PKO 20.07.2014

Dimanche 20 juillet 2014 – 16ème Dimanche du Temps ordinaire – Année A
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°40/2014

EN MARGE DE L’ACTUALITÉ

Les chrétiens de Tahiti face à l’Islam

La manifestation de samedi dernier à Papeete, en réaction à la venue d’un imam et au projet d’implanter un lieu de prière pour les musulmans de Tahiti, a donné lieu à des slogans divers : « expulsion de l’imam », « non à la mosquée », « pas d’Islam chez nous » …

Il est évident que les passions ont été exacerbées par les actions menées au Moyen Orient et en Afrique par des groupes se réclamant d’un Islam dur et intransigeant. Les micros-trottoirs réalisés par les médias montrent que peu de gens connaissent le monde musulman de Tahiti. Le réflexe de peur prédomine et inhibe toute capacité de réflexion et de recherche de dialogue.

Regardons comment vivent les musulmans dans d’autres collectivités ultra-marines. En Nouvelle Calédonie ils sont environ 4 000 d’origine arabe (Maghreb) ou indonésienne. Bien que l’Islam soit un, il existe des clivages au sein du milieu musulman, si certains pratiquent avec rigueur les prescriptions du Coran, une grande majorité participe volontiers aux manifestations culturelles et délaisse la pratique religieuse. Les relations interreligieuses ne posent aucun problème.

Les musulmans de La Réunion, bien qu’on les appelle les « zarabes » sont originaires du Nord-Ouest de l’Inde ; depuis deux siècles de présence ils ont marqué culturellement l’île. La mosquée Noor-e-Islam de Saint Denis est la plus ancienne mosquée de France. Depuis les années 1970 d’autres musulmans sont arrivés de Madagascar et des Comores. D’obédiences diverses (sunnites, chiites), les relations entres musulmans sont sereines. Minoritaires dans la population réunionnaise, ils ont leur place dans le tissu économique et sont respectés par l’ensemble des autres religions.

Chez nous, au fenua, vivent des familles musulmanes présentes depuis des décennies, se sont adjoints d’anciens militaires et des fonctionnaires expatriés. Jusqu’à présent ils se sont bien intégrés à la vie polynésienne sans se singulariser et sans susciter de réactions. Chaque famille pratique la religion et éduque ses enfants sans faire de prosélytisme.

Alors pourquoi cette soudaine aversion d’une partie de la population à l’égard de l’Islam et des musulmans ? Celle-ci est liée essentiellement à la venue d’un imam que personne ne connait et surtout qui ne connait rien de la culture polynésienne. Comment engager le dialogue avec quelqu’un qui vient imposer sa vision ? Il serait opportun que les familles polynésiennes musulmanes soient invitées à s’exprimer ; malheureusement le contexte hostile qui a été initié provoque – et on le comprend - peur et méfiance chez nos frères et sœurs musulmans.

La position de l’Église catholique est claire : il ne s’agit d’exclure personne, ni d’interdire à quiconque de pratiquer sa religion. Les lois et les règles culturelles sont claires : liberté respectueuse de celle d’autrui, refus des incitations à la violence, recherche du bien commun et contribution à la paix sociale…

Rappelons quelques directives données par le pape François dans l’Exhortation apostolique “La Joie de l’Évangile” : « Une attitude d’ouverture en vérité et dans l’amour doit caractériser le dialogue avec les croyants des religions non chrétiennes, malgré les divers obstacles et les difficultés, en particulier les fondamentalismes des deux parties. Ce dialogue interreligieux est une condition nécessaire pour la paix… La véritable ouverture implique de se maintenir ferme sur ses propres convictions les plus profondes, avec une identité claire et joyeuse, mais “ouvert à celles de l’autre pour les comprendre” et en “sachant bien que le dialogue peut être une source d’enrichissement pour chacun”…

Pour soutenir le dialogue avec l’Islam une formation adéquate des interlocuteurs est indispensable, non seulement pour qu’ils soient solidement et joyeusement enracinés dans leur propre identité, mais aussi pour qu’ils soient capables de reconnaître les valeurs des autres, de comprendre les préoccupations sous jacentes à leurs plaintes, et de mettre en lumière les convictions communes…

Face aux épisodes de fondamentalisme violent qui nous inquiètent, l’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence. »

+ Monseigneur Pascal CHANG SOI

Synode de 1989 – 25 ans après

Questionnaire de la Commission « Famille »

Lors du synode de 1989, la commission de la famille a fondé ses réflexions sur un texte de Vatican II (A.L. n°11), qui présente la famille comme une communauté d'amour et de vie, ayant pour mission d'être la cellule première et vitale de la société humaine. Pour cela, elle se doit d'être un sanctuaire de l'Église à la maison :

  • Par la pratique de la prière communautaire (familiale),
  • Par sa participation à la célébration du culte liturgique,
  • Par la mise en pratique de l'Evangile à travers des gestes de charité au quotidien.

À partir de cette définition chrétienne de la famille, le rôle de la commission était d'ouvrir des pistes pour permettre aux familles locales de se rapprocher de cette définition universelle. Trois grands axes se sont dessinés :

  • La préparation au mariage chrétien,
  • La formation permanente des familles,
  • La promotion et le développement des associations familiales.

Qu'en est-il 25 ans après ? Afin d'établir le bilan de ce 3ème synode, voici un questionnaire auquel vous êtes invités à répondre… n’hésitez pas !

À partir de la structure établie pour le synode de 1989, ci-dessous les 1ères questions :

La préparation au mariage chrétien

  • · Saint Jean-Paul II a dit : « Deviens ce que tu es ! ». Pour vous, qu'est ce qu'une famille chrétienne ?
  • · Devant le constat du caractère disparate de la préparation au mariage, différente selon les paroisses locales, comment rendre cette préparation plus efficace et plus homogène ?
  • · Face aux nouveaux défis sociaux contemporains, quelles thématiques majeures devraient être abordées et approfondies dans la préparation au mariage ?
  • · Pour les couples mariés religieusement, votre préparation au mariage vous a-t-elle servie et vous sert-elle encore aujourd'hui ?

La formation permanente des familles

  • · Que faudrait-il au minimum pour qu'une famille puisse s'approcher de l'idéal d'une famille chrétienne ?
  • · En plus d'une formation spirituelle et religieuse, une formation humaine (école des parents, formation aux forces vitales humaines, éducation des enfants, hygiène, santé, régulation des naissances, ...) vous paraît-elle essentielle ?
  • · La mise en place de groupes de conseil conjugal peut-elle aider les couples ?
  • · Avez-vous été accompagné dans votre cheminement de couple au sein de vos paroisses ou de vos communautés ? Si oui, de quelle manière ?

La promotion et le développement

des associations familiales

  • · Comme parents et comme chrétiens, qu'attendez-vous des associations de parents d'élèves, et comment rendre efficace les actions de ces structures ?
  • · Pour vous, les associations familiales du diocèse sont-elles représentatives des familles chrétiennes, et remplissent-elles leur rôle de défense et de représentation auprès des pouvoirs publics ?

Vos réponses sont à envoyer :

-  soit B.P. 94 - 98713 PAPEETE

-  (en précisant « Bilan synodal »)

-  ou par mail : archeveche@catholic.pf

-  ou com.famillepapeete@gmail.com

© Copyright 2014 – Archevêché de Papeete

 

Le religieux est indissociable du politique

Entretien avec William CAVANUGH, théologie catholique de Chicago

William T. Cavanaugh, théologien catholique enseignant à l’université de Saint Paul de Chicago affirme la dimension politique de l’Église comme corps eucharistique du Christ. Interview d’un penseur inclassable. Déjà considéré comme l’un des plus grands de sa génération, ce disciple de Stanley Hauerwas travaille la théologie sur trois fronts qu’il ne cesse de faire dialoguer : la politique, l’ecclésiologie et l’éthique économique.

La Vie : Pourquoi remettez-vous en cause la séparation entre le religieux et le politique, alors que cette séparation est pour les chrétiens un des acquis positifs de la modernité, qui évite la confusion du temporel et du spirituel ?

Selon moi, le processus de sécularisation, commencé au XVIe siècle, est moins une séparation stricte entre le religieux et le politique qu’un déplacement de leurs frontières mutuelles. En fait, le sacré a progressivement migré de l’Église vers l’État : l’État moderne s’est constitué contre l’Église en absorbant ses prérogatives. Au fil des siècles, l’État s’est retrouvé toujours plus investi d’une dimension sacrée, surtout dans sa capacité à faire régner l’ordre et protéger socialement les citoyens, notamment par l’État providence, tandis que la religion a été progressivement reléguée vers l’espace intime, devenant de plus en plus inoffensive et insignifiante.

La Vie : Seriez-vous nostalgique de l’ère constantinienne ?

Absolument pas ! Il est bon qu’on en soit sorti, et je n’ai aucune espèce de nostalgie pour l’alliance entre le trône et l’autel ! Mais je pense qu’il faut remettre en cause les termes mêmes de la division entre le religieux et le temporel. Je suis en faveur de la séparation entre l’État et l’Église, mais je m’oppose à une séparation entre le religieux et le politique. La distinction est cruciale.

La Vie : Comment les chrétiens doivent-ils donc s’engager dans l’arène politique ?

Notre imagination s’est rétrécie en la matière. L’action politique n’est pas d’abord une stratégie d’influence pour faire pression sur ceux qui ont le pouvoir. Le lobbying ne doit pas être le premier réflexe du chrétien. Je ne dis pas que tout soit mauvais en la matière. Mais il faut une autre manière d’aborder les choses. Comme le dit Stanley Hauerwas, les chrétiens doivent désormais se penser comme des « résidents étrangers », comme des pèlerins conscients de leur vocation eschatologique et de leur appartenance au corps du Christ, qui est supérieure à leur citoyenneté terrestre. À cause de cela, ils doivent créer des communautés qui témoignent de cet autre ordre de valeurs auquel ils croient. Il faut que le corps du Christ se voie fortement à travers la vie radicalement différente de ses membres.

La Vie : N’y a-t-il pas un prophétisme vraiment spécifique des chrétiens, par exemple quand ils dénoncent certaines ruptures anthropologiques ?

On peut toujours dénoncer… Ces derniers mois, les évêques américains ont été très en pointe sur le sujet. Ils ont fait campagne sur la liberté religieuse, contre la politique de santé d’Obama. Certes, le gouvernement n’a pas à nous imposer d’agir contre notre conscience. Mais je suis critique quand je vois comment la campagne a été menée, avec un discours apocalyptique sur la décadence de notre pays, sur fond d’exaltation nationaliste. Franchement, je pense qu’on irait mieux si les évêques se comportaient un peu moins comme des prophètes et un peu plus comme des pasteurs ! Quand on dénonce une situation, on doit toujours le faire dans une attitude prudentielle et déontologique. Il y a trop de rhétorique prophétique venant de l’Église, trop souvent sur la sexualité, alors qu’elle est trop réservée sur d’autres thèmes, comme la torture ou le traitement des immigrés de la frontière mexicaine.

La Vie : Les chrétiens sont-ils voués à lutter à contre-courant ?

Les chrétiens peuvent avoir envie de se positionner en disant : nous rejetons la culture de mort, même si cela doit nous marginaliser car nous nous retrouvons minoritaires. Mais la marginalisation ne doit être acceptée que comme une conséquence de notre suivance du Christ, et non pas comme un but premier.

La Vie : Jusqu’où faut-il assumer ses choix ?

Les catholiques américains qui sont montés à l’assaut d’Obama sur son programme de santé ont martelé le slogan selon lequel on n’a pas à choisir entre « être catholique » et « être américain ». Je crois au contraire que, si on a des convictions, on ne peut pas gagner sur tous les tableaux, et qu’il faut parfois choisir entre être un bon Américain et être un vrai catholique. Les évêques américains, souvent, ont choisi le patriotisme contre l’Évangile. Il est clair, par exemple, qu’au moment de la guerre en Irak, on ne pouvait pas être vraiment catholique – le pape avait sévèrement condamné la guerre – et passer pour un bon patriote aux yeux de tout le monde ! Si les catholiques avaient commencé par dire que ce n’était pas une juste guerre et qu’ils ne la feraient pas pour honorer la théorie catholique de la guerre juste, les choses auraient été différentes.

La Vie : Le christianisme doit-il être une contre-culture ?

Non ! Car cela supposerait qu’il existe, en soi, un gros truc monolithique qui s’appelle la culture, et qu’il faudrait être soit pour, soit contre. Or, cette culture monolithique est un mythe. Dans la société, il y a des domaines dans lesquels les chrétiens sont contre-culturels, et d’autres pas. J’ai demandé un jour à un moine trappiste de venir faire une conférence sur le monachisme comme contre-culture. Il a beaucoup déçu mes étudiants en leur disant que c’était un non-sens ! Selon lui, la vie monastique n’est pas un refus, mais une affirmation. En tant que chrétien, vous serez toujours plus attirant en vivant concrètement ce que vous pensez, en étant un témoin. Je préférerais, par exemple, que les chrétiens créent des communautés économiques vraiment différentes, et pas seulement qu’ils manifestent devant la Banque mondiale !

La Vie : Vous insistez souvent sur la dimension politique de l’eucharistie. Pourquoi ?

La liturgie incarne notre refus de la séparation entre la religion et la politique. Il y a quelque chose de très politique dans l’adoration du saint sacrement, par exemple : on n’a rien à faire, on a juste à être dans la présence de Dieu. C’est l’une des rares activités où l’on n’est pas en train de consommer ! C’est un acte politique. J’aimerais que ceux qui adorent l’eucharistie et ceux qui s’occupent de la justice sociale soient les mêmes.

La Vie : Le témoignage doit-il aller jusqu’au martyre ?

Il y a aujourd’hui beaucoup de vrais martyrs, bien plus que sous l’Empire romain, et donc je ne voudrais pas en faire un concept métaphorique. Je parlerais plutôt de témoignage ascétique, notamment dans notre monde marqué par le consumérisme. L’idée de ne pas gratifier ses instincts est une idée subversive. Lorsque je fais mon cours sur l’Église et le consumérisme, je propose à mes étudiants non seulement de renoncer pendant trois semaines au portable, à l’Internet, au sexe, au tabac, à l’alcool, au sucre et aux ingrédients artificiels dans la nourriture, mais aussi de prier une partie de la journée en silence. Ils disent que cela les transforme. Cela peut rejoindre aussi les préoccupations que l’on peut avoir sur l’écologie. La racine du problème écologique est précisément que nous nous faisons nous-mêmes des dieux. Vivre l’humilité est un acte politique.

© Copyright 2014 – La Vie

Le secret de la confession sous la pression des juges

Quand une société tend au totalitarisme !

La Cour suprême de Louisiane a donné raison à la famille d’une jeune fille abusée, qui reprochait à un prêtre de ne pas avoir divulgué à la justice des faits confiés dans le cadre de la confession.

Quelle est la décision de justice de Louisiane ?

Dans une décision du 23 mai 2014, la Cour suprême de Louisiane a considéré qu’un prêtre peut être contraint à révéler ce qui lui a été confié dans le cadre de la confession, lorsqu’il s’agit de sévices sexuels. La famille d’une jeune fille de 14 ans, abusée en 2008 par un laïc de la paroisse – aujourd’hui décédé – reproche au P. Jeff Bayhi de ne pas avoir rapporté ces faits (portés à sa connaissance en confession) à la justice. Après avoir obtenu gain de cause en première instance, la famille été déboutée en appel, mais a donc été suivie par la Cour suprême de l’État.

Que répond le diocèse ?

« Dans ce cas, le prêtre a agi de façon appropriée et ne devait pas apporter son témoignage quant aux faits allégués », a affirmé, le 7 juillet, le diocèse de Bâton-Rouge, qui a indiqué son intention de faire appel. « Une doctrine fondamentale de l’Église catholique romaine depuis des milliers d’années prescrit que le secret de la confession est absolu et inviolable. » Par conséquent, et « comme l’a reconnu la cour d’appel », un tribunal civil ne peut obliger un prêtre à révéler « s’il y a eu confession et, si oui, quel en était le contenu », estime le diocèse.

Quelles sont les conséquences de la récente décision ?

Le secret de la confession est protégé par trois articles du Code de droit canonique, le canon 1388 prévoyant même l’ex-communication latae sententiae pour tout confesseur qui l’enfreindrait. Depuis quelques années, la révélation de nombreux actes pédophiles au sein de l’Église catholique, et d’une manière générale la plus grande sensibilité des sociétés occidentales aux atteintes sexuelles, place toutefois ce secret sous pression. À l’occasion de son Synode général début juillet, l’Église anglicane d’Australie vient ainsi de voter un amendement au canon sur la confession autorisant désormais les prêtres à révéler des informations sur les crimes graves tels la pédophilie ou la pornographie infantile.

En 2011, la Congrégation pour la doctrine de la foi a rappelé l’importance pour les Églises de « coopérer » avec les autorités civiles en cas d’abus sexuels sur mineurs, sans toutefois aller jusqu’à remettre en cause le secret de la confession. « En particulier, on suivra toujours les prescriptions des lois civiles en ce qui concerne le fait de déférer les crimes aux autorités compétentes, sans porter atteinte au for interne sacramentel »rappelait-elle.

Pour le frère Joël-Marie Boudaroua, dominicain, auteur d’un article intitulé « Le secret de la confession existe-t-il ? » (voir ci-dessous), le secret de la confession « n’a pas pour but de soustraire à la justice ». Tout en reconnaissant qu’il peut être « parfois détourné sans vergogne dans le but d’occulter la vérité ou de “protéger l’institution” », il rappelle que cette institution fixe également « une limite à l’intrusion excessive de l’instance étatique ou médiatique dans la conscience individuelle et la vie privée. Le secret est une liberté nécessaire dans une société libre ».

Anne-Bénédicte Hoffner

© Copyright 2014 – La Croix

Le secret de la confesison existe-t-il ?

Un secret signe d’une société libre et non totalitaire !

Quand paraissent Les Caves du Vatican, Paul Claudel découvre les « mœurs affreuses » d’André Gide. Le 2 mars 1914, il lui envoie une épître comminatoire : « Consultez Madame Gide, lance Claudel ; consultez la meilleure part de votre cœur. Ne voyez-vous pas que vous vous perdez, vous et ceux qui vous entourent de plus près ? Ne vous rendez-vous pas compte de l’effet que peuvent avoir vos livres sur de malheureux jeunes gens ? ». Gide lui répond le 7 mars : « De quel droit cette sommation ? Au nom de quoi ces Questions ? […] Je vous supplie uniquement de considérer ceci : c’est que j’aime ma femme plus que ma vie, et que je ne pourrais vous pardonner tout geste de vous, toute parole qui porterait atteinte à son bonheur. […] C’est à l’ami que je parle, comme je parlerais au prêtre, dont le devoir strict serait de me garder le secret, devant Dieu »1. Cette dernière allusion à l’éthique du confessionnal montre à quel point le secret de la confession était présent dans les conversations de l’époque comme une chose évidente et naturelle, tant chez les catholiques que chez les protestants2. Ce secret aujourd’hui est en crise ; il a perdu beaucoup de son évidence, y compris chez certains « pratiquants » pour qui il n’est pas possible de garder un secret : il finit toujours par être connu. Mais surtout, il est fortement remis en cause au nom de l’évolution du droit et d’un certain fonctionnement de la justice. Pourtant, confession et secret continuent de fasciner l’opinion, suscitant curiosité et fantasme… Ce secret existe-t-il vraiment, est-il vraiment absolu, peut-il éventuellement être levé ?

Brève histoire de la confession

Avant de répondre à ces questions, commençons par un bref aperçu historique. La forme concrète du sacrement de conversion, ou de pénitence, ou de la confession, ou du pardon, ou de la réconciliation, selon ses différentes dénominations, a beaucoup varié au cours des siècles3. Durant toute l’Antiquité chrétienne, ce sacrement, qui est d’institution divine explicite (Jn20, 23), fait l’objet d’une discipline rigoureuse : pour être réconcilié à la suite de péchés graves commis après le baptême (idolâtrie, homicide, trahison, adultère), il faut entrer dans « l’ordre des pénitents » ; la pénitence doit être publique et bien qu’on ne rende pas public un péché qui ne l’est pas, sa célébration revêt toujours un caractère communautaire. À partir du VIIème siècle, les missionnaires irlandais apportent en Europe continentale la pratique de la pénitence privée. Le sacrement se réalise désormais d’une manière plus secrète entre le pénitent et le prêtre. Cette nouvelle pratique prévoit la possibilité de sa réitération autant de fois que nécessaire et intègre le pardon des péchés véniels. En 1215, le IVème concile du Latran fait obligation à tous les fidèles de confesser une fois l’an au curé de leur paroisse tous les péchés dont ils ont connaissance, - disposition que le Code de droit canonique de 1983 estime toujours valable (can. 989). Des devoirs s’imposent aussi au ministre du sacrement : il doit questionner le pénitent avec « prudence et discrétion » (can. 979), l’aider à faire une confession complète, l’exhorter à la réparation et à la conversion. Une fois qu’il s’est assuré des dispositions du pénitent, il ne peut pas lui refuser l’absolution, ni la différer et il est absolument tenu par le secret sacramentel.

Le secret existe-il vraiment ?

Le Catéchisme de l’Eglise catholique l’enseigne en effet formellement, « tout prêtre qui entend des confessions est obligé de garder un secret absolu au sujet des péchés que ses pénitents lui ont confessés, sous des peines très sévères. Il ne peut pas non plus faire état des connaissances que la confession lui donne sur la vie des pénitents. Ce secret […] s’appelle le “sceau sacramentel” (sacramentale sigillum) car ce que le pénitent a manifesté au prêtre reste “scellé” par le sacrement » (CEC, 1467). Trois articles du Code de droit canonique concernent le secret de la confession : au canon 983-1, il est dit que « le secret sacramentel est inviolable ; (qu’) il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit ». Le canon 984-1 précise que « l’utilisation des connaissances acquises en confession qui porte préjudice au pénitent est absolument défendue au confesseur, même si tout risque d’indiscrétion est exclu ». Enfin, le canon 1388-1 prévient le confesseur que la violation directe du secret sacramentel entraîne l’excommunication latae sententiae4 ; la violation indirecte, une punition selon la gravité du délit. Aux yeux de la Loi de l’Église, le secret de la confession existe donc bel et bien et il oblige gravement le confesseur. Mais ce secret est-il absolu en toutes circonstances ?

Ce secret est-il vraiment absolu ?

Aucun moraliste ne soutiendra le contraire : le prêtre qui reçoit la confession d’une faute ne peut jamais la divulguer quelle qu’en soit la gravité. Ce fait n’a jamais prêté vraiment à discussion dans une société massivement chrétienne. On comprend pourquoi : les péchés relevant souvent de la vie privée, - l’infidélité conjugale par exemple –, le secret a évidemment pour but de protéger la réputation des personnes, d’éviter que leur soit porté préjudice. Mais, comment expliquer que le confesseur soit également tenu par la loi du silence5 sur les crimes de sang, comme on le voit heureusement plus souvent au cinéma que dans la vraie vie ? C’est que, quellesque soient les circonstances, nous nous trouvons dans le cas d’un droit fondamental des fidèles aux sacrements et donc à être absousquand ils le demandent. La confession s’accomplit devant Dieu et le confesseur n’est pas le maître mais le serviteur du pardon deDieu (CEC, 1466). Le pénitent est absous dès lors que sont réunies les conditions essentielles du sacrement : l’aveu, la contrition et lasatisfaction6. Le secret est une garantie qu’offre l’Église à tout pénitent pour qu’il puisse user de ce droit sans aucune entrave. Il adonc jusqu’ici une connotation positive.

Ce n’est qu’au sujet des abus sexuels commis sur mineurs par des clercs que le secret de la confession a été récemment mis en cause. Il a été alors reproché à l’Eglise d’en faire mauvais usage, de pratiquer l’omerta, de se dérober à son nécessaire examen de conscience, de protéger les coupables et de faire peu de cas des victimes. L’impact de tels actes sur la société, les souffrances qu’ils entraînent, poussent le législateur à la limitation, - voire à l’interdiction -, du secret. Le gouvernement de la République d’Irlande menace ainsi de faire voter une loi obligeant les prêtres à dénoncer tout crime pédophile dont ils auraient connaissance y compris en passant outre le secret de la confession8. Sans doute la réaction irlandaise s’explique-t-elle par l’ampleur des crimes commis dans ce pays très catholique. L’Église en a bien conscience mais elle ne cède pas sur le principe du secret, comme le montre la position ferme de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : « L’abus sexuel de mineurs n’est pas seulement un délit au plan canonique. C’est aussi un crime qui fait l’objet de poursuites au plan civil. Bien que les rapports avec les autorités civiles diffèrent selon les pays, il est cependant important de coopérer avec elles dans le cadre des compétences respectives. En particulier, on suivra toujours les prescriptions des lois civiles en ce qui concerne le fait de déférer les crimes aux autorités compétentes, sans porter atteinte au for interne sacramentel »8. Sans doute l’Église estime-t-elle qu’il existe d’autres moyens d’en avoir connaissance9.

C’est pourquoi elle compte qu’à l’instar du secret professionnel, le secret de la confession soit toujours protégé comme c’est le cas dans le Code pénal français : son existence, en effet, admise par la Cour de cassation, reconnaît que les ministres du culte, qu’ils appartiennent à la religion catholique ou à la religion réformée, sont tenus de garder le secret sur les révélations qui peuvent être faites dans le cadre de leur ministère ou en raison de ce ministère et notamment dans l’exercice de leurs pouvoirs sacramentels (Cass. crim., 11 mai 1959, Gaz. Pal. 1959.2.79). Depuis les années 2000, des arrêts successifs de la Cour de cassation n’ont pas remis en cause le secret de la confession, garanti par l’article 226-13 du Code pénal, tout en mettant des limites au caractère absolu du secret professionnel. Du côté du législateur, l’article 223-6 du Code réprime désormais la non-assistance à personne en péril et s’applique à l’ensemble des professionnels - dont les ministres du culte – qui sont tenus au secret par leur appartenance institutionnelle. Le prêtre qui, en confession, aurait connaissance d’une violence sexuelle sur mineur, est donc placé devant un véritable dilemme : suivre le droit canonique sans déroger à la loi civile, obéir à la République sans désobéir à l’Église. À mon sens, face au pédophile comme à l’assassin, il devrait inciter le coupable à se livrer lui-même à la justice mais il ne peut en aucun cas le livrer sauf si le coupable l’en autorise. En dehors de cette éventualité, le secret de la confession est absolu et il ne connaît pas d’exception. Pourrait-il cependant être levé ?

Le secret peut-il être levé ?

Imaginons que dans les affaires de pédophilie, l’obligation du secret soit suspendue. D’abord, elle ne peut l’être que par l’autorité compétente en cette matière religieuse : le Pontife romain. En soi, ce n’est pas impossible puisque le secret n’appartient ni à la forme ni à la matière du sacrement bien qu’il lui soit lié, semble-t-il, depuis l’origine. Dans cette hypothèse, le secret ne serait plus inconditionnel mais relatif : le bien de la victime, le bien du coupable, le bien public et le bien de celui qui a reçu confidence pourraient conduire à l’opportunité de le lever. Ainsi serait-il permis de dévoiler un secret chaque fois qu’il n’y aurait pas d’autres moyens d’éviter l’irréparable. Mais il faut y réfléchir à deux fois : quoiqu’en disent les partisans de la suppression du secret, en accusant l’Église de complicité criminelle, il n’est pas si fréquent que les abus sexuels aboutissent au confessionnal car les « délits les plus graves » (delicta graviora) sont sans doute les moins avoués ; ils sont souvent motivés par une compulsion irrésistible aux composantes à la fois biologiques et psychologiques. Le recours des pédophiles, fussent-ils prêtres, au sacrement de pénitence reste assez rare car ils n’ont pas toujours la claire conscience de la gravité de leurs actes ; ils sont la plupart du temps dans le déni et ce n’est qu’après divulgation des faits qu’ils peuvent vraiment les assumer, accepter leur jugement et entreprendre une démarche de pardon. La confession et le secret apparaissent alors pour ce qu’ils sont : des éléments essentiels du processus de réhabilitation de la personne qui, en dépit de sa responsabilité et/ou de sa culpabilité, ne perd jamais sa dignité intrinsèque.

Pour bien comprendre le sens du secret de la confession, il faut paradoxalement se placer sur un autre terrain que le religieux. Car le secret est nécessaire pour des raisons qui sont d’ordre philosophique, anthropologique et social autant que théologique. Le secret est « le baromètre » qui permet de savoir dans quel type de société nous vivons, libérale ou totalitaire. Les notions de secret, de confiance, de promesse, sont des catégories fondamentales de la personne humaine. « Toute société se fonde en effet sur la confiance réciproque de ses membres, c’est-à-dire sur la possibilité de se fier à la parole d’autrui, et le secret en est un corollaire direct »10. Il a pour base un intérêt social : le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le pécheur un confesseur. « Tous ces acteurs de la société, estime André Damien, ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable […]. Personne n’oserait plus s’adresser à eux si on pouvait craindre la divulgation du secret confié »11. Pour toutes ces raisons, il semble peu probable que l’Église renonce au secret de la confession, fût-il parfois détourné sans vergogne dans le but d’occulter la vérité ou de « protéger l’institution ».

Car in fine, le secret de la confession ne vise pas à cacher des actes délictueux ; il n’a pas pour but de soustraire à la justice. Il n’est pas une zone de non-droit dans la République. Il garantit l’existence d’un devoir professionnel indispensable à tous ; il fixe une limite à l’intrusion excessive de l’instance étatique ou médiatique dans la conscience individuelle et la vie privée. Le secret est une liberté nécessaire dans une société libre. Un secret limité présenterait beaucoup d’inconvénients pour peu d’avantages. Il porterait durablement atteinte à la confiance que l’opinion continue de placer dans le religieux, le prêtre ou le pasteur plus qu’il n’aiderait à résoudre des énigmes policières. Dans une société de la transparence absolue, il semble important de maintenir la possibilité d’un secret inviolable, inhérent à la dignité de la personne humaine, essentiel au processus de rédemption, de guérison et de reconstruction de ceux qui ont fauté. C’est pourquoi le choix de l’Église catholique est de défendre l’existence du secret de la confession, tout en affirmant, comme le fait souvent Benoît XVI, qu’il n’y a pas de pardon sans justice.

Fr. Joël-Marie Boudaroua o.p.

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1  P. CLAUDEL et A. GIDE, Correspondance (1899-1926), Paris, Gallimard, 1949, pp. 217-218.

2  Martin LUTHER tenait la pénitence pour « un saint sacrement ». Il voulait maintenir la confession individuelle surtout pour des raisons pastorales (Voir Sermons sur la pénitence, Petit manuel sur la manière de se confesser, Petit catéchisme…). Il n’a pas été suivi sur ce point dans les Églises de la Réforme, mais au XXème s., DietrichBONHOEFFER, par exemple, renouvellera l’exhortation à la confession dans son traité De la vie communautaire.

3  Catéchisme de l’Église Catholique, Mame/Plon, 1992, § 1423. Cité ensuite CEC.

4  Par le fait même, immédiatement.

5  Film d’Alfred HITCHCOCK (1953), titre original I Confess, avec Montgomery CLIFT et Anne BAXTER, où un prêtre est accusé d’un meurtre dont il a reçu la confession.

6  Ce qu’on appelle ici « satisfaction » est la réparation, d’une manière ou d’une autre, des torts commis.

7  La Croix, lundi 5 septembre 2011

8  Lettre circulaire pour aider les conférences épiscopales à établir des Directives pour le traitement des cas d’abus sexuels commis par des clercs à l’égard de mineurs, du 3 mai 2011.

9  Outre la persuasion, des éléments extérieurs à la confession peuvent jouer un rôle déterminant : présomption, plainte des victimes, témoignage de l’entourage…

10 Marie-Jo THIEL, À propos de la pédophilie, « Documents Épiscopats », Bulletin du Secrétariat de la Conférence des Évêques de France, n°10 / juillet 1998, p. 4.

11 A. DAMIEN, Secret professionnel et secret de la confession, « Esprit et vie » n°85, juillet 2003, pp. 10-14.

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Voir les germes d’éternité !

Commentaire de l’Évangile du 16ème Dimanche du Temps ordinaire

Qui ne se heurte au problème du mal ? Le mal est dans le monde et jusque dans l’Église. Pourtant, il est difficile de l’admettre. Nous voudrions un monde meilleur ou une Église sans taches ni rides. Assez volontiers, nous nous mettrions à la recherche de coupables. Pourtant, sur la terre, dans l’Église comme dans notre propre cœur, ivraie et blé poussent côte à côte. Nous sommes bien incapables de démêler les mauvaises herbes du bon grain. Faut-il le faire d’ailleurs ?

Jésus met en garde contre la précipitation  de ceux qui voudraient s’y attaquer. Il accepte dans son Église le mélange des bons et des mauvais. Il va jusqu’à provoquer le scandale en donnant ses préférences aux pécheurs. Il n’a jamais parlé d’une communauté de purs. Il est patient comme son Père. Il sait que le cœur de l’homme est subtil. Les actes les meilleurs peuvent cacher une forme insidieuse d’orgueil. Et des défauts extérieurs peuvent occulter injustement de réelles qualités. Que nous sommes impatients de la conversion… des autres ! Nous ne sommes pas mandatés pour opérer un tri et exclure ceux qui, à nos yeux, ne sont pas dignes. Il faut se méfier des purs et durs. Ils ne sont que des puritains qui, sous prétexte de purification, transformeraient le champ de blé en champ de bataille, arrachant  à la fois le froment et le chiendent, incapables qu’ils sont de les distinguer.

Telle n’est pas la manière de Jésus. Il est, lui, pour la méthode des petits pas. Il est patient et prudent. Il aime le cœur de chaque homme, où le bon grain et l’ivraie se livrent à une lutte sans merci. Au cœur du monde en proie à ses luttes et à ses déchirements, monde qui passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore, le Fils de Dieu a été enfoui, broyé comme le grain. Dieu sait le contraste entre la petitesse de ce grain enfoui et l’ampleur de la moisson finale, entre la modestie du levain et la masse de pâte qu’elle soulève.

Dieu a hâte de voir le Royaume parvenu à sa pleine maturité. Mais sa délicatesse à l’égard du monde fragilisé par le péché le rend radicalement patient. Il est puissant, nous dit le livre de la Sagesse, mais juge « avec indulgence ». Il gouverne « avec beaucoup de ménagement ».

Oui, l’ivraie  fait partie du champ de blé et du champ de nos cœurs. Il faut apprendre à vivre avec elle, en nous et autour de nous, et ne pas perdre cœur. Car la graine minuscule deviendra arbre, et la pincée de levure gonflera la pâte du monde.

Oui, demandons la grâce de voir les germes d’éternité qui sont cachés au cœur du monde. Ce ne sont pas les apparences actuelles qui comptent. Rêvons du grand arbre que Jésus voit déjà dans ses yeux de ressuscité. N’en reste pas à ton minuscule grain de moutarde… pense aux oiseaux qui chanteront dans l’arbre ! Et, patiemment, humblement, jette ton unique grain. Il traversera les hivers. Et ta joie éclatera comme un soleil d’été !

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