PKO 03.04.2014

Jeudi 3 avril 2014 – Messe chrismale – Année A
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°20/2014

Surmonté la crise d’identité sacerdotale

Homélie du Pape François lors de la messe chrismale du 28 mars 2013

Pour le pape François la « crise d’identité sacerdotale » est un danger, mais elle « se greffe sur une crise de civilisation », pour y répondre, il invite les prêtres, à « dompter cette vague » pour « avancer en eau profonde au nom du Seigneur et jeter les filets ».

Chers frères et sœurs !

C’est avec joie qu’en tant qu’Évêque de Rome, je célèbre cette première Messe chrismale. Je vous salue tous avec affection, vous en particulier chers prêtres qui vous souvenez avec moi aujourd’hui du jour de votre Ordination.

Les lectures, le psaume aussi, nous parlent de ceux qui ont reçu l’onction : le serviteur de Dieu chez Isaïe, le roi David, et Jésus, Notre Seigneur. Les trois ont en commun que l’onction qu’ils reçoivent, est pour oindre le peuple des fidèles de Dieu dont ils sont les serviteurs. Leur onction est pour les pauvres, pour les prisonniers, pour les opprimés… Une très belle image de cet « être pour » du Saint Chrême est celle que nous offre le psaume 133 : « On dirait un baume précieux, un parfum sur la tête, qui descend sur la barbe, la barbe d’Aaron, qui descend sur les bords de son vêtement » (v.2). L’image de l’huile qui se répand - qui descend de la barbe d’Aaron jusqu’à la bordure de ses vêtements sacrés, est l’image de l’onction sacerdotale qui, à travers celui qui est oint, arrive jusqu’aux confins de l’univers représenté par les vêtements.

Les vêtements sacrés du grand prêtre sont riches de symboles ; l’un d’eux est celui du nom des fils d’Israël inscrit sur les pierres d’onyx qui ornaient les épaulettes de l’éphod, dont provient notre actuelle chasuble, six noms sur la pierre de l’épaule droite, et six sur celle de l’épaule gauche (cf. Ex 28, 6-14). Sur le pectoral aussi étaient inscrits les noms des douze tribus d’Israël (cf. Ex 28, 21). C’est-à-dire que le prêtre célèbre en chargeant sur ses épaules le peuple qui lui est confié, et en portant leurs noms gravés en son cœur. Revêtir notre humble chasuble peut bien nous faire sentir, sur les épaules et dans notre cœur, le poids et le visage de notre peuple fidèle, de nos saints et de nos martyrs, il y en a beaucoup à notre époque !

De la beauté de la chose liturgique, qui n’est pas seulement un ornement et un goût pour les vêtements, mais la présence de la gloire de notre Dieu resplendissant en son peuple vivant et consolé, considérons-en maintenant l’action ! L’huile précieux qui oint la tête d’Aaron ne se contente pas de parfumer sa personne mais se diffuse et atteint toutes les « périphéries ». Le Seigneur le dira clairement : son onction est pour les pauvres, pour les prisonniers, pour les malades, pour ceux qui sont tristes et seuls. L’onction, chers frères, n’est pas destinée à nous parfumer nous-mêmes, ni davantage pour que nous la conservions dans un vase, parce que l’huile deviendrait rance… et le cœur amer. 

On reconnaît un bon prêtre à sa façon d’oindre son peuple ; c’est une preuve claire. Quand nos fidèles reçoivent une huile de joie, on s’en rend compte : lorsqu’ils sortent de la messe, par exemple, avec le visage de ceux qui ont reçu une bonne nouvelle. Nos fidèles apprécient l’Évangile annoncé avec l’onction, lorsque l’Évangile que nous prêchons, arrive jusqu’à sa vie quotidienne, lorsqu’il touche comme l’huile d’Aaron aux extrémités de la réalité, lorsqu’il illumine les situations limites, les ‘périphéries’ où le peuple fidèle est exposé à l’invasion de ceux qui veulent saccager sa foi. Les fidèles nous en remercient parce qu’ils ressentent que nous avons prié avec les réalités de leur vie quotidienne, leurs peines et leurs joies, leurs peurs et leurs espérances. Et lorsqu’ils ressentent que le parfum de l’Oint, du Christ, arrive à travers nous, ils sont encouragés à nous confier ce qu’ils veulent faire arriver jusqu’au Seigneur : « priez pour moi, père, car j’ai tel problème… » ; « bénissez-moi, père » et « priez pour moi », sont le signe de ce que l’onction est parvenue jusqu’à l’extrémité du manteau car elle est transformée en demande, demande du Peuple de Dieu. Lorsque nous sommes dans ce rapport avec Dieu et avec son peuple et que la grâce passe à travers nous, alors nous sommes prêtres, médiateurs entre Dieu et les hommes. Ce que j’entends souligner c’est que nous avons toujours à raviver la grâce et discerner en chaque demande, parfois inopportune, parfois seulement matérielle ou même banale - mais elle l’est seulement apparemment -, le désir de nos fidèles de recevoir l’onction par l’huile parfumée car ils savent que nous la détenons. Deviner et ressentir, à la manière du Seigneur, l’angoisse pleine d’espérance de la femme hémorroïsse lorsqu’elle toucha le bord de son manteau. Cet épisode de la vie de Jésus, présent au milieu des gens qui le pressent de partout, traduit toute la beauté d’Aaron vêtu comme prêtre avec l’huile qui descend le long de ses vêtements. C’est une beauté cachée qui resplendit seulement pour des yeux remplis de foi de cette femme qui souffrait de pertes de sang. Les disciples eux-mêmes - futurs prêtres - ne réussissent pas à voir, ni ne comprennent : de la « périphérie existentielle », ils voient seulement la superficialité de la multitude qui  presse de partout Jésus jusqu’à le suffoquer (cf. Lc 8, 42). Le Seigneur, en revanche, sent la force de l’onction divine qui arrive jusqu’aux bords de son manteau.

C’est ainsi que nous devons faire l’expérience de notre onction, son pouvoir et son efficacité rédemptrice : aux « périphéries » où se trouve la souffrance, où le sang est versé, il y a un aveuglement qui désire voir, il y a des prisonniers de tant de mauvais patrons. Ce ne sont pas précisément dans les auto-expériences ou les introspections répétées que nous rencontrons le Seigneur : les cours pour s’aider soi-même dans la vie peuvent être utiles, mais vivre notre vie sacerdotale en passant d’un bord à l’autre, de méthode en méthode, pousse à devenir pélagiens, à minimiser le pouvoir de la grâce qui s’actualise et croît dans la mesure selon laquelle, avec foi, nous sortons pour nous donner nous-mêmes et pour donner l’Évangile aux autres ; pour donner la petite onction que nous tenons à ceux qui n’ont rien de rien.

Le prêtre qui sort peu de lui-même, qui oint avec parcimonie - je ne dis pas « jamais » car, grâce à Dieu, les fidèles nous ‘volent’ l’onction -, perd le meilleur de notre peuple, ce qui est capable d’allumer le plus profond de son cœur de prêtre. Celui qui ne sort pas de lui-même, au lieu d’être un médiateur, se convertit peu à peu en intermédiaire, en gestionnaire. Nous connaissons tous la différence : l’intermédiaire et le gestionnaire « ont déjà reçu leur récompense », et comme ils ne paient pas d’eux-mêmes, ni de leur cœur, ils ne reçoivent pas non plus un merci affectueux qui vient du cœur. De là provient précisément cette insatisfaction chez certains qui finissent par être tristes, des prêtres tristes, et convertis en collectionneurs d’antiquités ou de nouveautés au lieu d’être des pasteurs pénétrés de « l’odeur de leurs brebis » – cela je vous le demande : soyez des pasteurs avec « l’odeur de leurs brebis », que celle-ci se sente ? ; au lieu d’être des pasteurs au milieu de leur propre troupeau, et pêcheurs d’hommes. En vérité, ladite crise d’identité sacerdotale nous menace tous et se greffe sur une crise de civilisation ; mais si nous savons dompter cette vague, nous pourrons prendre le large au nom du Seigneur et jeter les filets. Il est bon que la réalité même nous pousse à aller là où ce que nous sommes par grâce apparaît clairement comme étant pure grâce, sur cette mer du monde actuel où seule compte l’onction - et non la fonction -, et seront remplis les filets jetés seulement au nom de Celui en qui nous nous sommes confiés : Jésus.

Chers fidèles, soyez proches de vos prêtres par l’affection et par la prière afin qu’ils soient toujours des pasteurs selon le cœur de Dieu.

Que le Père renouvelle en nous, chers prêtres, l’Esprit de Sainteté par lequel nous avons reçu l’onction, qu’Il le renouvelle en notre cœur de telle manière que l’onction rejoigne tous, même les « périphéries », là où notre peuple fidèle en a le plus besoin et l’apprécie. Que nos fidèles nous sentent disciples du Seigneur, qu’ils comprennent que nous sommes revêtus de leur noms, et que nous ne cherchons nulle autre identité ; qu’ils puissent recevoir, par nos paroles et nos œuvres, cette huile de joie que Jésus, l’Oint du Seigneur, est venu nous donner. Amen.

© Libreria Editrice Vaticana – 2012

La Messe chrismale

Parmi les célébrations de la Semaine Sainte figure à une place originale celle de la Messe chrismale. Elle a ceci de particulier qu’elle est unique dans chaque diocèse et qu’elle doit être célébrée en principe le matin du Jeudi Saint, sachant qu’il est possible, pour des raisons pastorales, de l’anticiper à un autre jour. Dans notre diocèse, elle est célébrée le jeudi de la 4ème semaine de Carême.

Trois points méritent d’être particulièrement éclaircis car ils sont souvent mal compris :

1. « La messe chrismale, c’est simplement l’affaire des prêtres » : Il est vrai que le ministère presbytéral tient une grande place dans la célébration, ne serait-ce que parce que, depuis le Concile, les prêtres sont invités à renouveler ce jour-là les promesses de leur ordination. Cela explique aussi qu’ils soient présents en grand nombre.

Cependant, c’est d’abord le ministère de l’évêque qui est central dans cette célébration, qui exprime, de la manière la plus forte de toute l’année liturgique, la réalité du diocèse comme Eglise locale. Alors que les communautés paroissiales ne peuvent disposer de tous les moyens sacramentels du salut si elles se replient sur elles-mêmes, le diocèse est cette portion du Peuple de Dieu qui est en possession de la plénitude de ces moyens sacramentels : l’évêque seul ordonne prêtres et diacres ; l’évêque exerce seul le ministère originel de la confirmation ; les prêtres qui confirment de manière ordinaire ne peuvent le faire qu’en lien avec l’évêque et par délégation de lui.

Le sacrement de l’Ordre est également concerné dans sa dimension diaconale. Le lien entre la messe chrismale et le Jeudi Saint invite à contempler la figure du Christ à la fois Maître et Serviteur. Or, dans l’Eglise, les diacres ont spécialement la charge de signifier le Service du Christ. C’est ainsi qu’il faut voir leur participation aux rites de la bénédiction des huiles : non pas une simple action pratique, mais une véritable mise en œuvre symbolique de la dimension de service du diaconat.

Enfin, tout le Peuple de Dieu est invité à cette célébration dans laquelle s’exprime l’unité ecclésiale.

2. « La Messe chrismale, c’est simplement la bénédiction des huiles »

Il est vrai que la bénédiction des huiles est le rite le plus spectaculaire de cette messe, avec le transport en procession des lourdes jarres et le mélange opéré par l’évêque d’un baume de lavande dans l’huile pour « confectionner » ce qui deviendra le Saint-Chrême par la bénédiction de l’évêque.

La bénédiction des huiles doit cependant être mise en lien étroit avec la ministérialité de l’Eglise. Ce qui fait le sacrement, ce n’est pas le contact magique avec une substance bénie, mais la prière dite par le ministre, qu’accompagne l’onction d’huile.

Il en va ainsi pour le sacrement des malades, pratiqué avec une huile bénie à cette intention, pour l’onction donnée aux catéchumènes afin qu’ils soient fortifiés dans leur avancée vers le baptême, pour l’onction pratiquée par l’évêque, le prêtre ou le diacre juste après le baptême, pour celle de la confirmation et de l’ordination.

Il est vrai qu’on pourrait en urgence, dans le cas du sacrement des malades, utiliser une autre huile que celle bénie par l’évêque. Le signe est cependant très fort d’une huile unique, bénie par l’évêque, qui sera utilisée tout au long de l’année dans toutes les paroisses du diocèse. Il est donc impératif de ne pas séparer les deux niveaux de la célébration que sont les engagements renouvelés du ministère et le renouvellement des huiles. Mgr Doré avait utilisé cette image très suggestive : « Les forces des ministres s’épuisent…, les réserves d’huile s’épuisent…, la messe chrismale permet de rénover les unes et les autres ! ».

3. « Pourquoi joindre le renouvellement des promesses et la bénédiction des huiles à une Eucharistie ? » La messe chrismale est d’abord une messe : la concélébration de cette messe par tous les évêques et les prêtres présents, autour de l’archevêque, avec la présence des diacres et la participation des représentants du Peuple de Dieu signifie de manière éminente l’unité de l’Église. Il faut rappeler que cette messe est la principale occasion signalée par le Concile au moment du rétablissement de la concélébration.

La messe chrismale est célébrée dans la cathédrale, lieu symbolique par excellence du ministère de l’évêque et de l’unité de l’Église diocésaine.

Enfin, la localisation de la messe durant la Semaine Sainte s’explique par le lien étroit entretenu par le ministère apostolique avec le Jeudi Saint. Évêques, prêtres et diacres trouvent dans la célébration du Jeudi-Saint la source même de leur ministère.

Chanoine Bernard Xibaut