PKO 09.08.2015

Eglise cath papeete 1Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°42/2015
Dimanche 9 août 2015 – 19ème Dimanche du Temps ordinaire – Année B

 

Des vacances ! Normal !

 

C’est normal ! Que veut dire « normal » ? Le dictionnaire Petit Robert, donne cette définition : « qui sert de règle, de référence… qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel, qui est conforme au type le plus fréquent »

Il y a parfois des propos qui surprennent pour ne pas dire qui choquent ! Ainsi lorsque l’on parle de vacances, notamment lorsque nos fonctions se doivent d’être au service de la population… « après 12 mois on commence à ressentir un peu de fatigue. Il faut pouvoir se mettre un peu en recul et couper le téléphone. Le mieux pour ça c'est de partir ».

Probablement que beaucoup, en lisant ces lignes, se diront : « Il exagère… c’est normal de partir en vacances ! »

Que l’on aspire à du repos, voire même à des vacances cela est en soi légitime… mais il serait souhaitable que cela soit exprimé avec un peu de pudeur et quelques réserves, lorsque l’on prend la parole en public !

En effet, être au service de la population, comme responsables religieux, politiques… nous conduit à ne pas oublier la situation dans laquelle vivent nos administrés.

Une étude sur le Fenua datant de 2011 nous rapportait que 20% de la population, soit 55 000 personnes vivaient avec moins de 50 000 xfp par mois et que 20 autres % captaient la moitié des revenus totaux… ce qui nous situait  au même rang des inégalités que certains pays d’Amérique latine (Paraguay, Pérou, Colombie)… Tout permet de penser qu’en 4 ans la situation polynésienne n’a fait qu’accroître cette réalité…

Lorsque près de la moitié de la population se pose la question chaque matin de savoir comment elle va pouvoir se nourrir, payer ses factures ; il est clair que le « normal » n’est pas dans le fait de prendre des vacances et encore moins de voyager…

Encore une fois, il ne s’agit pas de culpabiliser ceux qui partent en vacances, mais d’inviter chacun, et notamment ceux qui ont des responsabilités au vu et au su de tous, d’avoir un peu plus de retenue dans leur propos…

Avoir conscience que de pouvoir envisager de « partir en vacances » est aujourd’hui non pas une « normalité » mais un privilège !

 

Chronique de la roue qui tourne

Prière pour notre amie

La vie n'épargne personne, nul n'est à l'abri du malheur.

Elma, une SDF est, à l'heure où j'écris, dans un coma profond. Discrète et gentille, elle venait souvent à Te Vai-ete. Hier, Père Christophe est allé la voir, a pu prier pour et avec elle. Ses amis SDF iront lui rendre visite dès que possible. Que cette épreuve soit l'occasion de montrer à ces oubliés que leur vie compte, tout autant que la nôtre. Alors, pour cette chronique, je voudrais faire une prière. Difficile de trouver des arguments pour qu'elle continue à se battre, qu'elle continue à vivre. Pourtant, comment espérer autre chose ? Et si la mort doit nous enlever cette amie, il est sûr qu'une maison l'attend au-delà des nuages.


                     Seigneur Jésus,

quand tu parcourais notre terre,
on t'apportait les malades,
et toi, tu leur imposais les mains
et leur rendais la santé.
Moi aussi, je viens vers toi,
te prier pour Elma,
durement frappée par le sort.
Sa vie n'a jamais été simple
et aujourd'hui elle est
entre la vie et la mort.
Aie pitié d'elle,
et si telle est ta volonté,
rends-lui la santé.
Sois près d'elle,
pour qu'en communion avec toi,
elle ait la force de tenir dans l'épreuve
et une raison de continuer à se battre.
Quant à nous,
inspire-nous de l'entourer de nos prières
et de tendre sollicitude.
Que la mort ne l'emporte pas
avec la même indifférence
qu'a connu sa vie.
Seigneur, nous t'en prions.
Amen.

La chaise masquée

 

Les divorcés-remariés ne sont pas excommunniés

Audience générale du mercredi 5 août 2015 – Pape François

Après cinq semaines de pause en raison de la période estivale, les audiences générales du Pape François ont repris ce mercredi au Vatican. Comme lors des semaines précédentes, le Pape a repris sa catéchèse sur la famille, en mettant cette fois-ci l'accent sur les divorcés-remariés. « Comment prendre soin de ceux qui, après l’échec irréversible de leurs liens matrimoniaux, ont entamé une nouvelle union ? » C’est la question à laquelle le Pape François a voulu répondre. Sans jamais prononcer les mots « divorcés-remariés », il a offert quelques pistes à ceux qui, dans l’Église, doivent gérer ce genre de situation délicate.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Avec cette catéchèse, nous reprenons notre réflexion sur la famille. Après avoir parlé, la dernière fois, des familles blessées à cause de l’incompréhension des époux, aujourd’hui je voudrais attirer notre attention sur une autre réalité : comment s’occuper de ceux qui, à la suite d’un échec irréversible de leur lien matrimonial, ont commencé une nouvelle union.

L’Église sait bien qu’une telle situation contredit le sacrement chrétien. Toutefois, son regard de maîtresse vient toujours d’un cœur de mère ; un cœur qui, animé par l’Esprit Saint, cherche toujours le bien et le salut des personnes. Voilà pourquoi elle ressent le devoir, « par amour de la vérité », de « bien discerner les situations ». C’est ainsi que s’exprimait saint Jean-Paul II, dans l’exhortation apostolique Familiaris consortio (n.84), en prenant l’exemple de la différence entre celui qui a subi la séparation et celui qui l’a provoquée. Il faut faire ce discernement.

Si nous regardons ensuite ces nouveaux liens avec les yeux des petits enfants – et les petits regardent – avec les yeux des tout-petits, nous voyons encore davantage l’urgence de développer dans nos communautés un accueil réel envers les personnes qui vivent de telles situations. C’est pourquoi il est important que le style de la communauté, son langage, ses comportements, soient toujours attentifs aux personnes, à partir des petits. Ce sont eux qui souffrent le plus, dans ces situations. Du reste, comment pourrions-nous recommander à ces parents de faire tout pour éduquer leurs enfants à la vie chrétienne, en leur donnant l’exemple d’une foi convaincue et pratiquée, si nous les tenions à distance de la vie de la communauté, comme s’ils étaient excommuniés ? Il faut faire en sorte de ne pas ajouter d’autres poids en plus de ceux que les enfants, dans ces situations, ont déjà à porter ! Malheureusement, le nombre de ces enfants et de ces jeunes est vraiment grand. Il est important qu’ils sentent que l’Église est une mère attentive à tous, toujours disposée à écouter et à les rencontrer.

Dans ces décennies, en vérité, l’Église n’a été ni insensible ni paresseuse. Grâce à l’approfondissement réalisé par les pasteurs, guidé et confirmé par mes prédécesseurs, a grandi la conscience qu’un accueil fraternel et attentif est nécessaire, dans l’amour et dans la vérité, à l’égard des baptisés qui ont établi une nouvelle vie commune après l’échec de leur mariage sacramentel ; en effet, ces personnes ne sont pas du tout excommuniées : elles ne sont pas excommuniées ! Et elles ne doivent absolument pas être traitées comme telles : elle font toujours partie de l’Église.

Le pape Benoît XVI est intervenu sur cette question, sollicitant un discernement attentif et un sage accompagnement pastoral, sachant qu’il n’existe pas de « recettes simples » (Discours à la VIIème rencontre mondiale des familles, Milan, 2 juin 2012, réponse n.5).

D’où l’invitation répétée des pasteurs à manifester ouvertement et de façon cohérente la disponibilité de la communauté à les accueillir et à les encourager, pour qu’ils vivent et développent toujours plus leur appartenance au Christ et à l’Église par la prière, par l’écoute de la Parole de Dieu, par la fréquentation de la liturgie, par l’éducation chrétienne de leurs enfants, par la charité et le service rendu aux pauvres, par leur engagement pour la justice et la paix

L’image biblique du Bon Pasteur (Jn 10,11-18) résume la mission que Jésus a reçue de son Père : celle de donner la vie pour ses brebis. Une telle attitude est un modèle aussi pour l’Église, qui accueille ses enfants comme une mère qui donne sa vie pour eux. « L’Église est appelée à être toujours la maison ouverte du Père […] ». Pas de portes fermées ! Pas de portes fermées ! « Tous peuvent participer de quelque manière à la vie ecclésiale, tous peuvent faire partie de la communauté. L’Église […] est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n.47).

De la même manière, tous les chrétiens sont appelés à imiter le Bon pasteur. Les familles chrétiennes, surtout, peuvent collaborer avec lui en prenant soin des familles blessées, en les accompagnant dans la vie de foi de la communauté. Que chacun apporte sa contribution en assumant l’attitude du Bon pasteur, qui connaît chacune de ses brebis et n’en exclut aucune de son amour infini !

© Libreria Editrice Vaticana - 2015

 

Mgr Oscar ROMERO : « Pour donner vie aux pauvres, il faut donner sa propre vie »

La pensée sociale de  Mgr Oscar Romero illustre celle de l’Église

Le pape François a reconnu, le 3 février dernier, Mgr Oscàr Romero comme martyr de la foi. Il était archevêque de San Salvador quand il été assassiné, le 24 mars 1980, alors qu’il célébrait la messe. Mgr Romero était un défenseur des pauvres et il dénonçait la politique oppressive gouvernement dictatorial du Salvador. Il a été tué par des hommes d’une milice d’extrême droite, mandaté par le pouvoir en place. La pensée sociale de Mgr Romero illustre celle de l’Église. En voici le brillant exposé qu’il en a prononcé à l’Université de Louvain, le 2 février 1980 :

La Dimension Politique de la Foi, telle qu’elle apparaît à partir d’une option pour les pauvres.

Une expérience ecclésiale au Salvador. Je viens du plus petit pays de la lointaine Amérique Latine. Je viens en portant dans mon cœur de chrétien, de Salvadorien et de pasteur, le salut, la reconnaissance et la joie de partager des expériences vitales.

Je salue avant tout, avec admiration, cette noble « Alma Mater » de Louvain. Jamais je n’avais imaginé l’immense honneur de ce lien honorifique avec un centre européen d’un tel prestige académique et culturel, où sont nées tant d’idées qui ont contribué au merveilleux élan de l’Église et de la société pour s’adapter aux temps nouveaux.

C’est pourquoi je viens aussi exprimer ma reconnaissance à l’université de Louvain. Car ce doctorat d’honneur, je ne veux pas le considérer seulement comme un hommage rendu à ma propre personne. L’énorme disproportion entre le poids d’un tel hommage et mes faibles mérites m’accablerait. Permettez-moi plutôt de considérer cette généreuse distinction universitaire comme un hommage affectueux au peuple du Salvador et à son Église, comme un témoignage éloquent de soutien et de solidarité avec les souffrances de mon peuple et sa noble lutte pour la libération, et comme un geste de communion et de sympathie avec ce que fait mon diocèse.

Avec la cordialité de mon salut et de ma reconnaissance, je veux exprimer ma joie de venir partager fraternellement avec vous mon expérience de pasteur et de Salvadorien, et ma réflexion théologique de responsable de la foi.

Expérience de réflexion que, en accord avec l’aimable suggestion de l’université, j’ai l’honneur d’insérer dans le cycle de conférences qui se déroule ici sur le thème suggestif de la dimension politique de la foi chrétienne. Naturellement, je ne prétends pas, et vous ne pouvez pas l’attendre de moi, prononcer le discours d’un technicien en matière de politique, ni développer les considérations qui permettraient à un expert en théologie d’établir le lien théorique entre la foi et la politique.

Je vous parle aujourd’hui en toute simplicité comme un pasteur qui, au contact de son peuple, a appris peu à peu cette belle et dure réalité : la foi chrétienne ne nous sépare pas du monde, elle nous y plonge ; l’Église n’est pas un refuge en dehors de la cité, mais elle suit ce Jésus qui a vécu, travaillé, lutté et perdu la vie au cœur de la cité, de la « polis ». C’est en ce sens que je voudrais parler de la dimension politique de la foi sur le monde et aussi des répercussions qu’entraîne pour la foi l’insertion dans le monde.

Une Église au service du monde

Nous devons l’énoncer clairement dès le début : la foi chrétienne et la vie de l’Église ont toujours eu des répercussions socio-politiques. Par action ou par omission, par connivence avec tel ou tel groupe social, les chrétiens ont toujours exercé une influence dans la configuration socio-politique du monde dans lequel ils vivent. Le problème est de savoir quelle doit être cette influence sur le monde social et politique pour que ce monde correspondent en vérité à la foi.

Comme première idée, quoique encore très générale, je veux présenter l’intuition du Concile Vatican II qui est à la base de tout le mouvement actuel de l’Église. L’essence de l’Église est dans sa mission de service du monde, dans sa mission de le sauver en totalité, et de le sauver dans l’histoire, ici et maintenant. L’Église est là pour être solidaire des espoirs et des joies, des angoisses et des tristesses des hommes. Comme Jésus, l’Église existe pour évangéliser les pauvres et relever les opprimés, pour chercher et sauver ce qui était perdu (cf. Lumen gentium, n°8).

Le monde des pauvres

Vous connaissez tous ces paroles du Concile. Certains de vos évêques et de vos théologiens ont fait beaucoup au cours des années 60 pour présenter ainsi l’essence et la mission de l’Église. Mon apport consistera à illustrer ces déclarations de la situation particulière d’un petit pays d’Amérique Latine, exemple typique de ce que l’on appelle aujourd’hui le Tiers-Monde. Pour le dire en une seule fois et d’une seule parole qui résume et concrétise tout : Le monde que doit servir l’Église, c’est, pour nous, le monde des pauvres.

Notre monde salvadorien n’est pas une abstraction. Ce n’est pas seulement un cas de plus de ce que l’on entend par « monde » dans les pays développés comme le vôtre. C’est un monde qui, dans son immense majorité, est formé par des hommes et des femmes pauvres et opprimés. Et de ce monde des pauvres, nous disons qu’il est la clef pour comprendre la foi chrétienne, la vie de l’Église, la dimension politique de cette foi et cette vie de l’Église. Ce sont les pauvres qui nous disent ce qu’est la « polis », la cité, et ce que signifie pour l’Église : vivre réellement dans le monde.

Permettez-moi, à partir des pauvres de mon peuple, de vous expliquer brièvement la situation et l’action de notre Église dans le monde où nous vivons, puis de réfléchir à partir de la théologie sur l’importance de ce monde réel, culturel et socio-politique, pour la foi de l’Église.

1- Action de l’Église du diocèse de San Salvador.

Ces dernières années notre diocèse a orienté sa pastorale dans une direction que l’on ne peut décrire et comprendre que comme un retour au monde des pauvres et à leur monde réel et concret.

Incarnation dans le monde des pauvres

Comme en d’autres endroits d’Amérique Latine, après de nombreuses années et peut-être même des siècles, ont retenti parmi nous les paroles de l’Exode : « J’ai entendu la clameur de mon peuple, j’ai vu l’oppression qu’on lui a fait subir » (Ex 3,9). Ces paroles de l’Écriture nous ont donné des yeux nouveaux pour voir ce qui a toujours existé chez nous, mais qui a été si souvent dissimulé, même au regard de l’Église. Nous avons appris à voir quel est le fait primordial de notre monde, et nous l’avons jugé comme pasteurs à Medellin et à Puebla.

« Cette misère, en tant que fait collectif, est une injustice qui crie vers le ciel. » (cf. Medellin, Justice, no 1).

À Puebla nous avons déclaré que « le fléau le plus dévastateur et le plus humiliant, c’est la situation de pauvreté inhumaine dans laquelle vivent des millions de Latino-américains et qui se manifeste par exemple par des salaires de famine, le chômage, le sous-emploi, la sous-alimentation, la mortalité infantile, l’absence de logements décents, les problèmes de santé, d’instabilité de l’emploi » (n°29).

Le fait de constater ces réalités et d’en recevoir l’impact, loin de nous détourner de notre foi, nous a rendus au monde des pauvres comme à notre lieu véritable ; il nous a poussé, comme premier pas fondamental, à nous incarner dans le monde des pauvres. Nous y avons trouvé les visages concrets des pauvres dont parle Puebla (cf. n°31 et 39).

Là nous avons rencontré les paysans sans terre et sans travail stable, sans eau ni lumière dans leurs pauvres demeures, sans assistance médicale quand les mères mettent au monde un enfant et sans école quand les enfants commencent à grandir. Là nous avons rencontré les ouvriers dépourvus de droits syndicaux, renvoyés des usines quand ils réclament ces droits, réduits à la merci des froids calculs de l’économie.

Là nous avons rencontré les mères et les épouses des disparus et des prisonniers politiques. Là nous avons rencontré les habitants des taudis dont la misère dépasse toute imagination et qui subissent l’injure permanente des beaux quartiers tout proches.

Dans ce monde sans visage humain, sacrement actuel du Serviteur souffrant de Yahvé, l’Église de mon diocèse a essayé de s’incarner. Je ne dis point ceci dans un esprit triomphaliste, je sais trop bien tout ce qui nous manque encore pour avancer dans cette incarnation. Mais, je le dis avec une joie immense, nous avons fait l’effort de ne pas passer au large, de ne pas faire un détour devant le blessé rencontré sur le chemin, et de nous approcher de lui comme le bon Samaritain.

C’est cette approche du monde des pauvres que nous considérons à la fois comme une incarnation et comme une conversion. Les changements nécessaires au sein de l’Église, dans sa pastorale, l’éducation, la vie sacerdotale et religieuse, dans les mouvements laïcs, que nous n’avions pas pu réaliser tant que notre regard était fixé uniquement sur l’Église, nous les réalisons maintenant que nous nous tournons vers les pauvres.

L’annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres.

Cette rencontre avec les pauvres nous a fait retrouver la vérité fondamentale de l’Évangile par laquelle la Parole de Dieu nous pousse incessamment à la conversion. L’Église a une Bonne Nouvelle à annoncer aux pauvres. Ceux qui, des siècles durant, ont entendu de mauvaises nouvelles et ont vécu les pires réalités écoutent maintenant, à travers l’Église, la parole de Jésus : « Le Royaume de Dieu est proche. » « Bienheureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous. » Et en conséquence, elle a aussi une Bonne Nouvelle à annoncer aux riches : qu’ils se fassent pauvres pour partager avec les pauvres les Biens du Royaume.

Pour qui connaît notre continent latino-américain, il sera très clair qu’il n’y a dans ces paroles aucune naïveté et encore moins un opium. Ce qu’il y a dans ces paroles, c’est la coïncidence de l’aspiration à la libération de notre continent avec l’offre de l’amour de Dieu aux pauvres. C’est l’espérance qu’offre l’Église et qui coïncide avec l’espérance, parfois endormie et si souvent manipulée et frustrée, des pauvres du continent. C’est une nouveauté dans notre peuple que les pauvres voient aujourd’hui en l’Église une source d’espérance et un appui pour leur noble lutte de libération. L’espérance qu’anime l’Église n’est ni naïve ni passive, c’est plutôt un appel lancé à partir de la Parole de Dieu à la responsabilité des masses des pauvres, à leur prise de conscience, à leur organisation, dans un pays où, avec plus ou moins de force selon les cas, cette organisation est interdite par la loi ou en fait. Elle constitue également un soutien, parfois critique aussi, à leurs justes causes et à leurs revendications.

L’espérance que nous prêchons aux pauvres est destinée à leur rendre leur dignité et les encourager à être, eux-mêmes, les artisans de leur propre destin. En un mot, l’Église ne s’est pas seulement tournée vers les pauvres, mais elle a fait de lui le destinataire privilégié de sa mission, car, comme dit Puebla, « Dieu prend leur défense et les aime » (n°1 et 142).

L’engagement à défendre les pauvres.

Non seulement l’Église s’est incarnée dans le monde des pauvres et leur donne une espérance, mais aussi, elle s’est fermement engagée à les défendre. Chaque jour les masses pauvres de notre pays sont opprimées et réprimées par les tortures économiques et politiques. Chez nous, les paroles terribles des prophètes d’Israël sont toujours vraies : il en est chez nous qui « vendent le juste pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales » (Amos 8,6) ; il en est qui amassent le butin de la violence dans leurs palais et qui écrasent les pauvres ; il en est qui sont couchés sur des lits de marbre et qui font s’approcher un règne de violence (cf. Amos 6,4) ; il en est qui « ajoutent maison à maison, champ à champ, jusqu’à occuper toute la place et rester seuls dans le pays » (Isaïe 5,8).

Ces expressions des prophètes Amos et Isaïe ne sont pas des paroles lointaines, d’il y a des siècles, ce ne sont pas seulement des textes que nous lisons avec respect dans la liturgie. Ce sont des réalités quotidiennes, que nous nous vivons tous les jours dans leur cruauté et leur brutalité. Nous les vivons quand viennent à nous des mères et des épouses d’hommes arrêtés et disparus, quand on trouve des cadavres défigurés dans des cimetières clandestins, quand sont assassinés ceux qui luttent pour la justice et la paix. Dans notre diocèse, nous vivons chaque jour ce que Puebla a dénoncé avec force : L’angoisse due à la répression systématique ou sélective, accompagnée de la délation, de la violation de la vie privée, de contraintes excessives, de tortures, d’exils. Les angoisses de tant de familles à cause de la disparition d’être chers dont elles ne peuvent avoir aucune nouvelle. L’insécurité totale du fait des détentions sans mandat d’arrêt. Les angoisses face à l’exercice d’une justice soumise ou entravée (n°42).

Dans cette situation de conflits et d’antagonismes dans laquelle une minorité contrôle le pouvoir économique et politique, l’Église s’est mise du côté des pauvres et a assumé leur défense. Il ne peut en être autrement, car elle se souvient de ce Jésus qui avait pitié des foules. Pour défendre les pauvres, elle est entrée en conflit grave avec les puissants des oligarchies économiques et les pouvoirs politiques et militaires de l’État.

Cette défense des pauvres, dans un monde sérieusement conflictuel, a fait apparaître un fait nouveau dans l’histoire récente de notre Église : la persécution. Vous en connaissez certainement les faits les plus marquants. En moins de trois ans, plus de 150 prêtres ont été attaqués, menacés et calomniés, six d’entre eux déjà sont morts martyrs, assassinés : plusieurs ont été torturés et d’autres expulsés. Les religieuses ont été également objet de persécution.

La radio du diocèse, des institutions d’éducation catholiques et d’inspiration chrétienne ont été constamment attaquées, menacées par des attentats à la bombe. On a perquisitionné dans plusieurs presbytères.

Si l’on agit de cette façon avec les représentants les plus en vue de l’Église, vous comprendrez sans peine ce qui s’est passé pour l’humble chrétien, c’est-à-dire les paysans, leurs catéchistes et délégués de la parole, les communautés ecclésiale de base. Là, les gens menacés, enlevés, torturés et assassinés se comptent par centaines et par milliers. Comme toujours dans la persécution, c’est le peuple chrétien pauvre qui a été le plus persécuté.

Il est évident que notre Église a été persécutée au cours de ces trois dernières années. Mais le plus important, c’est d’examiner pourquoi elle a été persécutée. On n’a pas tant persécuté n’importe quel prêtre, ou attaqué n’importe quelle institution. On a persécuté et attaqué cette partie de l’Église qui s’est mise du côté du peuple pauvre et qui a pris sa défense. De nouveau nous rencontrons ici la clé pour comprendre la persécution de l’Église : ce sont les pauvres. De nouveau, ce sont les pauvres qui nous font comprendre ce qui s’est réellement passé. Et c’est pourquoi l’Église a compris la persécution à partir des pauvres. La persécution a été occasionnée par la défense des pauvres, et elle n’est pas autre chose que le partage du destin des pauvres.

La vraie persécution s’est exercée sur le peuple pauvre qui est aujourd’hui le Corps du Christ dans l’histoire. Les pauvres sont le peuple crucifié, comme Jésus ; le peuple persécuté comme le Serviteur de Yahvé. Ce sont eux qui complètent en leurs corps ce qui manque à la passion du Christ. Pour cette raison, quand l’église s’est organisée et unifiée en recueillant les espoirs et les angoisses des pauvres, elle a subi le même sort que Jésus et que les pauvres, elle a subi le même sort que Jésus et que les pauvres : la persécution.

La dimension politique de la foi

Telle est, à grands traits, la situation et l’action de l’Église de San Salvador. La dimension politique de la foi n’est pas autre chose que la réponse de l’Église aux exigences du monde réel, socio-politique, dans lequel elle vit. Ce que nous avons redécouvert, c’est que cette exigence primordiale pour la foi et que l’Église ne peut l’ignorer. Cela ne veut pas dire que l’Église se considère elle-même comme une institution politique qui entrerait en compétition avec d’autres instances politiques, ni même qu’elle se dote de mécanismes politiques, et encore moins qu’elle veuille exercer un leadership politique. Il s’agit de quelque chose de plus profond et d’évangélique : il s’agit du véritable choix en faveur des pauvres, de s’incarner dans leur monde, de leur annoncer une Bonne Nouvelle, de leur donner une espérance, de les encourager à une praxis libératrice, de défendre leur cause et de prendre part à leur destin. Ce choix de l’Église en faveur des pauvres explique la dimension politique de sa foi dans ses racines et dans ses traits les plus fondamentaux.

C’est parce qu’elle a opté pour les pauvres véritables et non pas fictifs, c’est parce qu’elle a opté pour ceux qui sont réellement opprimés et réprimés, que l’Église vit dans le monde de la politique et se réalise en tant qu’Église au travers de la réalité politique. Il ne peut en être autrement du moment que, comme Jésus, elle va vers les pauvres.

2- La Foi, à partir du monde des Pauvres devient la réalité historique

L’action du diocèse est née de sa foi. La transcendance de l’Évangile nous a guidés dans notre jugement et notre action. À la lumière de la foi nous avons évalué les situations sociales et politiques. Mais, par ailleurs, il est vrai aussi que dans ces prises de position face à la réalité socio-politique telle qu’elle est, notre foi s’est approfondie, l’Évangile a montré sa richesse. Je voudrais maintenant faire seulement quelques remarques sur certains points fondamentaux de la foi qui ont été enrichis par cette incarnation réelle dans le monde socio-politique.

Une conscience plus claire du péché

Tout d’abord, nous savons maintenant ce que c’est que le péché. Nous savons que l’offense à Dieu est la mort de l’homme. Nous savons que le péché est vraiment mortel : non seulement à cause de la mort intérieure de celui qui le commet, mais aussi à cause de la mort réelle et objective qu’il provoque. Souvenons-nous de cette donnée profonde de notre foi chrétienne : le péché, c’est ce qui a donné la mort au Fils de Dieu, c’est encore et toujours ce qui donne la mort aux fils de Dieu.

Cette vérité fondamentale de la foi chrétienne, nous la voyons tous les jours dans la vie de notre pays. On ne peut offenser Dieu sans offenser le frère. Ce n’est pas une routine de souligner une fois de plus l’existence de structures de péché dans notre pays. Elles sont péché parce qu’elles produisent les fruits du péché : la mort des Salvadoriens, la mort rapide par la répression, ou la mort plus lente mais non moins réelle, par l’oppression exercée par les structures. C’est pour cela que nous avons dénoncé dans notre pays l’idolâtrie de la richesse, de la propriété privée considérée comme un absolu dans le système capitaliste, l’idolâtrie du pouvoir politique dans les régimes de sécurité nationale au nom de quoi on institutionnalise l’insécurité des individus (IV lettre pastorale, n°43-48).

Une clarté plus grande sur l’Incarnation et la Rédemption

En second lieu, nous savons mieux, maintenant, ce que signifie l’Incarnation, ce que veut dire le fait que Jésus prit réellement chair humaine et qu’il se fit solidaire de ses frères dans la souffrance, dans les larmes et les plaintes, dans le don de soi. Nous savons qu’il ne s’agit pas directement d’une incarnation universelle, ce qui est impossible, mais d’une incarnation qui résulte d’un choix, d’une préférence : une incarnation dans le monde des pauvres. C’est à partir des pauvres que l’Église pourra exister pour tous, qu’elle pourra aussi rendre service aux puissants à travers une pastorale de conversion ; mais pas l’inverse, comme c’est arrivé tant de fois.

Le monde des pauvres, aux caractéristiques sociales et politiques bien concrètes, nous enseigne où l’Église doit s’incarner pour éviter l’universalité fausse qui se termine toujours par l’entente avec les puissants. Le monde des pauvres nous enseigne ce que doit être l’amour chrétien qui recherche, bien sûr, la paix mais qui démasque le faux pacifisme, la résignation et l’inaction ; qui évidemment doit être gratuit, mais qui doit rechercher l’efficacité historique. Le monde des pauvres nous enseigne que la sublimité de l’amour chrétien doit passer par la nécessité impérieuse de la justice pour les masses et ne doit pas fuir la lutte honnête. Le monde des pauvres nous enseigne que la libération arrivera non seulement lorsque les pauvres seront destinataires des bienfaits du gouvernement ou de l’Église elle-même, mais lorsqu’ils seront eux-mêmes les acteurs et les protagonistes de leurs luttes et de leur libération, et qu’ils démasqueront ainsi la racine ultime des faux paternalismes, y compris dans l’Église.

Le monde réel des pauvres nous enseigne ce qu’est l’espérance chrétienne. L’Église prêche le nouveau Ciel et la nouvelle Terre ; elle sait en outre qu’aucune configuration socio-politique ne peut remplacer la plénitude finale accordée par Dieu. Mais elle a appris aussi que l’espérance transcendante doit être maintenue par les signes de l’espérance historique, même si ce sont des signes aussi simples en apparence que ceux que proclame le prophète Isaïe lorsqu’il dit : « Ils construiront leurs maisons, et les habiteront, ils planteront des vignes et en mangeront les fruits. » (Isaïe 65,21).

Qu’il y ait là une espérance chrétienne authentique, et non pas une espérance rabaissée au temporel et à l’humain, comme on le dit parfois d’une manière dépréciative, c’est ce que l’on apprend au contact quotidien de ceux qui n’ont ni maison, ni vignes, de ceux qui construisent des maisons pour que d’autres y habitent et de ceux qui travaillent pour que d’autres mangent les fruits de leur travail.

Une foi profonde en Dieu et en Jésus-Christ.

En troisième lieu, l’incarnation dans le domaine socio-politique permet d’approfondir sa foi en Dieu et en son Christ. Nous croyons en Jésus qui vint donner la vie en plénitude ; nous croyons en un Dieu vivant qui donne la vie aux hommes et qui veut que les hommes vivent en vérité. Ces vérités radicales de la foi deviennent réellement des vérités et des vérités radicales quand l’Église prend place dans la vie et dans la mort de son peuple.

C’est ici que s’offre à l’Église, comme à tout homme, le choix le plus fondamental pour sa foi : être pour la vie, ou être pour la mort. Nous croyons clairement qu’il n’y a pas, en cela, de neutralité possible. Ou bien nous aidons les Salvadoriens à vivre, ou bien nous sommes complices de leur mort. C’est là qu’on rencontre la médiation historique de ce qui est le plus fondamental dans la foi : ou nous croyons en un Dieu de vie, ou nous suivons les idoles de la mort.

Au nom de Jésus, nous œuvrons naturellement pour une vie en plénitude, qui ne s’épuise pas dans la satisfaction des besoins matériels primaires, et ne se limite pas au domaine socio-politique. Nous savons très bien que la plénitude de la vie ne sera atteinte que dans le règne définitif du Père et que cette plénitude se réalise historiquement en servant dignement ce règne et en faisant au Père le don total de soi-même. Mais nous voyons aussi clairement que ce serait une pure illusion, une ironie, et, au fond, le plus grave des blasphèmes que d’oublier et d’ignorer au nom de Jésus les niveaux les plus élémentaires de la vie, de la vie qui commence avec le pain, le toit, le travail.

Nous croyons avec l’apôtre Jean que Jésus est « le Verbe de vie » (1 Jn 1,1), et que là où il y a la vie, là se manifeste Dieu. Là où le pauvre commence à se libérer, là où les hommes peuvent s’asseoir autour d’une table commune pour partager, là est le Dieu de la vie. C’est pourquoi, lorsque l’Église s’insère dans le monde socio-politique et œuvre avec lui de telle sorte qu’il devienne source de vie pour les pauvres, elle ne s’écarte pas de la mission, elle ne fait pas quelque chose de subsidiaire ou une tâche de suppléance, mais elle donne le témoignage de sa foi en Dieu, elle est l’instrument de l’Esprit, Seigneur et Créateur de vie.

Cette foi dans le Dieu de la vie explique ce qui est au plus profond du mystère chrétien. Pour donner vie aux pauvres, il faut donner de sa propre vie et même donner sa vie. La plus grande preuve de foi en un Dieu de vie est le témoignage de celui qui est prêt à donner sa vie. « Nul n’aime davantage que celui qui donne sa vie pour son frère. » (Jn 15,13).

Et c’est ce que nous voyons chaque jour dans notre pays. Beaucoup de Salvadoriens et beaucoup de chrétiens sont prêts à donner leur vie pour que vivent les pauvres. Ils suivent les traces de Jésus et nous montrent leur foi en Lui. Sincères comme Jésus dans le monde réel, menacés et accusés comme Lui, ils rendent témoignage du Verbe de vie.

C’est donc une histoire ancienne que la nôtre. C’est l’histoire de Jésus que nous essayons modestement de continuer. En tant qu’Église, nous ne sommes pas des experts en politique, nous ne voulons pas manœuvrer la politique, en usant des mécanismes qui sont les siens. Mais l’insertion dans le monde socio-politique, dans ce monde où se jouent la vie et la mort des masses, est nécessaire et urgente, afin que nous puissions maintenir vraiment, et pas seulement en paroles, la foi en un Dieu de vie, à la suite de Jésus.

Conclusion

L’option pour les pauvres : Orientation de notre foi au milieu de la politique. Pour terminer, je voudrais résumer le thème central de mon exposé. Dans la vie ecclésiale de notre diocèse, la dimension politique de la foi, ou si l’on veut le rapport entre foi et politique n’a pas été découvert par des réflexions purement théoriques, préalables à la vie même de notre Église. Naturellement ces réflexions sont importantes, mais elles ne sont pas décisives. Elles ne deviennent importantes et décisives que lorsqu’elles se nourrissent véritablement de la vie réelle de l’Église.

Aujourd’hui, en raison de l’honneur qui m’est fait d’exprimer dans ce cadre universitaire mon expérience pastorale, j’ai dû me livrer à cette réflexion théologique. Mais la dimension politique de la foi, on la découvre correctement, bien plutôt dans une pratique concrète au service des pauvres. C’est dans cette pratique que l’on découvre leurs rapports mutuels et leurs différences. C’est la foi qui en un premier temps pousse à s’incarner dans le monde socio-politique des pauvres et à animer les processus de libérations qui sont aussi socio-politiques. Cette incarnation et cette praxis, à leur tour, concrétisent les éléments fondamentaux de la foi.

Dans ce que nous venons d’exposer, nous avons seulement tracé les grandes lignes de ce double mouvement. Il reste naturellement bien des thèmes à traiter. Nous aurions pu parler du rapport de la foi avec les idéologies politiques, concrètement avec le marxisme. Nous aurions pu faire allusion au thème, brûlant chez nous, de la violence et de sa légitimité. Ces thèmes font l’objet de réflexions constantes entre nous et nous les abordons sans préjugé ni crainte. Mais nous les abordons dans la mesure où ils deviennent des problèmes réels et nous apprenons à leur apporter une solution à l’intérieur du processus lui-même.

Pendant le court laps de temps où il m’a été donné de diriger le diocèse, quatre gouvernements différents se sont déjà succédés, avec des projets politiques différents. Les autres forces politiques, révolutionnaires et démocratiques, ont pris plus d’importance et ont évolué, durant ces années. L’Église a dû juger de la politique, de l’intérieur d’un processus changeant. À l’heure actuelle, le panorama est ambigu, car d’une part, tous les projets du gouvernement sont en train d’échouer tandis que s’accroît d’autre part la possibilité d’une libération populaire.

Mais au lieu de vous détailler tous les va-et-vient de la politique dans mon pays, j’ai préféré vous expliquer les racines profondes de l’action de l’Église dans ce monde explosif qu’est le monde socio-politique. Et j’ai tenté d’élucider devant vous l’ultime critère, qui est théologique et historique, de l’action de l’Église dans ce domaine : le monde des pauvres. D’après le bénéfice qu’il en tirera, lui, le monde pauvre, l’Église appuiera, en tant qu’Église, tel ou tel projet politique.

Nous croyons que tel est bien le moyen de maintenir l’identité et la transcendance même de l’Église. Nous insérer dans le processus socio-politique réel de notre peuple, l’apprécier en fonction du peuple pauvre et appuyer tous les mouvements de libération qui conduisent réellement à la justice et à la paix pour les masses. Nous croyons que c’est la manière de maintenir la transcendance et l’identité de l’Église, parce que, de cette façon, nous maintenons la foi en Dieu.

Les premiers chrétiens disaient avec saint Irénée : « Gloria Dei, vivens homo », la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. Nous, nous pourrions concrétiser cela en disant : « Gloria Dei, vivens pauper », la gloire de Dieu, c’est le pauvre vivant. Nous croyons qu’à partir de la transcendance de l’Évangile, nous pouvons apprécier ce qu’est la vérité de la vie des pauvres, et nous croyons aussi qu’en nous mettant du côté du pauvre et en tentant de lui donner la vie, nous saurons ce qu’est la vérité éternelle de l’Évangile.

[Extrait de : Assassiné avec les Pauvres. Traduit par Yves Carrier].

© Cahiers libres - 2015

 

En Chine, un évêque ordonné dans un contexte tendu

Audience générale du mercredi 5 août 2015 – Pape François

Un nouvel évêque catholique, choisi par les autorités communistes mais également approuvé par le Vatican, a été ordonné, mardi 4 août, à Anyang – le premier depuis trois ans. Dans le sud de la Chine pourtant, les chrétiens sont confrontés à une vaste campagne de démolition des croix qui surmontent les édifices religieux.

Autour de l’église du Sacré-Cœur d’Anyang, toutes les rues sont bouclées par d’épais cordons de police. Il fallait s’inscrire à l’avance pour assister, mardi 4 août, à l’ordination épiscopale de Mgr Joseph Zhang Yilin. Et la presse étrangère n’est pas la bienvenue. Beaucoup de fidèles chinois sont contraints, eux aussi, de rester à l’extérieur.

La présence de trois évêques, d’une centaine de prêtres, et de plusieurs milliers de catholiques n’a rien pour rassurer les autorités de la ville d’Anyang, dans le Henan (centre). Et pour cause : lors de la dernière ordination épiscopale, en 2012 à Shanghaï, Mgr Thaddeus Ma Daqin, à peine consacré, avait publiquement rejeté l’Association patriotique des catholiques de Chine (CPA), l’organisme politique chargé d’encadrer les Églises enregistrées et leurs activités, sous les applaudissements de centaines de prêtres et de fidèles. Depuis, Mgr Ma est assigné à résidence, et aucun évêque n’a été ordonné.

La nomination des évêques est une pomme de discorde entre le Vatican et les autorités chinoises, qui ne se reconnaissent pas mutuellement, même si un certain réchauffement et des échanges informels sont en cours depuis un an. Pendant les périodes de tension, des évêques ont été nommés par Pékin sans l’accord du Vatican. Certains ont été excommuniés par le Saint-Siège. Mgr Zhang avait quant à lui été d’abord adoubé par le Vatican, avant d’être élu par l’Association patriotique. Les trois évêques présents à son ordination étaient aussi reconnus par le Vatican.

« Le P. Zhang avait été choisi par Benoît XVI il y a trois ou quatre ans, et le diocèse avait déjà demandé sa nomination plusieurs fois », explique un prêtre de la paroisse. Comme les autres, il préfère garder l’anonymat, ayant reçu l’ordre de ne pas parler aux journalistes.

Cette fois, l’ordination s’est déroulée sans encombre. Après une célébration de trois heures, les fidèles sortent avec le sourire. « Très bien, très beau », commente simplement un groupe de femmes, entre 40 et 50 ans, avant de monter dans un minibus pour rentrer dans leur village. « Je suis très content qu’il devienne notre évêque, il a une foi très profonde », confie un prêtre qui le connaît bien. « Il vient d’une famille catholique traditionnelle. Sur cinq frères, trois sont devenus prêtres ! », poursuit-il.

Mgr Zhang, un petit homme vif, aperçu la veille lors de la préparation de la messe, a grandi à la campagne, dans les montagnes de Qian Jia Jin, un lieu de pèlerinage situé à une soixantaine de kilomètres d’Anyang. « Mais en ce moment, les fidèles ont du mal à s’y rendre, la police limite l’accès », sourit le prêtre.

UN CONTRÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE RESSERRÉ

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, le contrôle de la société civile a été resserré en Chine. Dans le Zhejiang (sud-est), province qui connaît la plus forte concentration chrétienne dans le pays, majoritairement protestante, les chrétiens sont confrontés à une campagne intensive de démolition des croix qui ornent églises et temples. Un an et demi après les premières destructions, dont celle d’un immense temple protestant dans la ville de Wenzhou, les démontages se poursuivent. Au point de pousser l’évêque catholique du lieu, Mgr Vincent Zhu Weifang, 89 ans – dont une vingtaine passée en détention –, à manifester devant la mairie avec 26 prêtres, la semaine dernière.

Deux politiques contradictoires  ? Non, estime Robert Weller, professeur d’anthropologie à l’université de Boston, qui a étudié les religions et les mouvements de résistance au pouvoir en Chine. « La campagne de démolition de croix est une campagne locale, insiste-t-il. Le gouvernement central a dit qu’il fallait changer la politique religieuse, mais sans préciser quelle devait être la nouvelle politique. Cela a poussé certaines localités à se montrer très strictes. En revanche, la consécration d’un évêque est décidée au niveau national. Cela concerne les relations avec le Saint-Siège, très importantes pour Pékin. »

« GOUVERNER AVEC UN ŒIL OUVERT ET UN ŒIL FERMÉ »

Les relations entre le Saint-Siège et le Vatican se sont légèrement améliorées depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, d’un côté, et du pape François de l’autre, à l’occasion desquelles ils avaient échangé des lettres de félicitations. Mais ce léger dégel se heurte à la reprise en main généralisée de la société chinoise par les autorités, qui passe par la lutte contre la corruption, l’application stricte de la loi et l’anéantissement des contre-pouvoirs. « Un proverbe chinois dit : “Gouverner avec un œil ouvert et un œil fermé”. C’est ce qui se passe pour la politique religieuse presque partout, poursuit Robert Weller. Au Zhejiang, la province a clairement dit : “On ouvre les deux yeux”. Le gouvernement central n’est pas sur cette ligne pour l’instant. »

Dès l’après-midi à Anyang, les centaines de policiers ont quitté le quartier, emportant avec eux les portiques de sécurité installés le matin aux portes de l’église du Sacré-Cœur. Dans la cour, certains prêtres hésitent, mais d’autres acceptent volontiers la discussion avec un journaliste. Les autorités ont déjà refermé un œil.

© La Croix - 2015

Méditation sur la Parole

Moi, je suis le pain de vie

La première lecture de ce dimanche est une excellente introduction au discours de Jésus sur le « pain de vie ». Le prophète Elie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marche toute une journée dans le désert. Au passage, il a laissé son serviteur à Béer-Shéva et s’est enfoncé dans la solitude de cette terre aride. Il est exténué, découragé et doutant de lui-même. Il craint pour sa vie, car la reine Jézabel a donné ordre à la police royale de l’abattre.

Élie traverse une crise profonde. Il désire maintenant entrer dans les rangs et n’être plus celui qui affronte les adversaires de Dieu. Il veut redevenir comme tout le monde : « Maintenant ça suffit, Seigneur, parce que je ne suis pas meilleur que mes pères ». C’est la tentation d’échapper à sa mission de prophète. Élie a un moment de faiblesse. Il s’agit de fatigue personnelle, mais plus encore du désir d’abandonner la lutte face à la persécution religieuse de son peuple. Lui qui avait été le grand vainqueur des prophètes de Jézabel, le voilà incapable de mettre un pied devant l’autre. Assis sous un genêt, il souhaite mourir.

Dieu redonne alors au prophète le soutient spirituel et corporel dont il a besoin. Ici le texte rejoint celui du « pain de vie » : « Lève-toi et mange, car autrement le chemin serait trop long pour toi ». Après avoir mangé le pain offert par Dieu, la fuite d’Élie se transforme en  pèlerinage à la source de la foi d’Israël. Au pied du Mont Sinaï, il découvrira Dieu comme il ne l’a jamais connu auparavant, «dans le souffle d’une brise légère», un Dieu de tendresse et de bonté.

Élie est bien semblable à chacun de nous lorsque la défaite, l’adversité, la maladie nous atteignent. Sur un lit d’hôpital, le sportif le plus compétitif, l’homme d’affaire le plus aguerri, le travailleur le plus consciencieux est complètement démuni et à la merci des membres du personnel médical. Il attend avec crainte les résultats d’un rayon X ou d’un scan, il apprécie les remarques de l’infirmière qui le complimente pour avoir terminé sa soupe. Lui qui était habitué à donner des ordres, à juger les autres souvent avec dureté, découvre maintenant sa propre faiblesse et sa misère humaine.

Tôt ou tard dans notre vie, il y a « la crise du jour après »… le jour après la victoire, le succès, la conquête, le triomphe, la réussite, l’exploit. C’est alors la crise du découragement, de la monotonie, de l’ennuie, du manque d’appréciation pour tout ce que nous avons fait. Nous sentons souvent que nous ne sommes pas aimés comme nous devrions l’être, que nous ne sommes pas appréciés, que notre vie n’a pas de sens.

C’est alors que Dieu s’approche et nous offre le pain nécessaire à la longue marche dans le désert. Notre fuite peut alors devenir un pèlerinage, une route qui nous conduit à la source de la vie.

Élie était un grand prophète. Il avait été adulé, célébré, craint, et maintenant, c’est la crise et la déprime. Or, voilà qu’au sein même de la fuite et de la détresse, il va découvrir un Dieu de compassion. L’ange du Seigneur lui apporte la nourriture nécessaire pour survivre dans sa longue marche en lui disant : « Lève-toi et mange, car autrement le chemin serait trop long pour toi. » Il y puisera la force de marcher quarante jours et quarante nuits jusqu’au mont Sinaï. Dans l’évangile, Jésus ajoute : « Moi, je suis le pain de vie... si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »

Élie découvrira le vrai visage de son Dieu, dont la toute-puissance est celle de l’amour et « de la douceur d’une brise légère ».

À nous comme au prophète, Dieu offre le pain du ciel, le pain de vie, qui nous aide à marcher jusqu’au bout, à nous rendre jusqu’à la montagne du Seigneur. Chaque fois que nous nous approchons de la table eucharistique, le Seigneur nous rappelle qu’il est le pain vivant qui donne force et courage pour la longue route à faire. « Lève-toi et mange, car autrement ta route sera longue ».

© Cursillo - 2015