Pko 05.06.2016
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°31/2016
Dimanche 5 juin 2016 – 10ème Dimanche du temps ordinaire – Année C
Humeurs…
Béatitudes pour un temps de chômage
Bienheureux ceux qui s'appauvrissent
pour investir et créer des emplois,
car ils accumulent des richesses dans le Royaume éternel.
Bienheureux ceux qui renoncent à cumuler des emplois
qui ne leur sont pas nécessaires pour vivre dignement,
car ils ont une place assurée dans le Royaume.
Bienheureux les fonctionnaires publics qui travaillent
comme s'ils s'occupaient de leurs propres affaires,
qui facilitent les démarches
et étudient sérieusement les problèmes,
leur travail sera considéré comme sacré.
Bienheureux les ouvriers et les employés
qui préfèrent la création de postes de travail pour tous,
plutôt que d'accumuler des heures supplémentaires
et des primes pour eux-mêmes,
parce qu'ils savent où est leur vrai trésor.
Bienheureux les hommes politiques et syndicaux
qui s'attachent à trouver des solutions
réalistes au chômage
par-dessus les stratégies et les intérêts partisans
parce qu'ils accélèrent la venue du Royaume.
Bienheureux serons-nous tous,
quand nous cesserons de dire :
« Si je ne tire pas profit de la situation, un autre le fera... »
quand nous cesserons de penser :
« Quel mal y a t-il à frauder ? Tout le monde le fait... »
quand nous renoncerons à penser :
« Si la loi n'est pas violée, tout est permis... »
parce qu'alors la vie en société
sera une anticipation du bonheur du Royaume
d’après Mgr Torija, évêque espagnol
Ceux qui manifestent manifestent parce qu’ils ont un travail.
Vienne le jour où nous verrons se lever une manifestation des sans travail, de ceux-là qui vivent dans l’angoisse du lendemain et le désarroi de ne pas pouvoir nourrir leur famille comme ils l’aimeraient tant. Ce jour-là, les chômeurs manifesteront, légitimement !
Frère Jean-Pierre Le Rest, fic
Chronique de la roue qui tourne
Le regardant et le regardé
« Je n’ai qualité ni pour condamner ni pour absoudre : c’est l’affaire de Dieu. » Jean-Paul Sartre
L’autre jour, ma mère me parlait d’une lecture très intéressante sur « l’aidant » et « l’aidé » où quelques conseils étaient donnés pour harmoniser cette relation. N’étant pas psy, je m’abstiendrai de disserter sur le sujet. En revanche, ma vie d’handicapée m’encourage cette semaine à vous parler d’une autre relation, toute aussi fragile : « le regardant » et « le regardé ».
Ma situation n’a pas toujours été comme celle d’aujourd’hui où beaucoup viennent me voir et m’embrasser. Avant, j’étais « le regardé », ma simple présence donnait lieu à de véritables séances de cinéma. Regardée, pas d’un regard qui chercherait à provoquer un petit contact avec l’autre, non. Ce regard ne m’était jamais destiné… du moins pas encore. Là, je vous parle d’un regard qui te rabaisse plus bas que terre. Ce regard, qui, sans un mot, sait te faire comprendre ta médiocrité. Ce regard qui te déshabille… même de ta dignité. Ce regard qui t’accuse d’exister tout simplement. Combien de fois j’ai dû faire face à ce regard ?
L’autre jour, lors d’une rencontre littéraire, un séminariste m’a demandé comment je réagissais face au regard des autres. Je lui ai répondu qu’avec la maturité, j’avais appris à faire la distinction entre moi (que « les regardants » ne prenaient pas la peine de connaître) et mon handicap (que « les regardants » jugeaient si promptement). Mais, je dois avouer que, ce travail sur moi-même a été possible que grâce à l’amour des miens. Quand le regard des autres me pesait, je fixais les yeux remplis d’amour de ma mère… et j’étais sauvée !
Il y a une magnifique chanson qui dit : « Oh ! Ce regard, je ne l’oublierai jamais ». Ben, ce regard, je l’ai reconnu l’autre jour. Il ne m’était pas adressé. Pourtant, il m’a fait aussi mal !
« Les regardés » du jour étaient mes amis SDF. Ils étaient venus à la porte de l’église suivre la messe. Certes, ils étaient un peu bavards et ne se gênaient pas pour faire des commentaires mais sans entraver le déroulement de la messe. Certes, ils étaient fatigués par l’alcool mais à aucun moment ils n’ont injurié qui que ce soit ou ont été violents. Certes, ils étaient bruyants mais pas assourdissants. Ils sont ce qu’ils sont… tout comme moi, je suis bel et bien tordue. Mais sommes-nous conscients que, eux, n’ont autres regards que les nôtres ? Et surtout, là chacun répondra en son âme et conscience, avons-nous le droit d’avoir ce regard à deux minutes de la communion ?
Un regard ne devrait pas dire le jugement que la bouche refuse de prononcer… surtout face à un inconnu !
La chaise masquée
© Nathalie SH – P.K.0 – 2016
La parole aux sans paroles – 38
Portrait de femme – Alice et Rose-May
ALice est une habituée de Te Vaiete. Dans la rue depuis tellement longtemps qu’elle a arrêté de compter. Récemment elle a trouvé un petit logement et s’est vu confier la garde de sa fille, Rose-May. L’aînée d’une fratrie de 4 enfants, Rose-May est comme une fille unique. Ses frères et sœurs ont tous été adoptés. Une histoire où se mêlent deux voix, celles d’une mère et d’une fille qui veillent l’une sur l’autre.
D’où venez-vous ?
Alice : « J’ai grandi à Papeete, avec ma tante, parce qu’elle voulait de moi. Elle voulait un bébé, ses enfants étaient déjà grands. Alors elle m’a adoptée. Je me rappelle qu’on allait à la messe. Mais elle est morte maintenant, mes parents aussi. »
Rose-May : « Papeete, j’ai grandi avec maman. Je suis sous sa garde. »
Votre école ?
Alice : « Je suis allé à Ste Thérèse. Je fais le collège et j’ai quitté. »
Rose-May : « J’étais à Anne-Marie Javouhey, au collège. Mais j’ai arrêté il y a un an, je n’arrivais plus, j’avais trop de problèmes. Mais j’ai envie de reprendre, au CJA, en cuisine, parce que j’aime bien cuisiner. Tu peux me demander tous les plats que tu veux. »
Et comment vous vous êtes retrouvées à la rue ?
Rose-May : « On habitait de maison en maison et on nous a chassé. »
Comment vous vous en sortez ?
Rose-May : « On fait la charité. Le plus dur, en fait, c’est de trouver à manger. Mais, ça va, on arrive à se débrouiller ! »
Rose-May, parle-moi de ton papa.
Heimiti : « Mes parents se sont séparés quand j’étais bébé et papa, lui, vit à Mahina. Il a refait sa vie avec quelqu’un d’autre. Et comme je suis sous la garde de maman, je le vois que quelques week-ends et pendant les vacances. Il me donne un peu d’argent pour nous aider. Et c’est grâce à son patron qu’on a un petit appartement pour nous deux maman. »
On te sent très proche de ta maman.
Rose-May : « Je l’aime beaucoup, je n’ai qu’une seule maman, je n’ai qu’elle ! »
Et comment tu vois votre vie dans 10 ans ?
Rose-May : « Je sais qu’on va réussir, on va y arriver. Dieu veille sur nous. »
Un dernier message ?
Rose-May : « Merci de vouloir connaître notre vie, merci. »
© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016
Apprendre à prier sans arrogance et hypocrisie
Audience générale du mercredi 1er juin 2016 - pape François
Lors de l’audience générale, le Pape François a poursuivi sa série de catéchèses sur la miséricorde dans les Évangiles. Après la parabole du juge et de la veuve la semaine dernière, il s’est cette fois arrêté sur la parabole du pharisien et du publicain, tirée du chapitre 18 de l’Évangile selon saint Luc. Une parabole qui nous enseigne « l’attitude juste pour prier ».
Chers frères et sœurs, bonjour !
Mercredi dernier, nous avons écouté la parabole du juge et de la veuve, sur la nécessité de prier avec persévérance. Aujourd’hui, avec une autre parabole, Jésus veut nous enseigner quelle est l’attitude juste pour prier et invoquer la miséricorde du Père ; comment on doit prier ; l’attitude juste pour prier. C’est la parabole du pharisien et du publicain (cf. Lc 18,9-14).
Les deux personnages montent au temple pour prier mais ils agissent de manières très différentes, obtenant des résultats opposés. Le pharisien prie en se tenant « debout » (v.11) et emploie beaucoup de paroles. Sa prière est, oui, une prière de remerciements adressée à Dieu, mais en réalité c’est un étalage de ses propres mérites, avec un sentiment de supériorité par rapport aux « autres hommes », qualifiés de « voleurs, injustes, adultères » – et il indique l’autre qui était là – « ce publicain » (v.11). Mais c’est justement là qu’est le problème : ce pharisien prie Dieu, mais en vérité il se regarde lui-même. Il se prie lui-même ! Au lieu d’avoir le Seigneur sous les yeux, il a un miroir. Bien qu’il soit dans le temple, il n’éprouve pas la nécessité de se prosterner devant la majesté de Dieu ; il est debout, il se sent sûr, comme si c’était lui le patron du temple ! Il liste les bonnes œuvres qu’il accomplit : il est irrépréhensible, observant la Loi au-delà de ce qui est dû, il jeûne « deux fois par semaine » et paie la « dîme » de tout ce qu’il possède. En somme, plus que de prier, le pharisien se complaît dans sa propre observance des préceptes. Et pourtant son attitude et ses paroles sont loin de la façon d’agir et de parler de Dieu, qui aime tous les hommes et ne méprise pas les pécheurs. Au contraire, ce pharisien méprise les pécheurs, même quand il indique l’autre qui est là. En somme, le pharisien, qui se considère juste, néglige le commandement le plus important : l’amour de Dieu et du prochain.
Il ne suffit donc pas de nous demander combien de temps nous prions, nous devons aussi nous demander comment nous prions, ou mieux, comment est notre cœur : il est important de l’examiner pour évaluer nos pensées, nos sentiments, et en extirper l’arrogance et l’hypocrisie. Mais je pose une question : peut-on prier avec arrogance ? Non ! Peut-on prier avec hypocrisie ? Non ! Nous devons seulement prier en nous mettant devant Dieu tels que nous sommes. Pas comme le pharisien qui priait avec arrogance et hypocrisie. Nous sommes tous pris par la frénésie du rythme quotidien, souvent livrés à nos sensations, étourdis, confus. Il est nécessaire d’apprendre à retrouver le chemin de notre cœur, de retrouver la valeur de l’intimité et du silence, parce que c’est là que Dieu nous rencontre et nous parle. C’est seulement à partir de là que nous pouvons à notre tour rencontrer les autres et parler avec eux. Le pharisien s’est mis en marche vers le temple, il est sûr de lui mais il ne se rend pas compte qu’il a perdu le chemin de son cœur.
Le publicain en revanche, – l’autre – se présente dans le temple l’âme humble et repentie : il « se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine » (v.13). Sa prière est très brève, elle n’est pas aussi longue que celle du pharisien : « Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! ». Rien d’autre. Une belle prière ! En effet, les collecteurs d’impôts – que l’on appelait justement « publicains » – étaient considérés comme des personnes impures, soumises aux dominateurs étrangers, ils étaient mal vus par les gens et en général associés aux « pécheurs ». La parabole enseigne que l’on est juste ou pécheur non par son appartenance sociale mais par sa manière de se mettre en relation avec Dieu et par sa manière d’être en relation avec ses frères. Les gestes de pénitence et les paroles peu nombreuses et simples du publicain témoignent qu’il est conscient de sa condition misérable. Sa prière est essentielle. Il agit en humble, sûr uniquement d’être un pécheur qui a besoin de pitié. Si le pharisien ne demandait rien parce qu’il avait déjà tout, le publicain ne peut que mendier la miséricorde de Dieu. Et c’est beau : mendier la miséricorde de Dieu. En se présentant « les mains vides », le cœur nu et se reconnaissant pécheur, le publicain nous montre à tous la condition nécessaire pour recevoir le pardon du Seigneur. À la fin, c’est précisément lui, si méprisé, qui devient une image du véritable croyant.
Jésus conclut la parabole par une sentence : « Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé » (v.14). De ces deux-là, lequel est le corrompu ? Le pharisien. Le pharisien est justement l’image du corrompu qui fait semblant de prier, mais ne réussit qu’à se pavaner devant un miroir. C’est un corrompu et il fait semblant de prier. Ainsi, dans la vie, celui qui se croit juste et qui juge les autres en les méprisant est un corrompu et un hypocrite. L’arrogance compromet toute bonne action, vide la prière, éloigne de Dieu et des autres. Si Dieu préfère l’humilité, ce n’est pas pour nous abaisser : l’humilité est plutôt la condition nécessaire pour être relevé par lui, pour faire l’expérience de la miséricorde qui vient combler nos vides. Si la prière de l’arrogant ne touche pas le cœur de Dieu, l’humilité du misérable l’ouvre tout grand. Dieu a une faiblesse : son faible pour les humbles. Devant un cœur humble, Dieu ouvre entièrement son cœur. C’est cette humilité que la Vierge Marie exprime dans le chant du Magnificat : « Il s’est penché sur son humble servante. […] Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. » (Lc 1,48-50). Qu’elle nous aide, elle, notre Mère, à prier d’un cœur humble. Et nous, redisons trois fois cette belle prière : « Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ».
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Donnez plus de place à la voix des pauvres et des opprimés
Message du pape François 100ème Katholikentag – 25 mai 2016
Les catholiques allemands réunis pour la 100ème édition de la Katholikentag. Ce grand rassemblement réunit tous les deux ans, des milliers de personnes de tout le pays. Sous le thème « regardez, voici l’homme », l’évènement a eu lieu du 25 au 28 mai, à Leipzig. Le Pape François leur a adressé un message vidéo à cette occasion.
Chers frères et sœurs,
Je vous salue de tout cœur, vous tous qui participez à la 100ème Journée des catholiques à Leipzig.
Je suis heureux que vous soyez venus si nombreux. Vous voulez montrer aux hommes et aux femmes, à Leipzig et dans toute l’Allemagne, que vous vivez la joie de l’Évangile. Vous avez de bons rapports avec les chrétiens des autres confessions et vous donnez un témoignage authentique du Christ par votre engagement concret en faveur des plus faibles et des plus démunis.
« Voici l’homme ! » : vous vous êtes réunis autour de ce thème. Cela montre d’une manière très belle ce qui compte. Ce n’est pas de faire ni le succès extérieur qui compte, mais la capacité à s’arrêter, à tourner son regard, à être attentif envers l’autre et à lui offrir ce qui lui manque vraiment.
Toutes les personnes humaines désirent la communion et la paix. Elles ont besoin de coexistence pacifique. Mais ceci ne peut grandir que quand nous construisons aussi la paix intérieure dans notre cœur. Beaucoup de personnes vivent constamment pressées. Ainsi elles ont tendance à négliger tout ce qu’elles ont autour d’elles. Cela a aussi une incidence sur la façon dont on traite l’environnement. Il s’agit de s’accorder plus de temps pour retrouver une harmonie sereine avec le monde, avec la création, mais aussi avec le Créateur (cf. Laudato si’, 225). Cherchons, dans la contemplation, dans la prière à parvenir à toujours davantage de familiarité avec Dieu. Et petit à petit, nous découvrons que le Père céleste désire notre bien ; il veut nous voir heureux, pleins de joie et sereins. C’est cette familiarité avec Dieu qui anime aussi notre miséricorde. De la façon dont le Père aime, ainsi les enfants aiment aussi. De même qu’il est miséricordieux, ainsi nous sommes nous aussi appelés à être miséricordieux les uns envers les autres (cf. Misericordiae vultus). Laissons-nous toucher par la miséricorde de Dieu, y compris avec une bonne confession, pour devenir toujours plus miséricordieux comme le Père.
« Voici l’homme ! »: bien souvent nous rencontrons l’homme maltraité dans la société. Nous voyons comment d’autres jugent la valeur de sa vie et le poussent, dans sa vieillesse ou dans la maladie, à mourir vite. Nous voyons combien les hommes sont traités, refoulés ici ou là et privés de leur dignité, parce qu’ils n’ont pas de travail ou que ce sont des réfugiés. Nous voyons là Jésus souffrant et martyrisé, qui pose son regard sur la méchanceté et sur la brutalité dans toute leur dimension, que les hommes subissent ou se font subir les uns aux autres dans ce monde.
À ceux qui sont rassemblés à Leipzig et à tous les fidèles en Allemagne, je souhaite qu’ils donnent plus de place dans leur vie à la voix des pauvres et des opprimés. Soutenez-vous mutuellement dans le partage d’expériences et d’idées sur la façon de porter la Bonne Nouvelle du Christ aux hommes. Implorons le divin Consolateur, l’Esprit Saint, afin qu’il nous donne le courage et la force d’être témoins de cette espérance qu’est Dieu pour l’humanité tout entière. Et, s’il vous plaît, priez aussi pour moi. À vous tous, qui contribuez et participez à cette fête de la foi, de la joie et de l’espérance, je donne de tout cœur la bénédiction apostolique.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
La charité ne se réduit pas à de la philanthropie
Message du pape François à la Petite œuvre de la divine Providence – 27 mai 2016
Le Pape a exhorté les membres de la Communauté de Don Orione à veiller à ce que « la foi ne devienne jamais une idéologie, que la charité ne se réduise pas à de la philanthropie, et à ce que l’Eglise ne finisse pas être une ONG ». Il les recevait ce vendredi 27 mai 2016, au terme de leur chapitre général.
Chers frères,
Je suis heureux de vous rencontrer à l’occasion de votre chapitre général. Je vous salue cordialement, en commençant par votre nouveau Supérieur général que je remercie pour les paroles qu’il m’a adressées et à qui j’adresse mes vœux de bon travail, en union avec ses conseillers.
Nous sommes tous en chemin à la suite de Jésus. L’Église entière est appelée à marcher avec Jésus sur les routes du monde pour rencontrer l’humanité d’aujourd’hui qui a besoin, comme l’écrivait don Orione, du « pain du corps et du divin baume de la foi » (Lettres II, 463). Pour incarner dans l’aujourd’hui de l’histoire ces paroles de votre fondateur et vivre l’essentiel de son enseignement, vous avez mis au centre des réflexions du Chapitre général votre identité, résumée par don Orione dans l’expression de « serviteurs du Christ et des pauvres ». La voie maîtresse est de garder toujours unies ces deux dimensions de votre vie personnelle et apostolique. Vous avez été appelés et consacrés par Dieu pour rester avec Jésus (cf. Mc 3,14) et pour le servir dans les pauvres et dans les exclus de la société. En eux, vous touchez et vous servez la chair du Christ et vous grandissez dans l’union avec lui, veillant toujours pour que la foi ne devienne pas idéologie, que la charité ne se réduise pas à de la philanthropie, et que l’Eglise ne finisse pas par être une ONG.
Être serviteurs du Christ qualifie tout ce que vous êtes et ce que vous faites, garantit votre efficacité apostolique et rend fécond votre service. Don Orione vous recommande de « chercher et de soigner les plaies du peuple, de prendre soin de ses infirmités et d’aller à sa rencontre dans les questions morales et matérielles : de cette façon, votre action sera non seulement efficace mais profondément chrétienne et salvatrice » (Écrits 61,114). Je vous encourage à suivre ces indications ; elles sont plus vraies que jamais ! En effet, en faisant cela, non seulement vous imiterez Jésus, bon Samaritain, mais vous offrirez aux gens la joie de rencontrer Jésus et le salut qu’il apporte à tous. En effet, « ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur et de l’isolement. Avec Jésus-Christ, la joie nait et renait toujours » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium,1).
L’annonce de l’Évangile, spécialement de nos jours, demande beaucoup d’amour pour le Seigneur, uni à une audace particulière. J’ai su que, du vivant de votre fondateur, dans certains lieux on vous appelait « les prêtres qui courent » parce qu’on vous voyait toujours en mouvement, parmi les gens, le pas rapide de celui qui se hâte. « L’amour est en chemin », rappelait saint Bernard, l’amour est toujours sur la route en chemin. Avec don Orione, moi aussi je vous exhorte à ne pas rester enfermés dans vos environnements, mais à aller « dehors ». Il y a tellement besoin de prêtres et de religieux qui ne s’arrêtent pas seulement dans les institutions de charité – bien qu’elles soient nécessaires – mais qui sachent aller au-delà des frontières de celles-ci pour porter, dans tous les milieux, y compris le plus lointain, le parfum de la charité du Christ. Ne perdez jamais de vue ni l’Église ni votre communauté religieuse ; au contraire, le cœur doit être là, dans votre « cénacle », mais ensuite il faut sortir apporter la miséricorde de Dieu à tous, sans distinction.
Votre service rendu à l’Église sera d’autant plus efficace que vous vous efforcerez de soigner votre adhésion personnelle au Christ et votre formation spirituelle. En témoignant de la beauté de la consécration, de la vie bonne de religieux « serviteurs du Christ et des pauvres », vous serez un exemple pour les jeunes. La vie génère la vie, le religieux saint et content suscite de nouvelles vocations.
Je confie votre Congrégation à la protection maternelle de la Vierge Marie, que vous vénérez comme « Mère de la divine Providence ». Je vous demande, s’il vous plaît, de prier pour moi et pour mon service de l’Église. J’invoque sur vous la bénédiction apostolique, ainsi que sur vos confrères, en particulier ceux qui sont âgé et malades, et sur ceux qui partagent le charisme de votre institut.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Chers Diacres, ne soyez pas esclaves de vos agenda !
Homélie du Pape François à l’occasion du Jubilé des Diacres – 29 juin 2016
Le Pape François a présidé le dimanche 29 mai 2016 la messe sur le parvis de la basilique Saint-Pierre, en présence de milliers de diacres venus à Rome pour leur Jubilé de la miséricorde. Dans son homélie, le Saint-Père a dressé le portrait du diacre : un homme de service, à l’image de Jésus, doux et disponible, qui n’est pas « esclave » de son agenda.
« Serviteur du Christ » (Gal 1, 10). Nous avons entendu cette expression, par laquelle l’apôtre Paul se définit, en écrivant aux Galates. Au début de la lettre il s’était présenté comme « apôtre », par volonté du Seigneur Jésus (cf. Gal 1, 1). Les deux termes, apôtre et serviteur, vont ensemble, ils ne peuvent jamais être séparés ; ce sont comme deux faces d’une même médaille: celui qui annonce Jésus est appelé à servir et celui qui sert annonce Jésus.
Le Seigneur nous l’a montré le premier : Lui, la Parole du Père, Lui, qui nous a apporté la bonne nouvelle (Is 61, 1), Lui, qui est en lui-même la bonne nouvelle (cf. Lc 4, 18), il s’est fait notre serviteur (Ph 2, 7), « il n’est pas venu pour être servi mais pour servir » (Mc 10, 45). « Il s’est fait le diacre de tous », a écrit un Père de l’Église (Saint Polycarpe, Ad Phil. V, 2). Comme il a fait Lui, ainsi nous sommes appelés à être ses annonciateurs. Le disciple de Jésus ne peut aller sur un chemin différent de celui du Maître, mais s’il veut annoncer il doit l’imiter, comme a fait Paul : aspirer à devenir serviteur. En d’autres termes, si évangéliser est la mission confiée à chaque chrétien dans le baptême, servir est le style avec lequel vivre la mission, l’unique manière d’être disciple de Jésus. Est son témoin celui qui fait comme Lui : celui qui sert les frères et les sœurs, sans se lasser du Christ humble, sans se lasser de la vie chrétienne qui est vie de service.
Par où commencer pour devenir « serviteurs bons et fidèles » (cf. Mt 25, 21) ? Comme premier pas, nous sommes invités à vivre la disponibilité. Le serviteur apprend chaque jour à se détacher du fait de disposer de tout pour soi et de disposer de soi comme il veut. Il s’entraîne chaque matin à donner sa vie, à penser que chaque jour ne sera pas le sien, mais sera à vivre comme une remise de soi. Celui qui sert, en effet, n’est pas un gardien jaloux de son propre temps, au contraire il renonce à être le patron de sa propre journée. Il sait que le temps qu’il vit ne lui appartient pas, mais que c’est un don qu’il reçoit de Dieu pour l’offrir à son tour : seulement ainsi il portera vraiment du fruit. Celui qui sert n’est pas esclave de l’agenda qu’il établit, mais docile de cœur, il est disponible à ce qui est non programmé : prêt pour le frère et ouvert à l’imprévu, qui ne manque jamais et est souvent la surprise quotidienne de Dieu. Le serviteur est ouvert à la surprise, aux surprises quotidiennes de Dieu. Le serviteur sait ouvrir les portes de son temps et de ses espaces à celui qui est proche et aussi à celui qui frappe en dehors des horaires, au risque d’interrompre quelque chose qui lui plaît ou le repos qu’il mérite. Le serviteur néglige les horaires. Cela me fait mal au cœur quand je vois un horaire, dans les paroisses : « De telle heure à telle heure ». Et ensuite ? Il n’y a pas de porte ouverte, il n’y a pas de prêtre, il n’y a pas de diacre, il n’y a pas de laïc qui reçoit les gens… Cela fait mal. Négliger les horaires : avoir ce courage, de négliger les horaires. Ainsi, chers diacres, en vivant dans la disponibilité, votre service sera privé de tout profit et évangéliquement fécond.
L’Évangile d’aujourd’hui nous parle aussi de service, nous montrant deux serviteurs dont nous pouvons tirer de précieux enseignements : le serviteur du centurion, qui est guéri par Jésus, et le centurion lui-même, au service de l’empereur. Les paroles que celui-ci envoie rapporter à Jésus, afin qu’il ne vienne pas jusque chez lui sont surprenantes et sont souvent le contraire de nos prières : « Seigneur, ne prends-pas cette peine, car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit » (Lc 7,6) ; « je ne me suis pas autorisé moi-même à venir te trouver » (v. 7) ; « moi, je suis quelqu’un de subordonné à une autorité » (v. 8). Devant ces paroles, Jésus reste admiratif. La grande humilité du centurion, sa douceur, le frappent. Et la douceur est une des vertus des diacres. Quand le diacre est doux, il est serviteur et il ne joue pas à « singer » les prêtres, non, il est doux. Devant le problème qui l’affligeait, il aurait pu s’agiter et prétendre à être exaucé, faisant valoir son autorité ; il aurait pu convaincre avec insistance, même contraindre Jésus à se rendre dans sa maison. Au contraire il se fait petit, discret, doux, il n’élève pas la voix, et ne veut pas déranger. Il se comporte, peut-être sans le savoir, selon le style de Dieu, qui est « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Dieu en effet, qui est amour, va par amour jusqu’à nous servir : avec nous il est patient, bienveillant, toujours prêt et bien disposé, il souffre pour nos erreurs et cherche le chemin pour nous aider et nous rendre meilleurs. Là sont aussi les traits doux et humbles du service chrétien, qui est d’imiter Dieu en servant les autres : les accueillant avec un amour patient, les comprenant sans nous lasser, faisant en sorte qu’ils se sentent accueillis, à la maison, dans la communauté ecclésiale, où ce n’est pas celui qui commande qui est grand mais celui qui sert (cf. Lc 22, 26). Et jamais réprimander, jamais. Ainsi, chers diacres, dans la douceur, murira votre vocation de ministres de la charité.
Après l’apôtre Paul et le centurion, dans les lectures d’aujourd’hui, il y a un troisième serviteur, celui qui est guéri par Jésus. Dans le récit on dit qu’il était très cher à son patron et qu’il était malade, mais on ne sait pas quelle était sa grave maladie (v. 2). D’une certaine façon, nous pouvons nous aussi nous reconnaître dans ce serviteur. Chacun de nous est très cher à Dieu, aimé et choisi par lui et il est appelé à servir, mais il a surtout besoin d’être guéri intérieurement. Pour être aptes au service, il nous faut la santé du cœur : un cœur guéri par Dieu, qui se sente pardonné et qui ne soit ni fermé ni dur. Cela nous fera du bien de prier avec confiance chaque jour pour cela, demander d’être guéris par Jésus, de lui ressembler lui qui « ne nous appelle plus serviteurs mais amis » (cf. Jn 15, 15). Chers diacres, vous pouvez demander chaque jour cette grâce dans la prière, dans une prière où présenter vos peines, vos imprévus, vos fatigues et vos espérances : une prière vraie, qui porte la vie au Seigneur et le Seigneur dans la vie. Et quand vous servez à la table eucharistique, vous y trouverez la présence de Jésus, qui se donne à vous afin que vous vous donniez aux autres.
Ainsi, disponibles dans la vie, doux de cœur et en dialogue constant avec Jésus, vous n’aurez pas peur d’être serviteurs du Christ, de rencontrer et de caresser la chair du Seigneur dans les pauvres d’aujourd’hui.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Le gaspillage alimentaire n’est pas d’abord un problème technique
Intervention du Cardinal Tagle, président de Caritas Internationalis à la F.A.O. – 30 mai 2016
Trouver une nouvelle façon d’encadrer la question du gaspillage alimentaire en mettant au centre des préoccupations l’homme. C’est l’appel du cardinal Luis Antonio Tagle, président de Caritas Internationalis, lors de la 154ème session du Conseil de la FAO qui s’est tenue lundi 30 mai à Rome sur le thème de la réduction des déchets alimentaires. S'appuyant sur des exemples concrets, il appelle donc à changer son regard, « faire des choix politiques, adopter un style de vie et une spiritualité qui rompt avec le pur paradigme technocratique ». Car « adopter seulement des remèdes techniques aux pertes alimentaires équivaut à oublier la personne humaine, séparant ce qui est en réalité interconnecté et masquant le véritable et plus profond problème du système global », a martelé le Cardinal.
Monsieur le Directeur Général,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C’est un privilège de parler aujourd’hui à un public aussi qualifié. Je suis reconnaissant envers la FAO de m’avoir permis de faire partie de ce panel, ce qui me procure aussi le grand plaisir de rencontrer personnellement le directeur général, le professeur José Graziano da Silva. Caritas Internationalis et la FAO jouissent de relations institutionnelles établies et ma présence ici aujourd’hui est un signe tangible de cette coopération.
Mon intervention a pour objectif de présenter une nouvelle manière de situer le problème de la nourriture perdue, en suggérant des solutions à partir de l’expérience des organisations de Caritas.
La question de la nourriture perdue est très présente parmi les préoccupations de l’Église catholique, en tant que problème qui freine la disponibilité de nourriture pour tous, sapant ainsi le développement humain. Dans la pratique des organisations de Caritas, un des défis dans la mise en œuvre de projets à tous les niveaux est la perte de produits alimentaires dont les fermiers et les communautés font l’expérience, d’année en année. La perte de nourriture se produit à toutes les étapes du développement de chaines de valeur agricole après la récolte, y compris pendant le transport du champ à la propriété, pendant le battage ou l’écossage, pendant le stockage, pendant le transport jusqu’au marché et pendant la vente. Ceci est particulièrement dommageable pour les petits exploitants agricoles dont la sécurité alimentaire et la capacité à gagner leur vie par leur travail peut être sévèrement menacée.
Dans sa lettre encyclique « Caritas in Veritate », le pape Benoît réaffirmait déjà qu’une manière d’éliminer les causes structurelles de l’insécurité alimentaire était de promouvoir un développement agricole à travers « des investissements en infrastructures rurales, en systèmes d’irrigation, de transport, d’organisation des marchés, en formation et en diffusion des techniques agricoles appropriées » chez les agriculteurs. Toutes ces interventions sont particulièrement efficaces pour prévenir les pertes alimentaires.
Plus récemment, le pape François nous rappelait que la réalisation du droit humain fondamental à une nourriture adéquate n’est pas seulement un défi économique et « technique », mais particulièrement « éthique et anthropologique »1 : les États ont l’obligation de créer des conditions favorables à la sécurité alimentaire, de respecter la personne et sa façon d’utiliser les ressources nécessaires, d’assurer la sécurité alimentaire et la quantité de nourriture. Si nous voulons que les systèmes alimentaires garantissent le droit à une nourriture adéquate pour tous, y compris pour les plus désavantagés, cela requiert des politiques saines et des mesures efficaces pour empêcher la perte de produits alimentaires. Le problème de la nourriture perdue est clairement un problème systémique, la conséquence de systèmes alimentaires non pas centrés sur la personne humaine, mais sur le marché. Dans « Evangelii gaudium », le pape François dit non à une économie d’exclusion et d’inégalité, rejetant les théories du « ruissellement » selon lesquelles la croissance économique et le marché libre finiraient par apporter plus de justice et d’inclusivité. Il nous a demandé à tous : « Pouvons-nous continuer à rester là quand la nourriture est jetée alors que des personnes meurent de faim ? »2
Dans son encyclique « Laudato si », il nous rappelle en particulier qu’une lecture correcte des textes bibliques nous dévoile une belle invitation à « travailler et garder le jardin du monde », à être ses intendants et gardiens (cf. Gn 2,15). Tandis que « travailler » signifie cultiver et labourer, « garder » veut dire prendre soin de, protéger, surveiller et conserver. Le devoir de « garder ce jardin » ne s’applique-t-il pas aussi à ses fruits ? L’encyclique poursuit : « Chaque communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la continuité de sa fertilité pour les générations futures » (Laudato si’, 67). Quelle meilleure façon de sauvegarder et de garantir la continuité de sa fertilité que d’éviter la surproduction qui épuise les ressources naturelles, tout en s’assurant que les fruits de la terre ne sont pas perdus ? Le pape a manifesté sa grande préoccupation quant à l’épuisement des ressources naturelles, rappelant que l’exploitation de la planète a atteint son maximum (id., 23 et suivants). Ceci fait qu’il est absolument nécessaire d’avoir de nouveaux modèles de production et de consommation.
Les fruits de la terre doivent bénéficier à tout le monde. Cela nécessite que l’on adopte une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des pauvres et des moins privilégiés. Selon la doctrine sociale de l’Église, la propriété privée est subordonnée à la destination universelle des biens ; rappelant l’enseignement de saint Jean-Paul II3, le pape François réaffirme qu’« un type de développement qui ne respecterait pas et n’encouragerait pas les droits humains, personnels et sociaux, économiques et politiques, y compris les droits des nations et des peuples, ne serait pas non plus digne de l’homme » (id., 93).
L’expérience des organisations Caritas montre que, souvent, les petits exploitants agricoles manquent de capacité pour gérer les pertes après les récoltes. Le droit humain à une nourriture adéquate requiert « un accès équivalent aux ressources pour la nourriture : ainsi, à part la propriété foncière, le monde rural doit avoir accès aux moyens d’éducation technique, de crédit et d’assurance et aux marchés » (id., 94). C’est aussi le type d’accompagnement que fournit Caritas, à travers la promotion de méthodes de récolte améliorées, des formations au choix du moment propice aux récoltes et aux techniques de stockage, la sensibilisation sur le droit à la nourriture ainsi que des interventions auprès des gouvernements en faveur de politiques spécifiques et de stratégies pour guider le travail de tous ceux qui ont impliqués dans les questions de pertes après les récoltes, comme les chercheurs, les conseillers agricoles, les acteurs du secteur privé, le gouvernement, les organisations d’aide internationales non gouvernementales et les agriculteurs.
Une étude menée par Caritas Malawi (CADECOM) en 2014, par exemple, a observé les récoltes alimentaires telles que le maïs, le millet, le sorgho, le soja, les haricots, les pois cajan et les arachides, montrant que les pertes alimentaires étaient un défi à la sécurité alimentaire des exploitants individuels et au pays dans son ensemble. Elle a révélé des besoins sérieux non satisfaits : premièrement, les contraintes expérimentées par les fermiers, comme le manque de ressources financières pour acheter des équipements de stockage et le manque d’installations de stockage appropriées ; un certain nombre de méthodes de stockage ne sont pas accessibles en raison d’une sensibilisation limitée, d’un manque d’accès aux technologies et de coûts d’acquisition prohibitifs ; les agriculteurs ont besoin d’opportunités pour suivre des formations et des services de conseil, ainsi que pour profiter de technologies traditionnelles et améliorées. N’oublions jamais l’importance des méthodes traditionnelles4 pour le stockage des récoltes, particulièrement importantes pour les petits exploitants agricoles. Deuxièmement, il n’existe pas de stratégies gouvernementales spécifiques sur les pertes après les moissons. Cela a motivé Caritas Malawi pour lancer des programmes destinés à accroître les capacités des fermiers et à s’engager dans le plaidoyer en matière de politique.
L’enseignement social catholique encourage la promotion d’une économie qui favorise la diversité de production et encourage les systèmes de production alimentaire à petite échelle qui alimentent la majeure partie du monde. Dans de nombreux cas, les petits producteurs sont forcés de vendre leur terre ou d’abandonner leurs récoltes traditionnelles. Leurs tentatives de se tourner vers d’autres formes de production sont souvent vaines parce que les marchés régionaux et mondiaux ne leur sont pas ouverts ou parce que l’infrastructure pour les ventes et le transport est destinée à de plus grandes entreprises. Les autorités civiles ont le droit et le devoir d’adopter des mesures de soutien aux petits producteurs et aux productions diversifiées (id., 129). Il est essentiel que les systèmes alimentaires intègrent la valeur fondamentale du travail humain : garantir que les fruits du travail humain ne sont pas perdus est une question de justice ! Les politiques et mesures nationales et locales devraient encourager les différentes formes de coopération ou d’organisation communautaire qui défendent les intérêts des petits producteurs et garantissent le développement durable.
Par exemple, les Œuvres caritatives catholiques (Caritas) USA développent un programme appelé « Ferme pour le Maine » dont le but est de fournir des légumes organiques riches en nutriments pour des personnes démunies qui font appel aux banques alimentaires. Une partie du produit est distribuée directement à la sortie du champ, tandis que la plupart est transformée, en partenariat avec des petites entreprises appartenant à des femmes, pour être distribuée pendant les mois d’hiver. Ce partenariat stimule l’emploi et la coopération tout en permettant de garder des légumes pendant tout le rude hiver du Maine, lorsque le besoin est le plus important.
Un autre exemple est le système de distribution de nourriture développé dans l’État de Washington pour distribuer des fruits et légumes frais aux foyers à bas revenu. « Catholic Charities » de la ville de Spokane a créé un vaste réseau de liens avec plus de 50 entreprises agricoles pour nourrir une communauté où 17 % des habitants reçoivent de la nourriture à travers des bons d’alimentation fournis par le gouvernement. Un système « de la ferme à la banque alimentaire » robuste a été construit, travaillant avec de multiples partenaires incluant des universités pour offrir des programmes d’éducation nutritionnelle et pour construire des installations de chaînes de distribution. Les fermiers étaient reliés à des routes logistiques qui culminaient dans la ville, approvisionnant des sites de distribution à proximité, permettant de fournir de la nourriture sans infrastructure de transport importante. Des équipements comme un véhicule de livraison, des réfrigérateurs et des congélateurs pour le stockage ont amélioré la capacité des sites de distribution.
En somme, les manières dont Caritas affronte les problèmes de pertes de nourriture ne consistent pas seulement en des solutions techniques. Elles répondent plutôt à une vision basée sur un développement humain qui soit intégral et écologique : les programmes de Caritas sont toujours orientés vers les personnes les plus vulnérables et marginalisées ; ils garantissent un développement durable par le respect de l’environnement, de la santé et du bien-être humains et stimulent la création d’emplois ; ils visent la réalisation de la justice sociale en créant des alliances vertueuses basées sur la solidarité et la coopération, favorisant l’inclusion sociale.
Conclusions : une nouvelle approche du problème de la nourriture perdue
Le marché ne peut à lui seul garantir le développement humain intégral et l’inclusion sociale. Même lorsque nous abordons un problème apparemment technique, comme les pertes alimentaires, nous ne devons pas sous-estimer « les racines les plus profondes des dérèglements actuels qui sont en rapport avec l’orientation, les fins, le sens et le contexte social de la croissance technologique et économique » (id., 109).
Nous devons regarder les choses différemment, nous devons faire des choix politiques, adopter des styles de vie et une spiritualité qui coupent avec le simple « paradigme technocratique ». N’adopter que des remèdes techniques à la perte de nourriture équivaut à oublier la personne humaine, séparant « des choses qui sont entrelacées dans la réalité » et masquant « les vraies et plus profondes questions du système mondial » (id., 111).
Merci.
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1 Cf. Pape François, Message pour la Journée mondiale de la nourriture 2013, 2.
2 Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, 53.
3 Pape Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo Rei Socialis (30 décembre 1987), 33.
4 Y compris l’usage d’herbes provenant d’arbres/arbustes, l’usage de cendre provenant des déchets d’élevage et de résidus de culture et l’usage de greniers traditionnels. Répartir de la cendre sur des récoltes comme les haricots est très efficace : ils ne sont pas attaqués par les charançons et ne demandent plus longtemps à la cuisson. La cendre répartie sur la patate douce et conservée est une mine qui garantira la conservation pendant plus de cinq mois. Caritas Malawi travaille cependant avec tous les niveaux de fermiers : petits propriétaires, agriculteurs à revenus moyens et exploitants commerciaux, à travers des programmes d’approches différentes adaptés à chacun. Par conséquent, certaines stratégies pour gérer les pertes alimentaires – telles que l’usage de produits agrochimiques – peuvent ne pas convenir à des petits exploitants pour lesquels seules des méthodes traditionnelles peuvent conviennent. L’emploi de produits agrochimiques est très adapté à des agriculteurs à revenu intermédiaire et à des exploitants commerciaux.
© Zenit – 2016
Commentaire des lectures du dimanche
Chers frères et sœurs !
Dans l’Évangile que nous avons écouté, il y a une expression de Jésus qui me touche toujours : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Lc 9, 13). À partir de cette phrase, je me laisse guider par trois mots : suite du Christ (sequela), communion, partage.
Tout d’abord : qui sont ceux auxquels donner à manger ? Nous trouvons la réponse au début du passage évangélique : c’est la foule, la multitude. Jésus se tient au milieu des personnes, les accueille, leur parle, s’en préoccupe, leur montre la miséricorde de Dieu ; au milieu d’eux, il choisit les Douze apôtres pour rester avec Lui et s’immerger comme Lui dans les situations concrètes du monde. Et la foule le suit, l’écoute, parce que Jésus parle et agit d’une façon nouvelle, avec l’autorité de celui qui est authentique et cohérent, de celui qui parle et agit avec vérité, de celui qui donne l’espérance qui vient de Dieu, de celui qui est révélation du Visage d’un Dieu qui est amour. Et les personnes, avec joie, bénissent Dieu.
Ce soir, nous sommes la foule de l’Évangile, nous cherchons nous aussi à suivre Jésus pour l’écouter, pour entrer en communion avec Lui dans l’Eucharistie, pour l’accompagner et pour qu’il nous accompagne. Demandons-nous : comment est-ce que je suis Jésus ? Jésus parle en silence dans le Mystère de l’Eucharistie et nous rappelle chaque fois que le suivre signifie sortir de nous-mêmes et faire de notre vie non pas notre possession, mais un don à Lui et aux autres.
Allons plus loin : d’où naît l’invitation que Jésus fait aux disciples de nourrir eux-mêmes la multitude ? Elle naît de deux éléments : d’abord, de la foule qui, en suivant Jésus, se trouve en plein air, loin des lieux habités, alors que le soir tombe, et puis de la préoccupation des disciples qui demandent à Jésus de renvoyer la foule pour qu’elle aille dans les villages voisins trouver de la nourriture et un logis (cf. Lc 9, 12). Face aux nécessités de la foule, voici la solution des disciples : que chacun pense à soi ; renvoyer la foule ! Que chacun pense à soi ; renvoyer la foule ! Combien de fois nous, chrétiens, avons-nous eu cette tentation ! Nous ne nous chargeons pas des nécessités des autres, en les renvoyant avec un « Que Dieu te vienne en aide » compatissant ou avec un « bonne chance » pas très compatissant, et si je ne te vois plus... Mais la solution de Jésus va dans une autre direction, une direction qui surprend les disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Mais comment est-il possible que nous donnions à manger à une multitude ? « Nous n’avons pas plus de cinq pains et de deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple » (Lc 9, 13). Mais Jésus ne se décourage pas : il demande aux disciples de faire asseoir la foule par groupes de cinquante personnes, il lève les yeux au ciel, récite la bénédiction, rompt les pains et les donne aux disciples afin qu’ils les distribuent (cf. Lc 9, 16). C’est un moment de profonde communion : la foule désaltérée par la parole du Seigneur, est désormais nourrie par son pain de vie. Et tous en furent rassasiés, note l’évangéliste (cf. Lc 9, 17).
Ce soir, nous aussi, nous sommes autour de la table du Seigneur, à la table du sacrifice eucharistique, où Il nous donne encore une fois son Corps, rend présent l’unique sacrifice de la Croix. C’est en écoutant sa Parole, en nous nourrissant de son Corps et de son Sang, qu’il nous fait passer de l’état de multitude à l’état de communauté, de l’anonymat à la communion. L’Eucharistie est le Sacrement de la communion, qui nous fait sortir de l’individualisme pour vivre ensemble la sequela, la foi en Lui. Alors nous devrions tous nous demander devant le Seigneur : comment est-ce que je vis l’Eucharistie ? Est-ce que je la vis de façon anonyme ou comme moment de vraie communion avec le Seigneur, mais aussi avec tous mes frères et sœurs qui partagent ce même repas ? Comment sont nos célébrations eucharistiques ?
Un dernier élément : d’où vient la multiplication des pains ? La réponse se trouve dans l’invitation de Jésus aux disciples « Donnez-leur vous- mêmes… », « donner », partager. Qu’est-ce que partagent les disciples ? Le peu qu’ils ont : cinq pains et deux poissons. Mais ce sont précisément ces pains et ces poissons qui, dans les mains du Seigneur, rassasient toute la foule. Et ce sont précisément les disciples égarés devant l’incapacité de leurs moyens, de la pauvreté de ce qu’ils peuvent mettre à disposition, qui font asseoir les gens et — confiants dans la parole de Jésus — distribuent les pains et les poissons qui nourrissent la foule. Et ceci nous dit que dans l’Église, mais aussi dans la société, un mot-clé dont nous ne devons pas avoir peur est « solidarité », c’est-à-dire savoir mettre à la disposition de Dieu ce que nous avons, nos humbles capacités, car c’est seulement dans le partage, dans le don, que notre vie sera féconde, qu’elle portera du fruit. Solidarité : un mot mal vu par l’esprit du monde !
Ce soir, encore une fois, le Seigneur distribue pour nous le pain qui est son Corps, Il se fait don. Et nous aussi, nous faisons l’expérience de la « solidarité de Dieu » avec l’homme, une solidarité qui ne s’épuise jamais, une solidarité qui ne finit pas de nous surprendre : Dieu se fait proche de nous, dans le sacrifice de la Croix, il s’abaisse en entrant dans l’obscurité de la mort pour nous donner sa vie, qui vainc le mal, l’égoïsme, la mort. Ce soir aussi, Jésus se donne à nous dans l’Eucharistie, partage notre même chemin, se fait même nourriture, la vraie nourriture qui soutient notre vie, y compris dans les moments où la route se fait difficile, et où les obstacles ralentissent nos pas. Et dans l’Eucharistie, le Seigneur nous fait parcourir sa voie, celle du service, du partage, du don, et ce peu que nous avons, ce peu que nous sommes, s’il est partagé, devient richesse, car la puissance de Dieu, qui est celle de l’amour, descend dans notre pauvreté pour la transformer.
Demandons-nous alors ce soir, en adorant le Christ réellement présent dans l’Eucharistie : est-ce que je me laisse transformer par Lui ? Est-ce que je laisse le Seigneur qui se donne à moi, me guider pour sortir toujours plus de mon petit enclos et ne pas avoir peur de donner, de partager, de L’aimer et d’aimer les autres ?
Frères et sœurs : sequela, communion, partage. Prions pour que la participation à l’Eucharistie nous invite toujours à suivre le Seigneur chaque jour, à être instruments de communion, à partager avec Lui et avec notre prochain ce que nous sommes. Alors notre existence sera vraiment féconde. Amen.
[Homélie du Pape François – Dimanche 30 mai 2013]
© Libreria Editrice Vaticana – 2013