Pko 07.02.2016
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°08/2016
Dimanche 7 février 2016 – 5ème Dimanche du Temps ordinaire – Année C
Humeurs
Société et développement
À l’heure où beaucoup d’entre nous sont quelque peu interrogatif sur le message ou le silence de l’Église en Polynésie au sujet des questions de société… où il semble y avoir, non pas un, mais une multitude de capitaines dans la barque « Église » nous vous proposons de relire la réflexion de Mgr Michel, « le grand évêque du Pacifique » (Cardinal Gantin) à l’occasion du 3ème Synode diocésain, dans sa présentation des propositions de la commission « Société et développement ». Une lecture pour ne pas se tromper de combat !
« Portez les fardeaux les uns des autres, accomplissez ainsi la Loi du Christ » (Gal 6, 2). Cet appel de l'apôtre Paul est toujours d'une grande actualité pour que chaque chrétien soit témoin des valeurs de l'Évangile dans la vie sociale, économique et politique, dans l'Éducation, les loisirs, le sport ou la vie professionnelle. Le Concile Vatican II nous le dit clairement : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de notre temps — des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent —, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ. Il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve un écho dans leur cœur. La communauté des chrétiens, rassemblée par le Christ et conduite par l'Esprit-Saint vers le Père, se reconnaît solidaire de tous les hommes » (G.S. n. 1).
Aussi, à la suite des deux premiers Synodes de 1970 et de 1973, et pour « marcher ensemble vers les autres », il nous faut placer la réussite des enfants, l'épanouissement des hommes et le bonheur des familles au centre du développement économique, social, politique, culturel de la Polynésie et de chacune de ses îles. « Être est plus important qu'avoir ; il faut souligner le primat de la personne humaine par rapport aux choses... même les plus parfaites » a rappelé Jean-Paul II (Travail humain, n. 12).
Chacun le sait, la Société polynésienne actuelle est à la croisée des chemins. Elle recherche son identité. Ses 190 000 habitants, dont 50 % de moins de 20 ans, sont à un tournant. Des choix fondamentaux sont à faire et à vivre. C'est la raison même de ce 3e Synode diocésain. Cet effort urgent rejoint les importants travaux de la Charte de l'Éducation qui situent l'enfant vivant en Polynésie au cœur du système éducatif. Il nous faut, tous ensemble, réconcilier la Polynésie avec elle-même, en donnant à chacun envie d'être et de réaliser.
Sans doute de nombreux équipements collectifs ont été entrepris, spécialement dans les domaines de l'Éducation, des communications, de la Santé, des constructions, du Tourisme. Il convient d'en souligner la qualité et d'en promouvoir la continuité. Mais cette croissance des biens matériels a hypertrophié le secteur Tertiaire administratif et commercial (71 %) au détriment des secteurs productifs Primaire et Secondaire.
Aussi regardons en face les faiblesses et les blocages de notre société actuelle : répartition injuste des richesses, privilèges d'une minorité, clientélisme politique, corruption, affairisme, culture du profit, spéculation, corporatisme, exode des archipels et urbanisation sauvage, consommation de luxe à côté d'un prolétariat qui s'installe, économie artificielle basée sur des transferts métropolitains entraînant une consommation démesurée sans production locale significative, poids excessif et néfaste de la fiscalité indirecte, croissance démographique mal maîtrisée, système éducatif mal adapté, protection sociale plus importante que le travail, unité des familles trop faible, manque d'honnêteté, de rigueur, de responsabilité, de contrôle...
On a trop confondu la croissance des choses et le développement des hommes. L'irruption brutale de la modernité depuis 1961 n'a pas été maîtrisée. La compétition individuelle centrée sur la course à l'argent est entrée en conflit avec l'harmonie conviviale traditionnelle. La loi du plus fort l'emporte sur les solidarités. La Polynésie est devenue une société à deux vitesses sans projet commun et avec de plus en plus de laissés-pour-compte en marge de tout.
Alors que proposer ? Ne faut-il pas définir le but de cette croissance des choses en mettant au centre de tout le développement des hommes ? Pour cela, il faut changer les esprits et les comportements, convertir les cœurs. Chacun est concerné ; car on ne peut exiger des autres ce qu'on refuse de faire soi-même. C'est la règle d'or de l'Évangile. Il convient donc de promouvoir, par la formation de chacun, une vraie culture de responsabilité et de solidarité selon l'attitude de Jésus : « Lève-toi et marche ».
La solidarité sociale au service d'un vrai développement humain demande efforts et sacrifices pour promouvoir le bien commun avant les intérêts particuliers des individus et des groupes. Il convient de favoriser l'initiative locale dans le cadre d'une planification décentralisée au niveau des communes et des archipels. Il faut privilégier dans des contrats de Plan d'ensemble, les investissements créateurs d'emploi sur la consommation individuelle. Il est urgent de refondre complètement la fiscalité pour rendre effective et personnelle la solidarité. Il convient d'harmoniser les rémunérations entre les secteurs et de promouvoir l'honnêteté par un contrôle strict de la gestion des fonds publics.
Le développement centré sur l'homme exige de promouvoir à tout niveau l'éducation des jeunes, la formation des adultes. Cela demande de remettre en honneur le travail manuel, de développer le sens de l'effort, de la persévérance, de la conscience professionnelle, de l'honnêteté.
[…]
Dieu est espoir, un espoir créateur. L'Évangile est libérateur des cœurs et des énergies. « La Gloire de Dieu c'est l'homme vivant et la vie des hommes c'est de voir Dieu ». Concluons avec le Concile : « Dans la vie économique et sociale aussi, il faut honorer et promouvoir la dignité de la personne humaine, sa vocation intégrale et le bien de toute la société. C'est l'homme en effet qui est l'auteur, le centre et le but de toute la vie économique et sociale » (G.S., n. 63).
Mgr Michel Coppenrath
La parole aux sans paroles – 20
Portrait de bénévole - Pascal
D’une humilité, d’une générosité et d’une sensibilité exceptionnelles, Pascal s’est investi entièrement à la cause des SDF. Il a organisé son emploi du temps pour concilier son bénévolat et sa vie professionnelle. Aider l’autre est un besoin vital pour cet humaniste dans l’âme.
Pourquoi et comment es-tu devenu bénévole à Te Vaiete ?
« J’ai rencontré Père Christophe et je l’ai sollicité pour faire des actions concrètes et humanitaires. Et il m’a parlé de Te Vaiete. J’ai commencé il y a trois ans à peu près. Je suis venu à Te Vaiete parce que je pense que c’est une action juste. Dans une société, on doit prendre en compte tout le monde, y compris les personnes qui sont les plus vulnérables. C’est important dans la vie de la grande famille humaine que les plus démunis, sentent qu’il y a un peu d’amour et des mains tendues du reste de la population. Il nous faut garder cette fraternité qui est indispensable entre les hommes. Sans cette fraternité, je pense qu’il n’y a pas de vie et de bonheur durable sur terre. Il est urgent qu’on tende la main à l’autre, qu’on lui dise que, malgré sa condition, il reste un homme et qu’on l’aime. Il est urgent de laisser de côté nos différences et de se rapprocher de l’Autre, même si cela peut être difficile au début. Il faut faire la démarche. Il faut à tout prix le faire maintenant, tout de suite ! Yahla ! comme disait Sœur Emmanuelle. »
Qu’est-ce que ça t’apporte ?
« Ça m’apporte de l’humilité. Je dois à mon Frère ce qu’il n’a pas, alors que moi je ne mérite pas ce que j’ai (Vierge Marie). Ça m’apporte une certaine forme d’apaisement. Ça m’apporte également beaucoup de joie parce que, contrairement à ce que l’on pense, on reçoit énormément à Te Vaiete. On pense amener notre petite contribution et finalement on reçoit plus que ce qu’on donne. C’est la magie de Te Vaiete ! À chaque fois qu’ils te sourient, à chaque fois qu’ils te disent bonjour, à chaque fois qu’ils viennent vers toi lorsqu’on se croise en ville, tu reçois leur amour. Ils sont reconnaissants. Et je trouve important que des "popa’a" s’engagent dans du bénévolat à Tahiti. La Polynésie et les Polynésiens m’ont accueilli, ils m’ont beaucoup donné, je trouve que c’est la moindre des choses de donner en retour. Je pense qu’ils apprécient le geste. Donc je suis particulièrement heureux de le faire pour les Polynésiens. »
La plus belle chose qui t’est arrivée à Te Vaiete ?
« La plus belle chose, leur joie et leurs sourires à mes 50 ans. 50 ans, c’est un moment important et je tenais à le fêter à ma façon. J'avais envie de faire quelque chose avec ces hommes et ces femmes de Te Vaiete. Ça me tenait à cœur depuis un petit moment. Et je l’ai réalisé pour mes 50 ans, c’était extraordinaire ! On est allé au restaurant. Je me suis dit que si j’avais 50 ans, il me fallait inviter au moins 50 démunis. Un ami du genre humain pour chaque année de ma vie. Pour apporter un petit retour à ce que la vie me donne. C’était un moment fort pour moi, de la joie mais aussi des larmes. Un petit papi est venu me dire : "C’est la première fois que je vais au restaurant !" C’était bouleversant ! »
Le plus dur à Te Vaiete ?
« Pour moi, ce sont les bagarres, même si elles sont rares. Je suis plutôt un homme de paix. Et le fait de voir qu’on puisse entrer dans des excès de violence avec son prochain c’est difficile. Ce qui montre qu’il n’y a pas que la détresse matérielle, il y a beaucoup de détresse affective. Et cette détresse affective ressort dans toute cette violence. Et ça, c’est particulièrement dur pour moi. On ne peut pas faire de déni, cette violence existe. Mais c’est une épreuve parce que j’aime les voir sourire. Les voir se disputer et se faire du mal m’attriste vraiment, au plus profond de mon être. »
Ton premier jour à Te Vaiete ?
« En fait, j’ai beaucoup pleuré en rentrant parce que je trouvais que j’étais déconnecté d’une réalité qui existe, ici, sur notre Fenua. Même si c’était un petit paradis, il y avait des gens qui vivaient dans des conditions difficiles. Ça m’a fait un choc. Quand je vois la vie que j’ai, la chance qui m’est donné de pouvoir avoir une famille, de l’affection, de manger à ma faim… Et de voir ce contraste avec ce que j’ai vécu à Te Vaiete, ça a été très douloureux. Et après cette tristesse, qui a mis un temps à passer quand même, ça m‘a conforté dans l’idée qu’il fallait absolument que je m’ouvre à cela. C’était primordial ! Déjà pour comprendre et puis pour tendre la main à l’autre. Comme je disais en préambule, si on ne tend pas la main à l’autre, je pense que c’est la fin de l’humanité. Et il faut d’urgence qu’on apporte de l’amour à toutes ces personnes, entre autres et de façon plus générale dans le monde. C’est urgent, avant qu’on se détruise nous-mêmes. Sans le bonheur de l’autre et l’amour de l’autre, la vie ensemble est bancale, même avec des moyens financiers, finalement on ne détient pas l’essentiel, le meilleur de nous. Le bonheur, c’est l’amour, la paix, le partage, la joie de l’autre. Quand on voit parfois les regards et l’attention que ces gens te portent quand ils ont fait un bon repas et qu’on leur a donné un peu de temps, un peu d’attention, un peu de nous…On se dit que finalement on n’a pas besoin de grand-chose. Et l’essentiel c’est l’amour, la dignité, un toit, un travail et manger à sa faim. Si on peut faire en sorte que toute l’humanité puisse avoir au moins ça, je pense que le paradis sur terre va arriver ! »
© Nathalie SH - Accueil Te Vai-ete - 2016
Dieu ne condamne personne, il nous sauve
Audience générale du mercredi 3 février 2016 – Pape François
« Dieu ne condamne personne, il nous sauve ». Le Pape François a poursuivi son cycle de catéchèses sur la miséricorde lors de l’audience générale. Place Saint-Pierre, devant les fidèles, le Saint-Père a fait le lien entre miséricorde et justice. Il a rappelé que « la justice de Dieu, c’est son pardon », et que « nous devons l’accueillir », insistant sur la responsabilité des prêtres qui donnent la confession.
Chers frères et sœurs, bonjour !
La Sainte Écriture nous présente Dieu comme la miséricorde infinie, mais aussi comme la justice parfaite. Comment concilier les deux choses ? Comment s’articule la réalité de la miséricorde avec les exigences de la justice ? Il pourrait sembler que ce soient deux réalités qui se contredisent ; en réalité, il n’en est pas ainsi parce que c’est précisément la miséricorde de Dieu qui mène à son accomplissement la vraie justice. Mais de quelle justice s’agit-il ?
Si nous pensons à l’administration légale de la justice, nous voyons que celui qui se considère victime d’un abus s’adresse au juge, au tribunal, et demande que justice soit faite. Il s’agit d’une justice de la rétribution, qui inflige une peine au coupable, selon le principe qu’à chacun doit être donné ce qui lui est dû. Comme le déclare le livre des Proverbes : « Oui, la justice mène à la vie ; qui poursuit le mal va vers la mort ! » (11,19). Jésus aussi en parle dans la parabole de la veuve qui retournait toujours chez le juge en lui demandant : « Rends-moi justice contre mon adversaire » (Lc 18,3).
Pourtant, cette voie ne mène pas encore à la vraie justice parce qu’en réalité, elle ne vainc pas le mal mais elle ne fait que l’endiguer. En revanche, c’est seulement en répondant à celui-ci par le bien que le mal peut être vraiment vaincu.
Alors, voici une autre manière de faire justice que la Bible nous présente comme la voie maîtresse à parcourir. Il s’agit d’une procédure qui évite le recours au tribunal et prévoit que la victime s’adresse directement au coupable pour l’inviter à la conversion, en l’aidant à comprendre qu’il fait le mal, en faisant appel à sa conscience. Ainsi, se repentant finalement et reconnaissant ses torts, il peut s’ouvrir au pardon que la partie lésée lui offre. Et c’est beau : une fois persuadé de ce qui est mal, le cœur s’ouvre au pardon qui lui est offert. C’est là la manière de résoudre les différends au sein des familles, dans les relations entre époux ou entre parents et enfants, où celui qui est offensé aime le coupable et désire sauver la relation qui le lie à l’autre. Ne pas couper cette relation, ce rapport.
Certes, c’est un chemin difficile. Cela exige que celui qui a subi le tort soit prêt à pardonner et désire le salut et le bien de celui qui l’a offensé. Mais c’est seulement ainsi que la justice peut triompher parce que, si le coupable reconnaît le mal fait et cesse de le faire, voilà que le mal n’existe plus, et celui qui était injuste devient juste, parce qu’il a été pardonné et aidé à retrouver la voie du bien. Et c’est précisément là qu’entre le pardon, la miséricorde.
C’est ainsi que Dieu agit vis-à-vis de nous, pécheurs. Le Seigneur nous offre continuellement son pardon et nous aide à l’accueillir et à prendre conscience de notre mal pour pouvoir nous en libérer. Parce que Dieu ne veut pas notre condamnation, mais notre salut. Dieu ne veut la condamnation de personne ! Vous pourrez me demander : « Mais Père, la condamnation de Pilate, il la méritait ? Dieu la voulait ? » Non ! Dieu voulait sauver Pilate, et même Judas, tous ! Lui, le Seigneur de la miséricorde peut sauver tous les hommes. Le problème est de le laisser entrer dans notre cœur. Toutes les paroles des prophètes sont un appel passionné et plein d’amour qui recherche notre conversion. Voilà ce que nous dit le Seigneur à travers le prophète Ézéchiel : « Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant […] et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive ? » (18,23 ; cf. 33,11), ce qui plaît à Dieu !
Et c’est cela, le cœur de Dieu, un cœur de Père qui aime et veut que ses enfants vivent dans le bien et dans la justice, et qu’ainsi ils vivent en plénitude et soient heureux. Un cœur de Père qui va au-delà de notre petit concept de la justice pour nous ouvrir aux horizons illimités de sa miséricorde. Un cœur de Père qui ne nous traite pas selon nos péchés et ne nous rend pas selon nos fautes, comme le dit le psaume (cf. 103,9-10). Et c’est précisément un cœur de père que nous voulons rencontrer quand nous entrons dans le confessionnal. Peut-être nous dira-t-il quelque chose pour nous faire mieux comprendre le mal, mais dans le confessionnal, nous allons tous trouver un père qui nous aide à changer de vie ; un père qui nous donne la force d’avancer ; un père qui nous pardonne au nom de Dieu. Et c’est pour cela qu’être un confesseur est une si grande responsabilité, parce que ce fils, cette fille qui vient à toi cherche seulement à trouver un père. Et toi, le prêtre, qui es là, dans le confessionnal, tu es là à la place du Père qui rend la justice avec sa miséricorde.
© Libreria Editrice Vaticana - 2016
Se confier à Jésus miséricordieux comme Marie
Message du pape François pour le XXIVème Journée mondiale du malade 2016
« Se confier à Jésus miséricordieux comme Marie : Tout ce qu’il vous dira, faites-le » : c’est le thème de la XXIVème Journée mondiale du Malade qui sera célébrée le le 11 février prochain à Nazareth en Terre Sainte. Le Saint-Père se base sur l’épisode des noces de Cana, « icône de l’Église » pour développer toute sa réflexion sur la maladie et notre attitude face à la douleur. Il reconnait que « la foi en Dieu est, d’une part, mise à l’épreuve et, d’autre part, révèle en même temps toute sa puissance positive ».
Chers frères et sœurs,
La XXIVe Journée Mondiale du Malade m’offre l’occasion d’être particulièrement proche de vous et de ceux qui vous entourent de leurs soins.
Cette année, puisque la Journée sera célébrée de manière solennelle en Terre Sainte, je propose de méditer sur le récit évangélique des noces de Cana (Jn 2, 1-11), où Jésus accomplit son premier miracle grâce à l’intervention de sa Mère. Le thème de cette année : Se confier à Jésus miséricordieux comme Marie : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le (Jn 2,5) », s’inscrit très bien dans le contexte du Jubilé extraordinaire de la miséricorde. Précisément, la célébration eucharistique solennelle, point central de la Journée, aura lieu le 11 février 2016 à Nazareth, lieu où le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous (Jn 1,14). À Nazareth aussi, Jésus a commencé sa mission salvifique, s’attribuant les paroles du prophète Isaïe, comme nous le rappelle l’Évangéliste Luc : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur » (4, 18-19).
La maladie, surtout lorsqu’elle est grave, met toujours l’existence humaine à l’épreuve et apporte avec elle des interrogations qui creusent en profondeur. Parfois, le premier moment peut être de révolte : pourquoi est-ce que cela m’est arrivé ? On se sent désemparé, la tentation devient grande de penser que tout est perdu, que désormais rien n’a plus de sens…
Dans ces situations, la foi en Dieu est, d’une part, mise à l’épreuve et, d’autre part, révèle en même temps toute sa puissance positive. Non parce que la foi fait disparaître la maladie, la douleur ou les problèmes qui en dérivent, mais parce qu’elle offre une clé avec laquelle nous pouvons découvrir le sens le plus profond de ce que nous sommes en train de vivre ; une clé qui nous aide à voir que la maladie peut être la voie pour arriver à une proximité plus étroite avec Jésus, qui chemine à nos côtés, chargé de la croix. Et cette clé c’est sa Mère, Marie, experte de cette voie, qui nous la remet.
Aux noces de Cana, Marie est la femme attentive qui s’aperçoit d’un problème très important pour les mariés : le vin est fini, le vin, symbole de la joie de la fête. Marie découvre la difficulté, la fait sienne dans un certain sens et, avec discrétion, agit immédiatement. Elle ne reste pas là à regarder, elle ne s’attarde pas à exprimer des jugements mais elle s’adresse à Jésus et lui présente le problème tel qu’il est : « ils n’ont pas de vin » (Jn 2,3). Et quand Jésus lui répond que son heure n’est pas encore arrivée (cf. v. 4), elle dit aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (v. 5). Alors Jésus accomplit le miracle, transformant une grande quantité d’eau en vin, un vin qui apparaît toute de suite le meilleur de toute la fête. Quel enseignement pouvons-nous tirer du mystère des noces de Cana pour la Journée mondiale du Malade ?
Le banquet des noces de Cana est une icône de l’Église : au centre il y a Jésus miséricordieux qui accomplit le signe ; autour de lui les disciples, les tout premiers de la nouvelle communauté ; et près de Jésus et de ses disciples, il y a Marie, Mère prévoyante et priante. Marie participe à la joie des gens ordinaires et contribue à l’accroître ; elle intercède auprès de son Fils pour le bien des époux et de tous les invités. Et Jésus n’a pas refusé la demande de sa Mère. Que d’espérance pour nous tous dans cet événement ! Nous avons une Mère qui a les yeux vigilants et pleins de bonté, comme son Fils ; le cœur maternel et débordant de miséricorde, comme lui ; les mains qui veulent aider, comme les mains de Jésus qui rompaient le pain pour celui qui avait faim, qui touchaient les malades et les guérissaient. Cela nous remplit de confiance et fait que nous nous ouvrons à la grâce et à la miséricorde du Christ. L’intercession de Marie nous permet d’expérimenter la consolation pour laquelle l’apôtre Paul bénit Dieu : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console dans toute notre tribulation, afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit » (2 Co 1, 3-5). Marie est la Mère « consolée » qui console ses enfants.
À Cana se profilent les traits distinctifs de Jésus et de sa mission : il est Celui qui vient en aide à quiconque se trouve en difficulté et dans le besoin. Dans son ministère messianique, en effet, il guérira toutes sortes de maladies, d’infirmités et d’esprits mauvais, il rendra la vue aux aveugles, fera marcher les boiteux, rendra la santé et la dignité aux lépreux, ressuscitera les morts et annoncera la Bonne Nouvelle aux pauvres (cf. Lc 7, 21-22). Ainsi, la requête de Marie pendant le banquet de noces, suggérée par l’Esprit Saint à son cœur maternel, a fait apparaître non seulement le pouvoir messianique de Jésus mais aussi sa miséricorde.
Dans la sollicitude de Marie se reflète la tendresse de Dieu. Cette tendresse même devient présente dans la vie de beaucoup de personnes qui se trouvent aux côtés des malades et savent en comprendre les besoins, même les plus imperceptibles, parce qu’elles regardent avec des yeux pleins d’amour. Que de fois une maman au chevet de son enfant malade ou un enfant qui prend soin d’un parent âgé, ou un petit-fils proche de son grand-père ou de sa grand-mère, dépose sa prière entre les mains de la Vierge ! Pour nos êtres chers qui souffrent à cause de la maladie, nous demandons en premier lieu la santé ; Jésus lui-même a manifesté la présence du Royaume de Dieu à travers les guérisons précisément : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent » (Mt 11, 4-5). Mais l’amour animé par la foi nous fait demander pour eux quelque chose de plus grand que la santé physique : nous demandons une paix, une sérénité du cœur qui est un don de Dieu, fruit de l’Esprit Saint que le Père ne refuse jamais à ceux qui le lui demandent avec confiance.
Dans la scène de Cana, outre Jésus et sa Mère, il y a ceux qui sont appelés les « serviteurs », qui reçoivent d’elle ce conseil : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2,5). Évidemment, le miracle a lieu par l’œuvre de Jésus ; toutefois, il veut se servir de l’aide humaine pour accomplir le prodige. Il aurait pu faire apparaître directement le vin dans les jarres. Mais il veut compter sur la collaboration humaine et demande aux serviteurs de les remplir d’eau. Comme il est précieux et agréable à Dieu d’être au service des autres ! Cela plus que toute autre chose nous rend semblables à Jésus, qui « n’est pas venu pour être servi mais pour servir » (Mc 10,45). Ces personnages anonymes de l’Évangile nous enseignent tant de choses. Non seulement ils obéissent, mais ils obéissent généreusement : ils remplissent les jarres jusqu’au bord (cf. Jn 2,7). Ils ont confiance en la Mère et font immédiatement et bien ce qui leur est demandé, sans se plaindre, sans tergiverser.
En cette Journée mondiale du Malade nous pouvons demander à Jésus miséricordieux, par l’intercession de Marie, sa Mère et la nôtre, qu’il nous accorde à tous cette disposition au service de ceux qui sont dans le besoin, et concrètement de nos frères et sœurs malades. Parfois, ce service peut être fatigant, lourd, mais nous sommes certains que le Seigneur ne manquera pas de transformer nos efforts humains en quelque chose de divin. Nous pouvons nous aussi être des mains, des bras, des cœurs qui aident Dieu à accomplir ses prodiges, souvent cachés. Nous aussi, bien-portants ou malades, nous pouvons offrir nos fatigues et nos souffrances comme cette eau qui remplit les jarres aux noces de Cana et a été transformée en un vin excellent. Avec l’aide discrète à celui qui souffre, comme dans la maladie, on porte sur ses épaules la croix de chaque jour et on suit le Maître (cf. Lc 9,23) et, même si la rencontre avec la souffrance sera toujours un mystère, Jésus nous aide à en dévoiler le sens.
Si nous savons suivre la voix de celle qui nous dit aussi : « tout ce qu’il vous dira, faites-le », Jésus transformera toujours l’eau de notre vie en un vin fin. Ainsi, cette Journée Mondiale du Malade, célébrée solennellement en Terre Sainte, aidera à réaliser le souhait que j’ai exprimé dans la Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde : « Que cette année jubilaire vécue dans la miséricorde favorise la rencontre avec le judaïsme et l’islam et avec les autres nobles traditions religieuses. Qu’elle nous rende plus ouverts au dialogue afin de mieux nous connaître et nous comprendre. Qu’elle chasse toute forme de fermeture et de mépris. Qu’elle repousse toute forme de violence et de discrimination » (cf. Misericordiae Vultus, 23). Chaque hôpital et chaque maison de soin peuvent être un signe visible et un lieu pour promouvoir la culture de la rencontre et de la paix où l’expérience de la maladie et de la souffrance, ainsi que l’aide professionnelle et fraternelle, contribuent à dépasser toute limite et toute division.
En cela peuvent nous servir d’exemple les deux religieuses canonisées au mois de mai dernier : sainte Mariam Alphonsine Danil Ghattas et sainte Marie de Jésus Crucifié Baouardy, toutes les deux filles de la Terre Sainte. La première fut un témoin de douceur et d’unité, offrant un témoignage clair de l’importance extrême d’être responsables les uns des autres, de vivre l’un au service de l’autre. La seconde, femme humble et illettrée, fut docile à l’Esprit Saint et devint un instrument de rencontre avec le monde musulman.
À tous ceux qui sont au service des malades et des personnes qui souffrent, je souhaite d’être animés par l’esprit de Marie, Mère de la Miséricorde. « Que la douceur de son regard nous accompagne en cette Année sainte, afin que tous puissent redécouvrir la joie de la tendresse de Dieu » (idem, 24) et la garder imprimée dans nos cœurs et dans nos gestes. Confions à l’intercession de la Vierge les angoisses et les tribulations, ainsi que les joies et les consolations et adressons-lui notre prière afin qu’elle tourne vers nous ses yeux miséricordieux, surtout dans les moments de douleur, et qu’elle nous rende dignes de contempler aujourd’hui et à jamais le Visage de la Miséricorde, son Fils Jésus.
J’accompagne cette prière pour vous tous de ma Bénédiction Apostolique.
Du Vatican, le 15 septembre 2015,
Mémoire de la Bienheureuse Vierge Marie,
Notre Dame des Sept des Douleurs.
François
© Libreria Editrice Vaticana - 2015
Le Pape François confie son admiration pour la sagesse chinoise
Entretien du pape François au journal en ligne Asia Times
À l'occasion du Nouvel An chinois, le Saint-Père a accordé une longue interview au journal en ligne Asia Times (Hong Kong). Saisissant d'abord l'occasion, il souhaite une bonne et heureuse année au Président Xi Jinping et au peuple chinois tout entier, pour lequel il manifeste sa haute estime, louant la culture chinoise et exprimant l'espoir que ce grand pays contribue au dialogue entre les peuples, à la la paix et au développement de la famille humaine.
Francesco Sisci – Que représente la Chine pour vous ? Comment imaginiez-vous ce pays lorsque vous étiez jeune, étant donné que, pour l’Argentine, la Chine n’est pas à l’Est mais très loin à l’Ouest. Qui est pour vous Matteo Ricci ?
Pape François – Pour moi, la Chine a toujours été un point de repère de grandeur. Un grand pays. Mais plus qu’un pays, une grande culture, avec une sagesse inépuisable. Pour moi, jeune garçon, quand je lisais quelque chose sur la Chine, cela avait la capacité de m’inspirer de l’admiration. J’avais de l’admiration pour la Chine. Plus tard, je me suis penché sur la vie de Matteo Ricci, et j’ai vu que cet homme éprouvait exactement les mêmes sentiments que moi, de l’admiration, et qu’il avait été capable d’entrer en dialogue avec cette grande culture, avec cette sagesse millénaire. Il avait été capable de la « rencontrer ».
Quand j’étais jeune, et que j’entendais parler de la Chine, nous pensions à la Grande Muraille. Le reste n’était pas connu dans mon pays. Mais je m’y suis intéressé de plus en plus et j’ai fait l’expérience d’une rencontre qui était très différente, dans le temps et dans la manière, de celle de Ricci. Et je suis tombé sur quelque chose que je n’imaginais pas. L’expérience de Ricci nous enseigne qu’il est nécessaire d’entrer en dialogue avec la Chine, parce cela permet d’accumuler sagesse et histoire. C’est un pays qui a reçu de nombreuses bénédictions. Et je dirais que l’Église catholique, dont l’un des devoirs est de respecter toutes les civilisations, a devant cette civilisation, le devoir de la respecter avec un grand « R ». L’Église a une grande capacité à accueillir la culture.
L’autre jour, j’ai eu l’occasion de voir les peintures d’un autre grand jésuite, Giuseppe Castiglione – qui avait aussi le virus jésuite. [Il rit.] Castiglione savait exprimer la beauté, l’expérience de l’ouverture dans le dialogue : recevoir des autres et donner de soi, sur une longueur d’ondes civilisée, entre civilisations. Quand je dis « civilisé », je ne parle pas seulement de civilisations « éduquées », mais aussi de civilisations qui se rencontrent mutuellement. Et puis, je ne sais pas si c’est vrai, mais on dit que c’est Marco Polo qui a rapporté les pâtes en Italie. [Il rit.] Ce sont donc les Chinois qui les ont inventées. Je ne sais pas si c’est vrai. Mais je dis cela au passage.
C’est l’impression que j’ai, un grand respect. Et plus encore, quand j’ai survolé la Chine pour la première fois, on m’a dit dans l’avion : « Dans dix minutes, nous entrerons dans l’espace aérien chinois et vous enverrez vos salutations. » Je dois confesser que j’ai été très ému, quelque chose qui ne m’arrive pas d’habitude. J’étais ému de survoler cette culture et cette sagesse d’une grande richesse.
Francesco Sisci – Pour la première fois dans son histoire multimillénaire, la Chine émerge de son propre environnement et s’ouvre au monde, créant des défis sans précédent pour elle-même et pour le monde. Vous avez parlé d’une Troisième Guerre mondiale qui avance furtivement : quels sont les défis que cela présente dans la recherche de la paix ?
Pape François – Avoir peur n’est jamais un bon conseiller. La peur n’est pas bonne conseillère. Si un père et une mère ont peur quand ils ont un fils adolescent, ils ne sauront pas bien s’y prendre avec lui. En d’autres termes, nous ne devons pas craindre les défis, quels qu’ils soient, puisque tous, hommes et femmes, ont en eux la capacité de trouver des moyens de coexister, de respect et d’admiration mutuelle. Et il est évident qu’une telle culture et une telle sagesse, et en plus, tant de connaissances techniques – il suffit de penser aux techniques médicinales antiques – ne peuvent pas rester enfermées à l’intérieur d’un pays ; elles tendent à se développer, à s’étendre, à communiquer. L’homme aspire à communiquer, une civilisation aspire à communiquer. Il est évident que, quand la communication se produit sur un ton agressif d’autodéfense, le résultat est la guerre. Mais je ne suis pas inquiet. C’est un grand défi de maintenir l’équilibre de la paix. Ici, nous avons la Grand-mère Europe, comme je l’ai dit à Strasbourg. Il semble qu’elle ne soit plus la Mère Europe. J’espère qu’elle sera capable de retrouver ce rôle. Et elle reçoit de ce pays très ancien une contribution de plus en plus riche. Il est donc nécessaire d’accepter de relever le défi et de courir le risque d’équilibrer cet échange pour la paix. Le monde occidental, le monde oriental et la Chine ont tous la capacité de maintenir l’équilibre de la paix et la force de le faire. Nous devons trouver le chemin, toujours à travers le dialogue ; il n’y a pas d’autre chemin. [Il ouvre les bras comme pour embrasser.]
La rencontre s’accomplit à travers le dialogue. Le véritable équilibre de la paix se réalise à travers le dialogue. Le dialogue ne signifie pas aboutir à un compromis : la moitié du gâteau pour vous et l’autre moitié pour moi. C’est ce qui s’est passé à Yalta et nous avons vu le résultat. Non, le dialogue signifie : regarde, nous sommes arrivés là, je peux être d’accord ou non, mais marchons ensemble ; voilà ce que cela suppose de construire. Et le gâteau reste entier, en marchant ensemble. Le gâteau appartient à tous, c’est l’humanité, la culture. Découper le gâteau, comme à Yalta, signifie diviser l’humanité et la culture en petits morceaux. Et la culture et l’humanité ne peuvent pas être découpés en petits morceaux. Quand je parle de ce gros gâteau, c’est dans un sens positif. Chacun a une influence à exercer pour le bien commun de tous.
Francesco Sisci – Au cours des dernières décennies, la Chine a traversé des tragédies sans comparaison. Depuis 1980, les Chinois ont sacrifié ce qui a toujours été le plus précieux pour eux, leurs enfants. Pour les Chinois, ce sont des blessures très graves. Entre autres, cela a laissé un immense vide dans leur conscience et, d’une certaine façon, un besoin extrêmement profond de se réconcilier avec eux-mêmes et de se pardonner. En cette Année de la miséricorde, quel message pouvez-vous offrir au peuple chinois ?
Pape François – La population et l’humanité vieillissent en de nombreux endroits. Ici, en Italie, le taux des naissances est presque au-dessous de zéro et en Espagne aussi, plus ou moins. En France, avec la politique d’aide aux familles, la situation est meilleure. Et il est évident que la population vieillit. Elle vieillit et il n’y a pas d’enfants. En Afrique, par exemple, c’était une joie de voir des enfants dans les rues. Ici, à Rome, si vous faites un tour, vous verrez très peu d’enfants. Peut-être y a-t-il, derrière cela, la crainte à laquelle vous faites allusion, la perception erronée, non pas que nous allons simplement nous retrouver en arrière, mais que nous allons tomber dans la misère et, par conséquent, n’ayons pas d’enfants.
Il y a d’autres sociétés qui ont opté pour le contraire. Par exemple, pendant mon voyage en Albanie, j’ai été surpris de découvrir que l’âge moyen de la population y était approximativement de 40 ans. Il existe des pays jeunes ; je pense qu’en Bosnie-Herzégovine, c’est la même chose. Des pays qui ont souffert et qui font le choix de la jeunesse. Après, il y a le problème du travail. Quelque chose que la Chine ne connaît pas, parce qu’elle a la capacité d’offrir du travail à la campagne comme en ville. Et c’est vrai, en Chine, le problème de ne pas avoir d’enfants doit être très douloureux ; parce que la pyramide est inversée et un enfant doit porter le poids de son père, sa mère, son grand-père et sa grand-mère. C’est épuisant, exigeant et on est désemparé. Ce n’est pas naturel. Je comprends que la Chine se soit ouverte à des possibilités sur ce front.
Francesco Sisci – Comment faudrait-il affronter ces défis des familles en Chine, étant donné qu’elles se trouvent dans un processus de profonds changements et ne correspondent plus au modèle chinois traditionnel de la famille ?
Pape François – En reprenant le thème de cette Année de la miséricorde, quel message puis-je donner au peuple chinois ? L’histoire d’un peuple est toujours un chemin. Parfois, un peuple avance plus vite, parfois plus lentement, parfois il s’arrête, parfois il fait une erreur et recule un peu, ou il se trompe de chemin et doit retourner sur ses pas pour emprunter la bonne voie. Mais quand un peuple avance, cela ne m’inquiète pas parce que cela signifie qu’il fait l’histoire. Et je crois que le peuple chinois avance et c’est là sa grandeur. Il avance, comme toutes les populations, à travers des lumières et des ombres. En regardant ce passé – et le fait de ne pas avoir d’enfants crée peut-être un complexe – il est sain d’assumer la responsabilité de son propre chemin. Eh bien ! nous avons pris cette route ; quelque chose, ici, n’a pas marché du tout, alors maintenant d’autres possibilités se sont ouvertes ! Et puis d’autres problèmes entrent en scène : l’égoïsme de certains des secteurs riches qui préfèrent ne pas avoir d’enfants, etc. Ils doivent assumer la responsabilité de leur propre chemin. Et je voudrais aller plus loin : ne soyez pas amers, mais soyez en paix avec votre chemin, même si vous avez fait des erreurs. Je ne peux pas dire que mon histoire était mauvaise, que je hais mon histoire.
Non, tous les peuples doivent se réconcilier avec leur histoire, qui est leur chemin, avec ses succès et ses erreurs. Et cette réconciliation avec sa propre histoire donne beaucoup de maturité, elle fait grandir. Je voudrais ici employer le mot mentionné dans cette question : miséricorde. Il est sain pour une personne d’avoir de la miséricorde envers elle-même, de ne pas être sadique ni masochiste. Cela, c’est une erreur. Et je dirais la même chose pour un peuple : il est sain pour une population d’être miséricordieuse envers elle-même. Et cette noblesse d’âme… Je ne sais pas si je peux utiliser ou non le mot « pardon », je ne sais pas. Mais accepter que cela a été mon chemin, sourire, et continuer d’avancer. Si l’on s’arrête parce qu’on est fatigué, on peut devenir amer et corrompu. Et donc, quand on prend la responsabilité de son propre chemin, en l’acceptant tel qu’il était, cela permet à ses richesses historiques et culturelles d’émerger, même dans les moments difficiles.
Comment leur permettre d’émerger ? Ici, nous revenons à la première question : dans le dialogue avec le monde d’aujourd’hui. Dialoguer ne signifie pas que je me rends, parce qu’il existe parfois un danger, dans le dialogue entre différents pays, d’intentions cachées, par exemple des colonisations culturelles. Il est nécessaire de reconnaître la grandeur du peuple chinois, qui a toujours gardé sa culture. Et sa culture – je ne parle pas d’idéologies qui ont pu exister dans le passé – sa culture n’était pas imposée.
Francesco Sisci – La croissance économique du pays s’est accélérée à un rythme important mais cela a aussi apporté des désastres humains et environnementaux que Pékin s’efforce d’affronter et de résoudre. En même temps, la poursuite de l’efficacité au travail est pour les familles un poids qui a un prix : parfois, les enfants et les parents sont séparés en raison des exigences professionnelles. Quel message pouvez-vous leur laisser ?
Pape François – Je me sens un peu comme une « belle-mère » donnant des conseils sur ce qu’il faudrait faire ! [Il rit.] Je suggèrerais un sain réalisme ; il faut accepter la réalité, quelle que soit son origine. C’est notre réalité ; comme au football, le gardien de but doit attraper le ballon, d’où qu’il vienne. Il faut accepter la réalité telle qu’elle est. Être réaliste. C’est notre réalité. D’abord, je dois me réconcilier avec la réalité. Je ne l’aime pas, je suis contre, elle me fait souffrir, mais si je ne l’accepte pas, je ne serai pas capable de faire quoi que ce soit. Le second pas à faire est de travailler pour améliorer la réalité et en changer la direction.
Maintenant, vous voyez que ce sont de simples suggestions, un peu des lieux communs. Mais faire l’autruche en cachant sa tête dans le sable pour ne pas voir la réalité, ni l’accepter, n’est pas une solution. Eh bien ! maintenant, discutons, continuons de chercher, continuons d’avancer, toujours en chemin, en mouvement ! L’eau d’une rivière est pure parce qu’elle coule ; l’eau calme devient stagnante. Il est nécessaire d’accepter la réalité telle qu’elle est, sans la déguiser, sans la retoucher, mais en trouvant des moyens de l’améliorer. Bien, voici quelque chose de très important. Si cela se produit dans une entreprise qui marche depuis vingt ans, et qu’il y a une crise dans les affaires, il y a peu de possibilités de créativité pour l’améliorer. Au contraire, quand cela se produit dans un pays multimillénaire, avec son histoire antique, sa sagesse antique, sa créativité antique, la tension se crée entre le problème actuel et ce passé de richesses anciennes. Et cette tension porte du fruit en regardant vers l’avenir. Je crois que la grande richesse de la Chine aujourd’hui consiste à regarder l’avenir à partir d’un présent qui est soutenu par la mémoire de son passé culturel. Vivre en tension, mais pas dans l’angoisse, et la tension réside entre son très riche passé et le défi du présent qui doit être entraîné vers l’avenir ; cela signifie que l’histoire ne se termine pas là.
Francesco Sisci – À l’occasion du Nouvel An chinois qui approche, l’Année du singe, souhaitez-vous envoyer vos vœux au peuple chinois, aux Autorités et au Président Xi Jinping ?
Pape François – À la veille du Nouvel An, je désire adresser mes meilleurs vœux et salutations au Président Xi Jinping et à tout le peuple chinois. Et je voudrais exprimer mon espoir qu’ils ne perdront jamais leur conscience historique d’être un grand peuple, avec une grande histoire de sagesse, et qu’ils ont beaucoup à offrir au monde. Le monde compte sur cette grande sagesse qui est la vôtre. En cette Nouvelle Année, conscients de cela, puissiez-vous continuer d’avancer afin d’aider et de coopérer avec tous pour la protection de notre maison commune et de tous nos peuples. Merci !
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Commentaire des lectures du dimanche
L’Évangile de ce cinquième dimanche du temps ordinaire est certainement l’un des passages du Nouveau Testament qui exprime au mieux ce qu’est l’Église, voulue et fondée par Jésus.
Tout d’abord, face à la foule qui le presse pour écouter la parole de Dieu, Jésus monte dans une barque, s’assied, puis enseigne. Les Pères considèrent que la barque représente l’Église. Jésus s’y tient assis, signifiant ainsi l’autorité de Sa parole. La parole du Salut, mystérieusement et malgré la faiblesse de ceux qui l’ont transmise jusqu’à nos jours, est confiée à l’Église représentée par une barque. Une barque, c’est fragile. Elle peut prendre l’eau, être renversée ou tout simplement s’égarer. Mais cela n’arrive pas car Jésus y est assis. Monter dans la barque, comme le fait Pierre, c’est quitter la terre pour se tenir près de Jésus. C’est accepter de le suivre partout où il va (Ap 14,4) sans savoir où il va nous mener. Un deuxième enseignement de cet Évangile vient du dialogue entre Jésus et Pierre. Tout d’abord, Jésus lui demande d’avancer au large. Monter dans la barque n’est donc pas suffisant, faut-il encore partir ! Accepter de perdre ses repères, ses attaches, pour entendre pleinement la parole de Jésus. Avancer au large, c’est prendre le risque d’être entouré par les eaux, ce qui pourrait signifier la mort. La seule sécurité, c’est Jésus, assis, dans la barque. Pierre pose donc un acte de foi : il avance au large. Mais il y a plus encore. Jésus lui demande maintenant de jeter les filets pour prendre du poisson alors qu’il a déjà peiné, en vain, toute la nuit. Pour porter du fruit, il faut donc d’abord avancer au large, c'est-à-dire quitter ses repères pour suivre Jésus, mais il faut aussi jeter les filets alors que cela semble peine perdue. Pierre exprime sa surprise car il ne comprend pas la logique de Jésus. Mais il obéit. Jésus nous surprend. Son enseignement nous dépasse et bien des fois nous pouvons nous interroger sur la folie que représente la parole de Jésus. Mais cette folie de Dieu dépasse la sagesse des hommes.
Enfin, lorsque Pierre réalise le miracle qui est en train de se produire, il tombe aux pieds de Jésus et dit « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur » (Lc 5,8). Pierre voit Jésus à l’œuvre, non seulement en parole, mais aussi en actes. Il réalise alors la toute puissance de Dieu. Il mesure l’écart qui le sépare de Jésus, fils de Dieu, le Messie attendu par Israël ! Cette grâce de lucidité sur soi-même, cette grâce que reçoit Pierre au lac de Génésareth, nous pouvons la demander aujourd’hui pour chacun d’entre nous. Elle est synonyme de liberté. En effet, lorsque l’homme se reconnaît comme un être imparfait face à Dieu qui est parfait, il peut alors goûter Sa Miséricorde et réaliser tout l’amour que Dieu lui donne. Pierre est maintenant prêt à recevoir un appel spécifique : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Lc 5,10). En ce dimanche, nous sommes nous aussi invités à monter dans la barque avec Jésus, c'est-à-dire à mettre notre confiance en Lui, sans craindre la tempête qui pourrait surgir. Nous sommes aussi appeler à poser des actes de foi pour répondre aux paroles de Jésus qui nous invite à lancer les filets alors que cela semble vain. Le bonheur de Pierre, notre bonheur, c’est d’être proche de Jésus, dans la barque.
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