PKO 24.122.2014

Eglise cath papeete 1Mardi 23 décembre 2014 – Solennité de la Dédicace de la Cathédrale – Année B
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°67/2013

La Cathédrale de Papeete

Extrait du livre « Tahiti 1834-1984 » de R.P. Paul Hodée

Entre la première pierre bénite le 8 décembre 1856 et sa consécration le 23 décembre 1875 par Mgr Tepano Jaussen, une histoire complexe et douloureuse marque ces dix-neuf années de la construction de la petite cathédrale Notre-Dame de Papeete, dédiée à l'Immaculée Conception. Trois ans pour édifier la cathédrale de 2 000 places de Rikitea par deux frères et les mangaréviens ; dix-neuf ans pour bâtir la cathédrale de 400 places de Papeete, ce contraste situe une profonde différence de situation.

Arrivant en 1849 pour fonder le Vicariat Apostolique de Tahiti, Mgr Tepano Jaussen ne trouve à Papeete qu'une petite chapelle en bois de 20 mètres de long sur 6 de large. Ce modeste édifice, construit par la Mission sur la rive gauche du ruisseau de Sainte-Amélie - emplacement actuel de la librairie Hachette-Pacifique en bas de l'avenue Bruat - sert d'église paroissiale de Papeete pendant 32 ans. Le terrain avait été donné par le gouverneur Bruat le 18 juin 1844 en échange de la terre de Tuareva que la Reine Pomaré IV avait offert, le 28 mai 1842, « aux missionnaires catholiques à l'effet d'y bâtir une maison de prières, conformément à la promesse faite au capitaine Laplace » en juin 1839. De plus, en échange du terrain donné par la Reine et que le gouverneur avait repris pour y implanter une batterie commandant l'accès au port, Bruat « prend l'engagement d'élever une église dans un lieu qu'il jugera convenable » (10 mars 1851). De fait, avec solennité, une première pierre est posée « dans un champ au sud du jardin du gouverneur. Cette pierre n'en a pas vu arriver d'autres ». L'évêque se trouve pris entre deux sentiments qu'il exprime au procureur de la Maison-Mère de Picpus à Paris (15 octobre 1852). « Ce que je désirais le plus ce serait de bâtir ma cathédrale. Vous pensez que le Gouvernement pourrait en faire la dépense. Il me semble que ce serait justice. Mais dois-je espérer qu'il en soit ainsi ? Je n'ose le faire. »

Toute l'histoire complexe et conflictuelle de la cathédrale - démolition en 1870, querelle des préséances en 1878, excommunication et suspense en 1889 - se trouve en germe dans cette ambiguïté initiale. L'évêque voit la cathédrale, l'église-mère de son diocèse; le Gouvernement français ne veut qu'une « chapelle catholique, une église de la colonie française à Papeete » dont il contrôle le clergé. Avec le gouverneur de la Richerie et sa loi du 18 mars 1860 sur le « culte national », l'ambiguïté devient divergence radicale. L'opposition entre le Gouvernement et la Mission catholique se cristallisera sur la cathédrale jusqu'au coup de force contre Mgr Verdier empêché d'y célébrer par le président du Conseil de Fabrique, soutenu par le curé de Papeete, le P'. Collette, le 5 avril 1889.

Après la promesse du commandant Bruat et sa première pierre sans suite, le gouverneur du Bouzet, en 1855, « offre à la Mission, pour construire une église, un terrain situé entre les rues de Rivoli, Bonard et Collet ». C'est un terrain boueux sur plus de 20 pieds de profondeur ; l'évêque y trouve un banc de corail sur lequel l'église actuelle repose. Mgr Tepano Jaussen, impressionné par le travail des frères et des mangaréviens qui avaient édifié la cathédrale Saint-Michel de Rikitea, se décide à faire appel à eux, d'accord avec le gouverneur. Parti le 28 mai 1856 sur le « Tenemanu », commandé par l'enseigne Hardy, l'évêque est de retour à Papeete le 6 juillet ; 60 mangaréviens accompagnent le frère Gilbert Soulié, chef des travaux. Mgr Jaussen a dessiné un bâtiment de 50 mètres de long sur 20 de large. Les fondations sont creusées à quatre pieds de profondeur jusqu'au banc de corail. « On y jette un premier lit d'énormes pierres dures et carrées », tirées du rocher basaltique de la vallée de la Mission. Au-dessus les maçons « rangent des pierres moins grosses et d'énormes et longues pierres tirées du ruisseau ».

Ce gros travail de fondation terminé, Mgr Jaussen bénit avec solennité, le 8 décembre 1856, fête de l'Immaculée Conception à qui la cathédrale est dédiée, la première pierre de l'édifice religieux qui lui tient le plus à cœur. Quatre mois plus tard, les murs atteignent 9 à 10 pieds de hauteur. « On laisse le tout se reposer; les fondations ont besoin de s'asseoir, la bourse est vide » et les mangaréviens qui ont perdu quatre de leurs compagnons, décédés depuis leur départ, ont le mal du pays. Sous la conduite du frère Gilbert, ils partent de Papeete le 26 avril 1857 et arrivent au « fenua » le 10 mai suivant.

Le gouverneur du Bouzet donne, le 13 juin 1858, « une allocation de 8 000 F, au titre du budget de 1857, pour la construction d'une église à Papeete et le titre de concession du terrain ». De son côté Mgr Jaussen met de côté « son salaire comme aumônier de la Marine pour la cathédrale » (10 mars 1851). Le Supérieur Général, la même année, lui obtient un don à Paris. L'évêque  estime le coût de la cathédrale entre 120 et 150 000 F. Selon la promesse de Bruat, il espère que le Ministère des Cultes à Paris aidera le Gouvernement de la Colonie à la financer en partie puisqu'elle sert aussi à la présence française et au service des « marins, soldats et colons ». En 1855, l'évêque commande en Australie des moëllons de grès, des briques et autres matériaux ; un premier chargement fait naufrage. D'autres le remplaceront. Pour asseoir l'édifice, ramasser de nouveaux fonds et permettre aux mangaréviens de sculpter les pierres qu'ils avaient emportées dans leur île, Mgr Jaussen prévoit deux années d'arrêt du chantier.

Une commission d'enquête, présidée par le capitaine Lombardeau, remet ses conclusions sur les travaux effectués le 15 mars 1859. Le gouverneur Saisset avait fait remarquer qu'il ne convenait pas qu'une cathédrale, bâtiment public, fut construite par la Mission ; le Gouvernement devait, en partie, prendre cela à sa charge. Cette offre, correspondant aux idées de l'évêque, était-elle sincère ou hypocrite ? « L'Église... est conçue selon un plan assez grandiose et dans l'hypothèse probable que, dans un avenir peu éloigné, Papeete deviendra le siège archiépiscopal du clergé catholique français dans l'océan Pacifique... Les maçonneries s'élèvent à 3 mètres, se développent sur 53 mètres de longueur, 22 mètres de largeur et représentent un volume de 14 000 mètres cubes. Le style est gothique... Les dépenses faites se montent à 80 000 F, ainsi répartis : subvention locale : 23 000 F, dépenses de la Mission : 41 000 F, matériaux accumulés : 16 000 F... Le tout résulte d'une bonne gestion économique de la part de la mission catholique...

La construction est très solidement assise sur de larges et profondes fondations avec connaissance des difficultés à surmonter. Sauf la partie supérieure qu'il sera bon de démolir sur 40 centimètres, le reste peut être consacré pour servir à la continuation de l'église. La Commission émet le vœu que l'église de Papeete, en vue de son importance future, soit continuée par les soins du Gouvernement et qu'il soit ouvert à cet effet un crédit extraordinaire de 290 000 F, à répartir en six annuités égales...

La Commission demande que... l'achèvement de l'église de Papeete sur ses anciennes bases et à compter de l'appui des fenêtres, soit confié au directeur des Ponts et Chaussées... , que les travaux soient repris le 1er octobre courant et soient achevés le 1er octobre 1865. »

L'arrivée du gouverneur de la Richerie, la loi sur le « culte protestant national », les entraves mises à la mission catholique changent les plans. Le Vicaire Apostolique quitte Tahiti durant quatre ans. M. de la Richerie propose au P. Collette : « Que diriez-vous si, en moins de deux ans, vous aviez une église en pierre, mais plus petite que celle qu'on a entreprise ? » Cette énigme s'éclairera plus tard.

Avant de partir, M. de la Richerie fait voter 130 000 F par annuités de 15 000 F pour continuer la construction. En 1865, Mgr Jaussen rappelle 40 mangaréviens ; il espère couvrir la cathédrale en 1867 « s'il n'y a pas de malheurs ». En 1866, l'évêque demande au nouveau gouverneur de la Roncière les 3 annuités échues, soit 45 000 F pour payer les ouvriers. Le gouverneur offre 15 000 F et nomme une nouvelle Commission, composée uniquement d'officiers sans participation du maître-d'œuvre. Les tranchées ouvertes trouvent les fondations solides, mais le ciment, fait selon la formule ordonnée par le Génie et appliquée au phare de la pointe Vénus alors en construction, transformé en boue. Le gouverneur, contre le rapport du capitaine de la Taille, condamne l'édifice commencé sans énoncer les motifs.

M. de Jouslard qui lui succède le 12 juin 1869 propose à l'évêque de reprendre la construction. Comme il fallait une nouvelle Commission pour casser les conclusions de la précédente, MgrJaussen demande au gouverneur d'écrire sa proposition. M. de Jouslard croit voir une manœuvre dans cette demande et ordonne la démolition de la première cathédrale. « Suivant la décision du Ministre, tous les matériaux entrés dans la construction sont propriété de l'administration qui emploie les moëllons pour faire le quai. Les matériaux réunis autour de la construction reviennent à la Mission qui vend les moëllons pour les quais et emploie les pierres de taille à la construction de l'évêché. » La Mission avait dépensé 135 023 F dont elle récupère 42 453 F en matériaux.

Alors le Gouvernement, au même emplacement, construit la cathédrale actuelle pour 110 000 F. Elle est moitié plus petite : 36 mètres de long sur 12 mètres de large. Les trois portails sculptés par les mangaréviens y sont incorporés. Elle est consacrée le 23 décembre 1875. Très rapidement elle s'avérera trop petite. Elle est administrée par un Conseil de Fabrique, selon la loi de 1809 ; ce Conseil sera légalement reconnu le 16 juin 1892. En 1878, le Gouverneur voulant dans les cérémonies officielles une place d'honneur dans le chœur à égalité avec le trône réservé à la Reine, Mgr Jaussen refuse cette prétention, surtout qu'il « ne peut en conscience placer une Reine protestante dans le chœur réservé au clergé », Dans le contexte polémique du temps, cette querelle des préséances dans la cathédrale nouvelle fit quelque bruit.

En 1900, vingt-cinq ans après tous ces événements, le P. Georges Eich écrit : « Mgr d'Axiéri et tous les membres de la Mission ont vu plus tard dans l'arrêt de la construction de la cathédrale de Papeete, un trait de la Providence. Tous les fonds de la Mission y auraient passé, les forces de nos bons frères s'y seraient épuisées, les églises en pierres et l'évêché n'auraient pas été construits et l'argent aurait manqué pour commencer l'évangélisation des Îles païennes des Paumotu de l'Est. » On peut ajouter que la nouvelle église « Maria no te Hau » de Papeete, inaugurée le 7 juin 1975, n'aurait sans doute pas vu le jour s'il y avait eu une grande cathédrale à Papeete.


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