PKO 18.10.2015

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°53/2015
Dimanche 18 octobre 2015 – Dimanche Missionnaire Mondial – Année B

Humeurs

Comme quoi, le bien ne fait pas de bruit !

Plus ça fait du bruit, moins c’est intéressant : voilà ce que je retiens de ces premiers jours du Synode, au cours desquels on a beaucoup parlé d’une lettre de cardinaux protestataires, d’un coming-out tonitruant au sein de la Curie et, bien sûr, de l’épineuse question des divorcés remariés et de leur accès aux sacrements, dont on ne sait toujours pas s’il s’agit d’un point de doctrine ou d’une question disciplinaire.

Mais on peut dire aussi : moins ça fait du bruit, plus c’est intéressant.

Dans une grande discrétion, les cercles linguistiques se sont penchés sur la préparation au mariage, et en ont réaffirmé l’importance. Cette insistance m’a d’abord posé problème : nos bons Pères ne seraient-ils pas en train de radoter ? À quoi bon redire ce que tout le monde sait déjà, on ne peut plus envisager de se marier aujourd’hui sans un bon temps de réflexion et de préparation. Ma formation de séminariste des années quatre-vingts ne laissait pas de place au doute là-dessus : on devait organiser des rencontres de préparation, dans lesquels une large place devait être donnée à des couples déjà mariés capables de faire part de leur propre expérience. Petit à petit, au fur et à mesure qu’on avançait dans les générations, de plus en plus de jeunes non catéchisés, non baptisés, se sont présentés ; il a donc fallu repenser ces préparations dans une dynamique quasi-catéchuménale, et ce qui était au départ un temps d’échange et de préparation à la vie de couple est devenu un temps passionnant de catéchèse d’adultes, au cours duquel sont prévues des étapes liturgiques (célébration des fiançailles au cours d’une messe dominicale, écoute et partage de la Parole de Dieu…). Tout cela, donc, est supposé acquis.

Et voilà que nos Pères synodaux avouent que non, ce n’est pas acquis. Pour trop de couples encore, la préparation au mariage consiste en quelques rencontres avec le prêtre ou le diacre qui va les marier. Pour d’autres, elle continue à être centrée sur la vie de couple, voire la vie de famille, quand ce n’est pas la vie sexuelle, sans souci de catéchiser celles et ceux qui ne le sont pas et qui attendent pourtant que soit prise au sérieux la dimension religieuse de leur démarche.

Le bien, encore une fois, n’a pas fait de bruit. C’est pourtant là quelque chose d’essentiel qui a été débattu dans les carrefours linguistiques. « Il faut aller au contact, a déclaré à La Croix Mgr Ulrich… Il faut que nous partagions une expérience spirituelle avec ceux qui demandent le sacrement. » L’enjeu n’est pas seulement de sauter sur l’occasion pour évangéliser. Plus encore, il s’agit de redécouvrir à quel point la célébration même du mariage touche les époux et l’assemblée qui participe, lorsqu’elle a été précédée par un temps d’initiation et de maturation personnelle. Dans le sacrement du mariage, comme dans tout sacrement, c’est bien la grâce de Dieu qui besogne en nous. Cela vaut le coup de se disposer à l’accueillir.

Emmanuel PIC

Chronique de la roue qui tourne

Partir…

« Est-ce possible que partir ne serve qu'à se rappeler quelque chose. » Pierre Neveu

Partir, un rêve, un plaisir, une envie, un besoin. Quelle que soit la destination ou le temps de l’absence, l’horizon a toujours eu un pouvoir d’attraction. Aller voir au-delà, se laisser tomber derrière cette ligne imaginaire. Nous pensons, presque naïvement, qu’ailleurs les hauts et les bas pourraient être d’une autre couleur, que seuls des rires nous y attendent. Alors nous sommes prêts à tout détruire pour mieux reconstruire, à vivre là-bas tout en sachant que nos racines sont ici. Nous nous cherchons ailleurs, loin de notre routine. Nous partons à la rencontre d’un autre pour n’y voir qu’un frère. Apprendre de lui et mieux se comprendre soi-même.

Et ce voyage devient un rendez-vous avec nous-mêmes, hors de nos murailles. Mais un voyage ne prend-t-il pas tout son sens qu’au retour, lorsque nous apportons à notre quotidien toute la richesse des expériences vécues ? Nous revenons plus forts pour continuer ce qui doit être continué. Nous revenons différents pour changer ce qui doit être changé.

Car malgré tout ce qu’un « ailleurs » peut nous proposer, la joie de construire chez soi reste unique. Et une famille d’amis ne saurait remplacer complètement notre famille.

Alors partons, oui partons au-delà de notre océan. Partons quand le quotidien nous oppresse. Partons nous retrouver… alors seulement, nous pourrons enfin nous retourner. Partons si c’est pour mieux revenir. Car dans tout voyage, il vaut mieux que partir rime avec revenir… qu’avec fuir !

La chaise masquée

La parole aux sans paroles – Hors-série

Quand Jean-Louis Debré rencontre Jean-Marie Roughol, s.d.f.

Avec l’aide de Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, un sans-abri raconte sa vie dans la rue dans un livre qui vient de sortir.

Depuis plus de vingt ans, Jean-Marie Roughol fait la manche à Paris. Installé aux abords du Drugstore, sur les Champs-Élysées, il propose aux clients de les prévenir de l’arrivée des contractuelles contre un peu de monnaie. Il a l’art d’aborder les clients et même de « faire marrer les gens », mendiant « pour ses vacances à Courchevel » ou « pour manger chez Robuchon ».

Un soir, entre autres habitués du Drugstore, il interpelle Jean-Louis Debré. « Je l’ai reconnu tout de suite, écrit-il. Je lui ai dit : “Vous devriez vous présenter aux élections présidentielles”.  Il a rigolé et m’a répondu : “Si je suis président, vous serez mon premier ministre.” »

De cette rencontre est né un livre de témoignage : Je tape la manche1. L’idée vient du président du Conseil constitutionnel, qui a suggéré à l’homme de 47 ans d’écrire son histoire, puis l’a aidé à la mettre en forme. Jean-Louis Debré signe la préface et la postface du livre, manifestement touché par sa rencontre, même s’il n’évite pas quelques formules paternalistes.

Un aperçu, décousu mais sans fioriture, d’une vie dans la rue

Reste le témoignage brut, qui donne un aperçu, décousu mais sans fioriture, d’une vie dans la rue. Comme de nombreux sans domicile fixe, Jean-Marie Roughol raconte d’abord une enfance de malheurs, la « négligence » parentale puis les placements de familles d’accueil en foyers. Faute d’argent de poche, il commence, adolescent, à « taper la manche » avec un copain. « Un jeu, écrit-il, un simple défi. »

Mais les années passent et Jean-Louis Roughol ne parvient pas à se stabiliser. Au fil des rencontres, il occupe quelques emplois, nourri, logé, mais rarement payé. Il vit de la débrouille, s’offre parfois une chambre d’hôtel, mais dort plus souvent dans les parcs, les squats ou le métro. Il raconte ses premiers contacts brutaux avec la rue, le sentiment de déchéance, les vols, les bagarres et les « toxicos ».

Jean-Marie Roughol, pourtant, estime être du « côté des chanceux de la rue », affirmant gagner jusqu’à 1 000 euros par mois. Il qualifie même de « fantastique » la période où il « travaille » devant le Drugstore : les clients sont fortunés, parfois généreux. L’homme apprend à aborder « le pèlerin », à reconnaître ceux qui donneront une pièce de ceux qui font semblant de ne pas le voir, à affronter les insultes. « La manche, c’est finalement mon métier », résume-t-il.

« Le silence des églises me donne des forces »

Au fil des pages, Jean-Marie Roughol raconte ses amitiés entrecoupées de solitude, ses relations avec la police et les associations, l’émergence de réseaux mafieux de plus en plus présents dans la rue, selon lui.

Il consacre aussi un chapitre à sa foi : « Je suis croyant. J’essaie de prier, je le fais à ma manière. Cela me fait du bien d’entrer dans une église. Son silence me donne des forces. »

Après quelques années en HLM, Jean-Marie Roughol a choisi récemment de retourner à sa vie d’errance. « La rue (…), tel est à nouveau mon destin. Je n’arrive pas à m’en extraire. » Fin de l’histoire ? Peut-être pas. À présent, Jean-Marie aimerait « ouvrir une crêperie ».

Flore Thomasset

________________________________

1 Je tape la manche. Une vie dans la rue, de Jean-Marie Roughol et Jean-Louis Debré, éditions Calmann-Lévy, 176 pages.

© La Croix - 2015

Les promesses faites aux enfants

Audience générale du mercredi 14 octobre 2015 – Pape François

Cette semaine, le pape a consacré sa catéchèse aux promesses faites par les parents à leurs enfants.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous allons réfléchir aujourd’hui sur un thème très important : les promesses que nous faisons aux enfants. Je ne parle pas tant des promesses que nous faisons par ci par là, dans la journée, pour qu’ils soient contents et pour qu’ils soient sages (peut-être grâce à quelque truc innocent : je donne un bonbon, et des promesses de ce genre…), pour leur donner envie de faire des efforts à l’école ou les dissuader de faire un caprice. Je parle d’autres promesses, des promesses plus importantes, décisives pour leurs attentes par rapport à la vie, pour leur confiance dans les êtres humains, pour leur capacité à concevoir le nom de Dieu comme une bénédiction. Ce sont des promesses que nous leur faisons.

Nous, les adultes, nous sommes prêts à parler des enfants comme d’une promesse de vie. Nous disons tous : les enfants sont une promesse de vie. Et nous nous laissons facilement émouvoir, en disant aux jeunes qu’ils sont notre avenir, c’est vrai. Mais je me demande parfois si nous sommes tout aussi sérieux avec leur avenir, avec l’avenir des enfants et avec l’avenir des jeunes ! Il y a une question que nous devrions nous poser plus souvent : jusqu’où sommes nous loyaux dans les promesses que nous faisons aux enfants, en les faisant venir dans notre monde ? Nous les mettons au monde et c’est une promesse : que leur promettons-nous ?

Accueil et soins, proximité et attention, confiance et espérance sont autant de promesses fondamentales qui peuvent se résumer en une seule : l’amour. Nous promettons l’amour, c’est-à-dire l’amour qui s’exprime dans l’accueil, les soins, la proximité, l’attention, la confiance et l’espérance, mais la grande promesse est l’amour. C’est la manière la plus juste d’accueillir un être humain qui vient au monde, et nous l’apprenons tous avant même d’en être conscients. J’aime beaucoup voir les papas et les mamans, quand je passe parmi vous, m’apporter un petit garçon, une petite fille, tout petits et je demande : « Quel âge a-t-il ? – Trois semaines, quatre semaines… je demande la bénédiction du Seigneur ». Cela aussi, c’est de l’amour. L’amour est la promesse que font l’homme et la femme à chacun de leurs enfants : dès qu’il est conçu dans leur pensée. Les enfants viennent au monde et attendent la confirmation de cette promesse : ils l’attendent d’une manière totale, confiante, sans défense. Il suffit de les regarder : dans toutes les ethnies, dans toutes les cultures, dans toutes les conditions de vie ! Lorsque c’est le contraire qui arrive, les enfants sont blessés par un « scandale », par un scandale insupportable, d’autant plus grave qu’ils n’ont pas les moyens de le déchiffrer. Ils ne peuvent pas comprendre ce qui se passe. Dieu veille sur cette promesse, dès le premier instant. Vous souvenez-vous de ce que dit Jésus ? Les anges des enfants reflètent le regard de Dieu et Dieu ne perd jamais de vue les enfants (cf. Mt 18,10). Malheur à ceux qui trahissent leur confiance, malheur à eux ! Leur abandon confiant dans notre promesse, qui nous engage dès le premier instant, nous juge.

Et je voudrais ajouter autre chose, avec beaucoup de respect pour tout le monde, mais aussi beaucoup de franchise. Leur confiance spontanée en Dieu ne devrait jamais être blessée, surtout quand cela se produit à cause d’une certaine présomption (plus ou moins inconsciente) de se substituer à Dieu. Le rapport tendre et mystérieux de Dieu avec l’âme des enfants ne devrait jamais être violé. C’est un rapport réel que Dieu veut et que Dieu garde. L’enfant est prêt dès sa naissance à se sentir aimé de Dieu, il est prêt à cela. À peine est-il capable de sentir qu’il est aimé pour lui-même, notre enfant sent aussi qu’il y a un Dieu qui aime les enfants.

À peine nés, les enfants commencent à recevoir comme un don, avec la nourriture et les soins, la confirmation de la qualité spirituelle de l’amour. Les actes de l’amour passent à travers le don d’un prénom personnel, le partage du langage, les intentions des regards, les lumières des sourires. Ils apprennent ainsi que la beauté du lien entre les êtres humains indique notre âme, cherche notre liberté, accepte la diversité de l’autre, le reconnaît et le respecte en tant qu’interlocuteur. Un second miracle, une seconde promesse : nous – papa et maman – nous nous donnons à toi, pour te donner à toi-même ! Et cela, c’est l’amour, qui porte une étincelle de l’amour de Dieu ! Mais vous, les papas et les mamans, vous avez cette étincelle de Dieu que vous donnez à vos enfants, vous êtes les instruments de l’amour de Dieu, et ceci, c’est beau, c’est beau, c’est beau !

C’est seulement si nous regardons les enfants avec les yeux de Jésus que nous pouvons vraiment comprendre dans quel sens, en défendant la famille, nous protégeons l’humanité. Le point de vue des enfants est le point de vue du Fils de Dieu. L’Église elle-même, à travers le baptême, fait aux enfants de grandes promesses dans lesquelles elle engage les parents et la communauté chrétienne. Que la sainte Mère de Jésus - par laquelle le Fils de Dieu est arrivé jusqu’à nous, aimé et engendré comme un petit enfant – rende l’Église capable de suivre la voie de sa maternité et de sa foi. Et que saint Joseph – homme juste, qui l’a accueilli et protégé en honorant courageusement la bénédiction et la promesse de Dieu – nous rende tous capables et dignes de recevoir Jésus en chaque enfant envoyé par Dieu sur la terre.

© Libreria Editrice Vaticana - 2015

Le Pape François confie ses attentes

Entretien avec Caroline Pigozzi pour Paris-Match

Dans un entretien à l'hebdomadaire Paris-Match paru ce jeudi, sa première interview accordée à un média francophone depuis le début de son pontificat, le Pape François a évoqué les figures des époux Martin, qui seront canonisés ce dimanche 18 octobre. 

Caroline Pigozzi : Très Saint-Père, comment allez-vous ?

Pape François : Ça va bien mais, vous savez, les voyages sont quand même très fatigants et en ce moment, avec le synode des évêques, cela me laisse un minimum de temps.

Caroline Pigozzi : Vous rentrez justement d’un long déplacement. Pourquoi ne vous étiez-vous jamais rendu aux États-Unis ?

Pape François : Les voyages que j’ai faits ont été motivés par des réunions en lien avec mes précédentes charges de maître des novices, provincial, recteur des facultés de philosophie et de théologie, évêque. Aucune de ces réunions (congrès, synodes…) n’a eu lieu aux États-Unis, c’est la raison pour laquelle je n’avais jamais eu l’occasion de visiter ce pays.

Caroline Pigozzi : Le 18 octobre, pendant le synode sur la famille, vous canoniserez ensemble le père et la mère de sainte Thérèse de Lisieux. Pourquoi eux ?

Pape François : Louis et Zélie Martin, les parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, sont un couple d’évangélisateurs qui, leur vie durant, ont témoigné de la beauté de la foi en Jésus. À l’intérieur de leur maison et à l’extérieur. On sait bien que la famille Martin était accueillante et qu’elle ouvrait sa porte et son cœur. Alors que, à cette époque, une certaine éthique bourgeoise, prenant l’excuse du décorum, méprisait les pauvres, tous les deux, avec leurs cinq filles, consacraient de l’énergie, du temps et de l’argent à aider les gens dans le besoin. Ils sont certainement un modèle de sainteté et de vie de couple.

Caroline Pigozzi : Pourquoi vous, Argentin, nourrissez-vous une telle dévotion envers une de nos saintes les plus populaires ?

Pape François : C’est l’une des saintes qui nous parlent le plus de la grâce de Dieu. Comment Dieu prend soin de nous, nous tient par la main et nous permet d’escalader facilement la montagne de la vie. À condition de nous abandonner entièrement à Lui, de nous laisser « transporter » par Lui. La petite Thérèse avait compris au fil de son existence que c’est l’amour, l’amour réconciliateur de Jésus, qui entraîne les membres de son Église. Voilà ce que Thérèse de Lisieux m’a appris. J’aime aussi ses propos contre « l’esprit de curiosité » et les ragots. Souvent je lui demande, à elle qui s’est laissé simplement soutenir et transporter par la main du Seigneur, de prendre dans ses mains un problème auquel je suis confronté, une question dont je mesure mal l’issue, un voyage que je dois affronter. Alors je l’implore d’accepter d’en prendre soin, de s’en charger et de m’envoyer comme signe une rose. D’ailleurs bien souvent il m’est arrivé d’en recevoir une…

Caroline Pigozzi : Est-ce l’amour de saint François d’Assise pour la nature et la cause de l’écologie qui vous ont fait choisir votre nom ?

Pape François : Je n’y avais jamais songé auparavant. Ce qui m’a déterminé à ce moment-là, ce n’est pas tant le message de saint François sur la création que sa façon de vivre dans la pauvreté évangélique. Pendant le conclave, lorsque le seuil des voix nécessaires à l’élection du pape a été atteint, mon ami le cardinal Claudio Hummes, qui était assis à côté de moi, m’a serré dans ses bras et m’a dit de ne pas oublier les pauvres. J’ai ensuite pensé au monde meurtri par tant de guerres et de violences car, par son témoignage, saint François d’Assise a été un homme de paix. Dans l’encyclique « Laudato si », commençant avec les paroles du « Cantique des créatures », j’ai cherché à montrer quels liens profonds existent entre l’engagement pour l’éradication de la pauvreté et le soin de la création. Il faut laisser à nos enfants et petits-enfants une Terre vivable et s’engager à bâtir une paix véritable et juste dans le monde.

Caroline Pigozzi : Vous êtes le Pape d’une époque confrontée à de vastes dérèglements climatiques. Quel sera votre message pour la Conférence internationale de Paris sur le climat ?

Pape François : Le chrétien est enclin au réalisme, non au catastrophisme. Néanmoins, justement pour cela, nous ne pouvons nous cacher une évidence : le système mondial actuel est insoutenable. J’espère vraiment que ce sommet pourra contribuer à des choix concrets, partagés et visant, pour le bien commun, le long terme. Y contribuent de nouvelles modalités de développement afin que tant de femmes, d’hommes et d’enfants souffrant de la faim, de l’exploitation, des guerres, du chômage, puissent vivre et grandir dignement. Y contribuent de nouvelles modalités pour mettre fin à l’exploitation de notre planète. Notre maison commune est polluée, elle ne cesse de se détériorer. On a besoin de l’engagement de tous. Nous devons protéger l’homme de sa propre destruction.

Caroline Pigozzi : Comment faire ?

Pape François : L’humanité doit renoncer à idolâtrer l’argent et doit replacer au centre la personne humaine, sa dignité, le bien commun, le futur des générations qui peupleront la Terre après nous. Sinon, nos descendants seront contraints de vivre sur une accumulation de décombres et de saletés. Il nous faut cultiver et protéger le don qui nous a été fait et non l’exploiter de façon irresponsable. Il nous faut prendre soin de ceux qui n’ont même pas le minimum nécessaire et commencer à entreprendre les réformes structurelles qui favorisent un monde plus juste. Renoncer à l’égoïsme et à l’avidité pour que tous vivent un peu mieux.

Caroline Pigozzi : La Nasa a annoncé, en juillet dernier, la découverte d’une planète de taille terrestre, Kepler-452 b, qui ressemble à la Terre. Y aurait-il ailleurs d’autres êtres pensants ?

Pape François : À vrai dire, je ne sais comment vous répondre : jusqu’à présent, les connaissances scientifiques ont toujours exclu qu’il y ait dans l’Univers des traces d’autres êtres pensants. Cela dit, jusqu’à la découverte de l’Amérique, on n’imaginait pas qu’elle existait et pourtant elle existait ! Je crois en tout cas qu’il faut s’en tenir à la parole des savants, en étant cependant toujours conscients que le Créateur est infiniment plus grand que nos connaissances. Ce dont je suis certain, c’est que l’Univers et le monde dans lesquels nous habitons ne sont pas le fruit du hasard, du chaos, mais celui d’une intelligence divine, de l’amour d’un Dieu qui nous aime, nous a créés, nous a voulus et ne nous laisse jamais seuls. Ce dont je suis certain, c’est que Jésus-Christ, le fils de Dieu, s’est incarné, est mort sur la Croix pour nous sauver du péché, nous, les hommes, et qu’il est ressuscité en vainquant la mort.

Caroline Pigozzi : Croyez-vous que des pays comme la France, qui accueille nombre de chrétiens, pourront un jour aider ces communautés d’Orient menacées par l’islamisme à rentrer chez elles ?

Pape François : Il est en train de se passer sous nos yeux à tous une tragédie humanitaire qui nous interpelle. Pour nous, chrétiens, les paroles de Jésus, qui nous a invités à le voir dans les pauvres et les étrangers appelant à l’aide, restent un commandement. Il nous a enseigné que chaque geste de solidarité envers eux est un geste envers lui. Mais dans votre question, vous abordez aussi un autre sujet très important : nous ne pouvons pas nous résigner à ce que ces communautés, aujourd’hui minoritaires au Moyen-Orient, soient contraintes d’abandonner leurs maisons, leurs terres, leurs tâches quotidiennes. Ces chrétiens sont citoyens de plein droit de leur pays, ils y sont présents comme disciples de Jésus depuis deux mille ans, totalement insérés dans la culture et l’histoire de leur peuple. Face à l’urgence, nous avons le devoir humain et chrétien d’agir. Nous ne pouvons cependant oublier les causes qui ont provoqué cela, faire comme si elles n’existaient pas. Demandons-nous pourquoi tant de gens fuient, pourquoi tant de guerres et tant de violences. N’oublions pas qui fomente la haine et la violence, et également qui spécule sur les guerres, tels les trafiquants d’armes. N’oublions pas non plus l’hypocrisie de ces puissants de la terre qui parlent de paix mais qui, en sous-main, vendent des armes.

Caroline Pigozzi : Au-delà de l’assistance immédiate, que faire pour les réfugiés ?

Pape François : On ne peut tenter de résoudre ce drame qu’en regardant loin. En agissant pour favoriser la paix. En travaillant concrètement sur les causes structurelles de la pauvreté. En s’engageant pour construire des modèles de développement économique qui placent au centre l’être humain et non l’argent. En œuvrant afin que la dignité de chaque homme, chaque femme, chaque enfant, chaque personne âgée soit toujours respectée.

Caroline Pigozzi : Capitalisme et profit sont-ils des mots diaboliques ?

Pape François : Le capitalisme et le profit ne sont pas diaboliques si on ne les transforme pas en idoles. Ils ne le sont pas s’ils restent des instruments. Si, en revanche, domine l’ambition déchaînée de l’argent, si le bien commun et la dignité des êtres humains passent au deuxième voire au troisième plan, si l’argent et le profit à tout prix deviennent des fétiches qu’on adore, si l’avidité est à la base de notre système social et économique, alors nos sociétés courent à la ruine. Les hommes et la création tout entière ne doivent pas être au service de l’argent : les conséquences de ce qui est en train d’arriver sont sous les yeux de tous !

Caroline Pigozzi : Le jubilé de la Miséricorde commence le 8 décembre. Comment vous en est venue l’idée ?

Pape François : Depuis Paul VI, l’Église a mis de plus en plus l’accent sur la référence à la miséricorde. Durant le pontificat de saint Jean-Paul II, cet accent s’est exprimé avec davantage de force encore : encyclique « Dives in Misericordia », institution de la fête de la Divine Miséricorde [le dimanche après Pâques], canonisation de sainte Faustine Kowalska [religieuse polonaise, 1905-1938]. En prolongeant cette ligne, en réfléchissant et en priant, j’ai pensé que ce serait très bien de proclamer une année sainte extraordinaire, le jubilé de la Miséricorde.

Caroline Pigozzi : Le formidable enthousiasme dont vous faites l’objet pourra-t-il aider à résoudre la crise mondiale ?

Pape François : Sur ces affaires délicates, l’action du Pape et du Saint-Siège reste indépendante du degré de sympathie ou d’enthousiasme que suscitent à un moment ou à un autre des personnalités. Nous cherchons à encourager par le dialogue la solution des conflits et la construction de la paix. Nous cherchons inlassablement les voies pacifiques et négociées pour résoudre les crises et les conflits. Le Saint-Siège n’a pas d’intérêts propres à défendre sur la scène internationale, mais il agit à travers tous les canaux possibles pour encourager les rencontres, les dialogues, les processus de paix, le respect des droits de l’homme. Par ma présence dans des pays comme l’Albanie ou la Bosnie-Herzégovine, j’ai essayé de soutenir des exemples de coexistence et de collaboration entre des hommes et des femmes appartenant à différentes religions afin qu’ils surmontent les blessures toujours ouvertes qu’ont provoquées les récentes tragédies. Je ne fais pas de projet, je ne m’occupe pas de stratégie ni de politique internationale : je suis conscient que, dans de multiples circonstances, la voix de l’Église est une « vox clamantis in deserto », la voix de celui qui crie dans le désert. Néanmoins, je crois que c’est justement la foi dans l’Evangile qui exige que nous soyons des bâtisseurs de ponts et non de murs. Il ne faut pas exagérer le rôle du Pape et du Saint-Siège. Ce qui vient d’arriver entre les Etats-Unis et Cuba en est un exemple : nous avons seulement cherché à favoriser la volonté de dialogue des responsables des deux pays et, surtout, nous avons prié.

Caroline Pigozzi : Comment faites-vous pour garder votre simplicité jésuite après avoir dit, à Manille, une messe devant 7 millions de fidèles et des centaines de millions de téléspectateurs ?

Pape François : Lorsqu’un prêtre célèbre la messe, il est bien sûr devant les fidèles mais d’abord face au Seigneur. Par ailleurs, plus on se tient devant des foules, plus il faut être conscient de notre petitesse et du fait que nous sommes des « serviteurs inutiles », comme Jésus nous le demande. Chaque jour, j’implore la grâce de pouvoir être celui qui renvoie à la présence de Jésus, d’être le témoin de sa miséricorde quand il nous serre dans ses bras. C’est pourquoi, à chaque fois que j’entends « Vive le Pape ! », j’invite les fidèles à crier « Vive Jésus ! » Quand il était cardinal, Albino Luciani [futur Jean-Paul Ier], face aux applaudissements, observait finement : « Croyez-vous que le petit âne sur lequel Jésus est entré dans Jérusalem ait pu penser que les “hosanna” de la foule lui étaient adressés ? » C’est ainsi que le Pape, les évêques, les prêtres tiendront la promesse de remplir leur mission s’ils savent être comme ce petit âne et aident à mettre en lumière le vrai Protagoniste en gardant toujours à l’esprit qu’aux « hosanna » d’aujourd’hui peuvent succéder demain les « crucifie-le ».

Caroline Pigozzi : Quel est l’héritage le plus précieux que vous ayez reçu de la Compagnie de Jésus ?

Pape François : Le discernement cher à saint Ignace, la recherche quotidienne pour mieux connaître le Seigneur et Le suivre toujours de plus près. Essayer de faire chaque chose de la vie quotidienne, même les plus petites, avec un cœur ouvert à Dieu et aux autres. Tenter de porter le même regard que Jésus sur la réalité et de mettre en œuvre ses enseignements jour après jour et dans les rapports avec autrui.

Caroline Pigozzi : Vous connaissez sûrement la chanson de Béranger, un auteur français du XIXe siècle, sur les jésuites : « Hommes noirs, d’où sortez-vous ? / Nous sortons de dessous terre. / Moitié renards, moitié loups, / Notre règle est un mystère. / Nous sommes fils de Loyola. »

Pape François : C’est vraiment audacieux d’écrire cela ! Et peut-être même astucieux… [Le pape François rit.]

Caroline Pigozzi : Il y a plus de deux siècles, les jésuites étaient chassés de Chine. La Chine a-t-elle aujourd’hui disparu de votre esprit ?

Pape François : Jamais ! Non ! La Chine, elle est dans mon cœur. Elle est là [le Pape frappe sa poitrine]. Toujours.

Caroline Pigozzi : Imaginez-vous pouvoir aller dans une pizzeria romaine ou prendre l’autobus vêtu en simple prêtre ?

Pape François : Je n’ai pas complètement abandonné mon habit noir de clergyman sous la soutane blanche ! Certes j’aimerais encore pouvoir me promener dans les rues de Rome, une très belle ville. J’ai toujours été un prêtre de la rue. Les rencontres les plus importantes de Jésus et sa prédication ont eu lieu dans la rue. Bien sûr j’aimerais tellement aller manger une bonne pizza avec des amis, mais je sais que ce n’est pas si facile, presque impossible. Ce qui ne me manque jamais, c’est le contact avec les gens. Je rencontre énormément de monde, beaucoup plus qu’à Buenos Aires, et cela me donne tellement de joie ! Quand je tiens des fidèles dans mes bras, je sais que c’est Jésus qui me tient dans ses bras.

Entretien avec Caroline Pigozzi

© Paris-Match - 2015

Sainte Zélie et saint Louis MARTIN

Dimanche 18 octobre : canonistaion des époux Martin, parents de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

Ce dimanche les bienheureux Zélie et Louis Martin seront canonisé place Saint Pierre. Nous vous proposons de relire le texte de l’homélie du cardinal José Saraiva Martins, alors préfet de la Congrégation pour les causes des saints, qui a présidé la béatification des époux Martin à Lisieux, il y a 7 ans, le 19 octobre 2008.

Thérèse écrivait dans l'Histoire d'une âme : « Pardonne-moi Jésus, si je déraisonne en voulant te dire mes désirs, mes espérances qui touchent à l'infini, pardonne-moi et guéris mon âme en lui donnant ce qu'elle espère !... »(Ms B 2v). Jésus a toujours exaucé les désirs de Thérèse. Il s'est même montré généreux dès avant sa naissance puisque, comme elle l'écrivait à l'abbé Bellière - que beaucoup connaissent désormais par cœur - : « le bon Dieu m'a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre » (Lt 261).

Je viens de terminer le rite de béatification par lequel le Saint-Père a inscrit les deux époux conjointement dans l'Album des Bienheureux. C'est une grande première que cette béatification de Louis Martin et Zélie Guérin, que Thérèse définissait comme parents sans égaux, dignes du Ciel, terre sainte, comme toute imprégnée d'un parfum virginal (cf. Ms A).

Mon cœur rend grâce à Dieu pour ce témoignage exemplaire d'amour conjugal, susceptible de stimuler les foyers chrétiens dans la pratique intégrale des vertus chrétiennes comme il a stimulé le désir de sainteté chez Thérèse.

Pendant que je lisais la Lettre apostolique du Saint-Père, je pensais à mon père et à ma mère et je voudrais, en ce moment, que vous aussi pensiez à votre père et à votre mère et qu'ensemble nous remercions Dieu de nous avoir créés et fait chrétiens à travers l'amour conjugal de nos parents. Recevoir la vie est une chose merveilleuse mais, pour nous, il est plus admirable encore que nos parents nous aient amenés à l'Église qui seule est capable de faire des chrétiens. Personne ne peut se faire chrétien soi-même.

Parmi les vocations auxquelles les hommes sont appelés par la Providence, le mariage est l'une des plus nobles et des plus élevées. Louis et Zélie ont compris qu'ils pouvaient se sanctifier non pas malgré le mariage mais à travers, dans et par le mariage, et que leurs épousailles devaient être considérées comme le point de départ d'une montée à deux. Aujourd'hui, l'Église n'admire pas seulement la sainteté de ces fils de la terre de Normandie, un don pour tous, mais elle se mire dans ce couple de bienheureux qui contribue à rendre la robe de mariée de l'Eglise, plus belle et splendide. Elle n'admire pas seulement la sainteté de leur vie, elle reconnaît dans ce couple la sainteté éminente de l'institution de l'amour conjugal, telle que l'a conçue le Créateur Lui-même.

L'amour conjugal de Louis et Zélie est un pur reflet de l'amour du Christ pour son Église ; il est aussi un pur reflet de l'amour dont l'Église aime son Époux : le Christ. Le Père nous a choisis avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irréprochables sous Son regard, dans l'amour (Ep 1, 4).

Louis et Zélie ont témoigné de la radicalité de l'engagement évangélique de la vocation au mariage jusqu'à l'héroïsme. Ils n'ont pas craint de se faire violence à eux-mêmes pour ravir le Royaume des cieux et ainsi ils sont devenus la lumière du monde que l'Église aujourd'hui met sur le lampadaire afin qu'ils brillent pour tous ceux qui sont dans la maison (Église). Ils brillent devant les hommes afin que ceux-ci voient leurs bonnes œuvres et glorifient notre Père qui est dans les cieux. Leur exemple de vie chrétienne est telle une ville située sur une montagne qui ne peut être cachée (cf. Mt 5, 13-16).

Quel est le secret de la réussite de leur vie chrétienne ? On t'a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que Dieu réclame de toi : rien d'autre que pratiquer la justice, aimer la miséricorde, et marcher humblement avec ton Dieu (Mi 6, 8). Louis et Zélie ont marché humblement avec Dieu à la recherche de l'avis du Seigneur. Maître donne-nous ton avis. Ils cherchaient l'avis du Seigneur. Ils étaient assoiffés de l'avis du Seigneur. Ils aimaient l'avis du Seigneur. Ils se sont conformés à l'avis du Seigneur sans récriminer. Pour être sûrs de marcher dans le véritable avis du Seigneur, ils se sont tournés vers l'Église, experte en humanité, mettant tous les aspects de leur vie en harmonie avec les enseignements de l'Église.

Pour les époux Martin, ce qui est à César et ce qui est à Dieu était très clair. Messire Dieu, premier servi, disait Jeanne d'Arc. Les Martin en ont fait la devise de leur foyer : chez eux Dieu avait toujours la première place dans leur vie. Madame Martin disait souvent : Dieu est le Maître. Il fait ce qu'Il veut. Monsieur Martin lui faisait écho en reprenant : Dieu, premier servi. Lorsque l'épreuve atteignit leur foyer, leur réaction spontanée fut toujours l'acceptation de cette volonté divine. Ils ont servi Dieu dans le pauvre, non par simple élan de générosité, ni par justice sociale, mais simplement parce que le pauvre est Jésus. Servir le pauvre, c'est servir Jésus, c'est rendre à Dieu ce qui est à Dieu : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait (Mt 25, 34-40).

Dans quelques instants nous proclamerons notre profession de foi que Louis et Zélie ont répétée tant de fois à la messe et qu'ils ont enseignée à leurs enfants. Après avoir confessé la sainte Église catholique, le symbole des apôtres ajoute la Communion des saints.

Je croyais, disait Thérèse, je sentais qu'il y a un ciel et que ce Ciel est peuplé d'âmes qui me chérissent, qui me regardent comme leur enfant... (Ms B).

Dans ce Ciel peuplé d'âmes, nous pouvons compter désormais les bienheureux Louis et Zélie, que pour la première fois, nous invoquons publiquement : Louis et Zélie priez Dieu pour nous. Je vous en prie chérissez-nous, regardez-nous comme vos enfants, chérissez l'Église entière, chérissez surtout nos foyers et leurs enfants.

Louis et Zélie sont un don pour les époux de tous âges par l'estime, le respect et l'harmonie avec lesquels ils se sont aimés pendant 19 ans. Zélie écrivait à Louis : Je ne puis pas vivre sans toi, mon cher Louis. Il lui répondait: Je suis ton mari et ami qui t'aime pour la vie. Ils ont vécu les promesses du mariage: la fidélité de l'engagement, l'indissolubilité du lien, la fécondité de l'amour, dans le bonheur comme dans les épreuves, dans la santé comme dans la maladie.

Louis et Zélie sont un don pour les parents. Ministres de l'amour et de la vie, ils ont engendré de nombreux enfants pour le Seigneur. Parmi ces enfants, nous admirons particulièrement Thérèse, chef d'œuvre de la grâce de Dieu mais aussi chef d'œuvre de leur amour envers la vie et les enfants. 

Louis et Zélie sont un don pour tous ceux qui ont perdu un conjoint. Le veuvage est toujours une condition difficile à accepter. Louis a vécu la perte de sa femme avec foi et générosité, préférant, à ses attraits personnels, le bien de ses enfants.

Louis et Zélie sont un don pour ceux qui affrontent la maladie et la mort. Zélie est morte d'un cancer, Louis a terminé son existence, éprouvé par une artériosclérose cérébrale. Dans notre monde qui cherche à occulter la mort, ils nous enseignent à la regarder en face, en s'abandonnant à Dieu.

Enfin je rends grâce à Dieu, en cette 82 journée mondiale des missions, car Louis et Zélie sont un modèle exemplaire de foyer missionnaire. Voilà la raison pour laquelle le Saint Père a voulu que la béatification se réalise en cette journée si chère à l'Eglise universelle, comme pour unir les maîtres Louis et Zélie à la disciple Thérèse, leur fille, devenue Patronne des missions et Docteur de l'Eglise. 

Les témoignages des enfants Martin au sujet de l'esprit missionnaire qui régnait dans leur foyer sont unanimes et frappants: Mes parents s'intéressaient beaucoup au salut des âmes... Mais l'œuvre d'apostolat la plus connue chez nous était la propagation de la foi pour laquelle, chaque année, nos parents faisaient une très belle offrande. C'est encore ce zèle des âmes qui leur faisait tant désirer avoir un fils missionnaire et des filles religieuses.

Tout récemment, le cardinal Dias, préfet de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples (Propagande Fide) écrivait:  Pour un disciple du Christ, annoncer l'Evangile n'est pas une option mais un commandement du Seigneur... Un chrétien doit se considérer en mission (...) pour répandre l'Evangile dans chaque cœur, dans chaque maison, dans chaque culture (Conférence de Lambeth, 23 juillet 2008).

Puissent, mes frères, vos familles, vos paroisses, vos communautés religieuses, de Normandie, de France... et du monde entier, être aussi des foyers saints et missionnaires, comme l'a été le foyer des bienheureux époux Louis et Zélie Martin. Amen.

Cardinal Saraiva Martins

© Libreria Editrice Vaticana - 2008

Méditation sur la Parole

« Les grands font sentir leur pouvoir »

Jacques et Jean font penser à certains politiciens qui, à la dernière minute, se rallient au candidat gagnant pour devenir ministres dans son cabinet. Cette démarche des deux disciples provoque la colère et la jalousie des dix autres qui « avaient entendu » et qui, eux aussi, voudraient avoir de bonnes places dans le Royaume de Dieu. Jésus, avec beaucoup de patience, reprend alors son enseignement sur le service et se donne en exemple affirmant que « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

Le Seigneur nous présente une image réaliste de l’autorité dans le monde de tous les temps. Ils sont si nombreux ceux qui utilisent les postes de direction pour s’enrichir, grimper dans l’échelle sociale, gonfler leur ego, abuser du pouvoir : « Les chefs des nations dominent sur elles en maîtres ». Si le critère d’action est la recherche de ses propres intérêts, alors les relations en souffrent et l’injustice s’installe. Notre monde devient alors un champ de bataille où chacun tente d’écraser l’autre et de profiter le plus possible de la situation. On abuse alors des faibles, des pauvres, des sans voix qui sont considérés comme des êtres de peu d’importance. Avec la Commission Charbonneau, nous découvrons aujourd’hui les ravages que peuvent produire de tels abus, tous reliés à l’argent malhonnête.

Le Royaume de Dieu est un royaume de service, de compassion, de pardon et d’amour.

La télévision américaine affirmait que, selon les sondages, 60% des jeunes Américains avouent tricher aux examens et qu’il n’y avait pas de mal à le faire. Ces statistiques s’appliquent probablement aussi à notre pays. Ce qui est important, c’est de se tailler une place dans le monde et, pour y arriver, tous les moyens sont bons. Vous vous imaginez quel genre d’adultes de tels comportements peuvent produire ! La fin justifie les moyens. Une telle attitude ouvre la porte à toutes les collusions et toutes les corruptions.

Dans un monde de pouvoir et de cupidité, si la torture permet d’obtenir certaines informations, il faut l’utiliser, même si c’est contre toutes les conventions internationales; si des femmes et des enfants sont tués en lançant un missile sur un terroriste ou un ennemi de notre pays, il faut accepter ces « dommages collatéraux » ; si le contrôle du pétrole demande une guerre préventive, il faut la déclencher ; si l’on doit placer des bombes et tuer des dizaines d’innocents pour lutter contre les envahisseurs, c’est un mal nécessaire ; si, afin de faire des revenus exceptionnels, les banques doivent prendre des risques qui mettent tout le système économique en danger et que la cupidité de leurs dirigeants conduit à la faillite de millions de petits épargnants, ça fait parti du jeu de notre capitalisme sauvage, etc., etc. La fin justifie les moyens.

Dans notre l’Église, on a parfois utilisé la même logique de la cupidité et du gain. Si, pour avoir de bonnes relations avec les pays chrétiens envahisseurs, il faut « corriger et adapter » la théologie et la pastorale, comme ce fut le cas pour l’esclavage, le traitement des autochtones en Amérique du Sud, la chasse aux premières nations en Amérique du Nord, l’asservissement des colonisés en Afrique et en Asie, c’est le prix qu’il faut payer pour conserver la faveur des conquistadores et des colonisateurs. Pendant l’époque soviétique, en Europe de l’Est, plusieurs évêques ont accepté de collaborer avec le régime athée afin de conserver leur palais et leurs titres. Il y a quelques années, au Zaïre (aujourd’hui la République du Congo), bon nombre de nouveaux évêques recevaient en cadeau, du chef d’État Mobutu, une belle résidence et une voiture Mercedes-Benz. Allez donc reprocher au dictateur ses abus de pouvoir et les injustices commises contre son peuple après avoir accepté de si généreux cadeaux !

Dans l’Église du Christ, il faut renoncer totalement à la carrière, aux titres, aux places honorifiques ! Un seul principe : le service humble et fraternel. Pour qualifier la responsabilité de ceux qui jouent un rôle particulier au sein de la communauté chrétienne, on emploie le terme « ministère », mot qui signifie « service » en latin ! Il n’y a pas de « chefs » au sens du monde, dans l’Église du Christ. Il n’y a que des « ministres », des « serviteurs ». C’est pourquoi le Christ recommandait d’abolir tous les titres mirobolants. Malheureusement, après 2000 ans de christianisme, nous n’avons pas encore réussi à le faire. Pour ce qui est des vêtements somptueux, un théologien italien affirmait que le seul vêtement liturgique mentionné dans les évangiles est «le tablier». Le soir du Jeudi Saint, « Jésus se lève de table, dépose ses vêtements et prenant un tablier, il s’en ceignit » pour laver les pieds de ses disciples. (Jean 13, 4) Le Christ exclut catégoriquement, dans la communauté chrétienne, le modèle de pouvoir exercé dans le monde : « Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous. »

Chez les chrétiens, la loi du service n’est pas seulement une loi parmi d’autres, c’est la « Constitution de l’Église » : chacun doit être le serviteur de tous ! Ce qui compte, ce n’est pas l’avancement, la carrière, les titres, les décorations, les places d’honneur ! Un seul principe : le service. Le Christ disait : « Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir ». C’est sans doute l’une des phrases les plus importantes de l’évangile. Selon Jésus, le christianisme doit devenir une industrie de services où il n’y a jamais de chômage. Il y a du travail pour tous.

Le Royaume de Dieu, dont nous espérons la venue chaque fois que nous prions le Notre Père (« Que ton Règne vienne ») est un royaume de service, de compassion, de pardon et d’amour. Et le plus grand dans ce royaume est celui ou celle qui est prêt à donner un coup de main, à partager, à venir en aide. « Que celui ou celle qui veut être le plus grand se fasse le serviteur de tous. »

© Cursillo - 2015