant la journée : comment suis-je fidèle au Christ ? Suis-je capable de « faire voir » ma foi avec respect mais aussi avec courage ? Suis-je attentif aux autres, est-ce que je m’aperçois de celui qui est dans le besoin, est-ce que je vois dans tous des frères et des sœurs à aimer ? Demandons, par l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie et des nouveaux saints, que le Seigneur remplisse notre vie de la joie de son amour.

[Homélie du Pape François – Dimanche 12 mai 2013]

© Libreria Editrice Vaticana - 2013