PKO 06.09.2015

Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°47/2015
Dimanche 6 septembre 2015 – 23ème Dimanche du Temps ordinaire – Année B

Carnet de route

Vendredi 28 août 2015

Cottanceau jean pierre 2015Nomination de l’Administrateur Apostolique

de l’Archidiocèse de Papeete (Tahiti, Polynésie française)

Le Saint Père a nommé Administrateur Apostolique de Papeete, à Tahiti, Polynésie française, le R.P. Jean-Pierre Cottanceau, ss.cc.

Voici le premier message que le nouvel Administrateur Apostolique nous adresse :

« En ces jours où je m’apprête à exercer ma responsabilité d’Administrateur Apostolique de l’archidiocèse de Papeete, me vient en mémoire cette parole du Christ à ses apôtres : « Vous savez que ceux qu'on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur » (Mc 10, 42-43) Oui, c’est bien comme serviteur de l’Église et des Hommes que j’ai accepté cette charge.

Serviteur de l’Église servante, corps du Christ et par laquelle le Seigneur manifeste sans cesse sa bonté, sa bienveillance… « Témoin de la bienveillance de Dieu pour tous… » L’Église n’a-t-elle pas mission de révéler cet amour et cette bienveillance du Seigneur pour tous ? Avec vous, baptisés, avec les nombreux laïcs de ce diocèse engagés, avec les diacres et les prêtres, avec vous tous qui œuvrez avec foi et courage dans les paroisses, lieux scolaires et autres institutions, je veux être serviteur.

Mais cette charge fait aussi de moi celui qui doit veiller sur ce peuple et cette Église qui est en Polynésie, pour les guider, en attente d’un évêque, et, quand cela est nécessaire, redonner courage, ranimer la Foi dans les cœurs qui faiblissent, susciter et réveiller les énergies qui dorment au fond de chacun, renforcer l’unité entre tous et faire en sorte que notre Église ne s’enferme pas dans les sacristies et reste ouverte aux appels des plus pauvres, de tous ceux qui souffrent !

Notre Église ne restera vivante que si chacun de ses membres se nourrit de la Parole de Dieu et des Sacrements au premier rang desquels se trouve l’Eucharistie. Elle ne restera vivante que si chacun donne à sa relation intime au Seigneur la place qui lui revient, notamment par la prière. Elle ne restera vivante que si nos liturgies continuent d’être dignes, priantes et joyeuses. Elle ne restera vivante que si elle se montre accueillante aux jeunes et ouverte sur le monde… Selon les mots de notre Pape François, « la mission de l’Église est de porter patiemment témoignage de Celui qui désire attirer à lui toute la création et chaque homme et femme au Père. Sa mission est de manifester à tous un amour qui ne peut rester silencieux » (Message du Pape François pour le Carême 2015)

Voilà donc mon carnet de route, puisse le Seigneur faire que ce soit aussi le vôtre !

Père Jean-Pierre COTTANCEAU »

Chronique de la roue qui tourne

L’Europe pour cimetière

« Cette histoire va prendre fin au cimetière, comme toutes les autres histoires. » Jean Benard

C'est une réalité pour chacun d'entre nous mais ça devient la tragédie de nombreux immigrants. La semaine dernière, le territoire Autrichien fit une macabre découverte : 71 migrants, d'origine Syrienne probablement, morts dans un camion abandonné sur la bande d'arrêt d'urgence d'une autoroute. Morts depuis déjà plusieurs jours, difficile d'avoir des réponses claires à toutes nos questions.

Le groupe, entassé dans une surface de 15m², était constitué de 59 hommes, 8 femmes et 4 enfants « dont une fillette âgée d'un ou deux ans » et « trois garçons de 8, 9, 10 ans », morts probablement d’asphyxie.

Les portes du camion étaient fermées de l'extérieur et liées par des câbles. Le camion appartenait à une firme de volaille slovaque, mais portait une plaque hongroise.

À ce jour, la police a arrêté trois Bulgares, le propriétaire et deux chauffeurs du sordide camion. Ils seraient des trafiquants d'êtres humains qui se font payer par les migrants pour entrer en Europe.

Cette fin tragique des migrants n'est pas rare. En revanche, c'est la première fois que nous sommes confrontés à des cadavres qui matérialisent l'horreur qui sévit aux frontières. Réagissons avant que l'Europe ne soit définitivement la zone d'une « mondialisation de l'indifférence ». Réagissons vite avant que l'Europe soit délimitée par des milliers de pierres tombales.

La chaise masquée

La parole aux sans paroles - 1

Pourquoi et comment la rue ?

Nous inaugurons aujourd’hui une nouvelle rubrique : « La parole au sans parole ». Cette rubrique est animée par Nathalie SALMON-HUDRY, auteur de « Je suis née morte ». Elle se propose d’être « la parole des sans paroles » en les rencontrant chaque semaine pour un temps de partage. Elle leur restitue ensuite ce qu’ils ont dit ensemble…et après l’avoir approuvé ensemble… ce partage est publié sur la page facebook de l’Accueil Te Vai-ete et dans le P.K.0. Nous souhaitons longue vie à cette « rubrique api »

Combien de fois sommes-nous passés devant des sdf en nous baladant dans les rues de Papeete ? Pourtant, que savons-nous de ces personnes ? Avons-nous montré un quelconque intérêt à leur histoire ? Avec notre indifférence, on en a fait des ombres, que même la ville refuse de voir.

Au fil de nos rencontres fortuites aux quatre coins de Papeete, un petit sourire rendu, un simple bonjour et nos prénoms échangés, le lien était créé. À chaque fois, ils exprimaient un fort désir d'échanger, de parler et surtout d'être écoutés. Cet élan vers les autres venait d'un besoin vital d'exister, tout simplement. Cela m'a rappelé ma propre histoire. Non pas que je m'identifiais à eux ou eux à moi. Mais mon parcours m'a appris la souffrance de l'exclusion et du rejet, cette impression de ne compter pour personne.

Puis, un lien vers un blog français où des sdf témoignaient a sonné le glas, il fallait réagir. Il fallait tordre le cou à cette indifférence qui leur enlevait toute dignité humaine. Il fallait tordre le cou aux préjugés. Avec une rencontre hebdomadaire, je voudrais les écouter pour mieux les connaître, prêter mes mots à leur histoire pour avoir ce regard de l'intérieur qui manque tant à notre jugement. Je ne sais pas vraiment comment et vers quoi évolueront nos tête-à-tête mais ils sont comme des premiers pas, aussi incertains que nécessaires.

Donc, pour une première rencontre, un petit groupe de cinq filles était partant pour discuter. Le thème était simple, nous devions commencer par le commencement : pourquoi et comment la rue ? Pour tenter de comprendre comment arrive-t-on dans la rue à Tahiti, qualifié de « paradis » par beaucoup.

Il est évident qu'on ne se lève pas un beau matin en criant : « Youpi, je vais vivre dans la rue ! ». Est-ce par choix ou par désespoir ? « On ne vit pas dans la rue par plaisir. », m'avait dit en  substabce felixia 

La raison qui est revenue deux, trois fois est une mésentente familiale. À croire qu'une page est en train de se tourner à Tahiti. La vie communautaire dont on se targue semble disparaître. Et, les enfants de familles nombreuses ne trouvent plus de terrain pour s'établir. Alors la maison des parents devient vite la maison familiale. Cette situation tient plus ou moins la route, tant que les metua veillent à l'unité. Mais après ?

C'est l'histoire de Tepua. À la mort de ses parents, la cohabitation dans la maison familiale avec ses frères et sœurs était devenue très conflictuelle. Donc, il y a 8 ans, elle est partie vivre dans la rue. Depuis elle habite son « château », « parce qu'on est tous des princesses et des princes », dit-elle en rigolant. « J'ai choisi d'habiter à Paofai parce que il y a moins de vols là-bas. Il ne faut pas croire mais on nous vole aussi ! ». Et elle poursuit : « Quand ce sont des sdf qui nous volent, ça va mais même des personnes qui ont des maisons viennent nous voler ! Ça, ça nous énerve ! ». Tepua est une femme qui n'a peur de rien, elle sait ce qu'elle veut et que la vie ne lui fera pas de cadeaux.

« Je suis arrivée dans la rue parce que je me suis disputé avec mon petit frère. J'allais au travail et rien n'était fait à la maison. Tout le monde buvait », commence Maria avec sa voix douce. Dans la rue depuis 18 mois, ses débuts sont très difficiles : un fort sentiment d'insécurité l'empêchait de dormir et elle est restée trois jours sans manger. C'est là qu'une certaine Thérèse l'a accompagnée au Centre de jour et lui a parlé de l'accueil Te Vaiete et des petits déjeuners servis. Aujourd'hui, elle rentre parfois chez ses enfants. Mais ne voulant pas s'imposer, «  Ils sont majeurs et vaccinés, je préfère revenir dans la rue ! »

Pour Ariihau, très indépendante et avec beaucoup de principes et de convictions, faute de pouvoir payer l'assurance de sa voiture, elle a décidé de rester à Papeete et de se débrouiller tant bien que mal. Elle n'a pas demandé l'aide de sa famille par principe. « J'ai rencontré mon copain à une réunion politique. Et comme il vivait plus ou moins déjà dans la rue, c'est lui qui m'a initiée un peu à cette nouvelle vie. Ce n'était vraiment pas facile. Je suis restée les premiers jours sans manger, j'étais tellement gênée de venir prendre mon petit-déjeuner ici à Te Vaiete, et puis j'avais un peu peur du Père Christophe (rires). Mais après, de savoir que c'était une action d'Église, c'est vrai que ça m'a mise à l'aise. Maintenant on ne peut plus s'en passer, c'est un peu comme chez nous ici. »

Et puis, il y a Eimeo et Moerani, un couple homosexuel que seule la rue semblait accepter.

Moerani, maman d'une précédente union, s'est vu retiré son fils, son mari est parti un beau jour à Tahaa avec le petit de 7 mois. C'est là que la descente aux enfers a commencé. Alcool, drogue, tout était bon pour oublier l'absence du fils. « Je me suis laissée aller, j'ai fait n'importe quoi, comme je n'avais plus mon fils avec moi ! », arrive-t-elle à dire entre deux sanglots. La jeune femme tombe dans une dépression et décide de quitter Moorea pour Tahiti. C'est ainsi qu'elle se retrouve à la rue en 2007/2008. Elle fera plusieurs tentatives pour reprendre sa vie en main et revoir son fils. Des allers et retours entre la rue et sa vie d'avant, plusieurs petits boulots précaires et un autre mariage, impossible de retrouver une vie stable, tant le « fantôme » de son fils est encore trop présent ! Elle n'a pas osé aller voir les affaires sociales pour faire valoir ses droits de mère, par honte de sa situation. C'est un cercle vicieux qui a terminé son tour. Elle n'a jamais revu son fils, âgé de 10 ans aujourd'hui. Devant cette séparation physique, elle a demandé à ses ex beaux-parents d'avoir des photos du petit. En vain. « J'essaye de ne pas penser à lui tout le temps, ça me fait tellement mal ! Mais, mon rêve, c'est de pouvoir récupérer un jour mon enfant ! ».

C'est une femme dévastée qui tente de se reconstruire dans les bras d'Eimeo. Devant une homosexualité qui pourrait déranger, elles ont choisi de se marier sans prévenir personne. Le couple a habité un moment à Moorea.

« Moi, je suis arrivée dans la rue par amour ! », commence Eimeo. « Un jour, j'ai trouvé un petit mot où Moerani me disait qu'elle était partie chercher des clopes et qu'elle revenait. Elle n'est pas revenue. J'ai attendu trois jours sans manger, j'étais tellement inquiète. Je suis partie la chercher. Elle était dans la rue donc je l'ai suivie. Je sais que ma famille sera toujours là mais il faut que je fasse ma vie et il faut suivre l'être aimé comme on dit... même si c'est dans la rue. Que ça soit dans la rue où ailleurs, tant que je suis avec elle. ».

Aujourd'hui, leurs parents respectifs réclament leur retour. La mère d'Eimeo est même venue passer deux nuits avec elles.

Malgré un quotidien compliqué, être une femme dans la rue n'est pas chose aisée, aucune n'a de regrets quant à son « choix ». Même si, on comprend très bien que la rue n'a jamais été un vrai choix. C'était la seule issue face à un désespoir, face à une rébellion ou une volonté d'être soi-même.

Et quand, pour terminer sur une note joyeuse, je leur demande leur plus beau souvenir de la rue, toutes me parlent de ce lien qui les unit, cette nouvelle famille, faite au détour d'une rue. « C'est simple, avant on avait tout mais pas d'affection. On ne pouvait pas avoir confiance aux autres. Aujourd'hui, on n'a rien mais on a ça. », dit Tepua. « Ce sont de bons amis, ils sont toujours là pour te protéger, pour t'aider, te soutenir. Moi, ma famille ne peut pas me protéger comme mes amis me protègent aujourd'hui. », confirme Moerani. « Tu sais, on dit beaucoup de choses sur les sdf mais ce sont des personnes honnêtes avec de grandes valeurs. C'est ce qui m'a touché, pourtant j'avais une belle vie avant. », ajoute Ariihau.

Oui, c'est vraiment une famille débarquant des quatre coins de la ville qui se rassemble autour d'un café chaque matin ! C'est beau de voir une si grande amitié. J'arrive presque à les envier.

En les quittant, je ne peux m'empêcher de me demander dans quelle société vivons-nous, où il faut presque tout perdre pour trouver un peu d'amour.

© Accueil Te Vai-ete - 2015

Les liens familiaux sous le regard de Dieu

Audience générale du mercredi 2 septembre 2015 – Pape François

Le Saint-Père a poursuivi son cycle de catéchèses sur la famille mercredi matin, dans le cadre de son audience générale, sur la rôle des familles dans la transmission de la foi. François est revenu sur ces paroles dérangeantes de Jésus dans l’Évangile de Matthieu : « celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi. Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi, celui qui ne prend pas sa propre croix pour me suivre n’est pas digne de moi ».

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans notre dernier bout de chemin de catéchèses sur la famille, ouvrons les yeux sur la façon dont celle-ci vit la responsabilité de communiquer la foi, de transmettre la foi, aussi bien en son sein qu’à l’extérieur.

Dans un premier temps, certaines expressions évangéliques peuvent nous venir à l’esprit, qui semblent opposer les liens de la famille et le fait de suivre Jésus. Par exemple, ces paroles fortes que nous connaissons tous et avons entendues : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Qui ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière moi n’est pas digne de moi » (Mt 10, 37-38).

Naturellement, Jésus n’entend pas par là effacer le quatrième commandement, qui est le premier grand commandement envers les personnes. Les trois premiers sont en rapport à Dieu, et ce verset est en rapport aux personnes. Et nous ne pouvons pas non plus penser que le Seigneur, après avoir accompli son miracle pour les époux de Cana, après avoir consacré le lien conjugal entre l’homme et la femme, après avoir restitué fils et filles à la vie familiale, nous demande d’être insensibles à ces liens ! L’explication n’est pas là. Au contraire, quand Jésus affirme la primauté de la foi en Dieu, il ne trouve pas de comparaison plus significative que les sentiments familiaux. Et d’autre part, ces mêmes liens familiaux, au sein de l’expérience de la foi et de l’amour de Dieu, sont transformés, sont « investis » d’un sens plus grand et deviennent capables de se dépasser, pour créer une paternité et une maternité plus amples, et pour accueillir comme des frères et sœurs ceux qui se trouvent aux confins de tout lien également. Un jour, à celui qui lui dit qu’il y avaient dehors sa mère et ses frères qui le cherchaient, Jésus répondit, indiquant à ses disciples : « Voici ma mère et mes frères ! Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m'est un frère et une sœur et une mère » (Mc 3, 34-35).

La sagesse des sentiments qui ne s’achètent ni ne se vendent est le meilleur don du génie familial. C’est précisément en famille que nous apprenons à grandir dans cette atmosphère de sagesse des liens. Leur « grammaire » s’apprend là, autrement il est bien difficile de l’apprendre. Et c’est précisément le langage à travers lequel Dieu se fait comprendre de tous.

L’invitation à mettre les liens familiaux dans le domaine de l’obéissance de la foi et de l’alliance avec le Seigneur ne les gêne pas ; au contraire, elle les protège, les libère de l’égoïsme, les met à l’abri de la dégradation, les sauve pour la vie qui ne meurt pas. La diffusion d’un style familial dans les relations humaines est une bénédiction pour les peuples : elle ramène l’espérance sur la terre. Quand les sentiments familiaux se laissent convertir au témoignage de l’Évangile, ils deviennent capables de choses impensables, qui font toucher du doigt les œuvres de Dieu, ces œuvres que Dieu accomplit dans l’histoire, comme celles que Jésus a accomplies pour les hommes, les femmes, les enfants qu’il a rencontrés. Un seul sourire miraculeusement arraché au désespoir d’un enfant abandonné, qui recommence à vivre, nous explique mieux que mille traités théologiques l’action de Dieu dans le monde. Un seul homme et une seule femme, capables de risquer et de se sacrifier pour le fils de quelqu’un d’autre et pas seulement pour le leur, nous expliquent des choses de l’amour que beaucoup de scientifiques ne comprennent plus. Et là où il y a ces sentiments familiaux, naissent ces gestes du cœur qui sont plus éloquents que les mots. Le geste de l’amour... Cela fait réfléchir.

La famille qui répond à l’appel de Jésus remet l’administration du monde à l’alliance de l’homme et de la femme avec Dieu. Pensez au développement de ce témoignage, aujourd’hui. Imaginons que le gouvernail de l’histoire (de la société, de l’économie, de la politique) soit remis — enfin ! — à l’alliance de l’homme et de la femme, afin qu’ils le gouvernent avec le regard tourné vers la génération suivante. Les thèmes de la terre et de la maison, de l’économie et du travail, joueraient une musique bien différente !

Si nous redonnons un rôle — à partir de l’Église — à la famille qui écoute la Parole de Dieu et la met en pratique, nous deviendrons comme le bon vin des noces de Cana, nous fermenterons comme le levain de Dieu !

En effet, l’alliance de la famille avec Dieu est appelée aujourd’hui à contrecarrer la désertification communautaire de la ville moderne. Mais nos villes ont été désertées par manque d’amour, par manque de sourire. Il y a tant de divertissements, tant de choses pour perdre du temps, pour faire rire, mais il manque l’amour. Le sourire d’une famille est capable de vaincre cette désertification de nos villes. Et cela est la victoire de l’amour de la famille. Aucune ingénierie économique et politique n’est en mesure de substituer cet apport des familles. Le projet de Babel érige des gratte-ciel sans vie. L’Esprit de Dieu, en revanche, fait fleurir les déserts (cf. Is 32, 15). Nous devons sortir des tours et des salles blindées des élites, pour fréquenter à nouveau les maisons et les espaces ouverts des multitudes, ouvertes à l’amour de la famille.

La communion des charismes — ceux qui sont donnés au sacrement du mariage et ceux qui sont accordés à la consécration pour le Royaume de Dieu — est destinée à transformer l’Église en un lieu pleinement familial pour la rencontre avec Dieu. Avançons sur ce chemin, ne perdons pas l’espérance. Là où il y a une famille ayant de l’amour, cette famille est capable de réchauffer le cœur de toute une ville avec son témoignage d’amour.

Priez pour moi, prions les uns pour les autres, afin que nous devenions capables de reconnaître et de soutenir les visites de Dieu. L’Esprit apportera une joyeuse pagaille dans les familles chrétiennes, et la ville de l’homme sortira de la dépression !

© Libreria Editrice Vaticana - 2015

Prôner la miséricorde au service des plus petits

Message du Cardinal Beniamo Stella aux diacres permanents et à leurs épouses – 20 juin 2015

Il y a 50 ans, le concile Vatican II a demandé que soit rétabli dans l’Église catholique le ministère du diaconat permanent. Pour fêter ce jubilé, les services du diaconat permanent des diocèses de Strasbourg (France) et de Freiburg (Allemagne) ont proposé le 20 juin 2015 une rencontre franco-allemande au Munsterhof à Strasbourg sur l’histoire et le présent du diaconat. À cette occasion, le cardinal Beniamino Stella, préfet de la Congrégation pour le clergé a adressé un message aux diacres permanents et à leurs épouses. S’associant à leur action de grâce, il les a encouragés à approfondir toujours plus leur vocation de serviteur, la diaconie, leur « être-serviteur » dans la communion avec l’évêque et son presbyterium, « en repérant en priorité les petits et les plus nécessiteux. »

Excellences, chers amis diacres, chères épouses,

À l’occasion de votre rassemblement, diacres des diocèses de Strasbourg et de Fribourg, et d’autres encore venus des diocèses voisins de France, d’Allemagne, et du Luxembourg, vous vous êtes rendus en pèlerinage à la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, dont nous fêtons le millénaire de la fondation, pour célébrer les 50 ans du rétablissement du diaconat permanent dans l’Église catholique. Vous voulez faire mémoire aussi de votre propre ordination et en rendre grâce à Dieu. Je m’associe pleinement à votre joie et à vos actions de grâces, et je suis heureux de vous adresser ces quelques paroles, inspirées du « merci » fondamental de la Vierge Marie dans son Magnificat, qui rassemble tous nos mercis :

« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante (…) Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son Nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc 1, 46… 50).

Le diaconat, restauré dans sa forme permanente au deuxième concile du Vatican, est une institution apostolique qui date des origines de l’Église, mais, également, ne l’oublions jamais, un choix personnel de Dieu qui continue de se pencher et de poser son regard sur des hommes, de pauvres pécheurs comme chacun de nous, pour les appeler, par l’authentification de l’Église, à être l’icône sacramentelle et vivante du Christ Serviteur.

Que ce rassemblement soit pour chacun, d’abord, l’occasion de remercier Dieu de l’avoir choisi gratuitement – « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis… » (Jean 15, 16), nous dit le Seigneur – ; remercier Dieu également de l’avoir appelé et préparé par son Église ; de lui avoir fait le précieux don du célibat pour le Royaume ou, s’il est marié, de lui avoir offert l’amour et le consentement de son épouse ; et d’avoir répandu, dans l’ordination, une nouvelle fois son Esprit qui lui fait porter du fruit dans les missions confiées par l’évêque.

Vous avez reçu l’imposition des mains « non pas en vue du sacerdoce, mais en vue du ministère », du service, comme le déclare Lumen Gentium qui continue ainsi : « La grâce sacramentelle, en effet, [vous] donne la force nécessaire pour servir le Peuple de Dieu dans la diaconie de la liturgie, de la parole et de la charité, en communion avec l’évêque et son presbyterium ». Les Pères conciliaires auraient pu dire : « servir le peuple de Dieu dans la liturgie, la Parole, et la charité ». Cependant, ils ont ajouté : « dans la “diaconie” de la liturgie, de la Parole et de la charité ». Avant n’importe quelle mission ou tâche concrète à accomplir, vous êtes ordonnés pour rappeler en permanence à notre pensée, à notre mémoire, à notre cœur, la forme du serviteur que Dieu le Fils a prise complètement en descendant parmi nous, dans l’Incarnation. « Le Fils de l’homme, en effet, n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 45). Il est venu en vue du ministère du salut. C’est pourquoi saint Ignace d’Antioche, au début du IIe  siècle, déclare que « le ministère du diacre n’est rien d’autre que le “ministère de Jésus-Christ, qui avant les siècles était auprès du Père et qui est apparu à la fin des temps” ».

Considérer ainsi les diacres dans le mystère du Christ, au niveau de leur être diaconal reçu du Père, de leur « être-serviteur » pourrait-on dire, a plusieurs conséquences. C’est déjà un appel à ce que toute votre vie prenne la forme du service : dans les missions ecclésiales confiées, mais aussi dans l’ordinaire du quotidien, dans votre couple et votre famille, dans les relations sociales et amicales, partout et en tout temps. Soyez assurés que cela vous évitera de céder à la tentation subtile et rapide de transformer les services ecclésiaux en pouvoirs ou en chantiers réservés.

L’ordination vous fait également participer au mystère de l’Amour divin qui s’abaisse pour voir, pour écouter, pour délivrer. « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple, (…) j’ai entendu son cri, (…) oui, je connais ses angoisses et je suis descendu » (Ex 3, 7-8) disait déjà Dieu à Moïse. Le diacre est déjà en état de service par son écoute des désirs de Dieu et de ses appels dans la prière, il l’est aussi en écoutant les « nécessités et les désirs des communautés chrétiennes ». Il peut alors informer les pasteurs de ce dont les fidèles ont besoin pour croître dans le Christ et pour accomplir leur mission d’évangélisation du monde. Communier au mystère de l’Amour de Dieu, veut dire aussi, comme le Maître, servir gratuitement, voire même être parfois rejeté, méconnu, peu considéré. Cela nous aide à nous considérer comme des serviteurs inutiles. C’est dans ces moments où nous pouvons nous réjouir d’aimer, comme Dieu, gratuitement, à perte, pour rien, umsonst lieben und dienen. C’est le sommet de l’Amour crucifié qui donne la vie au monde.

Participer sacramentellement au mystère du Christ Serviteur fait de vous des êtres de communion, à l’image de la Trinité sainte. Lumen Gentium 29 dit que les diacres exercent leur service de diaconie, « dans la communion avec l’évêque et son presbyterium ». Évêques, prêtres et diacres ont reçu le sacrement de l’ordre, dans ses diverses modalités ; ils signifient ensemble que la hiérarchie est, dans le peuple de Dieu, au service de celui-ci, en lui indiquant en permanence la source d’où nous viennent tous les biens. Vous comprenez alors que, plus nous vivons dans l’esprit de communion, plus nous reflétons la beauté du mystère de Dieu et sommes en cohérence avec la grâce reçue. Je vous invite à vivre cet esprit de communion aussi entre vous, diacres. Que votre formation permanente, si nécessaire pour tous les ministres de l’Église, consiste d’abord dans votre collaboration fraternelle, et un partage spirituel qui vous stimule et vous encourage positivement. Le Directoire pour le ministère et la vie des diacres permanents parle précisément de « fraternité sacramentelle » et ajoute : « C’est une bonne chose que les diacres, avec l’accord de l’évêque, en sa présence ou en présence de son délégué, se réunissent régulièrement pour vérifier la façon dont ils accomplissent leur ministère, pour échanger leurs expériences, pour poursuivre leur formation et pour se stimuler mutuellement dans la fidélité ». Votre sens de la communion dans l’humble service vous permettra de donner de beaux fruits et d’éviter le « corporatisme » qui a contribué autrefois à la disparition du diaconat (n. 6).

L’ordination vous a remplis de l’Esprit et des « sept dons de sa grâce ». L’Esprit Saint vous a été donné, dans le mystère et la communion du Corps du Christ, pour la mission. À l’autel, présentez au célébrant et à Dieu le calice des dons, des besoins, des souffrances et des intentions du Peuple saint. Puisez dans l’Eucharistie et dans le sacrement du mariage, pour la plupart d’entre vous, l’amour qui va inspirer et fortifier votre service, l’amour qui va vous faire annoncer la Parole, pas seulement, à travers homélies et catéchèses, mais d’abord par le kérygme, l’annonce simple et directe qui, dans nos conversations quotidiennes, va réchauffer, éclairer, donner sens et vie à nos interlocuteurs. Puisez dans le sacrement du pardon, dans la conversation intime avec Dieu et sa Parole, la miséricorde qui, en purifiant et en élargissant votre cœur, vous consacre « aux œuvres de charité et d’assistance », en repérant en priorité les petits et les plus nécessiteux. En effet, « il s’agit là du ministère le plus caractéristique du diacre ». Le Saint-Père vient de nous rappeler, dans sa Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire qui commencera le 8 décembre prochain, la priorité et l’urgence de la miséricorde, selon le cœur de Dieu.

Que la Vierge Marie vous obtienne toutes les qualités du diacre, mentionnées dans l’Écriture et la Tradition : simplicité de cœur et droiture de conscience ; douceur et miséricorde ; amour humble, chaste, désintéressé et serviable envers tous ; détachement de l’argent… Que la Servante du Seigneur obtienne à vous, les épouses, si sensibles au mystère et à la dignité de la personne humaine, d’aider vos maris sur ce chemin. Vous tous, participants à cette rencontre, redites à Dieu aujourd’hui votre « oui », pour l’accomplissement de tout son dessein. Et demandons l’intercession de Marie auprès de son Fils :

« Marie, Modèle du service caché, qui par ta vie normale et ordinaire remplie d’amour as su seconder de manière exemplaire le plan du salut, daigne faire des diacres des serviteurs bons et fidèles, en leur enseignant la joie de servir dans l’Église avec un amour ardent ».

© Diocèse de Strasbourg - 2015

Des prêtres, disciples, missionnaires et serviteurs

Homélie du Cardinal Jean-Pierre Ricard lors d’une ordination – 28 juin 2015

Le 28 juin 2015, le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et évêque de Bazas, a ordonné deux prêtres et trois diacres en vue du presbytérat, en la cathédrale Saint-André de Bordeaux. Il a structuré son homélie autour de trois points à partir du numéro 199 du Document d’Aparecida sur la figure du prêtre disciple, missionnaire et serviteur. Pour être prêtre-disciple, il convient de cultiver une amitié avec le Seigneur par l’écoute de la Parole et la pratique des sacrements, de chercher sans cesse sa présence mystérieuse et aimante, a-t-il dit. Il a aussi ajouté que c’est de cette relation intime avec le Seigneur que naît « le désir de faire connaître, de partager aux autres sa vie et son amour ». En d’autres termes, d’être des prêtres missionnaires proches de leurs fidèles et « des drames humains ». Enfin, il a appelé les nouveaux prêtres à être aussi des serviteurs, car servir les autres est une source de joie profonde

Chers frères et sœurs dans le Christ,

Plus d’une fois, le pape François a rappelé qu’un des enjeux vitaux pour le dynamisme de l’Église aujourd’hui était de former des disciples missionnaires, c’est-à-dire des chrétiens qui ont été touchés par une rencontre personnelle avec le Christ et qui ont envie de partager à d’autres cette expérience. Le sacerdoce ministériel des évêques et des prêtres, qui est au service du sacerdoce de tous les baptisés, est justement au service de cette formation de disciples missionnaires. Mais – vous le savez – on ne peut vraiment être formateur que si, soi-même, on est entré dans cette dynamique que l’on veut proposer aux autres, que si on laisse le Seigneur former en nous, jour après jour, le disciple et le missionnaire.

Être des disciples missionnaires

Dans le Document d’Aparecida, cette charte de l’évangélisation pour l’Amérique latine, parue en 2007 et rédigée sous la responsabilité de celui qui n’était alors encore que le cardinal Bergoglio, nous lisons : « 199. Le peuple de Dieu sent la nécessité de prêtres-disciples : qui aient une profonde expérience de Dieu, configurés au cœur du Bon Pasteur, dociles aux mouvements de l’Esprit, qui se nourrissent de la parole de Dieu, de l’Eucharistie et de la prière ; de prêtres-missionnaires, mus par la charité pastorale : qui les conduise à prendre soin du troupeau qui leur a été confié et à aller à la recherche de ceux qui sont loin en prêchant la Parole de Dieu. ».

S’il y a des apôtres qui peuvent être pour nous des modèles de ces disciples missionnaires, ce sont bien Pierre et Paul que nous fêtons aujourd’hui.

Des prêtres disciples

Ils sont profondément disciples du Christ. Certes, Pierre a cheminé trois ans avec Jésus de Nazareth. Paul, lui, n’a connu que le Christ Ressuscité, rencontré sur le chemin de Damas. Mais tous les deux vivent une relation profonde avec le Christ. C’est lui, le Seigneur, qui est venu les chercher, les a appelés, les a invités à le suivre, à entrer dans son intimité, dans son amitié, à partager sa croix, à vivre de sa vie. Pierre et Paul nous disent qu’être disciples, ce n’est ni une affaire d’appartenance à un groupe, ni une question d’adoption d’une idéologie, mais c’est une affaire d’amour. Par trois fois, Jésus demande à Pierre : « Simon, m’aimes-tu ? », et Pierre de répondre : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime ». Toute la vie de Paul est bouleversée par cette relation d’amour du Christ qu’il expérimente. Pour lui, vivre, c’est le Christ (Ph 1, 21). Dans l’épître aux Galates, il écrit : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (2, 20).

Chers frères qui allez être ordonnés, nourrissez toujours cette amitié avec le Seigneur, par un cœur à cœur avec lui, par une écoute attentive de sa Parole, par l’accueil de sa vie dans l’Eucharistie et le Sacrement du pardon. Soyez des chercheurs de Dieu. C’est l’aventure de toute une vie. Soyez habités par cette quête intérieure. Les gens ne s’y trompent pas. Rien n’est plus triste qu’une âme blasée, « habituée », aurait dit Péguy, l’âme de celui qui a l’impression d’avoir fait le tour de tout, même de Dieu. Au contraire, je suis dans l’admiration devant le visage de ces prêtres âgés, qui ont gardé cette jeunesse du cœur, qui sont à la recherche du visage du Seigneur et qui disent avec le psalmiste : « Comme languit une biche après l’eau vive, ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant ; quand irai-je voir la face de Dieu ? » (Ps 42, 2-3). Ayez toujours faim et soif de cette présence mystérieuse et aimante du Seigneur.

Soyez des apôtres, des disciples missionnaires !

Des prêtres missionnaires

C’est de la contemplation du Christ que naît ce désir de le faire connaître, de partager aux autres sa vie et son amour. La mission n’est pas propagande. Elle est invitation. Elle est fondamentalement proposition d’aller à la rencontre du Seigneur et d’entrer dans l’expérience de son amitié. Dans son exhortation « La joie de l’Évangile », le pape François écrit : « Quand nous nous arrêtons devant Jésus crucifié, nous reconnaissons tout son amour qui nous rend dignes et nous soutient, mais, en même temps, si nous ne sommes pas aveugles, nous commençons à percevoir que ce regard de Jésus s’élargit et se dirige, plein d’affection et d’ardeur, vers tout son peuple. Ainsi, nous redécouvrons qu’il veut se servir de nous pour devenir toujours plus proche de son peuple aimé. Il nous prend du milieu du peuple et nous envoie à son peuple, de sorte que notre identité ne se comprend pas sans cette appartenance. » (n. 268). La fête des Apôtres Pierre et Paul nous rappelle que nous avons à annoncer la Bonne nouvelle du salut à tous et à nous approcher de tous, comme le Christ, lui-même, s’est approché de toutes les foules qui venaient à sa rencontre. On ne peut être pasteurs comme le Christ que si nous entrons dans ce regard et cet amour du Seigneur qui se laisse bouleverser au plus profond de lui-même à la vue de ces foules qui étaient harassées et prostrées comme des brebis qui n’ont pas de berger (cf. Mt 9, 36). Comme prêtres, ne restons pas distants du cœur des drames humains. Acceptons d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse. Ne soyons pas des pasteurs « qui se maintiennent à distance des plaies du Seigneur » (n. 270) !

Des prêtres serviteurs du Seigneur

Enfin, comme disciples missionnaires, soyons les serviteurs du Seigneur. N’oublions pas qu’à travers nous, c’est Dieu qui agit et qui touche les cœurs. Je crois que c’est une des joies les plus profondes de notre vie de prêtre que de découvrir, émerveillés, cette action du Saint-Esprit, que ce soit dans une parole qui a été dite, dans une homélie, dans une rencontre pastorale, dans la célébration du sacrement de Pénitence et de Réconciliation. Comme Saint Paul, nous découvrons que l’Évangile annoncé n’est pas simple discours humain mais puissance d’illumination et de transformation intérieure grâce à l’Esprit Saint (cf. I Th. 1, 5). À ceux qui sont découragés, accablés par la vie, mystérieusement en attente d’une parole de confiance et d’espérance, n’ayons pas peur de dire, comme Pierre à l’infirme de naissance : « De l’or et de l’argent, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ, le Nazaréen, lève-toi et marche » (Ac. 3, 6). Cela sera source en nous d’une profonde joie.

Dieu appelle aujourd’hui

Frères et sœurs, les Apôtres Pierre et Paul nous rappellent que l’aventure apostolique n’appartient pas au passé. Elle se poursuit aujourd’hui. Oui, le Seigneur appelle à tous les âges, des jeunes et des plus âgés. Il appelle et il envoie.

Rendons grâce à Dieu pour tous ceux qui, dans ces ordinations, répondent ce soir à cet appel et portons dans notre prière tous ces enfants, ces jeunes et ces adultes qui entendent aujourd’hui, dans notre diocèse, cet appel du Seigneur, qui vient dire à chacun : « Viens, suis-moi, je ferai de toi un pêcheur d’hommes ». Amen.

© Diocèse de Bordeaux - 2015

Méditation sur la Parole

Enseignants clandestins

Jésus redonne au pauvre sourd-muet la capacité d’écouter les autres et de prendre la parole. En réfléchissant sur cet évangile, l’abbé John Dane rappelait que ce handicap l’empêchait de participer aux coutumes et aux traditions de son peuple, car il ne comprenait pas ce qui se passait et il ne pouvait pas s’exprimer. Et Dane ajoute qu’il en est souvent ainsi pour plusieurs chrétiens dans notre monde moderne. Les pays dominants imposent leurs valeurs et leur langue, en empêchant ceux et celles des autres pays d’utiliser leur langage et de conserver leurs propres traditions. Il propose comme exemple l’Irlande au 16e et 17e siècle. Les envahisseurs anglais avaient défendu aux gens de parler leur langue, de transmettre leurs traditions, de célébrer leurs fêtes religieuses. Tout avait été mis en place pour que fonctionne à plein le « processus d’assimilation » à la langue et à la culture britannique.

Ce qui a sauvé la culture et la religion du peuple irlandais, ce sont les « hedge-school teachers », c’est-à-dire les enseignantes et les enseignants clandestins. Ces jeunes adultes allaient le long des sentiers des campagnes d’Irlande avec un ou deux adolescent(e)s, longeant les murs de pierre que l’on retrouve un peu partout en Irlande (d’où le nom de hedge-school teachers), et ils leur enseignaient, en cachette et de façon « illégale », la langue maternelle et les traditions ancestrales. Ils parlaient de leurs anciennes fêtes religieuses, du folklore irlandais, de la foi de leurs aïeux. C’est ainsi que la culture et la religion irlandaises, vieilles de plusieurs siècles, ont pu être conservées, malgré l’oppression des envahisseurs.

Aujourd’hui, des millions de chrétiens du 21e siècle, ont perdu leur langage ancestral, leurs fêtes religieuses, leurs traditions d’autrefois. Nous avons oublié notre héritage culturel et religieux. Nous sommes devenus sourds et muets face à nos traditions, comme l’homme de l’évangile d’aujourd’hui. Nous ne comprenons plus notre propre culture et ne pouvons plus l’expliquer à la génération montante.

Nous aussi aurions besoin de « hedge-school teachers », d’enseignants clandestins pour apprendre aux jeunes et aux moins jeunes le langage chrétien, les traditions religieuses et la culture de nos ancêtres. Bien sûr, les abus de pouvoir des dirigeants religieux doivent être condamnés, les gaffes du clergé corrigées, les fêtes et les traditions épurées, purifiées, nettoyées, mais l’essentiel reste valable et constitue une valeur sûre qui mérite d’être transmis.

Un peu comme le sourd qui avait de la difficulté à parler, la jeune génération ne sait plus parler la langue des ancêtres parce qu’elle s’est fait imposer le langage, les traditions, les coutumes de la culture dominante : ceux de la postmodernité, de la consommation effrénée, et de l’individualisme à outrance.

Nous avons perdu une bonne partie de notre langage religieux et la majorité de nos fêtes traditionnelles. Pensez seulement à ce qui est arrivé à la fête de Noël avec ses cartes de « Season’s greetings », et essayez d’y trouver un motif religieux… c’est maintenant devenu la fête du Père-Noël. La fête de Pâques est la fête des lapins de chocolat ! La Saint Jean Baptiste, fête nationale des Canadiens français, n’a plus aucun lien avec la culture religieuse du passé! Et toutes les autres fêtes ont été remplacées par des célébrations de week-end prolongé !

Demandez aux jeunes ce qu’ils savent de la fête de l’épiphanie, de la présentation au temple, de la saint Jean Baptiste, de la fête de St-Pierre et St-Paul, de la fête de tous les saints ?... Pour ce qui est de connaître le langage chrétien : le Notre Père, le sermon sur la montagne, les paraboles, les épisodes du vendredi saint, les commandements, etc. tout cela constitue un langage inconnu qui ne fait plus parti de l’apprentissage familial et scolaire.

Dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est pas facile de vivre en chrétiens. La pression sociale est très forte. Une jeune fille qui n’a pas fait l’amour à dix-huit ans doit cacher ce fait comme si c’était honteux. Un jeune adulte est arriéré s’il n’a pas essayé la drogue. La violence à la tv, l’intimidation à l’école, le sexe à volonté, l’obligation de réussir à tout prix, font parti de notre culture, dans une société de compétition effrénée. Un peu comme aux Irlandais du 16e et du 17e siècles, on nous oblige aujourd’hui à parler le langage du plus fort, de la civilisation dominante.

Nous les chrétiens devons réapprendre à écouter la parole de Dieu afin de comprendre son message et devenir nous aussi des enseignants clandestins. Nous pourrons alors transmettre aux jeunes notre langage, nos valeurs, nos traditions, parler de nos fêtes, même si elles ne sont plus soulignées dans les calendriers de la culture laïque, souffler à l’oreille des enfants l’histoire et la fierté de nos familles chrétiennes, leur présenter nos valeurs fondamentales.

La préparation à cette responsabilité vitale commence par nos rencontres eucharistiques. Nous apprenons à écouter la parole de Dieu et nous nous engageons à vivre de cette parole, à la partager avec d’autres. Le Seigneur peut ouvrir nos oreilles pour nous permettre de bien comprendre sa parole et nous donner le courage de proclamer son message. C’est le sens du miracle raconté dans l’évangile d’aujourd’hui.

Dans le temps de S. Marc, les chrétiens devaient faire face aux mêmes difficultés que nous. L’état romain, malgré sa tolérance apparente, était un état laïc et les gens qui, comme les premiers chrétiens, n’étaient pas conformes et ne faisaient pas le jeu des autorités en place, étaient poursuivies. Malgré ces menaces, les chrétiens se rassemblaient dans les maisons, le jour du Seigneur, transmettaient leurs valeurs, leur langage, leurs traditions aux plus jeunes. C’est grâce à cette transmission clandestine que la foi chrétienne est parvenue jusqu’à nous.

Il ne s’agit pas de rejeter la culture dans laquelle nous vivons mais de savoir y conserver nos valeurs, nos fêtes, notre langage et nos traditions, comme les premiers chrétiens l’ont fait dans l’empire romain. « Seigneur, ouvre nos oreilles pour comprendre ton message et délie notre langue pour savoir l’annoncer ».

© Cursillo - 2015