PKO 22.09.2014

Lundi 22 septembre 2014 – Messe pour la Paix – Année A
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°51/2014

La Guerre est une folie

Homélie du pape François au cimetière militaire de Redipuglia le 13 septembre 2014

Après avoir contemplé la beauté du paysage de toute cette région, où des hommes et des femmes travaillent en conduisant leur famille, où les enfants jouent et où les personnes âgées rêvent… me trouvant ici, en ce lieu, je trouve seulement à dire : la guerre est une folie.

Alors que Dieu dirige sa création, et que nous les hommes, nous sommes appelés à collaborer à son œuvre, la guerre détruit. Elle détruit aussi ce que Dieu a créé de plus beau : l’être humain. La guerre défigure tout, même le lien entre frères.

La guerre est folle, son plan de développement est la destruction : vouloir se développer au moyen de la destruction ! La cupidité, l’intolérance, l’ambition du pouvoir… sont des motifs qui poussent à décider de faire la guerre, et ces motifs sont souvent justifiés par une idéologie ; mais d’abord il y a la passion, il y a une impulsion déformée. L’idéologie est une justification ; et quand il n’y a pas d’idéologie, il y a la réponse de Caïn : « Que m’importe ? », « Suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9).

La guerre ne regarde personne en face : personnes âgées, enfants, mamans, papas… « Que m’importe ? ». Au dessus de l’entrée de ce cimetière, flotte la devise narquoise de la guerre : « Que m’importe ? ». Toutes ces personnes, dont les restes reposent ici, avaient leurs projets, leurs rêves… ; mais leurs vie ont été brisées. L’humanité a dit : « Que m’importe ? »

Aujourd’hui encore, après le deuxième échec d’une autre guerre mondiale, on peut, peut-être, parler d’une troisième guerre combattue « par morceaux », avec des crimes, des massacres, des destructions…

Pour être honnête, la première page des journaux devrait avoir comme titre : « Que m’importe ? » Caïn dirait : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Cette attitude est exactement à l’opposé de ce que demande Jésus dans l’Évangile. Nous l’avons entendu : il est dans le plus petit de ses frères : lui, le Roi, le Juge du monde, il est l’affamé, l’assoiffé, l’étranger, le malade, le prisonnier… Celui qui prend soin du frère entre dans la joie du Seigneur ; celui qui, en revanche, ne le fait pas, qui par ses omissions dit : « Que m’importe ? », reste dehors.

Ici, il y a beaucoup de victimes. Nous les rappelons aujourd’hui. Il y a les pleurs, il y a la douleur. Et d’ici nous rappelons toutes les victimes de toutes les guerres. Aujourd’hui encore les victimes sont nombreuses… Comment cela est-il possible ? C’est possible parce que, aujourd’hui encore, dans les coulisses, il y a des intérêts, des plans géopolitiques, l’avidité de l’argent et du pouvoir, et il y a l’industrie des armes, qui semble être tellement importante !

Et ces planificateurs de la terreur, ces organisateurs de l’affrontement, comme également les marchands d’armes, ont écrit dans leurs cœurs : « Que m’importe ? ». C’est le propre des sages, que de reconnaître leurs erreurs, d’en éprouver de la douleur, de les regretter, de demander pardon et de pleurer.

Avec ce « Que m’importe ? » qu’ont dans le cœur les affairistes de la guerre, peut être gagnent-ils beaucoup, mais leur cœur corrompu a perdu la capacité de pleurer. Ce « Que m’importe ? » empêche de pleurer. Caïn n’a pas pleuré. L’ombre de Caïn nous recouvre aujourd’hui, dans ce cimetière. On le voit ici. On le voit dans l’histoire qui va de 1914 jusqu’à nos jours. Et on le voit aussi de nos jours.

Avec un cœur de fils, de frère, de père, je vous demande à vous tous, et pour nous tous, la conversion du cœur : passer de ce « Que m’importe ? », aux larmes. Pour tous ceux qui sont tombés dans l’« hécatombe inutile », pour toutes les victimes de la folie de la guerre, en tout temps. L’humanité a besoin de pleurer, et c’est maintenant l’heure des larmes.

© Copyright 2014 – Libreria Editrice Vaticana

 

Ubi primum

Exhortation du Pape Benoit XV aux catholiques du monde entier – 8 septembre 1914

Dès le 8 septembre 1914, quelques jours après son élection au trône pontifical, un mois après l’ouverture des hostilités, Benoît XV adresse aux « catholiques du monde entier » un message où il se déclare « frappé d’une horreur et d’une angoisse inexprimables devant le spectacle monstrueux de cette guerre, dans laquelle une si grande partie de l’Europe […] ruisselle de sang chrétien ». Il demande à « ceux qui dirigent les destinées des peuples d’incliner désormais leurs cœurs à l’oubli de leurs différends, en vue du salut de la société humaine ».

Aussitôt appelé à la Chaire du bienheureux Pierre, tout en sachant combien Nous Nous sommes soumis avec le plus grand respect aux secrets conseils de la Providence divine, qui a élevé Notre humble personne à une telle hauteur de dignité. Nous n'ignorons certes pas que Nous ne possédions pas les mérites qu'exigeait pareille charge ; Nous l'avons néanmoins acceptée, Nous confiant dans la bonté divine et ne doutant pas que Celui-là même qui Nous a imposé le poids très lourd de cette dignité Nous donnera la force et l'aide opportunes.

Mais aussitôt que, du haut de ce Siège apostolique, Nous eûmes jeté nos regards sur le troupeau confié à Nos soins, Nous avons été frappé d'une horreur et d'une angoisse inexprimables par le spectacle monstrueux de cette guerre, dans laquelle une si grande partie de l'Europe, ravagée par le fer et le feu, ruisselle de sang chrétien.

Nous avons reçu de Jésus-Christ, Bon Pasteur, dont Nous tenons la place, dans le gouvernement de l'Église, le devoir d'embrasser dans un amour paternel tous ceux qui sont des agneaux et des brebis de son troupeau.

Puisque donc, à l'exemple du Seigneur lui-même, Nous devons être prêt, ainsi que Nous le sommes, à donner même Notre vie pour leur salut à tous, Nous avons fermement décidé de ne rien négliger de ce qui sera en Notre pouvoir pour hâter la fin d'une si grande calamité.

En attendant et même avant que, selon la coutume des Pontifes romains au début de leur apostolat, Nous adressions des Lettres encycliques à tous les évêques, Nous Nous sommes senti pressé de reprendre les paroles qu'au premier grondement de cette guerre arracha à Notre prédécesseur Pie X, de très sainte et immortelle mémoire, son amour et sa sollicitude pour le genre humain.

Tandis que Nous-même lèverons, suppliant, vers Dieu, les yeux et les mains dans la prière, Nous invitons et exhortons, ainsi que Notre prédécesseur, tous les fils de l'Église, et spécialement les ecclésiastiques, à continuer de s'employer sans relâche, soit en privé, par d'humbles prières, soit en public, par des supplications solennelles, à demander à Dieu, maître et arbitre de toutes choses, que, se souvenant de sa miséricorde, il dépose le fléau de sa colère, par lequel il demande aux nations raison de leurs fautes.

Qu'elle nous assiste et qu'elle soutienne de sa prière le vœu universel, la Vierge Mère de Dieu, dont la bienheureuse naissance, célébrée en ce même jour, a brillé aux yeux du genre humain souffrant comme une aurore de paix, car elle devait engendrer Celui dans lequel le Père éternel a voulu réconcilier toutes les choses en pacifiant, par le sang et la croix, tout ce qui se trouve au ciel et sur la terre.

Nous prions et conjurons ardemment ceux qui dirigent les destinées des peuples d'incliner désormais leurs cœurs à l'oubli de leurs différends en vue du salut de la société humaine. Qu'ils considèrent que assez de misères et de deuils accablent cette vie mortelle et qu'il y a assez de ruines, assez de sang versé ; qu'ils se résolvent donc à entrer dans les voies de paix et à se tendre la main. Ils mériteront par là les bénédictions de Dieu pour eux et pour leurs nations et ils auront hautement mérité de la société. Qu'ils sachent enfin qu'ils feront par là une œuvre qui Nous sera très agréable et que Notre cœur désire ardemment à cette aube de Notre ministère apostolique, dont une si grande perturbation du monde aggrave tellement le poids.

Du palais du Vatican, ce 8 septembre,

jour de la Nativité de Marie très sainte, 1914.

Benedictus PP. XV.

© Copyright 1914 – Libreria Editrice Vaticana

La guerre à Tahiti par Émile VEDEL

Journal « L’illustration » n°3925 du 25 mai 1918

Voici un extrait du récit du bombardement de Papeete par Émile VEDEL dans le Journal « L’illustration » du 25 mai 1918… Il rapporte ici la présence de Mgr Hermel sur le front… Ce récit sera repris dans son livre « Sur nos fronts de mer » paru aux édition Plon 1918 pp.288-290.

Deux mots sur ceux du mont Faiere, qui se tenaient prêts à ouvrir le feu avec leurs cinq pauvres petites pièces. Celle de 105 était tout au sommet et assez en arrière pour être bien masquée du large. Le même poste où des canons de l'Aube avaient été hissés au moment de Fachoda : que ne les y avait-on seulement laissés ? Les 65 formaient batterie en contre-bas. Tous si bien défilés que les obus allemands les ont encadrés sans en atteindre aucun. Plates-formes bétonnées, téléphones, poudrières, abris et tranchées, rien n'y manquait d'ailleurs que des munitions en quantité suffisante. Car le 105 n'avait que trente-huit coups à tirer, la métropole ayant négligé de remplacer un lot de poudres jetées à la mer comme douteuses plus de deux ans auparavant. Et dire que les Boches nous accusent d'avoir prémédité la guerre !

Aux batteries se trouvaient les enseignes Charron et Le Breton, les canonniers de la Zélée, et un certain nombre de volontaires faisant office de pourvoyeurs. Une petite ambulance s'y improvise, sous la direction du docteur Bachimont. Précédemment démobilisé, il se remobilisa de son chef pour la circonstance, et nous allons lui demander un aperçu de ce qui s'est passé là-haut :

« Un jeune Tahitien, beau comme Apollon et par-dessus le marché très brave, le jeune Serraut, je crois, nous sert de guide (au docteur Bachimont et à ses infirmiers de bonne volonté). Pendant que nous grimpons des pentes très raides, la canonnade commence. À mi-côte, nous rencontrons Mgr Hermel (l'évêque de Tahiti), aumônier volontaire qui, d'instinct, se porte à l'endroit le plus exposé. Couvert de boue gluante, suant et soufflant, il a perdu son chemin, mais son visage reste aimable et souriant quand même. Il va monter avec nous. Arrivés au fortin, nous l'abordons par derrière, où je trouve un coin bien protégé pour installer mon poste de secours. Puis nous pénétrons dans la place. Il y règne le meilleur esprit de blague, et on ne manque pas de saluer les énormes projectiles qui s'abattent à leur tour. Du 210, s'il vous plaît, dont les éclatements ne font pourtant pas des trous de plus d'un mètre cube, dans la lourde argile rouge du Faiere.

L'un d'eux tombe juste en face de nous (trop court) et couvre la pièce (de 105) de terre. Fort aimablement Monseigneur nous a offert l'absolution, disant, toujours avec son bon sourire : Je suis ici pour vous aider à bien mourir. Une accalmie, puis la canonnade recommence. Mais, cette fois, nous n'en sommes plus le but. Pas un blessé. Seul, un pauvre diable de matelot, un des survivants de la terrible catastrophe de Yléna, qui, resté très ébranlé depuis, perdit un moment la tête, en entendant le premier obus éclater. »

Quant à la vaillante petite troupe que commandait l'enseigne Barnaud, ainsi qu'aux auto-canons de l'enseigne Dyèvre, ils attendirent vainement leur tour d'entrer en action, inconsolables de ne pas avoir l'occasion de se mesurer d'un peu plus près avec les Allemands.

© Copyright 1918 – L’illustration

 

Le bombardement de Papeete vu par les Frères de Lamennais

L’écho des missions des Frères de l’Instruction Chrétienne n°20 de décembre 1914

Parmi les témoignages  du bombardement de Papeete, voici celui du Frère Enogat, resté à l’École des Frères alors que les enfants avaient été mis à l’abri plus on fond de la vallée…

Le 22 septembre, comme nous revenions de l'église, on signalait l'arrivée de deux croiseurs allemands. Un quart d'heure après, on battait la générale. Les Frères Anthème et Thomas, en leur qualité d'infirmiers, se rendaient à la caserne où, depuis plus d'un mois déjà, ils allaient tous les matins pour deux ou trois heures d'exercices.

Ce jour était désigné pour la bénédiction des nouvelles constructions de notre école. Mais Monseigneur lui-même, avec plusieurs Pères, était appelé à la caserne. Force a été de remettre la cérémonie à plus tard.

Vers huit heures, les croiseurs commencent à bombarder la Zélée, vieux bâtiment qui avait été désarmé dès la première semaine d'août et dont les canons avaient été placés en batterie dans les flancs de la montagne. En peu de temps, la Zélée coulait ; un bateau allemand qu'elle avait saisi, a été aussi percé par les obus qui la visaient. La population affolée se sauvait de toutes parts, notamment dans la vallée de la Mission et dans celle de Fautaua. Nos pensionnaires en firent autant sous la direction des Frères Théodore et Marcel-Georges. Le F. Allain, le F. Blimond et moi restâmes à la maison.

Un chauffeur et un Chinois furent tués par un éclat d'obus. Bientôt l'incendie se déclarait dans le quartier du marché. Toute la partie comprise entre la rue de la Cathédrale et le Marché Colonial est complètement rasée. Notre préau a été percé en quatre ou cinq endroits. De la cuisine, on voyait les mangues tomber dans la cour, le tronc du gros manguier ayant été frappé par une vis d'obus. Bref, aucun accident à déplorer : merci à Dieu et à notre Vénérable Père.

Une rançon d'un million et demi a été imposée à la Société Commerciale allemands. Son magasin, ses bateaux, ses terres, tout est saisi pour payer les dégâts occasionnés à la ville.

F. Enogat-Marie.

© Copyright 1914 – Écho des Missions 

Mgr Hermel et le Cdt Destremeau

Compliments réciproque au lendemian du bombardement

Quelques jours après le bombardement de Papeete, le Commandant Destremeau envoie un courrier à Mgr Hermel pour le remercier pour son soutien actif sur le terrain… ainsi que pour l’attitude exemplaire du clergé de Papeete. Mgr Hermel lui repond dans la même journée…

Ville de Papeete

28 7bre 1914

Commandant des troupes

Monseigneur,

C’est pour moi un devoir et une joie de reconnaître le courage et le dévouement de votre clergé au cours des évènements qui viennent de se passer à Papeete.

Les prêtres et les frères qui ont été incorporés ont conservé en cette circonstance une attitude dont il convient de hautement les féliciter.

En ce qui vous concerne personnellement, Monseigneur, je ne puis que vous témoigner ma respectueuse admiration et vous remercier au nom de l'armée dont je suis le représentant.

Pour vous rendre au poste le plus dangereux où vous appelait votre devoir d'aumônier militaire, vous avez gravi sous le feu de l'ennemi la pente entière, découverte, exposée, qui mène aux batteries. Une fois arrivé, vous avez contribué puissamment par votre autorité morale et votre courage, au maintien du calme et du sangfroid.

Hier encore, du haut de la chaire, dans un élan oratoire, illuminé du plus pur patriotisme, vous avez su dire comment Papeete, par son attitude ferme et courageuse, a évité la honte d'une capitulation ennemie. Vous n'avez pas hésité à stigmatiser ceux qui, avant l'alerte, parlaient de se rendre, et qui, après l'alerte, critiquent les mesures prises. Ces mauvais Français n'ont cessé d'exercer leur détestable influence que pendant le combat : à ce moment ils avaient fui.

Je vous remercie profondément de ces paroles qui prenaient dans votre bouche une singulière autorité, du fait même que vous aviez su les faire précéder par des actes.

Recevez, monseigneur, le témoignage de ma respectueuse reconnaissance et de ma filiale affection.

Le Commandant des troupes

Destremeau

Lieutenant de Vaisseau

**************

Voici l’accusé de réception envoyé par S. G. Mgr. le Vicaire Apostolique :

Papeete, Le 28 7bre 1914

À Monsieur le Lt de Vaisseau Destremeau,

Commandant des troupes.

Cher Commandant,

Votre belle et reconnaissante lettre restera un des plus beau titre de gloire de mon clergé. Je vous en remercie donc, Commandant, du fond du cœur, en notre nom à tous. Pères, frères, évêque, nous avons voulu accomplir simplement notre devoir de bon français, heureux étions nous de donner l’exemple de patriotisme, et de verser, s’il le fallait, notre sang pour la France et Tahiti.

Je demande à Dieu, Commandant, de bénir votre personne et votre belle famille.

Et je vous prie d’agréer, avec mes remerciements émus l’expression de mon plus affectueux respect.

† ATHANASE HERMEL

évêque de Casium

Vic. Ap. de Tahiti

© Copyright 1914 – Archevêché de Papeete

 

Le Siège de Papeete

Discours prononcé par Mgr Hermel le dimanche 27 septembre 1914

Les évènements du mardi 22 Septembre sont présents à la mémoire de tous nos lecteurs : arrivée de deux croiseurs allemands, énergiques décision du Commandant des troupes qui sauve la situation : feu mis au dépôt de charbon ; sommation faite par notre artillerie aux bateaux ennemis leur pavillon ; en réponse, bombardement des batteries, de la cannonière la « ZÉLÉE » et de la ville par les Allemands, incendie d’un quartier tout entier, par leurs obus ; enfin la ville sauvée ; aucun de nos soldats ni tué ni même blessé.

Sur la demande d’un bon nombre de notables de la ville, nous reproduisons la première partie du discours prononcé par S. G. MGR. Le Vicaire Apostolique le Dimanche suivant, à cette occasion.

Mes Frères,

De l’événement de mardi dernier, 22 Septembre, je voudrais tirer pour vous deux leçons :

1°. Une leçon de discipline, qui vous apprenne à respecter les décisions des autorités.

2°. Une leçon de foi chrétienne qui vous dispose à bien mourir.

I. Leçon de discipline.

Au matin de ce jour à jamais mémorable, - comme une traînée de poudre – se répand la nouvelle : deux croiseurs, - dont la nationalité ne peut encore se reconnaître – sont en vue. Bientôt, on en est sûr : hélas ! c’est l’ennemi… 1Une douloureuse et bien légitime anxiété s’empare des cœurs ; l’alarme se répand dans toutes les maisons ; femmes et enfants s’enfuient, cherchant un refuge sûr ; pendant que les autorités civiles et militaires, ne se perdant pas, elles, en inutiles lamentations et en stériles peurs, prennent les mesures commandées par les circonstances pour sauver, si possible, le pays ; - sinon, - du moins : l’honneur, en organisant une courageuse résistance.

Notre petite mais vaillante troupe, quoique bien inférieure en nombre à l’ennemi, frémit sous les armes, impatiente de montrer ce qu’est un soldat français devant le danger.

- Mais hélas ! on entend dire par de trop prudents : Qu’allez-vous faire ? Le pillage, l’incendie, la mort sont à nos portes ; laissez donc rançonner sans mot dire ; toute défense, de notre part, serait folie.

Les autorités civiles et militaires ont de plus nobles sentiments, M.F. et pensent, avec tous les gens de cœur ; que ce que certains appellent folie, est proche parent de l’héroïsme, et pareillement que ce qu’ils nomment prudence est fille de la lâcheté.

Du reste, l’expérience a donné raison à nos chefs et Dieu a béni leur bravoure, car notre résistance a évidemment contrarié les plans de l’ennemi.

- Mais, objectait-on après l’événement, cet incendie dont le soir encore la rougeur sinistre reflétait dans le ciel ! tant de maisons et de commerce et de particuliers dévorées par les flammes et qui ne sont plus que des  décombres fumants ! tant de ruines matérielles, en un mot, n’est-ce rien ? Non, m.f. – c’est beaucoup, et nous compatissons, tous, du fond du cœur, aux malheurs de ceux que nous appelons les nobles victimes du patriotisme.

Toutefois ces contradicteurs oublient de considérer que si l’ennemi eût pénétré dans la ville, ce n’est pas seulement un quartier qui eût été ruiné, mais la ville entière subissant un lourd impôt de guerre, bien supérieur aux pertes dues à l’incendie ; la ville devant livrer tous ses vivres pour ravitailler des adversaires nombreux, et par conséquent : toute notre population promptement affamée ; la ville devant en plus fournir des prisonniers de guerre parmi les notables – et probablement d’autres hontes encore que ma bouche se refuse à nommer, mais que l’histoire de 1870 nous a apprises ; - que dis-je ! – des hontes que des nouvelles de la guerre actuelle nous remettent sous les yeux et qui nous montrent jusqu’à l’évidence que cet ennemi ne veut plus connaître, dans ses excès, ni la tendresse de la pitié et du respect par ce qui est faible et pur, ni les délicatesses de l’honneur ; qu’il n’existe plus pour lui de droit des gens ; qu’il ne connaît que le droit de la force ; que tous les moyens lui sont bon pour arriver à ses fins ; qu’il peut déchirer et fouler au pieds un traité, hier signé par lui ; que ce Méphistophélès est en outre doublé d’un Attila : qu’il n’a soif que de vengeance sans même avoir été provoqué ; qu’il s’y met d’une manière atroce, digne des plus mauvais jours de la barbarie : incendiant les maisons et même les monuments publics, - objets d’art et de l’admiration des siècles, - profanant admirablement jusqu’aux églises, les maisons de Dieu ; - privant de leurs dernières ressources des pauvres qui n’ont pris aucune part à la défense ; faisant périr des vieillards, des infirmes, des femmes, des enfants ; en un mot, pillant, violant, assassinant, et couronnant le tout, par l’orgie.

Voilà ce à quoi nous eussions été exposés sans l’énergie et la décision de nos chefs.

Disons donc courageusement, m.f. – car c’est la vérité : si le 22 septembre 1914 est une date lugubre, c’est aussi une date glorieuse dans l’histoire de Papeete : en effet, l’honneur et les intérêts ont été sauvés.

Mais je dis plus – m.f. – le 22 septembre a été encore une glorieuse journée, parce qu’il y a été donné par beaucoup, un grand exemple de dévouement.

Or jamais, le dévouement n’est inutile –

Quoiqu’il arrive, il est beau pour une ville d’accomplir un devoir sacré, de laisser à l’avenir une noble et salutaire leçon et d’avoir dans son histoire une page comme celle écrite désormais ici.

Gloire donc à nos chefs et à tous les patriotes qui ont décidés à tout souffrir pour le pays et l’honneur !

© Copyright 1914 – Semeur tahitien

 

Bénédiction des plaques commémoratives des soldats de Tahiti morts dans la Grande Guerre

Le 12 novembre 1918, dans sa lettre pastorale au sujet de la fin de le guerre, Mgr Hermel annonce : « Nous avons donc décidé de faire graver en lettres d’or, sur des plaques de marbre noir, qui seront placées dans la Cathédrale les noms de nos chers martyrs de la patrie, avec la persuasion que jamais, notre reconnaissance ne pourra dresser sur leurs tombes des trophées assez hauts pour chanter aux siècles qui suivront leurs faits d’armes glorieux ». Cet engagement se concrétise le 22 avril 1920… avec le 1er monument aux morts de Papeete… dans la Cathédrale… Malheureusement disparu dans le années soixante… peut-être pas pour tut le monde ?

Le jeudi 22 avril, à 8 heures du matin, la cathédrale s’emplissait d’une foule sympathique, la même qui au jour de l’armistice s’était réunie pour laisser déborder l’allégresse des cœurs et pour adresser au ciel de justes et enthousiastes actions de grâces. Aujourd’hui cette foule est grave, les tentures noires qui couvrent les murs et enveloppent les colonnes sont l’expression fidèle du deuil que porte chaque cœur au souvenir des héros tombés pour sauver notre chère et grande patrie. Monseigneur le Vicaire apostolique pouvait enfin grâce au concours de personnes généreuses et patriotes accomplir un vœu cher à son cœur, celui de fixer et d’immortaliser sur un marbre commémoratif les noms glorieux des catholiques du Vicariat de Tahiti, fauchés dans leur jeunesse en défendant leur cause et la nôtre.

Monsieur le Gouverneur daigna rehausser de sa présence cette auguste cérémonie, son brillant entourage, où l’on remarquait Mr l’Inspecteur Général, un grand nombre de chefs de service, le Consul des Etats-Unis, Mr le Maire et son Conseil municipal, en un mot la plupart des notabilités de la Colonie, sympathisait visiblement avec la foule des parents et de pieux fidèles.

S. G. Mgr le Vicaire apostolique officia pontificalement, ayant pour prêtre-assistant son vénérable et très aimé pro-vicaire qui a tant fait pour les familles des soldats ; pour diacre le R.P. David, administrateur apostolique des îles Marquises et pour sous-diacre, celui qui écrit ces lignes, tout fraîchement débarqué de son voyage d’Europe et attendant une occasion de retourner dans ses chères îles Tuamotu. Les cérémonies sacrées se déroulèrent avec ensemble et majesté, grâce à l’habile direction du R.P. Guénolé, maître des cérémonies.

Le sacrifice offert pour les chers défunts est terminé.

Avant de bénir les plaques de marbre, monseigneur laisse déborder les sentiments dont son cœur de pasteur des âmes est rempli au souvenir de ses enfants spirituels tombés en héros, sur les champs de bataille de l’Europe. Le cœur de l’assistance vibra visiblement à l’unisson de celui de son évêque. L’auditoire n’était pas nouveau ; c’est le même qui tressaillit naguère de noble fierté et d’enthousiasme aux paroles qui, dans cette même cathédrale, célébraient le triomphe de nos armes ; il frémit aujourd’hui de pitié pour les familles éprouvées et d’admiration pieuse pour les chers disparus.

Ce n’est pas une pâle narration qui saurait faire revivre les accents émus et la même éloquence qui tenait haletante toute l’assemblée ; mais els nobles et patriotiques paroles de sa Grandeur resteront dans toutes les mémoires et plus encore dans tous les cœurs.

Personne désormais, parmi les assistants, n’oubliera les devoirs que nous impose le souvenir de nos chers soldats morts pour la France, devoir d’admiration pour leur obéissance héroïque qui ne connut d’autre limite que la mort, devoir d’admiration encore pour leur courage dont témoignent les distinctions honorifiques à eux décernés par leurs chefs ; devoir de reconnaissance, car si nous avons encore une patrie, c’est à eux que nous le devons ; devoir de fraternelles prières enfin, car c’est la marque la plus utile de notre affection et de notre gratitude pour leurs âmes.

Le discours terminé, les cœurs ont vibré ; plus d’une larme a coulé silencieuse ; l’émotion est au comble lorsque, du haut de la chaire, le P. Guénolé proclame d’une voix claire et forte, les noms des héros tombés au champ d’honneur. Le moment de la bénédiction des marbres est venu ; la procession se déroule, aux sons endeuillés d’une marche funèbre, admirablement exécuté par l’harmonie des frères, comme du reste, le Dies irae et tous les chants de la messe par la Scolagrégorienne, si bien dirigée par le Frère Calixte. À ce moment aussi, le beau chant sur nos héros tombés, œuvre d’une Sœur artiste et exécuté à la perfection à l’offertoire, par les élèves et les anciennes élèves des Sœurs revient à la mémoire et tous redisent au fond du cœur1 :

1er Couplet

O morts, frères aimés

En paix dormez d’espoir embaumés

O vous

Front douloureux

Tendus vers eux

Vieillis par l’absence

O vous

Fronts douloureux

Soyez heureux

Quand vous rêvez d’eux.

2e Couplet

Près de Dieu dans la gloire immense

Leur éternel repos commence

O vous

Cœurs déchirés

Qui les pleurez

Vous les reverrez.

3e Couplet

O morts, héros tombés

Martyrs frappés aux jours d’hécatombe

O morts, héros frappés pour nos libertés

Vainement sur vous l’oubli tombe

La piété garde votre tombe.

Les marbres et le catafalque sont décorés avec un goût suprême de toute la riche flore de notre luxuriant Tahiti ; le glorieux drapeau aux trois couleurs étend ses plis soyeux sur l’autel, le catafalque, les colonnes, les marbres ; et lorsque, l’office terminé, la foule émue se répand au dehors, on voit des mères, des épouses, des sœurs de nos héros s’attarder dans l’Église et venir baiser longuement le symbole de la patrie à laquelle elles sont fières d’avoir sacrifier tout leur amour.

P. Amédée Nouaille, missionnaire aux Tuamotu.

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1  La musique originale de ce chant n’est pas parvenue jusqu’à nous. Jean-Gérard LEBOUCHER a composé une musique à l’occasion du 100ème anniversaire du bombardement de Papeete qui sera chanté pour la 1ère fois le 22 septembre 2014 à l’occasion de la « Messe pour la paix » célébrée à la Cathédrale de Papeete

© Copyright 1920 – Semeur tahitien