PKO 06.01.2013
Dimanche 6 janvier 2013 – Solennité de l’Épiphanie du Seigneur – Année C
Bulletin gratuit de liaison de la communauté de la Cathédrale de Papeete n°02/2013
HUMEURS
« Père, je te respecte »…
Ces paroles raisonnent à mon esprit depuis mardi matin 4h… Je venais d’ouvrir les portes de la Cathédrale et je contemplais, sur le mur du presbytère, l’œuvre picturale des nouveaux jeunes SDF (Sans Difficultés Financières), lorsque je croise cette jeune personne, seule, le pas mal assuré, l’œil hagard… Je ne saurais la reconnaître si je la rencontrais aujourd’hui, je ne saurais pas même vous dire quoi que ce soit sur elle… j’ai simplement souvenir de cette abîme de tristesse dans le fond de son regard qui m’a fait mal et cette phrase : « Père, je te respecte »…
Je tourne, je retourne ces quelques instants dans ma tête… pourquoi m’envahissent-t-ils ainsi ?
Et si la réponse était dans les tags du Nouvel An… « Nemesis », le nom de cette déesse de la mythologie grecque de la juste colère des dieux parfois assimilée à la vengeance ! Cette idée m’est venue à la sortie de la cathédrale hier, lorsque des fidèles regardant les tags mon dit sais-tu ce que veut dire « Nemesis » et m’en ont rappelé l’origine !
Et oui ! N’y a-t-il pas de multiples raisons pour notre jeunesse d’en appeler à la déesse de la vengeance face à la génération qui les précède, à ma génération… qui les sacrifie sur l’autel d’une pseudo-philosophie de la liberté : « Il est interdit d’interdire »
Une jeunesse condamnée à fuir la vie parce que nous sommes résolus à lui ôter tout sens ! Parce que frustré et incapable d’assumer nos frustrations nous imposons à nos enfants en leur déniant le droit d’être plus que leur instinct, plus que leur pulsion, le droit d’être des hommes !
En abattant toute règle, en prônant le « relativisme » comme seul dogme… nous semblons dire à cette génération : « Tu ne peux pas être plus que tes actes »… nous tuons en eux toute espérance… nous tuons en eux la soif de vivre.
Victimes de nos fantasmes libertaires nous poussons nos enfants au suicide… au certes pas un suicide direct (quoique ?)… mais à ce suicide qui tue la vie à l’intérieur même de l’être tout en lui laissant l’apparence d’être vivant !
Mais il n’est pas trop tard… oser l’humilité… oser dire « On s’est planté… pardon » pourrait conduire nos jeunes de la foi en « Nemesis » à la foi en l’« Agape » ce beau nom de Dieu révélé en Jésus-Christ.
En marge de l’actualité
L’Année 2013 s’annonce difficile
Alors que chacun(e) offre ses meilleurs vœux pour 2013 malgré la crise, la montée des pauvretés, l'accroissement des inégalités… un domaine risque d'être mal mené, cette année : celui de la morale et de l'éducation.
Début décembre 2012, les Sénateurs ont sonné le glas de la nature humaine des embryons en autorisant la recherche sur les cellules embryonnaires. Curieusement, les Sénateurs membres du parti majoritaire ont voté « pour » (TOUS, sauf une élue qui a refusé de participer au vote !)
Courant janvier 2013 les Députés devraient se prononcer sur « le mariage pour tous », alors que le 28 janvier 2011 le Conseil Constitutionnel avait déclaré conforme à la Constitution la définition hétérosexuelle du mariage.
En juin 2013, le Parlement devrait examiner la légalisation de l'euthanasie.
En septembre 2013, la « morale laïque » devrait être enseignée à l'école à tous les jeunes Français. Et le ministre de l'éducation de préciser : « Il faut assumer que l'école exerce un pouvoir spirituel ».
Heureusement la France profonde et responsable réagit et se mobilise pour témoigner publiquement de son indignation. Chaque électeur et électrice a le droit de demander des comptes à ses élu(e)s : par courrier, par internet, par voie de presse, en les rencontrant, ou en défilant dans les rues.
Défendre le droit des familles, le droit à la vie, la liberté d'éduquer ses enfants... c'est le minimum que l'on attend de nos élu(e)s.
Exerçons nos droits de citoyens. Courage et confiance, 2013 ne fait que commencer !
Dominique SOUPE
Chancelier
Une nouveauté radicale qui change le cours de l’histoire
Catéchèse du pape Benoît XVI du 2 janvier 2013
« Comment cet enfant petit et faible peut-il avoir apporté dans le monde une nouveauté radicale au point de changer le cours de l’histoire ? N’y a-t-il pas quelque chose de mystérieux dans son origine ? », se demande Benoît XVI en contemplant l’Enfant Jésus. Il répond : « Il est le Fils unique du Père, il vient de Dieu ». Le pape explique ainsi que « ce qui arrive à Marie, à travers l’action de l’Esprit divin, est une nouvelle création ». Dans sa première audience générale de l’année, le pape a repris ses catéchèses sur le thème de la foi en méditant le mystère de l’origine de Jésus.
Chers frères et sœurs,
La Nativité du Seigneur éclaire encore une fois de sa lumière les ténèbres qui enveloppent souvent notre monde et notre cœur, et apporte l’espérance et la joie. D’où vient cette lumière ? De la grotte de Bethléem, où les pasteurs trouvèrent « Marie et Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche » (Lc 2, 16). Devant cette Sainte Famille surgit une autre question, plus profonde : comment cet enfant petit et faible peut-il avoir apporté dans le monde une nouveauté radicale au point de changer le cours de l’histoire ? N’y a-t-il pas quelque chose de mystérieux dans son origine, qui va au-delà de cette grotte ?
La question sur l’origine de Jésus émerge toujours à nouveau, c’est celle que le procurateur Ponce Pilate pose pendant le procès : « D’où es-tu ? » (Jn 19, 9). Pourtant son origine est bien claire. Dans l’évangile de Jean, quand le Seigneur affirme : « Je suis le pain descendu du ciel », les juifs réagissent en murmurant : « Celui-là n'est-il pas Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment peut-il dire maintenant : Je suis descendu du ciel ? » (Jn 6, 42). Et un peu plus tard, les citoyens de Jérusalem s’opposent violemment devant la prétendue messianité de Jésus en affirmant que l’on sait bien « d’où il est ; tandis que le Christ, à sa venue, personne ne saura d'où il est » (Jn 7, 27). Jésus lui-même fait remarquer combien leur prétention de connaître son origine est inadéquate, offrant ainsi une orientation pour savoir d’où il vient : « ce n'est pas de moi-même que je suis venu, mais il m'envoie vraiment, celui qui m'a envoyé. Vous, vous ne le connaissez pas » (Jn 7, 28). Certes, Jésus est originaire de Nazareth, il est né à Bethléem, mais que sait-on de sa véritable origine ?
Dans les quatre évangiles, la réponse à la question « d’où » vient Jésus émerge clairement : sa véritable origine est le Père, Dieu ; il provient totalement de lui, mais différemment de n’importe quel prophète ou envoyé de Dieu qui l’a précédé. Cette origine du mystère de Dieu, « que personne ne connaît », est déjà contenue dans les récits de l’enfance des évangiles de Matthieu et de Luc, que nous lisons pendant le temps de Noël. L’ange Gabriel annonce : « L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35). Nous redisons ces paroles chaque fois que nous récitons le Credo, la profession de foi : « et incarnatus est de Spiritu Sancto, ex Maria Virgine », « par l’Esprit-Saint il a pris chair de la Vierge Marie ». À cette phrase, nous nous agenouillons parce que le voile qui cachait Dieu est, si l’on peut dire, enlevé et son mystère insondable et inaccessible nous touche : Dieu devient l’Emmanuel, « Dieu avec nous ». Lorsque nous écoutons les messes composées par de grands maîtres de la musique sacrée, je pense par exemple à la Messe du Couronnement de Mozart, nous remarquons aussitôt que l’on s’arrête de manière particulière sur cette phrase, presque pour exprimer par le langage universel de la musique ce que les paroles ne peuvent pas manifester : le grand mystère de Dieu qui s’incarne, qui se fait homme.
Si nous considérons attentivement l’expression « par l’Esprit-Saint, il est né de la Vierge Marie », nous voyons qu’elle inclut quatre sujets agissants. De manière explicite, sont mentionnés l’Esprit-Saint et Marie, mais « il » est sous-entendu, c’est-à-dire le Fils qui a pris chair dans le sein de la Vierge. Dans la profession de foi, le Credo, Jésus est défini à travers des dénominations diverses : « Seigneur,… Christ, Fils unique de Dieu… Dieu né de Dieu, Lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu… de même nature que le Père » (Credo de Nicée-Constantinople). Nous voyons alors que « il » renvoie à une autre personne, celle du Père. Le premier sujet de cette phrase est donc le Père qui, avec le Fils et l’Esprit-Saint, est le Dieu unique.
Cette affirmation du Credo ne concerne pas l’être éternel de Dieu, mais nous parle plutôt d’une action à laquelle prennent part les trois personnes divines et qui se réalise « ex Maria Virgine ». Sans elle, l’entrée de Dieu dans l’histoire de l’humanité n’aurait pas atteint son but et ce qui est central dans notre profession de foi n’aurait pas eu lieu : Dieu est un Dieu avec nous. Ainsi Marie appartient de manière indispensable à notre foi dans le Dieu qui agit, qui entre dans l’histoire. Elle met à disposition toute sa personne, elle « accepte » de devenir le lieu de l’habitation de Dieu.
Parfois, même dans notre cheminement et dans notre vie de foi, nous pouvons ressentir notre pauvreté, notre inadéquation devant le témoignage à offrir au monde. Mais Dieu a justement choisi une humble femme, dans un village inconnu, dans une des provinces les plus reculées du grand empire romain. Toujours, même au milieu des difficultés les plus ardues à affronter, nous devons avoir confiance en Dieu, renouvelant notre foi dans sa présence et son action dans notre histoire, comme dans celle de Marie. Rien n’est impossible à Dieu ! Avec lui, notre existence avance toujours sur un terrain sûr et elle est ouverte à un avenir rempli d’une ferme espérance.
En professant le Credo, « par l’Esprit-Saint il a pris chair de la Vierge Marie », nous affirmons que l’Esprit-Saint, comme force du Dieu très-haut, a opéré de façon mystérieuse dans la Vierge Marie la conception du Fils de Dieu. L’évangéliste Luc rapporte les paroles de l’archange Gabriel : « L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre » (1, 35). Deux rappels sont évidents : le premier est le moment de la création. Au début du Livre de la Genèse nous lisons que « un vent de Dieu tournoyait sur les eaux » (1, 2) ; c’est l’Esprit créateur qui a donné vie à toutes choses et à l’être humain.
Ce qui arrive à Marie, à travers l’action du même Esprit divin, est une nouvelle création : Dieu, qui a appelé l’être à partir du néant, donne vie, par l’incarnation, à un nouveau commencement de l’humanité. Les Pères de l’Église parlent souvent du Christ comme du nouvel Adam, pour souligner le commencement de la nouvelle création à partir de la naissance du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge Marie. Cela nous fait réfléchir sur la manière dont, en nous aussi, la foi apporte une nouveauté si forte qu’elle produit une seconde naissance. En effet, au commencement de notre vie chrétienne, il y a le baptême qui nous fait renaître comme enfants de Dieu, nous fait participer à la relation filiale de Jésus avec son Père.
Et je voudrais faire remarquer que le baptême se reçoit, nous « sommes baptisés » – c’est un passif – parce que personne n’est capable de devenir par soi-même enfant de Dieu : c’est un don qui est conféré gratuitement. Saint Paul rappelle que les chrétiens sont enfants adoptifs dans un passage central de sa Lettre aux Romains, où il écrit : « tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu » (8, 14-16), et non des esclaves. C’est seulement si nous nous ouvrons à l’action de Dieu, comme Marie, seulement si nous confions notre vie au Seigneur comme à un ami en qui nous avons totalement confiance, que tout change, notre vie acquiert un nouveau sens et un nouveau visage : celui des enfants d’un Père qui nous aime et ne nous abandonne jamais.
Nous avons parlé de deux éléments : le premier élément est l’Esprit au-dessus des eaux, l’Esprit créateur ; il y a un autre élément dans les paroles de l’Annonciation.
L’ange dit à Marie : « La puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ». C’est un rappel de la nuée sainte qui, pendant le chemin de l’Exode, s’arrêtait au-dessus de la tente du rendez-vous, au-dessus de l’arche d’alliance, que le peuple d’Israël portait avec lui, et qui indiquait la présence de Dieu (cf. Ex 40, 34-38). Marie est donc la nouvelle tente sacrée, la nouvelle arche d’alliance : par son « oui » aux paroles de l’archange, Dieu reçoit une demeure en ce monde, celui que l’univers ne peut contenir prend sa demeure dans le sein d’une vierge.
Nous voici revenus à la question d’où nous sommes partis, celle sur l’origine de Jésus, synthétisée dans la question de Pilate : « D’où es-tu ? ».
Nos réflexions font apparaître clairement, dès le début des évangiles, quelle est la véritable origine de Jésus : il est le Fils unique du Père, il vient de Dieu. Nous sommes face au grand mystère, bouleversant, que nous célébrons en ce temps de Noël : le Fils de Dieu, par l’action de l’Esprit-Saint, a pris chair dans le sein de la Vierge Marie. C’est une annonce qui résonne, toujours nouvelle, et qui porte en elle espérance et joie pour notre cœur, parce qu’elle nous donne à chaque fois la certitude que, même si nous nous sentons souvent faibles, pauvres, incapables devant les difficultés et le mal qui est dans le monde, la puissance de Dieu agit toujours et opère des merveilles précisément dans la faiblesse. Sa grâce est notre force (cf. Co 12, 9-10). Merci.
© Libreria Editrice Vaticana – 2013
Les mages d’Orient
Extrait du livre du pape Benoit XVI : L’enfance de Jésus
En cette fête de l’Épiphanie, nous vous proposons la lecture d’un extrait du dernier livre du pape Benoit XVI : « L’enfance de Jésus ». Un extrait, qui nous le souhaitons vous donnera le désir de livre le livre dans son ensemble !
Le cadre historique et géographique du récit
Peu d'autres récits bibliques ont autant stimulé la fantaisie, mais aussi la recherche et la réflexion, que l'histoire des « Mages » provenant d'« Orient », une histoire que l'évangéliste Matthieu fait succéder immédiatement à la nouvelle de la naissance de Jésus : « Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem en disant : “Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage” » (2, 1 sq.).
Nous trouvons ici, en premier lieu, la claire détermination du cadre historique avec le renvoi au roi Hérode et au lieu de naissance, Bethléem. Une personne historique et un lieu géographiquement sont indiqués. Mais, en même temps, dans ces deux références, des éléments d'interprétation sont également offerts. Rudolf Pesch, dans son petit volume « Les Récits de Noël selon Matthieu », a relevé avec force la signification théologique de la figure d'Hérode : « Comme dans l'Évangile de Noël (Lc 2, 1-21) l'empereur romain Auguste est mentionné au commencement, de même le récit de Matthieu 2 commence de manière analogue par la mention du “roi des Juifs”, Hérode. Si là l'empereur, par sa prétention relative à la pacification du monde, était aux antipodes de l'enfant qui venait de naître, ici c'est le roi qui l'est, lui qui règne grâce à l'empereur - et cela il le fait avec la prétention presque messianique d'être, au moins pour le royaume juif, le rédempteur » (p. 23 s.).
Bethléem est le lieu de naissance du roi David. Au cours du récit, la signification théologique de ce lieu sera mise en lumière encore plus directement par la réponse que les scribes donneront à la question d'Hérode à propos du lieu où le Messie devait naître. Le fait que, par l'ajout « de Judée », la position géographique de Bethléem soit déterminée plus précisément pourrait peut-être porter en soi aussi une intention théologique. Dans la bénédiction de Jacob, le patriarche dit à son fils Juda de manière prophétique : « Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda, ni le bâton de chef d'entre ses pieds, jusqu'à ce que le tribut lui soit apporté et que les peuples lui obéissent » (Gn 49, 10). Dans un récit qui traite de l'arrivée du David définitif, du nouveau-né roi des Juifs qui sauvera tous les peuples, cette prophétie est, en quelque façon, à percevoir en arrière-fond.
Avec la bénédiction de Jacob, il faut aussi lire une parole attribuée dans la Bible au prophète païen Balaam. Balaam est une figure historique pour laquelle existe une confirmation en dehors de la Bible. En 1967, en Transjordanie, a été découverte une inscription dans laquelle Balaam, fils de Béor, paraît comme « voyant » de divinité autochtone - un voyant à qui sont attribuées des annonces de chance et de malchance. La Bible l'introduit comme devin au service du roi de Moab, qui lui demande une malédiction contre Israël. Cet acte, que Balaam entend accomplir, est empêché par Dieu lui-même, de sorte qu'au lieu d'une malédiction, le prophète annonce une bénédiction pour Israël. Malgré cela, dans la tradition biblique il est rabaissé comme inducteur à l'idolâtrie et meurt d'une mort considérée comme une peine (cf. Nb 31, 8 ; Jos 13, 22). La promesse de salut qui lui est attribuée à lui, non juif et au service d'autres dieux, reste donc d'autant plus importante, une promesse qui évidemment était connue aussi en dehors d'Israël. « Je le vois - mais non pour maintenant, je l'aperçois - mais non de près : un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d'Israël… » (Nb 24, 17).
Étrangement, Matthieu, qui aime présenter des événements dans la vie et dans l'œuvre de Jésus comme réalisation de Paroles vétérotestamentaires, ne cite pas ce texte qui a un rôle important dans l'histoire de l'interprétation du passage sur les Mages d'Orient. Certes, l'étoile dont parle Balaam n'est pas un astre ; le roi lui-même qui doit venir est l'étoile qui brille sur le monde et détermine ses destinées. Toutefois, le lien entre étoile et royauté pourrait avoir suscité l'idée d'une étoile, qui serait l'étoile de ce Roi et renverrait à lui.
Ainsi, on peut certainement supposer que cette prophétie non hébraïque, « païenne », aurait tourné sous quelque forme en dehors du judaïsme et aurait été objet de réflexion pour les personnes en recherche. Nous devrons encore revenir à cette question : comment des personnes, en dehors d'Israël, pourraient justement voir dans le « roi des Juifs » celui qui apporte un salut qui les concernerait.
Qui étaient les « Mages » ?
Maintenant, cependant, il faut tout d'abord se demander : quel genre d'hommes étaient ceux que Matthieu qualifie de « Mages venus d'Orient » ? Le terme « mages » (magoi), dans les sources qui y sont relatives, a une gamme notable de significations, qui vont d'un sens très positif à un sens très négatif.
Le premier des quatre sens principaux entend par le terme « mages » des membres de la caste sacerdotale perse. Dans la culture hellénistique ils étaient considérés comme « représentants d'une religion authentique » ; en même temps, cependant, leurs idées religieuses étaient retenues comme « fortement influencées par la pensée philosophique », de sorte que souvent les philosophes grecs ont été présentés comme leurs disciples. Il y a peut-être dans cette opinion un certain noyau de vérité difficilement définissable ; au fond, Aristote aussi a parlé du travail philosophique des mages.
Les autres sens mentionnés par Gerhard Delling sont : détenteur et pratiquant d'un savoir et d'un pouvoir surnaturels, comme aussi un magicien ; et, enfin : escroc et séducteur. Dans les Actes des Apôtres nous trouvons cette dernière signification : un magicien du nom de Bar-Jésus est qualifié par Paul de « fils du diable, ennemi de toute justice » (13, 10) et de cette façon mis au pas.
L’ambivalence du terme « mage », que nous trouvons ici, met en lumière l'ambivalence de la dimension religieuse comme telle. La religiosité peut devenir un chemin vers une vraie connaissance, un chemin vers Jésus-Christ. Mais quand, face à la présence du Christ, elle ne s'ouvre pas à lui et se pose contre l'unique Dieu et Sauveur, elle devient démoniaque et destructrice.
Dans le Nouveau Testament nous rencontrons ainsi les deux significations de « mages » : dans le récit de saint Matthieu sur les Mages, la sagesse religieuse et philosophique est clairement une force qui met les hommes en chemin ; c'est la sagesse qui en définitive conduit au Christ. Dans les Actes des Apôtres, en revanche, nous trouvons l'autre type de mage. Celui-ci oppose son pouvoir au message de Jésus-Christ et se met ainsi du côté des démons qui, cependant, désormais ont été vaincus par Jésus.
Pour les Mages en Matthieu 2, c'est évidemment le premier des quatre sens qui vaut - au moins au sens large. Même s'ils n'appartenaient pas exactement à la classe sacerdotale perse, ils étaient toutefois porteurs d'une connaissance religieuse et philosophique, qui s'était développée et était encore présente dans ces milieux.
Naturellement, on a cherché à trouver des classifications encore plus précises. L’astronome viennois Konradin Ferrari d'Occhieppo a montré que dans la ville de Babylone - centre de l'astronomie scientifique à une époque lointaine, mais en déclin au temps de Jésus - continuait à exister « encore un petit groupe d'astronomes désormais en voie d'extinction [...]. Des tables en terre cuite, couvertes d'inscriptions en caractère cunéiformes avec des calculs astronomiques [...] en sont des preuves sûres ». La conjonction astrale des planètes Jupiter et Saturne dans le signe zodiacal des Poissons, advenue dans les années 7-6 avant J.-C. - retenu aujourd'hui comme le vrai temps de la naissance de Jésus -, aurait été calculable pour les astronomes babyloniens et leur aurait indiqué la terre de Juda et un nouveau-né « roi des Juifs ».
Nous reviendrons plus loin sur la question de l'étoile. Pour le moment nous voulons nous arrêter à la question de savoir quel genre d'hommes furent ceux qui se mirent en chemin vers le roi. Ils étaient peut-être astronomes ; mais l'idée d'un roi en Juda, qui avait aussi de l'importance pour eux, ne vint pas à tous ceux qui étaient en mesure de calculer la conjonction des planètes et qui voyaient l'étoile. Pour que celle-ci puisse devenir un message, un oracle du type du message de Balaam devait avoir circulé. De Tacite à Suétone nous savons qu'en ce temps-là circulaient des attentes selon lesquelles de Juda serait sorti le dominateur du monde - une attente que Flavius Josèphe interpréta en indiquant ici Vespasien, avec pour conséquence qu'il entra dans ses faveurs (cf. De bello Jud. III, 399-408).
Divers facteurs pouvaient concourir pour faire percevoir dans le langage de l'étoile un message d'espérance. Mais tout cela pouvait mettre en chemin seulement un homme ayant une certaine inquiétude intérieure, un homme d'espérance, à la recherche de la véritable Étoile du salut. Les hommes dont parle Matthieu n'étaient pas seulement des astronomes. Ils étaient des « savants », ils représentaient la dynamique de l'aller au-delà de soi, intrinsèque aux religions - une dynamique qui est recherche de la vérité, recherche du vrai Dieu et donc aussi une philosophie dans le sens originaire du mot. Ainsi la sagesse assainit également le message de la « science » : la, rationalité de ce message ne s'arrêtait pas au seul savoir, mais cherchait la compréhension du tout, portant ainsi la raison à ses possibilités les plus élevées.
Selon tout ce qui a été dit, nous pouvons nous faire une certaine idée de ce que furent les convictions et les connaissances qui portèrent ces hommes à se mettre en route vers le nouveau-né « roi des Juifs ». Nous, pouvons dire avec raison qu'ils représentaient le chemin des religions vers le Christ comme aussi l'autodépassement de la science en vue de lui. Ils se trouvent en quelque sorte à la suite d'Abraham qui, à l'appel de Dieu, partit. D'une autre manière, ils se trouvent à la suite de Socrate et de son interrogation, au-delà de la religion officielle, à propos de la plus grande vérité. En ce sens, ces hommes sont des prédécesseurs, des précurseurs, des chercheurs de la vérité, qui concernent tous les temps.
Comme la tradition de l'Église a lu tout naturellement le récit de Noël sur l'arrière-fond d'Isaïe 1, 3 et que, de cette façon, le bœuf et l'âne sont arrivés à la crèche, de même a-t-elle lu le récit sur les Mages à la lumière du Psaume 72, 10 et d’Isaïe 60. Ainsi, les savants provenant d'Orient sont devenus rois, et avec eux les chameaux et les dromadaires sont entrés dans la crèche.
Si la promesse contenue dans ces textes étend la provenance de ces hommes jusqu'à l'extrême Occident (Tarsis = Tartessos en Espagne), la tradition a développé ultérieurement l'universalité des royaumes de ces souverains annoncée par là, les interprétant comme rois des trois continents connus alors : Afrique, Asie, Europe. Le roi de couleur noire en fait partie en permanence : dans le royaume de Jésus-Christ il n'y a pas de distinction de races ni de provenance. En lui et par lui, l'humanité est unie, sans perdre la richesse de la variété.
Plus tard les trois âges de la vie de l'homme ont encore été mis en relation avec les trois rois : la jeunesse, l'âge mûr et la vieillesse. C'est aussi une idée légitime, qui fait voir que les diverses formes de la vie humaine trouvent leur signification respective et leur unité intérieure dans la communion avec Jésus.
Reste l'idée décisive : les savants de l'Orient sont un commencement, ils représentent la mise en route de l'humanité vers le Christ, ils inaugurent une procession qui parcourt l'histoire tout entière. Ils ne représentent pas seulement les personnes qui ont trouvé le chemin jusqu'au Christ. Ils représentent l'attente intérieure, de l'esprit humain, le mouvement des religions et de la raison humaine à la rencontre du Christ.
L’étoile
Maintenant, cependant, il nous faut encore revenir à l'étoile qui, selon le récit de saint Matthieu, a poussé les Mages à se mettre en chemin. Quel type d'étoile était-ce ? A-t-elle vraiment existé ?
Des exégètes qui font autorité, comme par exemple Rudolf Pesch, pensent que cette question a peu de sens. Il s'agirait d'un récit théologique, qu'on ne devrait pas mêler à l'astronomie. Dans l'Église antique, saint Jean Chrysostome avait développé une position semblable : « Pour juger que cette étoile n'était pas une étoile ordinaire, ni même une étoile, mais une vertu invisible, qui se cachait sous cette forme extérieure, il ne faut que considérer quel était son cours et son mouvement. Il n'y a pas un astre, pas un seul, qui suive la même direction que celui-ci » (in Matth. homo VI 2). L’aspect extraordinaire de l’étoile est souligné dans une grande partie de la tradition de l'Église - ainsi déjà chez Ignace d'Antioche (vers 100 apr. J.-C.), qui voit le soleil et la lune exécuter une ronde autour de l'étoile ; de même dans l'hymne antique du Bréviaire romain pour l'Épiphanie, selon lequel l'étoile aurait surpassé le soleil en beauté et en luminosité.
Malgré cela, on ne pouvait pas ne pas poser la question de savoir si, toutefois, il ne s'agissait pas d'un phénomène céleste déterminable et classifiable astronomiquement. Il serait erroné de refuser a priori une semblable question en renvoyant au caractère théologique du récit. Avec le surgissement de l'astronomie moderne, développée même par des croyants chrétiens, la question concernant cet astre a aussi été posée à nouveau.
Johannes Kepler (mort en 1630) a avancé une solution qui substantiellement est à nouveau posée par des astronomes d'aujourd'hui. Kepler a calculé que, à cheval entre les années 7 et 6 avant J.-C. - qui, comme on l'a déjà dit, est considéré aujourd'hui comme l'année vraisemblable de la naissance de Jésus -, s'est produite une conjonction des planètes Jupiter, Saturne et Mars. En 1604, lui-même avait noté une conjonction semblable, à laquelle s’était encore ajouté une supernova. Par ce terme on indique une étoile faible ou très lointaine sur laquelle a lieu une énorme explosion, de sorte que pendant des semaines et des mois elle développe une intense luminosité. Kepler considérait la supernova comme une nouvelle étoile. Il pensait qu'à la conjonction advenue au temps de Jésus une supernova devait aussi être reliée ; il tenta ainsi d'expliquer astronomiquement le phénomène de l'étoile très lumineuse de Bethléem. Il peut être intéressant, dans ce contexte, que le chercheur Friedrich Wieseler de Gëttingen semble avoir trouvé, sur des tables chronologiques chinoises, qu'en l'an 4 avant J.-C. « une étoile lumineuse était apparue et avait été vue durant un temps prolongé ».
L’astronome déjà cité Ferrari d'Occhieppo mettait ad acta la théorie de la supernova. Selon lui, pour l'explication de l'étoile de Bethléem, la conjonction de Jupiter et de Saturne dans le signe zodiacal des Poissons suffisait, et de cette conjonction il pensait pouvoir déterminer précisément la date. À ce sujet, le fait que la planète Jupiter représentait le principal dieu babylonien Mardouk est important. Ferrari d'Occhieppo résume ainsi : « Jupiter, l'étoile de la plus haute divinité babylonienne, apparaissait dans sa plus grande splendeur au temps de son lever nocturne à côté de Saturne, le représentant cosmique du peuple des Juifs ». Laissons de côté des détails. De cette rencontre des planètes – affirme Ferrari d'Occhieppo - les astronomes babyloniens pouvaient déduire un événement d'importance universelle, la naissance dans le pays de Juda d'un souverain qui aurait apporté le salut.
Que pouvons-nous dire face à tout cela ? La grande conjonction de Jupiter et de Saturne dans le signe zodiacal des Poissons en 7-6 avant J.-C. semble être un fait vérifié. Elle pouvait orienter des astronomes du milieu culturel babylonien et perse vers le pays de Juda, vers un « roi des Juifs ». En détail, comment ces hommes sont arrivés à la certitude qui les fit partir et finalement les a conduits à Jérusalem et à Bethléem, c'est une question que nous devons laisser ouverte. La constellation stellaire pouvait être une impulsion, un premier signal pour le départ extérieur et intérieur ; mais elle n'aurait pas pu parler à ces hommes s'ils n'avaient pas été touchés aussi d'une autre façon : touchés intérieurement par l'espérance de cette étoile qui devait surgir de Jacob (cf. Nb 24, 17).
Si les Mages qui, guidés par l'étoile, étaient à la recherche du roi des Juifs représentent le mouvement des peuples vers le Christ, cela signifie implicitement que le cosmos parle du Christ et que, cependant, pour l'homme dans ses conditions réelles, son langage n’est pas pleinement déchiffrable. Le langage de la création offre de multiples indications. Il suscite dans l'homme l'intuition du Créateur. Il suscite, en outre, l'attente, ou plutôt l'espérance que ce Dieu se manifestera un jour. Et il suscite en même temps la conscience que l'homme peut et doit aller à sa rencontre. Mais la connaissance qui jaillit de la création et se concrétise dans les religions peut aussi perdre l'orientation juste, au point de ne plus pousser l'homme à se mouvoir pour aller au-delà de lui-même, mais de le pousser à se fixer dans des systèmes avec lesquels il croit pouvoir affronter les puissances cachées du monde.
Dans notre récit les deux possibilités se présentent : l'étoile conduit les Mages d'abord seulement jusqu'en Judée. Il est tout à fait normal qu'à la recherche du roi des Juifs nouveau-né ils aillent dans la cité royale d'Israël et entrent au palais du roi. Le futur roi devait probablement y être né. Pour trouver définitivement la route vers le véritable héritier de David, ils ont ensuite besoin de l'indication des Écritures sacrées d'Israël, des paroles du Dieu vivant.
Les Pères ont souligné encore un autre aspect. Grégoire de Nazianze dit que, au moment même où les Mages se prosternent devant Jésus, la fin de l'astrologie serait arrivée, parce que à partir de ce moment les étoiles auraient tourné dans l'orbite indiqué par le Christ (Poem. Dogm. V, 55.64). Dans le monde antique, les corps célestes étaient regardés comme des puissances divines qui décidaient du destin des hommes. Les planètes portent des noms de divinité. Selon l'opinion d'alors, elles dominaient en quelque sorte le monde, et l'homme devait chercher à trouver un compromis avec ces puissances. La foi dans le Dieu unique, témoignée par la Bible, a bien vite opéré ici une démythisation, quand le récit de la création, avec une magnifique sobriété, appelle le soleil et la lune -les grandes divinités du monde païen -, « lampes » que Dieu, avec toute la troupe des étoiles, suspend à la voûte céleste (cf. Gn 1, 16 s.).
Entrant dans le monde païen, la foi chrétienne devait de nouveau affronter la question des divinités astrales. C'est pourquoi, dans les lettres de prison aux Éphésiens et aux Colossiens, Paul a fortement insisté sur le fait que le Christ ressuscité a vaincu toute Principauté et Puissance de l'air et domine tout l'univers. Le récit de l'étoile des Mages se situe aussi dans cette ligne : ce n'est pas l'étoile qui détermine le destin de l'Enfant, mais c'est l'Enfant qui guide l'étoile. On peut parler si l'on veut d'une espèce de tournant anthropologique : l'homme adopté par Dieu - comme on le voit ici dans le Fils unique - est plus grand que toutes les puissances du monde matériel et plus encore que l'univers tout entier.
Étape intermédiaire à Jérusalem
Il est temps de revenir au texte de l'Évangile. Les Mages sont arrives au lieu présume de la prédiction, au palais royal à Jérusalem. Ils s'informent sur le nouveau-né « roi des Juifs », C'est une expression typiquement « non hébraïque ». Dans le milieu hébraïque on aurait parlé du roi d'Israël. De fait, ce terme « païen » de « roi des Juifs » revient seulement dans le procès à Jésus et dans l'inscription sur la Croix, utilisé deux fois par le païen Pilate (cf. Mc 15, 9 ; Jn 19, 19-22). On peut donc dire qu'ici - au moment où les premiers païens s'informent sur Jésus - transparaît déjà de quelque façon le mystère de la Croix qui est indissolublement lié à la royauté de Jésus.
Celui-ci s'annonce assez clairement dans la réaction à la demande des Mages à propos du roi nouveau-né : « Le roi Hérode s'émut, et tout Jérusalem avec lui » (Mt 2, 3). Les exégètes font noter que certainement, le trouble d'Hérode était très compréhensible face à la nouvelle de la naissance d'un mystérieux prétendant au trône. En revanche, il serait moins compréhensible qu'à ce moment, pour ce motif, tout Jérusalem ait pu être troublée. Cela serait peut-être plutôt une allusion anticipée à l'entrée triomphale de Jésus dans la ville sainte à la veille de sa Passion, entrée à propos de laquelle Matthieu dit que « toute la ville fut agitée » (21, 10). Quoi qu'il en soit, de cette façon les deux scènes dans lesquelles, en quelque manière, apparaît la royauté de Jésus, sont liées l'une à l'autre, et en même temps elles sont reliées à la thématique de la Passion.
Il me semble que la nouvelle du trouble de la ville a aussi un sens en ce qui concerne le moment de la visite des Mages. Pour clarifier la question, extrêmement dangereuse pour Hérode, à propos du prétendant au trône, il convoque « tous les grands prêtres avec les scribes du peuple » (Mt 2, 4). Une telle réunion et son « pourquoi » ne pouvaient pas demeurer secrets. La présumée ou réelle naissance d'un roi messianique ne pouvait apporter avec elle que contrariété et malheur pour les Hiérosolymitains. En effet, ils connaissaient bien Hérode. Ce qui dans la grande perspective de la vie quotidienne est, dans un premier temps, seulement une cause d'ennui, un motif de préoccupation et de peur. En effet : Dieu dérange notre confortable quotidien. La royauté de Jésus et sa Passion vont ensemble.
Quelle réponse a donnée l'illustre réunion à la question concernant le lieu de naissance de Jésus ? Selon Matthieu 2, 6, elle a répondu par une sentence, composée de paroles du prophète Michée et du Second Livre de Samuel : « Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n'es nullement le moindre des clans de Juda ; car de toi sortira un chef [cf. Mi 5, 1] qui sera pasteur de mon peuple Israël [cf. 2 S 5, 2] ».
Citant les paroles en question, Matthieu a introduit deux nuances différentes. Alors que la majeure partie de la tradition du texte, et en particulier la traduction grecque des Septante, dit : « [Tu es] le plus petit parmi les clans de Juda », il écrit : « Tu n'es nullement le moindre des clans de Juda ». Les deux versions du texte font comprendre -l'une de façon différente de l'autre - le paradoxe de l'action de Dieu, qui envahit tout l'Ancien Testament : ce qui est grand naît de ce qui semble petit et insignifiant selon les critères du monde, alors que ce qui est grand, aux yeux du monde, se brise et disparaît.
Il en a été ainsi, par exemple, dans l’histoire de l’appel de David. Le plus jeune des fils de Jessé, qui en ce moment paît les brebis, doit être appelé et oint roi : ce n'est pas l'aspect et la haute stature qui comptent, mais le cœur (cf. 1 S 16, 7). Une parole de Marie dans le Magnificat résume ce paradoxe persistant de l'action de Dieu : « Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles » (Lc 1, 52). La version vétérotestamentaire du texte, dans laquelle Bethléem est qualifiée de petit parmi les clans de Juda, met clairement en lumière cette manière de l'agir divin.
En revanche, quand Matthieu écrit : « Tu n'es nullement le moindre des clans de Juda », il n'a éliminé qu'apparemment ce paradoxe. La petite ville, considérée en soi insignifiante, se rend maintenant reconnaissable dans sa vraie grandeur. Le vrai pasteur d'Israël sortira d'elle : dans cette version du texte apparaissent ensemble l'évaluation humaine et la réponse de Dieu. Avec la naissance de Jésus dans la grotte en dehors de la ville, le paradoxe se confirme ultérieurement.
Par là nous sommes arrivés à la deuxième nuance : Matthieu a ajouté à la parole du prophète cette affirmation déjà mentionnée du Second Livre de Samuel (cf. 5, 2), qui là se réfère au nouveau roi David et qui maintenant rejoint sa pleine réalisation en Jésus. Le futur prince est qualifié de Pasteur d'Israël. Ainsi est faite une allusion à la sollicitude aimante et à la tendresse, qui caractérisent le vrai souverain en tant que représentant de la royauté de Dieu.
La réponse des chefs des prêtres et des scribes à la question des Mages a certainement un contenu géographique concret, qui pour les Mages est utile. Toutefois, elle n'est pas seulement une indication géographique, mais c'est aussi une interprétation théologique du lieu et de l'événement. Qu'Hérode en tire ses conséquences est compréhensible. En revanche, le fait que les connaisseurs de l'Écriture sacrée ne se sentent pas poussés à prendre des décisions concrètes à la suite est surprenant. Peut-être doit-on repérer ici en cela l'image d'une théologie qui s'épuise dans la dispute académique ?
L'adoration des Mages devant Jésus
À Jérusalem, l'Étoile était clairement à son déclin. Après la rencontre des Mages avec la parole de l'Écriture, l'étoile resplendit à nouveau pour eux. La création interprétée par l'Écriture recommence à parler à l'homme. Matthieu recourt aux superlatifs pour décrire la réaction des Mages : « À la vue de l'astre, ils se réjouirent d'une très grande joie » (2, 10). C'est la joie de l'homme qui est touché dans son cœur par la lumière de Dieu et qui peut voir que son espérance se réalise - la joie de celui qui a trouvé et qui a été trouvé.
« Entrant alors dans le logis, ils virent l'enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage » (Mt 2, 11). Dans cette phrase il est frappant que saint Joseph manque, alors que Matthieu a écrit le récit de l’enfance de son point de vue. Durant l’adoration, nous rencontrons à côté de Jésus seulement « Marie sa mère ». Je n'ai pas trouvé jusqu'à maintenant une explication pleinement convaincante de cela. Il existe l'un ou l'autre passage vétérotestamentaire dans lequel une importance particulière est attribuée à la mère du roi (par ex. Jr 13, 18). Mais cela n'est sans doute pas suffisant. Gnilka a probablement raison quand il dit que Matthieu rappelle par là à la mémoire que Jésus est né de la Vierge et qualifie Jésus de Fils de Dieu.
Devant l'Enfant royal, les Mages pratiquent la proskynesis, c'est-à-dire se prosternent devant lui. C'est l'hommage qu'on rend à un Roi-Dieu. À partir de là s'expliquent ensuite les dons qu'offrent les Mages. Ce ne sont pas des cadeaux pratiques, qui à ce moment-là auraient peut-être été utiles pour la Sainte Famille. Les dons expriment la même chose que la proskynesis : ils sont une reconnaissance de la dignité royale de celui auquel ils sont offerts. Or et encens sont mentionnés aussi en Isaïe 60, 6, comme des dons d'hommage, qui sont offerts au Dieu d'Israël de la part des peuples.
Dans les trois dons, la tradition de l'Église a vu représentés - avec quelques variantes - trois aspects du mystère du Christ : l'or renverrait à la royauté du Christ, l'encens au Fils de Dieu et la myrrhe au mystère de sa Passion.
En effet, dans l'Évangile de Jean la myrrhe apparaît après la mort de Jésus : l'évangéliste nous raconte que, pour l'onction du corps de Jésus, Nicodème s'était aussi procuré entre autres la myrrhe (cf. 19, 39). Ainsi, par la myrrhe, le mystère de la Croix est de nouveau relié à la royauté de Jésus et est annoncé à l'avance de façon mystérieuse dans l'adoration des Mages. L’onction est une tentative de s'opposer à la mort qui atteint seulement son caractère définitif dans la corruption. Quand, au matin du premier jour de la semaine, les femmes se rendent au tombeau pour effectuer l'onction qu'à causé du commencement immédiat de la fête il n'avait pas été possible d'exécuter le soir après la crucifixion, Jésus était désormais ressuscité : il n'avait plus besoin de la myrrhe comme moyen contre la mort, parce que la vie même de Dieu avait vaincu la mort.
© Éditions Flammarion – 2012
Prosternons-nous en silence et adorons !
Commentaire de l’évangile de la solennité de l’Épiphanie du seignuer – Année C
Tout commence, dans cet évangile, comme dans des contes orientaux : « Voici que des Mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem... » Réalité ou légende ? Eh bien, les deux. Matthieu nous raconte une histoire réelle sous les draperies du récit populaire. Son intention est de nous inviter à refaire pour notre compte l’itinéraire spirituel des Mages.
Car ils ont rencontré trois signes qu’ils ont su déchiffrer : l’étoile, la Parole et l’enfant. Trois jalons pour rencontrer Dieu.
Le premier signe de Dieu, en effet, est sa création. La première trace qui nous permet de le découvrir sont les étoiles et les autres étonnantes merveilles de la nature. Il faut oser passer toute une nuit en montagne, à contempler la lune et les étoiles, loin des lumières et des bruits de la ville... quelle splendeur ! Les sciences, surtout celles de la Nature, conduisent à Dieu, mais à la condition de se laisser étonner. Un vrai savant, c’est un enfant patient. Il échafaude des hypothèses, mais si cela ne marche pas, il recommence. Il ne critique pas la réalité. Il remet en cause son hypothèse. Il s’efface et il s’oublie. Il se laisse remplir d'admiration. Le prototype du mage, c’est Einstein. Il est mort dans l’angoisse d’avoir livré les secrets de l’atome à des politiciens endurcis. « J’aurais mieux fait d’être plombier », disait-il... Mais il avait gardé son regard d’enfant, cela se voit dans son visage. Il jouait avec la relativité comme un enfant joue à la balle. Il était de ces vrais savants qui se laissent plus éblouir par le mystère qui leur échappe que par les parcelles de vérité qu’ils en ont arraché... Quand on a reçu ce choc, on devrait dire : « C’est trop génial ; derrière tout cela, il y a vraiment une intelligence qui me dépasse ».
Le second guide qui mène à Dieu, c’est la Bible, sa parole inépuisable. Imaginez un artiste de génie qu’on invite à une soirée. Et voilà que tout le monde prend la parole et donne son avis. Cela devient la tour de Babel. Mais si on accepte de se taire et d’écouter son poème ou sa musique, alors cela devient inépuisable, comme une cantate de Bach ou un poème de Rimbaud... Il devra parler, non pas pendant des heures ou des années, mais pendant des siècles. La Parole de Dieu, la Bible, c’est cela. Si à chaque verset, vous vous mettez à discuter, vous ne saurez jamais ce que dit Dieu. Vous ferez de ce texte un grimoire poussiéreux. Il ne faut pas interrompre l’orateur. Il faut laisser la mélodie résonner en soi. Ici aussi, pour en découvrir l’indicible beauté, il faut avoir gardé un cœur d’enfant. « Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu... »
Le troisième signe, précisément, c’est l’enfant. Quand on regarde le passé du Christianisme, on remarque que presque toutes les « hérésies » rejettent l’humanité de Jésus. C’est pourtant le plus sûr chemin pour sortir Dieu des abstractions desséchantes. « Prenez et mangez », dit Jésus. Dieu s’est fait petit enfant, fils des hommes, pour que nous nous découvrions, au ceux de nos existences les plus quotidiennes, fils et filles bien-aimés du Père. « Nous avons part à la divinité de celui qui a pris notre humanité », dit une des prières de l’offertoire, à la messe...
Apprenons des mages à nous laisser émerveiller par l’harmonie des étoiles, la beauté de la Parole de Dieu et la profondeur du visage humain. Puis à nous prosterner, dans le silence, et adorer...