PKO 15.03.2015

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°17/2015
Dimanche 15 mars 2015 – 4ème Dimanche du Temps de Carême – Année B

Humeurs

Tentations, diagnostic et remèdes

À la veille du premier presbytérium de l’archidiocèse de Papeete… quelques réflexions du Pape François à la Curie romaine en décembre 2014…

La maladie de se sentir « immortel », « à l’abri » et même « indispensable », outrepassant les contrôles nécessaires ou habituels. Une [Église] qui ne s’autocritique pas, qui ne se met pas à jour, qui ne cherche pas à s’améliorer est un corps infirme. Une simple visite au cimetière pourrait nous permettre de voir les noms de nombreuses personnes, dont certaines pensaient être immortelles, à l’abri et indispensables ! C’est la maladie du riche insensé de l’Évangile qui pensait vivre éternellement (cf. Lc 12, 13-21) et aussi de ceux qui se transforment en patrons et se sentent supérieurs à tous et non au service de tous. Elle dérive souvent de la pathologie du pouvoir, du « complexe des élus », du narcissisme qui regarde passionnément sa propre image et ne voit pas l’image de Dieu imprimée sur le visage des autres, spécialement des plus faibles et des plus nécessiteux. L’antidote à cette épidémie est la grâce de nous sentir pécheurs et de dire de tout cœur : « Nous sommes de simples serviteurs ; nous avons fait ce que nous devions faire » (Lc 17, 10).

[…]

spirituelle : de ceux qui ont un cœur de pierre et une « nuque raide » (Ac 7, 51-60) ; de ceux qui, chemin faisant, perdent la sérénité intérieure, la vitalité et l’audace, et qui se cachent sous les papiers devenant « des machines à dossiers » et non plus des « hommes de Dieu » (cf. Hb 3, 12). Il est dangereux de perdre la sensibilité humaine nécessaire pour nous faire pleurer avec ceux qui pleurent et nous réjouir avec ceux qui se réjouissent ! C'est la maladie de ceux qui perdent « les sentiments de Jésus » (cf. Ph 2, 5-11) parce que leur cœur, au fil du temps, s’endurcit et devient incapable d’aimer sans condition le Père et le prochain (cf Mt 22, 34-40). Être chrétien, en effet, signifie avoir « les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5), sentiments d’humilité et de don de soi, de détachement et de générosité

[…]

Frères, ces maladies et ces tentations sont naturellement un danger pour tout chrétien et pour toute curie, communauté, congrégation, paroisse, mouvement ecclésial, et elles peuvent frapper au niveau individuel ou communautaire.

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Regard sur l’actualité

Une Église en débat

Mais où va le pape François ? Deux ans après l’élection surprise d’un évêque venu « du bout du monde », on entend, à Rome ou ailleurs, des inquiétudes, voire des critiques de responsables catholiques. Il n’en fallait pas plus pour que certains médias parlent de « complot », d’autres de « loups » qui souhaiteraient dévorer le successeur de Pierre, et d’autres, encore, de risques de schisme.

C’est faire peu de cas de l’immense popularité de ce pape, chez les catholiques, comme d’ailleurs les non-catholiques. C’est aussi mal comprendre un pontificat dont l’objet n’est pas de cliver l’Église, mais de la mettre en « ordre de marche » face aux défis du monde. La crise à laquelle se trouve confronté le pape n’est pas seulement une crise de la gouvernance. C’est la crise plus générale du catholicisme face à la mondialisation, secoué par la sécularisation, tenté par le repli et la posture minoritaire. Si les cardinaux ont choisi, il y a deux ans, d’élire un pape du Sud, c’est bien pour répondre à ce défi. Jorge Bergoglio ne vient pas d’une « autre planète ». Il a vécu dans une mégalopole au cœur de la mondialisation, une ville confrontée à la violence, l’extrême pauvreté, la drogue, le trafic d’êtres humains, et où se créent chaque jour de nouvelles religions. Il sait que, face à cela, l’Église ne peut se contenter de rester dans l’entre-soi, ce qu’il a appelé, juste avant son élection, le « repli autoréférentiel », qui nous ferait devenir des « chrétiens de musée ».

Le pape prend à bras-le-corps cette mondialisation, en obligeant les catholiques à avancer, non pas à partir de son centre, mais des périphéries. Ce processus qui part des frontières bouscule nécessairement. L’Église prend sur elle la complexité du monde, et cette complexité provoque des débats. C’est un signe de bonne santé. C’est à cette condition que se réalisera le vrai sens de la communion, qui n’est pas le repli sur soi, mais « le fait de savoir donner une place à son frère », comme l’avait écrit le pape Jean-Paul II dans sa lettre apostolique Novo millennio ineunte où – déjà – il traçait la feuille de route pour l’Église du troisième millénaire.

Isabelle de Gaulmyn

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La vieillesse est une vocation

Audience générale du mercredi 11 mars 2015 – Pape François

Pour le pape François, la « vieillesse est une mission » et il exhorte à accueillir le « témoignage de sagesse » des personnes âgées dans les familles.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans la catéchèse de ce jour, nous poursuivons notre réflexion sur les grands-parents en considérant la valeur et l’importance de leur rôle dans la famille. Je le fais en m’identifiant à ces personnes, parce que moi aussi, j’appartiens à cette tranche d’âge.

Quand je suis allé aux Philippines, le peuple philippin me saluait en disant : « Lolo Kiko » - c’est-à-dire « Grand-Père François » -, ils disaient : « Lolo Kiko ». Une première chose qu’il est important de souligner : c’est vrai que la société a tendance à nous éliminer, mais certainement pas le Seigneur. Le Seigneur ne nous élimine jamais. Il nous appelle à le suivre à tous les âges de la vie et la vieillesse comporte une grâce et une mission, une véritable vocation de la part du Seigneur. La vieillesse est une vocation. Ce n’est pas encore le moment de « rendre les armes ».

Cette période de la vie est différente des précédentes, il n’y a pas de doute ; nous devons aussi un peu « nous l’inventer » parce que nos sociétés ne sont pas prêtes, spirituellement et moralement, à lui donner – à ce moment de la vie – sa pleine valeur. En effet, autrefois, ce n’était pas aussi normal d’avoir du temps à sa disposition ; aujourd’hui, c’est beaucoup plus normal. Et la spiritualité chrétienne aussi s’est laissée un peu prendre par surprise, et il s’agit de définir une spiritualité des personnes âgées. Mais grâce à Dieu, nous ne manquons pas de témoignages de saints et de saintes âgés !

J’ai été très frappé par la « Journée des personnes âgées » que nous avons organisée ici, sur la Place Saint-Pierre, l’année dernière ; la place était pleine. J’ai entendu des histoires de personnes âgées qui se dépensent pour les autres, ainsi que des histoires de couples d’époux qui disaient : « Nous fêtons notre cinquantième anniversaire de mariage, nous fêtons nos soixante ans de mariage ». C’est important de le montrer aux jeunes qui se lassent vite ; le témoignage de fidélité des personnes âgées est important. Et ils étaient très nombreux sur cette place, ce jour-là. C’est une réflexion qu’il faut poursuivre, dans le contexte ecclésial et civil.

L’Évangile nous rejoint avec une image très belle, émouvante et encourageante. C’est l’image de Siméon et Anne, dont nous parle l’Évangile de l’enfance de Jésus, écrit par saint Luc. Ils étaient certainement âgés, le « vieux » Siméon et la « prophétesse » Anne qui avait 84 ans. Cette femme ne cachait pas son âge ! L’Évangile dit qu’ils attendaient la venue de Dieu tous les jours, avec une grande fidélité, depuis de longues années. Ils voulaient vraiment le voir, ce jour, en saisir les signes, en deviner le commencement. Peut-être étaient-ils aussi un peu résignés, désormais, à mourir avant : pourtant, cette longue attente continuait d’occuper toute leur vie, ils n’avaient pas d’engagements plus importants que celui-ci : attendre le Seigneur en priant. Eh bien, quand Marie et Joseph arrivèrent au temple pour accomplir le rite de la Loi, Siméon et Anne se hâtèrent, animés par l’Esprit-Saint (cf. Lc 2,27). Le poids de l’âge et de l’attente disparut en un instant. Ils reconnurent l’enfant et découvrirent une force nouvelle, pour une nouvelle tâche : rendre grâce et rendre témoignage pour ce signe de Dieu. Siméon improvisa un très bel hymne d’allégresse (cf. Lc 2,29-32) – il a été poète à ce moment-là – et Anne est devenue la première prédicatrice de Jésus : elle « parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » (Lc 2,38).

Chers grands-parents, chères personnes âgées, mettons-nous dans le sillage de ces vieillards extraordinaires ! Devenons nous aussi un peu poètes de la prière : prenons goût à chercher nos propres mots, en nous réappropriant ceux que nous enseigne la Parole de Dieu. C’est un grand don pour l’Église, la prière des grands-parents et des personnes âgées ! La prière des grands-parents et des personnes âgées est un don pour l’Église, c’est une richesse ! Une grande injection de sagesse aussi pour la société humaine tout entière : surtout pour celle qui est trop affairée, trop prise, trop distraite. Il faut pourtant que quelqu’un chante, pour eux aussi, chante les signes de Dieu, proclame les signes de Dieu, prie pour eux !

Regardons Benoît XVI qui a choisi de passer la dernière tranche de sa vie dans la prière et dans l’écoute de Dieu ! C’est beau, cela ! Un grand croyant du siècle dernier, de tradition orthodoxe, Olivier Clément, disait : « Une civilisation où l’on ne prie plus est une civilisation où la vieillesse n’a plus de sens. Et c’est terrifiant, nous avons avant tout besoin de personnes âgées qui prient, parce que la vieillesse nous est donnée pour cela. » Nous avons besoin de personnes âgées qui prient parce que la vieillesse nous est donnée précisément pour cela. La prière des personnes âgées est quelque chose de beau.

Nous pouvons remercier le Seigneur pour les bienfaits reçus et remplir le vide de l’ingratitude qui l’entoure. Nous pouvons intercéder pour les attentes des nouvelles générations et donner une dignité à la mémoire et aux sacrifices de celles du passé. Nous pouvons rappeler aux jeunes ambitieux qu’une vie sans amour est une vie aride. Nous pouvons dire aux jeunes qui ont peur que l’angoisse de l’avenir peut être surmontée. Nous pouvons enseigner aux jeunes trop amoureux d’eux-mêmes qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. Les grands-pères et les grands-mères forment le « chœur » permanent d’un grand sanctuaire spirituel où la prière de supplication et le chant de louange soutiennent la communauté qui travaille et qui lutte dans le champ de la vie.

La prière, enfin, purifie sans cesse le cœur. La louange et la supplication adressées à Dieu empêchent le durcissement du cœur dans le ressentiment et dans l’égoïsme. Comme c’est triste, le cynisme d’une personne âgée qui a perdu le sens de son témoignage, qui méprise les jeunes et ne communique pas une sagesse de vie ! En revanche, comme c’est beau, l’encouragement que la personne âgée transmet au jeune à la recherche du sens de la foi et de la vie ! C’est vraiment la mission des grands-parents, la vocation des personnes âgées. Les paroles des grands-parents ont quelque chose de particulier pour les jeunes. Et ils le savent, eux. Les paroles que ma grand-mère m’a laissées par écrit le jour de mon ordination sacerdotale, je les ai encore avec moi, toujours dans mon bréviaire et je les lis souvent, et cela me fait du bien.

Comme je voudrais une Église qui défie la culture du rebut par la joie débordante d’une nouvelle étreinte entre les jeunes et les personnes âgées ! Et c’est ce que je demande aujourd’hui au Seigneur, cette étreinte !

© Copyright 2015 – Libreria Editrice Vaticana

« Je veux rappeler aux français qu’ils sont chrétiens même s’ils ne veulent pas le savoir… »

Interview du cardinal Sarah

Le cardinal Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrement et l'un des deux cardinaux africains présents au Vatican, se pose en défenseur de la doctrine dans son livre Dieu ou rien (Fayard), sorti le 25 février.

Jean-Sébastien Ferjou : Eminence, le livre d’entretien avec Nicolas Diat que vous publiez s'appelle « Dieu ou rien ». Étant donné que l'Europe a largement perdu le sens de Dieu, diriez-vous donc que l'Europe est dans le rien ?

Cardinal Robert Sarah : Je ne peux que répondre oui. Sans Dieu, c'est le néant. Sans Dieu, il n'y a rien. Sans Dieu, qu'est-ce que je suis, qu'est-ce qui me maintient en vie ? Et après cette vie, qu'y-a-t-il ? Si Dieu n'est rien, il n'y a pas de vie éternelle.

Jean-Sébastien Ferjou : L'Europe, après avoir vécu des guerres épouvantables tout au long du XXème siècle, a voulu miser sur la paix en considérant que tout ce qui venait de son identité – et donc potentiellement son héritage chrétien - pouvait être meurtrier. Dans le livre, on sent que vous pensez que les Européens devraient comprendre que leur histoire et leur héritage spirituel et culturel ne sont pas forcément la cause de troubles et que l'on pourrait garder la paix sans avoir à y renoncer. Mais comment en convaincre les Européens ?

Cardinal Robert Sarah : Ce processus n'est pas réaliste : ce qui a d'abord provoqué les guerres, ce sont nos intérêts, et non la religion. Qui provoque la guerre, qui fabrique les armes ? Ce n'est pas la religion, ce n'est pas Dieu. Et qui les vend ? La guerre répond à notre avidité et à notre soif du gain. Pour autant, certains fanatiques utilisent la religion pour provoquer la guerre. Mais je ne pense pas que l'on puisse accuser la religion sans s'accuser soi-même.

Regardons les guerres actuelles : le fondamentalisme n'est pas né de rien. On a attaqué l'Irak. On a créé un chaos total entre chiites et sunnites. On a attaqué la Libye et c'est aujourd'hui un pays dans une situation explosive.

Jean-Sébastien Ferjou : Le fondamentalisme islamique ne serait donc qu'une réaction à des actions européennes ? Ou a-t-il aussi une part d'essence propre ?

Cardinal Robert Sarah : Le sujet est complexe. Pour autant, il ne faut pas exclure que le fondamentalisme soit une réaction culturelle. En face de la religion islamique, il y a une religion sans Dieu, mais morale. Bien sûr, il y a un extérieur de progrès, mais c'est une façade.

Jean-Sébastien Ferjou : C'est ce que Jean-Paul II appelait la culture de mort ?

Cardinal Robert Sarah : Exactement. On se moque de ceux qui croient, on les caricature. Ca provoque une réaction, peut-être excessive, mais je pense qu'il ne faut pas nier qu'il s'agisse d'une réaction contre une société athée, sans Dieu, qui n'a pas peur de ridiculiser ses martyrs. Ils l'ont fait avec Jésus-Christ. Il y a eu des films abominables. On n'a pas la même réaction que les musulmans. Mais il ne faut pas croire que toutes les civilisations acceptent qu'on se moque de choses qui sont fondamentales pour elles.

Jean-Sébastien Ferjou : Vous venez de Guinée, un pays à majorité musulmane, où l'on pourrait observer deux courants comme ailleurs dans le monde : l'islam traditionnel, local, et celui financé par les Pays du Golfe et qui pose problème. Vous parlez dans votre livre d'un néo-colonialisme idéologique de l'Europe qui tente d’imposer au reste du monde ses idées, sur la théorie du genre notamment. Pour autant, n'y a-t-il pas aussi une volonté d'expansion politique d'un certain islam ?

Cardinal Robert Sarah : L'islam traditionnel africain, venant du Sud, est très religieux, et très tolérant. Je n'ai jamais vu pour ma part une difficulté entre chrétiens et musulmans. Quand je dirigeais la cathédrale pour la fête de Noël, il y avait beaucoup de musulmans qui venaient y assister, entendre le message.

Nous avons toujours vécu dans une paix fraternelle. Bien sûr, depuis les années 1970, beaucoup de musulmans ont reçu des bourses pour aller étudier en Arabie saoudite ou ailleurs et en sont revenus fanatisés. Ces derniers ne s'en prennent pas uniquement aux chrétiens, ils s'en prennent surtout aux musulmans.

Jean-Sébastien Ferjou : Quel est le chemin pour sortir de cette confrontation qui s'installe dans les esprits européens que l'Europe va à un choc inévitable contre un certain islam ? Que faire pour en sortir ?

Cardinal Robert Sarah : Ce que j'essaye de dire dans ce livre, c'est qu'il faut aider l’Europe à retrouver Dieu, l'aider à retrouver son identité. Il est absurde de nier que l'Europe n'a pas de racines chrétiennes. De la même manière, on ne peut pas fermer les yeux et dire qu'il n'y a pas de soleil ! Cette Europe qui refuse la vie, qui n’engendre pas la vie, qui vieillit, qui affirme aussi qu'un homme n'a pas de sexe et qu'il pourrait choisir, cette Europe là se met elle-même en position de faiblesse.

Jean-Sébastien Ferjou : Que dites-vous à ceux qui craignent une guerre des religions ? Affirmer une foi, c’est forcément entrer en partie en confrontation avec une autre.

Cardinal Robert Sarah : Nous, les chrétiens, nous ne pouvons pas nous organiser en armée pour dire que nous défendons notre foi. Faut-il une armée chrétienne pour défendre les chrétiens ? Non, car c’est anti-évangélique. Quand Jésus a été pris et ligoté, Saint-Pierre a sorti son sabre pour le défendre. Jésus lui a dit : « Remet ton épée dans le fourreau. Celui qui fait périr par l’épée périra aussi par l’épée. »

Jean-Sébastien Ferjou : Comment redonner le sens de la vie a des gens qui l’ont perdu, comme en Europe ? On le voit avec les djihadistes convertis : peut-être le sont-ils en réaction à une vacuité spirituelle de l’Europe ?

Cardinal Robert Sarah : Ils partent d’ici parce qu’ils ne trouvent rien. Il n’y a plus de valeurs, de religion, il n’y a plus rien. Ils cherchent là-bas quelque chose à défendre, à laquelle donner leur vie. J’étais aujourd’hui à la paroisse Saint-Germain-des-Prés, où l’on m’a dit que beaucoup de jeunes venaient s’instruire à la foi chrétienne. C’est un espoir.

Mais personnellement, je pense qu’il ne faut pas minimiser la croissance de la présence islamique dans votre pays.

Jean-Sébastien Ferjou : Dans le livre vous parlez du génie du christianisme, en évoquant entre autres la Manif pour tous et en disant que c'est une expression de ce génie. L’idée même de « génie du christianisme » est presque devenue scandaleuse aujourd'hui en Europe et plus particulièrement en France, où Dieu et la foi sont souvent assimilés à une forme d’aliénation. Comment faire entendre ce message d’un génie du christianisme qui paraît si provoquant ici ?

Cardinal Robert Sarah : Je veux rappeler aux Français qu'ils sont chrétiens, même s'ils ne veulent pas le savoir. Ils ont leur histoire, leur culture, leur musique, leurs œuvres d'art… Le rappeler en priant, en manifestant contre une interprétation irréaliste de la nature humaine, c'est-à-dire la théorie du genre... Le dire d'une manière respectueuse et ferme, c'est une œuvre de charité. Si vous laissez votre ami se détruire, vous ne l'aimez pas vraiment. Même s'ils n'aiment pas l'entendre, ils sont chrétiens.

Pire, même chez ceux qui le sont, on n’ose pas se déclarer chrétien. J’ai une famille qui m’a adopté, j’ai trois sœurs adoptives en France, et quand je me présentais avec mon habit de prêtre, on me disait « enlève ça ». Mais c’est ma tenue. Quand un médecin va à l’hôpital, il n’est pas habillé n’importe comment. Mais il est vrai, et c’est Jean-Paul II qui le disait, que des chrétiens sont apostats. Ils ne le disent pas. Ils se prétendent encore chrétiens. Mais leur manière de vivre, leurs idées, font comme s’ils n’étaient pas chrétiens.

Jean-Sébastien Ferjou : Est-ce parce qu’on a renoncé à la discipline de vie qui doit accompagner la foi ?

Cardinal Robert Sarah : Pas seulement à la discipline. Mais à la doctrine. On a renoncé à un enseignement qui fait l’homme. Cet enseignement, bien sûr, engendre la discipline. Mais avant la discipline, il y a l'enseignement que l'on rejette, et le pire, c’est que même certains évêques - certes minoritaires - disent des choses abominables.

Jean-Sébastien Ferjou : Dans quelle mesure l’Eglise de France n’est-elle pas responsable de cette situation ? On a l'impression que le catéchisme est parfois devenu un atelier de coloriage…

Cardinal Robert Sarah : On a renoncé à enseigner le catéchisme. On a créé quelque chose qui n’est pas un catéchisme, en n'intégrant pas par exemple certains éléments doctrinaux. Le refus d’enseigner le catéchisme, ou d’apprendre par cœur, fait que lorsque les enfants ont fini le catéchisme, ils ne savent rien du tout, ni les prières ni les évangiles. Je pense que notre responsabilité existe, car nous n’avons pas fait tout notre travail.

C’est d’autant plus vrai quand des évêques interprètent la parole de Dieu à leur manière. Je viens de relire la déclaration de l’évêque d’Oran sur le mariage (NDLR : Dans son ouvrage « Tout amour véritable est indissoluble », Mgr Jean-Paul Vesco, affirme que l’Église peut changer la discipline sur les divorcés remariés sans remettre en cause la doctrine de l’indissolubilité du mariage). Dans l’évangile de Saint-Marc, chapitre 10, Jésus dit : « Ce que dieu a uni, l’homme ne le sépare pas. » Si l’homme renvoi sa femme et en épouse une autre, il est adultère. La femme aussi. C’est très clair. Mais certains évêques disent « non, on peut se remarier ».

Jean-Sébastien Ferjou : Benoit XVI donnait l’impression d’être très conscient de ces enjeux. Le pape François dont vous êtes un proche collaborateur l’est-il aussi ?

Cardinal Robert Sarah : Benoît était avant tout un Européen. Quelqu'un qui a étudié la crise profonde de l’Occident. C’est pourquoi sa doctrine, la clarté de son enseignement, était incontestable. Il voulait aider. Quand quelqu’un est noyé, il faut le tirer de l'eau. Dans le noir, il faut allumer la lumière. Et Benoît XVI avait la lumière. Pour François qui vient d'ailleurs, c'est un défi de mesurer la profondeur de la crise européenne.

Jean-Sébastien Ferjou : Avez-vous l'impression que les débats au sein de l'Eglise, qui bien souvent en France sont résumés au débat progressistes contre conservateurs, s'organisent autour de cette question-là, c'est-à-dire de la crise de l'Occident et la crise de la foi en Occident ?

Cardinal Robert Sarah : Je crois que les débats, en témoigne le dernier synode, ont amené tout le monde à tourner le regard sur les autres crises au lieu de tourner le regard sur la beauté de l'Eglise et du mariage. Mais l'Église n'est pas seulement européenne, elle est aussi africaine, asiatique, moyen-orientale. C'est là qu'est l'Evangile, c'est là que les martyrs nous disent que la foi signifie donner sa vie jusqu'à la mort, et que cette même foi n'est pas là pour donner des solutions de facilité aux gens qui ont des problèmes. Mais les Européens ont les yeux fermés, ils pensent que les martyrs ne nécessitent qu'un soutien politique ou matériel. Or, ce dont ont besoin les Orientaux et les Africains, c'est de votre foi, et qu'ils voient qu'ils meurent pour la même cause que ce que vous vivez ici : la foi en Jésus Christ.

Jean-Sébastien Ferjou : Vous pensez que l'Europe ajoute au malheur des Chrétiens persécutés ailleurs dans le monde précisément en ayant perdu sa foi ?

Cardinal Robert Sarah : Bien sûr. Car le fait de ne pas soutenir en profondeur quelqu'un, de ne pas partager sa foi, de ne pas accepter de souffrir avec lui, c'est augmenter sa foi. C'est particulièrement vrai pour les Chrétiens africains qui entendent des Européens, Chrétiens avant-eux, que la foi n'a pas de sens, alors qu'elle est un don, une grâce. Il est dommage qu'il n'y ait pas une croyance plus linéaire.

Jean-Sébastien Ferjou : La foi est un don, une grâce… Comment expliqueriez-vous la foi à des Européens qui n'auraient pas seulement perdu la foi mais qui en auraient oublié jusqu'à l'idée ?

Cardinal Robert Sarah : Je crois en quelqu'un qui m'a fait, qui m'aime, qui est père… J'en dépends. Si cette existence de Dieu n'est plus perceptible, la foi n'existe plus. C'est pour cette raison que les Pères, les Papes ont voulu que l'on retrouve Dieu. Mais pour beaucoup d'Européens, Dieu est mort.

Jean-Sébastien Ferjou : Pensez-vous que l'Église de France devrait assumer d’être plus politique sur des questions telles que la théorie du genre, le mariage pour tous, l'euthanasie, l'avortement dont vous expliquez dans le livre qu’elles sont profondément porteuses d’une « culture de mort » pour reprendre une expression de Jean-Paul II ? Quelle est la bonne stratégie, mise à part la prière ?

Cardinal Robert Sarah : Il y a certainement plusieurs armes. Mais l'arme principale, ce sont des témoignages : des mariages solides, des familles solides… Il faut des témoignages. 

Jean-Sébastien Ferjou : Pouvez-vous comprendre à ce sujet que certains catholiques européens aient été choqués par les propos que la Pape a tenu récemment sur les familles nombreuses catholiques qui se reproduiraient comme des lapins ?

Cardinal Robert Sarah : Il ne faut pas se laisser emporter par les petites phrases d'avion. Cette conversation du Saint-Père était une conversation avec des journalistes pendant un long vol. Supposons que je sois prêtre, et que je me conduise mal, ceux qui me regardent devraient-ils pour autant faire la même chose ? D'ailleurs, en l'occurrence, le Pape s'est repris par la suite.

Jean-Sébastien Ferjou : Même le pape peut se tromper ?

Cardinal Robert Sarah : Pas quand il fait des déclarations au niveau dogmatique. Mais s'il se pose des questions au niveau philosophique, ou économique, oui.

Jean-Sébastien Ferjou : Revenons au témoignage, à l’exemplarité des chrétiens.

Cardinal Robert Sarah : C’est cela la première chose à faire. « Vous allez m’être témoin ». C’est-à-dire, vous allez vivre tel qu’un chrétien doit vivre. Ça ne veut pas dire qu’un chrétien ne peut pas aussi s’engager politiquement pour défendre ses valeurs. Je pense que c’est possible, car si les chrétiens sont hors des milieux de décision, ce sont les ennemis de l’église qui vont décider ce qui leur semble bon. Il faut encourager les jeunes, les adultes, à s’engager politiquement.

Jean-Sébastien Ferjou : Dans votre livre, vous parlez de la « contagion de la sainteté ». Pensez-vous que les chrétiens en Europe aient perdu ce sens-là en vivant dans une société profondément relativiste ? Les chrétiens d’Europe et de France doivent-ils retrouver leur fierté ?

Cardinal Robert Sarah : Nous tous devons être fiers d’être chrétiens. Nous devons tous être heureux de l’être, car c’est la vie. Si je n’ai pas de Dieu, je meurs. Etre avec dieu, c’est être saint. Croire en dieu, ce n’est pas seulement penser qu’il existe, c’est aimer comme il aime, pardonner comme il pardonne. C’est imiter Dieu. C’est pourquoi la primauté de Dieu est essentielle. Je combats pour un être qui est vivant, qui m’a fait et qui m’aime.

Jean-Sébastien Ferjou : Que répondez-vous à ceux qui disent que l’Eglise a perdu ses fidèles car elle ne serait plus en phase avec les préoccupations de la société actuelle, qu’elle devrait s’adapter plus aux sociétés européennes sur des sujets tels que la contraception ou le divorce ?

Cardinal Robert Sarah : Un médecin qui a un malade, que fait-il ? S’adapte-t-il au malade ou bien essaye-t-il de lutter contre la maladie ? L’église ne peut pas dire « vous êtes malade, c’est très bien, je vais vous suivre comme cela ». Elle doit au contraire dire « je vais vous donner un idéal, une ligne de conduite ». L’Église n’invente rien, elle dit ce que Dieu lui a dit de dire. L’Église ferait du tort à l’humanité si elle abandonnait le message chrétien en s’adaptant. L’Église parait dure, mais quand je me fais opérer, j’ai besoin d’avoir mal pour qu’on m’enlève la maladie.

Jean-Sébastien Ferjou : Vous parlez dans le livre de votre rapport à la prière, qu’il faut savoir prier dans le silence. Que diriez-vous aux chrétiens européens qui ont perdu le sens de la prière ?

Cardinal Robert Sarah : Dans la prière, l’homme est grand. Car plus il est à genoux, plus il est aux pieds de Dieu, plus il est grand. Je pense que la prière est une attitude d’humilité et de grandeur en même temps. Si on ne priait pas, toutes les contraintes dont nous parlons seraient un poids qu’on ne pourrait pas porter. Les commandements ne sont pas des lois, ils sont une route vers le bien supérieur. Je pense que c’est dans la prière qu’on comprend que toutes les exigences de notre vie sont pour notre bien.

Propos reccueillis par Jean-Sébastien Ferjou

© Atlantico - 2015

Implantation de l’Ordre de Sainte Claire en polynésie française

Des contemplatives au cœur de l’Église de Polynésie

Nous continuons notre parcours de l’histoire des Congrégations religieuses en Polynésie dans le cadre de l’Année de la Vie consacrée avec cet historique de la communauté des Sœurs Clarisses d’Outumaoro.

Avant de survoler la petite histoire de la fondation du premier monastère de moniales contemplatives en Polynésie, retrouvons d’abord ses racines. L’Ordre de Sainte-Claire est né en 1212, il y a 800 ans, à Assise, Italie,  le jour où Claire Offreducio, quittant sa riche condition sociale, promet obéissance entre les mains de François dans une petite chapelle de la campagne d’Assise.

Quelques années auparavant, au grand scandale de ses parents, François, fils d’un riche marchand, saisi par le Christ pauvre, imitant son Seigneur, abandonne tous ses biens et se fait mendiant. De riches habitants d’Assise sont à leur tour interpellés. Claire regarde vivre la fraternité naissante et est séduite par l’idéal de François ; des compagnes se joignent à elle.

Très vite, la petite fraternité clarienne de Saint-Damien prend forme. Dès le vivant de Claire, des monastères s’ouvrent en France. À Lourdes, 3 canadiennes ont rejoint les rangs des clarisses. Lorsque la loi Combes menace d’expulsion les congrégations, l’abbesse, voulant protéger les canadiennes, demande à l’évêque de Valleyfield, au Québec, l’implantation d’un monastère. En 1902, cinq religieuses quitteront Lourdes pour le Canada.

Valleyfield fondera le monastère de Lennoxville, et Lennoxville celui de Tahiti.

Le 19 février 1972, les Clarisses de Lennoxville, en une belle journée hivernale, reçoivent de Mgr Michel Coppenrath, archevêque de Papeete, la demande d’implanter un monastère en son diocèse : « … Nous avons vraiment besoin d’un centre de vie de prière, de vie pauvre, capable de réveiller aussi bien chez nos sœurs que dans les familles, chez nos jeunes, un vrai sens évangélique… Je viens vous demander si vous pouvez fonder chez nous un prieuré… »

En août 1973, trois sœurs clarisses, dont Mère Marie-Claire, abbesse, visitent Tahiti et évaluent la possibilité de la fondation d’un monastère. Elles avaient prévu un séjour de deux semaines qui fut prolongé d’une semaine, délai qui leur sauva la vie. En effet, le vol de Pan-am qu’elles devaient prendre s’écrasa en mer lors du décollage. Mgr Michel écrira : « J’y vis un signe de la Providence. Les sœurs sont parties sans aucune promesse car beaucoup de prêtres et de religieux ne voyaient pas l’utilité de ce projet, mais sans abandonner le projet. Notre communication s’est poursuivie. »

En novembre 1975, le conseil presbytéral se prononce en faveur de la fondation. Mais entre-temps, l’abbesse, Mère Marie-Claire, est atteinte d’un cancer et ce n’est qu’après son décès que l’on reverra les modalités de cette implantation. Durant cette période d’attente, de long silence, Mgr Michel a maintenu vivante la flamme de son ardent désir de voir une communauté contemplative s’implanter en son diocèse.

Mère Marie-Immaculée succède à Mère Marie-Claire. En mars 1980, accompagnée de sœur Béatrice, elle vient à Tahiti pour mettre en place la venue des sœurs. Il faut songer d’abord  à une maison temporaire. Bien que n’ayant pas fixé ce premier lieu d’habitation, on fixe avec Monseigneur la venue des sœurs  après Pâques 1981.

En novembre 1978, nous recevions de la Congrégation pour la  Doctrine de la Foi la réponse à notre demande d’approbation. Elle stipule : Le Saint-Siège est très heureux de cette initiative qui donnera une autre dimension au diocèse de Papeete… Cette Congrégation vous encourage vivement et désire que ce projet puisse se réaliser au plus tôt.

La célébration de l’envoi missionnaire a lieu le 23 mai 1981 au monastère des Franciscains de Lennoxville. Maintenant, tout va se précipiter.  La veille du départ, les trois missionnaires vont à l’archevêché pour un dernier au revoir à Mgr  Fortier qui les bénit avec ces mots : « Mes filles, au nom de l’obéissance, je vous envoie. » C’est le 6 juin au matin qu’a lieu le départ. Mère Marie-Immaculée empêchée d’accompagner ses filles, délègue sœur Christiane, sa vicaire. Ses dernières paroles : « Grande confiance au Seigneur. Se faire pleinement tahitienne en votre pays d’adoption. Y implanter votre cœur. »

Le lendemain, à l’aube de la Pentecôte, quatre clarisses baisaient avec respect le sol de leur terre de mission. Malgré l’heure matinale, se retrouvaient représentés autour de Monseigneur Michel Coppenrath, le clergé local, toutes les communautés religieuses et des membres des divers mouvements ou associations. Accueil chaleureux à la tahitienne !

Dans un bel  esprit de partage missionnaire, les sœurs de Saint-Joseph de Cluny qui viennent de terminer la construction de leur noviciat, mettent cette maison toute neuve à la disposition des Clarisses. Les premiers mois, nous approchons le peuple polynésien. Ce sont invitation sur invitation de toutes sortes, accueil à notre chez nous parfois des plus impromptus. Nous participons à toutes les grandes célébrations liturgiques qui nous plongent dans la ferveur des chants tahitiens et nous familiarisent avec notre nouveau milieu de vie. Les communautés religieuses se chargent de nous assurer notre pain quotidien. Mgr nous est très attentif. Il n’épargne rien de ce qui pourrait nous forger un réflexe polynésien spontané, « être polynésiennes avec les polynésiens. » Et il y a la recherche d’un terrain pour notre implantation définitive. Sœur Agnès est gravement éprouvé dans sa santé, mais elle tient bon et ne songe nullement a réintégré notre monastère canadien.

En avril 1982, Mère Marie-Immaculée visite la petite fraternité accompagnée de sœur Hélène qui y trouve sa nouvelle patrie. Notre Mère est bien décidée de mettre en branle la construction du monastère et Mgr veut également faire vite. Mais tout n’est pas si simple. Après avoir cherché un peu partout sur l’île, nous revenons au terrain de la Mission, sur les hauteurs de Pureora où les prêtres pourront plus facilement assurer le ministère. C’est alors l’élaboration des plans. Lorsque notre Mère nous quitte, c’est à peine si les travaux préliminaires sont en marche.

Au début de 1983, voyant que le projet de construction n’est pas encore au point, Mgr décide de construire notre future hospitalité qui servirait, dans un premier temps de monastère temporaire car nos sœurs de Saint-Joseph de Cluny réclament, à juste titre, leur maison.

En avril, le cyclone Reva ravage l’Ile. Il y a tant de dégâts que la construction n’est plus une priorité. On termine la construction de l’hospitalité, en y ajoutant un étage, puis un petit  kiosque comme accueil et un garage attenant à un atelier. Le 7 décembre 1984, en la vigile de l’Immaculée, Mgr Michel, après avoir bénit la chapelle, y célèbre la première messe. Un immense chant d’action de grâce s’élève de nos cœurs ; même si ce n’est que temporaire, nous sommes enfin chez nous !

Nous avons deux jeunes avec nous, d’autres nous fréquentent. Avec ferveur, nous essayons de maintenir un climat monastique et fraternel ; prière, travail, détente avec beaucoup de temps consacré à la formation.

Toute fondation grandit sous la croix. Sœur Aline doit retourner au Canada. Nous ne sommes plus que deux canadiennes avec des novices à former et une construction en vue. Notre monastère fondateur ne peut plus assurer la responsabilité de la fondation. Il faut penser un transfert juridique. C’est vers nos sœurs philippines de Tayud que Monseigneur se tournera. Le 25 mars 1990, trois sœurs, accompagnées de leur abbesse, Mère Marie-Encarnacion, viennent étoffer nos rangs.

Maintenant, il nous faut penser sérieusement à la construction de notre monastère définitif. Le choix s’est fixé sur un terrain de la Mission, à Punaauia, au-delà du Grand Séminaire. Le ministère sacerdotal y sera facilité. Retiré, et pourtant à proximité de la ville, terrain vaste permettant un peu d’agriculture, belle vue sur la mer, c’est un lieu idéal pour l’implantation d’un monastère. Et les démarches préalables à la construction se mettent en place.

Le 11 août 1993, en l’ouverture du 8e centenaire de la naissance de sainte Claire, Monseigneur procède à la bénédiction du monastère. Nombreux ceux qui gravissent la montagne pour participer à ce grand événement diocésain, à notre profonde action de grâce. Le 20 novembre Mgr nous transmet le rescrit de notre élection canonique. Le 29 novembre, Mère Marie-Encarnacion est élue première Abbesse.

Au cours de ces années, plusieurs jeunes se joignent à nous. Il y a des va-et-vient. Au moment de notre érection, notre fraternité est composée de 4 philippines, 2 canadiennes, 2 tahitiennes, une ni-vanuatu et un wallisienne. Une fraternité franciscaine laïque s’est formée à Tahiti ;  elle a essaimé  à Raiatea après quelques années. Pour assurer notre subsistance, nous effectuons quelques travaux d’artisanat, nous avons un rucher, des arbres fruitiers, sans oublier la cuisson du pain d’autel pour le diocèse et une petite hospitalité  pour des retraites individuelles. Et il y a tous les bienfaiteurs qui ont soutenu notre vie de prière de leur amitié et de leur générosité.

Un vibrant Magnificat se lève de nos cœurs lorsque nous parcourons toutes ces années. Dieu a  veillé avec combien de sollicitude sur ce petit rameau franciscain implanté en plein cœur du Pacifique ! À Lui en revient toute la gloire.

© Monastère Sainte Claire de Papeete

Méditation sur la Parole

L’Évangile de ce quatrième dimanche de Carême nous amène à méditer le mystère de la Croix, véritable lumière qui resplendit dans le monde.

Il est dit : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle » (Jn 3,14-15). Nous avons là un exemple saisissant de la continuité de l’œuvre du Salut, depuis Abraham jusqu’à nos jours. Dans le désert, après la sortie d’Egypte, Israël se rebelle contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Egypte pour mourir en ce désert ? Car il n’y a ni pain ni eau ; nous sommes excédés de cette nourriture de famine » (Nb 21,5). Dieu envoie alors des serpents dont la morsure fait périr beaucoup de monde. Pour guérir, ceux qui sont mordus doivent lever les yeux vers le serpent d’airain façonné par Moïse. Le peuple a péché car il a perdu sa confiance en Dieu, et pour guérir de son péché, il doit lever les yeux, c’est à dire reconnaître qu’il a besoin de la Miséricorde de Dieu. Ce qui était vrai pour Israël dans le désert est vrai, aujourd’hui, pour tout homme appelé à élever son regard vers le Christ en Croix. La première grâce à demander est celle de se reconnaître pécheur, en attente du Salut. Il est parfois difficile pour quelqu’un de reconnaître qu’il n’est pas parfait, qu’il a commis des erreurs. Parfois, on entend dire : « Moi, je ne fais rien de mal ». Mais peut-être pourrions-nous nous poser la question suivante : « Quel est le bien que je ne fais pas ? ». A cette question, il est souvent plus facile de répondre. Cela renvoie à ce que l’on appelle le péché par omission.

Elever notre regard vers la Croix, cela revient à poser un acte de foi. Jésus dit : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16). Croire en Jésus, c’est accepter que sa lumière entre dans notre vie. Là encore, ce n’est pas toujours facile. Jésus explique pourquoi : « Tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées ; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière » (Jn 3,20). Aller vers Jésus engage tout notre être et nous conduit à accepter de remettre en question nos actions, nos paroles pour les placer sous sa lumière. Nous touchons là le sens profond du Carême : laisser Jésus éclairer nos obscurités afin de nous convertir. L’erreur de l’homme est quelque fois de croire que ses obscurités font partie de lui, parfois même qu’elles contribuent à son équilibre. Le seul moyen de prendre conscience de cette erreur, c’est de faire l’expérience de renoncer à ce qui nous éloigne de Dieu. Bien sûr, cela ne peut se faire qu’avec la Grâce de Dieu. Car sans elle, rien n’est possible. Ainsi, nous pourrons comprendre personnellement cette parole de Jésus : « Je suis venu pour que vous ayez la vie, et la vie en abondance » (Jn 10,10). Se convertir est source de joie et de paix. La conversion est une libération de nos mauvaises habitudes qui nous tiennent prisonniers et tristes.

En ce jour, nous pouvons présenter à Dieu dans notre prière tous ceux qui n’ont pas reconnu cette lumière de Jésus, en particulier nos proches, nos familles. Sans oublier que notre prière portera d’autant plus de fruit que nous accueillerons nous-mêmes pleinement cette lumière.

© Libreria Editrice Vaticana - 2014