PKO 29.05.2014

eglise-cath-papeete-1.jpgJeudi 29 mai 2014 – Solennité de l’Ascension du Seigneur – Année A
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°31/2014

L’Eucgharistie aussi est une ascension

Homélie du Cardinal BARBARIN

Voici une homélie du Cardinal Barbarin archevêque de Lyon, donnée à l’occasion de la fête de  l’Ascension.

« Ils le virent s’élever et disparaître à leurs yeux ». On imagine sans peine les sentiments de ces pauvres « Galiléens » qui auraient aimé garder Jésus avec eux. Après l’avoir vu sortir victorieux de la mort ignoble qu’on lui avait infligée, après avoir reçu « bien des preuves » de sa Résurrection « pendant quarante jours », les Apôtres estiment que Jésus pourrait les délivrer de l’occupant romain : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? ». Rien ne saurait désormais lui résister, et ils aimeraient en profiter.

Mais le Seigneur répond assez vertement : « Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates que le Père a fixés. » Au long de son ministère, Jésus n’a pas réussi à purifier leur cœur, à les conduire vers la pauvreté intérieure. On se souvient du jour où, après avoir multiplié les pains, il avait dû s’enfuir à la montagne, car les gens déjà avaient voulu « s’emparer de lui pour le faire roi » (Jean 6, 15). Dans son discours d’adieux, il avait expliqué aux Apôtres : « Il vaut mieux pour vous que je m’en aille. » Mais là non plus, nous ne sommes pas sûrs qu’il ait été compris. Il promet, après son départ, le don de l’Esprit, cette force qui leur permettra d’annoncer l’Évangile « jusqu’aux extrémités de la terre ». C’est ainsi que l’Eglise prendra son essor, que se construira le Corps du Christ et que « nous parviendrons ensemble (…) à l’état de l’Homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ », comme l’explique la lettre aux Ephésiens. «  Ainsi le Corps se construit dans l’amour. »

L’Ascension, un envoi en mission

Lors de la fête de l’Ascension, nous sommes invités à considérer ce départ, non comme un abandon, car le Seigneur nous a assurés du réconfort de sa présence : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mat. 28, 20), mais comme un envoi en mission. C’est tout un symbole de constater que la première lecture nous situe au commencement des Actes des Apôtres. La méditation de ce livre nourrit particulièrement l’Église de Lyon, dans cette « année de la mission » qui va atteindre son point culminant lors de la fête de Pentecôte.

Les Actes décrivent de manière précise et vivante la vie de la communauté naissante et le parcours des premiers messagers de la Résurrection autour du bassin méditerranéen. Prier et écouter l’enseignement de la foi, vivre comme des frères et n’avoir qu’un seul cœur, partir et parler avec assurance, ne craindre ni les tribunaux ni les quolibets…, tels sont les points caractéristiques de la vie des disciples du Seigneur. L’Église est toujours en train de commencer, au XXIème siècle comme aux premiers jours.

Mais dans la fête de l’Ascension, on ne saurait se contenter de penser à l’Église à bâtir. Nous sommes appelés à contempler l’événement, sans en rester au regard nostalgique des Apôtres vers Jésus qui s’élève. Ce départ est aussi une promesse pour notre avenir ; il nous rappelle que le mystère du Royaume est présent dans la vie des baptisés, car le baptême nous a plongés dans la mort et la résurrection de Jésus. Et c’est vrai pour chacun des sacrements.

L’Eucharistie, une ascension

La célébration de l’Eucharistie est,  à sa manière,  une ascension, un appel à nous laisser emporter par le Christ, pour monter à la rencontre du Père. C’est notre vocation ; qu’on ne la considère pas comme une fuite de nos engagements en ce monde. La prière « eucharistique » qui exprime notre union à l’action de grâce du Christ, nos frères chrétiens d’Orient l’appellent anaphore, c’est-à-dire justement ascension.

Regardons le déroulement de la Messe. Elle commence par l’évocation de la création et la confession de nos péchés qui sont comme la déchirure de ce monde. Tout cela est confié à la miséricorde de Dieu, et le chant du Gloria rappelle la joie de Noël où le salut est accueilli sur la terre. La seconde lecture évoque ce mouvement : « Que veut dire : “il est monté” ? Cela veut dire qu’il était descendu jusqu’en bas sur la terre. » Nous écoutons la Parole qui s’est faite chair ; la création entière entre dans la célébration par la musique et les chants, l’encens, les bougies et les fleurs, l’offrande matérielle. Toute la vie des hommes, évoquée dans les intentions de la prière universelle, est présentée à Dieu. Et l’ensemble est symbolisé par le pain et le vin.

C’est alors qu’arrive le moment caractéristique où l’on perçoit que l’Eucharistie est une ascension.

Dans le dialogue initial de la Préface, le prêtre s’adresse au peuple en disant : « Élevons notre cœur » (Sursum corda). La réponse :

C’est alors qu’arrive le moment caractéristique où l’on perçoit que l’Eucharistie est une ascension. Dans le dialogue initial de la Préface, le prêtre s’adresse au peuple en disant : « Élevons notre cœur » (Sursum corda). La réponse : « Nous le tournons vers le Seigneur » (Habemus ad Dominum ) peut être entendue comme une protestation, comme si les fidèles disaient au célébrant : « Pourquoi croyez-vous que nous sommes ici ? Ne vous faites pas de souci ; il va de soi que notre cœur est tourné vers Dieu. » Saint Augustin, commentant ce passage, voit dans la parole du prêtre une invitation à une attitude plus humble : Ne vous vantez pas. Vous savez bien que notre cœur, d’ordinaire, est plutôt tourné vers les réalités terrestres. Alors, s’il est vrai que nous sommes maintenant tournés vers le Seigneur, soyons dans l’action de grâce,  car c’est un cadeau que Dieu nous fait : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu. » Et le peuple, remis dans une attitude spirituelle plus vraie par son pasteur, reconnaît humblement : « Cela est juste et bon. »

L’ascension va donc pouvoir commencer, et elle est fulgurante. La Préface invite l’assemblée à s’élever, dirais-je… à s’envoler ? Elle exprime les raisons pour lesquelles « il est juste et bon »  de rendre grâce à Dieu. Qu’ils sont beaux et variés à l’infini, les textes de nos préfaces dans le Missel romain ! Ils parcourent les mystères de la création et du salut, et aboutissent, par un élan vertigineux, à nous faire parvenir à l’entrée du Royaume. Et c’est dans une compagnie céleste, « avec les anges et tous les saints », que nous allons chanter : « Saint, saint, saint le Seigneur ». Le Sanctus, quelle étonnante prière où s’interpénètrent  le ciel et la terre ! On y mélange le chant des séraphins (Isaïe 6, 3) avec les acclamations des habitants de la Jérusalem terrestre lorsqu’ils accueillirent Jésus comme le Roi Messie : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur,Hosanna ! » (cf. Mat. 21, 9).

Le Christ nous entraîne vers le Père

On a l’impression, dans cette ascension, que le Christ est « le premier de cordée », si l’on peut dire, et que les disciples avancent derrière lui, sur ce chemin spirituel escarpé, jusqu’au seuil de la Maison du Père. Fortifiés par la présence de Jésus, « par Lui, avec Lui et en Lui », nous nous préparons à vivre la rencontre avec le Père. C’est le Fils unique, notre Seigneur, qui nous a expliqué comment Lui parler avec confiance, dans la prière. C’est pourquoi, « selon son commandement, nous osons dire : Notre Père qui es aux cieux… »

Arrivés au terme de notre ascension, nous sommes accueillis dans cette Maison où, pour le dernier jour, Jésus est parti nous préparer une place (cf. Jean 14, 2). Et le Père, répondant à notre demande,  nous montre son Fils, Celui-là même qui vient de nous conduire à sa rencontre. Depuis l’origine, Il n’a pas d’autre cadeau à nous faire : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique » (Jean 3, 16). Il offre son Fils comme un « pain vivant descendu du ciel pour nous nourrir ». Quand Jésus disait aux Apôtres, avant de s’élever de terre, « vous allez recevoir une force » - c’était notre première lecture -, il désignait l’Esprit Saint qui nous aiderait à être de vrais témoins. Cette force, nous la recevons aussi dans l’Eucharistie, pain vivifié par l’Esprit, qui nous redonne l’élan intérieur, le dynamisme pour l’accomplissement de notre mission d’artisans de paix.

« Je vous laisse ma paix… »

Car il s’agit d’abord d’un travail de paix. Il est étonnant de voir le nombre de fois où la paix est mentionnée entre le Notre Père et la communion. Déjà au  jour de Noël, l’enfant qui vient de naître est appelé le Prince de la paix. Il rend gloire à Dieu au plus haut des cieux, et porte la paix sur la terre aux hommes, car Dieu les aime. Juste avant la communion, la liturgie nous rappelle la tâche que Jésus nous a confiée, dans son discours-testament : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jean 14, 27), soyez des artisans de paix, des semeurs de la joie de l’Évangile.

Réjouie par cette nourriture céleste, l’Église, Corps du Christ continué dans l’espace et dans le temps, l’Eglise fortifiée par l’assistance du Ressuscité et l’aide de tous les saints qui, comme la petite Thérèse, passent leur ciel à faire du bien sur la terre,  l’Eglise reprend sa route, au milieu des hommes, comme une servante de la joie en ce monde.

© Lyon-catholique – 2006

L’ascension, un pont entre Dieu et l’humanité

Mgr André Dupleix, secrétaire général adjoint de la conférence des évêques de France

L'Ascension est souvent plus évoquée en raison du long week-end ou du pont dont elle est l'occasion que selon sa véritable signification spirituelle. « Pont de l'Ascension » : la jonction de ces deux mots est pourtant propre à nourrir notre réflexion. La traversée et la montée... le passage et l'élévation... Si nous acceptons - au prix d'un petit détour symbolique - d'éclairer ces trois jours de repos ou de loisir par une autre lumière venue du Christ, nous pourrons les vivre bien différemment.

Le message de l'Ascension peut se résumer en trois exhortations : élever notre regard, garder confiance jusque dans l'inattendu, prendre en charge notre destinée.

Élever notre regard. Non pas pour fuir la réalité ou voir les choses de si haut qu'on ne les perçoit plus du tout mais pour s'habituer à observer les êtres et les événements par leur grand angle, leur plus haute mais tout aussi profonde dimension. Car élever le regard, c'est aussi l'intérioriser, le laisser traverser pour aller plus loin, pour comprendre, pour aimer.

Garder confiance jusque dans l'inattendu. L'Ascension rappelle aux chrétiens que Jésus quitte leur proximité visible et disparaît à leurs yeux. Alors commence vraiment le temps de la confiance. Cette confiance qu'il nous faut maintenir, même dans l'imprévisible, dans l'absence, dans les plus fortes tensions de l'existence. Une flamme veille toujours au creux de l'absence, qui ne demande qu'à nous éclairer.

Prendre en charge notre destinée. « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (Ac 1,11) disent les hommes en blanc aux apôtres fixant les nues. Le départ du Christ est, en fait, un appel au plus grand engagement dans le monde. Le christianisme relie l'invisible et le témoignage. La foi n'est pas une fuite ou une démission, au contraire : nous sommes invités à nous mesurer à tous les défis présents et à faire jaillir l'espérance comme un cri lancé jusqu'aux limites du monde.

Le « pont de l'Ascension » ? Oui. Mais un pont qui relie tous les éléments de l'histoire et de nos propres existences. Un pont entre passé et avenir, un pont entre les cultures et les races, entre Dieu et l'humanité. Pont dominant toutes les peurs, pour conduire sur une terre de lumière.

La fête de l'Ascension, l'une des plus importantes du calendrier, complète celle de Pâques et prélude à la Pentecôte, célébrée dix jours plus tard.

Le jour de l'Ascension, la couleur des vêtements liturgiques (que porte le prêtre) est le blanc, couleur de la fête, de la lumière et de la joie.

L'Ascension n'est pas un départ si ce n'est au sens de « début ».