PKO 23.08.2015
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°45/2015
Dimanche 23 août 2015 – 21ème Dimanche du Temps ordinaire – Année B
Humeurs
Hommage au Pasteur Albert SCHNEIDER
Le 15 août, dans sa terre natale, dans le petit village de Wangen, en Alsace, s’éteignait le Pasteur Albert SCHNEIDER.
Fondateur du C.P.C.V., du Centre de Documentation de l’Église protestante il fut aussi un des artisans de la seule association œcuménique de Polynésie : « Tenete »
« Le Pasteur Albert a marqué par son engagement dans l'Église protestante en Polynésie, dans la jeunesse de ce pays, par son amour des livres, par son souci de la mémoire et de l'histoire (tahitiennes et alsaciennes) et de la documentation à mettre à la disposition de tous, par sa volonté à déposer au Musée de Tahiti, grâce à Tenete dont il aura été un membre fondateur, les objets conservés alors par la Société des Missions de Paris ». (Robert Koenig)
Le Pasteur Albert était né le 7 janvier 1941 à Karlsruhe (Allemagne). Études secondaires et supérieures à Strasbourg. Licencié en théologie. Arrive pour trois mois à Tahiti en juillet 1966 pour y former des animateurs de jeunesse. Passe à nouveau à Papeete de juillet 1968 à décembre 1969 comme secrétaire général des Unions chrétiennes de jeunes gens. Ordonné pasteur en 1971. Retourne la même année à Tahiti pour y occuper le poste de conseiller de la jeunesse et est également attaché à la direction de l'Église Évangélique locale. Monte un Centre de Documentation destiné à intéresser les jeunes tahitiens à leur histoire. De retour en Alsace, il continuera son ministère jusqu’en septembre 2007 ou il se retira avec son épouse dans le petit village de Wangen près de Kronthal. (« Tahitiens »)
À toute sa famille, à ses nombreux amis, notamment en Polynésie, à l’Église Protestante, nous présentons, au nom de la Communauté Catholique en Polynésie, nos sincères condoléances et nous les assurons de notre prière fraternelle.
Chronique de la roue qui tourne
Un départ pour mieux revenir
« L’amour est le bras qui soutient celui qui trébuche, mais aussi la main qui s’ouvre pour laisser prendre son envol à celui qui a soif de liberté. » Elaine HUSSEY
Ça y est, la fin des vacances a sonné. Les élèves ont retrouvé les bancs de l'école, j'entends déjà les parents pousser un soupir. Mais le mois d'août est aussi le moment du grand départ pour beaucoup de jeunes Polynésiens qui choisissent de poursuivre leurs études à l'étranger.
Oh bien sûr, ils sont excités de quitter papa et maman, d'être enfin libres. Ils planifient déjà leurs soirées entre copains, ils imaginent toutes les grasses matinées qu'ils feront. Et il suffit d'une petite communauté tahitienne pas trop loin pour que le son d'un ukulele devienne comme le chant de sirènes. La belle vie quoi ! Oui, mais.
L'université est déjà une épreuve en soi. Livrés à eux-mêmes, ils devront redoubler de motivation et de sérieux pour tenir le cap. Ajoutez à cela le déracinement. Difficile de trouver le même style de vie au-delà de nos récifs... sans chauvinisme bien sûr ! Un choc culturel et climatique, entre autre, accompagne ce changement. Première approche rude de la vie d'adulte. Ajoutez à cela (encore) la solitude. Ayant grandi dans un style de vie communautaire, où la famille a un sens très large, ils se sentiront seuls bien des fois. Et là, difficile de prendre la voiture pour passer le week-end en famille ! Certains reviendront pour les vacances mais pas tous. Les autres devront peut-être travailler quelques temps pour gagner un billet de retour.
Pourtant, ce premier envol est un beau moment. Ernst JÜNGER disait : « Quand nous pensons nous envoler, notre bond maladroit nous est plus cher que la marche la plus sûre en un chemin tout tracé. ». Oui, que nos jeunes osent ce premier pas. Forts de nos valeurs et de notre éducation, qu'ils soient cet arbre, bien enraciné ici, qui ploie sa cime pour aller titiller l'horizon. Que cette expérience soit une rencontre avec eux-mêmes, un apprentissage face à l'autre pleinement différent, une affirmation de leur identité Polynésienne et Océanienne.
De notre côté, soyons un soutien infaillible. La nouvelle technologie nous offre la possibilité de leur parler, de les voir, quand on veut et à moindre frais. Nous sommes loin du temps de la lettre qui mettait 2 mois pour arriver. Alors, profitons-en ! Soyons présents à chaque rire et à chaque coup de blues.
Puissions-nous également leur garantir du travail à leur retour. Que le déracinement et la douloureuse séparation familiale ne soient pas vains. Or, combien de jeunes ne trouvent rien, aucune perspective d'avenir, après un tel sacrifice ??? Cette triste réalité doit changer.
Car, au mois d'août, nos jeunes partent... pour mieux revenir. S'ils ont trouvé assez de courage pour partir, donnons-leur une raison de revenir !
La chaise masquée
Le travail contribue au bien commun
Audience générale du mercredi 19 août 2015 – Pape François
Le Pape a poursuivi son cycle de catéchèses consacré à la famille. Après avoir parlé la semaine dernière de la fête dans la vie de famille, il est revenu ce mercredi matin sur un « élément complémentaire », le « travail », fête et travail faisant partie du « dessein créateur de Dieu ».
Chers frères et sœurs, bonjour !
Après avoir réfléchi sur la valeur de la fête dans la vie de la famille, nous nous arrêtons aujourd’hui sur l’élément complémentaire, qui est celui du travail. Tous deux font partie du dessein créateur de Dieu, la fête et le travail.
Le travail, dit-on communément, est nécessaire pour faire vivre la famille, faire grandir les enfants, pour assurer à ses proches une vie digne. La chose la plus belle que l’on puisse dire d’une personne sérieuse et honnête est : « C’est un travailleur », c’est vraiment quelqu’un qui travaille, c’est quelqu’un qui dans la communauté, ne vit pas aux crochets des autres. J’ai vu qu’il y a beaucoup d’Argentins aujourd’hui, je dis donc comme l’on dit chez nous : «No vive de arriba ».
Et en effet, le travail, sous ses innombrables formes, à partir de celle au foyer, prend soin également du bien commun. Et où apprend-on ce style de vie laborieux ? On l’apprend avant tout dans la famille. La famille éduque au travail par l’exemple des parents: le père et la mère qui travaillent pour le bien de la famille et de la société.
Dans l’Évangile, la Sainte Famille de Nazareth apparaît comme une famille de travailleurs, et Jésus lui-même est appelé « fils du charpentier » (Mt 13, 55) ou même « le charpentier » (Mc 6, 3). Et saint Paul ne manquera pas d’avertir les chrétiens: «Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus» (2 Th 3, 10). — C’est une bonne recette pour maigrir cela, on ne travaille pas, on ne mange pas! — L’apôtre se réfère de façon explicite au faux spiritualisme de certains qui, de fait, vivent aux crochets de leurs frères et sœurs « ne travaillant pas du tout » (2 Th 3, 11). L’occupation du travail et la vie de l’esprit, dans la conception chrétienne, ne sont en aucun cas en opposition entre eux. Il est important de bien comprendre cela! Prière et travail peuvent et doivent aller de pair en harmonie, comme l’enseigne saint Benoît. Le manque de travail nuit également à l’esprit, tout comme le manque de prière nuit également à l’activité pratique.
Travailler — je le répète, sous d’innombrables formes — est le propre de la personne humaine. Cela exprime sa dignité d’être créée à l’image de Dieu. C’est pourquoi on dit que le travail est sacré. Et c’est pourquoi la gestion de l’emploi est une grande responsabilité humaine et sociale, qui ne peut être laissée aux mains de quelques-uns ou abandonnée à un « marché » sacralisé. Provoquer une perte d’emplois signifie provoquer un grave dommage social. Je suis triste lorsque je vois qu’il y a des gens sans travail, qui ne trouvent pas de travail et qui n’ont pas la dignité d’apporter de quoi manger à la maison. Et je me réjouis tant quand je vois que les gouvernants font beaucoup d’efforts pour trouver des postes de travail et pour faire en sorte que tous aient un travail. Le travail est sacré, le travail donne de la dignité à une famille. Nous devons prier afin que ne manque pas le travail dans une famille.
Donc le travail aussi, comme la fête, fait partie du dessein de Dieu Créateur. Dans le livre de la Genèse, le thème de la terre comme maison-jardin, confiée au soin et au travail de l’homme (2, 8.15), est anticipé par un passage très touchant : « Au temps où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car Yahvé Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d'homme pour cultiver le sol. Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol » (2, 4b-6a). Ce n’est pas du romantisme, mais c’est la révélation de Dieu ; et nous avons la responsabilité de la comprendre et de l’assimiler entièrement. L’encyclique Laudato si’, qui propose une écologie intégrale, contient également ce message: la beauté de la terre et la dignité du travail sont faites pour être unies. Elles vont de pair: la terre devient belle lorsqu’elle est travaillée par l’homme. Quand le travail se détache de l’alliance de Dieu avec l’homme et la femme, lorsqu’il se sépare de leurs qualités spirituelles, lorsqu’il est otage de la logique du seul profit et qu’il méprise les liens d’affection de la vie, l’avilissement de l’âme contamine tout : même l’air, l’eau, l’herbe, la nourriture... La vie civile se corrompt et l’habitat se détériore. Et les conséquences frappent surtout les plus pauvres et les familles les plus pauvres. L’organisation moderne du travail montre parfois une dangereuse tendance à considérer la famille comme une gêne, un poids, une passivité, pour la productivité du travail. Mais demandons-nous : quelle productivité ? Et pour qui ? Ce que l’on appelle la « ville intelligente » est sans aucun doute riche de services et d’organisation; mais, par exemple, elle est souvent hostile aux enfants et aux personnes âgées.
Parfois, l’intérêt de ceux qui projettent réside dans la gestion d’une main d’œuvre individuelle, pouvant être assemblée et utilisée ou mise au rebut selon l’intérêt économique. La famille est un banc d’essai important. Lorsque l’organisation du travail la retient en otage, ou en empêche même le chemin, alors nous sommes certains que la société humaine a commencé à travailler contre elle-même !
Les familles chrétiennes reçoivent de cette conjoncture un grand défi et une grande mission. Elles détiennent les fondements de la création de Dieu : l’identité et le lien de l’homme et de la femme, la génération des enfants, le travail qui domestique la terre et rend le monde habitable. La perte de ces fondements est un problème très grave, et dans la maison commune, il y a déjà trop de fissures! Cette tâche n’est pas facile. Parfois, les associations familiales peuvent avoir l’impression d’être comme David face à Goliath... Mais nous savons comment ce défi a fini! Cela exige de la foi et de l’audace. Que Dieu nous accorde d’accueillir avec joie et espérance son appel, en ce moment difficile de notre histoire, l’appel au travail pour conférer une dignité à soi-même et à sa famille.
© Libreria Editrice Vaticana - 2015
« Une seule chaire », l’étreinte théologale
L’union est consommée – “Consummatum est” (Jn 19, 30)
Au commencement, au milieu et au terme, il y a l’union charnelle du bien-aimé et de sa bien-aimée. Au commencement des Saintes Écritures, la Genèse, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27) pour que « l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et [qu’]ils deviennent une seule chair » (Gn 2,24). Au milieu des Saintes Écritures, le Cantique des cantiques, le Bien-Aimé appelle : « Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, viens-t’en ! » (Ct 2, 10) et la Bien-Aimée sort de sa retraite « cachée au creux des rochers » (Ct 2, 14) pour l’enlacer « Mon bien aimé est à moi et moi à lui » (Ct 2, 16).
Au terme des Saintes Écritures, l’Apocalypse, l’Épouse, avec l’Esprit, élève la voix vers son Époux et lui dit « Viens ! » (Ap 22, 17) et ce dernier répond « Oui, mon retour est proche ! » (Ap 22,20).
Mysterium magnum
L’union sponsale. Si donc le couple amoureux est omniprésent dans les Écritures, c’est qu’en lui est inscrite une signification profonde. En lui est déposé un signe, un sacrement de Dieu. « Mysterium magnum » – Grand mystère, grand sacrement – dit saint Paul (Ep 5, 25).
Dans la Genèse, le couple homme-femme est « image et ressemblance » du « Nous » créateur (« Faisons l’homme à notre image » Gn 1, 26), c’est-à-dire de la Trinité. Dans l’Apocalypse, l’Époux et l’Épouse sont les images du Christ et de l’Église. Au début et au terme des Écritures donc, le mystère de l’union nuptiale est dévoilé : le couple est image de l’amour qu’est Dieu (la Trinité) ainsi que de l’amour qu’a Dieu pour son peuple.
N’allons pas trop vite aux choses essentielles
Si la Genèse et l’Apocalypse nous projettent directement du couple humain vers la Trinité et vers l’amour de Dieu pour nous, le Cantique des cantiques, lui, ne nous dit rien de Dieu. Le Cantique est un long poème d’amour à deux voix où l’on entend un Bien-aimé et une Bien-aimée se séduire, se chercher, s’offrir, se fuir puis finalement se donner définitivement l’un à l’autre. Le nom de Dieu n’y apparaît qu’une fois, discrètement dans l’épilogue : « Ses traits sont des traits de feu, une flamme de l’Éternel » (Ct 8, 6).
« Nous allons trop vite vers les choses essentielles » prévenait le philosophe Héraclite. Le Cantique en s’arrêtant sur l’amour humain pour lui-même, sans trop vite mettre sur lui le nom de Dieu, semble nous dire la même chose. Au lieu de plaquer trop vite l’amour de Dieu sur l’amour des amants, arrête-toi sur leur amour ! Au lieu de plaquer immédiatement l’agapê là où tu trouves de l’éros, arrête-toi un instant dans l’éros ! L’amour humain est signe de l’amour divin, mais il l’est par sa profondeur ; si l’on manque la profondeur de l’amour humain, on manquera aussi celle de l’amour divin. Si lisant le Cantique des cantiques on y voit trop vite une métaphore de l’amour de Dieu pour son peuple, sans d’abord goûter ce qui nous y est révélé de l’amour humain en lui-même, on manquera en réalité la profondeur de l’amour de Dieu pour son peuple.
Une théologie du corps qui aboutirait à noyer la dimension érotique et charnelle de l’amour sous une imposante symbolique mystique manquerait radicalement le projet de saint Jean Paul II. La théologie du corps consiste à découvrir la théologie contenue dans le corps, ou, plus précisément, dans l’union des corps. Il faut donc plonger à fond dans l’expérience amoureuse, érotique, charnelle et nuptiale, pour trouver en elle-même la présence de Dieu. Comme le dit St Bonaventure, il ne faut pas seulement connaître Dieu par sa création mais il faut aussi le connaître dans sa création. Pas seulement connaître Dieu à travers l’union de l’homme et de la femme, mais aussi au travers de leur union.
Le Livre des Écritures, nous le disions, dévoile le Livre de la création. Le verset biblique fait surgir le sens de l’expérience humaine qui sans lui resterait muette. Lisons donc l’expérience humaine à la lumière de quelques versets bibliques.
« Une seule chair » Gn 2, 24
Au livre de la Genèse, nous lisons : « l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 24). « Une seule chair » ? Mais oui ! Ce verset dit l’expérience de l’amoureux ! L’époux, celui qui a donné sa vie pour son épouse, sait que sa chair – sa vie – est comme doublée, distendue. Partout où il va, l’époux porte en lui son épouse. Sa vie est agrandie. L’amoureux, quand il regarde au fond de lui-même ne se trouve pas lui-même mais trouve sa belle, son aimée13 ! Le plus intime de l’amant, c’est l’aimée ! L’amoureux perçoit clairement que la vérité de son être n’est pas une individualité close sur elle-même, mais bien au contraire la présence de l’autre en lui. La vérité de l’époux c’est d’exister–pour son épouse.
Aussi la chair de l’homme est comme élargie, étendue, sa tente est agrandie pour recevoir son épouse. En lui-même, il la sent, elle, et leur amour s’exprime dans cette union de leurs corps où ils se reçoivent l’un l’autre.
L’union des corps, approche infinie
Arrêtons-nous un instant sur l’expérience érotique en elle-même, sur ses caresses. Qu’est-ce que l’expérience de l’amour charnel nous dit de l’amour des époux ?
Le toucher est très certainement le sens le plus intime, le plus profond. Si la vue met les époux « face à face », le toucher les met « côte à côte ». Par le sens du toucher, l’union des corps est le lieu de la plus grande intimité entre les amants.
Et pourtant, le toucher est en même temps le lieu du plus grand mystère. Si je caresse la main de mon aimée, (1) je sens sa main sous ma main ; (2) je sens ma main sur sa main ; (3) je sens qu’elle me sent sur sa main ; mais (4) je ne sens pas ce qu’elle sent ! Alors même que la frontière des corps est brouillée, que l’union est maximale, l’intime de l’épouse échappe à l’époux ! Ce que l’épouse vit dans cette caresse, l’époux l’ignore. L’époux sent le corps de son aimée vibrer sous sa caresse, mais ce qu’elle sent reste pour lui un mystère absolu. Ce qu’il voudrait atteindre – l’intime de sa bien-aimée – lui échappe. Sous ma main, bien-aimée, tu es intangible !
Le sens du toucher qui nous livre l’un à l’autre dans la plus grande intimité, nous garde en même temps l’un et l’autre dans le plus absolu mystère. Sous ma main qui t’effleure, un mystère absolu, une intériorité immense.
À l’époux et l’épouse, la chair est commune – « une seule chair » – mais elle ne l’est que dans une approche infinie. Plus je t’approche – plus nous sommes un, « une seule chair » –, plus aussi tu m’échappes, plus nous sommes deux dans cette chair, plus notre chair est pour chacun le lieu de la présence en soi d’un autre.
Ceux qui s’aiment sont une seule chair, non parce qu’ils fusionnent et se trouvent indifférenciés l’un de l’autre, mais parce que leur chair devient la présence de l’autre en eux. Ma chair m’est arrachée, elle n’est plus mon propre, elle est le lieu de mon aimée, la tente dressée pour elle. Ma chair, c’est la sienne. Ma vie, c’est la sienne. Ma chair est habitée par une autre.
L’amour, arrachement et don
L’expérience amoureuse est ainsi la découverte du primat de l’autre en moi. L’amoureux découvre qu’en lui, avant lui, il y a elle. Que sa chair – sa vie, son corps – est une tente pour accueillir l’aimée.
L’amour nous arrache à nous-mêmes. Ne croyons pas que l’amour est rationnel, qu’il est décidé, que nous choisissons d’aimer Non ! L’amour ça nous tombe dessus ! On tombe amoureux. C’est comme avec le Christ, ce n’est pas nous qui le choisissons, c’est Lui qui nous aime le premier (Cf. Jn 15, 16 et 1Jn 4, 10). Le rôle de la volonté dans l’amour n’est pas de décider d’aimer et ainsi de faire naître l’amour, mais, une fois que l’amour est né, de faire en sorte de rester tout au long de notre vie sensible à cet amour et de ne jamais nous endurcir au point de lui être imperméable.
L’amour est cette expérience inattendue où l’autre me ravit à moi-même, où l’autre devient premier en moi – pour le meilleur et pour le pire. Je suis arraché à moi-même et du même coup offert à l’autre. Ainsi, il n’y a pas d’agapê sans éros. Pour se donner (l’agapê comme amour oblatif), il faut avoir été arraché à soi (l’éros comme désir, comme passion qui nous ravit à nous-mêmes). Pas de don sans désir. D’expérience, l’amoureux sait qu’il n’est jamais la source de l’amour, qu’il n’a pas décidé d’aimer, mais a été décidé à aimer.
L’amour, même blessé, même vicié, porte en lui-même ce mystère d’arrachement et de don : « Ô amour de qui tout amour, même le charnel, même le dégénéré tient son nom. Amour saint et sanctifiant, pur et purifiant, vivifiante vie. Tu es d’en haut et tu tires en haut » écrit Guillaume de Saint-Thierry. Aussi, selon le mot de saint Augustin, « mieux faut se perde dans la passion que de perdre la passion ».
La profondeur charnelle de l’amour spirituel
C’est en éprouvant intensément ce mystère de l’amour humain – cette arrachement à soi et ce don de soi dans la chair commune des époux – que nous découvrons l’immensité de l’amour de Dieu.
Après avoir demeuré dans la chair, dans l’épaisseur charnelle de l’amour, lorsque nous entendons que cette expérience est « image et ressemblance » de Dieu, notre éblouissement est immense ! L’arrachement à moi-même et le don de moi-même que je vis dans l’expérience amoureuse est image et ressemblance de l’arrachement et du don mutuel des Trois de la Trinité, est image de l’arrachement et du don de Dieu pour l’humanité.
Par l’amour, l’homme découvre que le fond de son être est désir – arrachement et don. Que sa vie entière est une « course pour tâcher de saisir, ayant été saisi lui-même » (Ph 3, 12). Saisi par sa bien-aimée, saisi par le Christ – Époux véritable de nos âmes. Tâchant de saisir sa bien-aimée, tâchant de saisir le Christ Jésus. Entrainé sur les pas de l’Aimé, il court disent les premiers versets du Cantique (Cf. Ct 1, 4).
L’homme de désir s’approche et dit « Viens » (Ap 22, 17), alors, l’Époux véritable, entrant dans la chambre nuptiale, dit : « Ceci est mon corps, livré pour toi. »
© Cahiers libres - 2015
À travers l’Archipel marquisien
Relation du Frère Marie-Sébastien Acar, maître d’école à Puamau – Hivaoa - 1894
Pour prolonger notre parcours de la vie religieuse en Polynésie, dans le cadre de l’Année de la vie consacrée… nous vous proposons dans els semaines qui viennent de relire quelques relations des missionnaires à la fin du XIXème siècle…
L’île d’Hivaoa ou Dominique, dont il est question dans cette missive, mesure une superficie de quatre cents kilomètres carrés.
Nos lecteurs suivront avec intérêt le Frère Acar dans sa pittoresque excursion à travers cette terre boisée et fertile, la plus riche et la plus peuplée des douze îles qui composent l’archipel français des Marquises.
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Désirant compléter les détails déjà donnés sur notre chère Mission des Iles Marquises et tout spécialement sur l’île Hivaoa où je suis depuis près de vingt ans, permettez-moi de vous entretenir quelques instants de mon voyage de Puamau à Atuona, distant de quarante kilomètres.
Par une belle matinée de janvier, je me mettais en route avec le R.P. Jean Berchmans pour aller prendre part à la retraite annuelle. Le R.P. Olivier Gimbert, venu de Fatuiva, se joignit bientôt à nous et, après vingt minutes de marche, nous arrivions au pied de la montagne Tatinopetaï (la trappe des oiseaux). Nous fîmes là une petite halte pendant laquelle le P. Jean voulut absolument faire le croquis de mon humble personne. Certes, mon accoutrement singulier justifiait assez pareille fantaisie : figurez-vous, en effet, une paire de guêtres sans boutons ni coutures, taillées dans une paire de bas noirs ; un pantalon blanc serré dans ces guêtres de nouvelle marque ; une chemise à carreaux bleus et blancs ; un paquet de provisions suspendu sur l’épaule au bout d’un bâton ; comme couronnement, un chapeau en pandanus à large bord ; et dites-moi s’il n’y avait pas là de quoi tenter un crayon d’artiste ?…
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Trois kilomètres d’une route phénoménale, creusée ou même collée par les indigènes aux flancs de la montagne, nous amènent tout ruisselants de sueur jusqu’au point culminant, d’où nos yeux contemplent avec ravissement ma chère baie de Puamau. Capricieuse, elle s’offre et se soustrait tour à tour aux humides caresses des flots ; je la vois s’ouvrir, s’élargir, se déployer, se rapprocher et s’enfuir en se confondant brusquement avec la ligne brisée de la côte d’Hivaoa.
Nous marchons dès ce moment sur la crête de la montagne, qui n’a plus maintenant qu’une brasse de largeur. Nous franchissons ainsi sous une pluie torrentielle l’endroit le plus étroit de l’île, ayant à nos pieds de chaque côté l’Océan mugissant et qui s’efforce de séparer les deux terres. Mais bientôt un passage nous donne des inquiétudes : c’est la montée de la Savonnerie, où l’on glisse en tout temps, mais surtout lorsqu’il a plu. Nous nous en tirons sans accident, et nous arrivons tout heureux au Pic des Fées ou Demeure des esprits.
Il y a là une vieille masure, peut-être bien un débris de temple que nous avons décoré du beau titre ronflant d’Hotel du comte de Flandre, tenu par les fées ! Quelques vieux païens y apportent de temps à autre de la nourriture, et quand on en trouve là, on en profite, naturellement…
Cette fois-ci, il n’y avait rien. Les fées étaient sans doute en voyage, mais elles avaient eu soin de laisser un planton à la porte de l’hôtellerie ; nous fûmes reçu par un énorme rat qui fit volte-face, nous salua de sa longue queue et disparut dans son trou. Nous nous attablâmes cependant, car c’est le seul endroit où l’on puisse trouver une goutte d’eau entre Puamau et Atuona.
Trois kilomètres plus loin, nous atteignîmes enfin le plateau de Haamau : la route devient belle, unie et spacieuse. Vers le milieu de ce plateau, à droite de la route, se dresse un paépaé (pavé sacré), naguère enncore destiné aux sacrifices humains.
Il y a des paépaé dans toutes les vallées ; celles où la population est dense en ont fait jusqu’à trois. Ils sont construits en pierres sèches juxtaposées. Ces pierres ont été taillées avec des outils eux-mêmes en pierre dure : travail de patience et de longue haleine. Elles ont en moyenne un mètre 50 de longueur sur 0,60 de largeur et 0,25 d’épaisseur. De forme rectangulaire, ces paépaé mesurent de 30 à 40 mètres de longueur sur 10 mètres de largeur et 1 mètre 50 de haut !
Avant l’occupation française, le paépaé qui nous occupe se trouvait au milieu d’un village habité par de féroces cannibales. Malheur à l’imprudent qui s’aventurait alors dans cette partie de la montagne. Il était sûr d’être cuit au four et croqué à belles dents, car retranchés dans l’ornière, au centre de ce plateau, les terribles Marquisiens s’y croyaient inexpugnables, et ne faisaient grâce à personne.
Le F. Frézal faillit un jour s’en convaincre. Obligé de franchir la fameuse montagne pour aller à Hanaiapa, il avait à peine répondu aux questions que tout Kanaque adresse au voyageur : « Où vas-tu ? D’ou viens-tu ? » qu’un grand diable de tatoué s’élance à sa poursuite, un poignard à la main. En bon Auvergnat, le Frère se met à jouer du bâton : « - Qu’y a-t-il dans ton sac ? » rugit le brigand. « - Du biscuit, du tabac et mon habit. » « - Donne-moi le biscuit et le tabac. » « -Tiens, dit le Frère, en lui jetant le biscuit et le tabac, et laisse-moi la paix. » « - Je veux ta veste. » Pour toute réponse le Frère lui montre son gourdin noueux en disant : « -Suis-moi jusqu’à Hanaiapa et nous verrons. » Le sauvage n’insista pas, et le bon Frère de s’enfuir.
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Les meurtres et les scènes de sauvagerie qui suivirent cet incident obligèrent le Gouvernement français à tenter un nouvel effort pour soumettre les rebelles. Le contre-amiral Du Petit-Thouars fut chargé de cette expédition.
Il commença par consulter le vicaire apostolique, Mgr Dordillon, lui demanda un frère pour guide, et gravit la montagne à la tête de six cents hommes, sous un épais brouillard. C’était le 21 juin 1880. Tous les sauvages dormaient ivres d’eau-de-vie de coco, le fusil chargé entre les jambes ; l’attaque fut si secrète et si prompte que les guerriers n’eurent même pas le temps d’user de leurs armes, ils se réveillèrent tous solidement garrottés et furent conduits avec leurs femmes et leurs enfants sur les navires de guerre qui les attendaient en rade d’Hanaiapa. Les petites filles furent confiées aux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny ; les petits garçons à l’école de la Mission, les hommes et les femmes, après deux années de captivités, furent renvoyés dans leur île, un peu intimidés mais non pas convertis.
Tout dernièrement encore on parlait de deux individus qui auraient disparu dans la montagne.
L’expédition terminée, l’amiral en porta aussitôt la nouvelle au Vicaire apostolique et lui demanda un Te Deum pour l’heureuse issue de l’entreprise, qui n’avait pas coûté une goutte de sang !
Marins, soldats et indigènent s’y rendirent de tous les points de l’archipel : l’amiral s’y trouvait à la tête de son État-major. Il savait rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. En effet, au moment où l’escadre appareillait pour revoir la patrie, le noble marin voulut laisser aux missionnaires un éclatant témoignage de sa reconnaissance et de sa haute estime :
« Mon révérend Père, dit-il, en s’adressant au R.P. Provincial, je repars pour la France, car, grâce à Dieu et à vous, je n’ai que faire ici maintenant : ma mission est remplie et heureusement terminée ! Je n’ai fait que suivre vos conseils : tout est rentré dans l’ordre. Merci à vous, mon Père, et merci à vos confrères si dévoués. Je pars convaincu que nous ne nous reverrons plus ici-bas : mais priez pour moi, et au revoir là-haut ! »
Il a dit vrai. Notre bon Père Provincial a été fidèle au rendez-vous : il est partit en même temps que lui pour le ciel.
Je venais de faire le récit de ces événements à mes deux compagnons lorsque nous arrivâmes à Atuona, lieu de notre retraite. Chacun eût souhaité d’y rester longtemps. Mais le missionnaire ne doit se reposer jamais.
Pour le retour nous décidâmes, le P. Jean et moi, de suivre le chemin de ceinture. Notre première étape fut la vallée d’Hanapaïa dont nous avons parlé. C’est la merveille du pays. Ce qui regarde le plus les regards du voyageur, c’est la « tête de nègre » qui émerge des eaux à l’entrée même de la baie (voir la gravure ci-dessous). On voit, en effet, un énorme rocher repésentant le type le plus accompli du nègre de l’Afrique équatoriale : nez écrasé, cheveux crépus, lèvres pâteuses, rien n’y manque. Nous le contemplons un instant du haut de la montagne et nous nous acheminons en toute hâte vers l’enclos de la mission ; nous arrivons trop tard, il est entouré d’eau ; la haute mer en a fait une île. « Ohé ! crions-nous à maître Rat, gardien de notre enclos, à l’aide, s’il vous plait ! »
Un fort gaillard, nullement en peine de ses habits mais tatoué des pieds à la tête, s’élance dans les eaux. Il me prend dans ses bras (voir la gravure page 370) et me dépose bientôt après de l’autre côté du rivage, en s’exclamant tout essouflé : « Frère, que tu es lourd ! » comme si c’était ma faute.
Je cours à la chapelle, et tandis que le P. Jean subit une même opération, la cloche met en émoi tous les habitants du village ; il était déjà nuit, on récite la prière, on fait un peu de catéchisme, une courte instruction et tout le monde est convoqué pour le lendemain matin.
Privés de missionnaires depuis plusieurs années, les fidèles vinrent nombreux pour nous saluer et assister à la sainte Messe. Nous eussions bien voulu passer toute la journée au milieu de cette population, mais l’heure avancée nous obligent à nous remettre en marche, car il nous fallait faire trente-trois kilomètres à pied, et le lendemain était un dimanche.
Cette pensée nous fait hâter le pas, nous saluons sans nous arrêter une petite léproserie où personne ne répond à notre appel, nous traversons la vallée de Hanatekuuna où nous refaisons nos forces épuisées, et à la sortie du village nous considérons d’un œil curieux le plus célèbre paépaé (pavé sacré) de tout l’archipel, parfaitement conservé et encore orné d’une idole grotesque et de trois ou quatre vieux tambours sacrés,. On se sent frissonner malgré soi, quand on songe que ces paépaés ont été si longtemps rougis de sang humain et que, sans aucun doute, ces tambours servaient avant notre arrivée à étouffer les cris desespérées de la victime que le prêtre païen sacrifiait sur cet autel.
Dix kilomètres plus loin, nous arrivons en face de la léproserie de Hanatavaï dont les habitants nous paraissent assez résignés.
Les parents fournissent la nourriture, le missionnaire apporte des hameçons, du fil, des aiguilles, des habits. Tandis qu’ils le peuvent, ils s’amusent eux-mêmes à cultiver le tabac, la banane, la canne à sucre, l’ananas… Tout cela leur plait, les empêche de s’ennuyer et de penser à leur mal. Du reste, ils ont eu un bel exemple de résignation chrétienne dans un des leurs dont la mort a été aussi agréable devant Dieu que sa vie avait été édifiante pour les hommes. Il faut vous dire son histoire : Petero était son nom. Son frère, m’a-t-on raconté, fut pris, mis au four et mangé par les sauvages de l’île de Tahuata, il y a quelque trente ans. Resté seul avec sa sœur Victoire, Petero se fit le pêcheur attitré de la mission, comme celle-ci en était l’humble et fidèle servante. Ils vivaient, heureux, honoré de l’estime et de l’affection des missionnaires, lorsque Dieu voulu les éprouver. Petero devint lépreux. Dans l’enclos de la mission, on lui construisit une maisonnette en planches où il se séquestra de lui-même. Sa sœur le soignait, le missionnaire le consolait. Pour lui, il attendait sans se plaindre l’heureux moment de sa dissolution : lorsqu’un membre se détachait de son corps, c’était, disait-il, une pierre de moins à la muraille qui retenait son âme captive. Aux jours des grandes cérémonies, entre deux offices, de peur d’être un objet de dégoût pour les fidèles, il se trainait à l’église pour y recevoir le Divin Consolateur et satisfaire les pieux désirs de son âme. Tout mutilé qu’il était, il se disait heureux, et il devait l’être.
Un jour, cependant, le médecin donna ordre de le reléguer à la léproserie. C’était un arrêt de mort ! Petero le comprit et si résigna. Sa bonne sœur toute éplorée le prit alors dans ses bras, le plaça comme elle put sur ses faibles épaules, et, après mille difficultés, elle le déposa à Hanatavaï, où elle continua à lui apporter un peu de nourriture fraiche tous les deux ou trois jours. Toutefois Petero déclinait sensiblement ; il ne parlait plus que du Ciel, et un jour il dit d’un ton convaincu :
« - Mon exil touche à sa fin ; faites creuser ma tombe ; qu’on apporte mon cercueil. »
C’est une coutume aux Marquises de faire préparer son cercueil, dès qu’on est atteint de quelque maladie grave. Celui de Petero était prêt depuis trois ans.
« - Et puis, - continua-t-il ; - qu’on aille chercher le missionnaire. »
Celui-ci était absent. Le jeudi suivant, jour de congé pour mes écoliers de Puamau, je partis pour la léproserie.
« - Le P. Dominique est-il arrivé ? » me demanda le pauvre malade.
« - Non, mais le P. Adrien va venir à Ekeani. À propos, lui dis-je, où est votre chapelet à gros grains que le P. Olivier vous a donné ? »
« - Il est là, suspendu derrière ma natte, car les Kaoha oe Maria (Ave Maria) ne peuvent plus glisser entre mes doigts ; je n’en ai plus, et mes yeux s’obscurcissent. Seules mes lèvres peuvent encore murmurer la prière que le cœur m‘inspire. »
Le dimanche suivant, le P. Adrien alla le visiter.
« - Comment va notre pauvre Petero ? fit-il, tout ému, Que désire-t-il ? »
« - Que vous célébriez une dernière fête avant son départ » répondit le pauvre lépreux.
« - Une fête ? et laquelle, mon bon ami ? »
« - La fête de l’Extrême-Onction. Je n’attends plus que cela ; pour le reste, je suis en règle. »
« - La fête de l’Extrême-Onction ! Oui, Petero, nous la célébrerons de grand cœur ; ce sera pour demain ! »
Le lendemain de grand matin, Victoire se trouvait auprès de son frère pour les préparatifs de la grande fête. Comme un pied du lépreux était déjà en putréfaction et répendait une odeur insupportable : « Coupe ceci, dit-il tranquillement à sa sœur, le Père serait peut-être incommodé » et le talon disparut.
Le Père arriva et célébra la fête que Petero semblait attendre pour monter au ciel. Il lui fit les adieux les plus touchants.
« - Maintenant je suis presque guéri, dit le malade d’un air radieux… Ne te désole pas, dit-il à sa sœur, je ne regrette rien. Je n’ai plus besoin de toi, car c’est fini. Va seulement te reposer pour ne pas tomber malade. Adieu, ma sœur ! au revoir là-haut ! »
Sur ses instances elle se retira ; mais à peine était-elle rentrée à la mission qu’un exprès lui annonçait que Petero était mort.
Le soir, à neuf heures, lorsque tous les enfants de l’école furent endormis, je quittai moi-même Puamau, muni de quelques outils, et, accompagné d’un enfant, j’allais rendre les derniers devoirs au lépreux.
Je le contemplais tout ému. Les bras en croix, le chapelet au cou, Petero semblait encore prier ; son visage avait le calme et la sérénité d’un bienheureux ; mais ce qui me surprit le plus, c’est que l’infection avait complètement disparu : beaucoup de personnes en firent aussi la remarque. Je le mis en bière avec toute la vénération possible, et j’allais fermer le cercueil lorsque Victoire me pria d’attendre pour lui permettre de pleurer encore celui qu’elle avait si charitablement soigné.
Me tourant vers l’assistance, je crus bon d’appeler l’attention sur cette fin prédestinée, et d’appuyer sur le dogme si consolant de la résurrection, que plusieurs ici refusent d’admettre. J’interrogeai donc la pauvre sœur sur ses espérances, et voici ce qu’elle me répondit :
« Je crois que cet enfant qui vient de mourir ressuscitera au dernier jour. Mais puisque Dieu lui a envoyé son missionnaire pour le consoler par la fête de l’Extrême-Onction, puisque les vers ont respectés ses plaies et que l’odeur de la lèpre a cessé, n’est-il pas manifeste que le Seigneur a introduit son âme dans son paradis, en attendant qu’il la réunisse à son corps glorifé, à la grande fête de la résurrection générale. »
Il était minuit lorsque nous rentrâmes à la mission. Victoire resta encore à la léproserie jusqu’àprès l’enterrement de son frère. Quelques jours plus tard, j’y revenais pour planter sur la tombe de Petero une croix avec l’épitaphe suivante :
MOE ICI
ANA REPOSE
I NEI
A PETERO TOIA PIERRE TOIA
TU AE QUI
IA PAO RESSUSCITERA
TE À
AOMUAMA NEI. LA FIN DU MONDE
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Je reviens à notre voyage. À peine sortis de la léproserie, nous voyons le ciel se couvrir de nuages et vingt minutes après nous sommes gratifiés d’une pluie torrentielle. Trempés jusqu’aux os, nous n’en continuons pas moins notre route, car c’est samedi, et que diraient nos gens de Puamau si nous leur faisions manquer la messe demain ? Mais à Motuna, le ciel s’ouvre de nouveau ; impossible d’avancer. Assurément c’était bien le cas de murmurer, si jamais le murmure était permis. Eh bien ! c’était tout juste le moment de la grâce. En effet, tandis que, sous un figuier, nous laissions passer le gros de l’orage, une pauvre femme, elle aussi, se réfugiait au même endroit. Hélas ! c’était une Samaritaine. Nous lui parlâmes du Divin Maître, de sa loi sainte, du bonheur du ciel, de la nécessité d’être chrétien… Nos exhortations tombaient sur une terre préparée par la rosée céleste. Elle promit de changer de vie, et, ce qui est plus précieux encore, elle a été fidèle à sa promesse : devenant apôtre à son tour, elle nous amena son mari, qui depuis assiste régulièrement au catéchisme, ne demandant qu’à devenir un bon chrétien.
La pluie cessant, nous reprîmes notre chemin en louant Dieu ; mais il était nuit depuis longtemps, lorsque nous arrivâmes à Puamau, où personne ne nous attendait plus.
© Revue Mission catholique - 1894
Méditation sur la Parole
Un peuple qui choisit
Aujourd’hui, c’est le dimanche du choix. Jésus, constatant le départ de plusieurs disciples, demande à ses apôtres : « Voulez-vous partir vous aussi ? » Et Josué, dans la première lecture, pose aux gens de son peuple la question suivante : « S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez qui vous voulez servir ».
Actuellement dans l’Église, comme aux premiers temps du christianisme, plusieurs se retirent et refusent de suivre le Christ. Des milliers de personnes abandonnent leur église et leur communauté chrétienne parce que, selon eux, le Seigneur est trop exigeant et ils ont des choses plus importantes à faire. Cependant, il est bon de constater que les départs n’ont pas été inventés par les gens d’aujourd’hui !
De temps à autre, nous pouvons réfléchir sur ces départs et de nous interroger sur notre propre fidélité. On ne peut rester fidèle que si l’on est en amour.
Dans la première lecture, Josué est maintenant vieux et il sent que la mort est proche. On a l’impression que ce grand chef de guerre ne veut pas qu’on se souvienne de lui pour ses nombreuses victoires militaires mais pour sa fidélité envers Dieu. Il rassemble le peuple à Sichem, le centre religieux d’Israël, et pose la question : « Si vous ne voulez plus servir Yahvé, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir… et il ajoute : Quant à moi et ma famille, nous servirons Yahvé. » Et alors il rappelle tout ce que le Seigneur a fait pour son peuple : « Yahvé notre Dieu est celui qui nous a fait sortir du pays d’esclavage, il a fait pour nous de grands signes et il nous a donné cette terre qui est la nôtre. »
Il est important de nous souvenir de ce que Dieu a fait dans nos vies ! « Je me souviens » est le slogan du Québec. Nous le retrouvons sur toutes les plaques d’immatriculation de nos véhicules. Malheureusement, sur le plan religieux, nous avons la mémoire courte !
Comme le dit si bien Israël Zangwill, en parlant de la tradition juive : « Nous ne sommes pas un peuple choisi, mais un peuple qui choisit. ». Ce choix fondamental est important pour chacun de nous et il influence le choix des autres. La décision de Josué a joué un grand rôle dans la prise de position d’Israël et le choix de Pierre a influencé celui des disciples qui sont restés fidèles au Christ. Nos décisions ont toujours une influence sur notre famille et sur les gens qui nous entourent.
Un choix aussi fondamental que celui de laisser Dieu entrer dans notre vie doit être refait régulièrement et doit être accompagné d’actions concrètes d’amour, de charité et de partage. Les personnes qui s’aiment ne se choisissent pas seulement le jour des noces. Le choix doit être fait et refait des milliers de fois à travers les années, dans les temps de bonheur comme dans les périodes plus difficiles.
A la fin de l’évangile d’aujourd’hui, Pierre nous offre une profession de foi d’une grande beauté : « À qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle ». Réponse modeste, humble même, mais combien significative.
De nos jours, comme au temps de Jésus et au temps de Josué un grand nombre de chrétiens abandonnent leurs convictions religieuses pour suivre d’autres dieux et d’autres idoles : l’argent, le prestige, la carrière, les honneurs, le bien-être, la science, le progrès technique… Il n’y a rien de très nouveau dans tout cela.
Le Christ demande à chacun de nous ce matin : « Voulez partir vous aussi ? »
La fidélité au Seigneur sera possible seulement si nous entretenons l’amour et la confiance que nous avons envers lui. « À qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle. »
© Cursillo - 2015